DuRegardàLaParole,LaRelationSoignant-Soigné e, Psychiatrie - Pierrick Brient CPC 028 0061

DU REGARD À LA PAROLE : LA RELATION SOIGNANT-SOIGNÉ EN
PSYCHIATRIE
Pierrick Brient
De Boeck Supérieur | « Cahiers de psychologie clinique »
2007/1 no 28 | pages 61 à 68
ISSN 1370-074X
ISBN 9782804154226
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-cahiers-de-psychologie-clinique-2007-1-page-61.htm
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DU REGARD
À LA PAROLE :
LA RELATION
SOIGNANT-SOIGNÉ
EN PSYCHIATRIE
Pierrick Brient *
La dimension relationnelle se trouve au cœur du travail à l’hôpi-
tal psychiatrique. Nous souhaitons essayer de montrer ici ce
que l’approche psychanalytique a pu et peut encore éclairer
quant à la relation soignant-soigné dans les soins en patholo-
gie mentale, particulièrement pour le personnel infirmier. Ce
projet s’articule à un enseignement dispensé après des étu-
diants infirmiers, ainsi qu’à un contexte institutionnel actuel,
où cette relation soignant-soigné tend à disparaître.
Un contexte
Aujourd’hui, dans les hôpitaux psychiatriques français, les
soignants n’ont plus le temps de penser. La discipline psychia-
trique, alignée sur le modèle des services généraux, tend à se
dissoudre dans la médecine somatique et est alors soumise aux
mêmes injonctions que celle-ci. Réduction des coûts oblige, on
« instrumentalise ». On introduit la « gestion de proximité », la
« qualité », « l’évaluation », la « gestion des lits », etc. : autant
* Docteur
en Psychologie,
Psychologue clinicien,
Hôpital Saint-Jacques,
C.H.U. de Nantes ;
Chargé de cours,
Université de Nantes.
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de signifiants modernes, importées du management des res-
sources humaines, qui risque de dénaturer la relation humaine.
Cette logique est liée à des questions financières de la santé pu-
blique, questions certes bien réelles, mais où le facteur humain
et relationnel est de plus en plus oublié. L’infirmier(e) se re-
trouve assigné à des tâches nouvelles, administratives, et n’a
plus de temps à consacrer au soigné. Du fait de ces change-
ments, une certaine perplexité s’installe, qui peut faire regretter
les fonctionnements d’antan. Les réflexions et questionnements
sur la relation soignant-soigné, chers à la psychothérapie ins-
titutionnelle, semblent révolus. Ils sont repris dans la « gestion
des pôles », mais celle-ci se fondant sur un modèle général de
fonctionnement hospitalier, la psychiatrie s’en trouve rigidi-
fiée. Or, les réflexions institutionnelles, collectives, servaient
de poumon à des agents confrontés à un objet difficile et an-
goissant, qui ne peut être mis sur le même plan qu’un trouble
somatique. Pour aller de l’avant, une redéfinition des missions
du soignant en psychiatrie s’avère aujourd’hui nécessaires.
Sur le terrain, en France, la profession infirmière a elle aussi
subie des bouleversements. La disparition du diplôme d’Infir-
mier Spécialisé en Psychiatrie a contribué à l’inclusion de la
psychiatrie au rang d’une discipline médicale comme les autres,
ce qu’elle ne peut être du fait de son objet. Les jeunes Infir-
mier(e)s Diplômé(e)s d’État arrivant dans les services géné-
raux de psychiatrie, souvent pleins de bonne volonté et du désir
d’aider, se retrouvent confronté(e)s à des pathologies diffici-
les, où la violence côtoie la misère sociale, pathologies qui ont
elles aussi suivies les mutations de nos sociétés. Démunies face
à ces malades, les jeunes IDE rencontrent le doute, voire
l’angoisse, ce qui peut les conduire à la fuite ou à l’établisse-
ment de mécanismes de défense qui empêchent une position
soignante. Bien souvent, ces nouveaux soignants butent dans
la compréhension et l’appréhension de ces malades. On cons-
tate une perte de sens des pratiques, dissoutes dans les tâches
administratives, le nursing, la gestion des lits. Les temps plus
courts d’hospitalisation introduisent une autre temporalité qui
rend difficile les réflexions théorico-cliniques. Par là, la prati-
que n’est plus élaborée, pensée. Et, en lien avec une disparition
de la spécificité psychiatrique, les pathologies ne sont plus
décodées, le positionnement soignant est mis de côté. Essayons
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de rappeler ce qui peut fonder ce positionnement dans le champ
psychiatrique, où la dimension relationnelle est privilégiée.
De l’œil à l’oreille
Avec le concept du transfert, qui n’est pas propre à la situation
analytique mais où il se trouve exacerbé, Freud éclaira les
modalités inconscientes de la relation soignant-soigné et
apporta un outil pour la penser. Il formalisa alors ce qui, dans
la préhistoire de la Psychanalyse, était resté en souffrance
entre Breuer et Anna O 1. Freud prolongea cette avancée en
insistant sur la notion de contre-transfert, qui concerne cette
fois les sentiments du thérapeute vis-à-vis du malade, senti-
ments que l’on va retrouver dans toute position soignante.
