la continuité, l`identité et la succession d`états

REVUE BELGE DE DROIT INTERNATIONAL
1993/2 Éditions BRUYLANT, Bruxelles
LA CONTINUI, L’IDENTITÉ
ET LA SUCCESSION D’ÉTATS
ÉVALUATION DE CAS RÉCENTS
PAR
Wladyslaw CZAPLINSKI
Ac ad é m ie d e s Sciences d e P ologn e
La sécurité et la stabilité des relations de droit international appartien
nent aux plus importants facteurs de la vie internationale contemporaine.
Ces facteurs sont mis en danger si une des parties à la relation légale est
soumise à des changements concernant les éléments constitutifs de lÉtat :
le territoire, la population, le pouvoir étatique et la souveraineté étatique.
Il est difficile dapprécier si certaines obligations internationales concernent
le même Etat que le précédent ou bien si leur sujet primaire a été rempla
par un autre sujet dans le cadre d’une succession dÉtats. Il faut noter que
la notion d'identité étatique est fictive : il sagit dune identité de la subjecti
vité internationale et pas d’une identité du territoire, de la population et
du pouvoir étatique.
La notion de continuité d’Etats est liée à l’identité mais on peut indiquer
la différence entre les deux : on décide de l’identité d’Etats en comparant
les deux organismes étatiques dans deux moments différents, tandis qu’on
parle de la continuité quand un Etat existe sans interruption pendant une
certaine période. Lidentité de lÉtat ne peut pas être mise en question si
on accepte la continuité de cet Etat ; linterruption de la continuité (la ces
sation de lexistence étatique) exclut en général toute identité.
Si la notion d’identité d’État na pas été définie par le droit international
positif, la succession dEtats est définie comme le remplacement d’un État
par un autre État dans la responsabilité pour les relations internationales du
territoire (1). Les documents mentionnés ont précisé aussi les types de la
succession dEtats : cession, sécession d’une partie du territoire (appelée
aussi dévolution ou émancipation), décolonisation (État nouveau indépen
dant), union d’Etats et dissolution d’Etat. Malheureusement, les deux
conventions ne sont pas entrées en vigueur, leurs normes n’ont pas été uni
versellement acceptées et en raison dune opposition très forte de la part de
(1) Convention de Vienne du 23 août 1978 sur la succession d’États en matière de traités, A/
Conf.80/31, article 2.1.(b) ; convention de Vienne du 7 avril 1983 sur la succession d’États en
matière de la propriété dÉtat, archives et dettes dÉtat, A/Conf.117/4, article 2.1.(a).
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chienne s’est constituée comme un État nouveau, mais le traité de paix de
Saint-Germain la traitée comme identique à lancien Empire d’Au
triche (3). Dautres parties de lancienne Monarchie ont été incorporées
dans les États nationaux nouveaux créés aps la l re guerre mondiale
(Pologne, Tchécoslovaquie, Royaume de Serbie-Croatie-Slovénie). Une solu
tion identique a été adoptée dans le cas de la dissolution de lEmpire Otto
man. L’identité de la publique de Turquie avec lancien Empire nétait
pas mise en question malgré les changements dans la forme de gouverne
ment et du territoire, conformément aux traités de Paris (1856), Berlin
(1878) et Lausanne (1923). Finalement, on n’a jamais nié l’identité des
anciens États coloniaux malgla perte d’importants territoires incorporés
dans la tropole (la France et la Belgique après la décolonisation de lAl
gérie et du Congo).
L’unification dÉtats préexistants interrompt aussi la continuité des
États précesseurs. L’État uni est toujours un sujet nouveau du droit
international. A lépoque contemporaine, l’union d’États peut être créée
uniquement soit en vertu dun accord entre les États concernés, soit en
vertu dune décision libre de leurs populations. Le caractère de l’État nou
veau unifié peut être défini par la constitution de cet État, par l’accord
entre les États intéressés et finalement par les formes dune participation
dans les relations internationales. Dans la pratique moderne, on peut indi
quer l’union entre le Tanganyika et le Zanzibar (qui forment la Tanzanie)
ou lunion entre lEgypte et la Syrie entre 1958-1961 (R.A.U.).
