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L'essentiel de la culture générale. Les 20 thèmes incontournables des épreuves de culture générale ( PDFDrive )

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L'essentiel
de la
culture
générale
ftilhiii.8
Les 20 thèmes
incontournables
des épreuves de
culture générale
Jean-Philippe Cavaillé
(Î'luahno
·
·
• éditions
Jean-Philippe Cavaillé
Est diplômé de l'IEP de Paris, de /'ESSEC et tillilaire d'un DEA de droit social de
l'univershé Paris Il Panthéon-Assas.
Ancien moniteur de droit primé et chargé d'enseignement dans plusieurs
établissements, Hprépare les éllidiants aux concours.
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L'essentiel
de la
culture
générale
Les 20 thèmes
incontournables
des épreuves de
culture générale
Jean-Philippe Cavaillé
(/lualino
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PllOTOCOl'IUAGI
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C Gualino éditeur, Lextenso éditiOl'6, 2014
70, rue du Gouverr\eur Général ~boué
92131 1ssy.1es-M oulir\eaux <edex
ISBN 978 - 2 - 297 - 03283 - 4
1 Définitions ..................................................... 15
2
Problématiques .................................................. 16
- Qu'est-ce que le communautarisme ? ............................... 16
- Quels sont les rapports de l'individualisme et du communautarisme? .... 17
- Le communautarisme est-il compatib le avec les valeurs républica ines? ... 19
- Comment concilier individualisme et existence d'un intérêt général? .... 20
- L'individu a t-il une valeur propre? ................................ 21
- Comment réinscrire de nouveau l'individu dans le champ des valeurs? ... 23
- La consécration de l'individu comme valeur peut-elle être un idéal moral? ..24
- Quelles sont les nouvelles formes de solidarité? ...................... 24
- Comment les droits de l'Homme sont-ils protégés au niveau international? . .25
Références b ib liographiques ....................................... 26
1 Définitions ..................................................... 27
2
Problématiques .................................................. 28
- Que recherche-t-on à travers la religion? ........................... 28
- Quelle est l'influence morale de la religion?......................... 29
- Quels sont les rapports de la religion et de la politique? ............... 29
- Quelles évolutions le relig ieux a-t-il subi? ........................... 30
- Faut-il craindre les sectes? ....................................... 32
- Quelles sont les perspectives du religieux au xx1• siècle? ............... 33
Références b ib liographiques ....................................... 35
1 Déf initions ..................................................... 37
2
Problématiques .................................................. 38
- L'Histoire est-elle une science? .................................... 38
- L'Histoire a-t-elle un sens? ....................................... 39
- Quels sont les rapports de la mémoire avec l'Histoire? ................ 40
- L'oubli et le pardon sont-ils des conditions du vivre ensemble? ......... 41
- Existe-t-il un pardon politique? ................................... 42
- Comment distinguer mythe et religion? ............................ 43
Références b ib liographiques ....................................... 44
l'essentiel de Io culture générale
1 Définitions ..................................................... 45
2 Problématiques .................................................. 46
- Quelles sont les règles de composition de la famille? ................. 46
- Quelle est l'influence du droit de la famille? ........................ 48
- Peut-on parler de crise de la famille? .............................. 49
- Quelles sont les fonctions résiduelles de la famille? ................... 50
- En quoi consistent les problématiques intergénérationnelles? .......... 50
Références b ib liographiques ....................................... 51
.
--~~~~~~~~~~~~--
-
1 Défin itions ..................................................... 53
2 Problématiques .................................................. 54
- Comment la ville est-elle apparue? ................................ 54
- Quelles sont les valeurs véhicu lées par la ville?....................... 56
- Peut-on parler de crise de la ville? ................................. 57
- Quel est le rôle de la banlieue? ................................... 58
- Quelle est l'évolution actuelle du milieu rural? ...................... 60
Références b ib liographiques ....................................... 61
1 Défin itions ..................................................... 64
2 Problématiques .................................................. 65
- Quelles sont les orig ines du nationalisme? .......................... 65
- l.'.État et la nation ont-ils divorcé? ................................. 68
Références b ib liographiques ....................................... 70
Sommo ire
1 Définitions ..................................................... 73
2 Problématiques .................................................. 76
-
Comment le système éducatif français s'est-il construit? ............... 76
Qu'est-ce que l'enseignement? ................................... 76
Quelles sont les différentes crises traversées par l'institution scolaire? ... 77
Quelle est l'évolution prévisib le du rôle de l'école? ................... 78
Quelles sont les perspectives de l'éducation dans le monde? ........... 79
Références b ib liographiques ....................................... 80
1 Défin itions ..................................................... 81
2 Problématiques .................................................. 82
- Quel rapport au travail l'individu entretient-il ? ...................... 82
- En quoi la valeur travail est-elle remise en cause? .................... 83
- Quel est l'impact du développement des loisirs? ..................... 84
- Quelles sont les évolutions récentes du travail ? ...................... 86
- Est-il possib le de réinventer le travail ? ............................. 88
- Faut-il d istinguer travail et emplo i ? ................................ 90
- Est-il possib le de concilier sécurisation du travail et flexibilité? ......... 90
- Qu'est ce que la flexicurité (ou flexisécurité) ? ....................... 92
- Quelles sont les implications du risque psychosocial (RPS)? ............. 93
Références b ib liographiques ....................................... 94
1 Défin itions ..................................................... 95
2 Problématiques .................................................. 98
-
La mond ia lisation signifie-t-elle la fin de l'État-nation? ............... 98
Peut-on envisager un gouvernement mond ia l ? ..................... 100
La mond ia lisation crée-t-elle l'inégalité?........................... 101
Qu'est-ce que le régionalisme? .................................. 101
Comment les rôles sont-ils répartis entre les acteurs de la scène
internationale? ............................................... 103
- Peut-on parler d 'éthique au sein des relations internationales? ........ 104
Références b ib liographiques ...................................... 106
-
l'essentiel de Io culture générale
THEME 10 • LA GUERRE ET LA VIOLENCE
1 Définitions .................................................... 107
2 Problématiques ................................................. 111
-
- Qu'est-ce que la conception classique de la guerre? ................. 111
- Existe-t-il un risque de guerre globale? ............................ 112
- Quelles sont les nouvelles formes de conflit? ....................... 113
- Quels sont les nouveaux acteurs des conflits? ....................... 115
- Quelles sont les nouvelles motivations de la guerre? ................. 11 7
- Existe-t-il une« privatisation » de la guerre? ....................... 118
- Existe-t-il une guerre« juste » ? .................................. 118
- Quelles sont les nouvelles formes de vio lence?...................... 119
- Qu'est-ce que le terrorisme?..................................... 120
Références b ib liographiques ...................................... 122
1 Définitions .................................................... 123
2 Problématiques ................................................. 124
- Comment la science s'est-elle développée? ......................... 124
- Quel est le rapport des individus à la science? ...................... 125
- Quelles sont les relations existant entre science et politique?.......... 126
- Quelles sont les relations existant entre science et éthique? ........... 127
- Comment mieux responsabiliser la recherche scientifique?............ 129
- Quelles sont les implications de la bioéthique? ..................... 130
- Doit-on craindre un« nouveau » risque technologique?.............. 132
Références b ib liographiques ...................................... 133
1 Définitions .................................................... 135
2 Problématiques ................................................. 136
- De quand date l'apparition d'lntellectuels? ........................ 136
- Quels sont les rôles des Intellectuels? ............................. 138
- La figure originelle de l'lntellectuel est-elle morte?.................. 139
Références b ib liographiques ...................................... 140
Sommo ire
1 Définitions .................................................... 141
2 Problématiques ................................................. 143
-
Quelle est l'influence du sport dans le rapport de l'Homme au corps?... 143
Quelles sont les évolutions récentes du sport? ...................... 144
Quelles sont les conséquences de la commercialisation du sport? ...... 145
Quels sont les rapports du sport et de la politique? .................. 145
Références b ib liographiques ...................................... 147
--~~~~~~~~~~~~--
1 Défin itions .................................................... 149
2 Problématiques ................................................. 150
- Comment notre rapport à la nature a-t-il évolué? ................... 150
- La nature inspire-t-elle encore la peur?............................ 152
- Quels sont les rapports entre politique et nature ? ................... 153
- Qu'est-ce que le développement durable? ......................... 154
- Quelles sont les critiques adressées au développement durable? ....... 157
- Faut-il promouvoir la décroissance ?............................... 158
Références b ib liographiques ...................................... 159
1 Défin itions .................................................... 161
2 Problématiques ................................................. 162
-
Quelle est l'évolution du rapport à la mort?........................ 162
La mort est-elle taboue? ........................................ 164
La mort est-elle mise en scène? .................................. 164
La mort inspire-t-elle la peur? ................................... 166
Comment envisager l'euthanasie? ................................ 166
Références b ib liographiques ...................................... 168
-
.
l'essentiel de Io culture générale
1 Définitions .................................................... 169
2 Problématiques ................................................. 170
-
- Quelle est l'influence des changements technologiques
sur la communication? ......................................... 170
- Nos sociétés sont-elles devenues des« sociétés de communication»? ... 171
- Quel est l'impact de l'Internet sur la communication politique? ........ 173
- Quels sont les risques générés par Internet? ........................ 173
- Qu'est-ce que la censure? ....................................... 175
- Qu'est-ce que la propagande? ................................... 178
Références b ib liographiques ...................................... 180
1 Définitions .................................................... 183
2 Problématiques ................................................. 184
- Quelles sont les orig ines de l'État?................................ 184
- L'État est-il remis en cause? ..................................... 187
- Quel rôle l'État doit-il tenir aujourd'hu i? .......................... 188
- Qu'est-ce qu'un citoyen? ....................................... 189
- Quelle a été l'évolution de la notion de citoyenneté? ................ 191
- Existe-t-il une crise de la représentation? .......................... 192
- La réforme de l'État est-elle possib le? ............................. 194
Références b ib liographiques ...................................... 195
1 Définitions .................................................... 197
2 Problématiques ................................................. 198
- Quels sont les rapports entre culture et politique? .................. 198
- Une politique culturelle est-elle possib le?.......................... 199
- La culture est-elle en crise?...................................... 200
- La culture est-elle intégratrice? .................................. 200
- La diversité culturelle est-elle encouragée? ........................ 201
Références b ib liographiques ...................................... 203
Sommo ire
1 Définitions .................................................... 205
2 Problématiques ................................................. 206
-
Les valeurs sont-elles en crise? ................................... 206
La morale est-elle encore une valeur? ............................. 206
L'individualisme signifie-t-il la fin des valeurs? ...................... 208
Quelle est la vision actuelle de l'égalité?........................... 208
Qu'est-ce que la discrimination? ................................. 209
Faut-il d istinguer discrimination positive et promotion de l'égalité des
chances? ..................................................... 211
- Qu'est-ce que l'exclusion socia le? ................................ 212
- La jeunesse est-elle une nouvelle valeur? .......................... 214
- Qu'est-ce que le bonheur? ...................................... 215
- Existe-t-il un droit au bonheur? .................................. 216
- Peut-on mesurer le bonheur?.................................... 217
Références b ib liographiques ...................................... 218
1 Définitions .................................................... 219
2 Problématiques ................................................. 220
- Quelles sont les évolutions de l'institution judiciaire? ................ 220
- Quelles sont les critiques formulées envers l'institution judicia ire? ..... 222
- Existe-t-il une mise en scène de la justice? ......................... 224
- L'avenir du juge est-il dans la justice internationale? ................. 224
Références b ib liographiques ...................................... 227
111111
'ouvrage a pour principal objectif de donner aux étudiants qui préparent
des concours administratifs, ou bien des concours d'entrée aux grandes écoles, des pistes de réflexion à propos de quelques concepts fondamentaux de
culture générale. li ne s'agit que d'invitations au voyage intellectuel, qui ne remplaceront ni un cours complet, autrement plus volumineux, ni le nécessaire t ravail
de longue haleine st rictement nécessaire à la réussite de l'épreuve de culture
générale.
L
Toute la difficulté commence dans la définition de la culture générale. Au sens
scolaire du terme, la culture générale est une nébuleuse de domaines concentrant
notamment sciences humaines (sociologie, droit, histoire, économie ... ), philosophie politique, connaissance des arts, géopolitique, histoire des idées, psychologie. Dans un sens plus dynamique, elle est aussi et avant tout capacité à prendre
un recul circonstancié sur les événements et les idées, les débats économiques,
politiques, culturels, ét hiques et sociaux, de manière à prendre une position personnelle éclairée. Elle est donc capacité à parler de soi au t ravers d'un ou plusieurs
t hèmes.
la culture générale a déjà donné lieu à nombre d'ouvrages, de méthodologie et
de cours, qui apportent chacun une vision, une démarche propres à leur auteur,
sans risque d'épuiser le sujet . Cette singularité de l'approche doit d'ailleurs également êt re recherchée par l'étudiant dans ses propres t ravaux d'analyse.
Autant donc avouer que prétendre donner «l'essentiel» de la culture générale
serait particulièrement présompt ueux, tant la matière est, par défi nition, infinie.
Il va de soi que notre ent reprise est bien plus modeste : nous avons en effet retenu 20 t hèmes, que nous considérons comme les principales sources d'inspiration
des sujets d'examen.
Bien qu'il ne soit pas question de limiter sa réfl exion à ce champ, s'intéresser à
ces sujets permettra à l'ét udiant d'initier un t ravail de préparation efficace de
ses épreuves de culture générale. Volontairement réduit, si ce n'est réducteur,
l'ensemble constitue un tableau d'« un peu de quelque chose et rien du tout, à
la française » (Montaigne, Essais), mais incitera le lecteur, nous l'espérons, à sa-
l'essentiel de Io culture générale
tisfaire lui-même sa curiosité dans les classiques de philosophie politique ou dans
n'importe quelle autre source de « culture générale ».
-
Malgré tout, pourquoi rédiger un nouvel ouvrage de cult ure générale alors que
tant est déjà dit et écrit ?
- tout d'abord parce que les ouvrages de culture générale réclament une réactualisation permanente et qu'un nouveau regard, ou plutôt un regard supplémentaire, n'est jamais inutile;
- ensuite parce qu'il a été délibérément choisi dans cet ouvrage, après avoir donné une définition des termes, d'aborder chacune des notions à travers le prisme
d'un questionnement simple pour mieux en éclairer l'actualité. Cette approche
devrait aider le lecteur à se réapproprier pleinement les notions abordées, afin
d'inscrire ces dernières dans une problématique personnelle, cohérente et raisonnablement originale.
l'objectif de l'ouvrage n'est donc pas, nous insistons, de se substit uer à la réfl exion
personnelle de l'ét udiant en lui offrant un raisonnement (avec toutes ses limites)
« clé en main » mais, au cont raire, de lui proposer pour chaque sujet un exemple
de démarche itérative qui pourra inviter à des interrogations supplémentaires.
Car, quelles que soient les échéances scolaires et la nécessité de « faire vite et
bien » dans la préparation des concours et examens, deux points doivent êt re
rappelés:
- le premier est que l'acquisition d'une culture générale, quelle que soit son
étendue, relève avant tout du plaisir d'apprendre et de découvrir. Bénéficier
d'une cult ure générale solide est l'une des conditions d'une intégration sociale
et citoyenne satisfaisante. le profit retiré s'étend donc bien au-delà de la réussite à quelques examens ;
- le second point est que l'accumulation de connaissances relève d'un état d'esprit, d'une curiosité intellectuelle, qu'il ne sera jamais possible de résumer à la
rédaction de quelques fiches, aussi synthétiques et pertinentes puissent-elles
êt re. la lecture d'ouvrages de culture générale, quels que soient leur nombre
et leur qualité, ne suffira donc pas, ce qui est tant mieux.
Ces modestes rappels étant effectués, il ne me reste qu'à souhaiter à chacun de
ceux qui s'attarderont quelques minutes sur ces pages une lecture aussi agréable
que profitable.
Thème
1
L'INDIVIDU
-
1.
Définitions
li est possible de définir l'individu comme un êt re asocial et apolitique qui possède
par nature des droits inaliénables. Ces droits naturels puisent leur effectivité dans
la mise en œuvre de normes positives, comme le préambule de la constitution
de 1946 ou la Déclaration des Droits de l'Homme de 1789. On compte parmi ces
droits de plusieurs générations : le droit à la sécurité, à la liberté, à la propriété,
les droits politiques, économiques et sociaux... l'individu constitue donc l'une des
visions modernes de l'Homme, certes et hnocentrée mais trop souvent réduite à
l'individualisme.
l'individualisme est, quant à lui, une théorie qui privilégie l'individu en tant que
valeur suprême au niveau politique, social et moral. li s'oppose ainsi à l'holisme
qui pose le primat des valeurs et intérêts du groupe sur l'individu.
l'individualisme démocratique et libéral a hissé l'individu au rang de valeur suprême et de fondement même des valeurs morales. li s'agit d'une notion historiquement et politiquement sit uée : selon Tocqueville (De la démocratie en Amérique), l'individualisme proviendrait de l'égalisation des conditions démocratiques
qui aurait remis en cause l'holisme des sociétés t raditionnelles. Tocqueville voit
dans chaque être une détermination liée à son environnement. Dans les sociétés
aristocratiques en effet, « tous les citoyens sont placés à un poste fixe, les uns audessus des autres. Il en résulte encore que chacun d'entre eux aperçoit toujours
plus haut que lui un homme dont la protection lui est nécessaire, et plus bas, il en
découvre un autre dont il peut demander le secours ».
l'individualisme implique l'autonomie individuelle face aux instit utions sociales
et politiques : la famille, l'Église, la caste ... la plupart des courants de pensée
individualistes, en particulier libéraux, considèrent ainsi l'individu comme seule
référence en déniant toute autonomie véritable aux collectivités, quelle que soit
leur nature (nation, peuple, société ... ). Cette affirmation est supposée garantir la
différenciation d'un individu par rapport à un autre et le respect de sa singularité,
de ses caractéristiques propres et de ses droits. Seuls les intérêts des autres individus avec lesquels il interagit directement ou indirectement sont pris en compte
dans les choix de l'individu et non les intérêts purement collectifs. !.'.agrégation
des intérêts individuels se base sur un contrat social. qui ne peut avoir pour effet
de subordonner des fins individuelles à des fins collectives. l'individualisme libé-
l'essentiel de Io culture générale
rai se réfère également au principe kantien qui impose que l'individu ne soit pas
considéré comme un moyen mais comme une fin en soi.
l'individualisme doit êt re distingué de l'humanisme : l'humanisme est un mouvement européen de la Renaissance et une philosophie, qui place l'êt re humain et
les valeurs humaines au centre de la pensée. Ce mouvement se caractérise par un
rapprochement avec la philosophie antique. Dans une acception plus moderne
et plus large, l'humanisme désigne toute prise de position qui place l'homme,
sa défense et son développement au centre de ses préoccupations. Enfin, l'individualisme doit être distingué du personnalisme qui défi nit l'homme comme
un individu raisonnable, conscient et responsable de ses actes, mû par sa faculté
d'agir selon la morale universelle.
-
-
2.
Problématiques
t Qu'est-ce que le communautarisme ?
le communautarisme peut se défi nir comme la volonté de valoriser de manière
exclusive des critères individuels différenciant, en les présentant comme constitutifs de l'identité sociale des individus. le concept de communautarisme comporte
une dimension péjorative, ostraciste, car il exclut les individus ne présentant pas
les critères retenus. Au début des années 1980, à partir d'une critique de la t héorie politique de John Rawls, certains philosophes, dits « communautariens » se
sont réappropriés l'idéal communautaire en affi rmant que l'individu n'existait
pas indépendamment de ses appartenances religieuses, culturelles, ethniques ou
sociales. les politiques sociales actuelles qui tendent à agir en fonction de caractéristiques spécifi ques (sexe, âge, handicap ... ) s'inscrivent dans cette philosophie,
au risque de ne définir l'individu qu'à travers son adéquation à des critères en
niant sa singularité.
le communautarisme doit êt re clairement distingué du mot anglais« communitarianism » dont il est la t ransposition littérale impropre. le mot anglais renvoie en
effet à un courant (dont le principal représentant est Amitai Etzioni) qui cherche
à valoriser la communauté sur les individus qui la composent, en opposant aux
souhaits individuels la nécessité de remplir des obligations envers la collectivité.
Dans son usage actuel le plus courant, le mot «communauté » évoque des collectivités historiques ou culturelles, telles qu'entendues dans les débats sur les
minorités ou le communautarisme.
Sous l'Ancien régime, le mot communauté désignait l'ensemble des personnes
morales de droit public dont les statuts résultaient généralement d'une ordonnance royale ou de lettres patentes. Ce terme concernait aussi bien l'organisation
religieuse (communautés religieuses), les pouvoirs administratifs (communauté
Thème 1 • l'individu
de la Noblesse), locaux (communautés d'habitants, des villes, provinciales), les
activités professionnelles (communautés de métier), éducatives (communautés des collèges), les relations ent re particuliers (communauté mat rimoniale, de
voisinage). Actuellement, ce t ype d'organisation communautaire a été remplacé
majoritairement par le système associatif, les corps ou les ordres. Elle conserve
cependant un sens juridique et administratif précis, par exemple pour les copropriétés, les associations, les communes, les professions organisées en ordre, les
corps de la fonction publique, les familles, les congrégations religieuses.
les doutes concernant le communautarisme présents dans la politique française
font écho à la remise en cause des politiques d'intégration de pays enclins à prendre en compte les revendications identitaires : par exemple, aux États-Unis, la
politique d'« affi rmative action »n'a pas empêché la ghettoïsation et l'affrontement intercommunautaire; au cours des années 1960, l'accent a été mis sur la
différence, d'autant plus qu'elle était revendiquée par des groupes marginalisés:
Noirs, homosexuels, femmes, Amérindiens. Actuellement, au « melting pot » est
désormais préféré le « salad bowl », dans lequel les« ingrédients» ne se fondent
pas mais coexistent à partir de leurs différences. les récents débats sur l'ouverture
d'une mosquée non loin de « ground zero» mont rent cependant que les tensions
entre communautés restent présentes.
De même, en Grande-Bretagne, la découverte que les attentats perpétrés à Londres le 7 juillet 2005 étaient le fait non de terroristes ét rangers mais de jeunes
Anglais élevés sur le sol britannique a provoqué une remise en cause profonde du
modèle multicult urel britannique. le Premier ministre Tony Blair a en particulier
mis fi n à la politique du« londonistan »(consistant à offrir l'asile aux idéologues
islamistes radicaux dans l'espoir que ceux-ci exerceraient une influence favorable
sur les jeunes musulmans tentés par le recours à la violence) en bannissant, incarcérant ou extradant les idéologues les plus intégristes. Enfin, l'assassinat du réalisateur Theo Van Gogh aux Pays-Bas et la menace de mort pesant sur Ayaan Hirsi
Ali, ancienne députée néerlandaise d'origine somalienne, conduisent à remettre
en question la réussite du modèle multicult uraliste néerlandais.
t Quels sont les rapports de l' individualisme
et du communautarisme ?
Développé aux États-Unis et au Canada depuis la fi n des années soixante-dix, le
communautarisme conçoit la société comme un ensemble de « communautés »
ou de « minorités » juxt aposées, chacune vivant selon ses valeurs et ses normes
propres, au nom d'une conception de la tolérance fondée sur le relativisme cult urel radical, et chacune revendiquant des droits et privilèges propres. les réalisations les mieux connues de ce mouvement sont la discrimination positive (et
1'« affirmative action » américaine) et le « politiquement correct» (« Political
Correctness »).
11111
l'essentiel de Io culture générale
la montée de l'individualisme a fondé les systèmes politiques de la République et
de la démocratie à t ravers la suppression des appartenances existantes sous I' Ancien Régime (ordre, lien de féodalité avec un seigneur, région, métier, religion ... ).
Cette évolution a été renforcée au xx• siècle dans le monde occidental libéral à
t ravers l'affaiblissement du lien familial, conjugal, syndical, national ainsi que l'effondrement des grandes idéologies collectives et du sentiment du « collectif ».
-
À t ravers les valeurs de liberté et d'égalité, indissociables de l'individualisme, l'individu a pu « contracter» et fonder ainsi la société libérale moderne. Cette t héorie « contractualiste » n'a pas manqué d'être critiquée. l'individualisme libéral
a été dénoncé comme facteur de renforcement de l'isolement, de l'égoïsme, du
désintéressement politique.
Tocqueville, dans De la démocratie en Amérique (1848), a largement détaillé les
dangers liés à l'individualisme, en notant notamment que « l'individualisme est
un sentiment réfléchi et paisible qui dispose chaque citoyen à s'isoler de la masse
de ses semblables et à se retirer à l'écart avec sa famille et ses amis; de telle sorte
que, après s'être ainsi créé une petite société à son usage, il abandonne volontiers
la grande société à elle-même ». Selon Tocqueville, « l'égol'sme dessèche le germe
de toutes les vertus, l'individualisme ne tarit d'abord que la source des vertus publiques; mais, à la longue, il attaque et détruit toutes les autres et va enfin s'absorber dans l'égol'sme ». le multicult uralisme (reconnaissance de la variété des
cult ures constituant une société) et sa variante le communautarisme proposent
comme une des réponses à ces excès ou lacunes de l'individualisme universaliste
et libéral, tout en subissant eux-mêmes de sévères attaques.
Dans !:Hystérie identitaire (2003), le sociologue Éric Dupin rappelle que la fin des
grandes figures de l'autorité amène chacun à «s'inventer soi-même ». Chacun
est tenté de se chercher des identités nouvelles, défensives, comme le fondamentalisme religieux, le nationalisme culturel, les solidarités territoriales, les mœurs
(couple homosexuel par exemple) ... la volonté d'êt re différent semble avoir supplanté la volonté d'êt re comme les aut res. Au-delà, le souhait d'être unique, voire
connu (téléréalité ?) et reconnu fait désormais loi. À noter que le thème de la
« reconnaissance » est par exemple l'un des grands sujets des directions des ressources humaines en entreprise actuellement .
le communautarisme peut apparaît re comme une réaction à l'individualisme aussi bien qu'à l'universalisme. la crise de l'État-providence, de l'Église, de la famille,
la fi n du paternalisme d'entreprise a donné au communautarisme la possibilité de
proposer une réponse aux diffi cultés d'immigration-intégration, d'éducation, de
santé, de représentation des groupes minoritaires ...
Or, les démocraties libérales ont pour principe de base le cont rat social. Charles
Taylor, un des principaux t héoriciens du communautarisme, explique dans Multiculturalisme et Politique de reconnaissance (1992) que ce principe universel hérité
Thème 1 • l'individu
des lumières atteint ses limites, notamment dans la mesure où il méconnaîtrait
les valeurs et les aspirations des différents groupes constituant la nation qui ne se
reconnaissent pas nécessairement dans l'histoire et dans les choix de la majorité.
Dans la mesure où le principe d'égalité ne s'accompagne pas de la reconnaissance
officielle de droits culturels spécifiques, il mettrait ainsi en œuvre implicitement
une politique d'homogénéisation au nom de la volonté générale, provoquant
des tensions liées à la non-reconnaissance ou à la méconnaissance de ceux qui ne
partageraient pas les mêmes valeurs que la majorité, et deviendrait ainsi la cause
de nombreux conflits sociaux.
Taylor indique que si les sociétés reposaient précédemment sur la notion d'honneur liée à la hiérarchisation, les sociétés contemporaines doivent au contraire
se fonder sur la notion de dignité, à t ravers la reconnaissance de l'égalité des
différentes cultures et identités qui cohabitent dans une nation. Cette reconnaissance devrait s'exprimer à partir de l'identification de bases unitaires (les communautés), caractérisées par un sentiment d'appartenance de ses membres à un
projet commun. Il s'agirait ensuite d'instaurer une négociation(« conversation»)
entre les identités pour facilité une reconnaissance réciproque, reconnaissance
signifi ant dans le système de Taylor« acceptation de valeur égale». Ce dialogue
entre identités et cultures est absent au sein d'autres communautarismes plus
radicaux. le principe d'égalité doit au contraire, estime Taylor, reposer sur la reconnaissance de la diversité des cultures et des identités coexistant au sein d'une
nation. le communautarisme identitaire fait ainsi de la communauté ethnique,
religieuse, sociale, culturelle, politique, une valeur, au même titre que les valeurs
«universelles» de liberté et d'égalité.
t Le communautarisme est-il compatible avec les valeurs
républicaines ?
la conception communautariste de l'égalité est profondément différente de
celle qui prévaut dans la tradition française : tandis que les conceptions communautaristes tendent à l'instauration d'une égalité de fait, le modèle républicain
français impose une égalité juridique, abstraite, universaliste, qui ne fait aucune
distinction entre les citoyens et ne prévoit pas de t raiter de manière différente
des situations qui le sont . l'article 1" de la Constit ution française dispose ainsi
que la France «assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction
d'origine, de race ou de religion ».
On observe toutefois depuis quelques années en France un infl échissement de
l'universalisme républicain et, au contraire, la volonté de prendre davantage en
compte la diversité des situations des différents groupes ou communautés. Il en
va ainsi de l'obligation des ent reprises de plus de 20 salariés d'employer au moins
6 % de personnes handicapées ou bien des obligations de négocier au sein des
branches et des ent reprises sur les seniors ou l'égalité professionnelle hommes-
l'essentiel de Io culture générale
femmes. les politiques de valorisation de la diversité en elle-même, qui donnent
lieu à nombre d'initiatives dans les entreprises, participent de la même finalité.
On peut naturellement également citer l'inscription de la parité dans la Consti·
t ution qui impose aux formations politiques de présenter des listes électorales
comptant autant de femmes que d'hommes, ou bien, depuis 2001 , les conventions passées ent re certains lycées sit ués en zones d'éducation prioritaires (ZEP) et
l'Institut d'études politiques de Paris qui permettent à des lycéens issus de quartiers défavorisés de s'inscrire à Sciences-po sans avoir à passer le même concours
d'entrée que les autres candidats.
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les t héories identitaires et communautaristes alimentent des revendications di·
verses : le « droit à la différence » régionale, sexuelle ... le communautarisme
réint roduit des éléments de catégorisation qui peuvent se révéler dangereux car
exclusifs. Au cont raire, il faut souligner que la plupart des démocraties bannissent toute mention de religion, d'appartenance et hnique, linguistique ... sur les
papiers d'identité et les enquêtes démographiques.
Aux critiques sur le communautarisme s'ajoute les réflexions sur le bilan de l'expérience américaine d' « affirmative action » menée depuis les années 1960, en
particulier les « quotas » dans les ent reprises ou les universités. Ce bilan, mitigé,
a précisément amené la France à prendre une position t rès mesurée sur le sujet.
Comme le rappelle Pierre-André Taguieff, directeur de recherche au CNRS, dans
son livre La République enlisée. Pluralisme, Communautarisme et Citoyenneté,
en 2005 : « La France n'est ni l'Amérique, ni la Grande-Bretagne, ni la Belgique.
Le problème du multiculturalisme ne se pose pas de la même manière dans une
vieille nation centralisée ayant largement réussi, par l'assimilation et la la/'cité, à
intégrer ses diverses minorités, et dans un État fédéral relativement jeune coiffant
une société de ségrégation post-esclavagiste, ayant échoué à réaliser l'intégration
de ses communautés sur le modèle idéal du melting-pot La grande spécificité négative des États-Unis est qu'ils se sont formés sur la double base du génocide et
de l'ethnocide des populations indigènes de l'Amérique du Nord, et développés
par recours à la traite des Noirs d'Afrique, puis à travers un ordre social-racial lié
au système esclavagiste. D'où l'émergence, après la campagne réussie en faveur
des droits civiques, des politiques récentes de reconnaissance, de réparations et
de repentance. »
t Comment concilier individualisme et existence d' un intérêt
général ?
Cette conciliation se heurte à l'apparente antinomie ent re une société individualiste dans laquelle chaque individu poursuit son intérêt particulier et le nécessaire
équilibre qui se réalise au sein de l'intérêt général. le libéralisme considère cependant qu'en recherchant l'accomplissement de ses intérêts, l'individu œuvre
Thème 1 • l'individu
généralement dans l'intérêt des autres. Une opposition systémat ique à l'intérêt
d'autrui est donc incompatible avec la survie de l'individu.
De plus, l'affi rmat ion de l'individu peut aussi être considérée comme un moyen
de valoriser les t alents individuels pour construire une organisation collective efficace. Ce principe est soumis à l'association de l'individu avec ses semblables. Cette
dernière garde malgré tout un caractère moment ané et conditionnel puisqu'elle
repose sur le consentement contractuel réciproque. l'interventionnisme de la collectivité, par exemple état ique avec le développement de l'État providence, cherche à compenser les insuffisances du système.
t L' individu a t-il une valeur propre ?
Poser la question du fondement de la valeur de l'individu revient à rechercher
si l'individu possède une valeur propre, nat urelle et t ranscendant e, qui va s'imposer d'elle-même à aut rui. la question est d'autant plus délicate que la valeur
de l'individu peut dépendre de la qualification choisie : la valeur économique de
l'Homme au sens marxiste ne sera pas la même que sa valeur au sens juridique,
voire que sa valeur au sens religieux (en particulier depuis la Réforme). Il est également possible d'envisager la valeur de l'individu plus largement en termes de
capacité d'infl uence, de potent iel, et de liberté d'agir.
Cependant, on constate aujourd'hui une crise des valeurs démocratiques, des valeurs t radit ionnelles de l'Homme, au profit d'une montée en puissance effective
de l'individu en tant que valeur, qui vient en substit ution part ielle ou totale des
valeurs précédent es. Néanmoins, ramener les aut res valeurs à l'aune de celle de
l'individu pourrait mener à un subjectivisme et un relat ivisme qui détruiraient
l'appréciat ion même de valeur, dans la mesure où aucune d'ent re elles ne s'imposerait plus de manière universelle.
Dans L'ère du vide (1983), Gilles lipovetsky dénonçait ainsi l'entrée dans une ère
postmoderne dans laquelle l'individualisme assurerait désormais le refus de toute
t ranscendance et le narcissisme des individus. Marcel Gauchet, dans Le désenchantement du monde (1985), a relayé des thèses proches.
Historiquement, les idées individualistes sont apparues dans la pensée européenne au cours du xvu• siècle. Cette dernière semble avoir favorisé l'émergence de
formes politiques démocrat iques qui défiaient les anciennes hiérarchies et d'une
économie qui accordait un rôle plus important au marché et à l'esprit d'ent reprise. Par ailleurs, l'individualisme s'est progressivement affermi à travers ses manifest at ions dans la vie quot idienne, notamment la société de consommation, le
monde du t ravail, la vie polit ique, le mode de vie, la sexualité ...
Des« dictons» libertaires de Mai 68 à la redécouverte du libéralisme économique
dans les années 1980 (avec l'arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher en GrandeBretagne et Ronald Reagan aux Ét ats-Unis) en passant par l'effondrement des
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l'essentiel de Io culture générale
sociétés socialistes au début des années 1990, une volonté forte de rompre avec
les diverses formes de cont raintes et d'idéologies politiques est progressivement
apparue.
les valeurs t raditionnelles sont donc ent rées en crise. le politique tout d'abord,
dans la mesure où la communauté s'est affaiblie au profit de l'individu, qui se
désintéresse de la chose publique. Tocqueville notait que l'individualisme est un
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«sentiment réfléchi et paisible qui dispose chaque citoyen à s'isoler de la masse
de ses semblables et à se retirer à l'écart avec sa famille et ses amis; de telle sorte
que, après s'être ainsi créé une petite société à son usage, il abandonne volontiers
la grande société à elle-même ».
l'individualisme moderne a ainsi été incriminé comme contribuant à l'émergence
d'une fi gure monadique, isolée de l'être humain et valorisant les particularismes
avec pour conséquences une apat hie politique, un corps social désaffecté et un
« désert idéologique ». La crise de représentativité du syndicalisme et du militantisme en constitue l'une des manifestations. les liens associatifs relèvent désormais en effet largement d'une logique utilitariste, de service.
De même, on assiste à une destruction de la culture au sens authentique du terme. On passe, selon certains, « de la cult ure à la barbarie» : l'individu et son bon
plaisir apparaissent comme l'ultime instance où s'enracine la culture d'une société
démocratique. Si les uns y perçoivent une dynamique d'émancipation solidaire
des valeurs de la modernité, beaucoup affi rment qu'il s'agit là d'une destruction de la culture en tant que valeur humaine, car le choix est érigé en valeur,
indépendamment de sa pertinence. Alain finkielkraut affirme notamment que la
prétendue émancipation de l'individu serait en fait une dépersonnalisation, une
déshumanisation de l'homme, qui, en réinscrivant l'humain dans le biologique,
apparaît rait nier en lui la cult ure au profit de la nature. le danger résiderait dans
le fait que « tout se vaut » ; l'individu serait alors déstabilisé, aimerait tout et son
cont raire et deviendrait au fond indifférent . D'où le fait que la culture contemporaine glisse dans le « relativisme doux ».
l'individu en tant que valeur de l'âge démocratique s'est attaché à des principes référents tels que : égalité cont re hiérarchie, liberté contre tradition. Ainsi,
la valeur de l'individu repose sur une culture de l'émancipation, c'est-à-dire de
l'auto-institution par les individus eux-mêmes de leurs règles et de leurs normes.
Un processus d'individualisation et de personnalisation des comportements, des
cult ures et des choix s'est instauré.
Gilles lipovetsky (L'ère du vide) indique que la valeur fondamentale de l'Homme
s'apprécie désormais à l'aune de l'accomplissement personnel de l'individu. Par
exemple, l'individu apparaît au détriment des sexes : aux classes relativement
homogènes du sexe se substit uent des individus qui revendiquent un choix de
sexualité et de perception de cette dernière (par exemple le féminisme). le choix
Thème 1 • l'individu
est vécu comme valeur propre, fait l'objet d'une apologie sans motivation. Ces
constats confèrent une force supplémentaire à la présomption générale de subjectivisme évoquée plus haut en ce qui concerne les valeurs: les choses n'ont pas
de signification ni de valeur en elles-mêmes mais parce que les individus leur en
attribuent une.
t Comment réinscrire de nouveau l' individu dans le champ
des valeurs ?
Alain Renaut propose d'instit uer« le sujet comme visée de l'individu» (L'individu.
Remarques sur la philosophie du sujet). Sauvegarder la valeur de l'individu sans compromettre ses valeurs revient à déterminer comment concilier la sacralisation
de l'individu avec le besoin de normes collectives.
À ce tit re, l'autonomie doit être préférée à l'indépendance. Il faut en effet
différencier la valeur individualiste de l'indépendance et la valeur humaniste
de l'autonomie : Alain Renaut explique que l'indépendance en tant que valeur
ne rend pas, en raison des effets pervers dont elle est virtuellement porteuse,
son sens et sa richesse à «l'exigence humaniste» d'autonomie que traduit à sa
manière l'idée de sujet (l'humanisme étant la t héorie ou doctrine qui prend pour
fi n la personne humaine, son épanouissement et qui met l'homme au-dessus des
autres valeurs).
À l'indépendance correspond la « liberté sans règle, sans entrave » ; à l'autonomie correspond la soumission à des règles librement acceptées : ce que Kant
appelle I' « autonomie de la volonté »,soit la dépendance fondatrice de la liberté
authentique qui consiste à faire de l'homme lui-même le fondement de la source
de ses lois. Selon Alain Renaut, la démarche néo-tocquevilienne confond indépendance et autonomie. Dans la mesure où l'idée de sujet correspond, non à la
valeur (individualiste) de l'indépendance, mais à celle (humaniste) de l'autonomie, elle inclut par définition le rapport à l'aut re. En conséquence, l'individu doit
s'ouvrir à l'autre. l'avènement d'un « homo democraticus »pacifié, acceptant le
jeu démocratique et renonçant par là même aux insurrections violentes, va faciliter la montée de valeurs individualistes comme la cordialité et l'échange avec les
autres. Ce sont ces nouvelles valeurs à l'aune desquelles sera appréciée celle de
l'individu.
l'autonomie suppose ainsi que le sujet cherche à se constituer comme source de
soi-même en s'arrachant à son égoïsme pour s'ouvrir à l'altérité du genre humain. l'idée de sujet, par rapport à celle d'individu, implique une t ranscendance,
un dépassement de l'individualité. En ce sens, la visée de l'autonomie suppose
l'ouverture à l'autre.
l'essentiel de Io culture générale
t La consécration de l' individu comme valeur peut-elle être
un idéal moral ?
li est possible de partir du principe qu'une culture d'authenticité garantit l'indivi-
..
dualisme cont re les excès du subjectivisme. Un idéal moral puissant existe encore
au sein de la cult ure individualiste actuelle à travers la force morale de l'idéal
d'authenticité qui continue de correspondre à une vie intérieure riche. l'individu
va ainsi trouver en lui-même la source des valeurs au lieu de les puiser dans des
référents externes, par exemple religieux. Par conséquent, un supplément de légitimité peut êt re attribué à la conscience morale individuelle.
li ne s'agit donc pas de faire l'apologie de l'épanouissement de soi reposant sur le
caprice ou l'arbit raire en tant que valeur, car on ne peut défendre l'authenticité
en ignorant ce que Charles Taylor appelle les« horizons de signification» (Le Malaise de la modernité, Grandeur et misère de la modernité), grâce auxquels certaines choses valent plus que d'autres avant même de les choisir. Cette réfl exion
prolonge et accent ue l'évolution inaugurée par St Augustin qui notait que « le
chemin vers Dieu passe par notre propre conscience réflexive » (La cité de Dieu).
Par ailleurs, à l'instar de toute forme de liberté, l'authenticité implique une forme
de « responsabilisation ». En effet, l'individualisme oblige indirectement chacun
à justifi er ses arguments car il empêche de se référer à des certitudes préétablies
qui ne soient pas questionnées. Chacun devient pleinement responsable de ses
actes, notamment politiques, dans le cadre démocratique. Ainsi, lorsque l'on veut
légitimer ses opinions, il devient nécessaire de s'inscrire dans une espace de discussion argumentative où le seul principe de légitimité réside dans la capacité de
l'individu à convaincre autrui. les processus de débats internes au sein des partis,
l'explosion des forums sur Internet pendant la campagne présidentielle 2007 sont
autant de manifestations de cette évolution.
t Quelles sont les nouvelles formes de solidarité ?
lorsque Tocqueville s'interroge sur la possibilité de découvrir au sein d'un univers
démocratique, donc individualiste, des freins à la décomposition du tissu social et
au renforcement consécutif de l'État, il plaide en faveur de la mise en place de
cont re-pouvoirs locaux et se sit ue ainsi dans cette problématique de la responsabilité. !.'.individu citoyen va réaliser qu'il n'est pas aussi indépendant qu'il le croit
ou le souhaite et prendra conscience du rapport existant entre affaires publiques
et privées. la montée en puissance actuelle, notamment médiatique, des associations, groupes d'influence, coordinations, de la démocratie locale, du contact, de
la proximité, n'est pas étrangère à ces réflexions : nucléaire, logement, défense
de l'environnement ...
li faut d'ailleurs noter un fort développement du mouvement associatif et plus
globalement de nouvelles formes de solidarité : par exemple, la fin du militant
Thème 1 • l'individu
évoquée par Jacques Ion (La fin du militant ?, 1997) doit être relativisée par la
montée en puissance du « cybermilitant », utilisant au travers des blogs une nouvelle manière d'exploiter son civisme. De même, de nouveaux espaces publics démocratiques se développent : collectifs de salariés formés ad hoc pour la défense
d'une cause, mouvements d'étudiants de plus en plus actifs lors des manifestations, associations caritatives...
t Comment les droits de l' Homme sont-ils protégés au niveau
international ?
le droit international public, principalement élaboré dans le cadre onusien, protège avant tout les droits de l'Homme dits de la première génération : le droit
à la vie, à la sûreté, les droits civiques ... On peut citer le Pacte des Nations unies
relatif aux droits civils et politiques (16 décembre 1966, ratifié et publié en 1981 )
et les Pactes contre l'esclavage (15 septembre 1926), contre la torture (10 décembre 1984}, contre la t raite des êt res humains (2 décembre 1949) ... Un des textes
fondamentaux est la Déclaration universelle des droits de l'homme, adoptée par
l'Assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1948. À l'époque, 8 États
sur 56 (les pays du bloc soviétique, Arabie Saoudite et Afrique du Sud) s'étaient
abstenus de voter la Charte, l'accusant de refl éter l'expression de la culture occidentale (capitaliste) fondée sur la primauté de l'individu et non pas celle des
cultures asiatiques ou africaines.
Concernant les droits de la deuxième et de la troisième générations, érigés postérieurement à la Déclaration universelle de 1948, de nombreuses controverses
ont réduit leur portée. les droits économiques et sociaux, dits de la deuxième
génération ont été essentiellement affirmés dans le cadre de !'Organisation internationale du travail qui vise à garantir le respect des normes minimales de t ravail
dans le monde mais ces droits sociaux sont loin d'être reconnus universellement
(l'Inde n'a ainsi pas ratifié la convention 182 sur le t ravail des enfants alors qu'elle
compte sur son territoire 60 millions d'enfants au t ravail, dont 10 millions dans
des conditions proches de l'esclavage).
les droits dits de la troisième génération concernent les droits à la paix, le droit au
développement (CNUCED), le droit au respect du pat rimoine (UNESCO), le droit à
l'environnement (conventions internationales dont en particulier le Protocole de
Kyoto). Toutefois, ces droits ne sont pas encore garantis. Ainsi, la convention de
l'ONU de 1982, qui considère les fonds marins situés dans les eaux internationales
comme des biens communs de l'humanité, n'a pas été ratifiée par les grands États
comme les États-Unis, seuls à même d'exploiter ce t ype de minerais.
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l'essentiel de Io culture générale
Références bibliographiques
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RENA UT (A.) (en collab. avec S. Mesure), La guerre des dieux. Essai sur la
querelle des valeurs dans la philosophie contemporaine, 1996.
RENA UT (A.), Le Malaise de la modernité, grandeur et misère de la modernité, 2002.
DuMONT
Thème
2
LA RELIGION
« J'appellerai religion agreste, ou religion de la nature, toute représentation
mythologique où, par opposition aux Contes, la nature paraît comme invincible et impénétrable. Les saisons, le réveil périodique de la puissance végétale,
les changements et retours des astres, qui annoncent ou accompagnent tous
les autres changements, les mœurs et migrations des animaux, le tonnerre, la
foudre, l'orage, les comètes, les éclipses, les cyclones, les volcans, enfin toutes les exceptions terrifiantes ; les sources aussi, les images reflétées, l'écho,
autre reflet, /'obscurité et le silence des bois, tout cela ensemble être l'objet
d'un culte et l'occasion de fêtes ; et ce paganisme, ou religion des paysans,
subsiste encore sous mille formes. (... ) »(Alain, Préliminaires à la mythologie).
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1.
Définitions
la religion est une dimension de la vie spirituelle de l'individu, qui concerne
le rapport de l'homme au divin ou à une réalité transcendante, fondé sur une
croyance. la foi se manifeste au travers d'un système communautaire composé de
croyances et de pratiques rit uelles et morales dans lequel ce rapport est structuré.
Elle consiste à considérer qu'une chose est vraie indépendamment des preuves
évent uelles de son existence.
Plusieurs critères sont représentat ifs de l'existence d'une religion, que l'école française de sociologie synt hétisait de la manière suivante : communauté partageant
un lien de piété des rites, des mythes (soit des récits mettant en scène l'origine
de l'homme et du monde), avec séparation du sacré et du profane. le terme de
religion a cependant acquis un sens progressivement plus large, incluant toute
croyance spirit uelle, tout sentiment de piété, indépendamment de l'existence
d'un système organisé autour d'un dogme et d'instit utions représentatives.
l'ét ymologie du mot «religion »a donné lieu à débats. On retiendra, parmi les
hypothèses les plus répandues, que « Religio » viendrait du verbe « religere »
(respecter, se recueillir) ou bien des verbes « ligare » et « religare » (lier/ relier).
la religion représenterait ainsi un lien à la fois avec une entité t ranscendante et le
lien unissant les hommes. Elle se distingue de la magie car cette dernière est une
pratique occulte destinée à intervenir sur le cours des événements ou le comportement d'autrui. la religion manifeste également un désir de t ranscendance, un
besoin de donner un supplément de sens aux événements et à sa vie, un choix de
se référer à des valeurs absolues.
l'essentiel de Io culture générale
-
le lien implicitement contenu dans la notion de religion se ret rouve notamment
à travers le rôle attribué à la religion dans la construction des identités nationales. En effet, alors même que la religion touche à l'intimité des convictions, elle
a joué et continue de jouer un rôle fondamental en tant que pouvoir politique,
prescripteur moral, puissance d'organisation sociale mais aussi phénomène cult urel. Maurice Merleau-Ponty, dans son ouvrage Sens et Non-sens (1948), notait
que : « La religion fait partie de la culture, non comme un dogme ni comme une
croyance, mais comme un cri ». Elle pourvoit une énergie créatrice, transformat rice, alt ruiste mais qui peut aussi prendre une coloration destructrice, fanatique,
réactionnaire.
la laïcité désigne quant à elle le principe de séparation des instit utions publiques,
étatiques, et des instit utions religieuses. À l'origine, le mot « laïc » était utilisé
pour différencier les lévites, voués au service du temple, du reste du peuple Juif.
le terme « laïc » se retrouve également au sein de la religion catholique pour
désigner toute personne, croyante et pratiquante ou non qui n'a aucune responsabilité religieuse (clerc, prêtre ... ).
En out re, la laïcité constitue une valeur républicaine, héritée de 1789 et de la
Ill' République, inscrite dans la Constitution. Elle établit la séparation des Églises
et de l'État, ainsi que l'égalité de tous devant la loi, qui sera garantie quelle que
soit sa religion. la laïcité implique également la liberté de conscience et de culte,
la libre organisation des Églises, leur égalité juridique par l'absence de reconnaissance officielle de religions, le droit à un lieu de culte, la neutralité des institutions à l'égard des confessions religieuses, en particulier de l'école, ainsi que la
liberté d'enseignement .
-
2.
Problématiques
t Que recherche-t-on à travers la religion ?
la foi, et plus globalement les mouvements religieux, permettrait à l'homme d'atteindre une entité transcendante, de dépasser ses propres limites charnelles pour
atteindre une entité divine dont les capacités sont infi nies. Pascal notait, dans
ses Pensées, que Dieu est infi ni («Dieu est une sphère infinie, dont le centre est
partout et la circonférence nulle part») alors que l'homme souffre de ses limites
(«Qu'est-ce que l'homme dans la nature ? Un néant à l'égard de l'infini, un tout
à l'égard du néant, un milieu entre rien et tout»).
Cette recherche d'une entité divine passe par la recherche d'une preuve de son
existence. De nombreux philosophes ont avancé des théories sur ce sujet. Par
exemple, Pascal démont rait que l'incapacité de l'homme à prouver l'existence
de Dieu est un argument plaidant paradoxalement en faveur de son existence :
Thème 2 • Lo re ligion
l'homme aurait intérêt à parier sur l'existence de Dieu car ce choix l'amènerait à
«régler» sa vie en conséquence, c'est-à-dire de manière positive. Spinoza a quant
à lui basé son système philosophique sur l'existence d'un dieu. Enfi n, Descartes
cherchait à prouver l'existence de Dieu à travers le fait que l'individu possède en
lui « l'idée de Dieu », qui, selon lui, doit nécessairement avoir une cause (car les
qualités de l'effet doivent être présentes en acte dans la cause).
t Quelle est l' influence morale de la religion ?
la quête absolue de la divinité par l'homme s'enrichit d'un contexte moral fort:
la religion est ainsi un moyen pour l'individu de développer ses références mo- raies, à partir des valeurs universelles véhiculées par cette dernière. En effet, les ·
systèmes de valeurs varient relativement peu d'une religion à l'autre (respect du
t ravail et de l'effort, interdiction du vol, promotion de la charité ... ). le respect
des rites, parfois t rès contraignants, comporte en outre une part de discipline et
d'abnégation.
la transcendance présente dans chacune des religions infl uence la vie spirit uelle
de l'individu mais également au-delà ses choix de vie, en donnant un éclairage
différent aux problématiques sociétales auxquelles il est confronté en tant qu'acteur social, citoyen, travailleur, membre de famille ...
Ceci s'applique en particulier aux t rois principales religions monot héistes en termes d'infl uence que sont le christianisme, le judaïsme et l'islam. Ces religions vont
instaurer des règles de comportement cherchant à distinguer le Bien du Mal, à
t ravers une approche directive, pédagogique (utilisation de symboles, d'images,
de paraboles ... ), afi n de permettre à leurs fi dèles d'interagir le mieux possible
avec les aut res membres de leur collectivité. Ces préceptes sont d'autant plus forts
qu'ils ont été formalisés : on parle d'ailleurs de « religions du livre» puisqu'un
livre (la Bible, la Torah, le Coran) rassemble ces règles.
t Quels sont les rapports de la religion et de la politique ?
le pouvoir d'influence de la religion sur les comportements est tellement puissant qu'il a influencé largement l'ordre politico-social durant des siècles. Ainsi, le
pouvoir politique s'est associé t rès tôt au pouvoir religieux. Par exemple, l'onction
des rois de France à Reims, selon les rites du sacre de Clovis, faisait d'eux des rois
de droit divin, représentants de Dieu sur Terre et, à ce titre, disposant de pouvoirs
«surhumains». Qualifi és de rois thaumat urges, ils étaient censés guérir les malades par le toucher, en prononçant la phrase « le Roi te touche, Dieu te guérit »,
puis « le Roi te touche, Dieu te guérisse ». la croyance voulait que les rois de
Hongrie fassent disparaît re la jaunisse et les rois de Bourgogne, la peste.
En retour, le pouvoir politique appuyait le pouvoir religieux en le protégeant .
Ainsi, le catholicisme est devenu religion d'État en France. Une religion qui est
reconnue « religion d'État » bénéfi cie d'une capacité d'infl uence d'autant plus
l'essentiel de Io culture générale
forte qu'elle touche l'ensemble des aspects de la vie sociale, politique, culturelle,
publique ou privée. le rythme de vie est imposé par la prière et les célébrations.
le Sacré s'est également parfois déplacé vers des idéologies politiques (communisme, nazisme) qui reprenaient les cérémonies de masse, les rites, les signes d'un
véritable culte voués à leurs dirigeants.
-
Cette association d'intérêts bien compris ent re pouvoirs politique et religieux
n'obère pas une rivalité constante et la nécessité de renouveler sans cesse les
conditions d'un équilibre précaire. Un exemple éclairant réside dans le schisme
anglican en Grande-Bretagne. Il est d'ailleurs significatif de constater que la
conversion de l'ancien Premier ministre britannique Tony Blair a ravivé les oppositions, de nature partiellement politiques, entre anglicans et cat holiques au
Royaume-Uni.
la nature du phénomène religieux est ainsi polymorphe : l'instit ution religieuse
comporte une dimension politique autant que spirit uelle, alors que l'engagement
religieux est quant à lui fondamentalement spirituel, privé et intime, même s'il
peut s'exprimer publiquement.
t Quelles évolutions le religieux a-t-il subi ?
Il est difficile de nier une remise en cause profonde d'une conception traditionnelle de la religion, affaiblie, à l'instar d'autres instit utions t raditionnelles, du fait
de la montée en puissance de l'individualisme. la morale s'est vue sécularisée, le
progrès scientifi que et l'instauration, au moins temporaire, d'une « science valeur», ont réduit l'infl uence de la religion. le cartésianisme, le rationalisme puis
l'influence libérale des lumières ont progressivement réduit le magistère intellectuel de l'Église. Bayle, Fontenelle, Voltaire, et de manière générale l'ensemble
de la philosophie du xv111• siècle, dénoncent aussi les limites de la religion dans sa
capacité à maît riser les violences et justifi er ses prises de positions.
Enfin, le scientisme du xix• siècle, soit la foi absolue dans les capacités de la science
à tout expliquer et donc« à organiser scientifi quement l'humanité» (Ernest Renan), a impacté également la religion. le Christianisme, religion dominante en
Occident, a été mis en cause par nombre de philosophes à cette époque. Dans
Ainsi parlait Zarathoustra, Nietzsche annonce la« mort de Dieu». Karl Marx dans
sa Critique de la philosophie du droit de Hegel considère que la religion est le
« bonheur illusoire du peuple », I' « opium du peuple», inventée pour le consoler
de sa misère sociale par l'espérance d'un au-delà heureux et pour réduire les risques de révolte. Enfi n, Freud considère la religion du point de vue des bénéfices
inconscients qu'elle procure aux hommes et écrit dans L'avenir d'une illusion que
la religion est «la plus grande névrose de l'humanité ».
Au contraire, la laïcité a connu une véritable montée en puissance. Elle imprègne
notamment les débats sur l'enseignement, à travers l'opposition enseignement
Thème 2 • Lo re ligion
public/privé et les manifestations des convictions religieuses à l'école (par exemple le port du voile islamique). le principe français de la laïcité, souvent présenté
comme une« exception française», s'est ainsi consolidé de manière très régulière
depuis la Révolution française. En 1795, la Constit ution de I' An Ill a fixé la première séparation des Églises et de l'État . En 1810, le Code pénal disposait que le
mariage civil était le seul mariage légal et qu'il devait précéder tout mariage religieux. Ent re 1882 et 1887, les lois Ferry et Goblet laïcisèrent le personnel d'enseignement et les programmes, tout en planifiant une suppression progressive des
crucifix dans les salles de classe. En 1901 fut promulguée la loi sur les associations,
accompagnée d'une interdiction d'enseigner pour les congrégations. En 1905,
enfin, la loi Combes instaura la séparation des Églises et de l'État. la laïcité fut
ensuite inscrite dans le préambule des constitutions de 1946 et 1958.
les progrès techniques des révolutions industrielles et le développement de la
société de consommation, ont également rongé l'infl uence de la religion. Marcel
Gauchet, dans Le désenchantement du monde (1985}, notait d'ailleurs que les sociétés laïques et sécularisées sont majoritairement sorties de « l'ordre religieux »,
en d'autres termes d'une organisation sociale basée sur l'infl uence des dieux ou
sur la magie. Néanmoins, la recherche du Sacré n'est pas morte pour autant, bien
au contraire. Elle semble renaître sous des formes différentes. la revue Esprit
parlait récemment « d'effervescences religieuses dans le monde ». À ce titre, il
faut noter l'explosion du mouvement évangélique aux États-Unis, en Amérique
latine, mais également en Afrique. les syncrétismes sont également puissants,
signe d'une mondialisation également infl uente sur les religions. le mouvement
pentecôtiste s'appuie ainsi sur ses racines magiques africaines au travers de ses
références à la magie (la piété et la prière entraînant, selon ces croyances, la
guérison).
Par ailleurs, une assimilation de la philosophie, de la religion, du bien-êt re, de
l'harmonie avec son environnement est souvent constatée, avec une tendance de
plus en plus forte au syncrétisme. les produits « tout en un » sont privilégiés. On
constate un retour en puissance des pratiques holistes et des philosophies asiatiques. l'individu part à la recherche d'une nouvelle spiritualité, compatible avec
un mode de vie basé sur le matérialisme, la profusion d'informations, la nécessité
d'être efficace, la porosité des frontières entre espaces public et privé, vie privée
et professionnelle.
la sacralisation d'icônes à t ravers les médias, personnalités de la télévision, du
cinéma ou du sport, a également dilué une partie du religieux. Il semblerait que
la religion unique, dans laquelle l'engagement spirituel est durable et total, ne
suffi se plus. Une sacralité et une mystique « à la carte » seraient préférées, avec
des« recettes »à appliquer pour chaque moment de la vie.
la pratique religieuse pénètre également l'ent reprise, l'école, l'administration et
l'ensemble des institutions publiques. la récente fortune du concept de « diver-
l!ml
l'essentiel de Io culture générale
-
sité » pousse notamment les ent reprises à prendre en compte les différences en
les valorisant mieux. Ainsi, les prescriptions alimentaires de certaines religions
sont désormais mieux respectées, les absences liées à des fêtes religieuses sont
plus facilement tolérées. En outre, des débats ressurgissent sur le fi nancement
des institutions religieuses. Si la loi de 1905 paraissait avoir réglé les diffi cultés
en confi ant le fi nancement et la gestion du culte aux fidèles, il semble que les
mentalités ne soient plus opposées à une aide publique assurée par l'État . la
création d'un organisme représentant l'Islam en France (2' religion avec environ 5 millions de pratiquants) auprès des pouvoirs publics, le Conseil français du
culte musulman, constit ue le signe d'un renforcement du pluralisme religieux.
Plusieurs autres tendances sont perceptibles : repli des religions t raditionnelles
sur des formes fondamentalistes ou intégristes, prise du pouvoir par des religions
d'État (républiques islamiques), développement de pratiques« parallèles » (divination, horoscope ... ).
la modernité a engendré des comportements cont radictoires. !!extrémisme semble notamment rejeter les valeurs de la modernité: l'intégrisme musulman n'est
pas le seul symptôme de ce processus, puisqu'aux Ét ats-Unis la théorie créationniste enseigne aux enfants que l'origine des hommes venait d'Adam et Ève, et
que la t héorie de l'évolution de Darwin n'était qu'une hypot hése parmi d'autres.
On constate également une montée en puissance de groupes armés terroristes
qui appuient leur action sur une référence à l'Islam. Gilles Kepel dans la Revanche
de Dieu (1991 ), avait identifi é l'émergence d'un triple mouvement de« réislamisation, de rejudaïsation et de rechristianisation », provenant à la fois des individus et des États ouvertement t héocratiques.
la religion est également invoquée afin de remplir un vide identitaire dans les
banlieues, incarner des problématiques sociales (en Irlande du Nord par exemple
avec l'opposition des catholiques et des protestants), fournir une légitimation à
des irrédentismes locaux (par exemple au Moyen Orient ou dans l'ex-Union Soviétique). Elle continue donc à êt re instrumentalisée et cristallise souvent l'ensemble
des frustrations mais également des espoirs.
t Faut-il craindre les sectes ?
les mouvements sectaires se sont largement développés durant les vingt dernières
années. l'inflation des groupes religieux et la mobilité des conversions ont facilité
cet essor. l'enjeu humaniste fondamental consiste à lutter cont re les dérives sectaires tout en protégeant les libertés de conscience et de culte, ce qui est d'autant
plus délicat que leurs manifestations deviennent t rès variées. légalement, les sectes sont souvent des associations issues de la loi 1901 , et à ce tit re l'État n'est pas
juridiquement en mesure de faire de discrimination, sur le plan des croyances et
des libertés, ent re une religion et un «groupement à caractère religieux ».
Thème 2 • Lo re ligion
la secte a été définie comme « toute association de structure totalitaire, déclarant ou non des objectifs religieux, dont le comportement porte atteinte aux
droits de l'homme et à l'équilibre social» par la mission interministérielle chargée
de la lutte contre les sectes. Des critères de « dangerosité » ont également été
établis : déstabilisation mentale, exigences financières exorbitantes, rupt ure avec
l'environnement familial, atteinte à l'intégrité physique, embrigadement des enfants, discours antisocial, t roubles à l'ordre public, démêlés judiciaires, détournement des circuits économiques t raditionnels, tentatives d'infilt ration des pouvoirs
publics.
le sujet nécessite cependant une coordination internationale, voire européenne, ce qui paraît diffi cile : par exemple, l'Italie vient de reconnaît re, au cont raire de ~
la France, l'église de« scientologie» en tant que religion.
t Quelles sont les perspectives du religieux au xxr" siècle ?
les débats sur la référence à l'identité religieuse dans le projet de Constitution
européenne, sur l'adhésion de la Turquie musulmane à l'Union européenne, sur
la création d'un Conseil français du culte musulman, sur les projets de réforme de
la loi de 1905, sur l'Église anglicane aux Royaume-Uni, autant de sujets qui mont rent que le rapport au Sacré reste structurant .
Concernant la Commission pour la rédaction d'une Constit ution européenne,
présidée par Valéry Giscard d'Estaing, le pape Jean-Paul Il était intervenu expressément pour demander que la future Constitution fasse référence aux valeurs
chrétiennes en Europe. le projet de Constit ution ne mentionnait ni Dieu ni la religion chrétienne, mais seulement les« héritages culturels, religieux et humanistes
de l'Europe, dont les valeurs sont toujours présentes dans son patrimoine » et à
l'origine du « rôle central de la personne humaine et de ses droits inviolables et
inaliénables, ainsi que du respect du droit ». De fait, seule une minorité de pays
font référence à Dieu dans leur texte constit utionnel (Pologne, Royaume-Uni, Allemagne, Irlande et Grèce). Malte a pour religion d'État le catholicisme. Certains
États font référence à un héritage religieux spécifique ou à l'existence d'une religion dominante (Pologne, République tchèque, Slovaquie).
la phrase de Malraux « le xxf siècle sera religieux ou ne sera pas », si largement
déclamée au point d'en perdre toute portée, doit êt re relue à l'aune des événements récents. la référence au religieux imprègne de très nombreux conflits
mais également les débats politiques. les actions terroristes, le développement
de l'influence des sectes et de leur capacité de nuisance, les conflits au MoyenOrient, mais également certaines religions, comme l'islam, paraissent en pleine
phase d'expansion, notamment grâce à une démographie active des populations
concernées et à une réislamisation progressive de sociétés t raditionnellement
musulmanes.
l'essentiel de Io culture générale
...
le judaïsme semble également connaît re un regain d'attractivité, même si ce
regain est probablement lié en grande partie à l'expression d'un soutien à la
communauté juive, qui se sent menacée par divers éléments : développement
des communautarismes, retour de l'antisémitisme, remise en cause du soutien inconditionnel à Israël. .. À noter également que si les drames tels que profanations
ou saccages de lieux de culte sont largement relayées dans les médias et attirent
l'empat hie de l'opinion publique, les musulmans, victimes de telles exactions, ont
tendance de plus en plus à recourir aux mêmes moyens d'influence pour attirer
l'attention du public et prendre les autorités à témoin.
Parallèlement, une déchristianisation des sociétés occidentales se développe,
illustrée par une crise du nombre de vocations, une chute de la pratique régulière
du culte, une remise en cause des dogmes. l'Église catholique compte cependant
plus d'un milliard de baptisés ; de même les sacrements majeurs tels que le mariage, les obsèques, le baptême paraissent moins touchés et le succès de certaines
manifestations telles que les Journées Mondiales de la Jeunesse prouvent la vigueur du cat holicisme, en particulier pour les jeunes générations.
Pourtant, l'image des religions se dégrade, du fait en premier lieu des dérives
extrémistes. Pour 59 % des français, selon un sondage récent du Monde des Religions, la place des croyances religieuses est devenue t rop importante dans le
monde. Cependant, 78 % estiment que les religions sont un besoin essentiel de
l'homme. Seuls 20 % pensent que les religions sont archaïques et tendent à disparaît re avec la modernité. les religions conservent en effet un rôle social et politique essentiel. Par exemple, les Églises ou les associations cultuelles assument un
rôle d'intégration sociale, à travers l'aide aux plus démunis ou l'encadrement des
jeunes. En outre, le dialogue interreligieux peut apparaît re comme un facteur de
pacifi cation et d'intégration de populations d'origines diverses.
