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présentes comme une contrainte, prête à se manifester en cas de non-respect. Une pression sociale
est exercée en permanence sur l’individu qui la ressent plus ou moins. « [Les faits sociaux] consistent
en des manières d’agir, de penser et de sentir, extérieures à l’individu et qui sont douées d’un pouvoir
de coercition en vertu duquel ils s'imposent à lui. » Ils diffèrent des phénomènes biologiques ou
psychologiques, puisqu’ils sont des actions et des représentations et qu'ils n’existent pas dans la
conscience individuelle mais dans la société elle-même.
Le fait social peut exister même en dehors d’organisation bien définie. « C’est ce qu’on appelle les
courants sociaux ». Ces phénomènes s’imposent aussi aux individus et s'ils cherchent à en nier les
manifestations, la puissance de coercition externe propre à la société s'exerce sur eux. Aussi, ces
phénomènes sont extérieurs et indépendants. Les individus n’en sont pas à l'origine mais sous leur
influence. Cependant la généralité d’un phénomène ne suffit pas à le qualifier de fait social sans sa
contrainte.
L’éducation est un exemple clé pour illustrer la contrainte sociale : elle inculque aux enfants des
normes et des comportements collectifs qui en font des êtres sociaux. Les normes sociales sont
intériorisées jusqu’à en devenir des habitudes : se laver, être poli, respecter les autres, travailler, etc.
Ces apprentissages ne viennent pas naturellement à eux, mais leur sont imposés par leur entourage et
par la société.
Les faits sociaux se distinguent aussi des comportements individuels par leur régularité et leur
répétition qui leur donnent une consistance différente et une réalité sui generis. Ainsi, des
phénomènes comme le taux de natalité ou le taux de suicide ne concernent pas une personne en
particulier, mais représentent une tendance collective. Ces faits sociaux qui peuvent être mis en
évidence par les statistiques, montrent l’existence d’une réalité collective qui dépasse les individus.
Durkheim critique ici des théories comme celle de Gabriel Tarde, qui considérait que les faits sociaux
sont simplement le résultat de répétitions d’actes individuels. Pour Durkheim, les faits sociaux existent
indépendamment des individus qui les vivent et possèdent une autonomie propre.
Enfin, les faits sociaux ne concernent pas seulement des actions (comme respecter des lois ou
pratiquer une religion). Durkheim étend la définition du fait social aux phénomènes de morphologie
sociale, comme la densité de population ou la distribution des habitations, en montrant qu’ils sont
également contraignants. Même ces éléments « matériels » reflètent des habitudes et des choix
collectifs consolidés au fil du temps.
Dans sa conclusion, Durkheim reformule sa définition de manière synthétique, soulignant la
contrainte, la généralité et l’objectivité des faits sociaux : « Notre définition comprendra donc tout le
défini si nous disons : Est fait social toute manière de faire, fixée ou non, susceptible d'exercer sur
l'individu une contrainte extérieure ; ou bien encore, qui est générale dans l'étendue d'une société
donnée tout en ayant une existence propre, indépendante de ses manifestations individuelles. »
Pour conclure, la contribution de Durkheim oriente de manière décisive une discipline en voie de
constitution. C’est le premier à définir précisément le fait social qui est l'objet central de la sociologie
et par cela fait déjà de la sociologie une science à part entière. Cet ouvrage assoit la sociologie sur des
fondements solides.
Dans la suite de l’ouvrage, il s’attachera à définir la méthode qui convient à l'étude de ces faits sociaux.
Sa compréhension passe par une démarche rigoureuse qui le distingue des phénomènes individuels
ou psychologiques, et cette méthodologie garantit l’autonomie de la sociologie comme science.