Il faut faire une distinction entre l’union et l’incorporation. En ce dernier
cas, lun des États cesse d’exister tandis que la personnalité internationale
de lautre est continuée dans des frontières nouvelles (du point de vue de
ce dernier, les conséquences de l’incorporation ressemblent aux consé
quences de lacquisition de territoire par cession). Lincorporation contem
poraine peut être fondée comme l’union d’États sur laccord interna
tional entre l’État incorporant et lÉtat incorporé. En particulier, après
l’entrée en vigueur de la Charte des Nations Unies (et l’interdiction de l’em
ploi de la force en droit international), on a exclu la légalide lannexion
forcée en cas de conquête. Dans les situations où la continuité d’État a été
interrompue par lemploi illégal de la force, on a adopté une construction
dÉtats ressuscités correspondant avec l’institution du postliminium en
droit romain (les cas de lÉthiopie en 1936-1945, de la Tchécoslovaquie en
1939-1945 et de l’Albanie en 1941-1944). Comme exemples de l’incorpora
tion pacifique, on peut citer lannexion des îles Ioniennes par la Grèce en
(3) Cette situation a causé une discussion doctrinale v. les opinions opposées de G. C a n s a c -
c h i , «Identité et continuité des sujets internationaux», 130, RGADI, 33 (1970), et J. K i b s t e n ,
Einige Problème der Staatennachfolge, Berlin (RDA), 1962, 67. La raison de la solution conven
tionnelle adoptée était la question de la responsabilité de l’Autriche pour les dommages de guerre
qui impliquait le paiement de réparations cf. W. C z à p li n s k i, « State Succession and State
Responsibility », 28, CanYBIL, 357 (1990).
L A CO N TINUITÉ, L IDE N T IT É ET LA SUCCESSION D ’ÉT ATS 377
1863-64, l’incorporation du Texas (1844) et dHawaii (1898) aux États-
Unis, lincorporation de certains États italiens au Royaume de Sardaigne
en 1860 et du Congo par la Belgique en 1907-1908 (4).
Tous les types de cessation de l’existence d’États sont problématiques
parce qu’il est difficile de formuler les critères dune composition de
l’État. L appréciation du fait de la composition étant laissée à la décision
libre des autres États, la décision est fondée sur des critères extra-juridi-
ques.
Deux situations hypothétiques objectivent le fait d’une dissolution de
l’État : une perte totale du territoire étatique ou la disparition de la popu
lation. La première peut avoir lieu par exemple dans les cas d’un cata
clysme naturel très vaste (l’explosion d’un volcan, un tremblement de terre
détruisant l’État insulaire), lautre dans le cas d’une épidémie. Les deux
situations correspondent à des conditions de la dissolution d’un État for
mulées par H. Kelsen et J. Kunz (5), selon lesquels l’État cesse d’exister en
cas d’interruption de la continuité d’un des éléments constitutifs de lÉtat
en droit international (le territoire, la population, le pouvoir étatique et la
souveraineté). La pratique internationale semble accepter une autre propo
sition, selon laquelle la continuité d’un des éléments constitutifs de lÉtat
préjuge déjà d’une continuité de l’État en cas de crise (6).
II. L e s f a c t e u r s s a n s i n fl u e n c e
SUB LA CONTINUITÉ DES ÉTATS
On a montré ci-dessus des situations drésulte la cessation de la conti
nuité et de lidentité des États. De la même manière, on peut indiquer un
nombre de facteurs qui nont pas d’influence sur la qualide lÉtat en tant
que sujet de droit international. On peut mentionner ici avant tout le nom
de lÉtat et sa capitale. Dautres facteurs méritent une courte discussion.