Olivier Roy, dans son ouvrage La Sainte Ignorance, le temps de la religion
sans cult ure, explique que « La mondialisation a créé un marché du religieux.
Aujourd'hui, les produits religieux circulent et les religions ne s'arrêtent plus aux
frontières. Résultat : alors que traditionnellement les religions se sont connectées
aux cultures, voire ont créé du culturel, elles se détachent de leurs territoires et
de leur culture d'origine. (.. .) Mais, pour qu'un produit soit accessible partout et
au plus grand nombre, il faut qu'il soit standardisé. S'il est trop identifié à une
culture donnée, il ne se vendra pas en dehors de cette culture. D'où le phénomène de déculturation. La connexion entre marqueur culturel et marqueur religieux
devient flottante, instable. (.. .) Les religions très territorialisées n'arrivent pas à
se globaliser, à s'exporter; c'est le cas de l'orthodoxie russe, par ex emple, qui
est connectée à une culture, à une nation. Dans une certaine mesure, c'est aussi
le cas de l'Église catholique, qui a eu le souci de se territorialiser (culte de saints
locaux) et de s'inscrire au cœur des cultures concrètes. Les chrétiens d'Orient sont
en crise car leurs Églises reposent sur un communautarisme de type ethnique,
Thème 2 • Lo re ligion
alors qu'on a, sur ces mêmes terres musulmanes, le développement d'un protestantisme évangélique et donc l'apparition de nouveaux chrétiens d'Orient. (.. .).
Dans le christianisme, ce sont toutes les formes d'évangélisme qui s'adaptent le
mieux à cette nouvelle réalité ; le pentecôtisme en étant le produit le plus pur.
Dans l'islam, c'est le cas du salafisme. Les protestants et les salafistes sont très à
l'aise dans la déterritorialisation car le lieu de culte n'y a pas d'importance. Pour
les protestants, ce qui prime, c'est «l'esprit saint» qui, par définition, souffle où
il veut. »
Selon Olivier Roy, nous ne sommes pas face à un « retour du religieux » : les religions qui rencont rent du succès sont des formes récent es de mouvements déjà établis. Par e xemple, dans l'islam, le salafisme vient du wahhabisme de la fin ~
du xv11~ siècle, dans les christianismes, l'évangélisme vient des mouvements de
réveil du xv111•, e t dans le judaïsme, hassidisme e t harédisme sont issus du mouvement de revivalisme du xv111•. les fondamentalismes prétendent souvent revenir
aux premiers temps de la révélation, mais en fait leurs origines sont récent es. li
s'agit davant age d'une reformulat ion du religieux qu'à un retour à des pratiques
ancestrales. Roy constate également que si l'augmenta t ion de la pratique est souvent évoquée, elle n'est pas établie de manière aussi claire, même si l'ostenta t ion
du religieux s'est e ffectivement développée. les rencontres festives, médiatisées
(par e xemple les Journées Mondiales de la Jeunesse) ont de plus en plus de succès, mais paradoxalement, l'exhibition des signes religieux n'est pas représent a tif
d'une puissance renouvelée. l'exhibition est souvent une conséquence de l'intériorisat ion du fait minorit aire.
Références bibliographiques
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l'essentiel de Io culture générale
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•
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fausses sur les religions, 2002.
+
SPINOZA
V A LLET
+ WEBER (M .), L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme,
-
1905.
Thème
3
L'HISTOIRE
L'Histoire moderne a montré que l'utopie est mère de toutes les
dictatures. » (Jacques Attal~ Fraternités
Une nouvelle utopie)
«
-
1.
Définitions
Paul Valéry constatait que « /'Histoire est la science des choses qui ne se répètent
pas ». le paradoxe de !'Histoire réside dans le fait qu'il s'agit à la fois du passé
en tant que déroulement d'événements et récit de ces événements. l'Histoire
est à la fois une discipline scientifique, une collection de faits et une forme de
conscience collective. Ou latin « Historia », emprunté au grec, !'Histoire peut se
définir comme un récit sur les événements et évolutions passés, bâti à travers une
démarche scientifique. Elle s'efforce donc de restituer le passé dans sa vérité et
s'oppose en ce sens à la fable, à la fiction, au roman. Cette discipline répond à un
besoin de l'Homme de comprendre le présent et d'anticiper le fut ur à la lumière
des événements passés.
l'Histoire au sens moderne, et non pas la simple conservation orale et écrite
d'événements, serait née en Gréce au Ve siècle avant Jésus-Christ, avec Hérodote
et Thucydide. l'idéal de vérité a alors remplacé la constitution des mythes collectifs et le récit du passé a nécessité la mobilisation de mét hodes rigoureuses
d'isolement, de sélection et de vérification des événements relatés. Seuls ont été
retenus et mis en perspective les faits que l'historien allait considérer comme majeurs, dans leur portée, leur influence, leur signification. Par exemple, Thucydide
a mobilisé une mét hode de recueil systématique de données qu'il a rassemblées
dans son Histoire de la guerre du Péloponnèse.
À !'Histoire considérée comme recherche de la vérité pure (conception grecque
antique) s'est progressivement substituée une démarche scientifique de connaissance objective, rationnelle, débarrassée de sa partie idéaliste, mythique. !.'.utopie d'un idéal de vérité a d'ailleurs été dénoncée par Huysman ou Valéry qui
évoquaient le« mensonge» de !'Histoire. Cette démarche scientifique s'est progressivement élargie en intégrant les apports d'autres sciences telles que la psychologie, la linguistique, la sociologie, l'économie. l'Histoire a d'ailleurs à son
tour engendré plusieurs disciplines spécifiques, notamment !'Historiographie, qui
consiste à décrire les processus et mécanismes d'élaboration et d'écriture de !'Histoire. l'Historiographie comprend donc une partie sociale liée aux mythes collectifs, aux schémas cult urels, aux souvenirs nationaux.
l'essentiel de Io culture générale
-
2.
Problématiques
t L' Histoire est-elle une science ?
-
Nombreux ont été les auteurs qui ont réfuté la qualification de science à !'Histoire. Par exemple, Schopenhauer considérait que !'Histoire n'est pas une science
car elle « rapporte ce qui a été une seule fois et n'existe plus jamais ensuite »,
position proche de celle de Karl Jaspers qui notait que « pour être historique,
il faut que le phénomène particulier soit unique, irremplaçable, non réitéré ».
De même, Cournot affirmait que !'Histoire est une suite ordonnée d'événements
dont aucune t héorie ne suffirait à expliquer la succession.
De manière générale, les diverses conceptions de !'Histoire entrent en débat avec
d'autres sciences qui contestent le discours historique, à savoir la sociologie, la
psychologie et l'ant hropologie. Pourtant, la démarche historique correspond
à une démarche scientifique qui emprunte à plusieurs autres sciences sociales.
l'école de sociologie durkheimienne, notamment au travers des techniques de
sondages et d'échantillonages, a largement contribué à cette démarche.
Par ailleurs, l'intervention régulière du législateur dans le domaine historique,
par exemple en 2005 concernant les « effets positifs de la colonisation », est représentative d'une tendance du politique à instrumentaliser !'Histoire, dévalorisant par là même la rigueur scientifique des travaux historiques.
Dans un appel« liberté pour !'Histoire», 19 historiens (dont Élisabeth Badinter,
Alain Decaux et Marc ferro) avaient d'ailleurs demandé l'abrogation de certains
des articles des lois « historiques » suivantes : la loi du 13 juillet 1990 tendant à
réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe (plus connue sous le nom
de loi Gayssot), la loi du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide
arménien de 1915, la loi du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite
et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité (dite loi Taubira) et la loi du
23 février 2005 sur les rapatriés.
Dans ce manifeste, ces historiens rappellent que:
- « /'Histoire n'est pas une religion. L'historien n'accepte aucun dogme, ne respecte aucun interdit, ne connaît pas de tabous. Il peut être dérangeant;
- /'Histoire n'est pas la morale. L'historien n'a pas pour rôle d'exalter ou de
condamner, il explique;
- /'Histoire n'est pas l'esclave de l'actualité. L'historien ne plaque pas sur le passé
des schémas idéologiques contemporains et n'introduit pas dans les événements d'autrefois la sensibilité d'aujourd'hui;
- /'Histoire n'est pas la mémoire. L'historien, dans une démarche scientifique, recueille les souvenirs des hommes, les compare entre eux, les confronte aux do-
Thème 3 • l'histo ire
cuments, aux objets, aux traces, et établit les faits. L'Histoire tient compte de la
mémoire, elle ne s'y réduit pas;
- /'Histoire n'est pas un objet juridique. Dans un État libre, il n'appartient ni au
Parlement ni à l'autorité judiciaire de définir la vérité historique. La politique
de l'État, même animée des meilleures intentions, n'est pas la politique de /'Histoire. »
l'Histoire doit cependant tenir compte de ces différents éléments. le t ravail de
recherche de l'historien s'est notamment souvent heurté aux résistances politiques concernant l'ouverture des archives ou la reconnaissance de certains
faits. Par exemple, on peut citer la diffusion récente de recherches sur la guerre . . d'Algérie en France, ou bien la publication en février 2007 d'une étude comman- ~
dée par le Sénat belge, incriminant l'administration, la police et la justice belges,
accusées d'avoir ent retenu une « variante belge du régime de Vichy »lors de la
Seconde Guerre mondiale. Cette « amnésie » volontaire participe cependant de
la construction d'une réconciliation nationale et le retard pris permet également
de libérer les chercheurs de toute implication émotionnelle.
t L' Histoire a-t-elle un sens ?
Selon Hegel, « L'Histoire universelle est la manifestation du processus divin absolu de /'Esprit dans ses plus hautes figures : la marche graduelle par laquelle il
parvient à sa vérité et prend conscience de soi». Emmanuel Kant estime, quant à
lui, que la nature réalise un plan dans !'Histoire, à t ravers la liberté des hommes. li
serait donc possible de déceler une finalité de !'Histoire, en tant que signification,
mais également en tant qu'orientation.
la philosophie mais aussi de multiples idéologies (marxisme, scientisme notamment) ont successivement cherché à donner un sens à !'Histoire. Par exemple, la
conviction que la diffusion continue du progrès innerve !'Histoire a recueilli une
adhésion massive, avant d'êt re profondément remise en cause au t ravers des interrogations sur la génétique.
Plusieurs conceptions ont été exprimées. Par exemple, Fernand Braudel avait
adopté une approche historique privilégiant le temps long à l'étude de l'événement. « !.'.École des annales», fondée en 1929, et à laquelle ont appartenu, outre
Fernand Braudel, Lucien Febvre, Marc Bloch (Apologie pour /'Histoire (1941)),
Georges Duby, et Jacques le Goff, s'attache à insérer l'événement ponctuel dans
les structures historiques. De même, Michel Foucault préfère une « Histoire générale » synonyme de dispersion et de discontinuité, à «!'Histoire globale » qui
agrège les phénomènes autour d'un seul et même centre.
D'autres conceptions de !'Histoire peuvent également être citées, par exemple:
- !'Histoire« romantique» représentée par Michelet, avec son Histoire de France
(1833-67) et son Histoire de la Révolution française (1847-53);
l'essentiel de Io culture générale
- !'Histoire « érudite », de Fustel de Coulanges, développée dans /'Histoire des
institutions politiques de l'ancienne France (1874-92);
- !'Histoire « méthodique », représentée par Lavisse et son Histoire générale du
111' siècle à nos jours (1893-1900), et par Seignobos, Histoire de la civilisation
(1884-86).
li faut enfin évoquer le matérialisme historique. le matérialisme historique ou
-
nouveau matérialisme est une vision historique d'origine marxiste qui analyse les
luttes sociales et les évolutions économiques et politiques à partir de leurs causes
matérielles. Elle a été défi nie et mise en œuvre notamment par Karl Marx (Les
Luttes de classe en France, Le 18 brumaire de Louis Bonaparte, Le Capital), Rosa
Luxemburg (Grève de masse, partis et syndicats; La Révolution russe) et Anton
Pannekoek (Le Matérialisme historique).
les historiens matérialistes attachent moins d'importance aux dynast ies ou aux
religions par exemple, considérés comme des produits de leur époque et de leurs
rapports sociaux et non comme des événements influant profondément sur le
cours de l'histoire. Max Weber ou Pierre Bourdieu montreront cependant que le
matérialisme historique d'origine marxiste néglige tout facteur ne relevant pas
directement de la possession de capital économique, ce qui amènera Pierre Bourdieu à qualifi er le matérialisme marxiste de matérialisme « court » ou « réducteur».
t Quels sont les rapports de la mémoire avec l' Histoire ?
Dans la mesure où elle souhaite constituer une discipline scientifique, !'Histoire
doit se distinguer de la mémoire : le rôle de l'historien consiste précisément à fonder sa représentation du passé sur une analyse objective des faits. Parallèlement,
la conservation et le recueil des faits sont cependant indissociables d'un travail de
mémoire. l'historien doit ainsi fonder son activité sur une Histoire de la mémoire,
en établissant ou en rétablissant des vérités historiques et en expliquant l'évolution des représentations du passé.
l'une des principales manifestations de la mémoire dans !'Histoire est constituée
par la commémoration. Cette dernière joue en effet un rôle déterminant dans
la constitution et le maintien d'une mémoire collective et se voit donc à ce tit re
largement politisée. Machiavel avait déjà remarqué que les commémorations servaient directement le pouvoir car elles renforçaient sa légitimité en favorisant
l'unité du peuple autour de traditions. les débats suscités en 2006 par la commémoration de l'abolition de l'esclavage, qui est désormais célébrée le 10 mai, en
témoignent .
Par ailleurs un lien étroit unit mémoire et Histoire lorsqu'une réconciliation nationale est recherchée. Un exemple récent réside dans l'annonce de la création
d'une fondation française pour la mémoire de la guerre d'Algérie et des combats
Thème 3 • l'histo ire
du Maroc et de la Tunisie, en septembre 2007. François fillon avait évoqué à cette
occasion la nécessité d'une «réconciliation sincère des mémoires ».
t L'oubli et le pardon sont-ils des conditions du vivre ensemble ?
Victime de son « insociable sociabilité » (Kant), l'homme, s'il veut vivre en communauté, va chercher les moyens de pallier les conflits qui surgissent . le pardon
et l'oubli, dans certains cas, remplissent indéniablement un offi ce pacificateur et
deviennent ainsi condition du vivre ensemble.
Cependant, déterminer a priori si le pardon et l'oubli sont indispensables au vivre
ensemble reste délicat . le vivre ensemble comporte une connotation éminemment politique - Renan voyait dans la volonté de vivre ensemble le fondement
de la notion de peuple - et l'actualité nous renvoie aux fl uctuations des relations
franco-allemandes, ou bien à la sit uation du Proche et du Moyen-Orient . l'oubli
est une notion physiologique que l'on peut chercher à maîtriser (remémoration
et commémorations) mais que l'on ne peut pas totalement contrôler. Quant au
pardon, Jenkelevitch le qualifie « d'irrationnel». Ainsi, on ne force, on n'impose
ni le pardon ni l'oubli.
la volonté de vivre ensemble pourrait se représenter sous la forme du léviat han
hobbesien, agrégation d'individus dont les conflits internes affectent la personne
morale. Pardon et oubli auraient alors des effets « curatifs », ponctuels, de rétablissement des conditions du vivre ensemble, notamment l'ordre, la tolérance,
voire à terme le respect et la confi ance.
Paradoxalement, il semble que, dans certains cas, le pardon ou l'oubli ne permett raient pas le vivre ensemble, mais conduiraient au contraire à remettre en cause
une communauté en tant qu'elle se définit, par exemple, par la revendication
même et la mémoire du tort qui lui a été causé : la communauté juive par rapport
à l'Allemagne, ou, de manière plus frappante, l'opposition des communautés arménienne et turque à propos de la reconnaissance du génocide arménien mont rent que la volonté de vivre ensemble (au sens de reconnaissance, conscience de
son appartenance à la même communauté), pour des diasporas vivant dans des
pays t rès éloignés et de culture différentes, serait certainement affaiblie, ou à
tout le moins redéfi nie, si le pardon leur était demandé.
De manière générale cependant, si l'on dépasse les cas extrêmes que nous venons
de citer et que l'on cède à la reconnaissance int uitive du pardon et de l'oubli
comme catalyseurs de la perpét uation du vivre ensemble, rien n'indique que le
pardon et l'oubli puissent être utilisés volontairement dans le but précis de pacifier les rapports sociaux. À ce titre, amnistie et prescription ont fait l'objet de
critiques fortes.
!!ml
l'essentiel de Io culture générale
le pardon suppose une sorte de « compréhension » : dans la lucidité est puisé le
courage de traiter les autres comme soi-même en se t raitant soi-même comme un
autre. le pardon s'inscrit donc dans le rapport à autrui; il est en partie déterminé
par l'attit ude de ce dernier: le pardon suppose en effet un repentir, un véritable
« drame moral». Pour Jankelevitch, le pardon n'est rédempteur que s'il y a volonté de rédemption. le temps seul ne fait que neutraliser l'effet de la faute (la
douleur) et non pas le fait de la faute.
-
l'oubli est la simple somnolence du ressentiment, ce que Jankelevitch décrit comme le caractère progressif, inconstant de l'oubli, « diminuendo irrégulier mais
fatal, d'un decrescendo inégal mais irrésistible », qui correspond en fait à une
« intégration »du fait blessant . !.'.oubli et le pardon sont donc de nat ures différentes.
D'après Jankelevitch, le« pardon efface tout ». Si le pardon libère la personne,
hypothèse plus vécue que démontrée, efface·t·il le souvenir de ce pardon (si dé·
sintéressé soit-il) et le souvenir de la faute ? Si la crainte de l'oubli qui vient avec
le pardon est largement décrite par Jankelevitch dans L'imprescriptible, l'hypot hèse-frontière qui est envisagée peut êt re utilisée à ce stade de la réflexion pour
confronter le pardon et l'oubli. l'Holocauste est en effet impardonnable, car nul
n'a le droit de prendre la place du mort quant au pardon : «ce serait là le réduire
au silence une seconde fois», selon l'auteur.
Dans certains cas, le vivre ensemble paraît ainsi paralysé. !.'.oubli est impossible car
il y a un véritable devoir de mémoire, et le pardon l'est également pour deux raisons: tout d'abord, le pardon, pour un génocide tel que celui perpét ré contre les
juifs, relève d'un pari pascalien. Au cas où le pardon amènerait l'oubli, le pardon
n'est pas possible. Ensuite, le pardon reste impossible car on ne sait, si on peut
pardonner, à qui l'on peut pardonner.
t Existe-t-il un pardon politique ?
la violence d'État (guerre civile et dictature) est une sit uation-limite qui fait ressortir par sa radicalité les questions qu'adresse le pardon au politique. En abolissant l'État de violence, l'État meurtrier, le pardon assure le salut de l'État, le
refonde:« l'État qui s'était mis hors de lui en dénaturant la violence étatique ne
peut ret rouver que hors de lui le moyen de retourner à la violence "légitime" »
(V. Jankelevitch).
l'impossibilité posée par Jankelevitch du pardon politique et du pardon d'État,
voire à l'État, fait paradoxalement tout l'intérêt de l'intrusion étatique car « le
pardon est affaire d'impossible ». le vivre ensemble qui pourrait réapparaît re à
t ravers la médiation de l'État semble alors fragile, voire inconsistant . Ces vues pessimistes doivent cependant êt re relativisées à l'aune des enseignements d'Hannah
Arendt (Condition de l'Homme moderne, 1963): la relation de pardon est relation
Thème 3 • l'histo ire
de parole. l'idée d'un pardon politique reconstruit la politique comme dialogue.
Il participe du déploiement de la discussion qui, pour Hannah Arendt, est au fondement de la politique, et, par là même, au fondement du vivre ensemble.
t Comment distinguer mythe et religion ?
Un mythe est un récit, porté à l'origine par une t radition orale, destiné à donner un sens, souvent à partir d'illustrations extraordinaires, à des phénomènes
que la science ou la raison ne permettent pas d'expliquer ou de justifi er à une
époque donnée. Par exemple, la création du monde (cosmogonie), les phénomènes nat urels, les comportements humains ... le mythe mobilise des croyances, des personnages merveilleux, tels que des créatures divines, des animaux chiméri- ~
ques ou bien des humains dotés de qualités exceptionnelles. Il relate l'origine du
Monde et l'ensemble des événements primordiaux ayant présidé à l'évolution de
l'Homme. Il prend place dans un cadre temporel lointain, an historique, proche du
revé. li puiSé Sà Crédibilité dànS là rêàliSàtion dé l'objét dont il décrit l'àvènérnént.
Par exemple, la crédibilité du mythe cosmogonique est fondée sur le fait que le
monde existe.
le mythe n'est pas nécessairement fondé sur la foi. De nombreuses religions ne
dénient pas la nature mythique des textes fondateurs qu'elles mobilisent (par
exemple la Genèse dans la Bible). Cette reconnaissance n'est pas exclusive, bien
au contraire, d'une portée puissante des vérités religieuses promues. Envisager
le mythe ou la mythologie au sein des principaux monot héismes, n'implique pas
de jugement de valeur ou de remise en cause de la foi qu'ils appellent . Il s'agit
simplement d'une révélation de ces vérités au t ravers des catégories de pensées et
de langage d'une culture et d'une époque données. En ce sens, le mythe contient
donc une visée pédagogique forte, puisqu'il constitue un outil d'appréhension
pratique des vérités divines.
Même si des éléments surnaturels peuplent les mythes, que leur dimension poétique est indéniable, ces derniers sont porteurs de messages forts, en rapport avec
le contexte politique, social et religieux des sociétés qui les génèrent . li faut noter
que des philosophes de I' Antiquité tels que Protagoras, Empedocle et Platon, ont
mobilisé le mythe afin de mettre en scène leurs propos et en faciliter l'appréhension. On se souviendra notamment du« mythe de la caverne» de Platon.
le récit du mythe est une nouvelle création de la réalité qu'il décrit . le rite parfois associé au mythe donne corps à cette production. !.'.exemple du sacrifice est
à ce tit re éclairant. De manière plus générale, les cérémonies participent de la
pérennité du mythe (naissances, initiations, mariages, funérailles, fêtes et célébrations ... ). Parmi les mythes les plus célèbres, on peut citer: l'Iliade etl'Odyssée,
la Bible, la Théogonie d'Hésiode (qui décrit la création du monde, l'histoire des
dieux, la création des hommes), les mythes de régénération et de cataclysme, le
mythe de la destruction de l'Atlantide, le mythe prométhéen ... Plus près de nous,
l'essentiel de Io culture générale
le philosophe et sociologue Georges Sorel a analysé l'émergence de mythes, not amment « sociaux »à t ravers, par exemple, des épopées guerrières ou les grèves
ouvrières de la fin du x1X" siècle.
Références bibliographiques
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•
RICOEUR
ARENDT
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Thème
LA FAMILLE
de notre famille aussi bien les idées dont nous vivons que la
maladie dont nous mourrons. » (Marcel Proust A /'Ombre des jeunes filles en
fleurs)
« La famille, ce havre de sécurité, est en même temps le lieu de la violence extrême. »(Boris Cyru lnik, Les nourritures affectives)
« La famille sera toujours la base des sociétés. »(Honoré De Balzac. Le Curé de
village)
« Nous tenons
-
1.
Définitions
Selon !'INSEE, une famille est« la partie d'un ménage comprenant au moins deux
personnes et constituée, soit d'un couple marié ou non, avec ou sans enfants,
soit d'un adulte avec un ou plusieurs enfants». Une défi nition plus large consiste
à considérer la famille comme un groupe de personnes proches réunies par des
liens de parenté (fi liation, alliance, adoption) qui impliquent une obligation de
solidarité morale et matérielle. la famille est donc un concept à « géomét rie
variable », notamment structurée autour de l'inceste, qui interdit les relations
sexuelles ent re membres de la même famille. !'.inceste dicte la taille de la famille,
soit le nombre des individus qui en font partie. Au sens biologique, une famille
regroupe des individus possédant des gènes communs. la famille recouvre donc
des réalités à la fois différentes et évolutives.
Dans la Rome antique, le terme de« familia »renvoyait à l'ensemble de la famille
au sens moderne, élargie au reste de la maisonnée, dont les esclaves. la famille
est donc un groupement communautaire dont la taille varie considérablement
en fonction des époques. l'individualisme a cont ribué à réduire la taille de la
famille, fréquemment cellulaire, avec la disparition du modèle de la« famille souche » majoritairement rurale, dans laquelle plusieurs générations vivaient sous le
même toit.
À l'origine, la famille comprend nécessairement le lien du sang, qui la cimente.
Actuellement, les recompositions familiales et l'utilisation extensive du mot incitent à envisager la famille sous la forme d'un rassemblement d'individus unis par
des liens affectifs. Cette modification de la famille a été largement infl uencée par
de multiples facteurs: développement de l'égalité hommes/ femmes, du t ravail
féminin, égalité ent re enfants nés dans et hors mariage, banalisation du divorce
et du concubinage, formalisation de formes d'unions différentes (par exemple le
pacte civil de solidarité, PACS) ...
l'essentiel de Io culture générale
-
la famille reste un domaine privé, de liberté, mais des tendances sociologiques
se dessinent : par exemple, actuellement, 40 % des familles ont fait le choix de
n'avoir que deux enfants. Par ailleurs, l'État intervient au t ravers de la politique
familiale. Plusieurs conceptions de la famille ont modelé la politique de la famille.
Une conception instit utionnelle, souvent nataliste, qui donne à l'État la responsabilité de protéger la famille ; une conception individualiste et libérale selon
laquelle la famille est au cont raire un agrégat d'individus autonomes et libres qui
ne reléve pas de l'action publique ; enfin, une conception sociale qui voit dans
l'aide aux familles un moyen de mieux prendre en compte les besoins sociaux.
En France, il est notamment demandé à l'État d'accompagner le développement
du t ravail féminin au travers du financement des congés de naissance, maternité,
parentaux ... et plus largement de déterminer des moyens permettant aux salariés
de mieux concilier vie professionnelle et vie privée. De même, les entreprises sont
également appelées, en particulier dans le cadre du développement de leurs politiques de diversité, à prendre en compte les familles dans leurs politiques sociales,
en mettant aussi en place des systèmes permettant de faciliter la conciliation de la
vie professionnelle et de la vie familiale (crèche, chèque emploi service universel
(CESU) .. ., télét ravail ou travail à domicile, adaptation des horaires ... ).
2.
Problématiques
t Quelles sont les règles de composition de la famille ?
Dans les sociétés traditionnelles les familles disposent de la capacité juridique et
politique compléte, et non les individus. À l'intérieur de la famille, les membres
ont des stat uts diversifi és en fonction du sexe, de l'âge, de la position généalogique et qui changent selon des règles coutumières de succession. les familles sont
donc t rès étendues. Ainsi, dans certains pays d'Afrique, la famille se compose
aussi des membres originaires d'un même village lorsque ceux-ci s'en ret rouvent
éloignés. Au cont raire, dans les sociétés industrialisées, la famille s'est progressivement restreinte à un seul degré de parenté ou d'alliance et n'a plus de personnalité juridique légale. De même, des individus partageant des pratiques ou des
idéologies peuvent parler de« famille», alors qu'aucun lien de sang ne les lie (par
exemple la famille politique).
la conception de la famille a toujours été fortement marquée par le contexte
socio-économique, en particulier durant le dernier quart de siècle. le féminisme,
l'individualisme, la remise en cause des instit utions, la vision du mariage, la protection des droits de l'enfant ont logiquement infl uencé la forme familiale la plus
répandue, notamment au t ravers des modifications normatives. Plusieurs modèles familiaux coexistent donc désormais. Ces changements cont rastent avec une
stabilité bien plus forte que les siècles précédents avaient montrée en la matière.
Thème 4 • Lo fam ille
Cette stabilité, prenant sa source dans l'acte fondateur du mariage, permettait
d'utiliser la famille en tant qu'élément majeur de l'organisation sociale. le mariage constit uait, en effet, à la fois un acte spirituel (un sacrement ), un acte économique (une fusion pat rimoniale) et un acte politique (puisque facteur d'ordre
social).
le Moyen Âge a vu l'apogée de la puissance maritale, clé majeure de la répartition des terres et donc du pouvoir: la stabilité politique de l'Europe a longtemps
reposé sur des alliances croisées, scellées par des mariages. Par ailleurs, le mariage
fondait le système patriarcal et légitimait le fait d'avoir une descendance, cette
dernière s'avérant vitale car elle représentait une force de travail permettant la
survie au moment de la vieillesse. Au contraire, l'autorité du mariage a commencé
à décliner avec la mise en cause de la prévalence du groupe sur ses membres avec
la fi n de la dépendance à la famille et de l'assujettissement des femmes.
Reposant sur un corpus juridique dense et des principes moraux st ricts, notamment le principe chrétien d'indissolubilité, le mariage est désormais confronté à
de nouveaux t ypes de formalisation des unions, par exemple le PACS, qui présente l'avantage « concurrentiel »de pouvoir bénéficier à des personnes du même
sexe. la notion de famille est donc également bouleversée.
les formes contemporaines d'union (PACS, concubinage) ne créent pas de lien
spirit uel et de lien indissoluble. Au contraire, le mariage au sens religieux ne peut
êt re annulé que dans des cas limités (vice du consentement, non-consommation,
nullité liée à la qualité ou à la capacité des époux). le divorce lui-même, dont
les réformes successives ont cherché à simplifier les régimes, n'a été int roduit
dans le droit commun français qu'à travers la loi du 11 juillet 1975. l'existence du
concubinage a été progressivement reconnue sur un fondement exclusivement
jurisprudentiel. Puis, le PACS, instauré par la loi du 15 novembre 1999, a donné
un stat ut juridique au concubinage et a largement aligné les droits des concubins
sur ceux des époux.
l'individualisme démocratique a émancipé l'individu au plan politique, mais a
également entraîné la crise des instit utions t raditionnelles comme l'Église et la
famille. Par ailleurs, l'État, tout particulièrement dans sa forme interventionniste
d'État-providence, a pris des mesures sociales permettant à l'individu de ne plus
dépendre de sa famille. la protection offerte par la Sécurité sociale, mais aussi
l'ensemble des dispositifs de protection sociale tels que le revenu minimum d'insertion, les aides aux personnes âgées et dépendantes, aux familles monoparentales, ont permis à l'individu de ne plus avoir à s'en remettre à son seul soutien
familial. la dépendance des ascendants envers leurs descendants est donc moins
prégnante, même si elle reste une obligation juridique.
!!ml
l 'essentiel de Io culture générale
t Quelle est l' influence du droit de la famille ?
-
l'émancipation de la femme a remis en cause le conditionnement psychologique
et social qui la restreignait. le droit de la famille, qui a connu des bouleversements profonds, a largement participé à cette évolution. En effet, alors que le
Code civil (1804) avait consacré l'incapacité de la femme mariée, cette dernière
recouvra la capacité juridique en 1938, puis obtint le droit de vote en 1945, et
enfin le droit d'exercer une activité professionnelle sans autorisation du mari en
1965. En effet, la loi du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux a instauré l'indépendance de la femme mariée. Chacun des époux pouvait
désormais avoir ses propres ressources et en disposer librement à condition de
cont ribuer aux charges du ménage.
Par ailleurs, la loi portant réforme de l'adoption a créé en 1966 l'adoption plénière, qui a eu pour effet de rompre tout lien ent re l'enfant et ses géniteurs, dont
il n@ p@ut connaît r@ l'id@ntité, @t qui a égal@m@nt autorisé l'adoption par un@
personne seule, première consécration de la « famille choisie ». la loi du 4 juin
1970 sur l'autorité parentale, en mettant fi n à la puissance paternelle, a ensuite
rompu avec la suprématie juridique du père et de l'époux.
En 1975, le droit à l'avortement est reconnu et la loi du 11 juillet 1975 a élargi la
notion de divorce à d'autres situations que le seul « divorce pour faute », dont
le divorce « par consentement mutuel », qui a offert une liberté supplémentaire.
Avec le déclin des valeurs religieuses t raditionnelles, tout au moins cat holiques,
le mariage est d'abord devenu un lien moral, celui de deux volontés qui veulent
vivre ensemble, et non plus un lien sacré et indissoluble.
À l'infl uence du droit de la famille s'est ajoutée la prédominance croissante du
sentiment, de l'amour, dans la construction de la famille, ainsi que la notion de
«bonheur», au détriment de l'intérêt, du devoir ou de l'obéissance. Au xv11• siècle,
la baisse du taux de mortalité des enfants et l'influence religieuse qui ébauchera
la t hèse selon laquelle l'enfant est une personne, digne d'affection et d'attention,
vont entraîner le développement d'un sentimentalisme renforcé dans les relations
parents/enfants.
En remplaçant l'obligation par le sentiment, le mariage et la famille ont perdu
leur garantie de pérennité. l'obligation ne s'entend plus que temporairement,
tant que la rencontre des volontés persiste. Nat urellement, ce constat a ouvert la
voie au développement du divorce et aux nouvelles formes de famille (monoparentales, éclatées, recomposées) que nous connaissons actuellement. En France, le
nombre annuel total des divorces était d'environ 20 000 en 191 4, environ 40 000
en 1970 et a dépassé les 140 000 dès 2003. Environ 120 000 enfants sont concernés
chaque année par le divorce (hors enfants nat urels). le nombre de procédures
relatives aux enfants nat urels (pension, droits de visites ... ) est proche de 1OO 000
par an.
Thème 4 • Lo fam ille
t Peut-on parler de crise de la famille ?
Fréquemment, le mot de« crise» est utilisé pour signifier une adaptation, parfois
chaotique, d'un modèle préexistant, ce qui paraît bien le cas pour la famille. Au
x1x" siècle, en effet, la famille était devenue l'objet d'une idéologie, car elle était
investie de valeurs et considérée comme une valeur, d'ailleurs reprise ensuite dans
la devise de l'État français (« Travail, famille, patrie »). Ce phénomène s'inscrivait dans la formation d'un modèle «bourgeois» de la famille, qui s'est imposé
comme norme.
Par la suite, cette conception t raditionnelle de la famille, rassemblée par André -· .
Gide dans son expression «familles, je vous hais», a été remise en cause du fait ~
de son rigorisme. Cette remise en cause s'est accélérée avec le freudisme, qui a
mis en exergue les névroses familiales au détriment des conventions strictes qui
caractérisaient l'image de la famille.
la répartition des rôles ent re les sexes a également été questionnée. Que la répartition des rôles ent re les sexes soit biologiquement innée ou socialement construite, elle n'est en tous les cas plus considérée comme une fatalité. Par exemple, Jean
Cazeneuve (Bonheur et civilisation, 1970) distinguait les« sociétés dionysiaques»,
fondées sur des valeurs dites masculines (compétition, nomadisme, exaltation du
conflit, risque et conquête) et les « sociétés apolliniennes » construites autour
de valeurs dites féminines (stabilité, sécurité, consensus, non-violence, croissance
économique). Si différents invariants sont reconnus de manière consensuelle,
comme l'existence d'un principe de différenciation des fonctions ant hropologiques ent re les sexes, cela ne signifie pas nécessairement hiérarchisation : chaque
individu peut exercer sa liberté d'assumer des rôles relevant conventionnellement
de caractéristiques attribuées au sexe opposé.
le mode pat riarcal a ainsi été remis en cause, à t ravers le t ravail des femmes qui,
malgré le « plafond de verre » souvent dénoncé (qui consiste à ne pas verser
un salaire d'un montant aussi important à une femme qu'à un homme pour un
poste équivalent ), a enrichi leur rôle social. De façon certes encore partielle et
inégale, les femmes ont pu accéder à des postes de responsabilité techniques ou
d'encadrement, y compris dans des milieux traditionnellement considérés comme
masculins comme la finance ou l'ingénierie. Parallèlement, les hommes ont pris
une part de plus en plus importante dans la réalisation des tâches ménagères
mais surtout dans l'éducation des enfants.
Cependant, la famille« contemporaine», hétérogène, semble également générer
des débats. la vision économique de la famille est l'un des reflets de ces interrogations puisque deux nouveaux concepts sont nés: la notion de ménage, qui désigne l'ensemble des personnes habitant un même logement à titre de résidence
principale, et la notion stricte de famille, qui désigne la partie d'un ménage comprenant au moins deux personnes qui peuvent être soit un couple légitime, soit
l'essentiel de Io culture générale
un couple non marié, avec le cas échéant la présence de leurs enfants célibataires
de moins de 25 ans, soit une seule personne, non mariée ou séparée, vivant avec
au moins un enfant célibataire de moins de 25 ans.
-
Par ailleurs, l'autonomisation de plus en plus précoce des enfants et la remise en
cause de l'autorité ont cont ribué à la dissolution de la famille. !.'.enfant a acquis
des droits (Convention de !'Organisation des Nations unies sur les droits de l'enfant du 20 novembre 1989) et une importance en tant que personne depuis le
xv111• siècle, notamment à t ravers le développement de l'éducation (on peut citer
L'Émile de Rousseau, 1762). De plus, la famille ne semble plus constituer un projet
liant deux individus à leurs enfants, mais davantage un moment de la vie d'un
adulte qui peut donc prendre des formes variées. la famille recomposée est le
symbole même d'une existence de la famille non plus basée sur les liens du sang
mais bien sur la volonté de vivre ensemble.
•Quelles sont les fonctions résiduelles de la famille ?
la famille a gardé son rôle de représentation. Par exemple la publicité, le Droit, la
Sécurité sociale, comme l'ensemble des instit utions publiques, continuent à s'appuyer sur cette catégorie. !.'.État poursuit ses politiques « familiales » et n'hésite
pas en cont repartie à punir judiciairement les parents dont les enfants se sont
rendus coupables d'actes répréhensibles : la responsabilité des parents vis-à-vis
des enfants est paradoxalement de plus en plus objectivée et le « renoncement
parental» n'est plus admis.
la famille reste en out re une entité affective, une communauté rassurante. le
« cocooning » (mode de vie dans lequel l'accent est mis sur la qualité de l'envi-
ronnement affectif et matériel) rencontre un succès important ; les jeunes adultes
quittent le foyer parental de plus en plus tard, du fait de l'allongement des ét udes et de la diffi culté croissante de trouver un premier emploi.
le modèle de la famille « traditionnelle » reste majoritaire en Europe : près de
78 % de la population européenne vit dans une famille nucléaire, bien que les
couples avec enfants ne représentent plus aujourd'hui que la moitié des familles
européennes.
t En quoi consistent les problématiques intergénérationnelles ?
les solidarités familiales sont fragilisées par l'accroissement du nombre de jeunes
sans qualification, la précarité des familles monoparentales, les difficultés rencont rées par les familles nombreuses et le poids de personnes âgées en perte d'autonomie. les réseaux familiaux et l'entraide familiale constituent des sujets récents
de la politique familiale. la génération des 50· 60 ans est aujourd'hui appelée
à une double solidarité familiale, d'une part envers leurs enfants qui tardent à
devenir autonomes, et d'aut re part envers leurs parents vieillissants qui redeviennent dépendants.
Thème 4 • Lo fam ille
Actuellement, neuf jeunes ménages sur dix âgés de 19 et 24 ans bénéficient d'une
aide régulière de leur famille et 75 % des bénéfi ciaires de l'allocation personnalisée d'autonomie sont aidés par leurs proches, au point que les « aidants fa.
miliaux » se substit uent à la solidarité nationale. En conséquence, on assiste au
développement d'une politique publique de soutien aux aidants familiaux : par
exemple, le congé de soutien familial permet à ceux qui exercent une activité professionnelle de s'absenter pendant une durée de trois mois, renouvelable dans la
limite d'un an, pour prendre en charge un parent dépendant .
À noter que l'évolution de la famille et de la politique familiale dépendra notamment de l'avenir du mariage et de la reconnaissance des droits des beaux-parents
sur les enfants du conjoint au sein des familles recomposées. la lutte contre la
pauvreté des familles et la lutte cont re la délinquance constit ueront également
des sujets importants : 600 000 enfants vivent actuellement au sein de familles
bénéficiaires du RMI.
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Thème
LA VILLE
c'est encore pour
chercher la foule, c'est-à-dire pour refaire la ville à la campagne. » (Charles
Baudelaire, Extrait de Journaux Intimes)
« L'homme aime tant l'homme que, quand il fuit la ville,
-
1.
Définitions
Une ville est une unité urbaine étendue et fortement peuplée dans laquelle sont
concentrées la plupart des activités humaines: habitat, commerce, industrie, éducation, politique, culture. la ville apparaît à partir du moment où il y a spécialisation et diversification du corps social. Aujourd'hui. 45 % de l'humanité vît dans
des villes ; en France, environ 80 % de la population totale. En 2030, 85 % de la
population des pays industrialisés et 56 % de la population des pays en voie de
développement vivront dans un environnement urbain. l'urbanisation s'accompagne d'une désertification des campagnes. En 1950, New York était la seule ville
à dépasser 10 millions d'habitants. En 2015, près d'un individu sur vingt habitera
l'une des 23 agglomérations de plus de 10 millions d'habitants (19 seront sit uées
dans un pays en voie de développement ). D'ores et déjà, l'Amérique latine est
aussi urbanisée que l'Europe (taux d'urbanisation des trois quarts) et plus d'un
tiers de la population africaine et asiatique réside déjà en ville.
Cont rairement à la commune et à la municipalité qui sont des notions juridiques,
la ville est défi nie par la conjugaison de deux éléments: un seuil quantitatif (environ 2 000 habitants, seuil français équivalent à celui retenu dans la plupart des
pays) et la nat ure du bâti (les constructions ne doivent pas êt re distantes de plus
de 200 mètres les unes des autres). l'agglomération est, quant à elle, une notion
géographique qui représente un espace urbain continu s'étendant sur plusieurs
communes.
l'explosion urbaine a donné naissance au terme de mégapole, t rès grande agglomération, dont le seuil a été fixé par l'ONU à 8 millions d'habitants, et qui
abrite en son sein des centres de décision. Une métropole mondiale est, quant à
elle, une mégapole qui est à la tête d'un réseau urbain national, ou qui exerce
un rayonnement international de grande envergure (par exemple, Londres, Paris
et New York, Tokyo). Existent également les termes de « ville globale » (Saskia
Sassen), moteur de la mondialisation, et de mégalopole, (Jean Gottmann, Megalopolis, The Urbanized Northeastern Seaboard of the United States, 1961 ), espace
urbanisé formé de plusieurs agglomérations dont les banlieues étendues se rejoignent .
l'essentiel de Io culture générale
lieu de vie, d'échange, la ville présente un concentré d'activités sur un périmèt re géographique restreint. Elle ne va pas sans créer une certaine fascination,
au point qu'elle est parfois dotée d'une vie propre: telle ou telle ville est alors
personnifi ée (ne dit-on pas par exemple que« la ville respire, s'éveille, s'étend»).
Souvent décrite ou mobilisée comme personnage dans la littérat ure, la ville a
revêtu des visages divers dans le monde artistique : lieu sombre pour certains,
marqué par la violence et la misère (Rousseau s'écriait que« les villes sont le gouffre de l'espèce humaine»), la ville est également considérée comme porteuse de
solidarités fortes. Elle constit ue pour certains un lieu de débauche et de liberté
(Balzac ou Stendhal), ou bien un lieu de mystère, possédant une vie propre (Paul
Auster, La trilogie new-yorkaise, 1985), ou bien encore un lieu oppressant, déshumanisé (par exemple dans les fi lms de Charlie Chaplin ou de frit z Lang, dans la
peinture de Fernand léger).
-
À la ville est parfois préférée la campagne: la ville est en effet perçue comme un
lieu de vie subi, créant l'illusion d'un destin moins diffi cile et fi nissant par concent rer la misère dans des bidonvilles. les choix d'architecture urbaine mais aussi
l'urbanisation incontrôlée font régulièrement l'objet de critiques. Par exemple,
les villes nouvelles (villes dont la conception et la réalisation sont le fruit d'une
planification totale et qui sont implantées sur un territoire non encore urbanisé)
sont souvent qualifi ées de« villes dortoirs».
Politiquement, une ville peut être organisée sous forme étatique(« ville État »),
à partir d'un gouvernement autonome, exerçant souverainement son pouvoir.
Cette vision de la ville rejoint l'exemple de la cité antique, dans laquelle étaient
concent rés les richesses et les hommes. la ville peut également constit uer un enjeu politique national (ex.: ville de Paris dans le cadre des élections présidentielles
en France, États-Unis ... ), mais reste en tous les cas un cent re de pouvoir reconnu,
dont l'indépendance varie notamment en fonction du niveau de décentralisation
du pouvoir.
-
2.
Problématiques
t Comment la ville est-elle apparue ?
Historiquement, le phénomène urbain est ancien puisqu'il apparaît dès !'Antiquité : les premiers villages tribaux découvrent progressivement l'agriculture et
doivent structurer leur organisation sociale pour assurer l'exploitation des terres.
Ces villages sont const ruits en cercles concent riques autour des réserves, les huttes
étant encerclées par une palissade protectrice et les champs organisés autour de
cette dernière. Ce schéma de construction villageoise est encore d'actualité avec
des habitations construites autour du clocher et les champs à la sortie du village.
la ville la plus récente elle-même paraît d'ailleurs emprunter certains aspects de
Thème 5 • Lo ville
ce schéma avec une zone commerciale et un quartier d'affaires centraux, des
quartiers résidentiels, puis des zones industrielles et enfi n des zones agricoles. les
variantes se sont cependant multipliées.
les premières villes, dans leur acception moderne, apparaissent entre le v1• et
le V' millénaire avant J.-C. en Mésopotamie et dans la vallée de !'Indus. Elles se
caractérisent par une forte densité démographique et une organisation politique
cent ralisée, appuyée sur un pouvoir religieux fort, dont les efforts se concent rent sur la fonction militaire. le cent re du pouvoir est isolé du reste de la ville,
progressivement fortifi ée. Une véritable « zone urbaine » naît avec la création
d'un réseau d'échanges entre la ville et les villages alentour qui garantissent son
approvisionnement.
Avec l'apparition des premiers empires, une répartition des pouvoirs est effect uée entre t rois fonctions : souveraineté (gouvernants et prêtres), combat (caste
militaire) et fécondité (autochtones ou étrangers soumis, voués aux tâches productrices). Au x11• siècle av. J.-C., le modèle oriental des premières cités fait place
à une ville nouvelle caractérisée par l'apparition de« !'Agora», nouveau cent re
de pouvoir politique et aristocratique. les cités romaines seront d'abord basées
sur ce modèle grec, avant de connaît re une période de déclin liée aux invasions
barbares, qui voient le pouvoir politique des villes s'affaiblir au profit du pouvoir
religieux. Ce dernier va conditionner l'urbanisme à t ravers la construction de monastères et abbayes fortifi ées. À partir du 1x" siècle, les échanges commerciaux se
développent et la taille des villes augmente progressivement.
En Europe, de la fin de I' Antiquité au xx• siècle, la ville a constitué davantage un
lieu de passage qu'un habitat permanent. la ville médiévale et moderne est un
carrefour économique plus qu'une cité : elle se développe autour des comptoirs
commerciaux (villes allemandes, nordiques et baltes de la ligue de la Hanse), des
foires (Provins, Reims ancrent les foires de Champagne au x111• siècle) du bazar
oriental (villes de l'Empire ottoman) et des ports les plus importants (Gênes en
Italie, Barcelone en Espagne, Lisbonne au Portugal. la Rochelle ou Bordeaux en
France, Liverpool. Rotterdam, Cadix). Toutefois, jusqu'au xvi11• siècle, la ville n'est
pas véritablement habitée ; elle est gouvernée de l'extérieur même si les instit utions politiques y sont présentes (les souverains et les aristocrates n'y habitent
pas, mais les villes accueillent les parlements). Même pour ses résidents, la ville ne
crée pas d'identité spécifique, car elle est perçue comme une « étape » temporaire qui permettra d'aller s'établir dans son terroir d'origine.
Politiquement, la ville est perçue comme pernicieuse. En particulier en France,
l'environnement urbain apparaît propice à la sédition, à l'irréligion, aux int rigues
et aux t roubles, voire à la dépravation morale. la méfiance à l'égard de la ville
n'est d'ailleurs pas l'apanage exclusif du conservatisme politique puisqu'elle fonde la philosophie politique de Rousseau et son idéal de République agraire égalitaire, ainsi que les conceptions politiques de la Convention et des Montagnards.
-
l'essentiel de Io culture générale
Au x1x• siècle l'industrialisation va apporter un nouveau bouleversement à la forme des villes. le développement des lieux de production de masse, du machinisme, des t ransports, va profondément modifier le paysage urbain. la population
des villes explose : le nombre de villes de plus de 1OO 000 habitants passe de 5 au
xv111• siècle à 65 en 1800 et 300 en 1900. 16 villes (dont Londres, Paris, New York,
Vienne, Pékin et Berlin) dépassent le million d'habitants en 1900.
-
les besoins de main-d'œuvre de l'industrie attirent une population immense dans
les grandes villes, également consommatrices des productions réalisées. Surpeuplées, les villes acquièrent à cette période une image particulièrement sombre,
car elles mettent en scène les conditions de vie misérable de la population, notamment touchée par la maladie du fait de conditions d'hygiène déplorables. les
conditions de travail sont particulièrement diffi ciles. la littérature s'est chargée
de dépeindre cette sit uation, notamment les ouvrages d'Émile Zola (Germinal,
L'Assommoir). les banlieues vont se généraliser, puisque la population ouvrière
est refoulée vers les quartiers périphériques. la fonction militaire de la ville disparaît complètement, au profit d'une fonction exclusivement économique.
Au début du xx• siècle, les lotissements se développent en périphérie des villes :
l'ouvrier devient propriétaire de sa maison, ce qui permet de calmer les tensions sociales. Progressivement, ces espaces résidentiels seront réinvestis par la
bourgeoisie dans les années 1970, le cœur des villes étant consacré aux quartiers
d'affaires et la classe ouvrière de nouveau reléguée dans les grands ensembles
(banlieues« dortoirs»), dont une partie va bientôt constituer les« banlieues défavorisées » que nous connaissons actuellement.
les villes ont gagné en surface et se sont organisées par zones (quartiers professionnels, résidentiels, populaires... ). Certaines sont aujourd'hui des mégalopoles,
dépassant les 10 millions d'habitants: Mexico, Sao Paulo, Rio de Janeiro, Shang aï,
Pekin, Bombay, Calcutta, Djakarta, dont deux seulement dans des pays développés : Tokyo-Yokohama, New-York. la taille moyenne des villes a également augmenté : en 1800, 23 villes européennes comptaient plus de 100 000 habitants.
Actuellement, plus de 200 villes comptent plus d'1 million d'habitants.
t Quelles sont les valeurs véhiculées par la ville ?
Baudelaire évoquait « l'ivresse religieuse des grandes villes ». la ville inspire, attire, concent re les principaux attributs du pouvoir, les cent res de décision, la plupart des moyens intellectuels, fi nanciers, de formation, de recherche. Elle rassemble l'ensemble des technologies et des moyens matériels permettant un confort
optimal à ceux qui peuvent y avoir accès. Elle « libère » donc dans une certaine
mesure puisqu'elle protège l'Homme d'une grande partie des risques nat urels.
Au sein des villes, les t ransports réduisent l'activité physique de l'Homme, les bâtiments le protègent du froid, les magasins pourvoient à ces besoins de consom-
Thème 5 • Lo ville
mation, de nombreuses propositions d'activité récréatives, culturelles lui sont
adressées. l'homme se détache donc des contingences naturelles. la ville constit ue la manifestation de l'appropriation de l'espace par l'homme. Sur une surface
donnée, l'Homme va imprimer son cont rôle et ne laisser à la Nat ure qu'un espace
résiduel et organisé (parcs zoologiques, jardins publics... ), d'autant plus apprécié
qu'il est complètement maîtrisé, pour ainsi dire « urbanisé ».
En revanche, la ville est également accusée de générer ou favoriser certains phénomènes négatifs tels que la solit ude, l'isolement, la pollution, la misère, les épidémies. Elle exacerbe les différences sociales, notamment concernant le logement.
Cette image est véhiculée dans de nombreuses créations artistiques. Par exemple, le film Métropolis de frit z Lang dépeint la ville comme une entité autonome, déshumanisée, attirante et dangereuse à la fois, dans laquelle l'identité individuelle
est sacrifiée à des communautés qui n'interagissent pas.
l'exode rural induit par l'industrialisation a fait des villes un espace de vie. En provoquant pour la première fois dans l'histoire de l'humanité un exode rural massif,
la révolution industrielle va profondément modifi er la réalité sociologique de
la vie urbaine. la ville va produire des richesses immatérielles (art, notamment
avec la concent ration des imprimeurs et libraires, t héâtres, salles de spectacle).
En outre, la sédentarisation des ruraux en ville et le déracinement qui en résulte
ont fait naît re une culture urbaine spécifique, qui prend sa source dans des interactions diversifiées entre les individus, un brassage social et géographique accru,
l'anonymat, l'autonomie croissante vis-à-vis de la famille, la possibilité pour les
femmes de mener une existence indépendante, mais aussi une insécurité plus
importante.
la cult ure urbaine est dominée par les valeurs d'émancipation, de progrès social,
d'avant-garde, de mobilité et de liberté, mais également d'élitisme. la cult ure urbaine oppose cult ure des élites et culture populaire, au contraire de la culture rurale, largement unificatrice. la culture populaire véhicule, quant à elle, un amour
de la ville personnifiée (par exemple à t ravers la poésie de Jacques Prévert ou le
répertoire d'Édith Piaf).
la ville est également devenue le cœur du pouvoir politique. En éveillant la
conscience de classe et par l'effet de masse qu'elle autorise, l'urbanisation favorise la structuration politique des couches populaires. Alors que jusqu'à la première
guerre mondiale, le fl ux des idées politiques majoritaires allait des campagnes
aux villes, désormais les villes font l'opinion.
t Peut-on parler de crise de la ville ?
Actuellement, la ville est souvent synonyme de nuisances : mal vivre, incivilités,
bruit, violence, uniformité. les initiatives récentes pour relancer une « vie de
quartier » (par exemple la « fête des voisins ») montre un besoin de créer de
l'essentiel de Io culture générale
nouveaux liens de proximité. les foyers urbains se sont progressivement renfermés sur eux-mêmes, contrairement aux zones rurales, dans lesquelles la solidarité,
induite par la dépendance forte aux contraintes météorologiques notamment, a
toujours été plus forte. 30 % de la population urbaine dans les pays en voie de
développement vit déjà en dessous du seuil de pauvreté, mais paradoxalement
les villes attirent toujours plus de migrants issus des provinces pauvres et rurales,
notamment en Chine et en Inde. 80 % de la croissance démographique s'effectue
actuellement en zone urbaine.
-
les pouvoirs publics, indépendamment de la gestion des manifestations de violence issues des« banlieues », ne peuvent donc se désintéresser de ces problématiques : un « renouvellement urbain » est ainsi envisagé. Ce dernier chercherait
à renforcer la convivialité de la ville du futur en répondant mieux aux différents
besoins et en accompagnant au mieux les différentes activités (économiques, sociales, culturelles ... ) de ses habitants.
Cette approche s'inscrit à l'encont re de la politique de « grands ensembles »,
créés pour répondre dans l'urgence à un besoin de logement pour les populations attirées en masse vers les villes, souvent accusée d'avoir favorisé le développement des violences urbaines. Actuellement, les programmes de destruction se
multiplient, les immeubles sont réhabilités.
Plusieurs axes de la politique de la ville sont privilégiés, notamment en France :
favoriser la qualité de vie à travers une logique de développement durable (rationalisation de l'espace, protection de l'environnement, optimisation des moyens
de transports collectifs et individuels) ; améliorer la solidarité sociale, à travers un
objectif de mixité introduit par un pourcentage minimum de logements sociaux,
renforcer la cohérence de la politique urbaine à t ravers la simplification des règles
et des documents d'urbanisme, revitaliser les centres-villes à travers la réimplantation de commerces de proximité au détriment des implantations de bureaux.
Enfin, il faut souligner que le t hème de la « ville durable » est apparu dans les
forums internationaux, suite au sommet d'Istanbul en 1996. Deux problématiques étaient à l'ordre du jour de ce forum : comment assurer à tous un logement
décent et comment rendre le développement urbain viable à long terme. Ce sommet s'est achevé par l'adoption de la Déclaration d'Istanbul sur les établissements
humains et du Programme pour l'habitat : les États signataires se sont engagés à
réaliser progressivement le droit au logement et ont réaffi rmé l'actualité du principe de développement durable et ses corollaires, les principes de partenariat, de
solidarité, de coopération, de participation et de précaution.
t Quel est le rôle de la banlieue ?
le mot « banlieue » a pour origine celui de « ban », terme féodal correspondant
au territoire sur lequel s'étendait la juridiction d'un seigneur. le terme de« ban-
Thème 5 • Lo ville
lieue » fut ensuite utilisé pour désigner l'étendue soumise au pouvoir de commandement d'un seigneur. Aujourd'hui, il correspond aux quartiers populaires de
la périphérie des grandes villes, tout particulièrement aux ensembles bâtis après
1950. Cependant, il faut remarquer que les territoires qui correspondent, historiquement, géographiquement et administrativement, aux banlieues des grandes
villes françaises, sont d'une diversité, à la fois dans l'origine et le statut social
de leurs habitants, infi niment plus grande que la signification restrictive du mot
«banlieue»: à Paris par exemple, la banlieue qui s'est d'abord développée, dans
la première moitié du x1x" siècle, est la banlieue bourgeoise (Maisons-Laffitte, le
Vésinet ... ).
la banlieue est un espace hétérogène qui réunit des populations vivant à l'extérieur de la ville mais étroitement liées à cette dernière, souhaitant ou devant
s'excentrer. Elle constitue un espace annexe permettant l'approvisionnement de
la ville (aéroports, gares de triage, zones industrielles, zones commerciales, cent res de distribution ... ) et, dans certains cas, un lieu de détente, de loisirs. Cet
espace cristallise également aujourd'hui le malaise social : les banlieues sont perçues comme étant l'exutoire de la ville, réceptacle d'une certaine misère sociale.
la croissance urbaine et les échecs relatifs de la politique d'aménagement urbain
ont freiné les brassages sociaux permettant une intégration correcte des couches
sociales les moins favorisées. Des problèmes identitaires touchent une partie des
jeunes générations issues de l'immigration, auxquels s'ajoutent des difficultès
d'insertion.
Ces espaces semblent cumuler les handicaps: un taux de chômage élevé (entre 15
et 30 % des actifs), un échec scolaire important (35 % des élèves sortent du système scolaire sans avoir acquis de qualification), une dépendance forte aux services
sociaux, une délinquance et une toxicomanie élevées, des violences récurrentes.
Ces maux créent concrètement de véritables« zones de non droit » caractérisées
par une violence plus particulièrement tournée vers les forces de l'ordre. Concrètement, la France présente 700 quartiers sensibles, dont 400 environ connaissent
de graves problèmes de violence urbaine.
En France, les quartiers périphériques, construits pour la plupart dans les années
soixante, se sont rapidement dégradés, pour constituer les« banlieues sensibles».
l'environnement urbain a été considéré comme contribuant aux difficultés rencontrées par les populations qui y vivent . la réhabilitation voire la dest ruction
des immeubles dégradés, le renouvellement du paysage urbain, de l'organisation
spatiale des quartiers, l'amélioration de la gestion des services et des équipements (entretien des immeubles et des espaces extérieurs, gardiennage, services
urbains ... ) ont donc été explorés, de façon à améliorer les conditions de vie et de
t ransport des habitants.
En outre, plusieurs axes de la politique de la ville sont privilégiés, notamment
en France : favoriser la qualité de vie à t ravers une logique de développement
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l'essentiel de Io culture générale
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durable (rationalisation de l'espace, protection de l'environnement, optimisation
des moyens de t ransports collectifs et individuels), améliorer la solidarité sociale,
à travers un objectif de mixité introduit par le pourcentage de logements sociaux,
renforcer la cohérence de la politique urbaine à t ravers la simplification des règles
et des documents d'urbanisme, revitaliser les centres-villes à travers la réimplantation de commerces de proximité au détriment des implantations de bureaux...
le renouvellement urbain et plus largement la politique de la ville constituent
également un moyen de lutte contre la délinquance, en renforçant par exemple
la présence de proximité dans les lieux sensibles (transports collectifs, parties communes des immeubles, centres commerciaux... )...
t Quelle est l'évolution actuelle du milieu rural ?
le milieu rural, souvent agricole, se définit avant tout en opposition à la ville.
Il se caractérise par un bâti discontinu, des densités de population faibles et le
partage du sol entre sols cultivés, zones construites regroupées ou éparses, forêts,
friches ...
la ville est le lieu du pouvoir, de l'échange, du plaisir et de la culture, bien qu'elle
soit sale et de plus en plus peuplée. Avant la révolution industrielle, la France
rurale concentrait non seulement les activités agricoles, mais aussi artisanales et
pré-industrielles, soit 80 % de la population. la révolution industrielle et l'offre
d'emplois qui l'accompagne ont au contraire provoqué l'explosion de la ville et
concentré le monde rural sur les activités non agricoles. le x1X" siècle voit ainsi
apparaît re un véritable exode rural, avec un nombre de départs vers les villes
supérieures en nombre à l'accroissement nat urel des campagnes. En France, la
population rurale passe, de 1846 à 1975, de 27 à 14 millions d'habitants (soit de
74 à 27 % de la population totale).
Ces départs touchent prioritairement les jeunes ; la population des campagnes
vieillit et le nombre des agriculteurs décroît également du fait de l'augmentation
de la productivité agricole. la modernisation des t ransports permettant l'explosion des échanges interrégionaux, une spécialisation des cultures apparaît avec
les céréales sur les terres les plus fertiles, la vigne dans le bassin méditerranéen,
l'élevage laitier en Normandie.
Si la population des campagnes s'accroît à nouveau depuis 1975 en France, la population agricole continue, quant à elle, à décroître: l'agriculture ne représente
plus que 10 % des emplois ruraux. Cependant, le monde rural a gagné près de 2,2
millions d'habitants en 20 ans. Par ailleurs, un mouvement de déconcent ration
urbaine, généralisé en Europe, est apparu, suscité par des motifs économiques
(coût des logements en ville) ou sociocult urels (choix d'un autre cadre de vie :
calme, absence de pollution, espaces verts, sécurité, « retour aux traditions », ce
que l'on nomme« néoruralisation »... ). les nouvelles formes de travail, à l'instar
du télétravail, et de technologies de la communication, facilitent cette tendance.
Thème 5 • Lo ville
Par conséquent, la population des campagnes s'accroît à nouveau, alors même
que la population agricole continue à décroître (environ 4 % de la population
française actuellement ). la présence des résidents et des touristes sur ces espaces
ruraux contribue au développement d'activités économiques nouvelles et à la
création d'emplois, essentiellement dans les services. Ce mouvement ent re cependant en contradiction avec les préoccupations récentes sur la « ville durable »,
visant à économiser l'espace et donc à privilégier la densifi cation urbaine, pour
notamment accroître l'offre de logements, en limiter les coûts et rationaliser le
réseau de t ransports.
En France, dans lesf zones rurales, on constate une création d'emplois diversifi és, souvent peu quali iés, particulièrement dans le secteur des services (garde d'enfants, t ravaux ménagers, petit commerce, jardinage, bricolage ... ) et du tourisme.
Dans le secteur industriel, les industries agroalimentaires, les industries de biens
intermédiaires et la construction, sont présentes.
Dans le domaine du tertiaire, les activités de service restent encore t rès limitées
aux services à la personne, mais des activités de production de biens immatériels
se développent également : informatique, infographie, loisirs, santé ... le tourisme rural joue un rôle prééminent et en forte progression. les espaces ruraux
sont le cadre idéal pour mettre en place des modes de vie et des activités répondant positivement aux nécessités du développement durable : habitat écovert ueux, valorisation des énergies propres, agriculture responsable, adaptation des
moyens de t ransport, nouvelles formes du travail. Trois nouveaux t ypes d'activités
productives pourraient être développés: l'agrotourisme, l'exploitation des énergies vertes et le télét ravail. En outre, les ressources des énergies vertes (biomasse,
géothermie, utilisation des déchets, énergie solaire, installation de réseau de chaleur), encore sous-exploitées, sont riches en création d'emplois.
l'urbanisation constit ue un fait de civilisation, qui induit des évolutions sociales et
cult urelles profondes, pas toujours pleinement assumées: par exemple, l'identité
cult urelle de certains pays reste intimement liée au monde rural (le « terroir »en
France, le cottage au Royaume-Uni, les grands espaces de l'Ouest aux États-Unis),
alors même qu'il ne recouvre plus de véritable réalité sociologique.
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Thème
LA NATION
« Ce qui constitue une nation, ce n'est pas de parler fa même langue, ou d'appartenir à un groupe ethnographique commun, c'est d'avoir fait ensemble de
grandes choses dans le passé et de vouloir en faire encore dans l'avenir. »
« Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses constituent cette
âme. L'une est la possession en commun d'un riche legs de souvenirs, l'autre
est le consentement actuel le désir de vivre ensemble... Avoir fait de grandes
choses ensemble, vouloir en faire encore, voilà les conditions essentielles pour
faire un peuple. »
« Une nation est une grande solidarité constituée par le sentiment des sacrifices
que l'on a faits et de ceux qu'on est disposé à faire. Elfe suppose un passé; elle
se résume pourtant dans le présent par un fait tangible : le consentement, le
désir clairement exprimé de continuer fa vie commune. L'existence d'une nation
est un plébiscite de tous les jours. »(Ernest Renan, Qu'est-ce qu'une nation ?)
« Nous entendons par nation une société matériellement et moralement intégrée, à pouvoir central stable, permanent, à frontières déterminées, à relative
unité morale, mentale et culturelle des habitants qui adhérent consciemment à
l'État et à ses fois. »(Marcel Mauss. La Nation).
« La nation est un corps d'associés vivant sous une foi commune et représentés
par fa même législature. »
« Qu'est-ce que fa volonté d'une nation ? C'est le résultat des volontés individuelles, comme fa nation est l'assemblage des individus. If est impossible de
concevoir une association légitime qui n'ait pas pour objet fa sécurité commune, fa liberté commune, enfin fa chose publique. »
« De quelque manière qu'une nation veuille, if suffit qu'elle veuille: toutes les
formes sont bonnes et sa volonté est toujours fa foi suprême. »
« Si nous voulons nous former une juste idée de fa suite des fois positives qui
ne peuvent émaner que de fa volonté de fa Nation, nous voyons en première
ligne des fois constitutionnelles. Ces fois sont di tes • fondamentales» non pas
en ce qu'elles pourraient devenir indépendantes de fa souveraineté nationale,
mais parce que les corps qui existent et agissent par elles ne peuvent point y
toucher. »(Abbé Sieyès, Qu'est-ce que le Tiers-État ?)
l'essentiel de Io culture générale
-
1.
