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RÉSUMÉ
Dans les années cinquante, «dans un bar du quartier des matelots» d’Amsterdam, appelé ‘’Mexico-
City’’, un Français d’environ quarante ans, qui est un habitué, propose à un touriste, qui est un
compatriote, de lui servir d’interprète auprès du barman. Puis il s’assoit à son côté pour boire avec lui
du «genièvre», et se lance dans un bavardage plein d’affectation, tout en se permettant des questions
quelque peu indiscrètes pour déterminer la classe sociale et la culture de son interlocuteur. S’il
signale au passage «la place d’un tableau décroché», il parle surtout de lui, indiquant qu’il a été
avocat à Paris et qu’il est maintenant «juge-pénitent». Enfin, il se présente : «Jean-Baptiste
Clamence, pour vous servir». Le visiteur partant, il décide de le raccompagner, et, alors qu’ils
traversent le quartier juif, se livre à des réflexions sur les horreurs de la guerre et sur les crimes des
nazis, donne aussi, en quelques aperçus historiques et cyniques, son avis sur les Hollandais, sur la
Hollande et son passé colonial, sur les canaux d'Amsterdam, sur les prostituées, « ». Après lui avoir
proposé : «À demain donc, monsieur et cher compatriote», il le quitte devant un pont, en lui faisant
savoir : «Je ne passe jamais un pont, la nuit. C’est la conséquence d’un vœu.»
Vraisemblablement le lendemain, Clamence retrouve son compatriote. Il évoque alors son passé,
raconte comment, jadis, avocat à Paris, il avait eu «une vie réussie», ayant mené une brillante
carrière où il était respecté de tous car il se consacrait à de «nobles causes», et se montrait courtois,
serviable, généreux. Ayant une haute opinion de lui-même, se sentant au-dessus des autres, de leur
jugement, étant en parfait accord avec lui-même et avec les autres, planant sur les sommets de la
bonne conscience, il était heureux. Mais, «un beau soir d'automne, encore tiède sur la ville, déjà
humide sur la Seine», il emprunta le pont des Arts, «désert à cette heure», s'accouda au garde-fou en
amont du fleuve, et s'apprêtait à allumer la «cigarette de la satisfaction», lorsqu'il entendit éclater
«derrière lui», «un bon rire, naturel, presque amical, qui remettait les choses en place», car il le
considéra comme un rire moqueur ; il se retourna : il n’y avait personne ; ayant repris sa position
première, il entendit à nouveau, mais «un peu plus lointain, comme s'il descendait le fleuve», ce rire
«venu de nulle part, sinon des eaux», et qui décroissait dans la nuit. Mal à l'aise, il rentra chez lui où il
entendit un autre rire, et où, se regardant dans la glace, il constata : «Mon image souriait dans la
glace, mais il me sembla que mon sourire était double».
Le lendemain soir, revenant sur ce rire inquiétant, il pense : «Je crois bien que c'est alors que tout
commença». Mais, comme il a invité le visiteur à «marcher un peu dans la ville», il a l’occasion de lui
parler des canaux, de maisons intéressantes, dont celle d’un marchands d’esclaves, ce qui le fait
disserter sur «la servitude», et continuer à parler de lui. Il indique que le rire entendu sur le pont avait
bouleversé sa vie ; qu’alors il avait petit à petit pris conscience du fait que tout en lui n'avait été que
mensonge et comédie ; que chaque épisode de sa vie passée, mise à l'épreuve de ce rire, livra enfin
la vérité toute nue ; le masque tomba, et il fut placé en face de ce qu'il avait toujours voulu ignorer :
son monstrueux égoïsme, sa hideuse adoration de soi : «J’ai toujours crevé de vanité. Moi, moi, moi,
voilà le refrain de ma chère vie». Il en eut encore plus conscience lorsque, un jour, conduisant sa
voiture, il s’en prit violemment à un motocycliste, avant d’être corrigé par un «mousquetaire». D’autre
part, il se rendit compte que ses relations avec les femmes, avec lesquelles il a «toujours réussi» mais
en ne voyant en elles que «des objets de plaisir et de conquête», étaient elles aussi marquées par sa
vanité ; et il s’étend longuement sur ce sujet. Alors qu’il demande à son compagnon de le
raccompagner chez lui, il lui fait soudain part de sa «découverte essentielle», celle qu’il fit «deux ou
trois ans avant le soir où [il crut] entendre rire dans [son] dos» : une nuit de novembre, vers une heure
du matin, près du pont Royal, il passa «derrière une forme penchée sur le parapet, et qui semblait
regarder le fleuve», «une mince jeune femme, habillée de noir» ; puis il entendit le bruit «d’un corps
qui s’abat sur l’eau» et «un cri plusieurs fois répété, qui descendait lui aussi le fleuve, puis s'éteignit
brusquement» ; mais, comme paralysé par «une faiblesse irrésistible», il n’avait pas esquissé un
geste pour la retenir («Je voulus courir et je ne bougeai pas. Je tremblais, je crois, de froid et de
saisissement. Je me disais qu’il fallait faire vite et je sentais une faiblesse irrésistible envahir mon