Les changements territoriaux nont pas d ’influence sur lidentité des
États (7). On a soulig en particulier que ni la perte de vastes territoires
par la Prusse après la paix de Tilsit en 1807, ni l’incorporation dautres
États par le Royaume de Sardaigne lors de la création du Royaume dItalie
(4) J.H.W. Ve r z i j l , International Law in Historical Perspective, v o l. 2, Leiden 1967, 127.
(5) H. ICe l s e n , Principles of International Law, New York, 19 52, 262 ; J. Kttnz, « Identity of
States under International Law », dans : The Ghanging Law of Nations, Toledo (Ohio), 1964, 288.
(6) V. en part. W. Fi e l d e r , « Staats- und völkerrechtliche Problème des Staatsuntergangs »,
Zeüschrift für Politik, 171 (199 3).
(7) V . p a r ex . J. Cr a w f o b d , The Création of States in International Law, O x fo rd , 1979, 4 0 4 ;
D .P . O C o n n e l l , The Succession of States in Municipal Law and International Law, vo l. 1, C a m
b rid g e 1967 ; K . Ma r e k , « T h e I d e n tit y a n d C o n tin u ity o f S tates in P u blic In tern a tion a l L a w »,
G e n è v e 1968, 15 ; J.H.W. Ve r z i j l , op. cit., co l. 2, 117 ; G . Fi t z m a t t r ic e , « T h e G e neral P r in cip les
o f In tern a t io n a l L aw , 92, RGADI, 91 (195 7) ; co m p . H. Bo k o r -S z e g ö , «N aissan ce et dis p arition
des E ta t s d a n s le d roit in tern a tion a l con tem porain », Acta Iuridica (A cadém ie h on g roise des
scien ces ), 3 -4 /3 6 4 (1 983).
378 W L A D Y S L A W CZAPL IÎtSK I
n’ont changé l’identité de ces États. Nous avons mentionné déjà les pro
blèmes liés à dissolution de la Monarchie Austro-Hongroise. Certaines
situations peuvent malgtout poser des questions : des changements terri
toriaux liés à dautres changements importants dans la structure étatique
ou la perte du territoire dans une mesure qui rend lexécution dobligations
internationales impossible. Tous ces problèmes territoriaux ne sont pas suf
fisamment déterminés pour devenir critères de continuité et d’identité
d’États, même s’ils peuvent être d’une certaine importance du point de vue
du droit international (par exemple dans le contexte d’un principe rebus sic
stantïbus).
Les changements dans la population de l’État causés par la natalité, les
migrations ou des interventions sur sa structure ethnique nont pas d’in
fluence sur la continuité dÉtat. Contrairement à J. Crawford(8), nous
somme d’avis que la nationalité des habitants peut jouer un certain rôle
dans lappréciation de la continuité.
Selon l’opinion dominante dans la doctrine du droit international, les
changements dans la structure du pouvoir étatique n ’ont aucune impor
tance pour la continuité, indépendamment de leur légalité. Seul un manque
permanent et finitif de pouvoir étatique peut conduire à la disparition
d’un État, s’il est lié à son remplacement par le pouvoir dun autre État.
Cette situation peut avoir certains effets dans le domaine des relations
internationales, mais elle ne touche pas la personnalité de lÉtat en droit
international et ne modifie pas automatiquement ses droits et ses obliga
tions.
Cette position est claire en ce qui concerne les changements conformes à
la constitution. La continuité de lÉtat malgré la création d’un gouverne
ment illégal du point de vue du droit constitutionnel a été confirmée par
plusieurs sentences arbitrales (dans les affaires Dreyfus 1901, Pierola 1921
et la plus célèbre Tinoco 1923).
On peut observer une certaine divergence dopinions en ce qui concerne
la volution sociale, en particulier la révolution communiste. Un groupe
dauteurs a défendu la thèse selon laquelle lÉtat post-révolutionnaire est
identique à l’État préexistant, sous réserve de la possiblité de modification
de certaines obligations incompatibles avec la politique du gouvernement
nouveau, tandis que les autres auteurs ont rejeté l’identité de l’État com
muniste avec l’État de système précédent (9). La pratique internationale a
généralement accepté la continuité étatique des États socialistes.