Définitions
Envisager le sujet de la nation et du nationalisme peut prêter à interrogation tant
les débats suscités par ces thèmes paraissent datés. l'heure semble davantage à la
promotion du cosmopolitisme, de la prise en charge globale de problématiques
mondiales : développement durable, menace terroriste, menace nucléaire ... la
gouvernance mondiale, qui s'incarne dans les institutions internationales et dans
l'ensemble des acteurs mondiaux (entreprises internationales, associations, organisations gouvernementales ou non gouvernementales, fonds de pension, mais
aussi fondations privées comme celle des époux Gates) semble rendre obsolète les
_ . . . . velléités nationalistes, voire les irrédentismes locaux.
Ét ymologiquement, «nation »provient du latin « nascor » qui signifie « naît re ».
la nation peut se définir comme une unité communautaire et politique partageant un même territoire et une même autorité. Cette définition a donné lieu à
deux conceptions de la nation qui se sont affrontées : l'une percevant la nation
comme la réunion des individus qui choisissent de la composer, l'autre considérant la nation comme une entité organique résultant de la combinaison de différents paramèt res. Plus précisément :
- une conception « objective », qu'incarnait notamment l'Allemagne, dont l'un
des représentants est Johann Gottlieb Fichte (Discours à la nation allemande,
1807-1808), selon laquelle une nation doit avoir des caractéristiques objectives différenciatrices telles que la langue, la religion, la culture, l'histoire. Cette
conception appuie une appartenance nationale fondée sur le« droit du sang »,
qui est donc fermée aux allogènes. Depuis peu, le « droit du sol » a cependant
été introduit en Allemagne, notamment pour permettre une meilleure intégration des descendants d'immigrés;
- une conception « subjective », qu'incarnait notamment la France, dont l'un
des représentants est Ernest Renan, selon laquelle la nation découle d'un acte
d'autodéfi nition à travers la manifestation d'une volonté de« vivre ensemble».
Cette conception appuie au contraire une appartenance nationale fondée sur
le « droit du sol », dans laquelle une personne devient facilement membre
d'une nation au nom du lieu où elle est née, où elle vit et dont elle partage le
destin.
Ernest Renan, dans son ouvrage Qu'est-ce qu'une nation ? (1882), a donné une
définition bien connue en indiquant que la nation résultait d'un passé commun
et d'une volonté de vivre ensemble : « Une nation est une ame, un principe spirituel (...) C'est l'aboutissement d'un long passé d'efforts, de sacrifices et de dévouements. Avoir des gloires communes dans le passé, une volonté commune
dans le présent, avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore,
voilà les conditions essentielles pour être un peuple ».
Thème 6 • Lo notion
« L'esprit donne l'idée d'une nation, mais ce qui fait sa force sentimentale, c'est
la communauté de rêve », notait André Malraux (La tentation de l'Occident).
Benedict Anderson, dans son livre L'imaginaire national : Réflexions sur l'origine
et l'essor du nationalisme, voyait également dans la nation une « communauté
imaginée». la nation n'est donc pas un phénomène empirique, observable; elle
ne se révèle que par les sentiments qu'on lui porte, les attitudes qu'elle suscite.
Avant la révolution française, le terme « nation » était essentiellement utilisé
dans le sens actuel de «peuple». Dans la Bible, la nation désigne en effet les peuples infidèles et idolât res, par opposition aux chrétiens ou aux juifs. la révolution
f rança.ise a audcont raire ,donné au term·e· une dconnotat ionf politiqule dDoém inante : c1arat1on
1a nation est evenue 1expression po11t1que u peup1e rança1S. a
des Droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 prévoit, dans son article 3 :
« Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul
corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément».
la nation moderne est un corps politique correspondant à une communauté de
cult ure. les cultures nationales qui permettent aujourd'hui aux individus vivant
dans un même État d'avoir des références identitaires communes et très fortes,
ont été construites à travers l'infl uence des intellectuels, artistes, savants, écrivains, pédagogues de l'Europe du x1X" siècle. les identités nationales européennes
élaborées depuis deux siècles apparaissent comme les variantes d'un modèle commun, comprenant : des ancêt res fondateurs, une histoire multi-séculaire continue, des héros qui sont des exemples de civisme et de morale, une langue spècifique, des œuvres culturelles remarquables (en littérature, peint ure, musique), des
monuments historiques et des lieux de mémoire, des t raditions populaires, des
paysages emblématiques. l'âge des nations est aussi celui de la Révolution indust rielle et de l'expansion capitaliste, marquées par la standardisation des échanges
et de la production.
-
2.
Problématiques
t Quelles sont les origines du nationalisme ?
le terme de nation a donné naissance au nationalisme. Historiquement, le terme
de « nationalist » apparaît en Angleterre en 1715 pour dénoncer les excès du
patriotisme jacobin. Dans une acception plus moderne, le nationalisme pourrait
êt re défini comme une doctrine politique partagée par des groupes d'individus
prônant la souveraineté de l'État-nation fondé sur l'unité et hnique/linguistique
et/ou politique du groupe considéré.
C'est pourquoi il n'y a pas un nationalisme, mais des nationalismes qui peuvent
tout aussi bien prendre la forme de mouvements structurés que rester de simples
l'essentiel de Io culture générale
-
sentiments diffus et dépourvus d'organisation politique. Concrètement, le nationalisme présente donc plusieurs visages. On citera par exemple le nationalisme
« traditionnel, historique», qui est à l'origine d'un État-nation, à l'instar du mouvement nationaliste en Europe au x1x• siècle ou bien le nationalisme « idéologique» de type démocratique, socialiste ... On peut également évoquer le« séparatisme » des peuples dont les États ne sont pas souverains (Québécois, Écossais ... ),
ou bien le« régionalisme» (Corses, Bretons, Basques... ) des peuples qui réclament
l'autonomie, voire l'indépendance politique et administrative. Enfin, le nationalisme« impérialiste», niant l'existence d'aut res nations et leur droit à l'autodétermination, s'est particulièrement manifesté lors de la colonisation. De même, au
contraire, le nationalisme « indépendantiste »pendant la décolonisation.
Quel que soit son fondement, le nationalisme se construit autour de plusieurs
éléments fondamentaux : la souveraineté, l'unité, le passé historique et la prétention à l'universalité. le nationalisme entend également défendre une identité
nationale, ce qui suppose d'imaginer une agression extérieure. Par exemple, le
nationalisme français sous Pétain était antisémite. Opposé au cosmopolitisme, le
nationalisme se manifeste ainsi au t ravers d'une exaltation exacerbée du sentiment national souvent accompagnée de xénophobie et d'une volonté d'isolement. li s'oppose également à l'universalisme (doctrine affi rmant l'unité fondamentale et nat urelle du genre humain, par-delà toutes les différences biologiques
et culturelles, qui implique d'envisager l'appréhension des enjeux communs à
l'ensemble de l'humanité au niveau mondial et de déterminer ainsi des exigences
et des valeurs universelles). le nationalisme implique enfin une subordination de
la politique intérieure au développement de la puissance nationale et le droit
d'affi rmer à l'extérieur cette puissance sans limitation de souveraineté.
le nationalisme constitue en outre une véritable« valeur-refuge». la constitution
de partis se réclamant du nationalisme a lieu d'ordinaire lors de crises politiques
et morales : par exemple en France après la défaite de 1870, ou en Allemagne
après la défaite de la première guerre mondiale. le nationalisme naît également
de la désaffection populaire vis-à-vis des élites, notamment le personnel politique : on pensera au succès du boulangisme en 1889. le nationalisme cristallise
les peurs, les haines, les dénonciations de corruption. li constitue un mouvement
d'exclusion, d'ostracisme. On songera à l'affaire Dreyfus en 1894, utilisation des
juifs comme bouc émissaire de la nation.
le nationalisme se distingue du pat riotisme, dans la mesure où ce dernier peut se
définir comme un sentiment d'appartenance à un pays, qui renforce l'unité selon
des valeurs communes. le nationalisme s'inscrit dans une dynamique d'expansion nationale, au contraire du patriotisme. la nation s'appuie sur un imaginaire
collectif, des valeurs communes, des célébrations, des rites. Elle se construit en
particulier à partir d'événements fondateurs, contrairement à la pat rie dont les
racines échappent à une chronologie réelle, une datation précise.
Thème 6 • Lo notion
les liens ent re nationalisme et nation sont diversement appréciés selon que l'on
considère que le nationalisme est une idéologie qui unifi e la nation ou que l'on estime que la nation est un phénomène historique moderne et qu'elle est la source
du nationalisme (positions d'E. Gellner (1983) et B. Anderson (1991 )). les vecteurs
utilisés par les nationalistes pour renforcer la nation sont notamment : la guerre
(avec identification d'un ennemi extérieur), le populisme, l'endoctrinement de
la population (à t ravers la mobilisation du système scolaire, du service militaire,
de l'administration et des symboles tels que le drapeau tricolore, le chant national. les traditions, le mythe des « frontières naturelles » de la nation ... ). Cependant, les fondements culturels évoqués peuvent paradoxalement provoquer des
divisions latentes particulièrement nuisibles dans les États nouvellement créés ou post-coloniaux : surenchère religieuse, conflits ethniques, exclusion de certains
groupes d'individus n'appartenant pas à la nation telle qu'imaginée ... Ainsi, le
nationalisme ne crée pas une nation à lui seul. Cette création nécessite également
que la communauté politique qui s'identifie à son nat ionalisme se dote d'un espace public efficace.
le nationalisme économique est également souvent évoqué, en lien avec les progrès
de la mondialisation. les États mettent en effet en place des dispositifs permettant
de protéger les secteurs économiques considérés comme vitaux (l'aviation,
l'automobile, les télécommunications, les équipements et matériel militaires,
l'énergie, l'assurance, le secteur bancaire ... ). le « pat riotisme économique » a
notamment été évoqué par le Premier ministre français, Dominique de Villepin
en 2005.
Enfin, actuellement, la notion de post-nationalisme a intégré les débats. le postnationalisme correspond au déclin du pouvoir des États-nations au profit d'identités supra-nationales ou d'autres formes de gouvernance mondiale. Toutefois,
une construction supra-nationale ne signifi e pas pour autant la disparition des
nationalismes. D'une part, ceux-ci restent vivaces à un niveau local; d'autre part,
la construction communautaire s'accompagne de tentatives de déplacer les sentiments nationaux vers une nation plus vaste: depuis le Sommet de fontainebleau
de 1984, la Communauté européenne s'est ainsi efforcée de construire une identité européenne avec des symboles: drapeau, hymne, passeport ... l'instauration
de la citoyenneté européenne procédait également de cette volonté. la mondialisation ne signifie pas la fin des nationalismes mais entraîne une crise de l'identité (liée à l'absence d'ennemi identifiable, de références historiques communes
suffi samment fédératrices) et une perte de souveraineté étatique et la nécessité
d'arriver à s'insérer dans un périmètre plus large.
l'essentiel de Io culture générale
t L' État et la nation ont-ils divorcé ?
la correspondance ent re nation et État n'est pas systématique. Bien que cela
reste exceptionnel, il existe des nations qui se partagent entre plusieurs États :
par exemple la nation kurde, dont l'aire géographique s'étend sur le territoire
de la Turquie, de l'Irak et de la Syrie. Il existe également des populations se
revendiquant majoritairement en tant que nation, qui ne disposent pas d'État
qui leur soit propre, par exemple : les Alsaciens, les Basques, les Écossais, les
Québécois, les Acadiens, les Bretons, les Flamands, les Wallons et les Catalans ...
l'évolution démocratique a, cependant, dans les pays démocratiques en tout cas,
favorisé une autonC?mie politique importante de ces communautés, voire favorisé
une constitution d'Etats fédérés.
-
Par ailleurs, la crise de la citoyenneté, notamment liée aux travers de l'individualisme démocratique que dénonçait Tocqueville dans De la démocratie en Amérique, a ent raîné une dissociation de l'État et de la nation, la seconde ne s'inté·
grant plus dans le premier. la notion d'appartenance collective a notamment été
remise en cause au t ravers des débats sur l'identité nationale. la remise en cause
du droit de vote accordé aux seuls ressortissants d'un pays constitue une illustration de cette perte de corrélation entre nation et Ét at.
la valorisation actuelle de la diversité, qui s'inscrit dans la volonté de renforcer
l'intégration des minorités, lutte contre le délitement de cette identité collective. Cependant, l'État n'apparaît plus comme une tribune de manifestation de
l'appartenance à la nation, mais comme un niveau d'intervention t ransversal, un
instrument disposant de moyens qu'il met à disposition des citoyens. la nation
garde au contraire sa puissance légitimat rice et effective.
On peut cependant s'interroger sur le fait de savoir si le concept de nation ne t raverse pas une crise : l'humanisme qui se diffuse progressivement, en particulier au
sein des sociétés démocratiques, pourrait ne pas être compatible avec la défense
de la nation. En effet, les actes de violence accomplis au nom de la défense ou
de la promotion des intérêts de la nation ne sont pas en accord avec une vision
universelle des droits de l'homme.
la mondialisation, dans l'ensemble de ses aspects (culturel, économique, informationnel ... ) questionne également la pertinence de la nation en tant qu'entité
communautaire. l'effacement de la nation pourrait faire craindre le retour d'une
« t ribalisation » des peuples, ces derniers préférant à une nation dissociée d'un
cadre étatique, une appartenance de proximité, par exemple régionale. les effets
additionnés de la mondialisation et du vieillissement démographique voient en
effet se développer un pat riotisme culturel « du terroir ». En outre, les minorités étrangères créent de nouvelles solidarités communautaires. les phénomènes
migratoires qu'elle génère attisent les sentiments nationaux des communautés
d'accueil, provoquant parfois des réactions nationalistes, tout aussi fortes. les mi-
Thème 6 • Lo notion
grations de population et la constit ution progressive de diasporas bouleversent
le sentiment national et ses revendications, ces dernières devenant de plus en
plus t ransnationales. Ainsi, le nationalisme deviendrait plus « ouvert » et serait
porté par des communautés expatriées qui ne verraient leur départ que comme
temporaire.
l'Union européenne semble t ranscender les nationalismes mais les renforce paradoxalement en participant à l'affaiblissement des États. l'Europe n'a pas remplacé la charge émotionnelle liée à la nation : le sentiment « d'être européen »
est encore faible. Par ailleurs, le poids politique des régions a été accent ué dans
l'Union européenne, à t ravers une vision européenne valorisant les projets de
démocratie locale ou de démocratie participative. Ainsi, les« nationalismes régionaux » se sont développés.
De manière plus générale, les débats récurrents sur un éventuel « retour des
nations » jettent un doute sur l'étendue de l'évolution liée à l'affaiblissement
de l'État-nation. Il est vrai que l'écroulement de l'URSS et la mondialisation ont
favorisé l'émergence d'organisations régionales, qui ne portent pas réellement
d'affects nationaux. Au cont raire, le multiculturalisme et le cosmopolitisme ont
paradoxalement suscité un désir de repli infranational qui se traduit par l'affi rmation de« nationalismes locaux ». le succès d'un fi lm comme« Bienvenue chez
les chtis » pourrait en constituer un exemple. Par ailleurs, les manifestations de
violence, notamment terroristes (basque, corse ... ), mont rent que le concept de
nation porte encore des fantasmes.
Par ailleurs, l'Union européenne est confrontée à la résurgence des nationalismes
en Europe de l'Est . Après la désintégration de l'URSS en 1991 , les nationalismes
ont ressurgi pour aménager les États-nations ou pour réagir, comme en Russie, au
sentiment de honte provoqué par le déclin du pays. En fort essor, le nationalisme
russe correspond à un repli sur soi, xénophobe et raciste, face à l'immigration,
avec une valorisation des symboles du passé tsariste, ainsi qu'un retour à la t radition et à la religion orthodoxe. Il correspond également à une volonté de puissance sur les voisins proches. De manière générale, on retrouve au xx1• siècle le fait
que chaque État comprend une opinion publique qui voudrait libérer des compat riotes résidant dans d'autres États ou récupérer des territoires perdus. Ainsi les
Serbes et les Albanais se disputent-ils le Kosovo, les Hongrois et les Roumains la
Transylvanie, les Polonais et les Ukrainiens la Galicie ...
-
l'essentiel de Io culture générale
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-
Th.me l
L'EDUCATION
« Les lois et /es morales sont essentiellement éducatrices, et par cela même provisoires. Toute éducation bien entendue tend à pouvoir se passer d'elles. Toute
éducation tend à se nier d'elle-même. Les lois et /es morales sont pour l'état
d'enfance : /'éducation est une émancipation. Une cité, un État parfaitement
sage vivrait, jugerait sans lois, les normes étant dans l'esprit de son aréopage.
L'homme sage vit sans morale, selon sa sagesse. Nous devons essayer d'arriver à
/'immoralité supérieure.» (André Gide, Journal 1889-1939).
« L'éducation ne se borne pas à l'enfance et à /'adolescence. L'enseignement
ne se limite pas à l'école. Toute la vie, notre milieu est notre éducation, et un
éducateur à la fois sévère et dangereux. »(Paul Valery, Variété 11n.
« Il nous faut dorénavant une éducation personnelle, et non pas une attitude
morale inculquée. »(Max Stiner, Le faux principe de notre éducation).
-
1.
Définitions
l'éducation pourrait être défi nie comme l'ensemble des moyens d'apprentissage
permettant le développement des facultés personnelles, physiques, morales et intellectuelles d'un êt re humain. Ét ymologiquement, « éduquer» provient du latin
« educare », (ex-ducere: prendre soin de, aider à croît re à s'élever). l'éducation
implique donc une visée d'accomplissement, de réalisation personnelle, notamment à t ravers l'intégration réussie au sein d'une société, d'un environnement .
l'éducation se distingue de l'instruction, la seconde ne représentant qu'une partie de la première. l'instruction se réalise à travers l'enseignement et consiste
à t ransmettre des connaissances, des savoirs ainsi que des savoir-faire, à travers
différentes mét hodes d'apprentissage et la mobilisation de supports (livre, démonstration empirique ... ). l'instruction correspond à la formation de l'individu,
en d'autres termes sa capacité à savoir faire face aux situations auxquelles il sera
confronté en sollicitant les matériaux nécessaires à sa réfl exion et à son action.
Enseigner est donc éduquer, mais éduquer n'est pas forcément enseigner.
Selon Condorcet (Les grands principes de l'instruction publique) : « Offrir à tous
les individus de l'espèce humaine les moyens de pourvoir à leurs besoins, d'assurer leur bien-être, de connaître et d'exercer leurs droits, d'entendre et de remplir
leurs devoirs. Assurer à chacun la facilité de perfectionner son industrie, de se
rendre capable des fonctions sociales auxquelles il a le droit d'être appelé, de développer toute l'étendue des talents qu'il a reçus de la nature; et par-là, établir
entre les citoyens une égalité de fait et rendre réelle l'égalité politique reconnue
l'essentiel de Io culture générale
par la loi. Tel doit être le premier but d'une instruction nationale » (Rapport sur
l'instruction publique présenté à l'Assemblée nationale législative les 20 et 21
avril 1792).
la front ière entre éducation et instruction est donc poreuse. Montesquieu notait d'ailleurs que : « aujourd'hui nous recevons trois éducations différentes ou
contraires : celles de nos pères, celles de nos maîtres, celle du monde. Ce qu'on
nous dit dans la dernière renverse toutes les idées des premières ». l'efficacité
de l'éducation, en d'autres termes la capacité individuelle à assimiler le cont enu
t ransmis, est not amment liée à la pédagogie.
-
Selon la convention inte~nationale des droits de l'enfant de 1989, l'éducat ion est
un droit garanti par les Etats. les articles 28 et 29 prévoient :
A rtide28
1. Les États parties reconnaissent le droit de l'enfant à l'éducation, et en particulier, en vue d'assurer l'exercice de ce droit progressivement et sur la base de
l'égalité des chances :
a) Ils rendent l'enseignement primaire obligatoire et gratuit pour tous;
b) Ils encouragent l'organisation de différentes formes d'enseignement secondaire, tant général que professionnel, les rendent ouvertes et accessibles à tout
enfant, et prennent des mesures appropriées telles que l'instauration de la gratuité de l'enseignement et l'offre d'une aide financière en cas de besoin;
c) Ils assurent à tous l'accès à l'enseignement supérieur, en fonction des capacités
de chacun, par tous les moyens appropriés;
d) Ils rendent ouvertes et accessibles à tout enfant l'information et l'orientation
scolaires et professionnelles;
e) Ils prennent des mesures pour encourager la régularité de la fréquentation
scolaire et la réduction des taux d'abandon scolaire.
2. Les États parties prennent toutes les mesures appropriées pour veiller à ce que
la discipline scolaire soit appliquée d'une manière compatible avec la dignité de
l'enfant en tant qu'être humain et conformément à la présente Convention.
3. Les États parties favorisent et encouragent la coopération internationale dans
le domaine de l'éducation, en vue notamment de contribuer à éliminer l'ignorance et l'analphabétisme dans le monde et de faciliter l'accès aux connaissances scientifiques et techniques et aux méthodes d'enseignement modernes. À cet
égard, il est tenu particulièrement compte des besoins des pays en développement.
Thème 7 • L'éduca tion
Artide29
1. Les États parties conviennent que l'éducation de l'enfant doit viser à :
a) Favoriser l'épanouissement de la personnalité de l'enfant et le développement
de ses dons et de ses aptitudes mentales et physiques, dans toute la mesure de
leurs potentialités;
b) Inculquer à l'enfant le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et des principes consacrés dans la Charte des Nations Unies;
c) Inculquer à l'enfant le respect de ses parents, de son identité, de sa langue et
de ses valeurs culturelles, ainsi que le respect des valeurs nationales du pays dans
lequel il vit, du pays duquel il peut être originaire et des civilisations différentes de la sienne;
d) Préparer l'enfant à assumer les responsabilités de la vie dans une société libre,
dans un esprit de compréhension, de paix, de tolérance, d'égalité entre les sex es
et d'amitié entre tous les peuples et groupes ethniques, nationaux et religieux, et
avec les personnes d'origine autochtone;
e) Inculquer à l'enfant le respect du milieu naturel.
( .. .).
les objectifs aussi louables qu'ambitieux du texte montrent qu'un lien direct est
effectué entre l'instruction et l'éducation. la connaissance et l'apprentissage participent de l'éducation de l'enfant au sens où ils permettront son intégration
sociale. Par ailleurs, l'éducation est appréhendée dans sa cont ribution au développement et à l'accomplissement de l'individu, ainsi qu'à son bonheur.
l'institution scolaire instruit autant qu'elle éduque. En effet, les savoirs transmis
ne constituent pas son seul apport puisqu'elle permet à l'individu d'apprendre la
discipline corporelle (nécessité de rester assis pendant des heures et d'attendre la
récréation pour déployer son énergie), la nécessité de vivre en communauté, de
composer avec des règles, une autorité ... l'école constituerait ainsi un pont vers
le statut de citoyen : le développement de cours d'éducation civique constitue
une manifestation de cette volonté. les tentations de t ransférer à l'institution
scolaire un rôle éducatif plus important, en tant que palliatif des carences de
l'éducation des parents, reviennent donc souvent dans les débats publics et les
discours répressifs.
l'essentiel de Io culture générale
-
2.
Problématiques
t Comment le système éducatif français s'est-il construit ?
le système éducatif s'est bâti sur plusieurs principes pédagogiques d'ordre et de
méthode. Plus précisément, il est basé sur le discours magistral, la valorisation de
la mise en ordre des connaissances, la mét hode dans la progression des acquis, la
justification des connaissances transmises et la résolution des questions. la relation pédagogique traditionnelle est une relation d'autorité.
-
~
Jusqu'à la Révolution française, l'éducation relevait de l'Église, qui gardait ainsi
une emprise intellectuelle et morale sur les jeunes générations. l'Université est
d'ailleurs une instit ution d'origine papale, apparue en France au x111• siècle. le mot
«Université» provient du latin« Universitas »,qui signifi e« qui forme un tout ».
Destinée à placer la vie intellectuelle sous le magistère ecclésiastique, l'Université s'est progressivement ouverte à d'autres enseignements, notamment sous la
pression des étudiants et de la bourgeoisie. les activités commerciales de cette
dernière l'ont incité à demander des savoirs tournés vers ses nouveaux besoins
(en fi nance notamment). les enseignements des sciences et techniques se sont
ensuite développés au xx• siècle.
le pouvoir monarchique va imposer à l'institution religieuse de créer des écoles.
Sous Napoléon, l'école est chargée d'une mission de réconciliation et placée à ce
titre sous la tutelle étroite de l'État. Napoléon crée les lycées publics et l'Université reçoit le monopole de l'instruction à travers la loi du 10 mai 1806.
la diffusion de l'instruction est donc récente: les lois de Jules Ferry, rendant l'école grat uite, laïque et obligatoire jusqu'à 13 ans datent de 1881-1882. En 1883
est instituée la liberté d'enseignement qui fait de la concurrence entre «l'école
publique» et « l'école privée »l'un des moteurs du développement de l'éducation en France. la scolarité obligatoire jusqu'à 16 ans date d'une ordonnance de
janvier 1959.
t Qu'est-ce que l'enseignement ?
le verbe« enseigner» date de la fin du x1• siècle et provient du latin classique «insignire »qui signifi e« signaler». Dans les civilisations anciennes, l'enseignement
était réservé à une caste privilégiée et souvent l'apanage du clergé. En Égypte,
les architectes et les scribes constituaient une élite ; de même en Chine avec les
mandarins ou en Inde avec la caste des brahmanes.
À la différence de l'éducation, qui a pour objet le développement des capacités
de l'enfant mais également la t ransmission d'usages sociaux, l'enseignement se
limite à transmettre des connaissances ou des savoir-faire. Par conséquent, l'enseignement est intimement lié à la vie des hommes en société. l'invention de
l'écrit ure a permis la mise en place d'un enseignement organisé.
Thème 7 • L'éduca tion
Néanmoins, on constate que l'enseignement, tel qu'il est prodigué dans le cadre
des instit utions pédagogiques, vise en fait aussi à former le jugement, la sensibilité, à susciter la curiosité intellectuelle, l'envie d'apprendre, de découvrir et plus
encore à créer les fondements de ce qui constituera le comportement d'un citoyen
éclairé. l'enseignement rejoint donc partiellement l'éducation dans ses fi nalités.
les méthodes d'enseignement sont variées et font l'objet de débats sans fin : on
peut considérer que l'enseignement idéal pourrait êt re individuel (un élève face à
l'enseignant, à l'instar de L'Émile de Rousseau), ou bien au contraire, que l'enseignement au sein d'une classe (à un nombre limité d'élèves), favoriserait l'échange
et l'émulation.
Pourtant, l'enseignement a d'autant plus de difficultés à évoluer que les enseignants eux-mêmes sont issus dans la plupart des cas des catégories sociales déjà
fortement instruites et donc à l'aise avec le mode scolaire t raditionnel proposé,
qu'@lles auront t@ndanc@ à r@produir@ : I@ systèm@ d'@ns@ign@m@nt t@nd donc à
perpét uer un conservatisme politique et social en faveur de la classe dirigeante
de la société à laquelle il appartient .
t Quelles sont les différentes crises traversées par l' institution
scolaire?
Plusieurs crises du modèle t raditionnel de l'école peuvent être identifi ées, qui nécessitent une adaptation de cette dernière, déjà entamée: une crise de l'autorité
des enseignants tout d'abord. la fi gure autoritaire, «sacralisée» de l'instit uteur
de la Ille République est radicalement différente de celle de l'instituteur actuel,
souvent surdiplômé, exerçant son métier par vocation, et conscient des difficultés qui l'attendent lorsqu'il embrasse la profession. la fonction ne porte plus de
charisme particulier ; au contraire, l'instituteur doit remplir des objectifs précis,
dans une logique de résultats. l'instituteur n'est plus légitime parce qu'il incarne
a priori la raison, mais parce qu'il est capable d'êt re respecté par les élèves, en les
faisant progresser.
Parallèlement, l'élève n'est plus considéré comme un consommateur passif, comme un simple « auditoire » mais bien comme un acteur de sa propre formation.
les modes d'apprentissage par l'expérience sont ainsi privilégiés. l'autonomie de
l'élève est favorisée: il devient un véritable sujet, au-delà d'être un simple destinataire de l'enseignement. l'enfant, avec sa personnalité, est donc placé au cent re de la pédagogie, qui réconcilie désormais enfant et élève.
Enfin, les parents sont de plus en plus associés au milieu scolaire, alors qu'ils en
étaient traditionnellement exclus, sauf à êt re périodiquement réunis pour recevoir quelques informations collectives et une évaluation de leurs enfants. Depuis
la loi d'orientation sur l'éducation du 10 juillet 1989, les parents sont considérés comme « membres à part entière de la communauté éducative ». l'école se
-
l'essentiel de Io culture générale
présente de moins en moins comme un champ d'experts de l'instruction, fermé
aux infl uences externes. la frontière entre l'éducation, confiée aux parents, et
l'instruction, dont les enseignants sont chargés, est devenue poreuse, d'où une
interaction plus importante entre les différents acteurs du développement de
l'enfant . On parle d'ailleurs désormais de« vie scolaire», soulignant ainsi les liens
existant ent re professeurs, parents d'élèves et instit utions sanitaires et sociales.
t Quelle est l'évolution prévisible du rôle de l'école ?
-
l'institution scolaire doit s'interroger sur l'évolution de son rôle. Doit-elle limiter
ses velléités d'ouverture pour mieux se faire gardienne de la philosophie républicaine, de valeurs humanistes d'acquisition des savoirs, du développement d'une
cult ure générale de citoyen ouvert sur le monde ? Ou bien doit-elle prioritairement se concentrer sur la nécessité de devenir une véritable antichambre préparatoire à la vie professionnelle ? Ces questions déterminent à la fois les matières
à enseigner (le grec, le latin, la philosophie, l'histoire n'apporteront pas directement une compétence facilement mobilisable en ent reprise) et les modes d'enseignement (la découverte empirique, par la pratique, permet d'être opérationnel
plus rapidement que le simple fait d'accumuler des connaissances).
Il est en effet de plus en plus demandé aux enseignements de répondre à des besoins précis du monde professionnel tout en permettant aux enfants de s'intégrer
correctement dans la Cité politique. l'école devrait ainsi prendre en compte dans
ses programmes les besoins à court terme de l'économie ainsi que les évolutions
sociologiques. Il est vrai qu'un rapport d'août 2007 rédigé par le Haut Conseil de
!'Éducation inquiète sur la capacité de l'institution scolaire à s'adapter puisqu'il
constate que les réformes successives qu'elle a connues n'ont pas eu de réel effet
sur le niveau d'échec scolaire. l'école républicaine serait donc en crise, car elle ne
serait pas en mesure de préparer l'enfant à la vie active, dépassée par la crise plus
profonde de l'autorité, incapable de trouver un équilibre ent re préservation des
t raditions et adaptation au contexte économique et social.
Un autre débat conditionnant l'avenir de l'école porte évidemment sur la restauration de l'autorité des professeurs sur les élèves et sur le respect de l'enseignant .
l'actualité relate nombre d'agressions de professeurs par des élèves et/ou parents
d'élèves. les causes évoquées sont multiples, probablement ét roitement liées :
crise économique, renoncement des parents, montées des communautarismes,
sélection insuffi sante ...
le niveau moyen des élèves fait également l'objet de débats incessants, au point
qu'ils en perdent parfois leur force. On constate notamment la fin d'un certain
consensus sur la crise de l'école quant à ses résultats négatifs. Déjà, dans les années
1930, il était affi rmé qu'« au baccalauréat, la participation d'un trop grand nombre de candidats médiocres a pour résultat d'abaisser le niveau des examens ».
Or, ce discours est toujours utilisé malgré l'amélioration des taux de réussite, cer-
Thème 7 • L'éduca tion
tes également commentés comme étant représentatifs d'une baisse de niveau de
l'examen lui-même: la loi du 10 juillet 1989 d'orientation sur l'éducation a notamment fixé l'objectif de 80 % d'une classe d'âge au bac. li est donc possible de noter
que la relation établie entre l'obtention d'un diplôme et l'intégration professionnelle et sociale est encore vive, ce qui explique l'inflation des diplômés actuels.
l'institution scolaire doit relever plusieurs défis : elle doit tout d'abord rapprocher
l'instruction et l'éducation, afi n de t ransmettre aux mieux les comportements nécessaires en société. Un t ravail important devra ensuite être effectué pour favoriser l'égalité des enfants devant l'école, en améliorant l'accueil des enfants
défavorisés ou handicapés ainsi que l'accompagnement scolaire des enfants en diffi culté. les processus accompagnant les choix d'orientation devront également ~
êt re améliorés, à travers une meilleure information sur les fi lières et les mètiers
et davantage de liens avec le monde professionnel. l'enseignement professionnel
devra être revalorisé en soulignant davantage les débouchés de ces fi lières. Enfin,
lés résultats dés récéntéS initiativéS dé Cértàinés écoléS signant dés pàrténàriàts
privilégiés avec des zones d'éducation prioritaires (ZEP), comme l'Instit ut d'Études
Politiques de Paris, qui consiste à discriminer positivement certains jeunes issus de
catégories sociales défavorisées, devront êt re analysés pour en examiner l'opport unité et l'effi cacité.
t Quelles sont les perspectives de l'éducation dans le monde ?
l'obtention d'un diplôme du deuxième cycle du secondaire est presque devenue
la norme dans la plupart des pays de l'OCDE. Pour faire face à l'accroissement
des effectifs et à l'augmentation des ressources nécessaires aux établissements,
les dépenses publiques ont augmenté significativement au cours de ces dix dernières années. l'évaluation des investissements dans le domaine de l'éducation
au regard des résultats des élèves montre que le volume de dépenses n'assure
pas systématiquement la réussite des élèves. D'autres facteurs sont à prendre en
considération : organisation de l'enseignement, cadre d'apprentissage, qualité
des enseignants, origine sociocult urelle des élèves.
Dans 22 des 30 pays de l'OCDE, on compte plus de 70 % de diplômés du deuxième
cycle de l'enseignement secondaire dans la population ayant l'âge d'obtention de
ce diplôme. Cette proportion est égale ou supérieur à 90 % en Allemagne, Corée,
Finlande, Grèce, Islande, Norvège et Japon. les taux d'obtention d'un diplôme
de fi n d'études secondaires chez les femmes sont supérieurs à ceux des hommes
notamment dans la fi lière générale (53 % des femmes et 41 % des hommes).
Entre 1995 et 2000, de nombreux pays ont réformé leur système d'enseignement
supérieur de manière à améliorer les taux d'accès et d'obtention d'un diplôme.
le taux d'accès à l'enseignement supérieur a fortement progressé durant les 15
dernières années dans la quasi-totalité des pays de l'OCDE. les femmes qui représentent 54 % des nouveaux inscrits dans l'enseignement supérieur sont largement présentes dans deux domaines d'études : la santé et le secteur social
l'essentiel de Io culture générale
-
d'une part (75 %), les lettres, les sciences humaines, l'éducation et les arts (68 %)
d'autre part. leur proportion est en dessous de 35 % pour les ét udes en sciences.
l'accessibilité à l'enseignement supérieur en fonction de la catégorie socioprofessionnelle des parents varie beaucoup d'un pays à l'autre. Cependant, dans de
nombreux pays, un jeune est beaucoup plus susceptible de démarrer une formation de l'enseignement supérieur lorsque son propre père est lui-même titulaire
d'un diplôme de ce niveau. !.'.Espagne et l'Irlande sont les deux pays où règne la
plus grande égalité d'accès à l'enseignement supérieur. En Allemagne, Aut riche,
France, Portugal, les jeunes dont le père exerce une activité manuelle ont moitié
moins de chance de faire des ét udes supérieures que ne le laisse supposer leur
proportion dans la population.
Des dépenses élevées ne se traduisent pas nécessairement par un bon rendement du système d'éducation. la Corée et la République tchèque dépensent par
élève jusqu'à l'âge de 15 ans respectivement la moitié et le tiers environ de ce
que dépensent les États-Unis. Pourtant ces deux pays figurent parmi les dix premiers pays en tête du classement de performance établi sur la base des épreuves
de sciences administrées aux élèves de 15 ans lors du cycle PISA 2006, alors que
les États-Unis comptent au nombre des pays qui se situent sous la moyenne de
l'OCDE. De même l'Espagne et les États-Unis sont proches dans le classement de
performance, mais l'Espagne ne dépense que 61 860 USD par élève jusqu'à l'âge
de 15 ans alors que les États-Unis dépensent 95 600 USD.
la deuxième constatation est que, à partir de systèmes d'éducation semblables,
les pays n'obtiennent pas des rendements scolaires semblables. D'autres facteurs
influent sur la relation entre la dépense et la performance des élèves et doivent
êt re pris en compte dans les politiques éducatives. Il s'agit de l'organisation et de
la gestion de l'enseignement (hiérarchisation de la gestion et répartition des pouvoirs de décision, dispersion géographique de la population), de l'organisation du
cadre d'apprentissage des élèves (taille des classes, et nombre d'heures de cours
des élèves), de la qualité du corps enseignant et des profils des élèves (facteur
socio-économique).
Références bibliographiques
+
ARENDT
(H.), La crise de la culture, huit exercices de pensée politique,
1968.
+
+
+
•
BouR01Eu (P.), PASSERON (J.-C.),
Les Héritiers. Les Étudiants et la culture,
1964 ; La Représentation. Éléments d'une théorie du système d'enseignement, 1970.
DuRKHEIM (É.), L'éducation pédagogique en France, 1938.
MAuR1N (É.), La nouvelle question scolaire. Les bénéfices de la démocratisation, 2007 .
ROUSSEAU (J.-J.), Émile ou De l'éducation, 1762.
Thème
_
__.
LE TRAVAIL
« Le travail écrasant qui rapproche l'homme de la brute, le salaire insuffisant
qui décourage et fait chercher l'oubli, achève d'emplir les cabarets et les maisons de tolérance. Oui, le peuple est ainsi, mais parce que la société le veut
bien.» (Émile Zola, L'Assommoir)
-
1.
Définitions
Ét ymologiquement, le terme est indissociable de la souffrance, puisqu'il proviendrait du mot latin « t ripalium », qui était un inst rument de tort ure utilisé dans la
Rome antique. Son sens n'aurait évolué qu'au xv' siècle, pour devenir l'ensemble
des activités humaines coordonnées destinées à produire ou contribuer à produire ce qui est utile. le t ravail renvoie également au t ravail féminin de l'accouchement, ainsi qu'à la cult ure de la terre, qui ne donne plus spontanément ses
fruits depuis que l'Homme a été chassé du Jardin (en grec « paradeisos », d'où le
nom« paradis») d'Eden.
le t ravail est étroitement lié à l'effort, à la contrainte. Il comporte paradoxalement une dimension active et une dimension subie. Cette vision négative peut
surprendre à l'heure où nous sommes prompts à rappeler que le t ravail constitue
un moyen d'accomplissement personnel fondamental, une composante de l'identité sociale, voire un besoin (théorie de Maslow). Il faudra cependant attendre le
x1x" siècle pour qu'émerge une première vision positive du t ravail, notamment à
t ravers les t ravaux d'Hegel. qui évoque le lien direct entre travail et développement des capacités de l'individu.
le travail est en outre une activité cult urelle qui dépend étroitement de plusieurs
facteurs, notamment du contexte socio-économique et du développement technologique. Ainsi, par exemple, une autonomie croissante caractérise actuellement
le travail, liée au développement des technologies qui permettent de s'affranchir
de l'entreprise comme lieu exclusif de travail. Cette autonomie est incompatible
avec les modes traditionnels d'organisation collective du t ravail et le paternalisme du x1x<, qui accompagnaient un pouvoir disciplinaire fort .
Au contraire, la gestion des ressources humaines semble désormais concentrer
ses politiques sur la préservation et le développement d'un « capital humain »,
ambition que l'on découvre dans les notions d'employabilité, d'adaptabilité, de
formation tout au long de la vie, de parcours professionnel ...
l'essentiel de Io culture générale
-
2.
Problématiques
t Quel rapport au travail l' individu entretient-il ?
-
Travailler, aussi douloureux cela soit-il, n'est plus considéré comme dégradant. le
t ravail peut être dangereux, complexe, fatigant, usant, mais aussi valorisant, enrichissant, stimulant. li n'est en tous les cas plus synonyme de honte. Au contraire,
les civilisations antiques réservaient le t ravail aux esclaves, seule catégorie sociale
dont le travail libérait précisément le reste de la population des contingences
alimentaires qui fondaient sa raison d'êt re. Cette dernière pouvait donc se consacrer à des tâches nobles, en particulier la gestion des affaires publiques.
li est d'ailleurs surprenant de constater que le t ravail était soigneusement distin-
gué de l'activité politique. S'occuper des affaires de la Cité n'était pas considéré
comme du travail. li est vrai qu'aujourd'hui encore, le t ravail est considéré comme
une activité individuelle, dédiée à la survie alimentaire, dont les fruits profitent
directement à l'individu et à sa famille. Aristote, par exemple, distinguait les esclaves par nat ure et les esclaves par convention. Seuls ces derniers n'avaient pas
pleinement réalisé leur nature humaine, ce qui justifi ait leur soumission et le fait
qu'ils soient affectés au t ravail. les esclaves étaient donc garants de la démocratie
puisqu'ils permettaient de décharger les hommes « libres », citoyens at héniens,
des tâches laborieuses de manière à leur permettre de se consacrer à des activités
nobles. Échapper au t ravail devenait équivalent à philosopher et participer à la
gestion de la cité par la politique.
le travail n'était donc perçu à l'origine que dans sa nat ure de nécessité vitale, qui
ne pouvait en aucun cas constituer une activité à valeur ajoutée. li n'en était pas
moins déjà une activité intuitu personae. Aussi dégradant soit-il, le travail n'était
pas nécessairement une tâche qu'il était facile de déléguer à n'importe qui. li
n'était pas non plus nécessairement sous-qualifié.
De ce statut de nécessité, de cont rainte qui renvoie l'Homme à sa dépendance
naturelle, animale, découlait le rejet du t ravail. li était considéré comme une
activité dégradante car synonyme de subordination, de nécessité, d'aliénation de
la liberté. Hannah Arendt expliquait dans Condition de l'homme moderne que
l'institution de l'esclavage ne fut ni un moyen de se procurer de la main-d'œuvre
à bon marché, ni un instrument d'exploitation en vue de faire des bénéfi ces, mais
une tentative d'éliminer le travail des conditions de la vie. la nat ure d'Homme
dépendait d'ailleurs du rapport au t ravail. la soumission à la nécessité, l'exercice
du t ravail retirait, ne serait-ce que temporairement, la qualité d'Homme à l'esclave
qui l'exerçait .
le t ravail occupe donc, choisi ou subi, une place centrale dans l'existence. li fait
l'objet de débats récurrents sur son avenir, sa protection, ses mutations, sa place,
mais crée un consensus autour de son importance. Malgré des remises en cause
récurrentes sur le marché des idées, le travail reste un facteur d'accomplissement
Thème 8 • le travail
et d'épanouissement décisif. li possède une nature économique forte: tout t ravail
mérite bien salaire. le travail se veut également un état personnel. une sit uation
sociale, qui s'oppose au chômage.
li se distingue de l'activité en ce qu'il répond à une obligation, volontairement
souscrite ou légalement imposée, à titre onéreux ou grat uit, attachée à un stat ut
ou à un contrat. le travail s'inscrit toujours dans un lien de droit (Rapport Au-delà
de l'emploi, (dir.) Alain Supiot, 1999). li s'oppose plus largement aux loisirs, aux
vacances, au repos, mais également à la grève. li est ét roitement lié au devoir. li
présente une valeur positive puisqu'il est traditionnellement opposé à l'inaction.
le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 garantit d'ailleurs le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi, mais également la nécessité de :
protéger l'état de « t ravailleur », qu'il soit ou non salarié, c'est-à-dire titulaire
d'un contrat de travail. li prévoit également l'égalité de l'accès à l'emploi sans
discrimination, la liberté syndicale, le droit de grève et la participation des
t ravailleurs, par l'intermédiaire de délégués, à la gestion collective des entreprises
et à la détermination des conditions de travail.
t En quoi la valeur travail est-elle remise en cause ?
la vision du t ravail en tant que valeur a singulièrement évolué au travers des
siècles. À une vision chrétienne marquée par l'idée de malédiction a succédé une
vision positive du t ravail. promue par la Réforme notamment. le capitalisme, au
t ravers des révolutions industrielles, a donné naissance à une conception moderne
du travail en tant que valeur d'échange.
les économistes du xix• siècle, notamment Ricardo et Marx, ont considéré que la
valeur d'échange des marchandises était proportionnelle à la quantité de t ravail
qu'elles incorporent . Selon la théorie marxiste de l'exploitation, la force de t ravail
produit davantage de valeur qu'elle n'en consomme. De cette conception découle
une vision « morale » du travail, selon laquelle la valeur travail sera opposée à la
valeur produite par les marchés financiers considérée « immorale », car n'étant
pas directement le produit d'un travail.
Au contraire, les économistes libéraux ont affi rmé que sur un marché (du t ravail),
lorsque le vendeur (le salarié et sa force de travail) et l'acheteur (l'employeur)
sont suffi samment informés, aucune des deux parties au contrat qui se noue ne
peut être perdante car la valeur d'un travail varie en fonction de l'intérêt que
d'autres lui portent. Cette conception économique invalidait l'argument marxiste
du profit réalisé aux dépens de celui qui vend son travail.
Actuellement, de nombreux débats sur la valeur du t ravail se concentrent sur
le coût du travail, notamment à t ravers la problématique des délocalisations. li
faut cependant noter que des ét udes récentes montrent que seulement 5 % des
suppressions d'emploi en Europe seraient directement causées par des délocalisations.
l 'essentiel de Io culture générale
t Quel est l' impact du développement des loisirs ?
le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 dispose que« La nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement.
Elle garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la
protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son age, de son état physique ou mental, de la situation
économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la
collectivité des moyens convenables d'ex istence. »
le loisir est souvent confondu avec le « temps libre», soit le temps qui n'est pas
consacré au travail, assimilé à l'activité professionnelle ou au« métier» exercé. Il
correspond à la mobilisation du temps disponible en dehors des occupations habituelles (emploi, tâches domestiques ou obligations familiales ... ). le loisir réside
ainsi dans l'exercice d'activités économiquement non productives, en d'autres term@s d@s activités ludiqu@s ou cultur@ll@s qui div@rtiss@nt. L@ sport @st néanmoins
souvent distingué des loisirs. Sénèque louait les mérites de l'otium (le « temps
libre»), en tant que constit uant essentiel de la liberté de l'Homme, tout en privilégiant la mobilisation du temps libre à la participation à la vie de la cité. l'appel
au temps de prière et de méditation dans la majorité des mouvements religieux
relativise également l'importance du t ravail.
le terme de loisir vient du latin « licet (licere) », ce qui signifie « il est permis». À
t ravers le développement du temps libre (réduction du temps de t ravail et aménagement des horaires, congés payés ... ), les loisirs ont pris une place importante
dans l'accomplissement individuel des individus. Selon Joffre Dumazedier et Aline
Riperte (Loisir et culture, 1966), les loisirs présentent quat re caractères essentiels:
les aspects libératoire, grat uit, hédonistique et personnel. la vision du loisir a notamment évolué du fait de l'allongement de l'espérance de vie, de l'abaissement
de l'âge de la ret raite, de la réduction du temps de t ravail, de l'ent rée de plus en
plus tardive sur le marché du t ravail, mais également grâce à l'augmentation du
pouvoir d'achat, au développement des technologies ... l'usage du temps libre est
ainsi devenu un enjeu sociétal majeur.
le développement d'une véritable industrie de loisirs crée une offre sans
cesse renouvelée. les loisirs sont désormais vécus comme des biens de grande
consommation. les loisirs sportifs sont notamment valorisés au titre du maintien
de la santé et de la préservation du corps, au service d'une action professionnelle
efficace. De manière générale, la pratique du loisir est d'ailleurs déculpabilisée
puisqu'il est présenté comme un moyen de faire une pause pour mieux reprendre
le cours de sa vie professionnelle. les loisirs sont devenus à la fois un droit, un
acquis social, un élément d'hygiène de vie.
Thème 8 • le travail
Paradoxalement, le développement des loisirs n'a pas réellement remis en cause
le rapport au travail: l'occupation professionnelle garde une place déterminante
dans l'accomplissement individuel et la reconnaissance sociale. Pourtant, les 30
Glorieuses, à travers le développement de la consommation de masse, ont vu
naître une nouvelle société dans laquelle le loisir devient une préoccupation importante car directement liée à l'épanouissement personnel. tendance appuyée
par les acquis sociaux successifs.
les français, à l'échelle d'une vie, disposent de trois fois plus de temps libre qu'au
début du siècle et les dépenses de loisirs, d'éducation et de culture progressent
aujourd'hui au moins aussi vite que l'ensemble de la consommation. longtemps cependant, les loisirs ont été considérés comme tournés vers la reconstit ution de ~
la force de travail. Ainsi, la pratique des loisirs se définit encore partiellement par
rapport au travail. le loisir reste en effet un temps de repos en ce qu'il constitue
l'un des moyens de mobiliser le temps laissé libre par le travail.
le travail est considéré comme intrinsèquement douloureux, rédempteur, ce qui
se justifie, dans la culture judéo-chrétienne, par la chute originelle. les lumières
ont confirmé cette perception négative. l'Encyclopédie défi nit le loisir comme
un « temps vide que nos devoirs nous laissent et dont nous pouvons disposer
d'une manière agréable et honnête ». l'oisiveté a donc souvent été mal perçue. Aujourd'hui encore, pratiquer un loisir s'oppose précisément à la paresse,
puisqu'il constitue un moyen actif d'accomplissement personnel parallèle au t ravail. les loisirs prennent une place de plus en plus importante dans les sociétés
occidentales en tant que moyen de dépenser différemment son énergie, mais
toujours dans l'objectif de s'accomplir. la progression de l'individualisme a légitimé ce développement des loisirs en le dissociant de la pure oisiveté.
Historiquement, cette distinction s'éclaire notamment par le fait que le début du
xx• siècle a été marqué de revendications portant sur du temps de repos, destiné
à récupérer physiquement de la fatigue du t ravail. les industriels ne s'y sont pas
t rompés, puisque les premières lois sur le t ravail des enfants et la limitation de
la durée de ce dernier ont été promulguées afi n de préserver la productivité des
salariés. Néanmoins, il a rapidement été constaté que le temps libre était également utilisé à des fi ns licencieuses, telles que la pratique de l'akoolisme, renforçant ainsi la perception fondamentalement immorale du temps libre et des loisirs. Paradoxalement, la volonté du patronat, de l'État et des syndicats de mieux
cont rôler l'utilisation du temps libre par les ouvriers a cont ribué à la promotion
de loisirs gratuits, tels que le jardinage dans les« jardins ouvriers », le développement des« bonnes œuvres »ou bien les subventions de fanfares. le paternalisme
s'est ainsi directement illustré dans la promotion du loisir. les syndicats ont également participé à cette évolution, par exemple à t ravers la création de bourses
de t ravail permettant de suivre des cours du soir. le patronat gardait ainsi une
l'essentiel de Io culture générale
maîtrise de la classe ouvrière en encadrant ses loisirs. le temps de non-travail était
inféodé au temps de t ravail.
-
le temps de« repos» a donc longtemps appartenu à la sphère d'action patronale,
avant que les salariés, mais également les organisations syndicales et instit utions
représentatives du personnel, se réapproprient ce temps. les années 1930 ont vu
l'apparition de loisirs et le syndicalisme s'est progressivement intéressé à la santé,
l'éducation, le sport et la culture (ex. : création de la fédération sportive et gymnique du travail, de la fédération des théâtres populaires ... ). les organisations de
jeunesse se sont largement développées à cette période (scouts, auberges de jeunesse ... ).À cette époque, le loisir est perçu comme favorisant l'anticonformisme,
la camaraderie. le sous-secrétariat d'État à l'organisation des loisirs et des sports
est apparu en 1936.
Cependant, le « droit à la paresse » de Paul Lafargue a mont ré que le t ravail
asservissait le temps non travaillé, car il empêche toute velléité d'oisiveté. Le t ravail
était ainsi sacralisé, puisqu'il participait au développement du collectif. Lafargue
proposait déjà le partage du travail et un équilibre ent re t ravail et oisiveté, qui
n'est pas sans rappeler l'ensemble des débats actuels sur l'équilibre entre t ravail
et vie privée. En effet, le temps de repos doit êt re suffi sant pour permettre
une récupération réelle, c'est-à-dire que sa durée conditionne la déconnection
physique et psychologique avec les rythmes et les cont raintes du t ravail. les
réflexions d'Alain Supiot sur le temps de repos illustrent cette préoccupation,
en proposant de garantir un temps de « non-travail ». Déterminer des moyens
adéquats est cependant délicat .
Cependant, une rentabilisation croissante du temps, y compris du temps libre,
a conduit à redouter l'oisiveté au sens de perte de son temps (ou impossibilité
de mobiliser le temps pour son accomplissement personnel), et donc à favoriser
l'activité pour l'activité, en cherchant systématiquement le résultat, quantifi é, que
l'activité soit ou non utile. Du mythe du bon sauvage au bonheur institutionnalisé,
l'individu cherche constamment à s'approprier son idée du bonheur.
t Quelles sont les évolutions récentes du travail ?
le travail est désormais perçu comme exigeant une disponibilité totale de
l'individu, qui, à t ravers les outils de communication modernes, peut être contacté
en permanence et se doit donc d'êt re constamment « connecté » pour êt re
«accessible». les nouvelles technologies de l'information et de la communication
(NTIC) ont permis d'améliorer la productivité en allégeant certaines tâches peu
qualifiées (par exemple envoyer un mail au lieu d'envoyer un fax) et ont donc
limité les besoins de main-d'œuvre d'exécution. les conditions de t ravail ont été
globalement améliorées.
Thème 8 • le travail
Par ailleurs, la « work addiction » des « workaholics », fortement valorisée dans
les années 1980, est désormais davantage subie qu'acceptée par les salariés et
moins valorisée socialement. la réussite ne s'apprécie plus en termes d'énergie
dépensée mais en terme de résultats et de retour sur investissement-temps. le
rapport à l'ent reprise évolue: le paternalisme est mort et le salarié recherche, audelà d'un revenu de subsistance, des moyens de se former, d'évoluer. la relation à
l'entreprise est devenue profondément utilitariste et désillusionnée.
En contrepartie, la demande d'engagement des ent reprises vis-à-vis de leurs salariés s'est paradoxalement renforcée. le salarié est devenu « collaborateur »,
engagé, proactif. les compétences et savoirs techniques doivent être complétés par une adhésion aux valeurs de l'entreprise. la mise en avant de la cult ure d'ent reprise, qui s'exprime notamment à t ravers des« chartes», des« engagements»
est caractéristique de nouvelles attentes exprimées envers les salariés.
Actuellement, environ 40 % de la population active t ravaille encore au sein du
secteur rural, les services occupant, quant à eux, 40 % de cette dernière et le
secteur industriel environ 20 %. la montée en puissance des services s'adosse aux
nouvelles formes de t ravail. Encore résiduels sur un plan quantitatif, le télét ravail
et le travail a domicile (ou plus généralement le travail à distance) sont souvent
cités en exemple.
Dans l'ouvrage qu'il a dirigé sur !'Avenir du travail, Jacques Attali a souligné quelques évolutions prospectives du t ravail. Ainsi, le travail serait bientôt marqué par
une miniaturisation croissante des moyens de communiquer et de t ransporter.
Cette évolution rendra encore plus accessoire la nécessité de travailler dans un
cadre donné, ce qui aura probablement une influence sur la défi nition de l'employeur et la remise en cause en tant que norme juridique, mais aussi sociale du
t ravail subordonné.
les auteurs notent que « ces entreprises seront donc soit des regroupements provisoires de travailleurs nomades, soit des rassemblements durables de tribus de
travailleurs nomades». les vêtements seront couverts d'électronique connectant
leur propriétaire aux outils de t ravail. les frontières ent re formation, distraction,
t ravail, consommation deviendront de plus en plus fl oues. les expat riés seront 10
fois plus nombreux qu'aujourd'hui.
Parallèlement, la notion de« droit à l'emploi» a progressivement émergé. Parmi
les droits sociaux affi rmés dans la charte des droits fondamentaux du projet de
Constit ution pour l'Europe, figure le « droit de travailler». le « droit au t ravail »
est, quant à lui, inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l'homme de
1948 : « Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des
conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage».
l'essentiel de Io cu lture générale
-
Consacré par le préambule de la constit ution du 27 octobre 1946, le droit à l'emploi, au sens de droit d'accéder, de conserver et de ret rouver un emploi, a également été reconnu par le Conseil constitutionnel. le préambule de la Constitution
française de 1946 affi rme que« chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi »,souvent résumé, à raison, sous la formule «droit à l'emploi»
dont le« devoir de travailler» n'est que la contrepartie. Ce droit qui fait partie
des droits économiques et sociaux fonde l'action de l'État en matière d'emploi. le
droit du t ravail est d'ailleurs historiquement fondé sur le droit à l'emploi, soit le
droit d'effectuer un t ravail rémunéré, positionné dans une communauté, avec un
périmèt re de responsabilités, des tâches à effectuer, une hiérarchie à satisfaire.
. le droit à l'emploi ne constitue pas un droit subjectif individuel qui permettrait
par exemple de saisir l'ONU ou bien un Ét at pour leur demander un emploi, mais
plutôt une obligation pour les États de faire en sorte, d'un point de vue collectif,
que le plus grand nombre de personnes puissent travailler.
t Est-il possible de réinventer le travail ?
la réduction de la durée du travail en France à 35 heures en 2000 est l'une des
manifestations des débats récents sur la place du t ravail dans nos sociétés. la
montée en puissance de la notion d'activité, la refondation du lien social sur des
valeurs alternatives au t ravail, la dénonciation du travail comme facteur d'inégalités ont modifi é le rapport au t ravail. Remettre en cause la valeur t ravail revient
à privilégier d'autres valeurs, ou bien d'autres moyens d'accomplissement individuels et collectifs.
Dominique Meda, dans son ouvrage Le Travail, une valeur en voie de disparition ?, en cherchant à relativiser l'importance du travail dans le développement
de l'individu, s'appuie sur une distinction opérée par Hannah Arendt entre activités productives (liées à la production des conditions d'existence matérielle des
sociétés), activités politiques (qui englobent l'ensemble des fonctions ayant pour
objet la production du sens social), activités culturelles (qui conduisent à la production du sens métasocial) et activités sociales (qui concernent les relations à
l'autre par les affects). Dominique Meda souligne l'impact de ces deux dernières
catégories, en constatant que les activités économiques ne sont pas en mesure de
suffi re à l'accomplissement de l'individu, en particulier dans l'espace public.
En effet, la place de l'individu en tant que citoyen, membre d'association, est
aussi valorisante que la place de l'individu travailleur. Dans De la démocratie en
Amérique, Tocqueville notait : « La morale et l'intelligence d'un peuple démocratique ne courraient pas de moindres dangers que son négoce et son industrie,
si le gouvernement venait y prendre partout la place des associations. Les sentiments et les idées ne se renouvellent, le cœur ne s'agrandit et l'esprit humain ne
se développe que par l'action réciproque des hommes les sur les autres. J'ai fait
voir que cette action est presque nulle dans les pays démocratiques. Il faut donc
Thème 8 • le travail
l'y créer artificiellement et c'est ce que les associations seules peuvent faire. » la
construction de l'identité individuelle et l'intégration dans l'espace public passent
donc par d'autres vecteurs que le t ravail. Cette recherche d'équilibre t ransparaît dans les débats actuels sur la formalisation et la préservation d'un temps de
vie personnelle, que l'encadrement légal de la durée du t ravail ne parvient plus
à garantir du fait des nouvelles technologies (télétravail, ordinateurs portables,
possibilité de recevoir ses mails sur son téléphone ... ).
Sociologiquement, les recruteurs et gestionnaires de ressources humaines en ent reprise sont d'ailleurs confrontés à une nouvelle génération de salariés qui acceptent plus diffi cilement de« sacrifier» leur temps de vie privée aux cont raintes de leur carrière, et qui envisagent également plus volontiers des interruptions ~
longues de carrière pour accomplir des projets personnels (année sabbatique,
missions humanitaires ... ).
Un@ d@mand@ d@ s@ns récurr@nt@s@ manifast@ @n particuli@r à trav@rs I@ t ravail,
d'où jaillissent des débats sur la «réinvention du travail». En France, on pourra
notamment citer les analyses d'André Gorz, qui, dans son ouvrage Métamorphoses
du travail, quête du sens, critique de la raison économique (1988) démont re
que le travail est une idéologie moderne et une forme d'utopie à laquelle il est
envisageable de substit uer d'autres utopies alternatives (culture, loisir ... ) pour
donner un nouveau sens à l'action de chacun et au devenir collectif. Selon cet
auteur, la conciliation d'une organisation du t ravail davantage tournée vers
l'accomplissement de l'Homme et des impérat ifs économiques serait possible
grâce au progrès technologique qui permettra de répondre à des besoins sans
cesse croissants sans mobiliser davantage de travail. Cette analyse optimiste n'est
pas sans omettre, au moins partiellement, que ce n'est probablement pas à une
réduction du besoin en t ravail auquel on assistera mais bien à une t ransformation
des besoins et donc à une évolution du t ravail lui-même.
les analyses d'Hannah Arendt rassemblées au sein de La condition de l'Homme
moderne (1958) restent également toujours éclairantes. Dans cet ouvrage, Arendt
distingue la « vita activa »et la« vita contemplativa »en réaffirmant la priorité
de l'action sur le t ravail et l'œuvre. Cette affirmation du rôle primordial de l'action vise à rendre aux hommes le souci de laisser une trace dans le monde au-delà
de leur propre mort, à sauver de l'oubli la quête de l'immortalité et valorise donc
l'action politique. Pour atteindre cet objectif, elle propose à travers son ouvrage
de déterminer vers quelles activités l'Homme doit se tourner:« Ce que je propose
est donc très simple : rien de plus que de penser ce que nous sommes en train de
faire [what we are doing] »,c'est-à-dire d'expliquer en quoi le progrès technique
nous éloigne des préoccupations qui devraient être les nôt res du point de vue de
la condition humaine. Hannah Arendt aborde les différentes activités de la vita
activa, dont le t ravail, qu'elle différencie de l'œuvre: cette dernière prend place
dans le monde, elle dure et pourra êt re utilisée par les générations suivantes,
l'essentiel de Io culture générale
tandis que le fruit du travail est périssable, il a vocation à être consommé afin
d'assurer la conservation de la vie.
t Faut-il distinguer travail et emploi ?
-
Au-delà du t ravail, plusieurs concepts sont utilisés pour caractériser l'occupation.
Travail, emploi et activité sont souvent confondus dans un « état d'occupation
utile » dont les contours sont aussi personnels que subjectifs. Au même titre que
l'activité, l'emploi comprend toute action mobilisant de l'énergie, demandant
des efforts. li se distingue du travail et de l'activité en ce qu'il correspond à un
poste, à une position que l'individu va occuper dans un environnement de t ravail
donné, quel qu'il soit (privé ou public). le travail, dans sa dimension de subordination, implique en outre une créance alimentaire et la notion de subordination.
la notion de métier contient, quant à elle, une référence des savoir-faire et des
compétences.
l'emploi pourrait se caractériser comme un t ravail «positionné », « sit ué », que
ce soit dans une organisation, une période, un organigramme. li correspond en
outre à l'exercice d'une profession rémunérée, ce qui signifi e qu'une personne
bénévole n'occupe pas un emploi au sens strict du terme. la notion d'emploi
est souvent assimilée à celle de salariat, alors que la rémunération peut prendre
la forme d'honoraires lorsqu'il s'agit d'un t ravailleur indépendant (artisan, commerçant, exploitant agricole, profession libérale ... ). Au niveau macroéconomique, l'emploi représente l'utilisation, par l'économie nationale, de la population
désireuse de t ravailler. Au sens de la comptabilité nationale, l'emploi désigne le
fait d'affecter des ressources à une utilisation donnée. la dimension« incarnée»
de l'emploi dans l'ent reprise se traduit par plusieurs manifestations : fonction,
poste, métier, tâche, mission, compétences...
t Est-il possible de concilier sécurisation du travail et flexibilité ?
les stat uts sont actuellement multiples et leur diversifi cation se développe : t ravail à domicile, télétravail, multi-activité, COD, travail à temps partiel, t ravail intermittent, t ravail temporaire, portage salarial, formes particulières de cont rats
publics, formes particulières de contrat d'accès à l'emploi ... En outre, l'individualisation des rapports de t ravail a entraîné un développement important des clauses contractuelles spécifiques. Paradoxalement, le régime légitimement strict de
la modification du contrat de t ravail permet de donner une stabilité aux rapports
de travail modelés par les directives unilatérales de l'employeur (fixation d'objectifs, modification des modes de travail, en particulier pour les cadres).
Ce rapport (individuel et collectif) de travail résiste aujourd'hui difficilement aux
changements impulsés par les contraintes économiques. le salarié doit être en
mesure de s'adapter à des exigences fortes en termes de mobilité, géographique
et professionnelle. li doit se former tout au long de la vie, changer régulièrement
Thème 8 • le travail
d'entreprise, de métier, d'environnement . la sécurité du parcours est donc à réinventer au-delà du cont rat de t ravail. afi n de garantir un véritable droit à l'emploi.
Comme l'a proposé le rapport d'Alain Supiot (Au-delà de l'emploi, 1999), il s'agit
de réinscrire les fi nalités du droit du t ravail dans un nouveau cadre contractuel
prenant en compte la nécessité de sécuriser les parcours professionnels. l'ambition est donc de créer un véritable droit de l'emploi au-delà du droit du t ravail.
qui chercherait à préserver la sit uation« d'employé» du t ravailleur, en sauvegardant son poste, son emploi, son employabilité, voire son stat ut d'actif.
À ce tit re, est progressivement apparue la nécessité de sécuriser la t rajectoire professionnelle. la notion de t rajectoire professionnelle a progressivement vu le jour
durant les années 1990. le «cont rat d'activité» du rapport Boissonnat (1995) a
introduit la conception d'une relation contractuelle appréhendant l'activité dans
une acception particulièrement large : le salarié signerait un cont rat non plus
avec un mais avec plusieurs employeurs d'une part et, par exemple, un organisme
de placement et de formation d'aut re part. Il alternerait ainsi périodes d'emploi
et de formation, au sein d'un stat ut unique garantissant les mêmes droits sociaux
que le cont rat de travail t raditionnel. le rapport SUPIOT précité avait, quant à lui,
souligné la nécessité de définir un véritable « stat ut du t ravailleur » qui dépasse
la condition de salariat, ou encore un « état professionnel des personnes», fondé
sur un ensemble de droits attachés à l'individu et non plus à son emploi.
la nécessité de défi nir un stat ut de l'actif (au niveau européen /international)
ou bien de « l'employé » (au sens de personne utilisée à l'occupation d'un emploi) devant faire l'objet d'une protection indépendamment du salariat, occupe
donc désormais une place importante dans les débats publics, notamment dans la
perspective d'une réforme du droit de l'emploi. l'application de certains aspects
protecteurs du droit du t ravail aux travailleurs qui ne sont ni salariés ni ent repreneurs mais qui sont dans une situation de dépendance est d'ailleurs déjà prévue
par plusieurs droits nationaux (ex. : Allemagne, Italie).