Nous allons montrer dans un premier temps que cette
découverte du transfert ne put se réaliser qu’en abandonnant
la modalité de relation soignant-soigné qu’instaurait la prati-
que hypnotique. Puis, nous reviendrons sur l’éclairage que les
notions de transfert / contre-transfert peuvent apporter au soi-
gnant.
A la fin du XIXe siècle, Jean-Martin Charcot 2 propose une
explication de la névrose hystérique et prétend faire disparaî-
tre ses symptômes en insistant sur le fondement psychologi-
que de ceux-ci. On sait l’influence qu’il aura sur Freud.
L’hystérie, par ses plaintes, par ses troubles somatiques, sans
signes visibles ou palpables d’un processus morbide, lançait
un défi à la médecine. On s’intéressa à l’hypnose pour la
soigner : celle-ci permettait de supprimer le « comportement
psychique du malade ». En effet, l’intensité avec laquelle
celui-ci aspire à la guérison et le pouvoir qu’il attribue au
médecin concourent à l’effet du remède prescrit. Certains
médecins ont le don de gagner la confiance des malades, « le
malade se sent soulagé dès l’instant où il voit le médecin péné-
trer dans sa chambre » 3. Mais, il y a aussi des malades réfrac-
taires, tels les névrosés hystériques, chez lesquels le facteur
psychologique influence négativement les soins et empêche la
guérison. Le traitement hypnotique se présenta donc comme
une technique propre à supprimer cette influence du facteur
psychologique, en ne laissant plus au patient le soin de décider
1 J. Breuer, S. Freud,
Etudes sur l’hystérie
(1895), Paris, PUF,
1956.
2 J.-M. Charcot,
L’hystérie, Paris,
L’Harmattan, 2000.
3 S. Freud, « Traitement
Psychique » (1890),
dans Résultats, idées,
p
roblèmes, Paris, PUF,
1995, p. 11.
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de son degré de disponibilité psychique mais en le lui arra-
chant délibérément.
L’hypnose se fonde sur un procédé de capture de l’atten-
tion, où le regard joue un rôle prépondérant. Elle se situe par
là dans la lignée de la discipline médicale. Michel Foucault 4
nous a montré que la clinique médicale est une clinique du
regard : voir, c’est savoir. La sémiologie médicale est en effet
basée sur l’observation des signes, permettant l’établissement
des maladies. Foucault nous montre aussi, dans son approche
des conditions de possibilités, notamment historiques, de l’ex-
périence médicale, combien l’autopsie, c’est-à-dire l’ouverture
des cadavres, est venue constituer une avancée fondamentale.
On a pu ainsi prolonger le champ du regard, on a pu observé
les maladies. L’anatomo-pathologie est ainsi devenue la voie
directrice du discours médical. Ce privilège du regard est
maintenu aujourd’hui dans l’importance donnée à L’Imagerie
Médicale. Cette primauté du voir dans le discours médical in-
troduit un certain type d’approche de la relation humaine, et
particulièrement de la relation soignant – soigné. Celle-ci se
trouve alors basée sur l’observation, par exemple des condui-
tes et des comportements. D’autre part, elle situe un sujet ob-
jectivé, c’est-à-dire en position d’objet observable. L’hypnose
n’échappe pas à ce discours et s’appuie sur une relation soi-
gnante fondée sur un processus d’identification. L’identifica-
tion est un mécanisme psychologique fondamental dans toute
relation soignant-soigné. Il s’appuie sur le recoupement des
regards et témoigne d’un phénomène de miroir entre deux in-
dividus. Pourtant, le traitement hypnotique apportait déjà autre
chose : la vertu curative du mot 5. En mesurant toute la portée
de la parole et les limites de l’hypnose, Freud rompit avec un
discours fondé sur le privilège du regard. Il inventa un dispo-
sitif où l’oreille prît le pas sur l’œil. Il découvrît, avec l’in-
conscient, un sujet qui parle dans l’homme et qui veut se faire
entendre, qui déjà se fait entendre dans le symptôme. L’accent
psychanalytique porte ainsi sur l’écoute : une parole, où l’in-
conscient se dit entre les lignes. Une autre modalité de la rela-
tion soignant-soigné est introduite, qui n’est plus basée sur le
regard, le face-à-face, mais sur la parole d’un sujet. Le soignant
sort alors d’une position où il était miroir pour l’autre, pour
devenir lieu pour dire. Voyons ce que cela peut apporter dans
le champ de la clinique infirmière en psychiatrie.
4 M. Foucault,
Naissance de la clinique
(1963), Paris, PUF,
1990, coll. « Quadrige ».
5 S. Freud, Traitement
p
sychique, op. cit.,
p. 12.
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