(8) J. Cr a w f o r d , «The Criteria», op. cit., 139.
(9) Selon la doctrine marxiste, le changement dune classe sociale dominante signifie automa
tiquement le changement d’une structure étatique fondamentale excluant la continuité. La doc
trine soviétique a été divisée (cf. l’analyse par N.V. Za k h a r o v a , « 0 mezhdunarodnoy pravosu-
byektnosti gosudarstva pri sotsyalnoy revolucyi », SEM P 157 (1960) dernière référence dans
la doctrine appuyant la première position, cf. Kurs mezhdunarodnogo prava v 7 iomakh, Moscou,
1990, vol. 3, p. 123-4) ; la doctrine est-allemande a accepté cette thèse après certaine hésitation
LA CO N T INUITÉ, L ’ ID E N T IT É ET LA SUCCESSION D ’ ÉT ATS 379
Parmi les facteurs indifférents pour la continuité des États, on peut indi
quer finalement loccupation militaire, temporaire et transitoire et n’étant
pas liée à un changement de souveraineté. La guerre mondiale a intro
duit des éléments importants modifiant linstitution traditionnelle de loc
cupation militaire et concernant le fonctionnement des gouvernements en
exil. Même non effectifs, ces gouvernements étaient généralement reconnus,
concluaient des accords internationaux, maintenaient des relations diplo
matiques et exerçaient le contrôle de forces armées. De cette manière, ils
soutenaient la continuité fictive de l’État.
Nous pouvons conclure alors que nonobstant lexistence de certains fac
teurs facilitant l’évaluation, le droit international na pas élaboré de cri
res clairs concernant l’identité ou la succession dÉtats. Cette évaluation
est laissée aux États tiers qui jugent de déclarations éventuelles faites par
les États intéressés en vue de la reconnaissance, soit de lÉtat (en cas de
succession), soit du gouvernement (en cas d’identité). Parmi les formes de
la reconnaissance de la continuité étatique, on peut mentionner lapplica
tion de tous les accords internationaux sans modifications ni déclarations
spéciales, ladmission aux travaux dorganisations internationales sans pro
cédures dadmission, etc.
La reconnaissance comme test de l’identité n’est pas parfaite à cause de
certains désavantages. Avant tout, elle est influencée par des considérations
politiques ou idéologiques, et elle nest pas basée sur des critères objectifs
(même si on admet que lon ne peut pas reconnaître un sujet de droit d’une
manière arbitraire). Elle accorde aussi une grande importance à lopinion
d’États tiers en diminuant la position de l’État intéressé (et de sa popula
tion).
Ce test signifie que l’État donné est identique à lÉtat préexistant parce
qu’il garde ses droits et ses obligations internationales. On peut se deman
der si cet ordre ne devrait pas être renver : l’État garde les droits et les
obligations internationales de lentité préexistante, parce qu’il est reconnu
comme identique. En pratique, les reconnaissances de l’identité étatique et
de l’identité des obligations internationales seront simultanées et seront
liées aux développements de la situation interne et de la position interna
tionale de l’État concerné.
Lépoque contemporaine montre que l’évaluation de la situation juridi
que des États nouveaux formés en Europe est possible uniquement grâce
au test proposé de la reconnaissance internationale. Sauf le cas clair du par
tage de la dération Tchécoslovaque qui a conduit à la création de deux
(J. Ki b s t e n , op. cit., 57 ; Staateimachfolge im VÖlkerreeht (ed. W. Po e g g e l efc al.), Berlin 1986,
p. 36 ; G. Ri e g e , Die StacUsbürgerschaft der DDR, Berlin 1986, 142), et la doctrine polonaise l’a
rejetée (J. Ty r à n o w s k i , « Sukcesja panstw a identycznosc rzadow », Panstwo i Prawa No. 4/p. 68
(1980) ; R . S z a f a r z , Sukcesja panstw w odniesieniu do umôw miedzynarodowych, Warszawa 1982,
p. 35).
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