Sécuriser une trajectoire professionnelle va de pair avec la difficulté croissante
à défi nir avec précision l'employeur réel ; la multiplication des statuts (portage
salarial. t ravail précaire ... ), la complexifi cation des relations ent re sociétés (groupes de sociétés, sous-traitance, prestation de service) distendent le lien juridique
originel entre l'employeur et ses salariés. Il reste à inventer les nouveaux inst ruments juridiques qui donneront la possibilité d'assurer la continuité de l'état
professionnel par-delà la diversité des sit uations de t ravail et de non-travail. les
situations contractuelles et intercont ractuelles. De nouveaux acteurs professionnels, associations d'anciens élèves, corporations, devraient à l'avenir jouer un rôle
de plus en plus important afi n de protéger leurs adhérents.
-
l'essentiel de Io culture générale
t Qu'est-ce que la flexicurité (ou flexisécurité) ?
-
Parmi les thèmes relatifs à la sécurisation des parcours professionnels, on peut
évoquer la notion de flexicurité. l'expression « flexicurity » a été utilisée la première fois en 1995, aux Pays-Bas. En 1999, la loi Flexibilité et sécurité est ent rée
en vigueur aux Pays-Bas. la fl exicurité renvoie à un modèle conciliant une faible
protection de l'emploi, une indemnisation du chômage généreuse et une politique de l'emploi très active. Ce modèle s'est progressivement imposé en tant que
référence depuis le début des années 2000. Par exemple, en France, la loi n'a cessé
d'apporter des outils de fl exibilisation du marché de l'emploi : par exemple, la
loi du 12 juin 2008 de modernisation du marché du travail inscrit dans les textes
plusieurs dispositions comme la « rupt ure conventionnelle » ou le « COD à objet
défini».
l'efficacité du modèle hollandais en matière d'emploi et de chômage (le taux
d@ chômag@ @st stabilisé à 5 % d@puis I@ début du siècl@) s@mbl@ pouvoir êt r@
analysée comme le résultat d'un enchaînement vertueux de relations ent re un
emploi faiblement protégé (30 % de la population employée change d'emploi
chaque année), une protection sociale généreuse, une politique active du marché
du t ravail cont raignante (en termes d'obligations et de contrôle des chômeurs).
Bien évidemment, les valeurs sociales de la société danoise sont la clé de réussite
du modèle au-delà de ses différents éléments (universalisme, solidarité, égalité,
responsabilité et pragmatisme). la commission européenne défi nit quat re orientations politiques visant à mettre en œuvre la flexicurité : souplesse et sécurisation des dispositions, des stratégies globales d'apprentissage tout au long de la
vie, des politiques actives du marché du travail (PAMT) efficaces, des systèmes de
sécurité sociale.
Si la fl exicurité est souvent présentée comme un compromis entre les entreprises
et les salariés, l'équation est pourtant plus complexe. les salariés ont également
besoin de fl exibilité pour concilier vies familiale et professionnelle ou s'organiser
au mieux dans leur t ravail. Ils ont besoin de mobilité professionnelle et géographique pour gérer leur carrière ou suivre un conjoint . la fl exicurité est également
rapprochée des débats relatifs à la notion de« t ravail décent » promue par l'OIT.
Celle-ci le définit comme « l'activité qui assure liberté, sécurité, dignité et équité
à qui le réalise, en fonction des critères individuels et collectifs de l'être humain
concerné».
la fl exicurité rend nécessaire la construction de nouveaux droits, attachés à la
personne indépendamment de sa sit uation par rapport à l'emploi. À ce sujet,
plusieurs pistes ont été évoquées. le rapport Suppiot précité proposait ainsi de
créer des droits de tirage sociaux (DTS), fondés sur une définition large du t ravail,
entendu non exclusivement comme un lien de subordination, mais comme une
activité répondant à une obligation, volontaire ou imposée, cont ractuelle ou sta-
Thème 8 • le travail
t utaire, grat uite ou rémunérée. li s'agirait alors de construire de nouveaux droits
sociaux correspondant à ce statut de travail. !.'.originalité de ces DTS résiderait
dans les modalités d'exercice de ces nouveaux droits: après avoir constitué une
provision suffi sante (une créance abondée sur un «compte »), le tit ulaire choisirait librement d'utiliser cette provision (donc indépendamment de la réalisation
d'un risque social) à condition que cette utilisation poursuive un objectif à utilité
sociale (se former, élever un enfant, avoir une activité bénévole ou politique ... ).
la complexité de la mise en œuvre d'un tel dispositif en constitue la limite essentielle.
t Quelles sont les implications du risque psychosocial (RPS) ?
le rapport Nasse-légeron (2008) a souligné les cont raintes liées à la prise en
charge du risque psychosocial. Selon les auteurs, les risques psychosociaux se
développent à la frontière ent re la sphère privée (le psychisme individuel) et la
sphère sociale (les collectifs d'individus au t ravail). Les oppositions d'intérêts qui
les traversent entraînent une multiplication des points de vue et des approches
et, finalement, une certaine confusion dans les concepts, leurs modes d'analyse
et le repérage de leurs causes ou de leurs effets. le traitement du risque psychosocial demeure un sujet politiquement et fi nancièrement sensible auquel les ent reprises sont d'autant moins préparées à faire face que le danger est mal cerné
et la répartition des responsabilités insuffisamment claire. le rapport aboutit à
neuf propositions d'action, t rès conventionnelles. On peut notamment citer la
construction de nouveaux indicateurs, le recensement des suicides de salariés au
t ravail et l'analyse psychosociale de ces suicides, le lancement d'une campagne
publique d'information sur le stress au t ravail, la formation des acteurs au sein de
l'entreprise et le renforcement de leur rôle ...
le risque psycho-social est actuellement souvent identifi é comme l'un des composants majeurs du débat social des années à venir et du dialogue social en ent reprise. Certains évoquent même un renouveau du positionnement de la fonction
ressources humaines en entreprise du fait de la montée en puissance des RPS.
li faut cependant distinguer le stress lié à l'exécution de responsabilités et le risque
psychosocial découlant de l'incapacité à gérer ce stress, par manque de moyens,
de capacités, de sens, de reconnaissance ...
-
l'essentiel de Io culture générale
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+
Su•10T
Certains passages de cette fiche sont ext raits de deux autres ouvrages de
l'auteur:
+ CAVAILLÉ (J.-P.), Le droit du travail : 360 Questions-réponses pour tout
comprendre, 2' éd., 2010.
+ CAVAILLÉ (J.-P.), Questions sociales, 2• éd., 2010.
Thème
t
LA MONDIALISATION
« Ce n'est pas la mondialisation qui dissout les nations, mais l'autodissolution
des nations qui produit la mondialisation. »(Emmanuel Todd, L'illusion économique)
«Pire qu'un pouvoir occulte, nous découvrons avec la mondialisation une pure
absence de pouvoir. » (Luc Ferry, Penser le changement)
« La mondialisation prétendument heureuse mène à tout le contraire d'une société mondiale; elle transforme le monde en une arène où des sociétés atomisées s'affronteront dans une guerre qui ne restera sans doute pas simplement
commerciale.» (Dominique Meda, Qu'est-ce que la richesse?, 7999).
-
1.
Définitions
Bien que correspondant à un phénomène ancien, le terme « mondialisation »
n'est lui-même apparu que dans les années 1960 aux États-Unis. Parce que son utilisation est récurrente, il n'apparaît pas inutile de rappeler que la mondialisation
peut être définie comme un processus de développement de liens d'interdépendance entre les hommes, les activités et les communautés à l'échelle mondiale,
à travers un développement des échanges (matériels aussi bien qu'immatériels).
l'intérêt de la mondialisation réside moins dans sa définition, délicate et évolutive, que dans l'examen de ses manifestations multiples. la mondialisation est un
phénomène global, qui touche l'ensemble des activités humaines au point qu'elle
remet en cause les mét hodes t raditionnelles de décision et de gestion. Elle évoque les interdépendances croissantes entre acteurs et événements, l'importance
croissante des fl ux de toutes sortes.
le terme de mondialisation désignait à l'origine l'accroissement des mouvements
de biens, de services, de main-d'œuvre, de technologies (... )à l'échelle internationale. la mondialisation est un concept à l'origine économique : il s'agit de
la t raduction du terme anglais globalization int roduit en 1983 par l'économiste
Theodore lewitt pour désigner la convergence des marchés dans le monde. À
l'heure actuelle, la mondialisation peut se définir, selon Joseph Stiglitz, comme
« l'intégration sans cesse plus étroite des pays et des peuples du monde qu'ont
réalisé d'une part la baisse continue des coûts du transport et des communications et, d'autre part, la réduction des barrières douanières et commerciales.
Cette intégration est poussée par les entreprises transnationales, qui font circuler
par-delà les frontières des capitaux, des produits et des technologies. Mais elle
porte également sur des échanges de savoir et permet le développement d'une
société civile mondiale ».
l'essentiel de Io culture générale
-
«Mondialisat ion » a ensuite été repris et diffusé par des mouvements ant i-mondialistes et alt ermondialistes avec la not ion de « village planétaire » développée
par Herbert Marshall Mcluhan, à partir des progrès des médias. le mot « mondialisat ion » a été précédé des expressions « planét arisat ion humaine » (Pierre
Teilhard De Chardin) et « économie-monde» de Fernand Braudel (économie fondée sur un espace économique cohérent ). Historiquement, la mondialisat ion reposait largement sur un constat d'int erdépendance des économies nationales,
liée à un renforcement des marchés, en particulier fi nanciers. Cette extension des
marchés a été organisée conjointement par les États, les instit utions internat ionales (OMC et FMI) ainsi que par les groupes mult inat ionaux, à partir de l'instaurat ion de règles d'échanges favorisant la libre circulat ion des biens, des services et
des capit aux, cont ribuant au développement d'un véritable capitalisme mondial.
Cette construction peut êt re éclairée par plusieurs évolut ions majeures: extension
de l'empire romain, unificat ion de la Chine, développement de l'empire byzantin
à partir du v' siècle, formation de l'empire carolingien au 1x" siècle, extension musulmane, développement des routes commerciales en Europe au x• siècle. la Renaissance voit exploser les échanges maritimes en mer du nord et en mer Balt ique
(Hanse), puis le xv~ siècle sera le théât re des grandes découvertes, not amment la
conquête de l'Amérique, et le xix• siècle, celui de la conquêt e des comptoirs par
l'Angleterre. l'.int erdépendance croissante des pays, l'augmentation des échanges commerciaux, des investissements directs, le développement des moyens de
communicat ion (caravelle au xv< siècle, chemin de fer à la fi n du xix•, Int ernet à la
fi n du xx"), la hausse du niveau de vie des populat ions, impliquant elle-même une
hausse de la demande de biens et de services, une déréglementation mondiale et
des migrat ions internationales croissantes ont bâti la mondialisat ion.
Une ét ape décisive de la mondialisat ion sera constit uée de l'instit utionnalisat ion
et de la cont ractualisat ion croissante des échanges mondiaux : en 1947, a été
signé l'accord du General Agreement on Tariffs and Trade (GATI) destiné à harmoniser les politiques douanières des signataires. En 1971 est né le Forum Economique Mondial (FEM) de Davos (Suisse), qui réunit hommes polit iques et chefs
d'entreprise. le FEM promeut le libéralisme économique et travaille sur la défi nit ion des moyens de régulat ion commerciale. En 1976, est né le G7, composé de la
France, de l'Allemagne, des États-Unis, du Japon, du Royaume-Uni, de l'Italie et
du Canada, devenu GB en 1998 avec la Russie. le GB ne recouvre qu'environ 15 %
de la populat ion mondiale, mais il produit les deux t iers des richesses du monde.
Dans les années 1990 sont apparus des mouvements« ant imondialistes » et« altermondialistes »dénonçant les t ravers de la mondialisat ion et réclamant de donner à la mondialisat ion un sens autre que purement commercial, de manière à
mieux la maîtriser. Cette évolution a encore enrichi le terme de mondialisat ion,
qui est venu représent er l'interdépendance des individus au niveau mondial et
la dépendance des individus à leur environnement, dans une perspective globale de développement durable. Par ailleurs, les deux dernières décennies ont
Thème 9 • Lo mond ialisa tion
vu la chute du communisme, qui a permis un essor exponentiel des échanges. les
multinationales se sont multipliées, à un rythme qui va d'ailleurs en s'accélérant.
l'Organisation mondiale du commerce (OMC), qui remplace la GATT, a été créée
en 1994. li existe ainsi un ensemble d'instit utions destinées à donner un sens à la
mondialisation et un modèle capitaliste désormais dominant .
Cela paraît bienvenu, d'autant qu'il n'existe pas une, mais des mondialisations,
dont l'ampleur et les conséquences dépendent de leur objet : mondialisation économique (flux financiers et commerciaux), mondialisation géopolitique (flux migratoires, diasporas, développement d'organisations internationales et d'ONG),
mondialisation idéologique (flux intellectuels), mondialisation cult urelle (fl ux des valeurs, des modes, des comportements consuméristes... ) et plus particulièrement
mondialisation spirituelle et religieuse (coordination internationale de mouvements religieux), mondialisation des risques (menace nucléaire, terroriste, écologique, technologique (avec le spectre du «bug de l'an 2000 »), prolifération des
armes ... ). les migrations humaines sont t rois fois moins importantes aujourd'hui
qu'au début du xx" siècle.
les débats s'étaient en effet jusqu'à présent largement concent rés autour des
échanges économiques et financiers. la montée en puissance des marchés fi nanciers depuis les années 1990 et les crises fi nancières récentes (par exemple l'éclatement de la « bulle Internet ») ont partiellement obéré les autres aspects de
la mondialisation. li est vrai que désormais, les risques systémiques engendrés
soit par des pertes économiques importantes, soit par une perte de confi ance, se
t ransmettent plus facilement à l'ensemble de l'économie (théorie des dominos)
provoquant alors des diffi cultés financières, des faillites, l'effondrement du prix
de certains actifs...
Enfin, la mondialisation est souvent confondue avec l'internationalisation. la
mondialisation suppose un processus d'expansion géographique suffisamment
avancé pour que l'ensemble des activités plurinationales d'une ent reprise soit
géré par une stratégie unique. Ainsi, le pourcentage des entreprises qui sont réellement mondialisées, et non simplement internationales, demeure relativement
faible. De la même façon, en matière commerciale notamment, il faut distinguer
mondialisation et régionalisation. le commerce international a longtemps porté
essentiellement sur des échanges de produits provenant de pays très éloignés
(échanges Europe-Asie notamment ). Aujourd'hui, la mondialisation concerne
principalement les pays riches et voisins dont les consommateurs ont des goûts
similaires. l'Union européenne représente à elle seule 65 % du commerce extérieur français. De plus, les échanges portent essentiellement sur des produits de
même nature (voitures, vêtements griffés ... ). la mondialisation culturelle dans sa
dimension immatérielle, ne doit pas être sous-estimée : idées, concepts, innovations, symboles circulent de plus en plus.
l'essentiel de Io culture générale
-
2.
Problématiques
t La mondialisation signifie-t-elle la fin de l' État-nation ?
la mondialisation interroge directement la nécessaire détermination de nouveaux repères, notamment en termes de solidarités potentielles. Fernand Braudel
a décrit la dynamique qui a mené d'une pluralité d'économies monde à une domination de « l'économie monde » européenne, formée au Moyen Âge, en un
temps où les États n'étaient pas en capacité de contrôler l'activité économique.
-
Ainsi, l'économie a commencé à se mondialiser avant que les États n'en deviennent des acteurs décisifs, bien que cette mondialisation ne soit réellement devenue effective qu'au x1x" siècle avec la révolution industrielle et l'apparition de
nouveaux modes de transport de masse (chemin de fer, bateau) qui ont développé les relations commerciales. la constitution d'empires coloniaux est une première concrétisation de la mondialisation, avec diffusion de marchandises mais
aussi de valeurs, de cultures, de connaissances, ainsi que les guerres mondiales
du xx" siècle. les nouvelles technologies, l'aviation, les sous-marins, mais aussi et
surtout l'arme nucléaire modifi ent le périmètre nat urel des guerres: tout conflit
peut potentiellement se« mondialiser». De même, la Guerre froide mobilisera les
États en deux camps sur l'échiquier mondial. la« mondialisation »des échanges
se développera largement durant 30 glorieuses : de 1950 à 1995, la production
industrielle mondiale a été multipliée par plus de sept, tandis que les échanges
de produits manufacturés l'ont été par 26 et le domaine financier s'est « mondialisé» à travers l'abandon du régime des parités fixes ent re les monnaies (accords
de Bretton Woods de juillet 1944) au profit des taux de change flottants (accords
de Kingston en 1976). le démantèlement des contrôles des changes et la déréglementation dans les années 1980 vont ensuite donner naissance à un système
fi nancier mondial sur lequel l'influence des États s'est largement amoindrie.
Au cours des années 1980, l'expansion de l'économie de marché, du libéralisme,
les innovations technologiques et la fi n de la guerre froide ont renforcé le développement des échanges. la conversion des pays (ex-communistes) à l'économie de marché unifie les marchés de capitaux et plus largement l'économie du
monde. les accords de Marrakech signés en 1994 intègrent les accords du GATI
de 1947 dans une Organisation mondiale du commerce, l'OMC. les années 2000
voient se confirmer la montée en puissance des BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine)
malgré une place encore limitée dans le PIB mondial.
les processus de la mondialisation des marchés, de l'information et la montée
en puissance de nouveaux acteurs (ONG, organisations internationales,
diasporas, groupes multinationaux... ) questionnent le rôle de l'État-nation,
des frontières, l'importance des territoires et la régulation, par les pouvoirs
politiques, des échanges. Depuis la fi n de la guerre froide, les États ont recouvré
Thème 9 • Lo mond ialisa tion
leur autonomie mais sont confrontés à des évolutions politiques (par exemple
la construction européenne), économiques (ouverture des marchés) et sociales
(délocalisations, altermondialisme) qui remettent en question leur autorité. En
écho au cosmopolitisme kantien, certains mouvements idéologiques tels que le
« mondialisme » voient dans la mondialisation une remise en cause profonde de
l'influence des États-nations.
Kant soutenait, dans son ouvrage Idée d'une histoire universelle du point de vue
cosmopolitique (1784), que l'unification politique de l'espèce humaine découlait
d'une évolution naturelle, qui devait donc aboutir à l'avènement d'un État unifié,
« cosmopolitique »(littéralement : de cité, «polis», universelle, « cosmos»). Dans .
. .
son Traité de paix perpétuelle (1795), Kant démontrait ensuite que cet État unifié
deviendrait la condition d'une paix perpétuelle, puisque serait ainsi effacé tout
risque d'affrontement interétatique. Malgré ce discours utopique, les États n'en
restent pas moins les principaux référents politiques. la possession des territoires
reste en effet fondamentale, notamment dans un contexte de pénurie de certaines matières premières. les États assurent les fonctions régaliennes nécessaires
au développement économique et à la paix sociale. l'édiction des normes et la
sanction de ceux qui les méconnaissent Oustice, police) tout comme la diplomatie
et la force armée relèvent de l'action étatique.
Au-delà de ces fonctions régaliennes, les États restent garants de la cohésion sociale en mobilisant à cette fin des processus de redistribution basés sur les prélèvements fiscaux, afin de favoriser un t raitement équitable des individus. l'État
intervient également le plus souvent dans l'ensemble des domaines dans lesquels
existe un intérêt général qui ne peut être suffi samment satisfait à t ravers les
mécanismes t raditionnels du marché, par exemple l'éducation, la recherche, la
cult ure, l'insertion ... Alors même que« l'Ét at-Providence» est en crise, le principe
même de l'interventionnisme étatique n'est pas réellement contesté.
Par ailleurs, l'État reste souverain sur son territoire. Au niveau international, les
organisations existantes, gouvernementales ou non gouvernementales ne se sont
pas substituées aux États. En cas de crise économique par exemple, les intérêts
nationaux, défendus par l'État, priment toujours sur le respect des directives des
organisations internationales. Enfi n, la montée en puissance du terrorisme mont re
que les Ét ats sont plus que jamais en charge de la sécurité nationale. Or, les échanges économiques et les investissements se développent principalement entre États
stables.
la mondialisation questionne néanmoins l'État sur sa capacité à répondre avec
efficacité aux nouveaux besoins sociaux et à s'adapter au contexte sociologique.
les débats récents sur l'évaluation des politiques publiques et la quantification
des objectifs publics participent de cette interrogation : l'Ét at et l'ensemble des
organismes publics sont désormais perçus comme des moyens, des instruments,
au service d'objectifs précis. les notions t raditionnellement attachées à l'action
l'essentiel de Io culture générale
publique que sont le service, l'intérêt général, la neutralité ou la solidarité ne
sont plus aussi consensuelles.
En outre, l'accélération récente de la mondialisation ent raîne une diversification
et une autonomisation des acteurs t ransnationaux. Plusieurs ONG tentent de
combler ce vide, mais elles manquent de légitimité pour prétendre représenter
les« citoyens du monde »et sont souvent marquées par des idéologies partisanes.
la prise de conscience de l'unicité de la planéte face aux risques« globaux », par
exemple écologiques, est pourtant une caractéristique fondamentale du début
du xx1• siècle.
-
t Peut-on envisager un gouvernement mondial ?
la mondialisation des enjeux implique logiquement des interrogations sur l'opportunité de créer des règles mondiales. Cette sit uation conduit certains à réclamer une organisation de la mondialisation fondée sur des règles universelles et
des instit utions politiques communes. À l'appui de cette prétention, il faut noter
que la mondialisation est un vecteur de développement d'un sentiment citoyen
partagé à l'échelle de la planète. la mise en place de nouveaux contre-pouvoirs
et l'irruption sur la scène mondiale de la « société civile » (ONG, associations ... ),
t raduisent la volonté de mettre en place de nouvelles formes de participation
politique. Il est cependant évident que la simple défi nition de règles communes
dans des secteurs tels que le commerce et l'environnement, portées par des instit utions spécifi ques, est déjà un exercice délicat .
Pourtant, la question de l'universalité des droits de l'homme conditionne la mise
en place de règles communes, basées sur une sorte de consensus moral. la clause
« sociale » évoquée lors de l'Uruguay round en 1994 constituait une première
tentative de faire en sorte que la liberté des échanges ne profite qu'aux États
n'exerçant pas de dumping social au travers de l'absence de protection sociale,
du travail des enfants ... la définition d'une« morale universelle» est cependant
diffi cile : les débats apparus lors de la« guerre au terrorisme »déclarée par les
États-Unis et les interventions subséquentes le démontrent .
Enfin, alors même que la mondialisation peut promouvoir un universalisme
humaniste, on constate également l'émergence d'un nouveau communautarisme.
Ainsi, la mondialisation a presque partout coïncidé avec la prolifération de sectes
religieuses ou de mouvements de repli communautaire de nature et hnique et
politique, notamment en Inde, en Amérique latine, au Moyen-Orient et dans
l'ensemble de l'Afrique.
Thème 9 • Lo mond ialisa tion
t La mondialisation crée-t-elle l' inégalité ?
le nombre de personnes vivant aujourd'hui dans un dénuement total est évalué
à 1, 1 milliard et, selon le président de la Banque mondiale, près de 3 milliards de
personnes (soit la moitié de la population mondiale) vivent avec moins de deux
dollars par jour.
En effet, la mondialisation renforce les contraintes structurelles transnationales
qui pèsent sur les politiques sociales des États, y compris celles des pays développés. les États perdent en autonomie car la mondialisation rend d'autant plus
coûteuses les politiques d'assistance et plus généralement les politiques de redist ribution. les pays sont donc incités à favoriser des « avantages compétitifs » basés sur une concurrence en matière de réglementation, de protection sociale, de
fiscalité et d'éducation notamment. Ainsi, la mondialisation a incontestablement
creusé l'écart entre les pays qui parviennent à s'intégrer au marché mondial et
ceux qui n'ont aucune ressource, matérielle, politique et culturelle pour profiter
de la dynamique des échanges internationaux.
la rapidité de diffusion et les volumes de l'information circulant actuellement
donnent un avantage concurrentiel déterminant aux pays qui parviennent à maît riser cette dernière. les différences de situation économique existant ent re les
pays et entre les populations risquent donc de se creuser du fait de la mondialisation de l'information. Au sein même de certains pays, cette évolution risque
d'être amplifiée par l'existence d'une élite extrêmement réduite concentrant et
conservant l'ensemble des richesses et des moyens de développement .
Enfin, la mondialisation économique profite au consommateur puisqu'il a ainsi
accès à un large choix de produits à un prix souvent plus faible puisque la concurrence joue au niveau mondial. Au contraire, elle favorise les délocalisations des
industries qui utilisent un volume important de main-d'œuvre peu qualifi ée, ainsi
que la concurrence ent re pays riches eux-mêmes. Si les délocalisations sont quantitativement faibles, elles touchent souvent des régions ou des populations déterminées, alors fragilisées, renforçant ainsi les inégalités internes.
t Qu'est-ce que le régionalisme ?
À la mondialisation qui semble dissoudre les solidarités répond une activité régionale de plus en plus forte. le régionalisme correspond au comportement de
pays qui cherchent à créer des liens entre eux pour développer leurs activités,
peser davantage dans l'échiquier international, résoudre des difficultés communes, construire des projets communs ... l'intégration importante de ces pays crée
des synergies et une interdépendance, qui se manifestent notamment dans une
forme d'organisation commune, fondée sur des accords d'intégration. Ce régionalisme nécessite une proximité géographique, des interactions ent re États et la
l'essentiel de Io culture générale
percept ion partagée qu'il existe une « région » avec des liens culturels forts d'un
pays à l'aut re.
-
Depuis la Seconde Guerre mondiale, environ 200 organisations régionales ont été
créées, de nat ure et d'influence très hétérogènes (finalités, nat ure des pouvoirs
t ransférés par les États membres, nombre de participants, aires géographiques
concernées ... ). Jusqu'à présent, les associat ions mises en place participent surtout
de la volonté d'Ét ats de déterminer un moyen de sortir de relations conflictuelles
en privilégiant le commerce et le développement, mais visent également à constit uer des aires de sécurité et de coopération milit aire.
le régionalisme se traduit par une communauté d'intérêts en mat ière polit ique,
diplomatique et économique. En mat ière économique, le régionalisme concerne
notamment l'Amérique du Nord, l'Europe et l'Asie du Sud-Est. les organisations
créées disposent de pouvoirs plus ou moins importants pour représenter, voire
contraindre, leurs États membres. Vecteur de protection des droits de l'Homme
(par exemple au t ravers du Conseil de l'Europe), de solidarité et de part age des
problémat iques globales (par exemple en mat ière d'environnement ), le régionalisme permet le développement de synergies qui vont au-delà du seul domaine
économique. le régionalisme s'est plus particulièrement développé après la Seconde Guerre mondiale : création du Benelux en 1944, de !'Organisat ion européenne de coopération économique (OECE) en 1948, du Pacte de l'At lantique et
du Conseil de l'Europe, en 1949, de la Communauté Européenne du Charbon et
de I' Acier (CECA) en 1951 ; signature du Pacte de Varsovie en 1955, création de la
Communauté Économique Européenne (CEE) en 1957 ... l'Organisat ion de l'Unité
Africaine (OUA) est fondée à Addis-Abeba en 1963 puis est devenue en mai 2001
l'Union Africaine (UA).
la fi n de la guerre froide a largement relancé les init iatives de régionalisme. la
Communauté des Ét ats Indépendants (CEi) en 1991 , l'Organisation sur la Sécurité
et la Coopération en Europe (OSC E), remplaçant la CSC E en 1992, l'Union européenne (1992), I' Accord de libre-Échange Nord-Américain (ALE NA ou NAFTA en
anglais) en 1992.
On peut distinguer plusieurs sortes de régionalisme économique: la zone d'échange préférent iel ; la zone de libre-échange qui abolit tous les droits de douane
applicables aux échanges ent re États membres ; l'union douanière qui prévoit
en plus un t arif douanier commun applicable aux importat ions des Ét ats t iers ;
le marché commun qui prévoit une libre circulation des capitaux, des services et
recherche, donc une harmonisation des législat ions nationales ; l'union économique qui y ajout e une polit ique économique et monétaire commune, voire une
monnaie unique.
Thème 9 • Lo mond ialisa tion
t Comment les rôles sont-ils répartis entre les acteurs de la scène
internationale ?
lorsque l'on envisage les acteurs internationaux, le premier cité est bien évidemment l'État, et ce malgré les crises successives dont il a fait l'objet. le nombre
d'États a quadruplé depuis 1945. Plusieurs concurrents sont néanmoins apparus :
organisations gouvernementales ou non gouvernementales, entreprises multinationales, individus regroupés en réseaux ...
les Organisations non gouvernementales (ONG) jouent un rôle de plus en plus
important sur la scène internationale. les 20 000 ONG existantes sont des asso- ~
ciations privées sans but lucratif qui œuvrent en faveur du développement, de la ~
solidarité entre les peuples et de l'équilibre entre nations industrielles et pays en
voie de développement . Elles sont financées essentiellement par des individus ou
par des institutions. les ONG sont reconnues par l'article 71 de la Charte de l'ONU
donnant compétence au Conseil économique et social pour« consulter les ONG »,
et leur accorder le stat ut d'organisation consultative pour 3 ans renouvelables.
Ce stat ut permet aux ONG d'intervenir dans les discussions en cours, parfois en
modifi ant l'ordre du jour. Dans le cadre du Conseil de l'Europe, la convention du
24 avril 1986, ratifi ée par la France en 1999, établit la reconnaissance mut uelle
des ONG établies dans un des pays signataires.
les ONG influencent largement les processus d'élaboration des règles de droit,
en particulier international : par exemple, l'affi rmation du principe d'ingérence
humanitaire grâce à Médecins du Monde, la convention d'Ottawa sur les mines
anti-personnel. le protocole de Kyoto, le traité sur la Cour pénale internationale,
la campagne sur la dette « Jubilé 2000 » ... En outre, les ONG restent un acteur
majeur de dénonciation des agissements contraires aux droits de l'homme, d'atteintes à l'environnement, d'abus économiques ...
Cependant, elles souffrent d'un important problème de positionnement. Par
ailleurs, certains États dictatoriaux (Chine, Cuba, lybie) ont créé des ONG qu'ils
contrôlent entièrement de manière à pouvoir discréditer et marginaliser les ONG
indépendantes qui leur porteraient ombrage. Cette pratique est devenue si familière que les termes GONGO (governmental organised non governmental organisation) et QU ANG O pour quasi-organisation ont été créés pour les désigner. les
ONG souffrent en outre d'un manque de coopération et se posent concurrentes
les unes par rapport aux autres. Enfi n, les ONG ont des difficultés à intervenir
dans les États mafi eux ou autoritaires. l'émergence d'un partenariat public-privé,
notamment approfondie lors du sommet de la Terre de Johannesburg en 2002,
représente pour certains une marginalisation des ONG alors qu'il représente pour
d'autres une synergie capable d'aboutir à des projets précis faisant de la société
civile un acteur compétent et réactif.
l'essentiel de Io culture générale
Par ailleurs, l'approche en termes de réseau met l'accent sur le rôle des individus
dans les relations internationales (experts internationaux, artistes). la criminalité
est également concernée. Selon un document du Parlement européen du 20 juin
2005, elle équivaudrait à la 4e puissance mondiale. Drogue (qui fi nance d'ailleurs
les réseaux terroristes), t rafic d'organes, d'êt res humains, prostitution, criminalité
numérique (ex.: clonage de cartes de crédit et vol d'identité), fabrication illégale
et contrebande d'armes, contrefaçon, faux-monnayage, espionnage industriel,
t rafic de matières nucléaires, de déchets ainsi que de toutes denrées ou espèces
animales en voie de raréfaction, blanchiment des profits du crime, l'ensemble
des activités criminelles est en croissance. les organisations criminelles sont principalement localisées en Russie, en Europe de l'Est, en Asie centrale, en Chine, au
Nigeria et au Brésil. la coopération internationale en matière de lutte contre la
criminalité est encore faible.
t Peut-on parler d'éthique au sein des relations internationales ?
Au xv1• siècle les thèses de Machiavel (« le Prince », 1532) avaient dissocié la
morale de l'exercice du pouvoir, puis la « Raison d'Ét at » a été utilisée comme
déterminant politique par le cardinal. la Realpolitik naît ensuite sous Otto von
Bismarck en 1866, lorsqu'il négocia un rapprochement avec le Piémont afin
d'attaquer l'Aut riche-Hongrie malgré l'existence de la Confédération allemande
mise en place par le Congrès de Vienne en 1815 ent re les États allemands et
l'Aut riche. Au contraire, dans les années 1970· 80, les droits de l'Homme ont pris
une place de plus en plus importante, notamment dans la communication de
la diplomatie américaine (notamment James Carter et son principal conseiller,
Zbegniew Brzezinski). Depuis, l'évolution des relations internationales, avec la
création d'instances judiciaires et d'organisations politiques internationales a
encore renforcé la place des droits de l'Homme et de l'environnement dans la
diplomatie internationale.
Envisager l'éthique dans les relations internationales peut néanmoins paraît re
naïf. Non que la nécessité de faire respecter certaines valeurs morales ne soit
pas souhaitable ou même nécessaire, mais l'indépendance des États qui fonde
le droit international public paraît diffi cilement compatible avec la définition
de codes normatifs, aussi informels soient-ils, qui aient une portée réellement
contraignante. Pourtant, les efforts en la matière sont de plus en plus nombreux,
en écho aux attentes de sociétés civiles qui portent un regard de plus en plus
attentif sur le sujet.
Dans le contexte des relations internationales, l'éthique peut s'entendre comme
l'ensemble des règles applicables, qu'elles aient ou non force juridique. En droit
international, l'ét hique correspond à l'application de principes, proches du
concept kantien « d'impératif catégorique » : l'action, pour être morale, doit
relever d'une « valeur» et non de la recherche d'un avantage.
Thème 9 • Lo mond ialisa tion
Au-delà des moyens de répression qui ont montré leurs limites, la communauté
mondiale se tourne vers le fondement éthique, le plus universel, moins pour s'assurer de la disparition des comportements immoraux que pour favoriser les comportements positifs. la montée en puissance de concepts comme le développement durable, de gouvernance ou de citoyenneté mondiales, le soutien important
apporté à une justice internationale encore fragile, le succès des mouvements
altermondialistes, le renforcement de l'influence des organisations internationales sont autant de moteurs qui incitent au développement de « soft rules ». Ces
dernières sont notamment constituées des « normes de conduite », qui exercent
un effet positif en valorisant les attitudes responsables.
l'ét hique suppose un système de valeurs universelles, ce qui paraît utopique. Cependant, la chute du mur de Berlin en 1989 et la fi n du monde bipolaire ont donné l'espoir de créer une nouvelle forme de gouvernance mondiale permettant
de prendre en compte la protection de la vie humaine. Cette prise de conscience
« éthique » responsabilise de plus en plus les gouvernants sur des sujets tels que
les préoccupations environnementales ou sociales. !.'.ét hique donne ainsi la possibilité à la Communauté internationale d'intervenir préventivement au-delà du
recours aux sanctions.
les considérations ét hiques se manifestent notamment en matière de commerce équitable. En 2004, la vingtaine d'associations de type Max Havelaar dans le
monde regroupées au sein de la fair Trade labelling Organizations (FLO) ont
écoulé 125 000 tonnes d'une quinzaine de produits, ce qui reste symbolique. Sans
illusion sur sa réelle portée, le commerce équitable a le mérite de mobiliser les
opinions publiques du Nord et de renforcer l'organisation des producteurs au
Sud. De même, il faut noter l'existence de fonds éthiques, encore marginaux, qui
correspondent à des placements intégrant des critères sociaux ou de respect de
l'environnement dans les choix d'investissement .
En outre, si la libéralisation économique reste le principal moteur de la globalisation, les ONG sont de plus en plus actives pour proposer des règles commerciales
alternatives: les actions de « shaming », consistant à dénoncer les investissements
de firmes dans des pays ne respectant pas les droits de l'Homme, se multiplient,
même si leur rôle reste limité (l'exemple de la Chine est éclairant). En outre, les
multinationales, dans la mesure où l'opinion publique est sensibilisée aux sujets
ét hiques, se doivent de se préoccuper de ces sujets : démarches de certifications
ISO, chartes d'entreprises, création de fondations, de prix, de mécénat, les initiatives positives se multiplient.
l!!lm
l'essentiel de Io culture générale
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hème
1
LA GUERRE ET LA VIOLENCE
«La guerre ne donne aucun droit qui ne soit nécessaire à sa fin. »(Jean -Jacques
Rousseau, Du contrat social)
« La guerre n'est pas une aventure. La guerre est une maladie. Comme le typhus.» (Antoine de Saint-Exupéry, Pilote de guerre)
« L'art de la guerre, c'est de soumettre l'ennemi sans combat. » (Sun Tzu, L'Art
de la guerre)
« La violence est injuste d'où qu'elle vienne. »(Jean-Paul Sartre, Le diable et le
bon dieu)
-
1.
Définitions
la violence est un terme générique qui désigne une manifestation agressive,
mentalement ou physiquement, qui provoque la douleur, la peine, le malaise.
Elle correspond à toute manifestation offensive qui porte atteinte aux droits ou à
l'intégrité de biens ou de personnes. les manifestations de la violence varient en
fonction des cult ures. la montée en puissance de l'humanisme a conféré à la violence une nature résolument négative. Il existe pourtant des violences légitimes,
car défensives (ex.: légitime défense, désobéissance civile ... ).
Historiquement, l'usage de la violence a ainsi souvent été légitimé par l'oppression ou la volonté d'acquérir l'indépendance. l'usage de la force peut aussi êt re
motivé par le simple désir d'êt re violent (« violence grat uite»). les religions l'ont
intégrée différemment : la violence est ainsi parfois prohibée (par exemple, le
« tu ne tueras point » dans les Dix Commandements), instrumentalisée (croisades,
Djihad, sacrifices humains ... ), codifiée (peine de mort, guerre ... ).
les motivations de la violence sont multiples. Elle peut êt re perçue comme une
manifestation d'un malaise social, au risque de déculpabiliser les auteurs de violences. Au contraire, elle peut s'expliquer, comme le soutiennent notamment les
behavioristes, comme un choix rationnel de recherche du plaisir ou d'un avantage
et non par une absence de ressources, d'éducation, d'émotion ou d'empat hie.
Seul l'État aurait, selon Max Weber, le« monopole de la violencelégitime ».Weber
a en effet recherché ce qui distinguait l'État des aut res st ructures sociales et il est
arrivé à la notion de « monopole de la violence légitime » : la violence, forme
ultime de régulation sociale, est centralisée par l'État qui dispose à la fois des
moyens d'en faire usage avec succès et de faire respecter son «monopole » vis-
l'essentiel de Io culture générale
à-vis des autres groupes sociaux. la force heuristique de cette notion provient
du fait qu'elle englobe à la fois la puissance civile et militaire (violence), le droit
(monopole) et la politique (notion de légitimité).
la guerre dispose d'un sens plus précis et répond instinctivement à un cadre plus
strict, à des règles prédéfi nies. Il s'agit d'un conflit particulier, dont la violence
n'est qu'une manifestation. la guerre peut êt re défi nie comme une lutte armée,
un acte de violence organisé entre acteurs collectifs, ayant pour objectif de soumettre une collectivité organisée (pays, communauté... ) disposant d'une autonomie politique au moins relative. Elle peut se fonder sur la défense, la promotion
ou la conquête de valeurs, de pouvoirs ou de ressources. la guerre se conduit à
-.a:iUI t ravers la mobilisation d'armées. l'apparition de soldats est liée au développement de la sédentarisation. les Spartiates, puis les romains ont progressivement
rationalisé l'organisation de l'armée. le x1v" siècle verra l'apparition des armes à
feu dans les combats militaires, ainsi que la multiplication des mercenaires professionnels, qui seront à l'origine des armées professionnelles modernes.
En termes de moyens, l'usage des armes à feu s'est répandu au cours du xv~ siècle.
le concept de « guerre nationale », fondé sur des armées de conscription, remplaçant des armées féodales peut être daté de la bataille de Valmy (20 septembre
1792) ent re Français et Austro-prussiens. la naissance des conflits armés modernes, opposant des armées de masse mobilisant des moyens industriels importants
et les ressources de la société civile (armes, transports ... ) remonte à la guerre de
sécession (1861 -1865) aux États-Unis.
la Grande guerre 1914 à 1918 a ensuite profondément marqué l'histoire de la
guerre, dans la mesure où les moyens utilisés, les dégâts occasionnés et les pertes humaines ont atteint un niveau de barbarie sans précédent. la guerre a été
anonymisée, transformée en véritable boucherie industrielle. Une réelle fracture
a eu lieu ent re la vie au front (guerre de position dans les tranchées, avec des
conditions de vie inhumaines) et la vie civile. Enfi n, la guerre froide constitua
une nouvelle forme de conflit fondée sur l'équilibre généré par l'arme nucléaire,
entraînant un déclin de la forme t raditionnelle de la guerre.
la guerre est circonscrite dans l'espace et dans le temps et suppose un conflit
entre deux forces égales. Au contraire, on parlera de pacification, de rébellion
ou de révolution en cas de rapport de forces déséquilibré. Elle ne suspend pas les
relations ent re États belligérants mais les transforme ; elle constitue une continuation de la politique par des moyens violents (K. Von Clausewitz). la guerre est
en effet un acte éminemment politique. Carl Schmitt considère que le politique
est la scène de distinction entre ami et ennemi. la guerre est donc l'acte politique
par excellence, car pour exister soi-même il faut s'identifier par rapport à son ennemi et le combattre. l'Ét at est la forme la plus complète du politique parce qu'il
a seul le pouvoir d'identifi er et de nommer l'ennemi intérieur et extérieur. Avec la
mondialisation, la distinction ami/ennemi pourrait t rouver sa fin dans l'évolution
Thème 10 • Lo guerre et Io violence
vers une dépolitisation de la planète et l'avènement d'une société universelle
(cosmopolis).
le terme de « guerre » a cependant été étendu à toute forme de conflit ou de
lutte. On parle d'ailleurs de « guerre » contre une idéologie, un fléau, une maladie ... la guerre contre les incivilités, contre la faim, contre certains insectes, les
exemples sont nombreux. la guerre peut également se défi nir par rapport à une
conquête: guerre pour l'acquisition de territoires, l'autonomie politique, de ressources nat urelles ... Elle peut être commerciale, culturelle, religieuse, ethnique,
psychologique ...
Une guerre armée va se caractériser à partir de plusieurs critères : la localisation, les finalités, les protagonistes (par exemple, conflit interétatique ou non),
la soumission à des normes juridiques (par exemple la convention de Genève), les
enjeux (conflit ethnique, religieux), les techniques utilisées, le t ype d'armement
mobilisé (par exemple présence ou non de l'enjeu nucléaire) ...
Autant les causes potentielles de conflits abondent, autant défi nir précisément
les causes d'un conflit relève de la gageure. On peut cependant évoquer plusieurs
causes récurrentes, qui s'ajoutent dans certains cas: irrédentismes locaux, répartition des ressources nat urelles ; oppression de minorités (culturelles, et hniques,
religieuses ... ), morcellement du système international. .. la guerre est perçue par
certains comme une « loi divine » (Bossuet, J. de Maistre) ou comme la conséquence des passions humaines (Platon, Alain) ou encore des contradictions internes du capitalisme (K. Marx).
À la guerre sont t raditionnellement attachés plusieurs effets : impact économique lié à l'effort de guerre (investissements publics, innovations technologiques),
impact démographique (baby-boom, papy-boom actuel), fonction de diffusion/
métissage des cultures. l'impact politique et diplomatique èvident s'ajoute à la
diffusion culturelle et technique que la guerre entraîne.
Actuellement, on décompte environ une vingtaine de conflits armés ent raînant
annuellement un millier de morts. les irrédentismes locaux et la marginalisation de certaines populations, la prolifération des armes de petit calibre et la
volonté de contrôler les ressources nat urelles nourrissent ces conflits, largement
concentrés en Afrique (Burundi, Congo, Côte d'ivoire, Érythrée, Éthiopie, Liberia,
Ouganda, République centrafricaine, République démocratique du Congo (ROC),
Sénégal. Somalie, Soudan, Tchad ... ). Certains conflits durent depuis des décennies
(par exemple en Israël. au Sri Lanka), d'autres sont plus récents (guerre en Irak).
En principe, seule l'agression d'un État par un autre place ce dernier en état légitime de recourir à la guerre. la légitime défense est en effet prévue par la Charte
de l'ONU. À cette légitimité« juridique» s'ajoute une légitimité« éthique», souvent èvoquée par les États, pour justifier l'ent rée en guerre à partir d'une« juste
cause ». Plusieurs catégories de conflits sont aujourd'hui identifi ées : la guerre
!mm
'.
l'essentiel de Io culture générale
« préemptive » consiste à anticiper une agression jugée imminente en déclenchant préalablement un conflit; la guerre« préventive »consiste à déclencher un
conflit pour contrer une menace simplement potentielle dont la concrétisation
n'interviendrait qu'à long terme. la guerre préventive repose donc sur un sentiment d'insécurité et non sur une insécurité objectivement motivée, ce qui la prive
de toute légitimité. Elle est utilisée dès lors qu'un État souhaite mobiliser une
supériorité temporaire pour empêcher un adversaire potentiel de renforcer ses
capacités militaires et de devenir plus menaçant. le dernier exemple le plus connu
de guerre préventive est celui de la guerre d'Irak en 2003.
~
la guerre peut également êt re provoquée par la volonté de conquérir d'autres
territoires et d'y imposer sa domination par la force. Cet impérialisme suppose,
pour un État, de mettre sous sa dépendance économique, diplomatique, militaire,
voire culturelle, d'autres Ét ats. l'impérialisme doit être distingué de l'hégémonie,
qui suppose que la domination exercée soit au contraire consentie. l'impérialisme
définissait à l'origine la politique d'expansion coloniale britannique au xix• siècle,
puis a pris son acception péjorative au début du xx• siècle avec la critique néomarxiste. Actuellement, l'impérialisme désigne plus largement toute tendance de
domination, quelle qu'en soit la manifestation : impérialisme culturel des ÉtatsUnis, impérialisme des multinationales à l'égard des populations ...
Il faut également évoquer la « diplomatie coercitive » ou la « guerre psychologique», qualificatifs sujets à caution, consistant à exécuter des pressions diplomatiques et/ou psychologiques fortes, évent uellement appuyées sur une intervention
militaire (par exemple, les bombardements effectués en 1999 par l'Otan en République Fédérale de Yougoslavie pour obliger les dirigeants serbes à accepter
les exigences diplomatiques ou bien les pressions économiques exercées sur l'Iran
pour que le pays renonce à son programme nucléaire). Cette «guerre psychologique» a fait l'objet de vives critiques, car elle peut êt re perçue comme un nouvel
outil de l'impérialisme. la diplomatie coercitive est notamment fondée sur la menace d'une intervention militaire, et surtout sur une « politisation » de la guerre,
qui passe par une maîtrise indirecte des actions militaires (par exemple, approbation préalable systématique des cibles et des frappes par les autorités politiques).
Ces évolutions sont représentatives d'une politisation de l'usage de la force, qui
limite l'autonomie relative des militaires.
Thème 10 • Lo guerre et Io violence
-
2.
Problématiques
t Qu'est-ce que la conception classique de la guerre ?
la conception classique de la guerre repose avant tout sur un cadre normatif
strict, un véritable« droit de la guerre ». Ce droit de la guerre régit l'ensemble
des phases guerrières: l'ent rée en guerre, les modalités et les effets du confl it,
ainsi que la formalisation de la fin de la guerre. l'ent rée en guerre exige par
exemple le formalisme de la déclaration de guerre. la guerre s'achève également
par la signature d'un document qui met fi n au conflit (t raité de paix, accord de reddition ... ).
~
Dans son traité De la guerre (1831), Clausewitz défi nira les différentes caractéristiques de la conception« classique» de la guerre: il s'agit selon lui d'un« prolongement de la politique par d'autres moyens», une période de la vie diplomatique
et politique qui s'intercale entre deux périodes de paix. la guerre n'est donc pas
un acte de violence arbitraire, inconditionnelle (puisque des règles sont appliquées) et grat uite (puisque l'objectif est de« contraindre l'adversaire à exécuter
notre volonté»), mais bien un acte politique, avec une fi nalité précise et la nécessité de proportionner les moyens employés à cette dernière. Montesquieu écrivait
dans De /'Esprit des lois (1748) que« le droit des gens est naturellement fondé sur
ce principe que les diverses nations doivent se faire [. .. ]dans la guerre le moins de
mal qu'il est possible, sans nuire à leurs véritables intérêts ».
Des normes encadrant l'exercice de la grève ont existé bien avant le x1x• siècle :
un code de conduite en temps de guerre était utilisé par les babyloniens 2 000
ans avant J.-C. De même dans l'Inde ancienne, le Mahâbhârata incitait lui aussi
à la clémence envers les ennemis désarmés ou blessés, à l'instar de la Bible et du
Coran. Dès le Moyen Âge, le droit des gens et la« Trève de Dieu » ont également
apporté des garanties. les règles du« droit de la guerre» furent codifi ées en 1625
par Grotius (De jure ac be/lis et pacis: De la guerre et de la paix), qui a d'ailleurs
été le premier juriste à distinguer le droit de la religion. Il a en effet affirmé que
le« droit des gens»(« droit des nations», ce qui correspond aujourd'hui au droit
international) peut être construit, quand bien même Dieu n'existerait pas.
Il faudra cependant attendre le x1X" siècle pour que soit formalisé, lors de la Conférence sur la paix de la Haye en 1899, un ensemble de lois sur les modalités de la
guerre (Conventions de la Haye, 1899 et 1907). En 1907, la 111• Convention de la
Haye a rendu obligatoire la déclaration de guerre et a précisé que «les belligérants n'ont pas un droit illimité quant au choix des moyens de nuire à l'ennemi».
En 1929 naissait la Convention de Genève sur le t raitement des prisonniers.
la Convention de Genève de 1949 évoquera ensuite le « Droit international humanitaire », pour embrasser l'ensemble des dispositions protectrices en cas de
guerre. Plusieurs sources se complètent pour constituer ce droit : le « droit de
l'essentiel de Io culture générale
Genève», en d'autres termes les traités élaborés sous les auspices du CICR (Comité
international de la Croix Rouge), qui visent à protéger les victimes ; le « droit de
la Haye», issu des conférences sur la paix de 1899 et 1907, qui porte sur le contrôle des moyens et des méthodes utilisés; et enfin, les normes issues des Nations
unies, qui veillent à ce que les droits de l'homme soient respectés en cas de conflit
armé. Deux principes fondamentaux sont notamment garantis par ces dispositifs :
d'une part l'interdiction de t uer un innocent, supposant la distinction ent re civils
et combattants ainsi que l'interdiction de tuer des enfants et des civils; et d'aut re
part l'interdiction de recourir à une violence qui ne soit pas nécessaire, ce qui
implique de ne pas t uer, dét ruire ou faire souffrir inutilement .
On remarque cependant que ces règles ont été régulièrement bafouées au cours
des siècles : les attaques surprises sans déclaration de guerre préalable ont été
nombreuses (par exemple l'attaque de Pearl Harbour), de même que l'utilisation
d'armes en principe prohibées (par exemple le gaz moutarde pendant la Première
Guerre mondiale). les génocides (kurde, arménien), !'Holocauste et les camps de
concentration, comme les autres actes de barbarie (mutilations perpét rées lors
des massacres ethniques) et l'ensemble des crimes contre l'humanité montrent
que le« droit de la guerre» a fait l'objet d'infractions constantes. force est donc
de constater, sans que cela surprenne, que les principes énoncés plus haut relèvent davantage d'un code de conduite moral que d'une réelle contrainte : le
droit n'a pas su maît riser complètement l'univers de la guerre, ce qui a d'ailleurs
donné lieu à la création a posteriori de plusieurs cours de justice internationales
(Rwanda, Bosnie) chargées de juger les crimes de guerre, mais dont l'efficacité est
encore limitée. Or la situation est dramatique : 70 % des personnes ayant t rouvé
la mort dans les conflits récents étaient des civils dont une majorité de femmes ou
d'enfants. En 2006, 2 millions d'enfants auraient été tués dans des sit uations de
conflit armé et plus de 6 millions auraient été rendus handicapés à vie.
t Existe-t-il un risque de guerre globale ?
Une forme originale de conflit, actuellement assoupie, avait fait son apparition
au xx• siècle : la « Guerre froide ». Cette forme de conflit désigne le rapport de
force armé ent re l'Occident et les pays du Pacte de Varsovie après la Deuxième
Guerre mondiale. Cette tension n'a pas débouché sur une guerre directe (chaude)
en Europe mais a opposé pendant près de quarante ans les deux blocs de l'Ouest
et de l'Est, par conflits locaux interposés (Corée, Vietnam, Hongrie, Tchécoslovaquie ... ). Cette forme de conflit t raduisait une prise de conscience par les grandes
puissances du caractère potentiellement définitif d'une guerre directe ent re elles
(d'où un« équilibre de la terreur»), en raison des capacités de destruction désormais radicales de l'armement nucléaire. Cependant, le risque de guerre globale
demeure, en particulier du fait de l'existence d'États« voyous » (Rogue States)
comme l'Iran ou la Corée du Nord, qui ne respectent pas le stat u quo en matière
nucléaire.
Thème 10 • Lo guerre et Io violence
Par ailleurs, l'industrie militaire reste florissante. la dépense militaire mondiale
a augmenté de 40 % en dix ans, atteignant plus de 900 milliards d'euros. les
ventes d'armes des 1OO principaux fabricants au monde s'élèvent à plus de 220
milliards d'euros. Ces dernières sont essentiellement concentrées aux États-Unis
(qui représentent près de 50 % de l'ensemble des dépenses militaires du monde)
et en Europe de l'Ouest. les Ét ats-Unis et l'Europe de l'Ouest ont réalisé environ
90 % des ventes d'armes, notamment vers le Proche-Orient . Plus de 80 % du total
mondial des dépenses a été dépensé par les 15 pays les plus militarisés en 2006.
la croissance des armements se poursuit donc, même si les conventions internationales ont partiellement freiné ce mouvement et que la guerre froide a pris fin. Par exemple, les dépenses de la Russie ont augmenté de plus de 150 % depuis 10 ~
ans et le budget militaire de la Chine connaît une augmentation annuelle à deux
chiffres depuis le milieu des années 1990.
t Quelles sont les nouvelles formes de conflit ?
Si la définition de la guerre paraît intuitivement répondre à des canons précis,
elle n'en a pas moins évolué, dans ses manifestations, ses motivations mais aussi
ses représentations. longtemps glorieuse, honorifique, la guerre est désormais
largement perçue comme un fl éau, une source d'atrocités, de misère, de destruction aveugle et arbitraire. Parallèlement, la prise de conscience liée à la guerre
froide concernant les potentialités d'une guerre nucléaire a bouleversé la perception de la guerre par l'opinion publique et les dirigeants. l'arme nucléaire
constitue le paroxysme de la guerre en tant qu'elle modifie ses effets: il ne s'agit
plus de soumettre un adversaire pour exploiter ses ressources mais d'effacer littéralement une partie du monde. l'accès à l'arme nucléaire annihile une large part
de la capacité d'un pays à mener une guerre classique et constitue indirectement
une concentration de ses moyens militaires vers une finalité défensive.
Est-ce à dire que la guerre est morte et qu'il faut désormais uniquement parler de
conflits ? Au contraire, elle reste une possibilité bien vivante. Cependant, ses acteurs, ses modalités et ses finalités ont évolué. l'émergence de conflits locaux, du
terrorisme, de guerres civiles remplace les affrontements directs ent re États. De
même l'usage de l'information, en particulier au t ravers des nouvelles technologies, a modifié l'approche de la guerre. le développement des armes biologiques,
la dissémination des armes de destruction massive liée à la fi n des empires et du
bloc soviétique, restent des menaces importantes. les motifs de guerre (accés
aux matières premières, irrédentismes locaux, gestion de l'eau, migrations climatiques ... ) créent de nouvelles vulnérabilités, de nouvelles sources de convoitise.
Parallèlement, ces nouvelles motivations soulignent la forte interdépendance des
pays quelle que soit leur puissance économique ou militaire.
l'essentiel de Io culture générale
Aujourd'hui, les enjeux militaires n'opposent plus que rarement deux États, mais
sont soit locaux, soit mondiaux à travers la menace nucléaire. le schéma traditionnel de la guerre opposant deux armées d'État est partiellement obsolète :
les nouveaux conflits font intervenir simultanément des acteurs qui présentent
des origines très diverses (groupements terroristes, militaires, paramilitaires, étatiques, communautaires, milices privées... ). les conflits israélo-palestinien, rwandais, bosniaque, irakien, offrent des exemples significatifs. Certaines formes de
guérilla ont également pris une nouvelle ampleur. la guérilla constit ue une forme ancienne de guerre« de harcèlement » (les Jacqueries en témoignent), mais a
pris une importance stratégique depuis la décolonisation.
Il faut aussi souligner qu'au-delà de la guerre électronique, une véritable« guerre
de l'information » se développe, notamment à partir de la prise en compte progressive des techniques de communication et d'information dans les stratégies
des acteurs publics comme des groupes internationaux : guerre des images, des
communiqués, ent retien de la terreur par diffusion de vidéos préenregistrées aux
médias ... Il s'agit de diriger l'opinion, à t ravers des actions de guerre psychologique, de mise en scène, de propagande, de désinformation, destinées notamment
à faire adhérer l'opinion internationale à une cause, à diaboliser l'adversaire ou
bien encore à démoraliser le camp adverse. l'action des services de renseignement
au travers de l'interception voire du contrôle des moyens de liaison de l'ennemi
est cruciale. la recherche de la destruction des forces militaires de l'adversaire est
donc progressivement complétée par une guerre de l'information, dans laquelle
la désorganisation et la médiatisation sont les objectifs principaux.
Une autre tendance fondamentale des conflits actuels, en rapport avec la guerre
de l'information, réside dans la recherche d'une limitation des décès. les ÉtatsUnis ont d'ailleurs développé le concept de« guerre propre» lors des deux conflits
contre l'Irak (1991 et 2003). la« guerre propre» était opposée à la guerre terroriste, « sale », car t uant sans discernement pour instiller et maintenir la terreur.
la guerre« propre » se présentait comme souhaitant tout mettre en œuvre pour
limiter au minimum les pertes humaines, en utilisant des moyens technologiques
permettant des frappes lancées à distance et de précision « chirurgicale »,sur des
cibles uniquement militaires, épargnant les civils et réduisant les risques pris par
les soldats américains.
le concept de « guerre propre », dont les intentions ne sont pas contestables,
n'a cependant pas trouvé de réalisation opérationnelle, les médias ayant largement relayé les souffrances subies par les populations civiles et les soldats. Il est
clairement apparu que la guerre « civilisée » contre la « barbarie » relevait donc
à l'évidence d'un manichéisme primaire, d'une vision (faussement) naïve de la
guerre. Cette dernière est et restera par définition destructrice et sanguinaire. Au
contraire, les guerres menées par les États-Unis en Irak ont permis de souligner
l'importance que revêt la manipulation par l'information, à travers une dénon-
Thème 10 • Lo guerre et Io violence
ciation fallacieuse de détention d'armes de destruction massive. Il est en effet rapidement apparu que cette dénonciation avait servi de prétexte légitimant les interventions américaines en Irak, alors que ces dernières étaient motivées par des
considérations économiques et diplomatiques. De même, les tortures pratiquées
sur les prisonniers de Guantanamo Bay, membres présumés d' Al Qaïda retenus en
dehors de tout cadre légal. ou encore les exactions de soldats américains dans la
prison irakienne d' Abou Ghraïb, sont ent rées en contradiction avec la position de
« gendarme du monde » revendiquée par les États-Unis, prompts à dénoncer les
« États-voyous».
Alors que la guerre était un mode courant et légitime de règlement des différents
internationaux, la 2• partie du xx• siècle, à partir de la guerre froide et des nouveaux enjeux posés par l'usage potentiel de l'arme nucléaire, a relégué la guerre
au rang de recours ultime, tout particulièrement aux cas de légitime défense.
Après avoir restreint les possibilités d'entrée en guerre, le droit international s'est
attaché à développer des mécanismes de règlement pacifique des différends.
le nombre de conflits t ransfrontaliers a diminué, au profit de guerres civiles, internes, liées à des enjeux économiques. les conflits territoriaux demeurent mais
font souvent l'objet de règlements, au moins temporaires, par des procédés diplomatiques et juridictionnels. les différents frontaliers sont encore nombreux :
parmi les exemples d'actualité, on citera la Thaïlande et le Cambodge, le Japon
et la Russie à propos des îles Kourine, la Turquie et la Grèce à propos de la mer
Égée et de la division de Chypre ... !.'.Amérique latine et centrale présentent également plusieurs dizaines de différents frontaliers, de même que les pays de l'exURSS, dont les frontières établies par Staline ne prenaient (volontairement) pas
en compte la réalité de la répartition géographique des ethnies. l'intérêt porté
à certains territoires longtemps ignorés est également croissant, soit qu'ils soient
riches en matières premières, soit qu'ils puissent servir des stratégies militaires ou
commerciales. !.'.Arctique et l'Antarctique constituent des exemples significatifs.
t Quels sont les nouveaux acteurs des conflits ?
Depuis la fin de la guerre froide, on constate une augmentation du nombre de
guerres civiles impliquant des acteurs non-gouvernementaux (réseaux terroristes,
« seigneurs de guerre », milices mercenaires) que ce soit au Cachemire, en Irak,
en Afghanistan, en Afrique ... Ces nouveaux acteurs entraînent de nouvelles
problématiques : contrebande, crime organisé, aide humanitaire détournée,
enfants-soldats recrutés par la force (plus de 200 000 actuellement ), t rafic
d'armes ... Malgré la Convention relative aux droits de l'enfant de 1989 et son
Protocole facultatif concernant l'implication d'enfants dans les conflits armés de
2000, le Conseil de sécurité de l'ONU dénombrait en 2006, dans 19 cas de conflits,
40 États étant coupables d'abus graves contre des enfants.
l!lm
l'essentiel de Io culture générale
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la multiplication des acteurs complique largement les processus de négociation
puisqu'il est parfois diffi cile, en particulier dans les conflits impliquant des t ribus
et/ou des seigneurs de guerre, de déterminer les interlocuteurs capables de ramener la paix. Au Rwanda, en Angola, au Darfour, la question se pose avec acuité.
les périmétres des conflits, en particulier en Afrique, chevauchent plusieurs Ét ats
et sont en perpétuel mouvement, ce qui rend diffi cile l'aide et la négociation.
l'influence de la Communauté internationale devient d'autant plus importante
et se substitue parfois de facto à certains États. le dispositif de maintien de la paix
devra donc nécessairement évoluer, l'intermédiation ne suffisant plus. l'impossibilité de définir dans certains cas les moyens de mettre définitivement fi n aux
confl its rend crucial un accompagnement plus ét roit : les violences civiles, commises notamment par les milices, persistent en effet souvent, notamment en Afrique, après la signat ure d'accords formels. De plus, la réintégration des anciens
combattants, parfois des enfants, est diffi cile. les efforts de reconst ruction n'en
sont que plus délicats. La situation actuelle de la Côte d'ivoire avec le maintien au
pouvoir de Laurent Gbagbo malgré la perte des élections montre à quel point la
démocratisation reste fragile.
Par ailleurs, avec l'arrivée d'Internet, la« cyberguerre »est née, et elle se t raduit
par des attaques d'ent reprise ou de départements gouvernementaux par des virus ou des hackers. l'origine des agressions est souvent diffi cile à déterminer et la
communication des entreprises limitée par crainte de révéler qu'elles sont fragilisées. la politisation des hackers est également une donnée récente. Par exemple,
la France a été victime d'attaques ciblées de la part de hackers chinois durant l'été
2007. l'implication des gouvernements dans ces attaques n'est pas vérifiée mais
souvent évoquée. Malgré les diffi cultés diplomatiques, ce type d'attaque mont re
la nécessité d'une réelle coordination interétatique pour développer la veille et la
prévention, d'autant que les réseaux terroristes et criminels semblent s'intéresser
aux possibilités offertes par ces moyens de désorganisation.
Une autre évolution concerne la militarisation de l'espace : le poids stratégique
croissant de l'espace, à t ravers les satellites, outils décisifs d'observation (notamment militaire), de localisation (notamment des matières premières) et de
communication modifiera probablement le visage des conflits futurs. Durant la
guerre froide, la nécessité de mettre en place un système de défense antimissiles
a maintes fois été évoquée. les ICBM soviétiques et le lancement du Spoutnik
correspondaient à ce souhait, de même que « la guerre des étoiles » de Ronald
Reagan. Abandonnés, puis repris plusieurs fois, ces programmes de défense ont
été accélérés depuis le début des années 2000 : en 2002, les Américains et les
Russes ont dénoncé le t raité ABM et START Il qui limitaient le déploiement de
systèmes anti-missiles.
Thème 10 • Lo guerre et Io violence
t Quelles sont les nouvelles motivations de la guerre ?
Ces motivations vont évoluer en fonction du nouvel équilibre économique et politique du système de relations internationales. la montée en puissance de la
Chine et de l'Inde, la découverte de nouvelles sources géographique de matières
premières et la raréfaction de ces dernières, la modification de la politique internationale des États-Unis notamment, vont jouer un rôle déterminant.
Concernant les matières premières, l'augmentation de la population mondiale
et la croissance de certains pays (Brésil. la Russie, l'Inde et la Chine (BRIC) notamment) créent une demande supplémentaire qui impacte les prix à la hausse, trop
rapide pour être efficacement compensée par le développement des innovations
technologiques, ce qui renforce les tensions diplomatiques liées aux matières premières (par exemple en Asie Centrale concernant les pays t raversés par les oléoducs et gazoducs, mais également au Moyen-Orient avec la guerre en Irak). les
incertit udes concernant le niveau réel des réserves de matières premières, en particulier du pét role, incitent dès à présent les pays en forte croissance notamment
à sécuriser leur approvisionnement. le peak oil (période initiale de décroissance
de la production pét rolière mondiale), prévu pour 2030, pourrait survenir bien
avant car la t ransparence des pays producteurs sur l'état réel de leurs réserves est
encore limitée.
Concernant le minerai, les tensions sont déjà anciennes, en particulier en
Afrique. On se souviendra notamment des guerres dans la région des Grands lacs,
notamment celle de 1998 à 2003, dans la République démocratique du Congo.
les enjeux concernant les minerais sont en modifi cation constante, en fonction
des nouveaux besoins générés par les innovations technologiques. Au-delà des
minerais tels que le diamant, l'or ou le cuivre, d'autres demandes sont apparues:
la colombo-tantalite (coltan nécessaire aux téléphones portables), la tourmaline
(une pierre de joaillerie)... Ces enjeux sont d'autant plus prégnants que nombre
des pays producteurs connaissent une sit uation politique précaire. Par ailleurs, la
corruption est également souvent importante et, de manière générale, la manne
fi nancière générée par l'exploitation des ressources nat urelles ne profite pas ou
t rès peu aux populations locales. le cadre de vie de ces dernières est au contraire
parfois bouleversé par cette exploitation, au point de les priver parfois de leurs
moyens de subsistance, en particulier agricoles. les pressions internationales pour
favoriser la transparence des pays concernés sur le sujet sont encore malheureusement insuffisantes, les ent reprises concernées étant t rès réticentes à la publication du détail de leurs comptes. En 2003, le Royaume-Uni a néanmoins lancé une
initiative pour la t ransparence des industries extractives « Publiez ce que vous
payez » sous la pression de diverses ONG : la participation à cette campagne de
t ransparence est devenue une obligation pour recevoir l'aide des bailleurs de
fonds dont la Banque mondiale, mais elle est en pratique encore trop peu respectée.
lflm
l'essentiel de Io culture générale
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Concernant l'eau (« or bleu »), le risque de pénurie modifi e la valeur de cette
ressource. Actuellement, 1,7 milliard de personnes vit dans des pays qui souffrent
du manque d'eau. Cette dernière va donc bientôt devenir un bien d'exportation.
Par ailleurs, la recherche du contrôle des cours d'eau a souvent un rôle dans le
développement d'autres pays que celui qui agit sur son propre territoire. Certains
pays bénéfi cient d'une capacité d'intervention et d'un pouvoir de nuisance importants. Ainsi, l'Ouzbékistan, en ouvrant les vannes de ses barrages, a la capacité d'inonder une partie du Kazakhstan, notamment si ce dernier refusait de lui
fournir l'électricité dont il manque régulièrement . Autres exemples: la Turquie a
érigé des digues qui lui permettraient d'assécher !'Euphrate avant qu'il parvienne
en Syrie ou en Irak et l'exploitation du Nil est source de tension pour l'Égypte, le
Soudan, le Burundi, le Kenya, la Tanzanie, l'Ouganda et le Rwanda. Empêcher les
tensions de dégénérer suppose la signat ure d'accords multilatéraux, prévoyant la
gestion partagée des ressources hydriques et l'échange de contreparties pour les
pays qui ne sont pas en position de force, à l'instar de celui qui avait été signé en
1959 par l'Égypte et par le Soudan.
t Existe-t-il une « privatisation » de la guerre ?
la guerre actuelle en Irak a attiré l'attention médiatique sur les sociétés militaires privées (SMP) qui ont participé aux conflits. À la vision classique de la guerre
opposant deux armées régulières, s'oppose une forme de guerre à laquelle participent largement des mercenaires payés à cette fin. l'implication d'entités privées
à but lucratif n'est évidemment pas nouvelle, mais leur organisation en sociétés
et leur présence massive lors des dernières guerres en Irak est également représentative d'un souhait des pays riches« d'externaliser »la guerre.
Cette externalisation présente en effet plusieurs avantages. Elle permet de préserver la vie des soldats de l'armée publique, dans la mesure où l'opinion publique y
est particulièrement sensible. Elle donne également la possibilité d'intervenir rapidement à l'étranger, puisqu'elle évite notamment les contrôles parlementaires
et mobilise des structures flexibles et t rès réactives. les contraintes juridiques et
les risques politiques sont moindres.
Une « mercenarisation » semble donc se développer: lors de la première guerre
du Golfe de 1991 , le ratio était d'environ 1 acteur privé pour 100 soldats; il est
passé à 1 pour 10 en 2003, puis 1 sur 5 en 201 O. Or le contrôle de ces SMP est particulièrement faible, aucun système centralisé n'étant par exemple capable de suivre les nombreux contrats d'externalisation passés par les agences américaines.
t Existe-t-il une guerre « juste » ?
le recours à la guerre est naturellement justifié par les États concernés par une
«juste cause», dont la défi nition est nécessairement périlleuse. Il est en effet essentiel pour un État de justifier son action au regard des opinions publiques, des
Thème 10 • Lo guerre et Io violence
autres États, des organisations internationales et du droit international. Évaluer
le caractère « juste » d'une cause est d'autant plus délicat que les enjeux sont
complexes. Ainsi, le simple rétablissement d'un régime démocratique dans un
pays, s'il s'agit d'un objectif apparemment consensuel, devrait êt re examiné dans
ses modalités : pertes civiles, déstabilisation géopolitique d'une région, risque
de crises militaires en cascade ... l'exemple de la dernière guerre en Irak est à cet
égard particulièrement éclairant .
Il faut d'ailleurs remarquer que les motifs invoqués par George Bush et George W.
Bush fils pour justifi er les interventions en Irak reposaient sur l'invocation de la
religion, dans une approche similaire à celle des croisades. Dès 1991 était évoquée
la« volonté de Dieu »,puis plus récemment « la croisade cont re le mal», qui donnait un fondement absolu, t ranscendant, à l'intervention en Irak et permettait du
même coup de ne pas tenir compte des critiques (pourtant moralement justifi ées)
portant sur la présence mensongère d'armes de destruction massive en Irak et les
dommages infligés aux populations civiles.
Définie par Saint-Augustin (345-430), puis repris dans le décret de Gratien rédigé
vers 11 20, la guerre «juste »est définie comme« celle menée dans une intention
droite, sous la direction d'une autorité légitime et dans un but défensif ou dans
celui de reprendre un bien injustement acquis». la guerre« juste» ne correspond
donc pas nécessairement à la guerre« sainte». Par ailleurs, aucune garantie n'est
donnée quant aux moyens utilisés. Même les guerres fondées sur un motif religieux ont donné lieu à des exactions importantes sur les populations civiles (par
exemple: massacres en 1099 après la prise de Jérusalem et en 1204 lors de la prise
de Constantinople).
t Quelles sont les nouvelles formes de violence ?
À l'heure actuelle, les incivilités sont régulièrement évoquées. les incivilités englobent l'ensemble des comportements qui s'opposent à la vie en société. lis sont
perçus comme bénins par leurs auteurs et agressifs par leurs victimes, mais échappent aux incriminations pénales car ils se situent en deçà du seuil d'incrimination
et de répression juridique.
Concrètement, il s'agit de désagréments tels que le bruit, le vandalisme, les injures et autres comportements agressifs qui alimentent des situations de malaise.
Cette notion d'incivilité a connu un succès médiatique particulièrement important car elle est désormais reliée au sentiment d'insécurité et à la délinquance.
Des études montrent que les incivilités incitent au repli sur soi pour se protéger,
favorisent la méfi ance envers les institutions publiques chargées du maintien de
l'ordre (police, justice, autorités administratives, élus locaux ... ) et donc facilitent
les progrès de la délinquance.
lflm
l'essentiel de Io culture générale
la violence domestique est également un enjeu décisif : les civils les plus armés
au monde sont les Américains avec 290 millions d'armes en circulation pour 302
millions d'habitants (90 armes pour 100 habitants), suivis des Yéménites (61 %),
des Finlandais (56 %), des Suisses (46 % ), des Irakiens (39 %), des Serbes (38 %).
la France, le Canada, la Suéde, l'Autriche et l'Allemagne se situent après ces pays,
avec une trentaine d'armes pour 1OO habitants (Source: Instit ut Universitaire des
Hautes Ét udes International de Genève, août 2007).
la violence découle également actuellement de l'indifférence à autrui qui caractérise l'individualisme des sociétés occidentales.
-
t Qu'est-ce que le terrorisme ?
les premières« t races» d'existence du terrorisme remontent au 1" siècle: les lcarii
ou Zélotes constituent l'un des premiers groupes dont on possède la preuve qu'ils
ont eu recours à la terreur de manière systématique. Aux x111• et x1V' siècles, la secte
ismaélienne des Assassins (« Hashsahins ») commet des attentats en Iran et en
Syrie. les Comités révolutionnaires ont conduit en 1793 et 1794 une politique de
terreur qui a donné son nom au terrorisme. Il désigne alors la « doctrine des partisans de la Terreur », de ceux qui, quelque temps auparavant, avaient exercé le
pouvoir en menant une lutte violente contre les contre-révolutionnaires. Il s'agit
alors d'un mode d'exercice du pouvoir. À partir de la fi n du x1x• siècle, la vague
anarchiste frappe plusieurs chefs d'États, dont Alexandre Il en 1881 , le président
Carnot en 1894 et le prince héritier de l'Empire austro-hongrois en 1914.
À partir de 1968, le terrorisme transnational moderne fait son apparition, d'abord
en Amérique latine, puis à t ravers le terrorisme palestinien, la Rote Armee Fraction en Allemagne et les Brigades Rouges en Italie, qui réalisent des détournements d'avions, des enlèvements et des assassinats visant des chefs d'ent reprise.
Depuis les attentats du 11 septembre, les attaques terroristes se sont multipliées:
en Russie, avec les terroristes tchétchènes qui ont organisé des prises d'otage à
Moscou en 2002, et avec les terroristes islamistes, à Bali en 2002, à Casablanca en
2003, Madrid en mars 2004, Londres et Charm el-Cheikh (Égypte) en juillet 2005,
Alger et Delhi en 2007 ...
Plusieurs centaines de définitions du terrorisme sont officiellement utilisées dans
le monde et il n'est toujours pas défini à l'échelle mondiale. Faute d'accord sur le
sujet en 1998, la Cour pénale internationale n'a toujours pas reçu de compétence
en la matière. Néanmoins, au niveau de l'Union européenne, une décision-cadre
du 6 décembre 2001 a défini l'infraction terroriste comme étant celle commise
« dans le but de gravement intimider une population ou contraindre indûment
des pouvoirs publics ou une organisation internationale à accomplir ou à s'abstenir d'accomplir un acte quelconque, ou gravement déstabiliser ou détruire les
structures fondamentales politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales
d'un pays ou d'une organisation internationale ».
Thème 10 • Lo guerre et Io violence
De manière plus générale, le terrorisme désigne l'ensemble des actions de violence menées contre une population civile déterminée ou non, destinées à créer
un climat de peur et de suspicion dans l'opinion, qui survive à l'événement et dépasse les seules victimes directes. Définir précisément le terrorisme est cependant
délicat tant ses formes divergent . Plusieurs éléments sont récurrents: l'existence
d'un crime en violation des lois (nationales et/ou internationales), l'atteinte à
une population civile (par opposition à la guerre ent re armées) et une finalité
politique. De plus, il est souvent admis que le terrorisme est une arme des faibles
contre les forts (guerre asymétrique) même si les États et institutions ont aussi
recours à cette mét hode (terrorisme d'État ).
le terrorisme peut également se défi nir par rapport à la guerre. En effet, la guerre
conventionnelle est régie par un cadre juridique précis, le droit de la guerre. la
dynamique de négociation et l'encadrement normatif des conflits sont rejetés par
les terroristes. Par exemple, les groupements terroristes islamistes n'entendent en
principe pas négocier leur motivation est idéologique et vise à modifier le cours
de !'Histoire.
les actes commis en violation du droit de la guerre sont qualifiés de crimes de
guerre. la notion de terrorisme permet donc de qualifier des actes commis en
dehors de ce cadre bien défini de guerre conventionnelle. le terrorisme inter
ou infranational ne correspond pas à une approche classique de la guerre, car il
oppose des adversaires qu'il est diffi cile de définir: les États touchés ne sont pas
nécessairement connus à l'avance et les terroristes ne constituent pas non plus un
adversaire déterminé (on parle d'ailleurs bien de« menace terroriste»), puisqu'il
s'agit de groupes armés, dont les alliances se font et se défont t rès rapidement et
dont les stratégies sont souvent diffi cilement lisibles.
En outre, les attentats contre les tours jumelles de New-York en septembre 2001
ont donné naissance au concept d' « hyper-terrorisme », qui a incité les États à
renforcer leurs liens de coopération policière et judiciaire, afi n de disposer des
moyens de prévenir des nouvelles attaques, de protéger les populations et les
infrastructures et de réagir en cas d'attentat . Selon le Cent re national de la lutte
contre le terrorisme (National Counterterrorism Center ou NCTC), le nombre d'attentats dans le monde a été de 14 499 en 2007; 72 066 civils ont été victimes d'un
attentat et 22 685 d'entre eux n'y ont pas survécu. l'Irak est le pays où le terrorisme sévit le plus (43 % des attentats et 60 % des décès dus au terrorisme). les
musulmans constituaient près de 50 % du nombre des civils tués ou blessés par
des terroristes en 2007.
l'essentiel de Io culture générale
Références bibliographiques
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hème
11
LA SCIENCE
« La science restera toujours la satisfaction du plus haut désir de notre nature,
la curiosité; elle fournira à l'homme le seul moyen qu'il ait pour améliorer son
sort» (Ernest Renan, L'Avenir de la science)
« Promesse de la science : la science moderne a pour but aussi peu de douleur
que possible.» (Friedrich Nietzsche, Humain, trop humain)
« La science antique portait sur des concepts, tandis que la science moderne
cherche des lois. »(Henri Bergson, L'évolution créatrice)
« Un monde gagné pour la Technique est perdu pour la Liberté. » (Georges
Bernanos. La France contre les robots)
-
1.
Définitions
le seul mot de « science » revêt une autorité particulière, que les siècles ont
progressivement renforcée au gré des découvertes et de la création de nouvelles
disciplines.
le mot science provient du latin « scire » (savoir). Aristote la défi nissait comme
« ce qui concerne le nécessaire et l'éternel». Cette défi nition aurait d'ailleurs
pu convenir à la métaphysique. la science peut également se définir, dans une
acception plus pragmatique, comme l'ensemble des méthodes, des connaissances
raisonnées permettant d'appréhender les lois régissant le réel, susceptibles d'êt re
vérifiées.
À la science correspond une méthode. la démarche scientifique est longtemps
restée basée sur l'observation. Progressivement, l'abstraction est venue prolonger
l'analyse. la capacité de déduction itérative de la démarche scientifique s'est également peu à peu appuyée sur la technique, avec le recours d'outils d'observation
de plus en plus puissants mis au service des travaux de vérification.
l'usage de la technique est devenu de plus en plus nat urel, à mesure qu'elle permettait une amélioration considérable de la qualité de vie, à t ravers le confort
et la protection supplémentaires qu'elle offre. Au-delà du pouvoir d'expliquer,
la technique a donné à la science le pouvoir d'agir pleinement en t ransformant
son environnement et en l'utilisant pour atteindre des objectifs au travers de la
technologie.
l'essentiel de Io culture générale
le mariage de la technique et de la science s'incarne en effet dans la technologie,
qui peut se défi nir comme l'ensemble des procédés visant à finaliser la technique
afi n de remplir des objectifs prédéfi nis, par exemple le fonctionnement des mécanismes de la production, de la consommation, de l'information, de la communication, des loisirs ...
-
:z. Problématiques
t Comment la science s'est-elle développée ?
-
la science est synonyme de progrès, de maît rise, de confort, mais aussi de puissance, de destruction. D'abord marquées par l'influence de la religion, qui avait
notamment institué les premières universités au x11~ siècle, la démarche scientifique et l'idée de progrès se sont progressivement laïcisées à partir de la Renaissance notamment.
la distinction entre science et religion est en effet longtemps apparue artificielle.
les premiers t ravaux scientifi ques réalisés avant le Moyen Âge portaient l'influence
de la philosophie et ou de la religion. les relations entre science et métaphysique
étaient particulièrement étroites.
Au cont raire, la recherche scientifi que moderne, depuis la Renaissance, s'est progressivement isolée de ces influences, à travers une utilisation croissante de la
technique et une expérimentation scientifi que véritable. la pensée s'est peu à
peu libérée du joug intellectuel de l'Église, la religion étant reléguée dans la
sphère privée, et la raison guidant les recherches scientifi ques. la science est devenue une nouvelle idéologie qui a éclairé le monde, perçu comme quantifi able
et explicable. À partir des t ravaux de Ptolémée, la démarche expérimentale prend
son essor : des hypothèses sont formulées, puis vérifiées à partir d'expériences
formalisées. Galilée, Copernic, Giordano Bruno seront parmi les premiers à opposer des résultats scientifiques aux convictions religieuses, au risque de déstabiliser
le pouvoir de l'Église. Galilée et Bruno seront d'ailleurs poursuivis au cours de
procès en hérésie.
le libéralisme a ensuite largement accompagné le progrès scientifique, en
favorisant la diffusion d'informations. Du xv~ au xv111• siècle, l'Europe devient
la scène principale de la pensée scientifi que. À partir du xvi11• siècle, avec les
révolutions industrielles, le nombre des découvertes scientifiques et de leurs
applications technologiques a explosé, jusqu'à la révolution de l'information que
nous connaissons actuellement à travers Internet. les progrès de la mécanique, la
vapeur, puis les moyens de communications (téléphone, radio), l'enregistrement
de l'image et du son (phonographe, cinéma, photo), les automobiles, les avions,
les matières plastiques et les fibres artifi cielles ont bouleversé notre quotidien.
Thème 11 • Lo science
le contexte politique a en out re favorisé ce développement scientifique puisque
le républicanisme et l'humanisme encouragent l'initiative individuelle, la recherche du progrès, de l'amélioration, l'exercice des droits et des libertés. le x1X" siècle
voit émerger une t héorie philosophique du progrès, le positivisme, formulée par
Auguste comte, qui rejette l'utilité des explications t ranscendantes pour affirmer
que l'univers est entièrement intelligible à travers la science et que les explications transcendantes, en particulier religieuses, sont devenues inutiles.
Un véritable culte du progrès et du pouvoir scientifi que apparaît donc. Une fois
l'univers déchiffré, à chaque diffi culté humaine correspondra une loi universelle.
À ce culte correspondent des héros, des figures adulées que seront les scientifi- ques de la fin du x1x• siècle, tel que Pasteur, mais aussi des manifestations, telles ~
que les expositions universelles (de 1878 et 1900) et un moralisme, la justifi cation
de la colonisation reposant partiellement sur les apports de la science dont pourraient profiter d'autres pays. Devant les avancées des sciences, le chimiste français
Marcellin Berthelot s'était exclamé: «il n'y a pas un problème que la science ne
puisse résoudre ».
la cont repartie traditionnellement évoquée de ce culte du progrès, qui est
d'ailleurs moins consensuel actuellement, réside dans son aveuglement, qui pousse
à découvrir sans évaluer préalablement les risques que pourrait représenter la
découverte. !.'.énergie atomique en constitue un exemple frappant .
t Quel est le rapport des individus à la science ?
la puissance explicative de la science a déclenché un véritable « désenchantement du monde » (M. Gauchet ), à savoir l'élévation de la science au rang de
valeur. Depuis les lumières, la science a fait l'objet d'un crédit croissant, au point
de déclencher un scientisme relatif, soit la tendance à faire de la science empirique et expérimentale l'absolu de la connaissance. le xvi11• siècle a vu «la mort de
Dieu »:la science s'est progressivement imposée comme source de vérité et donc
de pouvoir.
le progrès technique et les succès de la recherche ont donné au discours scientifi que une légitimité int rinsèque. Dans nos sociétés, la science incarne culturellement le progrès. le progrès est souvent perçu comme une amélioration de not re
confort, lié au développement de la société de consommation et des moyens industriels. Néanmoins, la science est également perçue comme destructrice d'emplois (du fait des découvertes technologiques, par exemple la mécanisation de la
production), creusant les inégalités, créant une subordination supplémentaire. la
science aliène donc autant l'individu qu'elle le libère.
Ainsi, des doutes sur la nat ure nécessairement bénéfique, positive du progrès et
de récentes interrogations concernant les conséquences des découvertes géné-
l'essentiel de Io culture générale
tiques ont questionné l'autorité de la science au profit d'un renouveau du religieux. la « foi » dans la science et dans le progrès est donc désormais remise en
question.
la vision positive des sciences repose notamment sur la doctrine positiviste
d' Auguste Comte. Alors que le terme de positivisme existait déjà avant Comte, ce
dernier a répandu son usage en philosophie. Auguste Comte cherchait à mett re
fi n à la métaphysique en fondant la science comme condition suffisante de la
connaissance, qui doit reposer, selon lui, sur l'observation de la réalité mesurée
d'une façon scientifique et non sur des postulats. le positivisme constit ue donc
une systématisation du rationalisme, renforcé d'une confi ance absolue dans la
capacité explicative de la science.
À l'heure où la science et le rationalisme semblent avoir pénét ré l'ensemble des
disciplines, y compris le « social », il est intéressant de constater que l'irrationalit é, voire la foi en la «magie», n'est pas morte. Le f ait qu'un homme d'affaires
fi nancier tel que M. Bernard Maddof ait pu conduire à la perte de 50 milliards de
dollars pour fraude en promettant des taux d'intérêt a priori incroyables, ent re
en complète cont radiction avec la rationalité fi nancière, dans laquelle les mat hématiques occupent une part prépondérante. li est néanmoins parvenu à t romper
bon nombre de spécialistes, parmi les plus réputés. Comment expliquer ce constat
sans reconnaît re qu'en l'espèce, la rationalité, ultimement, a cédé la place au rêve
le plus déraisonnable entretenu par l'appât du gain ?
De même les longs débats ayant émaillé le procès du t rader Jérôme Kerviel, qui
fait suite à de précédents scandales initiés par d'autres traders, mont re à quel
point une distance est artifi ciellement placée entre les chiffres, leur manipulation
et la réalité. la dématérialisation désincarne le réel, ses conséquences humaines.
Chaque mouvement, aussi conscient soit-il, devient donc partiellement « incantatoire », « magique ».
t Quelles sont les relations existant entre science et politique ?
l'État a régulièrement sollicité la science, au t ravers des experts, pour justifi er
ou légitimer certaines mesures politiques. Par exemple, le recours à l'expertise,
concernant les épidémies, a permis de justifi er l'action publique, parfois fortement impopulaire : par exemple, l'abattage de t roupeaux lors de la crise de
!'Encéphalopathie Spongiforme Bovine (ESB) ou les restrictions apportées à la liberté de circulation pour lutter cont re la grippe aviaire. On se souviendra également de l'appel aux experts pour tenter de rassurer la population concernant la
diffusion en Europe du nuage radioactif issu de l'explosion du réacteur nucléaire
à Tchernobyl. .. Enfi n, les régimes totalitaires ont aussi cherché à donner un fondement scientifi que, rationnel, à leurs politiques d'extermination ou d'expansion
territoriale.
Thème 11 • Lo science
les investissements réalisés dans le secteur de la recherche sont tels que les États
y sont directement intéressés, notamment au travers des lobbies militaires. la
Défense nationale fi nance encore majoritairement le secteur de la Recherche, en
particulier aux États-Unis. l'ampleur des investissements consacrés à la recherche
suppose un choix de certaines fi lières ainsi qu'une distinction de plus en plus nette ent re recherche fondamentale et recherche appliquée. Ainsi, nombreux sont
les secteurs dans lesquels les concentrations de moyens sont nécessaires (indust rie
pharmaceutique, électronique, informatique ... ). À ce tit re, les laboratoires ont
fait l'objet de regroupements massifs à partir du XVIII' siècle. Précédemment, les
grandes découvertes scientifi ques provenaient principalement d'individus isolés.
le XVIII' siècle verra en outre la science acquérir une audience importante dans
le grand public qui, à t ravers l'institutionnalisation de la science (par exemple
création des muséums) et la vulgarisation des connaissances, accède au goût de la
compréhension scientifique. Puis, peu à peu, les laboratoires se multiplient dans
les universités, avant que ne se développent, à la fi n du xix• siècle, des instit utions de recherche indépendantes. Ces dernières vont prendre une place de plus
en plus importante dans les programmes de recherche étatiques, notamment en
matière de santé et de défense. la recherche va donc devenir un enjeu politique
et diplomatique fort.
t Quelles sont les relations existant entre science et éthique ?
Edgar Morin, dans Science avec Conscience (1982) part du constat que le développement scientifique produit autant de potentialités asservissantes et destructrices
que de potentialités bénéfiques. Il renvoie à l'antagonisme de deux ét hiques :
l'ét hique de la connaissance qui exige que tout soit sacrifi é à la soif de connaissance, et l'éthique civique et humaine. Il interpelle la responsabilité (conscience)
du chercheur face à la société et à l'homme, et propose le développement d'une
science de la responsabilité. li dénonce la technique comme aliénante: aliénation
par le travail (taylorisme puis contrainte de la disponibilité permanente avec les
nouveaux moyens de communication), aliénation de la nature (« parasitisme »
(Michel Serres) de la nature par l'Homme), aliénation de la technique (qui crée
une dépendance de l'individu à la machine), aliénation de la culture (la technique
serait l'antichambre d'une culture de la superficialité, de l'artefact), aliénation
morale (la technique est utilisée pour t uer et détruire massivement ).
De manière générale, il est significatif de constater que le progrès scientifi que
n'a cessé d'accroître le pouvoir d'autodestruction de l'humanité. Est-ce à dire que
la science devient autonome, animée par un esprit qui lui est propre ? la science
serait-elle devenue ce« monstre froid», pour paraphraser l'expression de Nietzsche à propos de l'État ? le risque scientifi que provient de la vitesse à laquelle
les découvertes sont réalisées : ces dernières interviennent souvent avant que
les mentalités soient prêtes à arbitrer une question éthique fondamentale. De
l'essentiel de Io culture générale
plus, au-delà des laboratoires établis, dont les modes de financement ne sont
pas toujours clairement déterminés, il existe des laboratoires clandestins, fi nancés
par des organisations criminelles ou sectaires, dont les découvertes pourraient
servir à accroître leur pouvoir de nuisance. les déclarations récentes de la secte
des raeliens sur le clonage d'individus avaient particulièrement choqué l'opinion
publique.
~
Il est vrai que la génétique, après l'énergie atomique, est devenue la principale
source des peurs et fantasmes liés au progrès scientifi que. Dans ce domaine, le
cinéma et la littérature de science-fiction sont progressivement rattrapés par la
réalité : l'utilisation possible des empreintes génétiques pour embaucher ou oct royer une police d'assurance est devenue une réalité. le concept de dignité humaine prend donc progressivement une dimension décisive, bien qu'il date de
moins d'un siècle. la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 a
en effet inscrit la dignité humaine dans son préambule : « ... considérant que la
reCôflflàisSànce de là dignité inhérente â tous les membres de là famille humàine
et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de
la justice et de la paix dans le monde ».Alors même que ce concept est encore en
construction et doit être enrichi, que penser des progrès de la médecine et de la
génétique qui permettent de greffer certains organes d'animaux à des humains,
ou bien à faire naître, lorsqu'une maladie incurable a été diagnostiquée chez un
enfant, un frère ou une sœur génétiquement « compatible» avec lui ?
le rapport au progrès et plus largement les idéologies que peut véhiculer le monde de la recherche ont donc suscité des débats sur l'éthique scientifi que. Jacques
Testard, l'un des « pères » d'Amandine, le premier bébé-éprouvette français, a
notamment soulevé la nécessité d'une « éthique de la non découverte » (L'œuf
transparent, 1986). De même, des chercheurs t ravaillant sur l'hérédité ont demandé un moratoire sur les organismes génétiquement modifiés, parce qu'il a
été démont ré qu'ils pouvaient êt re dangereux. Il est donc admis que des connaissances doivent être interdites pour protéger l'Homme contre lui-même.
Ces débats ont permis de mettre en exergue la nécessité de soumett re les avancées scientifiques au débat public. Aussi illusoire que ce process puisse paraît re, il
a le mérite de formaliser une approche éthique, démocratique, de la découverte.
Il soumet la science aux droits de l'Homme et donne à la première les seconds
comme horizon. Cette dimension ét hique éclaire la science qui tend à coloniser
systématiquement l'ensemble des rapports de l'Homme avec son environnement
(économiques, sociaux, spirituels, culturels), sans pour autant donner de sens. Elle
ne donne pas de « supplément d'âme » (Claudie Haignere), de fi nalité au progrés.
l'émergence du principe de précaution, d'abord en droit international public puis
en droit public interne dans le Préambule de la Constitution, a contribué au développement d'une éthique des sciences et du progrès. Sans définition précise, le
Thème 11 • Lo science
principe de précaution est cependant évoqué par l'article 5 de la Charte de l'environnement de 2004, désormais constit utionnalisée, dans les termes suivants :
«Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques. pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en œuvre de procédures
d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées
afin de parer à la réalisation du dommage. »
les préoccupations éthiques sont ainsi prolongées par un cadre normatif de plus
en plus dense. Cependant, le rapport à l'éthique est fondamentalement cult urel et il est donc difficile de prévoir des normes au niveau mondial. niveau qui sem- ~
blerait le plus approprié. Au niveau européen cependant, le Conseil de l'Europe
a interdit la « brevetabilité » de tout ou partie du génome humain. la réunion
du GB, de juin 2000 a été l'occasion d'un quasi-consensus sur la question de la
« brevetabilité du vivant ». Il a été affi rmé que les données brutes issues du séquençage du génome humain devaient rester dans le domaine public et ne pas
faire l'objet de brevets car elles font partie du pat rimoine commun de l'humanité.
De même, le financement de recherches visant à modifier« la constitution d'êtres
humains par une altération de gamètes ou d'embryons, quel que soit leur stade
de développement » a été interdit, ce qui implique une interdiction de la théra-
pie germinale (modification du pat rimoine génétique, t ransmissible à la descendance). Seule la t hérapie génique (greffe d'un gène correcteur non transmissible
à la descendance) est autorisée.
t Comment mieux responsabiliser la recherche scientifique ?
Plusieurs catégories de contrôle sont envisageables. Un cont rôle peut tout d'abord
porter sur le t ravail des chercheurs. Ces derniers ont en effet une responsabilité spécifique qu'il sera utile de préciser juridiquement puisque les laboratoires
connaissent souvent, au moins partiellement, les implications potentielles des découvertes qu'ils seront susceptibles de réaliser. Une éthique de la connaissance
doit donc être déployée dans la recherche ainsi que la diffusion des découvertes.
En outre, la déontologie formalisée de certaines professions (par exemple le serment d'Hippocrate pour les médecins) devrait êt re adaptée puis généralisée ; les
conditions de recours aux moratoires (suspensions provisoires des recherches afin
de mieux percevoir les implications des découvertes) devraient également êt re
précisées.
l'origine et l'utilisation des fonds destinés à la recherche doivent être contrôlées
par les autorités publiques. Des autorités indépendantes, internationales dans
l'idéal. devraient être mises en place. Il est vrai qu'il est diffi cile d'exiger ce type
de contrôle d'Ét ats qui financent déjà largement la recherche, en particulier à t ravers les lobbies militaires. De plus, jusqu'à présent, l'infl uence des États sur l'uti-
l'essentiel de Io culture générale
lisation des découvertes scientifi ques est restée faible, notamment par manque
d'experts qualifiés comparativement à la vitesse des avancées scientifi ques.
-
les États sont ainsi « débordés »par la science. Pour autant, il n'est pas envisageable de renoncer au contrôle scientifi que puisque les droits de l'H omme sont
en cause. À ce titre, les citoyens eux-mêmes devraient être en mesure de s'exprimer. Plusieurs évolutions permettraient de mieux intégrer ces derniers dans les
débats ét hiques générés par la science : une vulgarisation plus importante des
connaissances scientifiques (avec une révision des programmes scolaires prenant
en compte les aspects ét hiques des sciences), une multiplication des instances
d'échanges (avec par exemple la création de commissions d'experts scientifiques
intégrant également des membres profanes choisis dans la population), une augmentation du nombre d'initiatives de communication (par exemple au t ravers de
journées portes ouvertes, d'expositions) et une valorisation médiatique encore
plus forte des figures scientifiques majeures qui souhaitent engager des débats
sur l'éthique de la recherche.
l'enjeu de la possession des découvertes est également fondamental. le résultat de certaines recherches devrait constit uer un bien commun de l'Humanité et
non une source de profit particulier pour une ou plusieurs entreprises données.
Ces problématiques sont particulièrement sensibles dans les pays pauvres en matière pharmaceutique. On remarque cependant que des initiatives intéressantes
de partenariats publics-privés (PPP) ont récemment pris forme : par exemple, le
1" mars 2007, l'initiative Médicaments (émanation de Médecins Sans frontières)
pour les maladies négligées a lancé, en partenariat avec un laboratoire privé (Sanofi-Aventis) un t raitement contre le paludisme qui ne sera pas couvert par un
brevet et sera vendu à bas prix (1 dollar pour l'adulte et moins de 50 cents pour
un enfant ).
t Quelles sont les implications de la bioéthique ?
la bioéthique est un terme qui provient de la contraction de biologie (sciences
du vivant ) et ét hique (de l'ethos grec, c'est-à-dire le comportement individuel ou
social). Elle peut être défi nie comme l'éthique appliquée aux sciences de la vie et
plus particulièrement, à la médecine. Actuellement, elle concerne, par exemple :
les manipulations du vivant, les expérimentations sur l'homme, les greffes d'organes et l'utilisation du corps humain, la procréation médicalement assistée, les
interventions sur le pat rimoine génétique, la biomét rie.
les premières lois de bioéthique ont été adoptées en France en 1994. Plusieurs
lois (notamment en 2004) sont intervenues depuis mais il apparaît clairement que
le rythme de développement des progrès scientifiques est largement supérieur à
la faculté de légiférer dans ces domaines.
Thème 11 • Lo science
À l'origine un principe de responsabilité des chercheurs, la bioéthique a aujourd'hui
évolué vers une méthode, un champ d'exploration de la science elle-même, qui
doit chercher à résoudre, parfois en vain, des questions d'ordre philosophique
mais également plus pragmatiques sur la défi nition de la vie, de la mort et de la
nature humaine.
En 1997 était annoncée la création d'un mammifère à partir du clonage d'une
cellule adulte (la brebis Dolly), qui posait la question de l'application de cette
technique à l'espèce humaine. En novembre 2001, des biologistes américains ont
annoncé pour la première fois le clonage d'embryons humains. les pouvoirs publics tentent de répondre à ces avancées en légiférant dans l'urgence, d'autant
que les juges les sollicitent : par exemple, dans un arrêt du 29 juin 2001, la Cour
de cassation a refusé de reconnaître au fœtus le stat ut de personne, estimant que
la législation, en l'état, ne le permettait pas.
Une loi du 6 août 2004 a apporté plusieurs changements importants, notamment : la création d'une nouvelle incrimination de « crime contre l'espèce humaine » pour réprimer tout clonage reproductif (c'est-à-dire la duplication d'un
êt re humain à l'identique), l'interdiction du clonage thérapeutique (utilisation du
clonage de cellules dans un but thérapeutique), l'autorisation à tit re dérogatoire
pendant cinq ans de recherches sur l'embryon lorsqu'elles sont « susceptibles de
permettre des progrès t hérapeutiques», la nécessité de deux ans de vie commune
pour l'accès d'un couple à l'assistance médicale à la procréation, la création d'une
agence de la biomédecine, l'élargissement des dons d'organes en vue de greffe à
la famille élargie du receveur et à la personne vivant avec le receveur depuis deux
ans au moins.
Ces interrogations invitent à définir un horizon éthique pour la biologie, la recherche et la technique, afin de concilier progrès technique et progrès de l'Homme.
Ce constat est d'autant plus prégnant que de nouveaux outils sont régulièrement
mis en place : par exemple, en mars 2005, une directive européenne préconisait
la généralisation de l'attribution obligatoire de cartes d'identité à puce électronique. Par ailleurs, les passeports contiendront bientôt, à la demande des USA, un
microprocesseur électronique permettant l'intégration de données biomét riques.
Enfin, la possibilité de greffer des micropuces électroniques de manière sous-cutanée ouvre la voie à un « géocont rôle »des individus.
le développement de la génétique est si rapide que la plupart des mutations
à l'origine d'affections monogéniques sont connues, et il est probable qu'on
connaîtra rapidement un très grand nombre de gènes de prédisposition à d'autres
maladies. Il faut donc s'attendre à l'apparition de tests de prédisposition génétiques pour un nombre de plus en plus grand de maladies. Si ces tests sont des
alliés précieux en matière de santé publique et de prévention des risques, ils font
craindre l'apparition de discriminations, par exemple pour l'accès à l'assurance ou
au marché du travail. Selon une déclaration de l'Unesco du 11 novembre 1997,
l'essentiel de Io culture générale
le génome humain est un pat rimoine de l'humanité et il ne peut faire l'objet de
commercialisation. le décodage du génome ne peut être breveté mais à partir de
ce décodage, les applications thérapeutiques peuvent l'être.
t Doit-on craindre un « nouveau » risque technologique ?
les sociétés traditionnelles présentaient des risques aux origines diverses (intempéries, incendies urbains, maladies et pandémies, famines, violences sociales ou
guerrières), mais l'essor des techniques a façonné un nouveau paysage des risques.
le terme « nouveau risque technologique »doit êt re réservé aux risques associés
à des technologies franchissant un seuil en termes de puissance comme les OGM
ou les nanotechnologies. Or, la notion de risque est aujourd'hui t rop souvent
évoquée pour renforcer une revendication, t rouver un positionnement plus crédible dans l'espace public. le risque constitue un nouvel épouvantail culturel ; sa
simple mention, qu'elle soit ou non argumentée, incite à la prudence, à l'écoute
de celui qui l'évoque. Il est alors à craindre que notre capacité de discernement
soit rapidement brouillée.
Trois tendances majeures sont aujourd'hui décelables dans le débat démocratique
sur les risques technologiques: la mobilisation de groupes concernés, l'organisation par les pouvoirs publics de démarches participatives impliquant des citoyens
« ordinaires » (conférences et jurys de citoyens, débats publics, sondages délibératifs, consultations et concertations ... ), la réforme et l'ouverture des procédures
d'expertise (sur la base de trois principes directeurs: indépendance, transparence,
principe du contradictoire).
Au sein des sciences sociales, la fascination exercée par la « société du risque »ne
va pas sans produire des effets pervers. Ainsi, l'étude des risques émergents, hypothétiques (OGM, téléphonie mobile, pandémie de grippe aviaire) ou extraordinaires (catastrophes industrielles) tend à être privilégiée au dét riment d'autres
risques moins spectaculaires comme ceux auxquels se trouvent quotidiennement
exposées les personnes au sein du monde industriel, du monde du travail ou sur
le réseau routier. Il est donc aussi délicat qu'essentiel de donner aux citoyens la
possibilité de se prononcer sur l'ensemble des aspects de l'innovation technologique: opportunités ouvertes, risques potentiels en cas d'acceptation ou de renoncement à une option technologique.
Thème 11 • Lo science
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hème
1
LES INTELLECTUELS
Le métier des intellectuels est de chercher la vérité au milieu de l'erreur. »
(Romain Rolland, Au-dessus de la mêlée)
« C'est une mission de l'intellectuel que d'empêcher la métamorphose d'un
moyen politique en article de foi, en mythe. » (Claude Aveline, Les Devoirs de
«
l'esprit)
-
1.
Définitions
la qualifi cation «d'intellectuel » est apparue en France lors de l'affaire Dreyfus
en 1898. le terme a été utilisé à cette occasion pour désigner les universitaires
ayant signé dans le journal l' Aurore des pétitions de soutien à Émile Zola, dont
Anatole France ou Octave Mirabeau. Maurice Barrès l'aurait ensuite utilisé en
évoquant une «liste d'intellectuels », dans ses écrits anti-dreyfusards. Ces« Intellectuels » étaient selon lui des penseurs coupés de toute réalité, se complaisant
dans une abstraction stérile et prenant position sur des sujets qui leur étaient
ét rangers (l'armée notamment ).
Dès l'origine, !'Intellectuel est donc une figure publique engagée. Cet engagement prend sa source dans celui du romancier, mettant sa plume au service d'une
cause, qui agit, voyage et se montre aux côtés des victimes d'injustice dont il
prend la défense à travers ses textes. les œuvres engagées touchent souvent le
public par leur puissance poétique, d'où résulte la capacité d'influence de !'Intellectuel-écrivain.
On songera par exemple aux œuvres d'Émile Zola. De même, André Malraux a
voyagé en Chine et en Espagne, en rapportant des écrits-témoignages: La Condition humaine (1933) ou L'Espoir (1937). Voltaire au xvi11• siècle, puis Sartre au xx"
siècle, notamment, vont précisément permettre le passage de !'Intellectuel-artiste
à !'Intellectuel-philosophe, puisqu'ils furent à la fois hommes de lettres et philosophes.
Marx, au x1x• siècle, a plus particulièrement renforcé l'importance de la philosophie au dét riment de l'art dans les moyens d'action de !'Intellectuel. Selon lui, le
discours est insuffi sant, l'action politique et la révolution dont il promet l'avènement passent par l'usage de la philosophie. li écrira:« la philosophie s'est contentée jusqu'à présent de décrire le monde, il faut maintenant le transformer». la
philosophie devient donc à son tour engagée, critique et met son expertise au
service de cet engagement .
l'essentiel de Io culture générale
l'ensemble des sciences sociales sera d'ailleurs mobilisé, au-delà de la philosophie, pour remplacer la mobilisation de l'art dans l'engagement de l'lntellectuel
marxiste. Par exemple, la sociologie permettra à Pierre Bourdieu de développer
ses analyses sur les mécanismes de la reproduction sociale à l'école. Cette influence marxiste sur la figure de l'lntellectuel atteindra son paroxysme dans les années
1950.
Actuellement encore, la notion d'lntellectuel est souvent liée à la notion de risque, à l'engagement, à l'affrontement, et pas uniquement des idées. les Intellect uels se veulent et se comportent souvent comme des « témoins », interpellant,
critiquant, au point que leur soutien pèse même lors des élections, les candidats
recherchant désormais ardemment leur soutien.
la figure de l'lntellectuel bénéficie désormais dans la plupart des cas d'une image
positive. Non pas que toute dimension critique ait disparu du mot : l'lntellectuel
est encore parfois assimilé à un « oisif » prenant autant de plaisir à manier des
idées qu'à les exploiter ou à les défendre. Il souffre parfois d'une assimilation
à l'imagerie « people », que certains cultivent d'ailleurs plus ou moins discrètement. la garantie d'une audience médiatique semble d'ailleurs moins assurée
par la profondeur et la rigueur des analyses que par la capacité pédagogique à
questionner et à remettre en cause. l'accusation de compromission est donc également souvent brandie.
-
:z. Problématiques
t De quand date l'apparition d' lntellectuels ?
Si l'apparition du mot « Intellectuel »est datée, l'existence de fi gures mettant à
profit l'autorité dont elles disposent du fait de leur expertise, leur position sociale, leur renommée, pour s'engager de manière désintéressée dans la sphère publique, est particulièrement ancienne. Dans la Grèce Antique, des rhéteurs comme
Gorgias ou Protagoras pouvaient déjà mériter ce qualificatif, comme l'ensemble des clercs et sophistes ultérieurement . l'influence de l'Église sur les savoirs,
notamment avec la création des premières Universités au Moyen Âge, a promu
l'image du clerc comme Intellectuel.
De débats exclusivement religieux découleront progressivement des interrogations
plus larges sur la justice, les problèmes sociaux. !.'.infl uence des lettrés étrangers,
en particulier au t ravers du développement de la diplomatie jouera également un
rôle important . la figure de l'lntellectuel évoluera ensuite pour s'épanouir dans la
recherche d'une compilation des savoirs, notamment à travers les encyclopédistes.
Puis, au-delà de la connaissance et de l'enseignement, les Intellectuels prendront
progressivement des responsabilités publiques au xvi11• siècle, en critiquant le
Thème 12 • les intellectuels
pouvoir et l'organisat ion sociale en place, t out en appuyant résolument leur
légitimit é et leur autorité sur la connaissance et la science.
Au-delà de l'affaire Dreyfus, la Première Guerre mondiale a bousculé la fi gure de
l'lntellectuel. l'entre-deux-guerres a également été occupé par le nat ionalisme
avec l'Action française et le courant radical socialiste. la fi gure de l'lntellectuel
« littéraire », fondant son action sur une approche philosophique et polit ique,
s'est consolidée avec de nouvelles revues comme Combat ou Esprit.
le pacifi sme et le communisme ont ensuite constitué des bases idéologiques
majeures pour nombre d'intellectuels. la naissance du front populaire a suscité
une bipolarisation de la vie polit ique, la plupart des courants intellectuels de
gauche s'alliant au sein d'une coalit ion antifasciste. les accords de Munich, le
pacte germano-soviétique, le gouvernement de Vichy sont devenus des lignes de
partage saillantes du monde intellectuel. la Résistance a favorisé l'émergence
d'un@ nouv@ll@ génération d'lnt @ll@ctu@ls @ngagés, notamm@nt Raymond Aron,
Julien Green, Jules Romains, Claude Lévi-Strauss, Marc Bloch. Au contraire,
l'après-guerre a ét é le théâtre d'une« épuration »intellectuelle à l'encontre des
soutiens de l'occupant . Robert Brasillach, louis-Ferdinand Céline, Pierre Drieu laRochelle, Charles Maurras, Jean Giono, Henry De Mont herlant sont concernés. Ces
événements voient également se renforcer le débat sur la liberté d'expression,
fondement de l'action de l'lntellectuel. Par exemple, lors de l'arrestat ion de Sacha
Guit ry en 1945, Camus et Mauriac se sont opposés, le premier appelant à une
condamnation exemplaire, le second plaidant pour une sanction plus clémente
au nom de la liberté d'expression.
À part ir de 1945, la diffusion de l'idéologie communiste voit dominer la figure
de l'lntellectuel de gauche pendant dix ans. Jean-Paul Sartre en devient la figure
emblémat ique. En feront également partie Pierre Daix, Claude Roy, André Stil.
Aragon ou encore Julien Benda. Ce dernier justifie d'ailleurs en 1946 les grands
procés et les purges à l'est à t ravers l'exemple de la Révolution française. Ce monopole va progressivement se fissurer avec la prise de conscience des exactions
du régime communiste. l'.idéologie marxiste est ainsi t axée par Raymond Aron
d'Opium des Intellectuels (1955).
Puis, t our à t our, la guerre d'Algérie, l'instauration de la V• République, la guerre
du Vietnam, la décolonisat ion, suscitent des lignes de partage intellectuelles. la
fi n du xx• siècle sera, quant à elle, caractérisée par l'intervention croissante des Intellectuels au niveau social et international : dénonciat ion des exactions russes en
Tchét chénie, des massacres au Darfour, soutien de Massoud en Afghanistan, sout ien apport é aux populations menacées de famine, aux populations indigènes ...
l'existence de l'lntellectuel t el qu'il s'est inséré dans le paysage médiatique depuis
Voltaire défendant Calas et Zola défendant Dreyfus, relève ainsi d'une véritable
t radition, quis' est progressivement construite autour de ses fi gurescontemporaines:
~
l'essentiel de Io culture générale
Jean-Paul Sartre et Pierre Vidal-Naquet dénonçant la torture en Algérie, Michel
Foucault s'engageant aux côtés des prisonniers, Pierre Bourdieu défendant les
chômeurs, Noam Chomsky stigmatisant la politique étrangère des États-Unis,
Bernard-Henri Levy s'engageant en faveur de Massoud en Afghanistan ...
t Quels sont les rôles des Intellectuels ?
-
Les Intellectuels sont des créatifs (arts, recherche ... ) qui apportent un éclairage
notamment technique, pédagogique, politique, à l'information qu'ils contribuent à diffuser par leur magistère et leur audience. Ils jouent donc un rôle important dans l'animation des débats publics et nourrissent nombre de cercles de
réflexions. Ils font également souvent fi gure de« consultants», d'autorités dont
l'objectivité, par rapport au monde politique, économique ou même journalistique, peut difficilement être contestée. L'lntellectuel jouit d'une présomption de
libre arbitre qui observe, mont re, dénonce, propose et agit.
Or ce libre arbitre, cette indépendance, sont des qualités largement recherchées
dans les débats et arbitrages publics. !.'.autorité de la compétence et de l'indépendance est d'ailleurs mise en valeur dans la multiplication des autorités administratives indépendantes, auxquelles le pouvoir politique a recours pour appuyer, inspirer mais aussi contrôler son action. Autre exemple, nombre de commissions de
réflexion (par exemple la commission Attali sur la croissance) récemment créées à
l'initiative des pouvoirs publics, comprennent des Intellectuels.
Plusieurs visions de l'lntellectuel peuvent êt re évoquées, qui renvoient à des rôles
distincts. Raymond Aron, dans L'Opium des Intellectuels (1955), présente l'lntellectuel comme un «créateur d'idées» et un « spectateur engagé ». Julien Benda,
dans La Trahison des clercs (1927), ne conçoit l'lntellectuel que comme un gardien, investi d'une mission quasi-messianique (figure du clerc) de défense des
valeurs dreyfusardes (vérité, justice et raison), et pur de toute compromission ou
concession. Enfi n, la fi gure sartrienne de l'lntellectuel est définitivement active,
engagée, politiquement, physiquement, dans la défense de ses idéaux. Sartre a
d'ailleurs incarné ce rôle: dans sa revue Les Temps modernes, il a notamment pris
position contre la guerre d'Indochine, le gaullisme et l'impérialisme américain.
L'lntellectuel sartrien est responsable : son silence ou son absence d'action engage sa responsabilité individuelle. À ce titre, son action se place naturellement
dans une approche mondiale, indépendante de la stricte compétence. l'lntellect uel sartrien est en rupture de toute institution oppressive. La responsabilité de
l'lntellectuel selon Sartre paraît l'inscrire dans une conception cosmopolitique,
au sens kantien, du monde (Kant, Idée d'une histoire universelle du point de vue
cosmopolitique, 1724).
Enfin, actuellement, les Intellectuels se veulent aussi incarner un mode de vie,
une «philosophie de vie» : par exemple, des philosophes tels que Michel Onfray
défendent un certain hédonisme.
Thème 12 • les intellectuels
t La figure originelle de l' lntellectuel est-elle morte ?
À la fi gure traditionnelle, pour ainsi dire historique de l'lntellectuel, s'est substituée une fi gure plus récente, souvent décriée, dont l'audience publique ne
découlerait plus d'une connaissance technique approfondie ou d'une prise de
risque intellectuelle, mais proviendrait de la mise en valeur médiatique de prises
de positions provocantes. Cette figure « mondaine » de l'lntellectuel aurait remplacé l'lntellectuel « dissident » et « résistant » de la fin du xx• siècle, qui aurait
perdu sa crédibilité avec l'horreur révélée du régime communiste soviétique (et
ce malgré l'éventuelle autocritique qu'il aurait effectuée). Par ailleurs, la figure
de l'lntellectuel engagé est de plus en plus « concurrencée » par des artistes et l'action des médias. l'lntellectuel n'est plus nécessairement le principal moteur de ~
contestation et de mobilisation des foules.
En outre, il est toujours possible de craindre que l'utilisation outrancière des médias par certains Intellectuels soit le signe d'un ret rait réel de l'ensemble de la
communauté Intellectuelle de la scène publique, à travers un repli universitaire
et une expression réservée à des revues spécialisées. Nous assisterions au retour
de I' « Intellectuel-expert », soucieux de perfection technique et rationnelle dans
la défense de ses thèses. Il y aurait donc désormais les «Intellectuels mondains»,
en petit nombre, qui utiliseraient massivement les mass media, et les « vrais »
Intellectuels, qui baseraient leur engagement citoyen sur une analyse scientifi que
détaillée, mais sans souci de vulgarisation, de simplification, ou de promotion de
valeurs absolues.
Cette nouvelle génération d' « Intellectuels experts » est à son tour parfois accusée d'élitisme, de favoriser un discours hermétique aux médias pour mieux rester
dans l'ombre, de manquer de vision, de projet de société et d'éviter l'engagement. l'individualisme, comme la fi n des grandes utopies et idéologies, aurait eu
raison des prises de risque intellectuelles au profit d'un positionnement « spécialiste », « technicien », se réfugiant derrière la caution des connaissances. la fonction de contestation de l'lntellectuel serait anesthésiée, l'instit utionnalisation de
ce dernier l'empêchant de se révolter.
Ce « refuge dans la technique » peut cependant s'expliquer par l'autocritique
effectuée par de nombreux Intellectuels suite à la chute du marxisme historique.
À t ravers ce discrédit, ce n'est pas simplement l'lntellectuel communiste qui a été
mis en cause, mais la fi gure même de l'lntellectuel engagé, assimilé à un idéologue. Cet échec explique en partie l'image parfois négative de certains Intellect uels contemporains perçus comme des idéologues et dont la caution scientifi que
a souvent été mise en cause, même si leur militantisme a porté sur des causes
consensuelles.
Est-ce à dire que la passion et le désintéressement n'animent plus l'lntellectuel ?
Paradoxalement, les débats sur la « fin » des Intellectuels ou la « sortie » des ln-
l'essentiel de Io culture générale
-
tellectuels semblent au contraire constituer un signe de vitalité de ces derniers.
les polémiques régulières animant les pages débat des quotidiens mont rent que
les Intellectuels n'ont pas déserté l'espace public et le terrain de la confrontation. Un exemple réside dans la polémique déclenchée par l'ouvrage de Daniel
lindenberg, Le Rappel à l'ordre : Enquête sur les nouveaux réactionnaires (2002).
Cet ouvrage dénonçait une diffusion rampante de la Réaction et a entraîné de
multiples auto-déclarations de «contre-réactionnaires» ainsi que des accusations
portées aux supposés « réactionnaires ». Ce terme de « réactionnaire » a été opposé par les médias aux Intellectuels qualifi és de« progressistes».
Plusieurs écrivains, historiens ou philosophes ont été impliqués dans la polémique,
notamment : Michel Houellebecq, Pascal Bruckner, Alain Mine, Alain Finkielkraut,
Pierre Manent, Marcel Gauchet, luc Ferry, Pierre-André Taguieff, Pierre Nora ... Ces
derniers n'ont pas manqué de réagir. Pierre Rosanvallon a, quant à lui, dénoncé
les« néo-réactionnaires», essayistes ou artistes issus de la gauche et de l'extrême
gauche, qui auraient adopté certaines des positions catégorisées« de droite »des
néoconservateurs américains.
les débats sur les positionnements politiques semblent donc cristalliser l'attention. la vie intellectuelle est en effet largement marquée par une grille d'interprétation politique, mais cela ne constitue en rien, le passé en témoigne, une dévalorisation de l'action des Intellectuels. l'impact des échanges sur le New labour
avec l'infl uence d'Anthony Giddens constitue à ce titre un exemple significatif.
l'lntellectuel reste un moyen crucial de défendre voire de développer les espaces publics de débats, d'échanges et de garantir un pluralisme démocratique. Il
constitue donc un contre-pouvoir important . Par exemple, les clubs de réfl exion
ont encore un impact significatif sur les échanges intellectuels. Ces t hink-tank
sont régulièrement sollicités, dernièrement lors des élections présidentielles,
même lorsqu'ils sont indépendants du monde politique. Ils ont pour objectif
de rassembler des penseurs et acteurs de la vie intellectuelle, économique, administrative et sociale pour favoriser l'émergence de propositions originales et
d'actions concertées. l'un des clubs les plus actifs ces dernières années a été la
Fondation Saint-Simon, fondée en 1982 par François Furet et dissolue en 1999,
qui réunissait des Intellectuels (comme Pierre Nora, Pierre Rosanvallon ... ), et des
hommes d'affaires.
Références bibliographiques
+ ARON (R.), L'Opium des Intellectuels, 1955.
+ BENDA (J.), La Trahison desclercs, 1927.
+ CAMus (A.), Discours de Suède, 1958.
+ N1ZAN (P.), Les Chiens de garde, Rieder, 1932.
• W1NocK (M.), Le Siècle des intellectuels, 1996.
hème 13
LE SPORT
« Le sport est /'espéranto des races. »
«Une vie sportive est une vie héroïque à vide.» (Jean Giraudoux, Le sport)
-
1.
Définitions
le corps fait actuellement l'objet de toutes les attentions. En effet, depuis une
quarantaine d'années, il est vécu comme un capital social, qu'il est nécessaire de
préserver et d'embellir, afin de le mobiliser en tant que moyen de positionnement
social. le corps n'est donc plus simplement vécu comme un objet ou une simple
capacité d'action mécanique. Il n'est plus subi mais exploité, « finalisé », perçu
comme un instrument décisif de construction de l'identité sociale individuelle,
part essentielle du sujet communiquant. le développement des phénomènes de
mode vestimentaires, esthétiques, mais également le développement du sport,
de la presse spécialisée, de l'attention au mode de vie, à la santé, manifestent
cette évolution. Plus largement, la vision d'un corps esthétiquement beau et d'apparence saine revêt, dans une certaine mesure, un aspect mystique. le culte de la
maigreur envahit les médias, favorisant des comportements à risque importants.
la santé constitue un enjeu majeur. l'espérance de vie progresse régulièrement
mais les inégalités sociales face au risque demeurent, y compris dans les pays
développés, malgré l'institution de systèmes de sécurité sociale à visée universelle. Par exemple, en France, l'écart d'espérance de vie atteint sept ans ent re
les ouvriers et les cadres à 35 ans. les déterminants de la santé vont bien au-delà
des comportements à risques (alcool, tabac). les conditions de vie, de t ravail, de
logement, les modes de vie (notamment alimentaires), l'accès aux soins jouent en
effet un rôle décisif dans le maintien ou l'aggravation des inégalités sociales en
matière de santé. À leur tour, les inégalités sociales de santé alimentent les inégalités face à l'emploi et de manière générale les conditions de vie.
Pourtant, l'histoire des rapports de l'homme à son corps est hiératique, passant
d'une attention extrême à un mépris marqué, en fonction du contexte cult urel
et philosophique de l'époque. la Grèce antique a glorifi é le corps à travers l'art,
comme le mont re le Discobole de Myron : l'épanouissement du corps, notamment à t ravers le sport, était synonyme de beauté, de santé et de puissance. Au
contraire, Platon, dans ses Dialogues, a remis en cause la sacralisation du corps
humain, accusé d'êt re le siège de la souffrance, de la maladie et de besoins qui
entravent la liberté. le corps est le« tombeau» de notre t ranquillité d'esprit, ce
que Platon résume par la formule «soma sema » (« le corps est un tombeau »).
l'essentiel de Io culture générale
le christianisme médiéval accentuera la critique platonicienne en valorisant de
manière exclusive la vie spirit uelle au dét riment de l'épanouissement du corps.
De nouveau, la Renaissance réintroduira le souci du corps, à t ravers l'apologie du
sport. Ainsi, au XVI' siècle, François Rabelais, dans Gargantua, plaidait pour un programme d'éducation équilibré entre exercices physiques et ét udes. Puis, au x1x"
siècle, l'aristocratie britannique va valoriser des« amusements» (sport) qu'elle va
inventer (boxe, golf, football, rugby ... ) et qu'elle va associer au mode de vie du
« gentleman » en y associant une« ét hique aristocratique »composée de volonté
de se maîtriser. de se dépasser.
le sport peut se définir comme un ensemble d'exercices physiques effectués soit
pour obtenir un bien-êt re physique, soit pour se divertir à travers des jeux individuels ou collectifs soumis à des règles et pouvant donner lieu à des compétitions.
Il représente un des phénomènes universels, puisqu'il rejoint nat urellement le domaine de la santé et du jeu. Nombre de civilisations ont été fortement structurées
par la pratique sportive, par exemple la Grèce et la Rome antiques, l'Occident à
partir du Moyen Âge, ou bien encore l'Amérique précolombienne.
Cette activité suppose en outre le respect de règles et l'accomplissement d'un
effort physique. le terme de sport a pour racine le mot de vieux français « desport » qui signifi e« loisir, divertissement ». la notion est particulièrement riche,
puisqu'elle comprend tout à la fois une pratique physique, un loisir, un jeu, un
t ravail, une instit ution, un paramètre éducatif, un spectacle, un enjeu politique,
une compétition contre la nature, un soin, un ensemble de techniques, de rites ...
On distingue évidemment une multitude de sports, exercés individuellement ou
en équipes, qui peuvent être des sports de base (sans médium comme la course à
pied, la natation) ou bien des sports mécaniques. la distinction ent re le sport et
le jeu reste encore difficile à établir. Néanmoins, à la différence du jeu, le sport
implique int rinsèquement une dimension d'effort physique afin d'atteindre un
objectif : battre une aut re équipe, atteindre un niveau, établir un record ... les
frontières entre les deux notions sont néanmoins poreuses.
le sport renvoie également au mythe, dans la mesure où la société lui confère
encore une valeur propre, en relation avec une célébration du « corps sain » de
plus en plus fréquente. faire du sport est bénéfi que, pour la santé, pour le bienêt re, pour« l'esprit ». Enfi n, le sport correspond également à des valeurs éthiques
fortes, de respect de l'adversaire, des règles du jeu. À chaque époque correspond
souvent l'âge d'or d'un sport. l'Antiquité fut par exemple l'âge d'or de la course
de chars, le Moyen Âge celui de la bataille de chevaliers en Occident. le jeu de
paume s'impose dès le x111• siècle et jusqu'au xV11' siècle comme le sport roi en Occident. le XVIII' siècle voit le retour des courses hippiques. Certains sports sont régionaux : hockey sur gazon et cricket pour l'ancien empire britannique, baseball
et football américain pour les États-Unis ...
Thème 13 • le sport
le sport se pratique soit au sein d'un club soit hors de tout club. les clubs sont
affiliés à des fédérations. les clubs organisent les ent raînements et mettent leurs
moyens à la disposition des compétitions. les fédérations organisent les compétitions et édictent les règlements.
-
2.
Problématiques
t Quelle est l' influence du sport dans le rapport de l' Homme
au corps ?
Au sein de la Grèce Antique, l'environnement sportif était largement religieux.
les dieux décidaient de la victoire des uns et de la défaite des autres. le sport participait également de la célébration de rites, notamment funèbres. Parallèlement,
l'organisation des jeux olympiques relevait des pouvoirs politiques et religieux :
les liens entre sport et politique étaient déjà ét roits. Par ailleurs, comme cela
peut encore être le cas aujourd'hui, le sport présentait une fi nalité esthétique. Un
corps harmonieux était lui-même en harmonie avec la nature, puisqu'il se réalisait
pleinement. le corps, modelé par le sport, était ainsi simultanément synonyme de
beauté, de santé et de puissance.
Avec le Moyen Âge, le sport ent rera en disgrâce au profit de la vie spirituelle, qui
primera sur l'exaltation du corps. Au cont raire, la Renaissance renouera avec la
vision antique du corps et valorisera de nouveau le sport. Enfin, au xix• siècle, on
assiste à un véritable épanouissement de la cult ure sportive, largement portée
par l'aristocratie britannique et ses valeurs (maîtrise de soi, valorisation de l'effort
physique, de l'affrontement honorifique ... ) qui va inventer et codifier les règles
de nombre de sports: boxe, golf, football, rugby ... Actuellement, la sacralisation
du corps caractérise nombre de sociétés contemporaines. le sport participe de
cette mise en scène du corps, qui rejette les difformités. Par exemple, la lutte
cont re l'obésité a été érigée, notamment en France, en objectif national de santé
publique. la valorisation du sport est également devenue un aspect de la lutte
cont re les dépenses de santé.
le sport participe au même tit re que d'autres tendances (vulgarisation du tatouage, happenings artistiques utilisant le corps ... ) à la présentation du corps, et
donc de son propriétaire, à son environnement social. à travers l'ensemble des
manifestations (apparence du corps, vêtements, accessoires, coupe de cheveux,
maquillage ... ). le corps n'est donc plus un instrument de plaisir. mais un outil. au
sens technique, de positionnement social. de construction d'une image et d'une
identité sociale. le sport prend donc une signification d'autant plus grande, sociale et psychologique. Un corps sculpté est également un corps« branché». les
phénomènes de modes ent rent de plus en plus dans les visées esthétiques attribuées au corps. Ces constats rejoignent les analyses sociologiques menées notam-
l'essentiel de Io culture générale
ment par Pierre Bourdieu (La Distinction, 1979), ou Norbert Elias et Eric Dunning
(Sport et Civilisation, La violence maîtrisée, 1986). Ces auteurs démontrent en
effet que le développement des cent res de remise en forme, dans les années 1970
est la manifestation d'une approche esthétique, «sculpturale » de son corps.
les auteurs précités constatent également que le choix du sport diffère en fonction de la catégorie sociale d'appartenance du sportif. Par exemple que les individus issus des classes populaires choisiront plus volontiers des sports collectifs dans
lesquels la force et le déploiement d'énergie sont particulièrement importants,
puisque leurs conditions de t ravail les amènent à se considérer comme une force
de production anonyme soumise à l'intérêt du groupe. Au cont raire, les classes
moyennes et supérieures préféreront des activités physiques davantage individualistes, « intellectuelles», dans lesquelles l'élégance des mouvements sportifs
sera valorisée.
L'exercice du sport manifeste aussi la réappropriation de son corps. Le sportif est
supposé avoir un corps sain, qu'il va pouvoir utiliser pour atteindre ses objectifs
personnels et professionnels. À la distinction simpliste « sportif ou intellectuel »
s'est substit uée l'exigence du « sportif et intellectuel ». Parallèlement, les comportements à risques sont bannis. le« modérément »(par exemple concernant la
consommation d'alcool ou la cigarette) est progressivement remplacé par l'interdiction. Il n'y a plus de tolérance vis-à-vis de ce qui est dommageable au corps.
t Quelles sont les évolutions récentes du sport ?
Au cont raire, au-delà du sport « nécessité » (liée à la préservation de la santé, au
besoin esthétique) le sport est désormais présenté comme un plaisir. le plaisir du
dépassement de soi, des autres, mais aussi le plaisir des« sensations» font l'objet
d'une communication constante et croissante, particulièrement visible concernant les sports de glisse par exemple.
Miroir social, le sport rejoint plus largement le développement d'une cult ure du
bien-êt re, qui prend sa source dans des sources aussi variées que l'alimentation,
l'organisation de son environnement direct (par exemple au travers du Feng Shui)
ou bien encore le développement des « alicaments » (cont raction entre aliment
et médicament).
Statistiquement, la pratique d'un sport est encore largement liée à la catégorie
socioprofessionnelle, puisqu'environ 30 % des cadres supérieurs et professions libérales pratiquent régulièrement un sport contre moins de 20 % des ouvriers spécialisés et personnels de service. Plus précisément, le sportif est le plus souvent un
homme, jeune, célibataire, citadin, diplômé. D'après des études récentes menées
au niveau européen, il semblerait que près de 50 % de la population ne paraisse
pas pratiquer d'activité sportive régulière (soit au moins une fois par semaine).
Thème 13 • le sport
Enfin, la reconnaissance sociale du sport s'est progressivement renforcée. Ainsi,
les sportifs professionnels constituent désormais des modèles pour les jeunes générations. Ils sont d'ailleurs parfois interrogés, au même titre que des artistes ou
des Intellectuels, sur des problèmes de société.
4 Quelles sont les conséquences de la commercialisat ion du sport?
Alors que le sport véhicule t raditionnellement des valeurs, il faut cependant souligner qu'il est une source de profits et représente à ce titre une valeur marchande
potentielle énorme. les intérêts du secteur sportif sont portés par un lobby puissant . les fédérations sportives internationales représentent des moyens financiers considérables, notamment au t ravers des subventions publiques, équipements ~
sportifs, licences audio-visuelles, contrats publicitaires, contrats des joueurs, paris
sportifs...
Quelques chiffres illustrent le poids du secteur sportif; les investissements sportifs
communaux se montent aujourd'hui à 26 € par an et par habitant en moyenne.
le ministère de la Jeunesse et des Sports estime à 1OO 000 (58 % d'hommes pour
42 % de femmes) le nombre de salariés t ravaillant pour le secteur sportif en France pour quelque 20 000 employeurs. Hors bénévolat, le poids économique du
sport dans l'économie française est évalué à près de 30 milliards d'euros.
le secteur sportif constitue désormais une véritable industrie de loisirs, avec des
ventes d'équipement, la construction d'infrastructures spécialisées, la création de
structures d'accueil. .. Il emploie tous types de professions (médias, équipementiers, consultants, médecins, avocats... ) bien que l'on constate une spécialisation
croissante de ces dernières. À ce titre, il est d'ailleurs significatif de constater que
les formations de 3' cycle/ Master 2 spécialisées se développent.
le sport est donc nat urellement devenu un enjeu public, national et local. De véritables politiques sportives ont donc été mises en place. Par exemple, des grilles
d'équipement obligatoires en fonction du nombre d'habitants ont été construites
dans les années 1950. Outre un ministère, un commissariat général à l'éducation
physique et sportive a été créé pour organiser cette politique au niveau national.
la commercialisation du sport est également indissociable de la médiatisation
des événements sportifs. Certains d'entre eux sont d'ailleurs surmédiatisés ; par
exemple, lors des Jeux Olympiques d'été, le nombre d'accréditations pour les médias (15 000) est toujours largement supérieur à celui des accréditations d'athlètes
(10 000).
4 Quels sont les rapports du sport et de la politique ?
le sport est tout d'abord vecteur de cohésion et de paix sociale. Chaque époque
a d'ailleurs vu émerger un sport cristallisant plus particulièrement les attentions
(course de chars dans !'Antiquité, tournois de chevaliers au Haut Moyen Âge,
l'essentiel de Io culture générale
jeu de paume durant la Renaissance, courses hippiques aux xvi11• et x1x• siècles ;
foot ball au xx• siècle). Ces tendances sont bien évidemment nuancées par les préférences régionales (par exemple : la préférence de l'Ancien Empire britannique
pour le cricket, qui se ret rouve actuellement dans des pays comme l'Inde ou le
Pakistan). l'influence fédérat rice du sport joue également positivement sur les
irrédentismes locaux.
Par ailleurs, le sport est perçu comme un moyen de renforcerla citoyenneté, à travers
les valeurs qu'il véhicule, comme l'esprit d'équipe, la solidarité, l'intégration. li est
ainsi parfois mobilisé comme instrument politique d'intégration : par exemple,
l'équipe nationale de football « black-blanc-beur » de 1998 a été largement
utilisée dans la communication politique. le sport peut également être un moyen
de réconciliation nationale : par exemple, le programme des Nations Unies
« Sports pour la paix » a permis de t ravailler à la réduction des tensions ent re
communautés à travers l'organisation de manifestations sportives. Des ONG sont
d'ailleurs spécialisées dans ce secteur comme« Right to play», qui concent re son
action dans les interventions post-conflits pour instaurer des jeux sportifs ent re
groupes et hniques, tribaux ou religieux.
En out re, le sport peut aussi constituer un instrument de diplomatie internationale : par exemple, les États-Unis ont profité d'un tournoi de ping-pong, dans
les années 1970, pour opérer un rapprochement avec la Chine populaire. Cette
instrumentalisation du sport par le politique n'est bien évidemment pas récente
puisque le pouvoir politique était déjà impliqué dans l'organisation des Olympiades entre les cités grecques. Ces affrontements ent re cités revêtaient déjà une
signifi cation pacificat rice, avec un transfert des conflits guerriers sur le plan sportif et une t rêve des affrontements militaires. les athlètes portaient les valeurs de
leur ville. De même actuellement, la « course aux médailles » des différentes nations (avec détermination prévisionnelle d'un nombre « minimum » de médailles
à « ramener ») poursuit cette utilisation du sport comme instrument de grandeur
d'une nation et comme outil de pacifi cation des rapports internationaux. les débats déclenchés à propos de l'organisation des Jeux Olympiques en Chine, avec
les mouvements sociaux, politiques, diplomatiques déclenchés par le passage de
la fl amme constituent un exemple signifi catif.
En effet, plus largement, le sport participe de l'image et de l'infl uence d'un pays
ou d'une ville sur la scène internationale. !.'.organisation des jeux olympiques, par
exemple, crée des attentes fortes de la part des villes candidates à l'accueil des
jeux, mais également de la part de l'opinion publique nationale. Au-delà de la
manne financière espérée ou réelle que représente l'organisation des jeux, l'image de la ville et du pays considérés en sort valorisée. De même lors des finales de
compétitions qui cristallisent l'attention (par exemple foot ball, rugby ... ): les dirigeants politiques n'hésitent désormais plus à y assister en arborant les accessoires
des supporters, pour montrer leur soutien à l'équipe nationale. Au contraire, les
Thème 13 • le sport
sportifs peuvent également faire l'objet de représailles, en cas de défaite, lorsqu'ils
sont ressortissants de pays dirigés par des dictatures: par exemple, l'ancien président ivoirien Robert Guei avait envoyé les footballeurs de l'équipe nationale à un
« stage de rééducation » en caserne après une défaite en coupe d'Afrique.
l'Histoire nous permettra d'évoquer certains exemples éclairants de cette infl uence du sport, comme l'organisation des Jeux Olympiques de Berlin en 1936,
vainement destinés à démonter la supériorité de la race aryenne. De même de
l'investissement des ex-pays de l'Union soviétique dans l'entraînement de sportifs
de haut niveau afi n de prouver la supériorité de leur modèle politique. Sous le
régime de Vichy, à l'instar de l'Allemagne nazie, le sport a été exploité comme
un moyen de valoriser l'effort, l'esprit d'équipe, l'obéissance et le sacrifice. Enfin,
un dernier exemple peut être cité avec les boycotts des jeux de Moscou en 1980,
organisés pour protester cont re l'invasion de l'Afghanistan par l'Union soviétique
et réciproquement lors des jeux de los Angeles en 1984.
le sport est aussi perçu comme un moyen de prévenir la délinquance en occupant
les jeunes. le ministère de la jeunesse, des sports et de la vie associative estime
que plus de 2 000 actions locales d'éducation, de prévention et d'insertion professionnelle par le sport ont pu êt re menées grâce à l'activité de milliers de clubs
sportifs. les entreprises françaises soutiennent également des clubs sportifs, professionnels ou amateurs. Enfin, le sport est un élément essentiel de la politique
de santé publique.
Références bibliographiques
+
+
•
(P.), La Dist inction, 1979.
ÉuAs (N.) et DuNN ING (E.), Sport et Civilisa tion, La violence maîtrisée,
1986.
M EYNAUO (J.), Sport et politique, 1996.
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hème
1
LA NATURE
« La nature, pour être commandée, doit être obéie. »(Francis Bacon, Novum
Organum)
-
1.
Définitions
la Nature peut se défi nir comme l'ensemble du milieu naturel de la Terre et de ses
composantes (animale, végétale, minérale). Elle comprend le vivant et l'inerte, à
condition qu'ils soient directement disponibles sans avoir subi d'intervention humaine. la nature est traditionnellement opposée à la culture, qui provient d'une
construction humaine. la culture est issue d'un élément nat urel, transformé par
l'Homme à t ravers la technique.
l'écologie correspond, quant à elle, à l'étude des interactions des êt res vivants
entre eux et avec leur milieu. le mot provient du grec « eikos », qui signifie
« demeure », et de « logos » qui signifie « science ». le terme a été proposé en
1866 par Haeckel pour défi nir « la science des rapports des organismes avec le
monde extérieur ». l'écologie est d'une part la science de l'environnement et
d'autre part une prise de conscience concernant la fragilité de ce dernier ainsi
que la promotion des moyens de le protéger ou de l'exploiter de manière durable. Il faut distinguer l'écologie d'autres sciences (climatologie, géodynamique,
climatologie ... ) qui étudient les phénomènes planétaires tels que l'effet de serre,
la déforestation, la pollution. Néanmoins, le langage commun et le discours des
écologistes ont donné à l'écologie un sens déformé.
l'environnement peut être défini comme l'ensemble des éléments naturels et
cult urels, notamment artifi ciels, au sein desquels et à t ravers lesquels la vie prend
place, à partir d'interactions permanentes. Cette défi nition implique immédiatement de considérer l'interdépendance de la vie et de son environnement . Au
xx• siècle, cependant, le terme « environnement » prend souvent un sens plus
restrictif, pour évoquer spécifiquement l'environnement nat urel, perçu comme
une ressource, un capital, dans une dimension internationale, prospective. Cette
modifi cation de sens est liée à l'émergence d'enjeux écologiques globaux depuis
la fi n du xx• siècle. D'un point de vue plus sociologique, l'environnement est le
milieu physique, construit, naturel mais aussi l'environnement humain constitué
par tout groupe (famille, amis, tribu, quartier, village ... ), collectivité et société
(entreprise, administration ... ).
l'essentiel de Io culture générale
-
2.
Problématiques
t Comment notre rapport à la nature a-t-il évolué ?
-
l'Homme a soigneusement séparé culture et nat ure, par crainte de la seconde.
la nature génère en effet la vie mais également la douleur, la maladie et une
large part des maux dont souffre l'Homme jusqu'à sa mort. Elle refl ète donc sa
dépendance, sa soumission. Parallèlement, l'Homme n'a jamais été plus conscient
de la fragilité de la nat ure, de ses équilibres et de sa diversité. Apprenant progressivement à s'en protéger, puis à la maît riser, l'Homme a fini par exploiter les
richesses de la nature à son seul profit au point d'envisager leur épuisement . Il
s'est donc préoccupé de la protéger, à t ravers le concept de développement durable, et de sauvegarder ainsi son propre avenir. Ces paradoxes structurent encore
aujourd'hui les rapports de l'Homme et de la nature.
le holisme, assimilant l'Homme à la nature, n'a pas survécu à l'avènement de
l'Homme comme porteur de culture, identifié à cette dernière. les croyances et
la crainte suscitées par la nat ure, liées aux manifestations spectaculaires et/ou
dévastat rices de supposées divinités, se sont progressivement atténuées à mesure
que les explications scientifi ques s'enrichissaient . les rites animistes développés
par des populations telles que les Celtes, les Romains, les Incas, ou par certaines
communautés maçonniques, avaient pour objectif d'atteindre les divinités qui
agissaient directement sur leur environnement au gré de leur humeur. Sacrifices,
offrandes, prières, cérémonies, recours à des intermédiaires qui interprétaient les
signes nat urels (devins, prêtres) l'ensemble des rites étaient destinés à rechercher
une bienveillance vitale pour les membres de la communauté considérée.
Chaque élément de la nature était source d'interaction avec l'Homme et le reste
de la nature, système intégré créant une interdépendance forte qui régissait les
rapports de ses composantes. Pourtant, cette approche contenait déjà les germes
de la phase d'appropriation de la nat ure par l'Homme. la science a simplement
permis à l'Homme d'obtenir directement les produits de la nature ou bien de s'en
protéger (dans la mesure du possible) alors qu'il cherchait auparavant à obtenir
ces résultats par des manifestations spirit uelles. C'est bien l'ignorance des mécanismes nat urels que nous connaissons qui générait une approche spirit uelle,
métaphysique des phénomènes naturels. Lucrèce, dans son traité De rerum natura, dénonçait déjà la propension simpliste à appréhender l'incompréhension en
expliquant par l'intervention divine.
la science et la connaissance ont également rendu l'Homme puissant . la conquête
de la nat ure est allée de pair avec la maîtrise de l'espace (voyages, nomadismes,
conquêtes guerrières, découvertes de nouveaux continents). la diffusion des
savoirs concernant les espèces animales et végétales, leurs vertus et dangers, a
progressivement circulé. les progrès de l'orientation, notamment à t ravers la
Thème 14 • Lo nature
cartographie ont tout particulièrement aidé cette diffusion à partir des xv" et
xv~ siècles. Jusqu'alors, l'Homme était impuissant car il subissait les cont raintes
naturelles sans pourvoir les anticiper ou réagir de manière suffisamment effi cace.
Descartes notait que « L'homme doit changer ses désirs plutôt que l'ordre du
monde ». les différentes philosophies antiques présentaient également un
rapport de soumission vis-à-vis de la nature, plutôt qu'une recherche de maîtrise
au t ravers de la technique. l'ataraxie, stade ultime du bonheur, provenait, selon
ces dernières, de l'harmonie recherchée avec le cosmos, à t ravers l'élimination des
plaisirs inutiles (épicuriens) ou la vie raisonnée (stoïciens).
Il reste qu'actuellement tout n'est évidemment pas ni expliqué, ni maîtrisé, ce qui
induit encore une certaine soumission face à la force naturelle, quel que soit le
niveau de développement de la communauté considérée. On pensera par exemple aux conséquences de l'ouragan Katerina sur la Louisiane. la dépendance humaine vis-à-vis de la nat ure n'en reste ainsi pas moins réelle. Elle s'exprime également au t ravers du t ravail. qui fournit à l'Homme sa subsistance. la nat ure nourrit
l'Homme. l'animisme, les rites de célébration de la nature qui ont fleuri dans les
civilisations d'Asie et du bassin méditerranéen avant l'apparition du christianisme,
mont raient d'ailleurs une figure féminine nourricière de la nat ure. Cette vision de
la nature s'est d'ailleurs manifestée plus tard dans les représentations naïves de
la nature, notamment en peinture (Cranach, Bruegel. .. ), ou bien plus récemment
encore dans les personnifications de la République et de la pat rie (Marianne). la
nature a d'ailleurs toujours inspiré le milieu artistique: par exemple, la nature est
au cœur des auteurs du Romantisme (Chateaubriand, Lamartine, Hugo, Vigny,
Musset, Nerval. .. ).
la relation de l'Homme et de la nature a été st ructurée par plusieurs évolutions
récentes. Tout d'abord, l'écologie est devenue une préoccupation globale, y
compris de gouvernance mondiale. l'environnement est même devenu objet de
confl it (par exemple concernant les réserves d'eau) et donc un sujet décisif de
la diplomatie. Il participe également des relations économiques et de l'image
des ent reprises. les notations financières internationales prennent désormais en
compte des critères environnementaux et les sociétés multinationales ont été
nombreuses à développer une politique active de communication (notamment à
t ravers un rapport de développement durable) en la matière.
En effet, le développement durable et la protection de l'environnement ne
concernent pas que les États et les individus, mais également les entreprises, les
associations, les ONG, les syndicats ... À l'instar de !'Organisation mondiale du
commerce (OMC), il serait également envisageable de créer une Organisation
mondiale de l'environnement chargée de gérer les négociations et accords en
matière d'environnement . les réfl exions actuelles sur le Grenelle de l'environnement sont représentatives d'une prise de conscience globale, citoyenne, des enjeux environnementaux. Désormais, au-delà de la maîtrise de la nat ure, il devient
l'essentiel de Io culture générale
nécessaire de rechercher comment intégrer le paramèt re de l'écologie dans l'économie, en d'autres termes comment préserver les ressources futures pour mieux
les rentabiliser en modifiant les modes de gouvernance. le droit de l'environnement devra aider à garantir l'effectivité des mesures prises, au niveau national et
international.
-
Concernant le corpus normatif, il faut souligner que le Sommet de la Terre sur
l'environnement et le développement (CNUED) de Rio en 1992 a adopté les 27
principes de la déclaration de Rio, les 2 500 recommandations de l'Agenda 21 , un
programme pour le xx~ siècle (appelé aussi Action 21 ), les conventions sur la biodiversité, le climat, et un texte sur les forêts. le sommet de Johannesburg (2002)
a, quant à lui, donné lieu à des constats communs, notamment la nécessité de
rééquilibrer les pouvoirs entre les priorités économiques et les impératifs sociaux
ou écologiques. A également été évoquée la nécessité d'intégrer des obligations
de respect de l'environnement et des normes sociales dans le mécanisme des
marchés financiers, ainsi que de substit uer aux spéculations boursières erratiques
des projets économiques viables et équitables à long terme. la valorisation des
nouvelles énergies dites « propres », telles que l'énergie solaire ou éolienne et
l'adaptation des comportements individuels (t ri des déchets, économies d'énergie,
tourisme écologique ... ) joueront probablement un rôle décisif.
Enfin, il faut souligner que la protection de la nat ure rejoint les visées humanistes: elle doit s'entendre dans une finalité plus large de préservation de l'Homme,
de ses valeurs et de ses droits. Selon Edgar Morin, « le danger interne qui ronge
la pensée écologique, c'est le réductionnisme. La pensée qui réduit tous les problèmes au seul problème écologique devient incapable de saisir les autres dimensions de l'existence et de la société». De même, dans son ouvrage, Le nouvel
ordre écologique (1992) lue Ferry a dénoncé les dérives possibles d'un écologisme
radical qui prône la suprématie de l'environnement sur les valeurs humaines et
risque d'aboutir à la déconst ruction de l'humanisme.
t La nature inspire-t-elle encore la peur ?
l'espèce humaine, soucieuse de sa survie et dépourvue de défense naturelle efficace, a fait de la maîtrise de la nat ure le plus sûr moyen de résister à ses attaques.
l'Homme a toujours cherché à échapper à l'ensemble des déterminismes naturels
que sont la faim, le froid, la maladie, les animaux prédateurs. la t ransformation
par la main de l'Homme marque les paysages (ponts, villes, canaux, mines à ciel
ouvert, déforestation ... ). la nat ure est façonnée à not re goût, pour satisfaire not re recherche du confort. la peur de la nat ure a donc progressivement diminué.
les progrès de la génétique et le cont rôle intrinsèque du vivant marquent le stade
ultime de la« domestication »de la nature. Pourtant, les implications potentielles
de ces progrès ont suscité des débats, notamment à propos de la nécessité de décider une ét hique de la« non-découverte» (Michel Serres), soit le fait de renoncer
Thème 14 • Lo nature
à découvrir certaines vérités scientifi ques pour empêcher un individu de l'exploi-
ter un jour contre l'ensemble de l'espèce humaine. Ainsi, précisément au moment
où l'Homme acquiert un pouvoir scientifique immense, il prend conscience du fait
que la nat ure pourrait bien se retourner contre lui. Une nouvelle « peur » de la
nature pourrait donc voir le jour. fondée sur l'incapacité de l'humanité à en maît riser les pouvoirs une fois qu'elle se les sera appropriés.
la peur provient également de la prise de conscience par l'Homme que l'épuisement des ressources et la destruction des espèces amènera inexorablement l'extinction de l'espèce humaine. En soumettant la nat ure à ses besoins croissants,
sans en garantir une exploitation raisonnée, l'Homme assure sa perte : par exem- . .
pie, le taux d'extinction actuel et moyen des espèces par décennie est de l'ordre
de 5 à 10 %, soit une disparition de 25 à 50 % du nombre d'espèces connues d'ici
le milieu du xx1• siècle. Ainsi, la manipulation génétique, la surexploitation et la
pollution constituent aujourd'hui des menaces autrement plus inquiétantes que
n'importe quel phénomène nat urel (sauf à se souvenir qu'elles pourraient provoquer des catastrophes naturelles autrement plus puissantes).
Il est d'ailleurs significatif que, parallèlement à ces développements, nous assistions à un retour au « bio », à «!'aut hentiquement naturel »,valorisé non pour
ses propriétés mais parce qu'originellement «pur», «vierge». l'absence de modification par l'Homme serait devenue en elle-même une preuve de la valeur du
produit.
t Quels sont les rapports entre politique et nature ?
la nat ure a régulièrement constitué une référence politique importante. Elle a
par exemple été mobilisée pour stigmatiser la décadence et appuyer la propagande nationaliste, à travers des représentations bucoliques : la vie à la campagne
a souvent été parée des vertus de simplicité, frugalité, santé. les lumières et les
républicains (république pastorale du xv111• siècle) ont également utilisé la nat ure.
Il faut enfin remarquer que des représentations d'animaux ou d'arbres sont fréquentes dans les drapeaux nationaux.
Par ailleurs, la nature a donné naissance à une idéologie et un mouvement politiques. Cette idéologie s'est principalement développée dans les années 1970.
Avant tout basée sur un militantisme écologique plus que politique, le mouvement écologiste a longtemps vécu exclusivement au t ravers d'associations, de
coordinations sans structure de parti. la politisation de l'écologie n'est intervenue que progressivement. Concernant la France, quelques dates montrent cette
politisation croissante des enjeux écologiques: en 1974, le mouvement écologiste
est créé pour soutenir la candidature de René Dumont à l'élection présidentielle;
il devient un véritable parti en 1982.
l'essentiel de Io culture générale
la dimension politique de la nat ure est aussi perceptible dans la distinction
droit naturel / droit positif apparue au xv111• siècle. Cette distinction manifestait
la volonté de transposer un ordre naturel considéré comme exemplaire, équilibré, à l'ordre social, au t ravers des lois. la Déclaration des droits de l'homme et
du citoyen du 26 août 1789, mais également les constitutions de 1791 et 1793
portent la marque de ce débat avec la reconnaissance des droits politiques : les
droits imprescriptibles de l'Homme, ces droits« naturels, inaliénables et sacrés de
l'homme» (préambule de la Dèclaration des droits de l'homme et du citoyen du
26 août 1789) sont reconnus en droit positif alors que leur fondement est « nat urel». l'article 2 de la Déclaration précitée dispose d'ailleurs: «Le but de toute
-
association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles
de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à
l'oppression. »
Enfin, la nat ure en tant qu'environnement politique s'est également manifestée
au t ravers du « mythe du bon sauvage », souvent déformé dans une acception
correspondant à un « retour à la nature ». le mythe du « bon sauvage » a pour
origine les Essais de Montaigne qui a imaginé et idéalisé les conditions de vie
des Indiens à partir des récits qu'il a pu rassembler. Montaigne, à travers ses descriptions, cherchait à critiquer l'action dest ructrice des Européens au travers de
leur volonté civilisatrice, en défendant le relativisme culturel. Ce mythe du bon
sauvage a souvent été évoqué à propos de Rousseau, à qui il est parfois attribué
à tort. Ce dernier affirmait cependant (Discours sur l'inégalité, 1755) que « La nature a fait l'homme heureux et bon, mais la société le déprave et le rend misérable», avec l'objectif de promouvoir le contrat social comme forme d'organisation
sociale palliative. Ce n'est donc pas la vie à l'état de nat ure qui était directement
promue par Rousseau.
t Qu'est-ce que le développement durable ?
la formule «Agir local, penser global» employée par René Dubos au sommet sur
l'environnement de 1972 est souvent employée concernant le développement
durable. !.'.épuisement progressif des richesses a suscité des rencont res, rapports
scientifi ques et signatures d'accords internationaux, qui ont conduit, dans les années 1980, à l'émergence de la notion de« développement durable». le rapport
Brundtland de 1987, puis le Sommet de la Terre, conférence des Nations unies de
Rio de Janeiro en 1992, ont été les deux premières concrétisations de ces préoccupations. les notions de principe de précaution, de droits de tirages internationaux sur la pollution, de responsabilité étatique sont apparues. le Protocole de
Kyoto en 1997, le Sommet de Johannesburg en 2000, l'adoption en France d'une
Charte de l'environnement adossée à la Constitution en 2005 ont approfondi la
prise de conscience du public.
Thème 14 • Lo nature
le développement durable a été notamment défi ni par la Commission mondiale
sur l'environnement et le développement dans le Rapport Brundtland (1987) :
« Un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la
capacité des générations futures de répondre aux leurs». le développement du-
rable comprend 3 éléments principaux : le développement, l'environnement et la
durabilité, qui doivent être envisagés à long terme. Or. les enjeux de pouvoir. en
particulier démocratiques, sont souvent à court terme (notamment les prochaines échéances électorales). Il est donc nécessaire d'intégrer la dynamique du très
long terme dans la politique, ce qui est d'autant plus urgent que le bilan actuel
est lourd : exploitation systématique des richesses, manque de moyens fi nanciers affectés à la gestion de l'environnement, développement de la société de
consommation avec explosion de la quantité de déchets émise. Adopter une perspective à long terme revient à rechercher les moyens de concilier développement
économique, social. utilisation harmonieuse, mesurée des richesses naturelles, au
niveau national comme au niveau international.
la préservation du pat rimoine, naturel et culturel (et donc immatériel) est également inhérente au développement durable. L'UNESCO définit le pat rimoine
cult urel de la manière suivante : « Ce patrimoine culturel (immatériel), transmis
de génération en génération, est recréé en permanence par les communautés et
groupes en fonction de leur milieu, de leur interaction avec la nature et de leur
histoire, et leur procure un sentiment d'identité et de continuité, contribuant
ainsi à promouvoir le respect de la diversité culturelle et la créativité humaine ».
la satisfaction des besoins essentiels des communautés humaines présentes et
futures, en rapport avec les cont raintes démographiques, peut être listée de la
manière suivante: accès à l'eau potable, lutte cont re la faim ou la malnut rition,
sécurité alimentaire ou souveraineté alimentaire, accès à l'éducation, accés à la
santé, accès à l'emploi, accès aux soins médicaux, accès aux services sociaux, accés
à un logement de qualité, accès à la cult ure, bien-être social, participation de
l'ensemble des groupes de la société aux différents processus de prise de décision,
amélioration du stat ut des femmes, promotion des libertés individuelles ...
les débats autour du développement durable renforcent l'opposition Nord/ Sud,
puisqu'il s'agit de concilier la nécessité de protéger les ressources de manière à
en bénéfi cier à long terme tout en défi nissant des moyens de ne pas freiner le
développement actuel de certains pays, particulièrement consommateurs de ressources. les pays les plus pauvres sont à la fois les moins responsables du réchauffement climatique (le milliard d'individus les plus défavorisés n'est responsable
que de 3 % du bilan carbone mondial) et les plus touchés. Par exemple, le risque
d'être victime d'une catastrophe climatique est 79 fois plus élevé pour un habitant d'un pays en voie de développement que pour celui d'un pays riche.
!lm
l'essentiel de Io culture générale
li est d'autant plus difficile d'exiger des pays pauvres des efforts supplémentaires
concernant l'environnement alors que les pays riches ont eux-mêmes prélevé la
part de ressources qui est à l'origine de leur développement actuel (sous prétexte
implicite que la prise de conscience internationale est récente). li est donc à craindre que le souhait de croissance légitime des pays sous-développés n'implique
une dégradation encore plus importante de la biosphère. li faut souligner que si
tous les États de la planète adoptaient « I' American Way Of life », qui consomme
près du quart des ressources de la Terre pour 7 % de la population, il faudrait 5
ou 6 planètes.
~
les pays riches restent donc les principaux pollueurs de la planète (et n'ont pas
toujours l'intention réelle de modifi er leurs habitudes). le refus des États-Unis de
signer le protocole de Kyoto en 1997 sur la réduction des effets de serre est à ce
titre particulièrement symptomatique. le développement durable a d'ailleurs été
accusé de cacher une volonté d'hégémonie économique des pays développés. la
volonté de protéger l'environnement est cependant tout aussi prégnante dans
certains pays en développement que dans les pays riches. Par exemple, le Brésil a instauré un droit d'exclusivité sur l'exploitation des espèces végétales de sa
forêt t ropicale par l'industrie pharmaceutique. li est vrai qu'une étude récente
(R. Costanza) évaluait à 33 milliards de dollars la valeur économique globale de
la diversité des espèces.
En outre, le réchauffement climatique pourrait modifi er la carte des avantages et
désavantages relatifs des États, puisque certaines régions pourraient bénéficier
d'avantages induits par le réchauffement tandis que d'aut res verraient leur désavantage s'accroître. On pense en particulier à la plus-value foncière générée par
la transformation de terres inutilisables (du fait du gel, par exemple) en terres habitables ou à l'ouverture de nouvelles routes maritimes, notamment à l'extrême
nord qui pourrait avantager la Russie au détriment des mégapoles portuaires
comme Singapour. Or, ces modifications semblent devoir profiter aux pays du
Nord, tandis que les pays du Sud pourraient souffrir encore plus de conditions
climatiques de plus en plus rudes.
le développement durable, qui s'appuie sur la notion de « gouvernance », se
prèsente en tant que processus de t ransformation dans lequel l'exploitation des
ressources, le choix des investissements, l'orientation des changements technologiques et institutionnels sont rendus cohérents avec l'avenir comme avec les
besoins actuels. le « pacte mondial » lancé par les Nations Unies en juillet 2000,
cherchent à traduire cette orientation. li comporte 9 articles distribués en trois
catégories, qui ajoutent aux impératifs écologiques des exigences ét hiques et
économiques: le respect des droits de l'homme, le respect de normes équitables
de t ravail, la promotion d'une véritable responsabilité environnementale. Pour le
développement durable des territoires locaux, les réseaux de villes et les communautés urbaines sont à même d'exprimer les besoins et de mettre en œuvre des
Thème 14 • Lo nature
solutions dans le cadre de l'outil défini au sommet de la Terre de Rio de Janeiro:
l'agenda 21 . les collectivités territoriales peuvent coopérer avec les entreprises,
les universités (et les grandes écoles en France) ainsi qu'avec les centres de recherche, pour imaginer les solutions innovantes de demain.
Enfin, la promotion du développement durable correspond directement au discours t raditionnel de l'écologie depuis les années soixante-dix, relayé depuis par
les scientifiques et des philosophes comme Michel Serres qui, dans Le Contrat
naturel (1990), propose un nouveau «cont rat naturel» avec la Terre, et comme
Hans Jonas, qui, dans Le Principe responsabilité (1979) met en avant l'idée d'une
ét hique de la responsabilité vis-à-vis d'elle. À la manière de Kant, Hans Jonas élabore un impératif catégorique qui intègre la responsabilité que nous avons tous
à l'égard de l'avenir de la planète : «Agis de façon que les effets de ton action
soient compatibles avec la permanence d'une vie authentiquement humaine sur
terre».
41 Quelles sont les critiques adressées au développement durable?
la notion même de développement durable est cependant régulièrement contestée car elle ne remet pas directement en cause les modes de développement économiques actuels, notamment caractérisés par le productivisme en matière d'agricult ure et l'extension constante de la sphère marchande. Par ailleurs, il n'existe
pas d'indicateur précisément défini permettant de mesurer les progrès (ou les
régressions) en la matière. D'ailleurs, une autre critique consiste à souligner que
la notion de développement durable est progressivement tellement englobante
qu'elle en perd tout sens opératoire : le développement durable recouvre ainsi
le progrès social, la solidarité entre les peuples, la lutte contre la faim, l'équité
sociale, le commerce équitable, une alimentation saine et adaptée, les droits de
l'homme ... Ainsi, la notion de développement durable pourrait en fait signifi er
que les évolutions actuelles de la consommation de ressources sont légitimées
sous réserve d'y apporter certaines conditions afin d'en corriger les effets les plus
néfastes. Cela reviendrait à accepter la cause du moment que l'on se préoccupe
des effets, ce qui n'est pas satisfaisant.
Plusieurs zones d'ombre demeurent, qui rendent délicates l'aspect opérationnel
du développement durable : difficulté à défi nir précisément les besoins des générations fut ures, les critères de gestion des ressources non renouvelables, les
moyens de lutte contre le gaspillage et leur mise en place, les mét hodes d'intégration des pays en voie de développement dans la réflexion sur le développement
durable, les moyens de contraindre les pays qui n'ont pas signé le protocole de
Kyoto sur la limitation des gaz à effet de serre, la mesure de l'impact économique
du développement durable (en particulier sur la croissance des pays émergents,
par exemple les « BRIC » - Brésil, Russie, Inde, Chine) ...
ll!m
l'essentiel de Io culture générale
-
En outre, la croissance économique apparaît int rinsèquement contradictoire par
rapport aux objectifs du développement durable. Historiquement, la croissance
telle qu'envisagée lors la Révolution industrielle du x1x• siècle était essentiellement économique. le « social » n'a fait son apparition que dans la deuxième
moitié du xix• siècle. la prise en compte de l'environnement ne date que de la fin
du xx• siècle : l'empreinte écologique mondiale a désormais dépassé la capacité
de la Terre à se reconstituer depuis le milieu des années 1970. l'épuisement des
ressources nat urelles (matières premières, énergies fossiles pour les humains) et
la destruction des écosystèmes ont rendu le modèle de croissance non durable.
le développement (industriel, agricole, urbain) génère des pollutions immédiates et différées (exemple pluie acide et gaz à effet de serre qui contribuent à
un changement climatique), une surexploitation des ressources nat urelles et une
perte de biodiversité par l'extinction d'espèces végétales ou animales (exemple:
déforestation de la forêt équatoriale). Par ailleurs, les populations les plus pauvres subissent de plein fouet la crise écologique et climatique. Il est à craindre
que le souhait de croissance des pays sous-développés vers un état de prospérité
similaire, édifié sur des principes équivalents, n'implique une dégradation encore
plus importante de l'environnement .
t Faut-il promouvoir la décroissance ?
Pour les partisans de la décroissance, la croissance est une illusion et un danger
(essentiellement écologique) et ils accusent le développement durable de n'êt re
qu'un pléonasme visant à masquer la nécessité d'un changement complet de vision. Si la notion de développement durable appelle à un arbit rage ent re le court
terme (générations présentes) et le long terme (générations futures), elle ne remet pas nécessairement en cause la nécessité de la croissance économique. les
défenseurs de la « soutenabilité forte », notamment, considèrent qu'en raison
des phénomènes d'irréversibilité qui caractérisent la nat ure (ressources épuisables, disparition d'espèces ... ), il est nécessaire de préserver intégralement les ressources non renouvelables pour assurer une réelle équité intergénérationnelle.
Selon les tiers-mondistes, si la croissance est nécessaire au développement, elle
ne saurait être suffisante. Ainsi, on pourrait avoir croissance sans développement,
voire « développement du sous-développement » en raison de la domination
de la périphérie (le tiers-monde) par le cent re (les pays développés). Pour
certains altermondialistes, la croissance n'est ni suffi sante, ni toujours forcément
nécessaire au développement. Certes, la croissance est nécessaire à la satisfaction
de nos besoins essentiels, mais cette croissance produit des dégâts (en particulier
environnementaux) tels qu'elle constit ue un obstacle à la soutenabilité du
développement . Il s'agit là d'une remise en cause du modèle occidental de
développement, et de !'et hnocentrisme avec lequel il est imposé aux pays dits
pauvres.
Thème 14 • Lo nature
Références bibliographiques
+
+
FERRY (l.), Le nouvel ordre écologique, 1992.
+
RoussEAu (J.-J.), Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité
parmi les hommes, 1755.
lucRECE, De rerum na tu ra, vers 44 - 79 •
• DE MONTAIGNE (M .), Les essais, 1595.
hème
15
LA MORT
Ne sais-tu pas que fa source de toutes les misères de l'homme, ce n'est pas fa
mort, mais fa crainte de fa mort ? »(Épictète, Entretiens)
« Les fâches meurent plusieurs fois avant leur mort; Le brave ne goûte jamais
fa mort qu'une fois. » (William Shakespeare, Jules César)
« Les vivants ne peuvent rien apprendre aux morts; les morts, au contraire,
instruisent les vivants. »(Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe)
« Quelle belle conception les anciens avaient de fa mort: repos des bons, terreur des méchants! La mort c'est /'épreuve de fa vertu.» (Lao-Tseu)
« Quand on pense à quel point fa mort est familière, et combien totale est notre ignorance, et qu'il n'y a jamais eu aucune fuite, on doit avouer que le secret
est bien gardé ! »(Vladimir Jankelevitch, La mort)
«
-
1.
Définitions
la mort appartient à la catégorie des sujets universels qu'il est difficile de définir,
puisqu'il n'est pas possible de connaître précisément ce dont il s'agit. Cette lucide
ignorance n'est nullement incompatible avec l'expérience de la mort, ses effets et
ses multiples représentations ... Selon !'Organisation mondiale de la santé (OMS),
la mort désigne« fa disparition irréversible de l'activité cérébrale mise en évidence
par fa perte des réflexes du tronc cérébral». Biologiquement, la mort d'un être vivant est l'arrêt irréversible des fonctions vitales, à savoir l'arrêt de l'assimilation de
nutriments, de la respiration et du fonctionnement du système nerveux central.
la mort est ainsi assimilée à la disparition de l'être, à une absence, souvent brutale, dont la réalisation ne peut s'anticiper à travers l'idée de cette même absence.
Sa présence peut être rappelée par des photos, des objets. le corps peut être
embaumé, mais sa présence, son existence en tant qu'individu conscient, agissant,
cesse. la mort est donc un sujet à la fois mystérieux et scandaleux, qui défie la
raison, puisqu'il concerne l'ensemble des êtres vivants, qu'il est inlassablement représenté, expérimenté, et qu'il reste malgré tout totalement inconnu. Condition
commune à l'ensemble des êtres vivants, elle n'est cependant réellement comprise que par l'Homme, qui en prend pleinement conscience. En paléontologie,
la découverte de rites funéraires est un élément important pour déterminer le
degré d'éveil social d'un hominidé.
l'essentiel de Io culture générale
la peur de la mort est donc universelle, en tous les cas pour l'Homme, bien qu'elle
puisse parfois êt re appelée lorsque les souffrances deviennent trop importantes.
Dans ce cas, elle est cependant appelée comme un remède et non comme la cessation de l'existence: comment serait-il possible de souhaiter rationnellement ce
dont on ignore tout ?
-
la mort est l'objet d'études scientifi ques, produit des conséquences économiques
(réunions communautaires, échanges de biens, mais aussi développement de l'industrie mortuaire), juridiques (transmission de pat rimoine, échange de biens), démographiques. la mort est présente dans la vie sexuelle (avec les maladies sexuellement t ransmissibles notamment, mais aussi par l'acte sexuel de reproduction qui
défie notre mortalité et la concrétise simultanément ) et dans la vie culturelle.
Elle n'est cependant pas réductible à ces manifestations puisqu'elle touche également à l'intimité du deuil, à la douleur nécessairement privée. l'humanité a
perpét uellement cherché à résoudre ce paradoxe entre la proximité et la distance
de la mort en la représentant, à travers l'art, la religion, la philosophie. Alors que
le manque de connaissances sur la mort est flagrant, elle occupe paradoxalement
l'ensemble des domaines d'activité humaine. Pourtant, l'Homme a toujours évité
de parler directement de la mort, qui fait l'objet d'un champ lexical varié:« quitter ce monde», « trépasser»,« s'en aller» ... la mort est crainte du fait des souffrances qui l'accompagnent souvent et du fait de l'lnconnu qu'elle représente.
la spiritualité, notamment à t ravers la religion, aide à dépasser la douleur de la
disparition en distinguant la disparition du corps et la subsistance d'un élément
immatériel, essence de l'individu (esprit, âme ... ), qui deviendrait paradoxalement
encore plus présent. l'importance de cette essence serait d'ailleurs supérieure au
corps, considéré comme un simple réceptacle, limité, fragile, temporaire.
En outre, la prise de conscience universelle de la mort va participer de la culture
d'une communauté, à travers les manifestations de la spirit ualité, les interrogations métaphysiques et plus directement la mobilisation des rites funéraires. la
mort, lorsqu'elle va découler de phénomènes de masse (invasions, épidémies ... )
va également renforcer la solidarité, le sentiment d'appartenance à une communauté. Enfi n, elle va fonder une partie de la morale, à partir de la notion d'homicide, de meurtre.
-
:z. Problématiques
t Quelle est l'évolution du rapport à la mort ?
le rapport à la mort a largement évolué avec la modification du rapport à la vie.
les progrès de la médecine, mais aussi et surtout la maît rise de la génétique, les
débats sur le clonage, le rapport au corps et à la santé, ont enrichi et modifi é le
Thème 15 • Lo mort
rapport à la mort. De même que l'H omme a acquis la maîtrise du don de la vie
(pilule, IVG ... ), il souhaite se donner l'image d'une mort contrôlée, domestiquée.
Ce point devient d'autant plus crucial que la durée de vie augmente et que les
progrès de la médecine permettent une fin de vie moins pénible.
les progrès de la science ont en effet renforcé la maît rise de l'Homme sur son environnement, au point qu'aujourd'hui, la mort est cachée, rejetée. la souffrance,
l'agonie et la mort elle-même sont désormais souvent désincarnées car concent rées dans la plupart des cas loin des regards, à l'hôpital ou en clinique. la mort
se fait plus lointaine, réservée au corps médical et aux lieux de soins. On ne meurt
plus que rarement chez soi.
. .
les signes et manifestations de la vieillesse, de la maladie, sont également combattus. À las Vegas, en avril 2007, un séminaire consacré à la thèse selon laquelle
la vieillesse est une pat hologie qu'il est possible de soigner a même été organisé.
Au contraire, le culte du corps, de la santé, du sport, de l'alimentation saine, le
« jeunisme », sont autant de signes de négation de la mort. la jeunesse devient
elle-même une valeur, un signal positif, un symbole de dynamisme, de mobilité.
Ainsi la vieillesse est-elle occultée, et avec elle la mort. Il n'existe plus de« vieux»
mais des« seniors» et un 3' âge dont les limites sont de plus en plus floues. Parce
que cachée, la mort n'en est que plus obscène lorsqu'elle s'exhibe. Elle n'est pas
supportable, doit êt re maîtrisée pour êt re évitée. Dans nombre de représentations collectives occidentales, la mort n'appartient plus au monde naturel. à la
fatalité biologique. Elle relève d'un manque d'anticipation, d'un mauvais traitement, d'une cause exogène, d'une erreur ou d'une insuffi sance professionnelle.
Dans la mesure où la mort n'est plus acceptée comme un régulateur naturel. elle
apparaît souvent comme un échec de la médecine et non plus comme une fatalité. le rapport à la mort s'appuie donc de plus en plus sur une mise en cause de la
responsabilité. la mort devient un dommage dont on cherche réparation. l'État
lui-même est mandaté pour lutter activement contre les risques. le développement des politiques publiques (prévention routière, lutte contre le tabagisme,
l'alcoolisme, l'obésité ... ) en témoigne. la responsabilité des personnes publiques
(État, hôpitaux... ), juridique mais aussi politique, est également plus volontiers
évoquée, comme en témoigne l'indignation publique provoquée par les décès de
personnes âgées lors de la canicule de l'été 2003.
le rapport à la mort a également infl uencé la conception de l'héroïsme. les nouveaux « héros » ne meurent plus nécessairement dans la défense de leur cause.
André Malraux fondait l'héroïsme humain dans la conscience de la fraternité des
Hommes dans la mort mais cette vision est aujourd'hui remise en cause par la
médiatisation de personnalités qui ont réussi dans leur domaine d'activité (sport,
cinéma, université ... ) et qui sont aussi perçues comme des fi gures héroïques.
l'essentiel de Io culture générale
t La mort est-elle taboue ?
-
les lieux où la mort est rencontrée sont fuis : l'hôpital, le lieu du crime, la chambre du mort. la mort est devenue partiellement taboue, sujet interdit, au point
que l'on a pu constater une substit ution de la mort au sexe en tant que principal
interdit (Geoffrey Gorer, Pornographyof death, 1955). Ce tabou est d'autant plus
facilement respecté que l'individu des sociétés occidentales vit dans l'instantanéité et ne se projette donc pas dans la vieillesse. l'information circule rapidement,
la réaction attendue doit être immédiate et les horizons de l'activité se resserrent .
la perspective de la mort, précisément traduite dans l'expression «espérance de
vie», n'en est que plus éloignée.
Il est d'ailleurs surprenant de noter que ce rejet de la mort est constant même
en cas de guerre: lors de la guerre du Golfe de 1991 est d'ailleurs né le concept
du « zéro mort ». De nouvelles armes, actuellement en cours de développement,
p@rm@ttront à l'av@nir d@ m@ttr@ hors d'état d@ combattr@ l'adv@rsair@ sans I@
t uer. les images ont également rendu la mort d'autant plus insupportable : les
grandes t ragédies humaines du xx" siècle, !'Holocauste, les massacres africains ou
balkaniques ont provoqué des réactions de rejet global de la mort résultant de la
vision des charniers.
Par ailleurs, le moment de la mort clinique dépend souvent d'une décision médicale, technique, car le patient est maintenu artifi ciellement en vie. le moment de
la mort peut donc être« choisi», ce qui peut vainement fl atter not re soif de maît rise mais rend le phénomène encore moins« nat urel ». Ainsi, la mort devient un
simple état biologique d'inexistence. Elle relève de moins en moins du domaine
de la spiritualité pour s'incarner dans la raison : on est mort« parce que», et non
on est mort « donc ». On parle d'ailleurs de mort « clinique », puisque la mort
doit être médicalement et donc juridiquement constatée, comme si nous avions
besoin, par un ultime artifice, de contraindre la mort à une catégorisation, à une
procédure d'authentification.
t La mort est-elle mise en scène ?
la mort est mise en scène dans la plupart des cultures, à travers des cérémonies,
des rites. longtemps l'arrivée de la mort a correspondu à l'exécution de rit uels
précis, publics, collectifs, dans un ordre chronologique déterminé : la personne
s'affaiblissait, perdait progressivement ses capacités jusqu'à s'éteindre. Dans l'intervalle, les rites religieux étaient accomplis, le testament rédigé. la relation à la
mort, son accueil par le mourant et son entourage étaient ainsi, dans la mesure
du possible, formalisés, maît risés.
Aujourd'hui, la mort a souvent lieu à l'hôpital (plus de 70 % des décès) et l'agonie
est enfermée dans un carcan médical qui écarte, dans une large part, famille et
rites. Dans les sociétés occidentales, les visites au mort se font plus rares, remplacées
Thème 15 • Lo mort
par un mot de condoléances ou une présence lors d'une cérémonie religieuse.
la mort est désormais laissée sous la responsabilité experte de professionnels
médicaux chargés de cacher la douleur. la montée en puissance de la crémation
dépersonnalise la mort du défunt que l'on n'enterre plus mais dont on récupère
les cendres; la mort est ainsi privatisée, cernée. les vivants cherchent à éloigner la
mort ou à en maîtriser sa représentation. !.'.attention est davantage portée sur la
personne en fin de vie que sur la célébration de la mort elle-même. les débats sur
le t raitement de la douleur, les soins palliatifs, l'eut hanasie, en témoignent.
Il reste que la mort d'une personne donne encore souvent l'occasion de rassembler les familles et les proches dans un lieu dédié : cimetière, crématorium ... Audelà des lieux t raditionnels de célébration, un mouvement d'appropriation de la
mort incite actuellement certaines personnes ayant perdu un proche sur un lieu
donné à habiller ce dernier de signes distinctifs rappelant le décès (par exemple,
le dépôt de gerbes de fl eurs sur les routes où sont morts des accidentés).
l'importance accordée à la mise en scène de la mort a varié en fonction de la
valeur attachée à la vie. la mortalité infantile, avant le xv11• siècle, était d'environ
50 % la première année, contre 4 % actuellement. les épidémies, la dépendance
au climat avec les famines, l'hygiène insuffi sante, la vulnérabilité importante à
des infections bénignes, entretenaient une imbrication explicite forte de la vie
et de la mort. l'important à l'époque était donc de «bien mourir», d'avoir une
« belle mort » puisque la vie était remplie d'occasions de croiser la mort très
tôt. la cause de la mort pouvait donc êt re évaluée, dans une approche quasi
« élitiste ». la mise en scène de la mort participait donc de sa reconnaissance en
tant que mort « enviable» ou non (par exemple, la pratique des duels publics ou
l'exécution publique des criminels).
la mort a également été constamment mise en scène dans une multit ude d'œuvres d'art. Personnifiée, dessinée, évoquée, t raduite en couleurs, en musique, la
mort est universellement présente. l'art, dans sa recherche du Beau ou plus modestement dans la perception du monde qu'il propose, constitue une véritable
déclaration d'intemporalité, qui défi e la mort. !.'.ouverture à Paris d'un musée des
Arts Premiers dans lesquels les références à la mort sont omniprésentes est particulièrement signifi ante.
Si la mort est mise en scène, elle met également en scène: en figeant l'existence
d'un individu, elle permet de lui donner un sens et de dessiner un personnage,
une histoire, un destin, un mythe au-delà du simple récit de sa vie. Ceci est tout
particulièrement vrai pour les« stars» même si la« légende» qui est créée autour
d'elles nécessite souvent raccourcis, simplifications ou exagérations.
l'essentiel de Io culture générale
t La mort inspire-t-elle la peur ?
-
Nous avons évoqué les représentations de la mort et les rites associés, éminemment
cult urels. la mort est cult urellement présente à travers les mythes religieux
(immortalité, résurrection, réincarnation ... ) et l'art. la conscience de la mort
caractériserait même l'humanité. les visions de la mort varient cependant en
fonction des cultures: la vision occidentale de la mort est profondément négative.
Elle est fondamentalement vécue comme une fi n, une disparition, malgré
l'influence de la religion chrétienne. Il faut souligner que la mort est souvent liée
à la souffrance. les débats récents sur l'euthanasie, régulièrement relancés par
le monde politique ou l'actualité, renforcent encore le lien (physique, mais aussi
psychique et émotionnel) entre la mort et la souffrance. les visions bouddhiste,
orientale ou africaine (animiste) sont plus optimistes.
la mort inspire naturellement la peur, puisqu'elle nous est parfaitement inconnue.
Bi@n qu@ Œtt@p@ur paraiss@ univ@rs@ll@, sa nat ur@ a parti@ll@m@nt évolué @t vari@
encore d'une religion ou d'une philosophie à l'autre. Par exemple, actuellement,
dans les sociétés judéo-chrétiennes, la peur de la mort découle principalement
de la crainte d'une absence d'au-delà, alors qu'autrefois, les châtiments potentiels que le Jugement dernier promettait ent raînaient au cont raire la crainte de
rencont rer un au-delà. la nat ure de cette peur est complexe, puisqu'elle rejoint
des peurs universelles du corps social telles que la solit ude, l'inquiétude pour ses
proches, la crainte d'êt re oublié. Elle est également étroitement liée à la peur de
vieillir, à l'angoisse de l'humiliation, de l'inconfort et de l'insécurité générés par la
grande dépendance ou le handicap. la peur provient donc tout autant de ce qui
précède la mort que de la mort elle-même.
t Comment envisager l'euthanasie ?
l'euthanasie peut se définir comme l'ensemble des méthodes qui donnent la
mort pour abréger une agonie. Cette pratique heurte les principes juridiques et
moraux sur lesquels est bâti l'ordre social de la plupart des sociétés occidentales.
l'euthanasie fait en particulier question dans le cas où il n'est pas possible de
connaître précisément les intentions de la personne souffrante. Cette pratique
est d'autant plus contestée que sa frontière avec l'eugénisme est encore incertaine. Des assimilations out rancières avaient notamment été effectuées par le
régime nazi pour exterminer certaines catégories de populations fragilisées (par
exemple les malades mentaux).
la question de la fi n de vie est pourtant au cœur des débats de société, non seulement avec l'eut hanasie, mais également avec le suicide et le suicide assisté. Ces
questions sont d'autant plus aiguës que l'une des principales craintes humaines
réside dans le soin de la douleur, domaine dans lequel la médecine doit encore
progresser, qui est indissociablement associée à la mort. À ce titre, le droit prévoit déjà certaines possibilités. Ainsi, la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des
Thème 15 • Lo mort
malades et à la fi n de vie autorise désormais la suspension des soins médicaux dés
lors qu'ils apparaissent « inutiles, disproportionnés ou n'ayant d'autre effet que
le seul maintien artificiel de la vie ». Des t raitements antidouleur efficaces peuvent être administrés au malade« en phase avancée ou terminale d'une affection
grave et incurable », même si ces antidouleurs ont pour effet secondaire de provoquer le décès plus rapide du malade. Cette loi précise qu'il ne doit pas y avoir
« d'obstination déraisonnable » de la part des médecins. Ces dispositions tentent
ainsi de concilier la nécessité de protéger la vie humaine tout en respectant la
liberté des individus.
la question de l'eut hanasie est également confrontée à la notion de dignité hu- maine, reconnue en tant que principe à valeur constitutionnelle par le Conseil ~
constitutionnel dans sa décision du 27 juillet 1994. En effet, ce concept extrêmement riche peut être interprété de multiples manières, de sorte que partisans
et adversaires de l'euthanasie l'évoquent les uns et les autres à l'appui de leurs
positions.
Par ailleurs, l'euthanasie peut être envisagée comme manifestation d'une liberté
de choix individuelle. Hans Jonas, dans Le droit de mourir (1978), affi rme que le
droit de mourir s'inscrit dans le droit général d'accepter ou de refuser un traitement. À ce tit re, il faut distinguer l'euthanasie passive, soit l'arrêt ou la limitation
des traitements curatifs par le malade, et l'euthanasie active, acte médical visant
délibérément à abréger la vie d'un patient . En outre, selon Jonas, le droit de
choisir le moment et les conditions de sa mort est lié à un droit de connaître la
vérité : le patient doit être informé de son état pour comprendre et choisir, pour
devancer la venue de sa mort dans un geste ultime de liberté.
Dans le prolongement de cette position, on peut évoquer l'événement suivant :
en mars 2007, le gouvernement régional d'Andalousie a accordé le droit à une patiente souffrant d'une maladie incurable, à sa demande, de ne plus être branchée
sur un respirateur artificiel. Il a fondé sa décision sur une disposition législative
qui autorise les patients à refuser un traitement médical. l'eut hanasie n'étant pas
autorisée en Espagne. !.'.utilisation de cette distinction entre refus d'un traitement
(mais la respiration artifi cielle est-elle réellement un traitement, puisqu'il n'y a
plus d'espoir de guérison? Quelle défi nition donner à ce dernier?) et euthanasie
dans une décision de justice ouvre des horizons importants aux débats actuels.
Enfin, bien que certains critiquent le développement des soins palliatifs, ces derniers ont progressivement fait évoluer les mentalités. En la matière, la collégialité
et la t ransparence de la décision médicale sont des garanties importantes, qui
aideront à établir un dialogue confiant avec le mourant et sa famille.
l'essentiel de Io culture générale
Références bibliographiques
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+
+
AR1Es (P.), L'Homme devant la mort, 1977 et Essais sur l'histoire de la mort
en Occident du Moyen Âge à nos jours, 1977 .
DELUMEAU (J.), La Peur en Occident, 1978.
J ONAS (H.), Le droit de mourir, 1978.
MoR1N (E.), L'Homme et la Mort dans /'Histoire , 1951.
Vovme (M .), La Mort et l'Occident, 1983.
hème
1~
LA COMMUNICATION
« Une démocratie est d'autant plus stable qu'elle peut supporter un plus grand
volume d'informations de qualité.» (Louis Armand, Plaidoyer pour l'avenir)
« La différence entre littérature et journalisme, c'est que /e journalisme est
illisible et que la littérature n'est pas lue. » (Oscar Wilde, Le critique en tant
qu'artiste)
« Mais à ceux qui opposent toujours au sociologue son déterminisme et son
pessimisme, (objecterai seulement que si les mécanismes structuraux qui engendrent /es manquements à la morale devenaient conscients, une action
consciente visant à les contrôler deviendrait possible. » (Pierre Bourdieu, Sur la
télévision, 1999)
-
1.
Définitions
La communication est un processus consistant à transmettre de l'information
(message), d'un individu ou d'un groupe d'individus (émetteur(s)) à un autre
(récepteur(s)) en utilisant un mode spécifique de transmission du message (code). li
ne s'agit donc pas d'une activité propre à l'homme, ni même à l'ensemble des êtres
vivants, puisque des machines peuvent également échanger de l'information.
largement partagée et expérimentée, la communication n'en répond pas moins
à une multiplicité de définitions, qui ne sont consensuelles que sur le fait de la
reconnaître comme un processus. le terme provient du lat in « communicare »
qui signifie « mettre en commun ». la communication peut donc être considérée comme un processus permettant la mise en commun d'informations et de
connaissances. Cette mise en commun d'un émetteur vers un ou plusieurs récepteurs passe par la mobilisation de différents moyens : télécommunicat ion, voies
routières et ferroviaires, voix ... les Nouvelles Technologies de l'information et de
la Communication (ou NTIQ ont bien évidemment révolutionné le domaine.
Plusieurs acceptions de la communication coexistent, plus ou moins larges :
- la première (sciences de la communication et de l'information) pense la communication en tant que transmission d'informations, quels que soient l'émetteur
et le récepteur (homme, animal. machine) ;
l'essentiel de Io culture générale
- la seconde se concentre sur la communication interpersonnelle, sous tous ses
aspects (cognitifs, affectifs et inconscients). Cette approche met en avant la richesse des informations transmises et de leur sens;
- la t roisième aborde la communication intra-psychique.
~
-
la communication peut poursuivre de multiples objectifs, notamment en fonction de sa cible. Elle peut avoir pour objet de t ransmettre des messages mais
également de permett re à chacun de se construire une identité sociale, de gagner
en notoriété, d'infl uencer les autres, de créer un cadre permettant la relation ...
Elle ne se confond pas avec le dialogue, qui a pour objet de construire une argumentation que les deux parties enrichiront et dont elles profiteront. le dialogue
comprend cette dimension de développement progressif que ne possède pas la
seule communication et reste une caractéristique propre à l'Homme.
2.
Problématiques
t Quelle est l' influence des changements technologiques sur la
communication ?
la technologie a tout d'abord permis l'avènement de la communication de masse
(ou mass media). Cette dernière peut se définir comme l'ensemble des techniques
et technologies qui permettent la diffusion de messages écrits ou audiovisuels
auprès du plus grand nombre. Cette communication repose sur des médias de
masse que sont la presse, l'affichage, le cinéma, la radiodiffusion et la télévision.
la télévision a longtemps concentré l'essentiel des critiques : programmes violents, grossiers ou st upides, moteur de confusion entre fiction et réalité, règne
de l'image séductrice, outil de voyeurisme ... Aujourd'hui, les mêmes images sont
disponibles sur Internet, mais échappent à toute censure, ce qui a ent raîné un
report partiel des accusations sur ce nouvel outil de communication. Ce mouvement est d'ailleurs caractéristique, car les critiques précitées d'immoralité et de
perversion étaient déjà adressées au théâtre au xv11• siècle, alors que le réel enjeu
réside bien évidemment dans la formation qui permettra au spectateur d'exercer
son esprit critique.
Par ailleurs, le xx• siècle s'est caractérisé par l'émergence dominat rice de la communication par signes, au t ravers des machines, grâce à la maîtrise de l'électronique. la télécommunication, au travers de l'envoi de messages par l'intermédiaire
d'une machine à un interlocuteur qui va en prendre connaissance de manière
différée, a permis de dispenser la communication de réunir deux parties dans le
même espace-temps, d'où une certaine« unilatéralité »qui va souvent modifi er
la nat ure de l'échange. la communication n'est plus seulement une activité interindividuelle mais un échange entre individus et machines, ce qui questionne
d'ailleurs la conception originelle de la communication en tant que conversation
ou concertation.
Thème 16 • Lo communication
la technologie a offert aux hommes des capacités de communication inégalées.
Des initiatives telles que Wikipédia, qui regroupent des connaissances apportées
et mises à jour en permanence par les internautes, rappellent les rêves des encyclopédistes des lumières. les nouvelles technologies de l'information et de la
communication (NTIC) ont contribué à renforcer l'effectivité de la communication
en permettant un échange plus massif et plus rapide d'informations. le « village
mondial » de Mac luhan (La galaxie Gutemberg, 1962) paraît s'incarner dans ces
possibilités, donnant la sensation, certes fugitive, d'une unité des peuples.
Internet permet la mise en commun infinie d'informations, mais aussi un accès
aux personnes, parfois même à leur vie personnelle (blogs, pages personnelles Fa- cebook, Myspace ... ), facile et immédiat. la distance physique n'est plus un para- ~
mètre de diffusion de la communication. Ces capacités prodigieuses sont entrées
dans les foyers et ne sont plus l'apanage des États ou des grandes entreprises.
Internet a donné une puissance considérable à l'information en termes de vitesse et de volume transmis. le nombre de sites, de blogs, est en augmentation
continue, au risque de retirer tout impact, tout sens et peut-être toute audience
réelle à l'information. Si la diffusion de l'information est rapide, son traitement
est lent et la sat uration ne facilite pas cette opération. l'assimilation, la maîtrise
et l'exploitation de l'information sont rendues plus ardues par la multiplication
des sources.
t Nos sociétés sont-elles devenues des « sociétés de
communication » ?
la société moderne est communicante, tant par nécessité que par capacité. Elle
serait ainsi devenue une « société de communication », dans une acception proche de la « société de consommation » : l'information serait disponible en abondance, provenant d'une multiplicité de sources et le choix deviendrait déterminant pour être réellement « informé», soit assimiler et mettre en perspective une
information dont la source a été préalablement légitimée.
En outre, la communication semble avoir remplacé le progrès en tant que paradigme contemporain. À la communication sont affectés des objectifs confinant
à certaines valeurs universelles : la pacification, l'inst ruction, le développement
économique, la solidarité ent re les peuples. la communication aurait ainsi une
visée cosmopolitique de cohabitation harmonieuse des hommes.
Cette illusion est renforcée par une prise de position idéologique consistant à
reconnaît re une toute-puissance aux réseaux. li est vrai que l'interdépendance de
l'économie et des échanges culturels ou sociaux dans les sociétés industrielles est
de plus en plus forte. Une communication sans fi nalité, soit « l'hyper-communication », condamnerait les utilisateurs de NTIC à une attit ude de consommateurs
voyeurs, passifs, fondée sur une quasi-« croyance» dans l'autorité et la légitimité
intrinsèques des réseaux, conditionnels de l'existence sociale de l'individu.
l'essentiel de Io culture générale
la surabondance de l'information perturbe son appréhension et son assimilation.
Ignacio Ramonet notait plus généralement à propos des médias: «Les médias estiment qu'informer consiste à simplement nous faire assister à l'événement. Qu'il
suffit d'y être pour savoir. Qu'il suffit de voir pour comprendre. Qu'il suffit de
répéter pour démontrer. Qu'il suffit d'émouvoir pour convaincre. » Or, disposer
d'une information abondante ne suffit évidemment pas à être correctement informé. Il existe cependant un risque que l'individu fi nisse par évaluer son niveau
d'information à l'aune de la puissance des moyens lui permettant d'accéder à un
volume d'informations donné (par exemple à travers une capacité de téléchargement et de stockage) plutôt qu'à l'aune de la qualité de ces dernières.
-
Ainsi, la «sur-communication » tuerait l'information. Il est d'ailleurs possible de
s'interroger sur l'avenir de cette« société de communication»: l'individu sera-t-il
victime des moyens technologiques de communication, en recourant « à la communication pour la communication », ou bien la communication va-t-elle permett re une meilleure diffusion de valeurs humanistes ? les NTIC risquent également
de couper l'individu de sa relation à autrui et de t ransformer les interactions
entre personnes par des interactions entre personnes et objets. l'individu perdrait
ainsi sa dimension de sujet. l'exhibition de données personnelles ou privées (téléréalité, pages personnelles sur internet, blogs, diffusion du téléphone portable ... )
crée une « dépersonnalisation » forte des situations individuelles évoquées. la
frontière entre vie publique et vie privée est de plus en plus floue, subjective :
une donnée n'est désormais privée que parce que son détenteur ne souhaite pas
la rendre publique (et il peut changer d'avis), non parce qu'elle doit, par nat ure,
rester privée.
À la surabondance d'information s'ajoute paradoxalement l'appauvrissement
progressif de la qualité des messages. Par exemple, l'utilisation massive de messages stéréot ypés (smileys, émoticons ... ) destinés à renforcer encore la rapidité de
t ransmission de l'information au t ravers de l'uniformatisation et de la simplification, participe de cet appauvrissement. Ces codes minimalistes ne permettent pas
de nuancer l'expression des émotions, réduites à quelques réactions génériques.
Ils effacent la complexité et la richesse traditionnelles des modes de communication écrite et orale. De même l'utilisation préférentielle des NTIC freine parfois
l'envie et le besoin de rencont rer physiquement ses interlocuteurs, au risque de
conserver des rapports t rop superficiels. En contrepartie, il faut reconnaître que
la barrière de la langue tend à devenir moins infl uente, ce qui facilite la communication (certes superficielle) ent re personnes de culture et de nationalité différentes.
le constat que l'on peut faire actuellement sur les sociétés modernes est donc
leur incapacité de communiquer. la communication est un qualificatif systématique, global, incontournable, mais le sens est t rop souvent absent . Pourtant, la
communication est invoquée à toute occasion : en ent reprise, avec le manage-
Thème 16 • Lo commun ication
ment communicationnel notamment, mais également en tant que science. la
communication est actuellement souvent utilisée comme incantation destinée à
résoudre toute difficulté alors qu'elle n'est qu'un outil. certes puissant, pour délivrer un message. Si ce message n'est pas clair, est mal renseigné, ou inconsistant,
la communication ne sera d'aucun secours. Pire, elle décrédibilise l'émetteur.
t Quel est l' impact de l' Internet sur la communication politique ?
la communication est l'un des outils essentiels de l'action politique, au niveau
national comme international. car elle participe à la construction de l'image des
dirigeants et des régimes politiques. la préoccupation des dirigeants envers leur communication est donc importante : Ronald Reagan était baptisé « le grand ~
communicateur» et Mikhaïl Gorbatchev« l'homme des médias». l'influence des
« spin doctors » et autres conseillers en communication dans le monde politique
est également bien connue.
Actuellement, il existe plus d'1 milliard d'internautes dans le monde ; Internet
commence donc nat urellement à prendre une part significative dans la communication politique : ainsi, la dernière campagne présidentielle française a vu
l'avènement de sites internet, chats et autres blogs de partis et personnalités politiques. Ces nouveaux outils permettent aux partis politiques de diffuser plus
largement leurs programmes, d'élargir le nombre de participants aux débats et
plus globalement d'améliorer leur fonctionnement interne. Par ailleurs, le rôle
supposé des forums d'Internet dans l'échec du projet de constitution européenne
a souvent été évoqué.
Ces exemples ne sont cependant pas encore suffi sants pour signifi er une véritable
révolution dans les pratiques de la politique. Il s'agit davantage d'une transposition électronique des modes traditionnels de l'action politique (pétitions, appels à boycott ou à manifestation) dans l'univers d'Internet. Néanmoins, Internet
pourrait participer au développement de l'expression politique en simplifiant les
procédures de consultation populaire et faciliter ainsi la participation directe des
citoyens à la détermination de la politique, en particulier locale. Internet constit ue également un instrument d'expression politique particulièrement précieux
dans les pays qui limitent la liberté d'expression. Certains pays comme Cuba ou
la Chine ont d'ailleurs mis en place un cont rôle des utilisations de l'Internet afin
de bloquer l'accès à des sites jugés« politiquement nuisibles». Enfi n, Internet a
donné naissance à une nouvelle catégorie de « hackers politiques », dépendant
du pouvoir cent ral dans certains pays, qui attaquent les sites Internet soutenant
l'opposition.
t Quels sont les risques générés par Internet ?
Internet est trop récent pour qu'il soit envisageable de dresser une liste exhaustive et précise des risques engendrés. Il génère cependant de manière évidente des
l'essentiel de Io culture générale
risques supplémentaires en termes de criminalité, d'autant qu'il remet largement
en cause la territorialité du droit.
-
-.u.11
les organisations criminelles ou terroristes se sont emparées de cet instrument
pour développer leurs activités, alors que les polices et les justices nationales restent encore globalement impuissantes. la circulation de l'information profite à
tous et Internet décuple donc les moyens d'action des organisations criminelles.
Dans la mesure où l'information n'est pas ou insuffisamment cont rôlée, le web
permet l'accès à nombre de sites pornographiques, racistes ou violents. Il est par
exemple bien connu qu'il est possible de t rouver des sites permettant d'apprendre à construire des bombes ou bien de choisir un moyen de se suicider. Or, si la
liberté d'expression constitue un principe fondamental de toute société démocratique, elle ne doit pas pour autant porter atteinte au respect des droits d'autrui, à
la dignité humaine et plus généralement à l'ordre public. les moyens permettant
de sanctionner ces atteintes sont néanmoins encore insuffi sants. À propos de la
liberté d'expression, il faut également souligner qu'Internet offre une tribune
mondiale à chaque culture, renforçant les affirmations identitaires et favorisant
le métissage. Néanmoins, il s'agit également d'un moyen massif de diffusion de
la cult ure dominante, actuellement la culture américaine.
Par ailleurs, le développement des forums, chats et autres sites de discussion en
ligne a permis aux utilisateurs de jouer avec la démultiplication des personnalités,
au travers de l'anonymat . la superficialité et l'approximation de la communication favorise les risques d'incompréhension liés aux erreurs d'identification de
l'interlocuteur. Chacun peut se dissimuler derrière un « pseudo » comme derrière un masque, cacher son identité et t ransgresser ainsi les codes habituels de la
communication. la criminalité sexuelle, notamment pédophile, se nourrit de ces
incertit udes. Au contraire, les sites de mise en ligne de pages personnelles (Facebook, Myspace ... ) créent des risques d'atteinte à la vie privée à t ravers la diffusion
d'informations qui seraient considérées par erreur comme privées ou limitées à
un cercle restreint de personnes.
En outre, si des groupes oligopolistiques devaient parvenir à maîtriser la plus
grande part de l'information et de la création cult urelle disponible sur le web, les
possibilités de manipulation et de conditionnement idéologique seraient énormes. la montée en puissance du « storytelling », soit la capacité à mobiliser les
médias (à t ravers la diffusion de fausses nouvelles par exemple) pour manipuler
le public, est déjà un exemple de ce t ype de risque.
Enfin, Internet renforce les risques d'inégalité. !.'.accès à l'information constitue
en effet un outil, voire une condition de réussite sociale. En d'autres termes, la
mise à disposition de moyens techniques par l'intermédiaire du progrès ne suffit
pas, encore faut-il garantir la possibilité d'y accéder, financièrement et sociologiquement. À tit re d'exemple, on peut noter qu'actuellement, l'Afrique subsaharienne qui abrite près de 10 % de la population du globe, ne possède que
Thème 16 • Lo commun ication
0, 1 % des connexions à l'Internet . Or, l'accès à l'information est un des critères
majeurs de développement économique. la diffusion partielle des technologies
est donc un frein au développement des pays les moins développés, dont le retard
s'accroît. la mise en cause d'Internet dans le creusement des inégalités est telle
que le Rapport mondial sur le développement humain 1999 du Pnud, préconisait
d'établir une taxe de 0,01 dollar sur chaque message électronique afin de reverser la recette aux pays en voie de développement pour les aider à s'équiper en
ordinateurs. la mise sur le marché récente d'un ordinateur à bas prix poursuit un
objectif similaire.
t Qu'est-ce que la censure ?
la censure peut se définir comme le contrôle exercé par le pouvoir sur l'ensemble
des manifestations de la libre expression (pratique de la religion, expression d'opinions, création artistique, manifestations culturelles ou sociales... ), Ce con trôle a
pour objectif de réduire ou annihiler tout e infl uence qui viendrait porter attein te à
l'étendue d'un pouvoir. Ainsi, la censu re s'oppose directemen t à la liberté d'expression sous toutes ses formes, individuelles et collectives, institutionnalisées ou non.
les modalités de la censure sont multiples et varient en fonction du support d'expression mobilisé. À la destruction d'œuvres d'art et à la répression des manifestations ou des opposants politiques est venue par exemple s'ajouter l'encadrement de l'accès à Internet. la volonté de la Chine de censurer l'usage d'Internet,
notamment vis-à-vis des journalistes pendant les derniers Jeux Olympiques a relancé les débats sur ce sujet. la puissance d'Internet fait de ce dernier une cible
privilégiée de la censure. la censure sur Internet suppose d'avoir un accès aux
informations avant qu'elles soient mises en ligne ou bien après, afin de les retirer.
les propriétaires des sites sont responsables de l'information diffusée et évitent
de publier une information illégale ou susceptible de déplaire à une institution
puissante.
Plus traditionnellement, on pensera au contrôle effectué par des commissions
politiques ou religieuses sur les livres, journaux, pièces de théâtre et films avant
d'en permettre la diffusion au public. la vision négative de la censure doit être
complétée par une distinction des objectifs de la censure: elle peut en effet avoir
pour objet de priver de l'information disponible un groupe de personnes identifi é afin de le protéger (ex.: choc psychologique avec les films violents ou pornographiques interdits aux moins de 18 ans).
la censure peut être directe, mais également indirecte: les menaces physiques, la
pression économique (par exemple la répartition des subventions) peut aisément
amener à annihiler les expressions d'opposition, ne serait-ce que par« auto-censure».
l'essentiel de Io culture générale
l'origine du terme est ét roitement liée à la préservation des« bonnes mœurs »
telles que défi nies par le pouvoir politique. le mot « censure» date en effet du
V" siècle avant J.-C.: le censeur, créé à Rome en -443, avait pour rôle de préserver
l'état des mœurs. En Grèce, le cas de censure le plus fameux est celui de Socrate,
forcé de boire la ciguë pour avoir « incité les jeunes à la débauche ». De même,
dans la Chine antique, la censure était considérée comme un moyen de régulation des mœurs et de la vie politique.
~
À la censure politique s'est rapidement ajoutée la censure religieuse: la montée
en puissance de la religion catholique notamment et son objectif d'harmonisation des pratiques a entraîné un fort développement de la censure. Ainsi, les
autorités de l'Église cat holique romaine nommaient des censores librorum chargés de s'assurer que rien de contraire à la foi ne puisse êt re publié, qui émettaient un « Nihil obstat » (pas d'obstacle à la publication). Une deuxième étape
permettait à l'évêque de donner son autorisation d'imprimer (Imprimat ur). En
1515 lors du\/' concile du Latran, le pape Léon X ordonne qu'à l'avenir personne
n'ose imprimer ou faire imprimer un livre dans quelque diocèse que ce soit, sans
qu'il n'ait été examiné avec soin par l'évêque ou son représentant, sous peine
d'excommunication. En 1559, l'inquisition établit l'index Librorum Prohibitorum,
liste de livres interdits aux personnes non averties, qui perdurera jusqu'au concile
Vatican Il. En 1629, Richelieu laïcise la censure jusqu'alors sous la responsabilité
de l'Église cat holique.
Dans la France de l'Ancien Régime, la censure royale s'exerce sur les journaux : par
exemple, sous louis XVI toute publication d'un article dans la presse est soumise
à l'autorisation du gouvernement . En cas d'infraction, les auteurs pouvaient
êt re internés à la Bastille, comme Voltaire en 1717. Parmi les écrivains du
xv111• siècle dont les livres furent saisis par les autorités figurent Jean-Jacques
Rousseau, l'abbé Raynal et Helvetius. la censure occulte des correspondances a
également été pratiquée en Europe, malgré la reconnaissance officielle du secret
des lettres, jusqu'à la fin du règne de Napoléon Ill. la censure postale a été rétablie
en temps de guerre par les différents belligérants au nom de leur intérêt national,
mais de façon transparente avec apposition de diverses marques de censure et
bandes de fermeture. Sous le régime de Vichy, la censure était préventive puisque
les directeurs de journaux recevaient des consignes sur les informations à valoriser
ou à éliminer. Pendant la guerre d'Algérie, le pouvoir décida de saisir les journaux,
notamment ceux qui évoquaient les actes de torture.
Pendant la Révolution française, la déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 a affirmé solennellement :« Nul ne doit être inquiété pour
ses opinions, mêmes religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas
l'ordre public établi par la loi» (article 10) et « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme; tout citoyen
peut parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté
Thème 16 • Lo commun ication
dans les cas prévus par la loi» (article 11 ). la liberté d'expression est ainsi claire-
ment affirmée et va progressivement se renforcer sous l'influence indirecte de la
législation américaine, qui a orienté la législation européenne et la jurisprudence
de la CEDH.
la légalité générique de la censure n'a cependant officiellement disparu qu'en
1881 en France, lors de la promulgation de la loi du 29 juillet 1881, sur la liberté
de la presse. Cette loi confi e au système judiciaire l'essentiel du contrôle des informations publiées en France. Ce cont rôle s'effectue après diffusion ce qui limite les
abus de pouvoirs. Toutefois, la censure théâtrale subsistera jusqu'en 1906.
Actuellement, à l'instar de l'ensemble des pays démocratiques, la censure s'exerce
principalement par voie de décisions de justice et par l'intermédiaire d'autorités
administratives indépendantes. Actuellement, la censure préventive s'exerce
essentiellement dans le cinéma, à t ravers la Commission de classification des œuvres
cinématographiques et les publications pour la jeunesse. Toutefois, des faits de
censure directe ou indirecte subsistent dans la période récente. Par exemple, le
livre Le Grand Secret de Claude Gubler. ancien médecin du président François
Mitterrand, a été interdit par décision de justice juste après sa parution en 1996.
la liberté d'expression constitue un des droits les plus évidents de l'individu, dont
le respect est farouchement défendu. la limite à la liberté d'expression a cependant été défendue par des philosophes d'inspiration humaniste, à l'instar de Kant.
Dans Qu'est-ce que les Lumières ?, Kant explique:« Le citoyen ne peut se refuser
à payer les impôts dont il est redevable; une critique déplacée de telles charges,
quand il doit lui-même les payer, peut même être punie comme scandale (susceptible de provoquer des actes d'insoumission généralisés). Néanmoins celui-là ne
contrevient pas au devoir d'un citoyen s'il exprime publiquement, en tant que
savant ses pensées contre l'incongruité ou l'illégitimité de telles impositions. De
même un prêtre est tenu de faire son exposé à ses catéchumènes et à sa paroisse
selon le symbole de l'église qu'il sert car c'est à cette condition qu'il a été engagé.
Mais, en tant que savant il a pleine liberté, et c'est même sa vocation, de communiquer à son public les pensées soigneusement examinées et bien intentionnées
qu'il a conçues sur les imperfections de ce symbole ainsi que des propositions en
vue d'une meilleure organisation des affaires religieuses et ecclésiastiques.» C'est
ce qu'il appelait 1'« usage privé de la raison», garantissant la liberté d'expression
dans le cadre de l'ordre public. les lois actuelles limitant la liberté d'expression au
nom du maintien de l'ordre public (mais s'opposant à la censure proprement dite)
sont donc d'inspiration kantienne.
les opposants à toute censure affirment une liberté d'expression totale. Par exemple, Noam Chomsky a pu défendre le droit des négationnistes à rendre public leur
discours, bien qu'il soit en complet désaccord avec ces derniers. Ainsi, le débat
sur les lois restreignant les discours révisionnistes ou racistes continue à agiter le
llJm
l'essentiel de Io culture générale
monde contemporain, en opposant notamment les États-Unis et le monde anglosaxon, d'une part, au continent européen d'autre part, ce dernier réprimant de
tels propos publics.
-
Paradoxalement, les appels à la censure constituent souvent une publicité efficace qui éveille la curiosité du public et le pousse à se procurer le support censuré, quels que soient d'ailleurs les moyens utilisés pour en limiter la diffusion. la
rumeur constitue un opposant efficace à la censure, puisque dans la mesure où
le document est connu et l'intérêt du public suscité, il devient délicat d'en empêcher la circulation. le succès des Versets sataniques (Salman Rushdie), de Lajja
(Taslima Nasreen) ou du film La Dernière Tentation du Christ, s'explique largement
par les menaces, et la publicité importante, dont ces œuvres ont fait l'objet.
la censure doit également composer avec une dénonciation internationale relativement importante, bien que d'efficacité limitée. Par exemple, Reporters Sans
Frontières (RSF) présente régulièrement la liste des pays qui censurent le plus au
premier rang desquels fi gurent la Chine, la Biélorussie, l'Iran, le Vietnam, l'Arabie
saoudite ...
t Qu'est-ce que la propagande ?
le sens politique de la propagande date de la Première Guerre mondiale. Ce
terme présente d'ordinaire une connotation péjorative, bien qu'il existe certaines
exceptions : par exemple, il s'agit du terme officiellement utilisé pour les programmes et profession de foi dans les opérations pré-électorales. la propagande
peut se définir comme une stratégie de communication appliquée par un centre
de pouvoir (politique, militaire) afi n de déterminer la perception par le public
d'événements donnés. Elle cherche à persuader (et non pas à convaincre) de la lé·
gitimité indiscutable d'un ensemble d'idées et de valeurs afin de pouvoir mobili·
ser l'opinion publique autour de la promotion et de la défense de ces dernières.
À ce tit re, la propagande utilise des moyens de communication permettant de
diffuser l'information à grande échelle et de toucher ainsi le public le plus large
possible. !.'.objectif est de conditionner psychologiquement, de manière plus ou
moins insidieuse, le public concerné, par la répétition et la suppression de toute
autre forme d'information : en effet, la propagande complète la censure, soit la
sélection des informations favorables à l'interprétation voulue et la suppression
des autres informations. l'information sélectionnée, indépendamment de son caractère exact ou non, fait systématiquement l'objet d'une interprétation et d'une
présentation partiale afi n de correspondre au système de valeurs que la propagande sert. les techniques de propagande moderne exploitent les connaissances
accumulées en psychologie et en communication en manipulant les émotions, au
détriment des facultés de raisonnement et de jugement .
Thème 16 • Lo commun ication
la propagande peut émaner de toute source de pouvoir. Ainsi est-il parfois hâtivement affirmé que la publicité constituerait une forme de propagande. Cependant, la propagande est habit uellement politique (nationaliste, fasciste, nazie,
stalinienne, militariste, altermondialiste, néolibérale ... ) et se développe plus volontiers dans un contexte de guerre ou de conflit. la propagande relève d'ailleurs
de la violence puisqu'elle consiste à t romper l'opinion publique : les propagandistes sont conscients que l'information diffusée est déformée ou fausse mais
maintiennent la population dans l'ignorance, le mensonge et l'erreur. Dans le
langage commun, la propagande équivaut à la désinformation mise au service
d'une cause politique masquant des intérêts privés.
Napoléon fut le premier à user de la propagande moderne pour conquérir le
pouvoir puis le consolider. Des techniques de propagande ont été codifiées et
appliquées pour la première fois d'une façon scientifi que par le journaliste Walter
Lippmann et le psychologue Edward Bernays au début du xx• siècle : lippman
et Bernays furent engagés par le président des Ét ats-Unis Woodrow Wilson
pour faire basculer une opinion américaine traditionnellement isolationniste
vers l'interventionnisme. les régimes fascistes et communistes ont ensuite t rés
largement utilisé la propagande pour conquérir et conserver le pouvoir.
De manière générale, les techniques de propagande sont principalement fondées
sur l'exploitation de mécanismes psychologiques destinés à imposer des messages
persuasifs. Plusieurs moyens, souvent combinés, sont utilisés : la peur, l'appel à
l'autorité (par exemple la référence à des personnages importants ou à des experts pour soutenir une idée), le témoignage, I' « effet moutonnier » (mention
du fait qu'un mouvement de masse irrésistible est déjà engagé en faveur d'une
idée pour l'imposer à l'auditoire), la redéfinition ou révisionnisme des faits, la
désapprobation (suggestion du fait qu'une idée ou une action est adoptée par
un groupe adverse, afin que l'auditoire désapprouve cette idée ou cette action
sans examen objectif), l'utilisation de concepts génériques consensuels (amour
de la patrie, désir de paix, de liberté, de gloire, de justice, d'honneur ... ), l'imprécision (déformation des faits, omission des sources, simplification exagérée ... ), la
sémantique démagogue (emploi du vocabulaire d'une personne ordinaire), l'utilisation de préjugés, de stéréotypes, l'accusation d'un «bouc émissaire» générique, l'utilisation de slogans, d'adaptations sémantiques (par exemple utilisation
de l'expression« dommages collatéraux» à la place de« victimes civiles»).
D'après un paradoxe formulé par Hume, dans une démocratie, l'armée est beaucoup moins puissante que dans une dictat ure. Pour éviter toute contestation populaire, les dirigeants élus auraient donc encore plus besoin d'une propagande
efficace qu'un pouvoir dictatorial. la communication politique de G. W. Bush
durant son mandat, centrée sur la sémantique de la peur, constitue un exemple
éclairant. Parmi les principaux aspects de la propagande dans une démocratie,
on pourrait citer: l'infl uence médiatique (radio, télévision, presse, publicité, in-
l'essentiel de Io culture générale
-
t ernet, t éléphone), la confusion volont aire (justificat ion de la vente d'un produit
par des principes éthiques, ou inversement , promotion d'une opération humanitaire en usant des t echniques de communication des entreprises privées), la
valorisat ion sémantique (utilisation du mot « mondialisation » par exemple), la
manipulation de l'opinion publique à l'aide de stat istiques ou de sondages biaisés, la falsificat ion de l'image (retouches vidéo, fausses images ... ), l'auto-censure
des rédactions, les informat ions partiales ... Dans les pays démocrat iques, la propagande reste diffuse et variée, alors que les régimes totalitaires déploient une
propagande centralisée. les moyens matériels utilisés sont très divers : affiches et
photographies t ruquées par photomont age, manifestations « spont anées », falsifications de fait s dans les encyclopédies, les publicat ions ou les manuels scolaires (notamment « réécrit ure » de l'histoire), endoctrinement de la jeunesse dans
les écoles et les organisations état iques(« pionniers »communistes, «jeunesses
hitlériennes » ... ), ut ilisat ion massive des médias et des arts (peinture, musique,
cinéma ... ).
Enfin, il faut souligner que la distinction entre la communication int ensive et la
propagande devient parfois floue. lorsqu'un Ét at cherche à diffuser des messages, il va devoir éviter la propagande tout en se mont rant suffi samment offensif
pour atteindre son objectif. Certains courants de pensée évoquent à ce propos
une« propagande démocratiquement acceptable», une «propagande soft, blanche », qui n'aurait pas pour but manifeste d'aliéner le libre arbit re de la populat ion. Cette propagande pourrait d'ailleurs avoir lieu de manière non délibérée.
les mécanismes t raditionnels de communication qui cherchent à influencer, not amment le consommateur à t ravers la publicité et le marketing, pourraient également êt re rapprochés de la propagande car utilisant des déformations et des
réflexes psychologiques permettant de convaincre plus facilement.
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hème ,1
L'ETAT
« Le gouvernement est stationnaire, l'espèce humaine est progressive. If faut
que la puissance du gouvernement contrarie le moins qu'il est possible la
marche de l'espèce humaine. Ce principe, appliqué aux institutions, doit les
rendre courtes et pour ainsi dire négatives. Elles doivent suivre les idées pour
poser derrière les peuples des barrières qui les empêchent de reculer, mais elfes
ne doivent point en poser devant eux qui les empêchent d'aller en avant »
(Benj amin Constant, Réflexions sur les constitutions)
« L'État est le plus froid des monstres froids. If ment froidement ; et voici
le mensonge qui s'échappe de sa bouche : « Moi l'État, je suis le peuple. »
(Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra)
« L'histoire des peuples dans l'histoire, c'est /'histoire de leur lutte contre
l'État » (Pierre Clastres, La société contre l'État)
« Tandis que l'État existe, pas de liberté; quand régnera la liberté, il n'y aura
plus d'État.» (Lénine, L'État et la Révolution)
-
1.
Définitions
l'État peut se définir comme une communauté politique dont l'existence est soumise a la réunion d'un faisceau d'éléments: une population, un territoire et un pouvoir politique organ isé, exerçant la souveraineté. Il constitue a la fois un mode d'organ isation sociale territorialement défini et un ensemble d'institutions politiques,
détenant le monopole de l'édiction de la règle de droit ainsi que de l'emploi de la
force publique. le territoire est une étendue géograph ique délimitée par des front ières sur laquelle s'exerce l'autorité souveraine d'un État. Cette étendue comprend
un espace terrestre (sol et sous-sol), un espace aérien, et parfois un espace maritime.
la population d'un État est la communauté humaine liée a son territoire, soumise a
l'autorité et au droit interne de cet État. Elle se différencie de la nation qui se définit
comme une communauté humaine liée par le désir de vivre ensemble.
Dans ses Contributions à la théorie de l'État (1921), Carré de Malberg caractérise
l'État comme une« communauté d'hommes, fixée sur un territoire propre et possédant une organisation d'où résulte pour le groupe envisagé dans des rapports
avec ses membres une puissance suprême d'action, de commandement et de coercition ».À la fois réalité historique et construction théorique, l'État est ainsi une
communauté d'individus soumis a une même autorité politique et normative. Cette
singularité de l'État se reconnaît dans l'expression « État-nation »ou dans la per-
l'essentiel de Io culture générale
sonnifi cat ion de l'État (par exemple, on parlera de l'engagemen t d'un Ét at dans un
conflit, dans une compét ition sportive ... ).
Il faut cependant noter qu e le mot « État » est souven t ut ilisé pour désigner la seule
autorité politique, en d'aut res termes la stru cture politique et administrative gouvernant e, à l'exclusion des critères de t erritorialité et de populat ion. Cette accept ion du t erme est utilisée pour désigner les mesures administratives et gouvernemen tales. Pourtant la distinction ent re État et administrat ion reste fondament ale.
Par exemple, les dépenses de l'Ét at ne représen tent -elles pas moins de la moitié des
dépenses des administrations publiques ?
Deux principes juridiques s'appliquen t à la situation in ternat ionale de l'Ét at : celui
de sa souveraineté et son corollaire, celui de son égalité juridique avec les au tres
État s. le principe de souverainet é a une double signification. Sur le territoire ét at ique, la souveraineté signifie que l'Ét at est seul à légiférer, à ren dre la justice, à
battre monnaie, à lever et à en tret enir une armée, à conférer la nat ionalit é. En
droit int ernat ional, la souveraineté de l'État signifie qu'il dispose du droit d'en tret enir des relat ions diplomat iqu es, de conclure des traités, de présent er une réclamat ion int ernat ionale. Depuis la concept ion de la souveraineté exprimée par Bodin
en 1576 affirmant l'indépendance de l'État, la concept ion de la souveraineté s'est
beaucoup restreint e. Néanmoins, la souverainet é reste prot égée par deux types
de règles. D'une part, le droit int ernat ional ne s'applique pas au domaine réservé
des États et , d'aut re part, la souveraineté des Ét ats est prot égée par l'immunité de
juridiction qui évite à un État d'êt re traduit devan t les tribunaux d'un autre État.
Ce principe s'applique à tout es les activit és relevant de la puissance publiqu e ou
en tran t dans le cadre d'une mission de service public. l'État bénéficie égalemen t
de l'immunité d'exécution concernan t les biens et fonds publics nécessaires aux
missions de service public à l'étran ger.
-
2.
Problématiques
t Quelles sont les origines de l' État ?
le terme « État » provient du lat in « Stat us », de « Stare », qui signifie « se
t enir debout ». Ce mot « Ét at » apparaît en Europe à la fin du xv" siècle pour
désigner une forme d'organisat ion du politique qui s'est développée à partir de
la Renaissance en Europe occident ale. la naissance de l'Ét at remont erait pour
certains en France à Philippe le Bel (1285-131 4) et à ses légistes. la construction
de l'Ét at français est née de la guerre, les rois de France conquérant et agrégeant
au royaume des communautés aux langues et aux cout umes différent es de celle
du terroir d'origine. les guerres civiles et internat ionales menées ou subies par
les monarchies européennes ont conduit à la formation de l'État moderne, qui
s'est constit ué ent re le xv~ et le xvi1~ siècle, not amment à partir du concept de
Thème 17 • l'État
« raison d'Ét at ». Des fi gures philosophiques et polit iques telles que le cardinal
de Richelieu, Mazarin, louis XIV, Frédéric Il de Prusse, Machiavel, Hobbes ont
directement contribué à la défi nition de l'État moderne.
Historiquement, l'Ét at fut t out d'abord une construction polit ique fondée sur la
religion. Machiavel (Le Prince, 1514), dès le xv1• siècle, a ensuite laïcisé le terme
en distinguant nettement l'autorité séculière et l'autorité spirituelle: il a not amment souligné que le Prince a pour objectif d'utiliser son pouvoir pour pérenniser
l'État, sans que la morale condit ionne son action.
Au xvn• siècle, Thomas Hobbes, dans Le Léviathan (1651), compara l'État-nat ion à
un « grand corps artificiel ». Il considérait que l'union des individus au sein d'un
corps politique ne va pas de soi, contrairement à la conception aristot élicienne selon laquelle l'homme est un «animal politique » (Zôon politikon). D'après
Hobbes, les individus vivant dans 1'« état de nature» ont des intérêts forcément
div@rg@nts qui l@s amèn@nt à @nt r@r cont inu@ll@m@nt @n confl it ; d'où l'@Xpr@s•
sion selon laquelle « l'homme est un loup pour l'homme ». Ainsi, les hommes
choisiraient par intérêt de renoncer à une partie de leurs droits naturels en se
constit uant en État, afin d'échapper au déchaînement des passions destructrices
et à garant ir ainsi leur sécurité. l'homme renoncerait ainsi manifestement à une
partie de sa liberté en quittant l'état de nature pour choisir le contrat social. Selon Hobbes, l'autorité politique doit être instituée par cont rat, à t ravers lequel
l'individu s'engage à suivre les ordres d'un dirigeant qui incarne l'ordre public et
la volonté collective. Ce dirigeant ne s'impose que parce qu'il assure la sécurité à
ses sujets, non parce qu'il est apprécié.
Au xvn1• siècle, Mont esquieu a ensuite recherché le moyen de limiter la puissance
des dirigeants. Dans De /'Esprit des lois, il a suggéré d'établir une séparation des
pouvoirs entre le législatif, l'exécutif et le judiciaire, par laquelle « le pouvoir
arrêt erait le pouvoir ». Dans le prolongement de ses réfl exions, Jean-Jacques
Rousseau (Ou Contrat social ou Principes du droit politique, 1762) a expliqué
que le bien individuel participant de l'intérêt général, nul ne pouvant vouloir
se nuire, personne ne prendrait de décision contraire à l'intérêt des autres. Il
a également tenté de résoudre le dilemme évoqué par Hobbes concernant le
nécessaire abandon de liberté individuelle, en soulignant que « la loi qu'on
s'est prescrite est liberté » puisque chacun choisit librement de s'y soumett re.
la légit imit é de l'État en tant que symbole du pouvoir et de l'autorité s'est donc
constit uée progressivement au cours du xv11~ siècle, à travers la reconnaissance
de la souveraineté populaire. Il faut pourtant préciser que l'État n'est pas une
forme d'organisation sociale indispensable. les travaux de Claude Lévi-Strauss
et de Pierre Clastres (La Société contre l'État. 1974) not amment, ont mont ré
que des sociétés pouvaient parfaitement fonctionner sans Ét at. Par exemple,
Pierre Clastres expliquait que dans certaines sociét ès primitives, le chef de tribu
n'exerçait pas de pouvoir politique, coercit if.
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l'essentiel de Io culture générale
-
l'État moderne est donc né d'une démarche visant à consolider l'ordre et la souveraineté afin de résister aux agressions externes du territoire. On peut ainsi souligner que le royaume de France n'a pu apparaître comme l'une des principales
puissances de l'Europe, du xv1• au xv11~ siècle, qu'après avoir surmonté la crise
externe (conflit contre l'Angleterre) et interne (action centrifuge de grands féodaux comme le duc de Bourgogne) de la guerre de Cent Ans. la consolidation de
l'État moderne européen est donc passée par une opposition aux pouvoirs locaux
et régionaux de l'Europe féodale. Au contraire, l'Afrique et l'Asie ont été dominées par de grands empires stables et peu menacés (Empire ottoman, Empire des
grands Moghols en Inde ou« empire du Milieu» en Chine).
les t hèses antiques (Platon dans La République ou Aristote dans La Politique)
ont été questionnées à l'aune des nouvelles réalités de l'État moderne. En effet,
si, traditionnellement, la monarchie était définie comme le pouvoir d'un seul,
l'aristocratie comme le pouvoir d'une minorité de citoyens infl uents (aristoi, «les
meilleurs»), la démocratie comme le pouvoir du peuple (demos), cette dernière
s'est heurtée à sa réalisation pratique, nécessitant un faible nombre de citoyens.
les penseurs du xv111• siècle ont donc approfondi la notion et les modalités possibles de la représentation du peuple et des citoyens, ainsi que les concepts de
souveraineté nationale et de souveraineté populaire. Selon la théorie de la souveraineté nationale, ce sont les représentants de la nation qui, une fois réunis, définissent l'intérêt national et la volonté générale, dont la loi doit procéder d'après
la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 (laquelle s'est largement inspirée de cette théorie). Au contraire, selon la t héorie de la souveraineté
nationale développée par Jean-Jacques Rousseau au t ravers du« contrat social»,
chaque citoyen doit avoir part également à l'exercice de la souveraineté puisque,
par le contrat social qui réunit l'ensemble des citoyens pour donner naissance au
corps politique, il a accepté au même titre et au même degré que tous les autres
de se voir appliquer les décisions du pouvoir souverain.
la notion de souveraineté populaire a largement inspiré les jacobins. À la suite de
la Révolution française, les gouvernés ont été progressivement associés aux décisions publiques, même si le suffrage universel, clairement postulé par la notion
de souveraineté populaire, a mis longtemps à s'imposer définitivement. la révolution industrielle a également contribué à imposer l'État-nation comme acteur
essentiel de la vie politique et des relations internationales. Avec l'unification
croissante des marchés nationaux, la mise en place des réseaux ferroviaires, l'expansion de la production économique, notamment industrielle, l'État moderne
a commencé à disposer de ressources considérables pour assurer sa cohésion nationale et son infl uence sur la scène internationale, au détriment des micro-États
de la péninsule italienne ou même des empires plurinationaux comme celui des
Habsbourg, celui des tsars, ou de l'Empire ottoman, dont aucun ne survivra à la
première guerre mondiale. Par ailleurs, à compter de la fin du xv11• siècle, les langues « nationales» s'imposent de plus en plus comme langues de culture, au dé-
Thème 17 • l'État
t riment des parlers locaux, aidées par la pénét ration croissante du livre imprimé
qui diffuse des usages linguistiques plus homogènes. En outre, l'État encourage
la scolarisation, facteur d'une plus grande homogénéité culturelle de ses ressortissants.
t L' État est-il remis en cause ?
Parler de remise en cause de l'Ét at est une antienne tant son visage n'a cessé d'évoluer au fil des siècles. le x1x" siècle avait vu le t riomphe de « l'État-Gendarme »,
« régalien », porté par les aspirations libérales. Par exemple, Adam Smit h, dans
son ouvrage La richesse des nations (1776) critiquait l'interventionnisme écono- mique de l'État dont il souhaitait limiter le rôle au profit de la « main invisible », ~
régulat rice, des marchés. l'État devait, selon lui, se concentrer sur ses fonctions
régaliennes: maintien de l'ordre, justice, défense du territoire ...
Après la Seconde Guerre mondiale, la fi gure de « l'État-Providence » va au
contraire se développer et remplacer « l'État-Gendarme », à partir des analyses
économiques keynésiennes (John Maynard Keynes, Théorie générale de l'emploi,
de l'intérêt et de la monnaie, 1936). l'État va ainsi intervenir en profondeur dans
la vie économique et sociale : il devient protecteur, planificateur, ent repreneur,
gestionnaire. Cette vision de l'État sera ensuite remise en cause dans les années
1980 à t ravers le retour des t héories libérales, qui parviennent de nouveau au
pouvoir (par exemple au t ravers de Margareth Thatcher ou Ronald Reagan).
Actuellement, la notion d'État, au sens de cadre d'organisation de la vie politique
et sociale, serait en crise, car l'État aurait abandonné une partie de ses pouvoirs
à d'autres acteurs plus infl uents. le modèle de l'État-Providence ne serait plus
pertinent, alors même que les attentes vis-à-vis des interventions de l'État sont
toujours importantes. À ces difficultés s'ajoute une crise de la citoyenneté.
l'État français a en effet profondément évolué depuis 20 ans sous l'effet conjugué de la mondialisation et de la construction européenne. Bâti à partir d'une
t radition centralisatrice, dite jacobine, il a été remis en cause à travers la décent ralisation. Parallèlement, la montée en puissance des sociétés multinationales,
des ONG et des acteurs financiers (hedge funds, fonds de pension ... ) ont réduit
l'influence des États dans l'économie mondiale et les ont rendus vulnérables: l'intégration du système économique international crée une interdépendance forte
des économies nationales que les crises récentes (par exemple, celle des« subprimes » américains) ont parfaitement illustrée. l'Union européenne a également
bénéficié d'un transfert important de prérogatives de la part de ses membres
(politique monétaire, budgétaire, législation économique ... ).
l'essentiel de Io culture générale
t Quel rôle l'État doit-il tenir aujourd'hui ?
-
l'État peut générer des sentiments très divers : la crainte, liée au « monopole
de la violence légitime » (Max Weber) qu'il va mobiliser, mais également parfois une sensation de liberté, de sécurité (qu'il protège par les mêmes moyens
contraignants). Paul Valéry, dans Fluctuation sur la liberté. Regards sur le monde
actuel (1938), notait que : « Si l'État est fort, il nous écrase. S'il est faible, nous
périssons». Actuellement, le positionnement de l'État s'entend moins en termes
de puissance qu'en termes de positionnement. le désir d'un« mieux d'État », plutôt que d'un État plus« modeste» (Michel Crozier, État moderne, État modeste,
1987), est représ~ntatif des nouvelles attentes sociales.
Actuellement, l'Etat se veut « complémentaire » des actions prises par d'autres
acteurs et s'est donc fortement désengagé de l'économie (par exemple au t ravers des privatisations, de la décent ralisation, de la construction européenne).
Il souti@nt, ori@nt@, infl u@nŒ, régul@ mais n'@st plus dir@ct@m@nt @n m@sur@ d@
maîtriser. À la t radition de centralisation colbertiste, a succédé un État qui devient
« maît re des horloges » (P. Delmas), inspirateur et garant des règles. Cette adaptabilité garantit sa continuité.
Il intervient également en cas de carence, lorsqu'un sujet participant de l'intérêt
général n'est pas ou est insuffisamment pris en charge par d'autres acteurs : il
se veut donc « subsidiaire », n'intervenant qu'en cas de défaillance des autres
acteurs économiques et sociaux. l'.État se « réforme » en se concentrant sur ses
activités régaliennes, de « souveraineté » (Jean Picq, L'État en France, 1993) et en
partageant/délégant les aut res activités.
Alain Mine, dans son Rapport sur la France de /'An 2000 (1994), affirmait que
l'État devait désormais substit uer l'équité à l'égalité en tant que norme de son
action. En s'appuyant sur la t hèse de Tocqueville selon laquelle la démocratie
entraîne inévitablement une« marche à l'égalité», Alain Mine plaidait pour que
l'État corrige les t ravers de cette évolution en rétablissant une véritable équité
par-delà l'égalité formelle. Selon l'auteur, les créations de ZEP ou les aides spécifiques à des régions sinistrées participent par exemple de cet idéal de justice sociale
que l'Ét at devrait promouvoir.
Bien qu'il reste un cadre incontournable de défi nition des relations humaines, en
particulier à l'échelle internationale, l'avenir de l'État passera également par sa
capacité à s'adapter. la force de l'État est précisément d'être en mesure de se renouveler. li devra ainsi chercher à consolider les bases de la nation, en définissant
des moyens complémentaires d'assurer sa cohésion sociale. Par ailleurs, il devra
lutter contre le discrédit politique et rapprocher le politique des citoyens afin
de donner de nouveau corps à la citoyenneté. Plusieurs chantiers devront également être approfondis: refondation du service public, amélioration de la gestion
des ressources humaines dans la fonction publique, réforme de la formation des
Thème 17 • l'État
élites technocratiques nationales ou européennes ... De nouveaux intermédiaires
sociaux devront également êt re déterminés, dans la mesure notamment où le
syndicalisme est actuellement en crise.
t Qu'est-ce qu' un citoyen ?
la citoyenneté est un stat ut juridique donnant la capacité à son détenteur de
participer à la vie civique et politique d'une société, à t ravers l'exercice de droits
et l'exécution d'obligations. la citoyenneté est t raditionnellement liée à la nationalité, car le citoyen détient une part de souveraineté politique à t ravers son droit
de vote. l'adjectif « citoyen »,né il y a une quinzaine d'années, tend à remplacer l'adjectif consacré qui est «civique ». le sens donné à l'adjectif citoyen dépasse ~
cependant l'acception neutre du mot « civique» en incluant une dimension morale, responsabilisante et républicaine. Il ne s'agit plus simplement de remplir ses
devoirs de citoyen mais de prendre en compte dans l'exécution de ces devoirs
dés considérations éthiqués, socialés, moralés, fondérnénts d'uné solidarité humaniste.
la citoyenneté est aujourd'hui sociale, européenne, économique, autant que politique. Elle est devenue une référence en termes de création de droits, quelle que
soit leur nat ure. En fonction de son domaine d'application, la citoyenneté prend
donc désormais différents visages: la citoyenneté civile comprend l'ensemble des
libertés fondamentales (liberté d'expression, égalité devant la justice, droit de
propriété), la citoyenneté politique correspond à la participation politique (droit
de vote, droit d'éligibilité, droit d'accéder à certaines fonctions publiques... ), la
citoyenneté sociale correspond à l'existence de droits socio-économiques (droit à
la santé, droit à la protection contre le chômage, droits syndicaux... ).
la citoyenneté génère t raditionnellement des droits et des devoirs civiques, générés par le système normatif de l'État . Ce statut est ensuite exercé par l'individu
selon son libre arbit re, en fonction de son instruction, de son éducation et du
contexte culturel, social et politique dans lequel il évolue. Dans les systèmes démocratiques, l'égalité et l'existence de droits associés à la citoyenneté fonde le
lien social et politique. les citoyens d'une même nation forment une communauté politique. Ainsi, la notion de citoyenneté est intimement liée à la démocratie et
se distingue nettement de la notion de nationalité (ou d'« habitant d'un pays»)
en ce qu'elle confère des droits et des devoirs politiques. Dans une perspective
rousseauiste, chaque citoyen est détenteur d'une partie de la souveraineté politique, ce qui légitime sa participation à l'élection de ses gouvernants.
En ce sens, la citoyenneté est une composante essentielle de l'identité et de l'existence sociale de l'individu. la communauté des citoyens va former la nation.
l'exercice du stat ut de citoyen constitue donc la manifestation d'une volonté de
vivre ensemble. Néanmoins, la vision t raditionnelle de la citoyenneté politique
s'est progressivement élargie à d'aut res catégories de «citoyenneté», au risque
l'essentiel de Io culture générale
d'en diluer le sens. On parle en effet aujourd'hui de citoyen « européen », « du
monde», de citoyen « multicult urel » ...
~
la Grèce antique est à l'origine de la citoyenneté moderne à travers l'invention
de la Cité grecque ou «polis». Cette vision de la Cité politique est résolument élitiste: les esclaves, les femmes, les ét rangers n'avaient pas accès à la citoyenneté.
Or, dans cette vision, la citoyenneté conditionne la participation à la vie de la cité
(détermination des lois, administration des affaires publiques, participation aux
débats à l'agora ... ). Cette conception de la citoyenneté ne peut donc fonctionner
qu'avec un faible nombre de personnes puisqu'il s'agit d'une démocratie directe,
reposant sur une égalité des citoyens mais réservée aux membres les plus favorisés de la cité. la citoyenneté romaine, quant à elle, était à vocation universelle
(ouverte aux étrangers) et se définissait en termes juridiques, le « civis romanus »
disposant de droits civils et personnels.
Au Moyen Âge, les notions de sujet et de vassal supplantent celle de citoyen, qui
réapparaît ra à partir du xv~ siècle et surtout au xv1~ siècle dans les ouvrages de
philosophie politique centrés sur la constitution de l'État et les modes d'exercice
du pouvoir politique (Machiavel, Bodin, Locke, Hobbes, Rousseau ... ). À travers
la Révolution française et la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de
1789, le modèle républicain visait à refonder la société politique sur une base non
plus conventionnelle (la tradition, la religion) mais rationnelle. la République
a été modelée par l'idéal antique d'un gouvernement rationnel et cet idéal a
conféré au modèle républicain certains de ses principaux t raits : importance accordée à l'égalité, volontarisme et subordination du droit à la volonté générale,
« légicentrisme », tendance jacobine à la cent ralisation.
les penseurs classiques de la démocratie - Montesquieu dans De l'esprit des lois
(1748) ou Tocqueville dans De la démocratie en Amérique (1835 et 184 0) - ont
cherché à démont rer la supériorité du principe représentatif, en soulignant les
dangers de la démocratie directe (sociétés hétérogènes dominées par l'affect,
notamment la passion de l'égalité): dans cette approche, l'élu et le mandat représentatif apparaissent comme d'indispensables intercesseurs ent re la fi gure du
peuple souverain et les contingences naissant du gouvernement des hommes. la
distinction ent re mandat impératif et mandat représentatif souligne ce constat.
Dans cette conception de la citoyenneté, un représentant n'est pas seulement
un porte-parole, il est également un récipiendaire d'une parcelle de la volonté
générale. Il n'a pas vocation à borner ses interventions aux préoccupations de ses
mandants mais doit, au contraire, s'efforcer de promouvoir l'intérêt général, y
compris, en tant que de besoin, cont re ses mandants.
la notion de citoyenneté s'articule autour de plusieurs principes fondateurs. Tout
d'abord, les droits du citoyen ne sont pas inconditionnels, mais naissent d'un
cont rat social synallagmatique: en effet, les droits civils (droit de propriété, liberté d'aller et venir, liberté de conscience... ), proclamés par la Déclaration française
Thème 17 • l'État
des droits de l'homme et du citoyen (à l'exception des droits imprescriptibles :
liberté, propriété, sûreté et résistance à l'oppression), s'accompagnent d'une obligation de chacun de leurs bénéfi ciaires de défendre ces mêmes droits et les institutions (Cf. la conscription, alors que les sociétés autocratiques ont recours au
mercenariat ou à l'armée professionnelle, mais également l'obligation de participer à la charge publique« en raison de ses facultés», art. 13 de la Déclaration des
Droits de l'Homme et du citoyen). En outre, ces droits ne valent que si leur exercice ne menace pas les instit utions qui les garantissent . leur jouissance nécessite
donc une contribution matérielle à la pérennité des institutions. Dans la Constit ution de 1958, il est rappelé que le citoyen est détenteur de la souveraineté, qu'il
exerce à t ravers l'élection de ses représentants (art. 3 de la Constit ution de 1958),
l'élection du président de la République et le référendum. Au niveau local, la participation des citoyens est garantie par le principe de la libre administration des
collectivités locales (art. 72 de la Constit ution).
t Quelle a été l'évolution de la notion de citoyenneté ?
les débats autour de la notion de citoyenneté n'ont pas cessé depuis le milieu du
xv111• siècle, ce qui montre à quel point ce concept reste au cœur du système politique. Alors que les débats de l'après-guerre se sont concent rés sur l'approfondissement de la notion de citoyen, il semble que la fin du xx• siècle ait été le témoin
d'une crise de la citoyenneté politique, qui n'est plus intégrat rice. la montée en
puissance des communautarismes et les difficultés de la politique d'intégration
ont profondément mis en cause l'effectivité de la notion de citoyen en tant que
vecteur de cohésion sociale.
En outre, la notion de citoyenneté« sociale», qui est progressivement montée en
puissance avec la reconnaissance des droits économiques et sociaux, refl ète une
corrélation ét roite entre exercice des droits politiques et insertion dans le tissu social. les droits économiques et sociaux ont été présentés en tant que droits créances(« inconditionnels» même si leur réalisation peut exiger certaines conditions),
à la différence des droits du citoyen qui relèvent d'un échange « synallagmatique» et sont dévolus à « l'individu » et non au citoyen. la crise de la citoyenneté
serait donc ét roitement liée à l'exclusion sociale.
la conception sociale de la citoyenneté est souvent perçue, à tort ou à raison,
comme plus « concrète » que la citoyenneté politique. Cette distinction se rapproche des critiques marxistes adressées à la citoyenneté politique, qui serait abst raite et donc hypocrite car perpétuant l'ordre ancien. Des débats aussi divers
que le droit à un revenu minimum« d'existence» (cf. les analyses d'André Gorz
notamment ) ou les revendications récurrentes à un droit au logement effectif
alimentent le concept de citoyenneté et de dignité sociales, considérées comme
des conditions de plein exercice de la citoyenneté politique.
l'essentiel de Io culture générale
li faut également souligner que le lien entre la citoyenneté et les droits de l'hom-
me s'est largement distendu puisque les droits fondamentaux se sont détachés
du droit national pour devenir un élément de droit naturel. Un véritable basculement des droits du citoyen vers les droits de l'homme a eu lieu ent re l'aprèsguerre et la fin de la décennie 1960. Ce mouvement a été amplifi é par la relativisation du fait national découlant de la mondialisation. En effet, le lien ent re la
citoyenneté et les droits qui lui sont associés, d'une part, et la nationalité, d'aut re
part, ne cessent de se distendre. Or, la citoyenneté classique est étroitement liée
à l'appartenance nationale. l'intensifi cation et la massifi cation des courants migratoires ont ainsi conduit dans certains États, tels que la France, à conférer des
droits politiques, bien que limités à la sphère locale, à des non-nationaux. li existe
en effet une tension nat urelle ent re la vocation universelle de la citoyenneté
(fondée sur l'égale répartition de la raison) et la fi nit ude des sociétés nationales
(qui reposaient à l'origine sur l'arbit raire de la géographie et de l'histoire). Or, nos
sociétés politiques reposaient depuis le x1x" siècle sur la superposition parfaite des
catégories de nationalité et de citoyenneté.
Par ailleurs, depuis quelques années, le fondement du lien politique républicain est ébranlé par l'intensité croissante des revendications identitaires. Or, la
citoyenneté républicaine classique est dominée par le rationalisme. Cette vision
rousseauiste repose sur une acception fictionnelle du citoyen, selon laquelle le
citoyen, lorsqu'il concourt à la volonté générale, est débarrassé de ses émotions
et concentré sur sa raison, portant en cela une part d'universel garante de la
légitimité de son expression. Ce modèle est mis en cause par les exigences identitaires et communautaristes. la démocratie tend ainsi à devenir une technique
permettant de faire coexister pacifi quement une multitude de communautés, au
détriment de la définition d'un devenir rationnel commun.
t Existe-t-il une crise de la représentation ?
En France ont toujours coexisté des manifestations de souveraineté nationale et
de souveraineté populaire. À la fois la représentation parlementaire et le référendum sont donc présents: l'article 3 de la Constit ution du 4 octobre 1958 dispose:
« La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'ex erce par ses représentants et par la voie du référendum ». Néanmoins, la prééminence du mandat
représentatif reste décisive ; le recours au référendum restant rare et encadré.
En outre, plusieurs évolutions sont notables : une demande supplémentaire de
« t ransparence» (du processus de décision public) et d'accessibilité des représentants. D'autres pays, à l'instar de la Suisse, de l'Italie ou de certains États fédérés
des États-Unis, ont imaginé des moyens d'expression et de consultation plus diversifi és avec des formes plus actives de participation des citoyens par le biais des
pétitions ou des lois d'initiative populaire.
Thème 17 • l'État
D'une logique représentative classique «élitiste »du représentant « avocat », la
médiatisation a favorisé le passage à une logique de l'identification, de la proximité, de l'incarnation : alors que la notion t raditionnelle de mandat représentatif
induisait, par son caractère élitiste, une hiérarchisation ent re représentants et
mandants, la notion de hiérarchie a été fondamentalement remise en question
(crise des instit utions, contestation des sources d'autorité, montée en puissance
de l'individualisme), notamment dans le champ du Politique. Ainsi, dans les démocraties parlementaires notamment, la distance avec le pouvoir devient insupportable et le représentant ne devient légitime aux yeux de ses électeurs que
si ses caractéristiques personnelles le rapprochent le plus possible de l'électeur « médian » de sa circonscription. le représentant devient un personnage auquel ~
on doit pouvoir s'identifier aussi complètement que possible. Ce changement
d'orientation par rapport à la vision classique du citoyen explique la victoire de
George W Bush, qui a mont ré une capacité hors du commun à apparaître comme
I' Américain moyen par excellence (religiosité forte, peu d'intéret pour les préoccupations intellectuelles, amateur de base-ball et de football américain, attaché
à la ruralité le New York Times a calculé que le président avait passé environ le
quart de son temps «de t ravail » dans son ranch de Crawford).
l'abstention aux élections est l'une des manifestations les plus significatives de la
crise de la représentation. Dans l'ensemble des démocraties occidentales, l'abstention progresse régulièrement depuis une quinzaine d'années. En l'an 2000, lors
du référendum sur le quinquennat, le taux d'abstentionnisme a atteint 69,8 %, ce
qui constitue un record. Ce taux élevé ne constitue cependant pas une règle. Par
exemple, lors de la dernière élection présidentielle de 2007 en France, le taux de
participation s'est élevé à plus de 80 %. l'abstentionnisme peut être interprété
de plusieurs manières. Il peut refléter soit un désintérêt des citoyens de la vie
publique, soit une insertion sociale limitée (par exemple les jeunes électeurs sans
diplômes), soit une volonté de protestation lorsqu'il s'agit d'un acte politique
conscient et motivé. Elle t raduit en tous les cas une crise de la représentation qui
provoque un affaiblissement de la légitimité du pouvoir politique élu.
De manière générale, l'engagement politique, voire la simple participation aux
scrutins, ne sont souvent plus perçus comme les voies privilégiées d'exercice et
de promotion des droits, mais comme une simple possibilité d'expression, aussi
« naturels » que banalisés. la charge émotionnelle, la « sacralisation » liée à la
conquête de ces droits semble avoir disparu. le «rituel »du vote est par exemple
remplacé par le vote électronique. Aux États-Unis aujourd'hui, les citoyens peuvent voter par voie électronique (dans les États de l'Ouest), dans les bureaux de
poste, les hypermarchés et choisir le moment qui leur convient le mieux. Il semble
donc que la conception des droits fondamentaux en tant que privilège à la fois
précieux et civiquement contraignant s'est considérablement émoussée. lorsque
l'on constate qu'il existait, lors des dernières élections parlementaires américai-
l'essentiel de Io culture générale
nes, une moyenne de 26 lobbyistes pour chaque membre du Congrès, cela interroge l'autonomie du système de représentation.
t La réforme de l' État est-elle possible ?
~
la réforme de l'État n'est pas une antienne française, puisqu'elle préoccupe
l'ensemble des pays occidentaux. les moyens évoqués sont souvent identiques:
réduction des charges publiques et adaptation du service public pour mieux répondre aux demandes des usagers. Elle sert également souvent de plateforme
formelle aux critiques qui sont adressées à l'État . Ainsi, l'État a régulièrement
fait l'objet de réformes, condition fi nalement constitutive de sa continuité. Ainsi,
en France, par exemple, l'instauration de la v" République et de ses mécanismes
instit utionnels répondait à la nécessité de préserver la stabilité gouvernementale et de rationaliser l'organisation administrative de la France (forces armées,
carte judiciaire, organisation territoriale et pouvoirs des préfets, administrations
de l'agriculture et de l'équipement...). Les années 1970 ont vu apparaître de
nombreuses autorités administratives indépendantes, dont le médiateur de la République, afin d'améliorer les rapports des Français avec leur administration en
renforçant notamment la protection de leurs libertés. De même, dans les années
1980, la décent ralisation avait pour fi nalité de mieux répondre aux besoins locaux. Enfi n, les années 1990 mais également les années 2000 ont vu se développer
les réformes visant à améliorer le fonctionnement interne de l'administration de
l'État et le mouvement de déconcent ration. Du « renouveau du service public »
(qui a conduit à développer les centres de responsabilité, les projets de service,
les démarches qualité selon des mét hodes inspirées du secteur privé) à la revue
générale des politiques publiques (RGPP, lancée en 2007 et reposant sur un passage au crible de toutes les dépenses de l'État, confié à des équipes d'audit),
l'administration a été sommée d'orienter son action vers la recherche de résultats
précis, quantifi ables, qui mettent le citoyen« au cœur du service public». l'action
de l'État se veut donc orientée, du moins dans ses objectifs affichés (et de plus
en plus médiatisés), vers la recherche (idéale) du bien de la communauté, que les
Grecs appelaient « polis».
Il faut cependant garder à l'esprit que s'il est indispensable de mieux gérer l'État,
la légitimité de son action ne se réduit pas à un problème de management : ainsi,
aujourd'hui, la réforme de l'État a pour fondement le besoin de rebâtir le contrat
social et moral implicite qui unit la fonction publique et l'administration avec
l'ensemble de la nation, exigence avant tout républicaine et démocratique. Or, les
critiques récurrentes contre le fonctionnement de l'État présentent le risque de
suggérer progressivement que ce dernier n'a que l'utilité d'un simple prestataire
de services, au détriment de sa fonction symbolique et de son rôle de réalisation
politique de la citoyenneté.
Thème 17 • l'État
Par ailleurs, la rigueur budgét aire, dictée par le niveau de prélèvement s obligatoires déjà t rès élevé, se marie mal avec les exigences accrues des citoyens. le sect eur privé est donc davant age mobilisé, passant de fournisseur à partenaire à part
entière. Selon Pierre Rosanvallon, quatre élément s sont susceptibles d'affecter
fortement les rapports entre l'Ét at et la société : l'évolut ion de l'État instit uteur
du social, la situation des divers corps int ermédiaires, le déplacement des frontières ent re le privé et le public, la déterritorialisat ion de l'État liée à la décentralisat ion d'une part et à la construction européenne d'autre part.
Références bibliographiques
+
CRoz1ER
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DELMAS
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(P.), Le Maître des Horloges. Modernité de l'action publique,
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MiNc (A.), La France de l'an 2000, 1994.
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SECONDAT DE MONTESQUIEU
(C.-l.), De l'esprit des lois, 1748.
+ Pico (J.), L'État en France, 1993.
+ RosANVALLON (P.), L'État en France de
•
ROUSSEAU
1789 à nos jours, 1990.
(J.-J.), Du contrat social, 1762.
hème
18
LA CULTURE
«Une culture qui ne serait pas une insurrection permanente de l'esprit ne serait
qu'une industrie de plus. »(Jean-Marie Domenach, Europe, le défi culturel)
« La culture ne s'hérite pas, elle se conquiert. »(André Malraux, Hommage à
la Grèce)
-
1.
Définitions
la définition de la cult ure donnée par l'UNESCO est la suivante : « La culture,
dans son sens le plus large, est considérée comme l'ensemble des traits distinctifs,
spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou
un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les
droits fondamentaux de /'être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et
les croyances ».
la culture est donc l'ensemble des connaissances maîtrisées par l'individu appartenant à une société donnée, que ce soit au niveau individuel ou collectif: ensemble des structures sociales, religieuses et des manifestations intellectuelles, artistiques. Par ext ension, la culture se réfère à l'ensemble des activités humaines. Elle
s'oppose ainsi à la nat ure, car elle comprend l'ensemble de ce qui est considéré
comme acquisition de l'espèce, indépendamment de son héritage instinctif, inné.
la cult ure consiste dans la transformation de la nat ure par l'Homme.
le mot « culture »est issu du mot latin « colere »(qui signifie notamment « habiter », « honorer les dieux » et « cultiver »). Au travers de sa sémantique, la
cult ure renvoie donc à des t hèmes tels que la fertilité, la créativité, la production
et la spirit ualité. l'exploitation de la terre, la capacité à fertiliser, mais également
le développement de l'esprit et peut-êt re plus largement le développement des
individus participent de la cult ure. Elle est donc également définie à travers l'éducation, l'instruction et le savoir.
Ces connaissances sont t ransmises par des systèmes de croyance, par le raisonnement ou l'expérimentation. la cult ure comprend donc deux aspects: elle est
à la fois sédimentation des acquis accumulés par les générations précédentes et
confrontation continue, dynamique, de chaque individu à la nat ure. Ce dernier
va interagir avec cette dernière en la métamorphosant, tout en se t ransformant
lui-même.
l'essentiel de Io culture générale
-
la défi nition de la culture s'est progressivement enrichie, au point de s'entendre
désormais au pluriel. la principale caractéristique des cultures est en effet leur incroyable diversité, qui découle de la richesse des activités humaines: arts, croyances, modes de vie, valeurs, codes sociaux, traditions ... les significations des comportements culturels varient à l'infi ni et sont porteuses de potentialités immenses.
Cette pluralité s'oppose à l'unité, à la stabilité de la nature et à l'universalité de
ses lois. la culture ajoute l'empreinte de l'homme sur la nat ure. li la modifie, la
représente et l'utilise à sa convenance à travers les médiations du langage, des
arts et des techniques. l'influence de la culture est d'autant plus forte qu'elle se
diffuse et se pérennise. la notion de pat rimoine culturel est donc cruciale.
2.
Problématiques
t Quels sont les rapports entre culture et politique ?
la culture a toujours constitué un instrument majeur de domination politique,
économique et diplomatique. le rayonnement culturel participe notamment de
la puissance d'une civilisation. la culture est ainsi devenue pour certains pays,
notamment les États-Unis, un enjeu commercial de premier plan, au service d'une
politique de domination, au point que sont nés les concepts « d'impérialisme
culturel » et de « guerre culturelle ». la culture est d'autant plus exploitée par
le politique qu'elle est devenue objet de grande consommation, alors qu'elle est
longtemps restée réservée à une élite. On va d'ailleurs jusqu'à évoquer une« industrie de la culture ».
la langue, notamment, est un élément culturel qui joue un rôle politique décisif :
par exemple, l'anglais est la première langue utilisée sur Internet et le mandarin
la seconde, ce qui donne aux pays dont les habitants parlent l'une de ces deux
langues un pouvoir d'infl uence considérable. Autre exemple, la culture française
s'est développée dans l'Europe des lumières, essentiellement parce qu'elle était
parlée dans plusieurs cours princières. Si l'anglais est aujourd'hui prééminent,
d'autres langues permettent de cimenter culturellement des territoires éloignés: francophonie (sachant qu'en outre, la protection de la langue française est
aujourd'hui intégrée dans le droit français: article 2 de la Constit ution de 1958) ;
l'Espagne et l'Amérique du Sud à travers l'espagnol; infl uence de l'arabe ... Notons enfi n que le multilinguisme est, au moins officiellement, reconnu dans la
politique linguistique de l'Union européenne, comme portant une valeur de di·
versité culturelle.
Thème 18 • Lo culture
le lien ent re cult ure et politique peut également êt re illust ré à travers la mise en
scène, pendant la guerre froide, des débats marxistes sur la cult ure« bourgeoise».
Marx considérait en effet que la culture est un inst rument de domination de la
bourgeoisie, que le prolétariat doit se réapproprier.
t Une politique culturelle est-elle possible ?
l'existence d'une politique cult urelle publique n'est pas généralisée. Par exemple,
dans les pays anglo-saxons, la culture relève avant tout de choix individuels. Il
reste que l'influence politique de la culture a amené de nombreux pays à mettre
en place une véritable politique culturelle.
En France, il faut attendre la Renaissance pour voir la vocation cult urelle du
pouvoir français s'affirmer, en particulier à travers François I"'. Ce dernier a
attiré auprès de lui des intellectuels tels que léonard de Vinci, a fait construire de
multiples châteaux (Chambord, Saint-Germain-en-Laye ...) et créé !'Imprimerie nationale ou bien encore le« Collège des t rois langues», devenu Collège de France
sous la Restauration. le cardinal de Richelieu fondera, quant à lui, l'Académie
française au xv11• siècle. À sa suite, louis XIV octroiera des charges à des personnalités telles que Racine et Boileau, qui seront promus historiographes du roi. Il
pensionnera des artistes, soutiendra l'architecture, la danse et la musique.
la Révolution française verra s'installer une méfi ance temporaire vis-à-vis de
l'art, considéré comme oisif. Cette méfiance s'est renforcée sous la Terreur. Au
contraire, à partir du Consulat, les arts ont été de nouveau soutenus par l'État . Ce
dernier s'est progressivement imposé comme un « instituteur du social »(Pierre
Rosanvallon), revendiquant le monopole de la cult ure, de l'éducation et ce, bien
que les x1x• et xx• siècles aient été surtout consacrés au mécénat et à la protection
du pat rimoine.
le ministère de la Cult ure a été créé en 1959 et confié à André Malraux, qui a
définitivement installé la fonction. Cet écrivain pour qui « la culture, c'est ce qui
permet de fonder l'homme lorsqu'il n'est plus fondé sur Dieu», a apporté une
caution intellectuelle à la nouvelle V' République tout en développant le rayonnement cult urel de la France, par exemple en prenant l'initiative de faire voyager
les œuvres du Louvre à l'étranger. Depuis les années 1960, on assiste ainsi à un
engagement croissant de l'État dans le domaine de la cult ure, qui sera bientôt
perçu comme un instrument de domination politique.
Cependant, malgré l'augmentation constante des crédits du ministère de la
Culture, en particulier dans les années 1980, il semble que la politique cult urelle
française souffre de certaines difficultés. Elle peine notamment à diffuser certaines formes artistiques, comme l'opéra ou le t héât re. la télévision reste encore un
vecteur cult urel prépondérant . 50 % des Français ne sont jamais allés au théât re.
l'opéra accueille à peine 2 % des français au moins une fois par an. l'accès à la
l'essentiel de Io culture générale
cult ure est également freiné par le rapport au livre et à la lecture : près de 30 %
de la population française ne lit pas. la proportion de français lisant le journal
quotidiennement a chuté de 55 % en 1973 à près de 30 % actuellement .
-
la politique culturelle française a donc été largement critiquée. Ont notamment
été évoqués: l'échec de la démocratisation de la cult ure, la faillite esthétique des
avant-gardes artistiques, les doutes sur la valeur des œuvres subventionnées, le
gaspillage des fonds dans des projets inaboutis, la promotion d'un relativisme
cult urel ...
t La culture est-elle en crise ?
Bien que la « démocratisation » de la cult ure ait permis l'accès du plus grand
nombre à une forme de cult ure, l'individualisme est régulièrement accusé de fa.
voriser les goûts individuels, bons ou mauvais, et donc un « relativisme cult urel »
au détriment de la culture en tant que valeur universelle.
Concernant ce dernier point, Alain Finkielkraut, dans La défaite de la pensée
(1987), puis Marc Fumaroli, dans L'État culturel, essai sur une religion moderne
(1989), ont également dénoncé une extension abusive de la sphère de la cult ure
et le développement d'une« sous-culture », entraînant un nivellement par le bas.
Désormais, « tout se vaudrait », ce qui impliquerait une dépréciation des grands
chefs-d'œuvre. Dans la mesure où n'importe quel élément participerait à présent
du « culturel », il deviendrait impossible de cerner le concept de culture, qui se
démultiplierait à l'infini.
Marc Fumaroli a notamment dénoncé la primauté d'une« culture audiovisuelle»,
véritable produit de consommation, que le ministère de la Cult ure serait incapable de freiner à cause de son choix du« tout cult urel». l'action publique n'aurait
pour objectif que de chercher à cacher les véritables causes de cette « faillite
cult urelle», soit les diffi cultés de l'institution scolaire et la vacuité intellectuellement destructrice des programmes télévisuels.
t La culture est-elle intégratrice ?
la cult ure est un moyen puissant d'intégration sociale. Dans son ouvrage La crise
de la culture, Hannah Arendt constatait que désormais, la société tout entière, et
non plus seulement une élite, utilise la culture comme instrument de lutte pour
obtenir une position sociale satisfaisante. la cult ure, au sens de culture générale,
permet notamment de s'intégrer plus facilement sur le marché du travail. Elle
serait également responsable d'une reproduction des élites. !.'.ouvrage de Pierre
Bourdieu et Jean-Claude Passeron Les héritiers, les étudiants et la culture met
notamment en avant cette t ransmission des pouvoirs au sein des élites à partir de
ce capital culturel. l'influence de la cult ure en tant que facteur d'intégration sociale est telle que les politiques publiques, comme nous l'avons vu, ont largement
participé à son développement.
Thème 18 • Lo culture
En France l'accès à la cult ure a même été reconnu comme un véritable droit . En
effet, parmi les « principes politiques, économiques et sociaux reconnus comme
particulièrement nécessaires à notre temps», il est prévu que: « La nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L'organisation de l'enseignement public et /arque à tous les
degrés est un devoir de l'État». la « cult ure de masse » répond à cette préoccu-
pation d'ouverture de la culture au plus grand nombre.
la capacité d'intégration de la cult ure est ét roitement liée à sa diffusion. les zones de contact ent re civilisations, les voyages, les technologies de l'information
permettent la diffusion de la culture. On peut citer par exemple les échanges maritimes dans la Grèce antique entre les cités et leurs colonies, dans la Rome an- ~
tique, les zones de contact en Espagne ent re musulmans et chrétiens, la route de
la soie, les voyages de missionnaires et des explorateurs, le commerce à partir de
Bruges (villes hanséatiques et relations maritimes avec le sud de l'Europe) ... Des
t héories scientifiques et philosophiques majeures sont parvenues en occident, depuis la Grèce antique, l'Asie, la Mésopotamie, l'Inde, ainsi que des techniques
t rès utiles : boussole, sextant, informations cartographiques, papier. imprimerie,
chiffres« arabes» ...
Pourtant, la cult ure ne favorise pas uniquement l'intégration sociale. Ainsi, il est
signifi catif de constater que parallèlement à la valorisation médiatique du t ranscult urel. des mélanges, du métissage, se développent un communautarisme et
une ghettoïsation sans cesse croissantes. Par ailleurs, Samuel Huntington, dans
son ouvrage Le Choc des civilisations (1933), soulignait que les productions cult urelles d'un peuple dans leur systématicité et leur histoire correspondent à la notion de civilisation. Or. les civilisations, selon l'auteur. tendraient à s'opposer. le
monde se défi nirait depuis la chute du Mur de Berlin non plus par des clivages
idéologiques, ent re communisme et capitalisme, ou impérialisme et anti-impérialisme, mais par des clivages culturels. la résurgence conséquente des sentiments
identitaires s'affi rmerait non plus par le biais des nations, comme au xix• et au xx"
siècle, ni des et hnies, mais à l'échelle« civilisationnelle »,du fait de la mondialisation des échanges et le terreau des futurs conflits serait donc cult urel.
t La diversité culturelle est-elle encouragée ?
la diversité cult urelle est présentée comme la réponse au phénomène d'uniformisation culturelle induit par la diffusion massive de la culture américaine, la disparition de nombreuses langues et dialectes, la standardisation des consommations,
des modes ... Au-delà de la promotion de la diversité cult urelle, la préservation
du patrimoine culturel mondial s'est également imposée comme une nécessité.
la destruction par les talibans des Bouddhas de la falaise de Bâmiyân en 2001 et
les protestations unanimes qui ont suivi, ont sensibilisé l'opinion mondiale au
caractère universel et à la fragilité de ce pat rimoine.
l'essentiel de Io culture générale
À ce tit re, il faut noter qu'en novembre 2001 , la Déclaration universelle de
l'UNESCO sur la diversité culturelle a été adoptée à l'unanimité. Cette déclaration
est le premier instrument normatif qui érige la diversité culturelle au rang de pat rimoine commun de l'humanité et va désormais servir de base à l'élaboration de
politiques culturelles nationales, en accord avec les règles et le droit international. Dans ce text e, la sauvegarde de la diversité culturelle est considérée comme
un impératif concret et éthique inséparable du respect de la dignité humaine.
~
Par ailleurs, la Convention pour la sauvegarde du pat rimoine cult urel immatériel de 2003, ratifiée le 20 juin 2007 par 78 États, précise que ce pat rimoine
est « le creuset de la diversité ». Le patrimoine culturel immatériel a été défini
par l'UNESCO comme l'ensemble des « pratiques, représentations, expressions,
connaissances et savoir-faire - ainsi que les instruments, objets, artefacts et espaces culturels qui leur sont associés - que les communautés, les groupes et, le
cas échéant les individus reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine
culturel. » Ce patrimoine culturel immatériel, t ransmis de génération en généra-
tion, est recréé en permanence par les communautés et groupes en fonction de
leur milieu, de leur interaction avec la nat ure et de leur histoire. li leur procure un
sentiment d'identité et de continuité, contribuant ainsi à promouvoir le respect
de la diversité culturelle et la créativité humaine.
la Convention précise que le patrimoine cult urel immatériel se manifeste, ent re
autres, dans les domaines suivants : « les traditions et expressions orales, y compris la langue; les arts du spectacle (comme la musique, la danse et le théatre traditionnels); les pratiques sociales, rituels et événements festifs; les connaissances
et pratiques concernant la nature et l'univers ; les savoir-faire liés à l'artisanat
traditionnel».
la « défense de la diversité culturelle » peut, quant à elle, prendre plusieurs
formes, telles que la promotion d'actions en faveur de« minorités culturelles» ou
la protection des cult ures dont la puissance commerciale ne permet pas en ellemême une diffusion suffisante, par exemple au sens de I' « exception cult urelle
française». Cette« exception culturelle», souvent qualifiée de« protectionniste»,
soutient que les productions et services cult urels sont spécifiques et peuvent
justifi er une dérogation au principe de libre-échange, notamment à t ravers le
versement de subventions ou bien à t ravers des opérations de promotion.
Enfin, la diversité cult urelle passe également par la protection des droits d'auteurs.
Or, la grat uité des œuvres à t ravers Internet crée des inquiétudes, par exemple
dans les industries du disque et du livre. le téléchargement illégal, via Internet,
d'œuvres protégées par les droits d'auteur et plus généralement la gratuité massive des œuvres d'art pourraient porter atteinte à la richesse de la création cult urelle en privant de ressources les artistes. Jusqu'à présent, la législation paraît
impuissante à endiguer ce phénomène, d'autant qu'Internet habit ue l'individu à
Thème 18 • Lo culture
disposer rapidement d'une information culturelle, par simple connexion, et modifie ainsi en profondeur le rapport aux biens immatériels, notamment culturels.
Cependant, il faut noter que la grat uité favorise également la diffusion, la promotion des œuvres et la puissance de rayonnement de la culture.
Références bibliographiques
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(H.), La crise de la culture, huit exercices de la pensée politique,
1972.
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(M.), L'État culturel, essai sur une religion moderne, 1989.
•
f1NK1ELKRAur
+
fuMALOR1
hème 11
LES VALEURS
-
1.
Définitions
Accorder de la valeur, c'est estimer, accorder un intérêt spécifique, un attribut
positif. Cette estimation peut être économique (par exemple, valeur financière)
ou symbolique (par exemple valeur morale). le mot « valeur » est issu du verbe
latin « valere », qui signifie « bien se porter, êt re en bonne santé ». Cette origine
met en exergue que la valeur est un bien précieux, acception qui est directement
appliquée dans le domaine économique. la valeur est donc avant tout une représentation. la naissance et le développement du concept de valeur dans les
domaines économique et moral ont fait ensuite place à une acception plus large,
correspondant à tout élément quel qu'il soit (objet, projet, idée, concept ) auquel
on tient, qu'on pense important, qui« vaut la peine».
Alors même que des valeurs telles que le Bien, la liberté et la Justice sont des
valeurs morales, d'aut res concepts ont acquis une valeur morale du fait de la
qualification même de « valeur ». Il existerait donc des valeurs « absolues », qui
s'imposeraient de manière universelle, intemporelle, et des valeurs « relatives »
qui n'existeraient que dans un contexte économique, social, politique, historique
donné.
Dans une conception relative, la valeur est donc datée et sa pérennité est liée à
sa capacité de s'adapter. Au contraire, la conception absolue des valeurs consiste
à considérer que leur sens est universel, qu'il est inné ou révélé plutôt que cult urel. les valeurs constituent donc un ensemble de repères à l'échelle desquels les
comportements vont être appréciés, qui vont dicter les comportements et les jugements.
la dimension cult urelle des valeurs est fondamentale. le contexte socio-économique, historique, cult urel, technologique infl ue sur la définition des valeurs d'une
société. On constate ainsi un fl ux et reflux de certaines valeurs dans les comportements et les débats de société. Par exemple, le régime vichyssois avait élevé
« l'authenticité »au rang de valeur, tout comme le culte de l'effort, le retour à
une sociabilité« rurale» et la renaissance de la famille. la devise du régime, « t ravail, famille, patrie », résume cette volonté. Aut re exemple, la société de consommation des années 1960 et 1970 a imposé le matérialisme en tant que valeur :
la consommation de biens et de services est devenue conditionnelle de l'identifi cation sociale et du plaisir de l'individu, ce dernier étant également considéré
lui-même comme une valeur.
l'essentiel de Io culture générale
-
2.
Problématiques
t Les valeurs sont-elles en crise ?
~
Dans son ouvrage L'Ère du vide (1983), Gilles lipovetsky diagnostiquait une crise
des valeurs, conséquence de la montée en puissance de l'individualisme, et de
l'entrée dans la postmodernité. les penseurs postmodernes (lipovetsky, lyotard,
Derrida, Finkielkraut) se situent dans la perspective de surmonter le« désenchantement du monde », du nom de l'ouvrage de Marcel Gauchet (1985), apparu
suite à la désagrégation des repères culturels, religieux et à l'échec des utopies
révolutionnaires.
le désenchantement du monde peut se défi nir comme le recul des croyances religieuses ou magiques en tant que mode d'explication des phénomènes, au profit
des explications scientifiques, accompagné d'une crise des valeurs. Jean-François
lyotard (La condition postmoderne, 1979) le définit comme l'époque de la fi n des
« grands récits », renvoyant notamment à l'idéologie communiste. Selon Gilles
lipovetsky, la crise des valeurs, d'ordre moral et idéologique, se caractériserait
par une remise en cause des instit utions, le refus de toute t ranscendance, la rupt ure de la continuité historique, la perte du sens politique et le narcissisme des
individus.
t La morale est-elle encore une valeur ?
le mot provient du latin« mores» (mœurs) et de« moralitas »(«caractère de ce
qui est approprié»). la morale correspond donc à l'action humaine en fonction
de la connaissance du bien et du mal, que cette dernière soit considérée comme
innée ou acquise. Elle comprend donc l'ensemble des valeurs et règles de conduite
d'une société. la morale possède une portée normative, cont raignante, qu'elle se
t raduise ou non dans un corpus juridique. la déontologie, (gr. deon, -ontos, « ce
qu'il faut faire», et logos« science »), correspond, quant à elle, à la science qui
t raite des devoirs à remplir et règles à respecter dans une profession donnée.
la morale renvoie au respect des valeurs qui vont conditionner l'action humaine.
Un constat de relativité s'impose immédiatement puisque certains comportements seront ou non considérés comme immoraux en fonction de la cult ure d'une
collectivité donnée, constat qui renvoie à la notion d'éthique. Morale et èthique
ont des sens proches et sont souvent confondus. Pourtant, la morale paraît convoquer un absolu auquel l'ét hique ne renvoie pas. la distinction entre la morale et
l'ét hique est fondée sur la vision kantienne de la morale, qui sépare les principes de détermination du vouloir ent re le matériel, qui est particulier parce qu'il
se rattache à la sensibilité et les principes formels, qui sont universels et rationnels. Jurgen Habermas se fonde sur cette distinction kantienne ent re les principes
matériels et les principes formels pour distinguer la morale (qui se rattache aux
Thème 19 • les voleurs
principes formels) de l'ét hique (qui se rattache aux principes matériels). Ainsi, la
morale est ce qui touche au juste et à la justice, c'est-à-dire aux principes universels qui permettent une certaine impartialité, et l'éthique est ce qui se rattache
au Bien, c'est-à-dire aux particularités des individus. André Comte-Sponville, dans
son ouvrage Le capitalisme est-il moral ?, entend par morale tout ce que l'on
fait par devoir (de l'ordre de la volonté), et par éthique tout ce que l'on fait par
amour (de l'ordre du sentiment).
Descartes présentait la morale (Principes de la philosophie, 1644), comme découlant de sa conception de la métaphysique: «Ainsi toute la philosophie est comme
un arbre, dont les racines sont la métaphysique, le tronc est la physique et les
branches qui sortent de ce tronc sont toutes les autres sciences qui se réduisent à
trois principales. à savoir la médecine, la mécanique et la morale, j'entends la plus
haute et la plus parfaite morale, qui, présupposant une entière connaissance des
autres sciences, est le dernier degré de la sagesse. Or comme ce n'est pas des racines, ni du tronc des arbres, qu'on cueille les fruits, mais seulement des ex trémités
de leurs branches, ainsi la principale utilité de la philosophie dépend de celles de
ses parties qu'on ne peut apprendre que les dernières. »
l'une des valeurs qui suscite encore le plus d'interrogations est précisément la morale. Elle imprègne encore de nombreux débats actuels: bioét hique, lutte cont re
la pauvreté, lutte cont re la corruption, recherche, responsabilité des entreprises,
lutte contre les incivilités, réfl exions sur les peines applicables, émergence de nouveaux droits individuels...
Dans sa déclinaison la plus récente et la plus t ristement caricat urale, il est possible
de citer la référence permanente à la morale dans la diplomatie américaine de
G. W. Bush, y compris dans ses actions militaires. Cependant, les sociétés humaines ont paradoxalement cherché à se libérer des contraintes de la morale. Cette
volonté rejoint les t hèses économistes néo-classiques (Adam Smith, Théorie des
sentiments moraux, 1759 ; Mandeville, La Fable des abeilles, Vïcesprivés, bénéfice
public, 1705) et libérales. le droit positif a également cont ribué à développer
la conviction selon laquelle la morale en tant que valeur n'est pas impérative,
bien que la« logorrhée normative» régulièrement dénoncée en France prive en
grande partie le droit de sa portée moralement cont raignante. Sa contingence,
son manque de qualité comme la nécessité de l'adapter au contexte économique
et social empêchent de lui attribuer une autorité absolue. Comme le notait déjà
Montesquieu dans De /'Esprit des lois (1739), la prolifération des normes affaiblit
le principe de la souveraineté du droit. Enfi n, la morale aurait également succombé à l'individualisme et aux sirènes de la philosophie post-moderne, qui ne verrait
plus que des convictions subjectives en lieu et place des valeurs universelles.
l'essentiel de Io culture générale
t L' individualisme signifie-t-il la fin des valeurs ?
-
Au-delà de la morale, l'individualisme mettrait en cause d'autres valeurs telles
que l'équité, la raison, l'universalisme et la justice. le« rétrécissement du temps»,
qu'ent retiennent la vitesse de circulation de l'information, la concent ration sur
l'immédiat et la sécularisation de l'existence (notamment la fi n de la crainte d'un
jugement dans l'au-delà), réduirait la portée des valeurs universelles à l'échelle
d'une vie humaine. les convictions ne mériteraient plus que l'on meure pour elles, puisque le fut ur n'est plus envisagé comme potentiellement porteur d'un
projet global, que l'individu servirait. Il n'y aurait donc plus que des « valeurs »
contingentes, temporaires, empiriques.
Cette vision pessimiste doit cependant êt re relativisée car il semble que l'on
assiste davantage à un renouvellement ou à une transformation des valeurs qu'à
la mort de ces dernières dans une perspective nihiliste : le développement des
mouv@m@nts alt@rmondialist@s, la quêt@ d@ s@ns aux t rav@rs d@ nouv@ll@s for·
mes de spiritualité, le développement des solidarités notamment associatives, les
mouvements de défense des libertés publiques, montrent que l'Homme, au-delà
de l'individu, devient la valeur-étalon, absolue, l'horizon indépassable à l'aune
duquel seront appréciées les autres valeurs.
t Quelle est la vision act uelle de l'égalité ?
De manière générale, du xv11~ siècle aux années 1980, les inégalités entre les différentes régions du monde n'ont cessé de se réduire, bien que les inégalités int ranationales se soient accrues. le développement de la société de consommation
au cours des « 30 Glorieuses » a particulièrement cont ribué à la réduction des
inégalités sociales. Au cont raire, au cours des années 1980, un creusement des
inégalités a été constaté.
En effet, la valorisation de la compétition et de la concurrence a bousculé le
principe égalitaire, porté par le christianisme et par le mouvement des lumières.
l'élitisme ext rême, le malt husianisme ou le darwinisme social et, plus proche de
nous, les discours sur la valorisation du mérite, la distinction de l'effort, des performances, du résultat, mont rent une nouvelle conception de l'égalité, basée sur
la reconnaissance de l'individu dans sa singularité.
la diversification actuelle des statuts professionnels avec le développement du
t ravail précaire et de concepts tels que l'activité ou le parcours professionnel, l'individualisation croissante du contenu cont ractuel dans la relation de travail, les
nouvelles politiques salariales des entreprises visant à individualiser les rémunérations en fonction des performances, participent d'une nouvelle vision « cult urelle » de l'égalité au détriment de l'égalité « sociale ». Marcel Gauchet notait
que : « L'intransigeance égalitariste sur la question de l'identité, du statut, de la
« différence »,s'accompagne d'une incroyable indifférence à l'égard des inéga-
Thème 19 • les voleurs
lités de condition. (.. .) La nouvelle sensibilité culturelle contribue à anesthésier
l'ancienne sensibilité sociale. »
les débats sur l'égalité se sont également nourris des développements de l'égalité homme/ femme dans les sociétés occidentales, en partie en raison du succés
des valeurs véhiculées par le mouvement féministe. Bien que des progrés soient
encore nécessaires en matière de parité politique et d'égalité de traitement au
niveau des salaires, les droits des femmes n'ont cessé de s'accroît re au cours du
siècle dernier, en particulier dans les sociétés occidentales. On citera par exemple
l'accès à l'avortement, le doit de vote, l'autonomie juridique, l'accès à des professions autrefois fermées ... la fi n du mariage en tant que valeur au profit de la seule relation amoureuse a également servi la cause de l'égalité dans le couple.
Cette nouvelle conception de l'égalité s'est d'ailleurs enrichie du concept de dignité, dont le respect serait conditionnel d'une réelle égalité (ou de« l'équité»
au sens platonicien d'égalité « réelle », prenant en compte les différences de
situations de départ, par opposition à l'égalité« formelle»). Par exemple, les associations féministes ont dénoncé l'image des femmes véhiculée par les médias et
en particulier la publicité, souvent dégradante car outrageusement érotisée.
la lutte contre les discriminations et, de manière positive, la promotion de la diversité sociale ont également enrichi le concept d'égalité.
t Qu'est-ce que la discrimination ?
Socialement, la discrimination consiste à distinguer et à isoler un groupe de personnes, afin de lui appliquer un t raitement spécifique. la discrimination n'a pas
de justification rationnelle et se fonde simplement sur le critère qui sert à distinguer ce groupe. Elle doit être distinguée de la différenciation, qui consiste à
t raiter de manière différente des personnes dont la sit uation diffère sur la base
de critères objectifs, rationnels et légaux.
la discrimination comporte inévitablement un aspect immoral, mais la perception
de la discrimination peut varier en fonction de la société considérée et de son
contexte socioculturel. le consensus social autour de l'existence d'une discrimination n'est donc pas suffi sant pour l'établir objectivement . Par exemple, la prise en
considération de l'âge en tant que critère discriminant peut êt re perçue comme
consensuelle (ainsi de l'âge minimum pour participer à la vie publique), ou bien
comme discriminatoire (par exemple en matière d'embauche).
Par ailleurs, il faut noter que la non-discrimination se confond avec la nécessité
de respecter l'égalité de t raitement, particulièrement d'actualité en termes d'emploi. Cette égalité de t raitement suppose de traiter deux personnes placées dans
des sit uations identiques de manière identique. le débat sur la non-discrimination rejoint ainsi le débat sur l'intégration sociale, notamment à t ravers l'accès au
l'essentiel de Io culture générale
marché du travail de personnes issues de minorités visibles, souffrant de handicap, âgées, ou bien, de manière plus générale, fragilisées.
Actuellement, le concept de diversité connaît un engouement important de la
part des décideurs politiques et privés, relayé par les médias. la promotion de la
diversité consiste à considérer la différence, quelle qu'elle soit, comme source de
richesse. Il s'agit d'une valeur profondément humaniste, condition d'une réelle
cohésion sociale.
la diversité fait actuellement l'objet d'une communication forte, de la part des
hommes politiques comme des entreprises. Notamment, nombre de ces dernières
mettent en avant leur recherche de diversité dans leurs politiques de recrutement. Cette préoccupation t raduit donc l'importance de l'image positive véhiculée par la diversité, qui en fait un réel enjeu économique au-delà de l'enjeu
social. la promotion de la diversité revient à valoriser la différence en tant que
différence, indépendamment de sa nat ure ou de ses effets, dans la mesure où
elle serait ontologiquement créat rice de valeur. À ce tit re, la diversité constitue
la vision positive, activée, dynamique de la lutte contre la non-discrimination. À
l'instar du commerce équitable, a même été créé un « label diversité » destiné à
récompenser les initiatives positives des ent reprises en la matière.
Dans le milieu de l'entreprise, la diversité se voit désormais octroyer une valeur
économique. Elle rejoint les initiatives récentes en matière de développement
durable et nourrit les rapports annuels sur le sujet publiés par la plupart des grandes entreprises. la non-discrimination apparaît donc diluée dans la diversité, rendue presque incongrue dans la mesure où la différence serait précisément perçue
comme positive, rare et donc recherchée au lieu d'être rejetée. li s'agit cependant
d'un élément important des politiques de communication des ent reprises, appuyant leur dimension humaniste, et dont il faut mesurer les limites.
Si la lutte contre la discrimination reste malheureusement nécessaire (la discrimination reste pénalement sanctionnée), l'approche exclusivement répressive,
négative, subie, du sujet trouve ses limites dans la promotion de la diversité. Ce
paradoxe ent raîne des confusions hâtives qui semblent dangereuses : ainsi, plusieurs ent reprises d'importance n'ont pas hésité à proclamer dans les médias leur
volonté de fonder leur politique de recrutement sur la discrimination positive.
Au-delà du marketing RH qui t ransparaît dans ce t ype d'annonce, il faut souligner que la valorisation de la différence, à partir de laquelle l'individu construit
une identité positive, ne doit pas se confondre avec la préférence arbitraire et
systématique d'un individu par rapport à un autre lorsqu'un critère différenciant
est présent . la discrimination positive renforce en effet largement les tendances
communautaristes.
la promotion de la diversité a ainsi une influence sur la différence en tant que
composante essentielle de l'identité sociale et professionnelle de l'individu. Ce
Thème 19 • les voleurs
dernier est invité à se définir par rapport à ses différences, quelles qu'elles soient,
et non pas nécessairement par rapport à l'usage qu'il en fait . l'individualisme,
à travers la volonté de distinction qu'il promeut, accompagne fortement cette
évolution.
t Faut-il distinguer discrimination positive et promotion
de l'égalité des chances ?
Jean-François Amadieu, Professeur à Paris 1 et Directeur de l'observatoire des
discriminations, notait que la lutte contre la discrimination implique soit la discrimination positive, soit le renforcement du principe d'égalité des chances, et choisissait le second. Pourtant, la discrimination positive trouve un écho progres- ~
sivement favorable, à t ravers la thèse selon laquelle pour rétablir « une réelle
égalité des chances », il serait nécessaire de porter formellement atteinte au
principe républicain d'égalité de traitement. l'égalité des chances, lorsqu'elle ne
s'accompagne pas de mesures concrètes pour aider ceux qui ont des handicaps
d'origine, risquerait en effet, selon certains, de n'êt re plus que l'alibi servant à
justifi er les inégalités sociales constatées.« l'égalité des chances, c'est le droit de
ne pas dépendre exclusivement de la chance ou de la malchance »(André ComteSponville).
la discrimination positive peut se défi nir comme l'ensemble des mesures destinées à permettre la compensation de certaines inégalités en favorisant un groupe
par rapport aux autres, en accordant à une population donnée un traitement
préférentiel, de manière à corriger les effets négatifs de pratiques sexistes et/ou
racistes ainsi que des inégalités socio-économiques. la discrimination positive repose sur une conception de la justice qui privilégie l'équité, soit l'égalité réelle audelà de l'égalité formelle, plutôt que la stricte égalité de t raitement. Cependant,
contrairement à d'autres pays tels que les États-Unis où la discrimination positive
s'appuie explicitement sur les caractères personnels de l'individu(« appartenance
et hnique» ou religieuse, caste d'origine), la France ne connaît que les inégalités
socioéconomiques ou territoriales, refusant ijusqu'à présent) toute référence à
l'origine ethnique des individus dans les statistiques démographiques.
Plusieurs critiques majeures de la discrimination positive doivent êt re soulignées.
Elle reste tout d'abord d'une efficacité limitée. Par exemple, aux États-Unis, les
mesures de discrimination positive n'ont pas suffi pour éradiquer la pauvreté dans
la population noire et ne peuvent justifi er qu'un nombre limité de succès individuels. En outre, la discrimination positive ne permet pas de résoudre les causes de
la discrimination, mais éradique simplement certains de ses effets. Elle peut enfin
porter préjudice aux populations qu'elle est censée favoriser en les stigmatisant
et en portant atteinte à la légitimité de leur réussite.
l'essentiel de Io culture générale
t Qu'est-ce que l'exclusion sociale ?
l'exclusion sociale est la relégation ou marginalisation sociale de personnes qui
ne peuvent s'adapter au modèle dominant d'une société et échappent ainsi à
l'ensemble des vecteurs de socialisation et d'intégration (absence de t ravail,
de revenus, de logement ... ). Elle constitue donc un processus plus ou moins
brutal de rupt ure progressive des liens sociaux. le mot « exclusion », dérive
du latin « excludere » (littéralement : « fermer l'accès »). l'exclusion sociale ne
se confond pas avec la pauvreté, le phénomène des « nouveaux t ravailleurs
pauvres » démontrant qu'il est possible de concilier faibles revenus et insertion
professionnelle. l'exclu n'est donc pas seulement pauvre, il ne participe plus
à la vie de la société. l'exclusion sociale, en privant un individu ou un groupe
d'une reconnaissance, nie son identité. l'Observatoire européen des politiques
nationales de lutte contre l'exclusion sociale défi nit d'ailleurs les politiques de
lutte contre l'exclusion comme« la création et l'ex tension des droits sociaux, afin
de rendre la citoyenneté effective ». l'absence de logement constitue la partie
la plus ostensible de l'exclusion sociale et marque fortement l'opinion publique.
la qualification de « sans-logis » ou « sans domicile fixe » a progressivement
remplacé celle de« clochard ».!.'.exclusion sociale résulte donc d'une impuissance
de la société.
Historiquement, les exclus ont longtemps été considérés hors de l'enceinte de la
ville, ce que traduisait le châtiment du bannissement, alors qu'ils sont désormais
présents dans la ville. l'exclusion sociale est ainsi physiquement intégrée à la société. À ce tit re, elle constit ue un miroir qui inquiète : les « inclus» craignent de
rejoindre un jour les rangs des exclus et sont culpabilisés de jouir du confort matériel. Ces derniers incarnent l'échec des institutions publiques, médicales, sociales
et plus généralement la faillite de l'État face à sa mission républicaine d'intégration sociale et politique. Enfi n, les exclus souffrent souvent d'une image négative,
car ils sont trop souvent perçus comme exigeant la charité, sans même souhaiter
entrer en contrepartie dans la relation de t ravail qui fonde en grande partie le
lien social.
le préambule de constitution du 27 octobre 1946, quant à lui, proclame que :
« La nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement Elle garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux
travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs.
Tout être humain qui, en raison de son age, de son état physique ou mental, de la
situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir
de la collectivité des moyens convenables d'existence. »
l'expression « exclusion sociale » semble trouver son origine dans l'ouvrage de
René Lenoir, Les exclus (1974) et complète une vision de l'exclusion précédemment uniquement cent rée sur la pauvreté. Au cours des années 1970, les concepts
Thème 19 • les voleurs
de« pauvreté multidimensionnelle» et « d'exclusion sociale» apparaissent, pour
rendre compte de la nat ure protéiforme de l'exclusion sociale. l'exclusion sociale
revêt en effet de multiples visages, interdépendants, qui s'influencent et rendent
diffi cile toute évaluation des t raitements, individuels ou collectifs, appliqués: diffi cultés d'accès à l'emploi, au logement, à l'instruction, à la culture, rejet de la
famille, sont autant d'aspects complémentaires de l'exclusion sociale.
En France, les premières mesures sociales visant à favoriser la salubrité du logement ouvrier datent du x1x• siècle. En 1949, l'appellation habitations à loyer
modéré (HLM) a été créée. Elle correspond à la reconnaissance d'un droit au logement décent et fixe de nouvelles normes du logement social. En 1955 est créé
le Mouvement de l'abbé Pierre pour les sans-logis ainsi que la fondation de la
confédération générale du logement (CGL) destinée à défendre les intérêts de
ces personnes. En novembre 1993 a été créé le Samu Social de Paris par le docteur
Xavier Emmanuelli. la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain
(SRU) du 13 décembre 2000 a notamment instauré le droit à un logement décent .
Depuis le 1" janvier 2002, les communes n'atteignant pas le seuil de 20 % de
logements locatifs sociaux doivent payer une cont ribution et s'engager dans un
plan de rattrapage.
les statistiques concernant l'exclusion sociale présentent les résultats suivants :
400 000 personnes sont sans abri en France. les SDF (8 000) à Paris ont, sans surprise, une structure par âge différente du reste de la population parisienne, avec
par exemple beaucoup moins de personnes âgées de plus de 60 ans (2 % des
hommes et 1 % des femmes ont 65 ans et plus). 17 % des SDF de Paris sont des
femmes. 57 % des SDF sont célibataires. 28 % des hommes SDF ont déclaré avoir
eu, avant la rue, une profession itinérante, les conduisant à se déplacer de ville en
ville durant des années (ouvriers du bâtiment, routiers, déménageurs, mariniers,
représentants de commerce, restauration, spectacle). Une ét ude faite en 2004
par l'lnsee montre qu'en France, 3 SDF sur 10 ont un emploi, en général précaire
(contrat à durée déterminée, intérim) et que le coût du logement les oblige à
rester dans la rue. l'enquête mont re aussi que 4 SDF sur 10 sont inscrits à Pôle emploi, et sont donc dans une dynamique de recherche d'emploi, et que seuls 30 %
des SDF en France sont réellement désocialisés.
De nombreux préjugés existent et les éclairages scientifi ques suffi samment renseignés sont trop peu nombreux. Pat rick Declerck a apporté un témoignage essentiel
sur le sujet, à partir de son expérience de clinicien au Cash (Centre d'accueil et de
soins hospitaliers) de Nanterre pendant une quinzaine d'années. l'auteur considère la clochardisation comme le symptôme d'une psychopathologie spécifi que.
Il n'a en effet observé aucun cas de « réinsertion » durable. la clochardisation,
l'alcoolisme (quasi général) et les polytoxicomanies (fréquentes) sont autant de
barrières qu'élève l'individu face à une angoisse et à une souffrance autrement
insupportables. Une politique de l'emploi volontariste n'effacera donc pas l'ex-
l'essentiel de Io culture générale
clusion. En conséquence, Declerck nuance, voire conteste les facteurs fréquemment évoqués de la désocialisation (sociologiques et psychiat riques) et dénonce
également les limites de la « réinsertion » par le travail et la règle.
Dans son ouvrage Les Naufragés (2001 ), il mont re que le terme d'exclusion conditionne les représentations en créant une véritable identité sociale générique qui
regroupe pourtant des situations de détresse t rès différentes (pauvreté, toxicomanie, chômage, délinquance, maladies mentales, handicaps ... ). Cette catégorie
«d'exclusion» a notamment pour conséquence de déresponsabiliser ces« exclus»
qui ne peuvent l'êt re de manière volontaire. Declerck conteste l'approche sociologique de l'exclusion, qui a tendance à percevoir ces exclus comme des victimes
passives de processus exogènes. li souligne que les sans-abri se caractérisent par
une pat hologie d'autodest ruction particulièrement active et rarement consciente.
l'auteur préfère donc au mot « exclusion »celui de« désocialisation », proche de
concepts tels que la« déqualifi cation» ou bien la« désaffiliation »(cette dernière
expression est présente dans l'ouvrage de Robert Castel. Les Métamorphoses de
la question sociale).
t La jeunesse est-elle une nouvelle valeur ?
la montée en puissance du « jeunisme », qui pourrait se définir comme le culte des
valeurs associées à la jeunesse et la volonté de donner une place plus importante
aux jeunes, semble avoir élevé la jeunesse au rang de valeur. Comme l'a constaté
Alain Finkielkraut dans La défaite de la pensée, les jeunes sont désormais considérés comme un « impératif catégorique » par les adultes eux-mêmes, alors même
que le rapport était encore récemment inversé. l'auteur constate d'ailleurs que
les «Anciens (.. .) ne sont pas honorés en raison de leur sagesse (comme dans les
sociétés traditionnelles), de leur sérieux (comme dans les sociétés bourgeoises) ou
de leur fragilité (comme dans les sociétés civilisées), mais si et seulement s'ils ont
su rester juvéniles d'esprit et de corps ».
le jeunisme s'exprime à t ravers de multiples codes: le langage (anglicismes, argot
des banlieues ... ), les modes vestimentaires, les références cult urelles (par exemple
le rap ou le rock concernant la musique ... ). le désir de correspondre à ce modèle
de jeunesse, socialement cont raignant, incite même certaines personnes âgées à
adopter les codes des jeunes ainsi qu'un ensemble de comportements visant à nier
leur propre vieillesse. Cette dernière est en effet vécue comme un état d'esprit et
non plus comme une réalité physiologique. le jeunisme correspond également à
une contestation des valeurs de l'adulte perçu comme porteur de valeurs fi gées
et donc sclérosées, dépréciées, au profit de valeurs dites «des jeunes », telles que
la liberté, la capacité de se révolter et l'authenticité. le jeune, à la différence de
l'adulte, combattrait le conformisme, l'hypocrisie. Cette vision ne prend évidemment pas en compte la situation de l'adolescent, qui s'oppose précisément au
monde des adultes parce qu'il en est encore exclu et qu'il cherche à s'y intégrer.
Thème 19 • les voleurs
Dans la continuité du culte de la jeunesse, il est également possible de s'interroger sur la santé en tant que valeur. Au-delà du corps, c'est effectivement le
caractère« sain» qui paraît devenir une valeur fondamentale. la« santé», d'où
provient ét ymologiquement le terme de «valeur», reviendrait au centre des préoccupations humaines, en particulier dans les sociétés industrialisées. la montée
en puissance du « bio », du «retour à la campagne »(simplicité, authenticité d'un
mode de vie parfois rude mais sain), du sport, des politiques de santé, participe
de cette approche.
t Qu'est-ce que le bonheur ?
le bonheur signifie ét ymologiquement la « bonne fortune » et correspond donc
à un schéma mental de pleine satisfaction, d'équilibre, d'harmonie, de plénit ude.
la notion de bonheur comprend une notion de durée, à la différence du plaisir
qui est toujours fugitif. le bonheur peut donc être considéré comme l'absence de
difficultés, à tout le moins significatives, ou plutôt à la perception d'une absence
de difficultés. Souffrances, troubles, préoccupation sont donc en principe étrangers à la notion de bonheur, qui se révèle donc éminemment subjective et peut se
concevoir comme une alchimie complexe.
les sources du bonheur sont donc potentiellement infi nies puisqu'elles sont propres à chaque individu, varient avec son humeur, même si la quiét ude, le plaisir, la
joie, ou d'autres sentiments positifs plus fugaces peuvent participer au bonheur.
la quête du bonheur est une antienne, que l'individualisme a largement renforcée : Pascal, dans ses Pensées, notait que la recherche du bonheur est une quête
universelle.
Historiquement, le plaisir et le confort ont souvent été confondus, à tort, avec
la valeur absolue du bonheur conçu comme « ataraxie » dans la philosophie antique. Ce terme provenant d'un mot grec signifi ant « absence de t rouble » qui
désigne l'état de paix atteint par le philosophe capable de maîtriser ses passions
et ses désirs. les épicuriens et les stoïciens considéraient l'ataraxie comme un état
suprême accessible seulement au philosophe. On constate d'ailleurs un réel succès médiatique des philosophes de l'hédonisme (par exemple Michel Onfray), qui
peut se définir comme une doctrine dont l'élément fondamental est la recherche
du plaisir.
Selon Kant, le bonheur s'oppose au devoir. Il considère en effet que le devoir ne
peut plus être considéré comme moral dés qu'il est accompli dans le but d'obtenir
une certaine félicité, d'être heureux, d'atteindre le bonheur. Kant fait la critique
de la doctrine eudémoniste qui élève le bonheur en tant que fin ultime de la vie
humaine dans la mesure où il considère que le rôle de la morale n'est pas d'enseigner aux hommes comment atteindre le bonheur, mais comment s'en rendre
dignes.
-
l'essentiel de Io culture générale
la possibilité d'accéder à un bonheur collectif a fondé de nombreuses idéologies
et religions, dans une approche souvent moralisat rice. les principes de respect du
prochain, d'acceptation de sa situation, de don de soi, sont souvent présents.
l'assimilation croissante et récente de la recherche de plaisirs et du bonheur, ainsi
que la fi n des grandes idéologies, des utopies, la perte du sens du «collectif », le
rejet des systèmes, notamment communiste, ont imprimé une vision résolument
individualiste au bonheur. Cependant, l'instit utionnalisation du bonheur, l'élévation de la recherche du bonheur au rang de quête absolue tend à normaliser,
rationaliser et donc à limiter l'intérêt initiatique de la recherche du bonheur. la
notion de bonheur aurait ainsi perdu de sa richesse.
t Existe-t-il un droit au bonheur ?
la constitution de 1793 proclame que le « but de la société est le bonheur commun» et la Déclaration d'indépendance américaine du 4 juillet 1776 indique que
la recherche du bonheur est « un des droits inaliénables de l'Homme ».
le bonheur est une idée neuve, mais une quête intemporelle. Dans ces conditions,
il est impossible de garantir un« droit au bonheur» en tant que droit-créance. Ce
droit serait en tous les cas inopposable, dans la mesure où il ne serait pas possible
de garantir son efficacité. Il faut également remarquer que le bonheur s'apprécie
malheureusement souvent a contrario: les événements diffi ciles auxquels chacun
est confronté font regretter le temps récent d'une félicité finalement mal « évaluée » par son bénéfi ciaire. En fonction du contexte (guerre, paupérisme, chômage, maladie, cataclysme), le bonheur pourra résider dans la simple joie d'êt re
encore en vie.
Dispenser le bonheur sous forme de t ranquillité était un devoir pour le roi. Chaque ordonnance royale débutait par les mots suivants« Le roi s'adresse à ses sujets
dont il a toujours voulu le bonheur... ». la Révolution française, a ensuite initié le
projet de favoriser le bonheur individuel; Saint-Just notait que le bonheur était
« une idée neuve en Europe ». le bonheur est en effet indissociable de la liberté
de l'individu. Il correspond à la possibilité qui est laissée à l'individu d'exercer sa
liberté. Cette acception du bonheur a caractérisé le Siècle des lumières, puis la
Révolution française : la recherche du bonheur est devenue une motivation acceptable, indépendante de toute acception morale, religieuse. le t ravail, la sueur,
la souffrance ont cessé de constituer des conditions déterminantes, exclusives et
légitimes de l'accès au bonheur.
Aujourd'hui, la recherche du bonheur par chaque individu est plus que jamais
une référence. le bonheur devient un but affiché, urgent, exclusif. Réussir sa vie,
c'est êt re heureux. Or le bonheur semble moins correspondre à un état de sérénité ponctuel qu'à la réussite cumulée dans différents champs d'action de l'individu. Par conséquent, le bonheur est un concept plus neuf qu'il n'y paraît, dans la
Thème 19 • les voleurs
mesure où il remplace le plaisir de l'épicurien. André Comte-Sponville considérait
que la philosophie a défi ni une manière de rechercher et de penser le bonheur et
qu'elle a ainsi rendu l'Homme conscient de sa quête.
Dès Socrate, l'un des buts principaux de la philosophie était de déterminer ce
qu'est la« vie bonne». Dans L'Éthique à Nicomaque, Aristote explique que« tout
être tend vers son bien et que le bonheur est le bien de l'homme ». Au contraire,
selon Pascal. «Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre, et nous
disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais».
le seul bonheur est alors dans l'agir. Selon Platon, en ordonnant sa vie à la vertu,
l'individu pourra atteindre un bonheur qui ne consiste pas en un simple état de
satisfaction, mais qui est l'effet d'un ordre objectif défini par le bien propre de
l'âme. Être heureux, c'est effectuer l'activité à laquelle on est destiné par nat ure.
Cette conception nat uraliste du bonheur est conditionnée par le fait que l'État
donne aux individus les moyens de se réaliser.
t Peut-on mesurer le bonheur ?
le bonheur relève intuitivement du subjectif, du personnel. Il paraît donc diffi cile
de le mesurer, sauf à l'envisager sous le strict point de vue du confort matériel,
ce qui est bien évidemment simpliste. Pourtant, on constate qu'il semblerait désormais exister un «modèle de bonheur», lié à la mode : l'individu se déclarerait
frustré tant qu'il n'aurait pas acquis différents biens. la recherche du bonheur
serait ainsi créatrice de besoins et moteur de frustrations.
Récemment, l'OCD E s'est notamment donnée comme objectif de mesurer le bonheur, ce qui revient à le ramener à sa dimension économique. Cette ambition
provient du constat selon lequel les sociétés sont de plus en plus soucieuses de
leur qualité de vie et qu'il est donc nécessaire d'intégrer dans la mesure du progrès, d'une part les indicateurs économiques tels que le PIB et, d'aut re part, les
préoccupations environnementales ou sociales. Un premier pas avait été effectué
avec la création de l'indicateur de développement humain en 1990, qui agrège,
entre autres l'espérance de vie et le niveau de formation.
Cependant, l'OCD E a réuni des spécialistes pour examiner également comment
la mesure du bien-êt re peut affecter les modèles économiques et réfléchir à la
possibilité de créer un indicateur spécifique de mesure du bonheur. la difficulté
consiste évidemment à défi nir le« niveau de bonheur» d'un pays à partir d'indicateurs. Pierre Leroy, rédacteur en chef de la revue Globeco, définissait un pays
heureux comme « Un pays où l'on vit en paix et en sécurité, où l'on vit en liberté
et où les droits de l'homme sont respectés, avec une qualité de vie importante, et
où la recherche, la formation, l'information, la communication et la culture sont
partagées par tous ». Des indicateurs seront construits à partir de cette défi ni-
tion. l'OCD Eévoquait notamment : espérance de vie, mortalité infantile, obésité,
niveau des dépenses de santé publiques et privées, chômage des jeunes, inégali-
l'essentiel de Io culture générale
t és de revenus, population carcérale, réseau de t ransport, violence rout ière, mais
aussi nombre de nuit ées comptées par les tourist es étrangers ou équipements
culturels et de loisirs.
~
En janvier 2008, le Président Sarkozy annonçait la création d'une commission
chargée d'une ét ude sur la construction de nouveaux indicateurs de croissance,
le PIB ét ant considéré comme une mesure t rop quant itat ive et comptable. Selon
l'Élysée, les « indicat eurs complémentaires » sur lesquels la commission devra
t ravailler doivent not amment permettre de « prendre mieux en compte l'impact
sur le bien-être de la dégradation ou de l'amélioration de l'environnement,
des conditions de t ravail, du niveau d'éducation, des conditions de sant é, des
inégalit és ... ». le PIB souffre de deux limit es essentielles mont rant la faiblesse
du lien ent re la croissance de la production et l'améliorat ion du bien-être: il ne
valorise pas des types d'activité ou des t emps improductifs, pourtant essent iels
pour la survie et le maint ien des sociét és et il ne s'intéresse pas à la manière
dont la contribution à la production et les revenus issus de celle-ci sont répartis
entre les membres de la sociét é. Cependant, la définition d'un indicateur de
bien-êt re est délicat e car la notion de bien-êt re possède une nat ure subjective
et mult idimensionnelle, ce qui suppose de choisir à la fois les critères les plus
pertinent s et leurs pondérations respectives, ainsi qu'une quantificat ion diffi cile.
Références bibliographiques
+ CoMTE-SPONVILLE (A.), Le capitalisme est-il moral ?, 2004.
• f1NK1ELKRAur (A.), La défaite de la pensée, 1987.
+ Gu1LLEBAuo (J.-C.), La refondation du monde, 1999.
+ l1POVETSKY (G.), Le bonheur paradoxal, essai sur la société d'hyperconsommation, 2006.
+ lvorARD (J.-F.), La condition post-moderne,
1979.
hème2
LA JUSTICE
« La justice est sociale. On /'administre avec des règles fixes et non avec /es
frissons de la chair et /es clartés de /'intelligence. Surtout ne lui demandez
pas d'être juste, elle n'a pas besoin de l'être puisqu'elle est justice. » (Anatole
France, Crainquebille)
« La loi naturelle est /'instinct qui nous fait sentir la justice. »(Voltaire, Dictionnaire Philosophique)
« La justice sans la force est impuissante, la force sans la justice est tyrannique. »
(B laise Pascal, Pensées sur la religion)
« Le droit est la plus puissante des écoles de /'imagination. Jamais poète n'a
interprété la nature aussi librement qu'un juriste la réalité. »(Jean Giraudou x,
La Guerre de Troie n'aura pas lieu)
« La justice n'existe point; la justice appartient à l'ordre des choses qu'il faut
faire justement parce qu'elles ne sont point. »(Alain, Propos)
-
1.
Définitions
le mot justice provient du lat in « justit ia », dérivé de « just us », « conforme au
droit (jus) ». Il faut distinguer la justice en tant que valeur et la justice entendue
au sens d'institut ion judiciaire.
la justice en t ant que valeur comprend une dimension morale forte. la justice implique une prédominance du bien sur le mal. la nécessit é de donner à chacun ce
qui doit lui revenir d'un point de vue moral. Elle est indissociable de ses ambitions
de paix et de cohésion sociale. la justice dépasse ainsi le cadre juridique, normatif
et le droit positif d'un État : par exemple, la désobéissance civile nous incitera à
nous rebeller contre une autorité qui instituera des règles en contradiction avec
notre « sens de la justice ». N'a-t-on pas qualifié les résistants à l'occupant nazi
de « Justes » ?
la justice est cependant étroitement liée au droit . le mot « droit » provient,
quant à lui, du lat in« di rectum »,qui signifi e« ce qui est juste». le droit, au sens
objectif, peut se définir comme l'ensemble des règles dont le respect est sanct ionné par la puissance publique, régissant le comportement et les relations des
membres d'une communauté donnée à une époque donnée. le mot est également ut ilisé, dans une accept ion extensive, pour désigner l'ensemble des rapports
humains faisant l'objet d'une étude juridique. !.'.instit ution judiciaire exploite le
droit afi n de préserver le vivre ensemble. Elle« rend la justice» d'après un corpus
l'essentiel de Io culture générale
de règles, de normes. l'objectif de l'instit ution judiciaire est bien de garantir la
cohésion sociale et non d'intervenir afi n de rendre une sit uation plus« juste».
Historiquement, l'empereur romain, puis le seigneur au Moyen Âge bénéfi ciaient
du pouvoir de rendre la justice. le roi a ensuite affermi son pouvoir de justice,
mais sans abolir le principe de la justice seigneuriale. Au xv1• siècle ont été dissociées la « justice retenue », rendue directement par le roi et la « justice déléguée », exercée au nom du roi. Parallèlement à la justice royale, il existait également une justice ecclésiastique qui a progressivement accru ses pouvoirs. D'abord
compétent pour régler les litiges concernant les membres de l'Église et les crimes
contre la foi, le pouvoir judiciaire de l'Église s'est ensuite étendu aux contentieux
concernant les sacrements, avec une multiplication des juridictions religieuses (les
«offi cialités», les« bureaux diocésains»).
Depuis la Révolution française, la justice émane désormais indirectement
du peuple. La nuit du 4 août 1789 supprima les justices seigneuriales et la loi
des 16-24 août 1790 organisa une carte judiciaire simplifi ée. Puis la « justice
napoléonienne» bouleversa profondément l'institution judiciaire française avec la
codification du droit (rédaction du Code civil en 1804). les juges furent désormais
nommés, avec un statut différent selon qu'ils appartenaient au siège, avec une
garantie d'inamovibilité, ou au parquet. En 1946, la Constit ution instaura un
Conseil supérieur de la magistrat ure pour garantir l'indépendance des magist rats
et conforter le principe républicain de la séparation des pouvoirs. les t ribunaux
administratifs ont enfin été créés en 1953.
-
:z. Problématiques
t Quelles sont les évolutions de l' institution judiciaire ?
la montée en puissance de l'instit ution judiciaire est relativement récente. Jusque
dans les années 1950, le juge cédait aisément la place à la volonté générale, marque d'une tradition républicaine forte. Au contraire, on constate actuellement
une juridiciarisation des rapports sociaux. le droit et le juge sont devenus des
références normatives, au détriment de valeurs morales qui se sont affaiblies. les
juges sont de plus en plus sollicités pour pacifier les rapports sociaux, mais également pour prendre part dans la construction du droit national. la montée en
puissance du juge constitutionnel est à ce tit re symptomatique.
le système judiciaire est ainsi un arbit re largement plébiscité, malgré la lenteur
des procédures, et préféré à des arbit res gracieux, qui, même si leur développement est incontestable, ne représentent pas encore une alternative crédible
notamment par manque de publicité et de moyens. Rendre la justice comporte
en effet une dimension symbolique forte, synonyme de continuité, de stabilité,
d'objectivité, ce qui rassure l'opinion publique.
Thème 20 • Lo j ustice
Cette juridiciarisation des rapports sociaux est le signe d'une crise des moyens
t raditionnels de résolution des conflits. En particulier, le Politique ne remplit
plus nécessairement son office, manifestation probable d'un développement des
droits civils, cont ractuels, au détriment des droits politiques et libertés publiques
t raditionnels. le recours croissant au juge en vue de réguler le débat public permet
au contraire de dépolitiser les conflits de valeurs et de les ramener à des diffi cultés
techniques. De plus, dans la mesure où l'individualisme entretient une crise des
valeurs, la résolution politique des conflits est moins aisée, ce qui incite à recourir
au juge. Cependant, la régulation juridictionnelle ne retire pas à tout conflit sa
dimension politique, elle t ransforme simplement le rapport de force. !.'.arbit rage
du juge reste en effet d'essence politique, ce qui t ransparaît d'ailleurs à t ravers la
jurisprudence, particulièrement perméable au contexte socio-économique.
le recul de l'État a également influencé directement le périmètre d'intervention
des juges: la décentralisation de l'organisation territoriale, la crise de l'État-providénCé, là fi n du contrôlé dé là vié économiqué qui s'opérait à t ràvérS lés aidés
d'État et les nationalisations, a conduit à préférer la régulation juridictionnelle des
confl its plutôt que la régulation administrative. les acteurs privés se sont mont rés
davantage présents et donc susceptibles d'ent rer en confl it : les différents qui
concernaient auparavant deux services administratifs et qui étaient donc réglés
au sein même de l'administration ont été portés devant le juge.
Parallèlement à cette extension du recours au juge, l'intangibilité de la loi et
l'infaillibilité du législateur ont été radicalement remises en cause. la jurisprudence
elle-même a utilisé son pouvoir d'interprétation des textes législatifs de manière
particulièrement large, jusqu'à créer de nouvelles règles. En matière de droit
social par exemple, a été évoquée l'existence d'une véritable« doctrine sociale»
de la Cour de cassation. la personnalité de certains magist rats, à l'origine de
ce développement du droit prétorien, a même incité certains commentateurs
à noter avec ironie que les plus fameux parlementaires étaient désormais des
magistrats.
Par ailleurs, la multiplication des normes, qui se sont sédimentées sans réelle cohérence, appelant des réformes successives (par exemple, la récente réforme du
Code du t ravail) encore ineffi caces, crée une insécurité juridique dont le juge est
lui aussi victime. Cependant, l'infl ation normative semble partiellement inéluctable dans la mesure où les innovations technologiques (par exemple les nouvelles
technologies de l'information et de la communication (NTIC), transports ... ) créent
des besoins croissants de réglementation. De plus, la mobilité accrue des hommes,
des capitaux, des entreprises, des savoirs, le rythme accéléré de la vie économique, l'internationalisation des échanges conduisent à un contentieux croissant . la
diffi culté technique des affaires soumises aux juges s'est aussi renforcée, nécessitant un recours de plus en plus fréquent à des expertises. les juges jouent donc
un rôle de plus en plus important dans des domaines qui leur sont techniquement
ét rangers.
mm
l'essentiel de Io culture générale
Enfin, la reconnaissance juridique de plus en plus fréquente de nouveaux droits
et libertés par le législateur, parfois dans des domaines relevant de la vie quotidienne et générant potentiellement des difficultés importantes (problèmes de
voisinage, nuisances sonores ... ) a conduit à poser le juge en arbit re nat urel de
l'application de ces droits, au détriment de réseaux sociaux traditionnels (par
exemple : voisinage, profession, famille). Cette évolution se t raduit par une infl ation du contentieux. Ent re 1970 et 1990, le volume des affaires déférées aux
juridictions civiles françaises a t riplé.
Il faut également souligner que la justice pénale s'est largement développée
au cours des 30 dernières années. la fonction répressive du juge pénal s'est vue
complétée par des fi nalités sociales telles que la réhabilitation et la réinsertion
du coupable. les peines ont été diversifiées afin de mieux correspondre à ces
nouveaux objectifs : travaux d'intérêt général, stages de réinsertion, t raitements
médicaux, mises à l'épreuve ... le périmèt re du droit pénal s'est également élargi, au point que l'on a pu évoquer une véritable pénalisation du contentieux :
actuellement, de nombreux textes de lois, dans la plupart des branches du droit,
renvoient directement au Code pénal, parfois sans précision suffi sante. Ces renvois permettent une application potentiellement très large des textes pénaux.
Sont plus particulièrement concernés: le droit des affaires (avec l'abus de biens
sociaux, délit d'initiés, manipulation de comptes sociaux... ), le droit du t ravail
(harcèlement, discrimination, sécurité et conditions de t ravail ... ), le droit de la
famille (violences conjugales, abus sur mineurs ... ).
t Quelles sont les critiques formulées envers l' institution
judiciaire ?
Un sondage IFOP de mai 2008 permet d'objectiver la perception de l'institution
judiciaire par l'opinion publique. 63 % des personnes interrogées déclarent faire
confi ance à la justice essentiellement parce qu'elle est accessible à tous et rendue
par des magistrats compétents. En revanche, les principaux motifs de défiance
portent sur l'existence d'une« justice à deux vitesses», t rop lente, t rop coûteuse,
sa complexité du fonctionnement, les difficultés d'exécution des décisions judiciaires et l'insuffi sante prise en charge des justiciables. Paradoxalement, 59 % de
sondés sont satisfaits de son fonctionnement mais 63 % recommandent une réforme partielle. les attentes d'amélioration de la justice se focalisent surtout sur
la mise en place d'un code de règles déontologiques pour les magistrats (94 %),
l'augmentation des effectifs hors magistrats (greffi ers, éducateurs ... ) (92 %) et
une plus grande spécialisation des magistrats (92 %).
En France, les attentes massives exprimées envers le juge semblent en partie déçues du fait de sa capacité encore insuffi sante à participer effi cacement au règlement collectif des problématiques de violence et d'exclusion sociale. les réformes
se sont pourtant succédé au chevet de l'instit ution judiciaire, sans réellement ré-
Thème 20 • Lo j ustice
pondre à plusieurs difficultés : la justice souffre d'un engorgement chronique, de
lourdeurs administratives, de délais d'attente interminables. le taux d'affaires
élucidées est trop faible en matière pénale (moins de 40 %), les délais de détention provisoire criminelle t rop longs (environ 2 ans), les prisons surpeuplées, insalubres (la France est régulièrement condamnée à ce tit re par la Cour européenne
des Droits de l'Homme). la justice est également accusée d'inefficacité dans son
rôle de réinsertion (ent re 30 et 60 % de récidive).
la justice est également parfois accusée« d'êt re à deux vitesses». Cette critique
d'une justice qui serait adaptée à son destinataire, privilégiant les puissants au
détriment des faibles avec lesquelles elle serait volontiers plus sévère, revient régulièrement dans l'opinion publique lors de procès cristallisant l'attention W . des médias, notamment concernant les hommes politiques, sans que ces doutes
soient jamais confirmés objectivement : par exemple, près d'une dizaine d'anciens
ministres ont ainsi été mis en examen ou condamnés par la justice au cours des
20 dernières années.
Par ailleurs, la réglementation du fi nancement des partis politiques depuis 1988
ainsi que le développement du droit des sociétés en matière de gouvernance
d'entreprise et de répression des abus de biens sociaux ont permis au juge,
notamment pénal, d'ent rer en profondeur dans le fonctionnement des part is
politiques. le pouvoir du juge d'instruction français n'a cessé de s'étendre,
conduisant à une inversion des rapports de force entre le personnel politique
et la magistrat ure. Traditionnellement mal protégés contre les interférences
de la chancellerie dans le déroulement de leur carrière (notamment du fait
de l'alternance parquet-siège), malgré le Conseil supérieur de la magistrat ure,
les magistrats français ont vu leurs garanties d'indépendance sensiblement
renforcées. Néanmoins, une cont repartie à cette montée en puissance des juges
dans les affaires économiques et politiques est apparue dans les accusations
portées cont re certains juges devenus de véritables stars médiatiques, d'ailleurs
sollicités à leur tour pour prendre des responsabilités politiques.
l'influence croissante du système judiciaire voit corrélativement se développer les
mises en cause de sa responsabilité. On se souviendra par exemple de la mise en
cause du procureur de la République dans le procès d'Out reau, qui avait vu à tort
plusieurs personnes condamnées à la prison concernant une affaire de pédophilie
car l'instruction avait été mal conduite. Ce phénomène est renforcé du fait que la
responsabilité des juges augmente parallèlement aux attentes de la population.
la nécessaire responsabilisation des juges découle de leur participation au « monopole de la violence légitime» (Max Weber, Le savant et le politique) puisqu'ils
ont le pouvoir de priver de liberté les personnes ayant enfreint les normes.
En outre, la judiciarisation de la société recèle un paradoxe puisque d'un côté, la
sanction judiciaire est de plus en plus érigée en norme principale sinon unique
en matière de résolution des litiges, et que, de l'autre, l'institution en charge de
l'essentiel de Io culture générale
la justice fait l'objet de nombreuses attaques de la part des acteurs du monde
politique. l'attitude souvent hostile de ceux-ci découlerait de l'indépendance t rés
grande de l'institution judiciaire vis-à-vis de l'État (du fait de l'affaiblissement relatif de ce dernier), ainsi que de la mise en cause de la responsabilité individuelle
de certains hauts responsables politiques par la justice ou du soupçon de politisation de la magistrat ure.
l'intervention croissante du juge dans la vie sociale pose ainsi de façon accrue
la question de sa légitimité. En effet, le juge incarne en France une expertise
technique neutre, apolitique, au contraire du système américain, par exemple,
dans lequel une partie des juges de premier degré sont élus et dans lequel les
nominations des magistrats de la Cour Suprême constituent un acte politique. Au
contraire, en France, les magistrats ne prennent pas position, ne s'engagent pas,
mais doivent simplement faire respecter la règle.
• Existe·t-il une mise en scène de la justice ?
la justice est régulièrement mise en scène, notamment dans la culture populaire
américaine (séries, romans, par exemple ceux de J. Grisham). l'utilisation d'accessoires (perruques), qui« impersonnalisent » le magistrat d'habits (robes noires ou
pourpres, proches des codes chromatiques de la religion catholique) et de lieux
prestigieux (salles des t ribunaux souvent de grande taille), renforcent l'apparence
solennelle de la fonction.
le déroulement de l'audience répond d'ailleurs à certains rit uels, puisque les magistrats sont annoncés et que le public se lève à leur ent rée. les décisions de
justice elles-mêmes répondent à un formalisme spécifique en termes de vocabulaire, de formulation et de présentation. Elles nécessitent souvent l'interprétation
d'experts, ce qui renforce leur portée symbolique.
Cette mise en scène, parfois proche des codes religieux, renvoie également au
lien unissant morale et justice. le juge exerce une action morale autant que juridique, étant tit ulaire d'un magistère dans lequel l'infraction à la règle se confond
avec l'immoralité, et la sanction se confond avec le châtiment (spirituel, social,
moral, corporel). le pouvoir de contraindre, physiquement (emprisonnement),
fi nancièrement (dommages-intérêts), dans l'ordre d'agir ou de s'abstenir, incarne
une puissance morale forte, renforcée par les origines religieuses de l'action de
juger. On se souviendra que, jusqu'au xv111• siècle, la sanction pénale renvoyait à
une sanction morale. la sécularisation de la justice (Cesare Beccaria, Des délits et
des peines, 1797), dans sa dimension pénale, est récente.
t L'avenir du juge est-il dans la justice internationale ?
la justice pénale internationale a pour objectif de réprimer les crimes qui touchent l'ensemble de la communauté internationale. Sont susceptibles d'entrer
dans cette catégorie les crimes qui ont porté atteinte à l'Homme en tant que
Thème 20 • Lo j ustice
valeur: le crime contre la paix, l'ensemble des crimes contre l'Humanité dont le
génocide, les crimes de guerre ... On perçoit donc aisément que la création d'institutions judiciaires internationales chargées de sanctionner ces crimes heurte les
prérogatives des juridictions nationales. la justice relève en effet t raditionnellement des prérogatives régaliennes.
les juridictions internationales sont d'ailleurs souvent perçues comme impuissantes face aux enjeux diplomatiques et commerciaux que défend chaque État .
Cependant, on constate une montée en puissance progressive de l'infl uence de
ces juridictions, souvent portées par des magist rats charismatiques (on pensera
notamment à Carla Del Ponte, procureur général du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie), nourrie par l'attention de plus en plus marquée des
médias comme de l'opinion publique. Il faut également noter une multiplication des actions engagées: juridictions ad hoc (tribunal de Nuremberg, t ribunaux
pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda), mise en cause d'anciens dictateurs (Chili,
Cambodge ... ). Enfi n, la création de la Cour pénale internationale est également
le signe d'une stabilisation et d'une arrivée à mat urité du concept d'institution
judiciaire internationale. Pour mémoire, la Cour a été créée par le Traité de Rome
(1998) et possède une existence légale depuis 2002. Plus d'une centaine d'Ét ats
ont accepté son autorité.
la justice pénale internationale est, quant à elle, longtemps restée un mythe,
mais la mondialisation de la communication a renforcé les solidarités des opinions publiques vis-à-vis de crimes commis à l'étranger. l'impunité des anciens
dictateurs et chefs de guerre a cristallisé l'opinion publique internationale, les
médias, les intellectuels, et par pressions interposées, les gouvernements et institutions internationales. Pinochet au Chili, leaders africains et yougoslaves ont,
entre autres, créé certains précédents. la création de juridictions internationales
ad hoc et l'affi rmation de la compétence universelle des juridictions nationales
ont apporté un début de réponse.
les premiers projets de juridictions internationales datent de la fin du xix• siècle. la
première formalisation date de 1919 : une stipulation du t raité de Versailles, inappliquée, prévoyait la création d'un t ribunal international pour juger Guillaume Il.
En 1945, le Tribunal de Nuremberg est créé afin de juger des crimes de la Seconde
Guerre mondiale, qualifi és de « crimes dirigés contre l'humanité ». la Guerre
froide a ensuite freiné les avancées dans ce domaine : la convention de Genève
du 9 décembre 1948 sur la prévention et la répression du crime de génocide prévoyait la création d'une cour criminelle internationale permanente mais n'a pas
été appliquée. la montée en puissance de l'importance des droits de l'Homme
dans l'opinion publique, la nécessité de favoriser la réconciliation nationale dans
certains pays et la multiplication de régimes démocratiques va au contraire favoriser des progrès dans les années 1990. Par exemple, en 1993 et 1994, le Conseil
de sécurité de l'ONU a créé des t ribunaux pénaux internationaux ad hoc pour
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l'essentiel de Io culture générale
juger les crimes commis en ex-Yougoslavie (TPIY) et au Rwanda (TPIR). l'actualité
plus récente, de l'affaire Pinochet au jugement des dirigeants khmers, ou bien de
Rwandais coupables de génocides (en Belgique), a mont ré une activité de plus en
plus importante, à défaut d'êt re toujours efficace, dans ce domaine.
Depuis la fi n de la Seconde Guerre mondiale, 9 juridictions pénales internationales ont été créées afin de juger les personnes physiques responsables de crimes
internationaux. Malgré le fait que ces juridictions pénales soient stat utairement
indépendantes, elles fonctionnent grâce à la contribution financière des États ou
de l'ONU.
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l'action des juridictions pénales internationales est complémentaire de celle des
juridictions nationales: les juridictions nationales sont en effet les premières compétentes pour réprimer les crimes internationaux. les juridictions pénales internationales ont été créées pour pallier les défi ciences des États membres même
si, de par leur stat ut, leur action dépend de la coopération financière des Ét ats
ou de la volonté du Conseil de sécurité. Par ailleurs, l'assistance des Ét ats leur
est indispensable pour préserver et rechercher les preuves, arrêter les inculpés,
protéger les témoins et exécuter les arrêts rendus. En out re, les justices nationales
sont souvent confrontées à des difficultés telles que le manque d'impartialité, la
volonté de réconciliation nationale (avec la mise en place de commissions-vérité
se substituant à la justice, par exemple en Afrique du Sud en 1995), les lois d'amnistie, l'immunité juridictionnelle des représentants en exercice ...
les missions qui ont été assignées à la justice pénale internationale sont : prévenir
le crime, entendre et protéger les victimes, témoigner pour !'Histoire. les avancées
de la justice internationale mobilisent de plus en plus l'opinion publique, mais
également de nouveaux acteurs comme les ONG. les médias se sont également
progressivement intéressés aux activités des juridictions pénales internationales.
l'impact médiatique de ces dernières joue d'ailleurs un rôle préventif, bien que
diffi cilement mesurable, et renforcera sans doute la légitimité des compétences
nationales en matière de crimes internationaux.
les critiques adressées aux juridictions internationales sont nombreuses et récurrentes : manque de moyens, lieu des procès t rop éloignés des lieux de crimes et
des victimes, lenteur des procédures, inculpations trop sélectives, peines prononcées trop peu hiérarchisées ... les velléités d'étendre les compétences de la CPI
à de nouveaux crimes (crimes de terrorisme, crimes de t rafi c de drogues, crimes
à caractère économique ou environnemental) se heurtent à ses capacités matérielles de les juger. En effet, à la différence des juridictions ad hoc créées par une
résolution du Conseil de sécurité, les ressources de la CPI dépendent de la cont ribution des États Parties fixée selon les règles du budget ordinaire de l'ONU ou
encore de cont ributions volontaires. Concernant l'équilibre entre diplomatie et
justice internationale, la possibilité réservée au Conseil de sécurité de l'ONU de
suspendre une enquête ou de bloquer la poursuite d'une affaire de la CPI pour
Thème 20 • Lo j ustice
une durée maximale de deux ans fait encore primer l'action de la diplomatie sur
la justice internat ionale. les perspectives de la justice pénale int ernationale dépendent largement de la coopération des États membres.
Références bibliographiques
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Imprimé i!n Franéi! -JOUVE,. I, rue du Docteur Sauvé, 53 100 l\•IAYENNE
N <1 2 J45845Y - Dépôt légal: février2014
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L'essentiel
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ftilhiii.F
culture générale
Les 20 thèmes incontournables
des épreuves de culture générale
Vaste domaine que la culture générale ! Elle fait l'objet d'une épreuve
redoutée par les candidats qui doivent la passer.
C'est pourquoi l'auteur a retenu les 20 thèmes fondamentaux,
incontournables, qui constituent les principales sources d'inspiration des
sujets d'examen. S'intéresser à ces sujets permettra à l'étudiant d'initier un
travail de préparation efficace de ses épreuves de culture générale.
Chaque thème est traité de manière identique : après une définition des
termes, l'auteur a choisi d'aborder chaque notion à travers le prisme d'un
questionnement simple, afin de mieux en éclairer l'actualité. Cette approche
aide le lecteur à s'approprier pleinement les notions abordées et à les
inscrire dans une problématique personnelle, cohérente et
raisonnablement originale.
Il ne s'agit pas de se substituer à la réflexion de l'étudiant en lui offrant un
raisonnement • clé en main • mais, au contraire, de lui proposer pour
chaque thème une démarche itérative qui ouvre sur des interrogations
supplémentaires. Cette démarche rend le candidat intelligent et pas
seulement savant.
Jean-Philippe Cavai/lé est diplômé de l'IEP de Paris, de /'ESSEC et titulaire
d'un DEA en droit social de l'Uriversité Paris Il Panthéon-Assas. Arcien
moniteur en droit privé et chargé d'enseignement dans plusietrs
établissements, il prépare les étudiants aux concours.
Réussir
1 11111 11 1 1 11~ 1111 ~I~
9 782297 032834
mon concours
Prtx11 e:
ISBtJ 978·2·297·03283·4
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