80°C. Cette idée était alors une constatation usuelle ; elle était fondatrice des principes de la pasteurisation et de la
stérilisation (débactérisation thermocontrôlée) ; elle était parfaitement expliquée par la dénaturation thermique des
macromolécules biologiques (coagulation des protéines ou dénaturation des acides nucléiques, par exemple). Ces
organismes extrémophiles vivaient bien au-dessus de la limite présupposée “stérile” à l'époque.
Cette vie dans des milieux présupposés létaux, pose d'ailleurs un problème aujourd'hui dans le milieu médical car
les microorganismes regroupés en biofilms représentent de graves menaces pour notre santé. En effet, quand un
biofilm se développe, les bactéries qu'il contient peuvent devenir insensibles aux antibiotiques, plus insensibles
que des bactéries isolées, ce qui peut engendrer des infections chroniques. Ce sont les grands responsables des
maladies nosocomiales. En France, environ 6 % des patients subissent une infection bactérienne lors d'une
hospitalisation. Elles provoqueraient environ 3 000 à 6 000 décès par an (Sauer, 2018 [22]).
La découverte de ce nouveau champ du vivant a alors déclenché une
« chasse aux extrémophiles »
au sein des
milieux extrêmes. Elle a abouti à la découverte d'une diversité inouïe, complètement inattendue. On découvre alors
que beaucoup de ces microbes, s'ils ressemblent morphologiquement à des bactéries telles qu'on les définissait à
l'époque, n'en sont pas. Vis-à-vis de leur génome, de leur métabolisme…, beaucoup de ces organismes sont très
éloignés des bactéries “classiques”. À cause de leur métabolisme singulier, supposé à l'époque être très primitif, sur
la base des anciens modèles de la composition de l'atmosphère terrestre d'il y a 3 à 4 milliards d'années et
possiblement présente là où vivaient les premières formes de vie, Fox et Woese baptisèrent ce groupe
Archaebacteria
et proposèrent que le monde vivant se divise en trois super-règnes : les
Eubacteria
, les
Eucarya
et
les
Archaebacteria
. Des deux micro-organismes étudiés par Thomas Brock (
Thermus aquaticus
et
Sulfolobus
acidocaldarius
), le premier s'est avéré être une bactérie, et l'autre une archée.
Cette découverte des extrémophiles a ainsi conduit à une professionnalisation méthodologique et conceptuelle en
microbiologie moléculaire en proposant une phylogénie du vivant. Celle-ci est fondée sur le séquençage de l'ARN
ribosomique. Certains de ces gènes (ARNr 16S et 18S) ont été retenus comme marqueurs taxonomiques standards. Le
gène encodant l'ARN ribosomique (16S chez les “procaryotes” et 18S chez les eucaryotes) a, en effet, la particularité
d'être présent chez tous les êtres vivants. Il existe aujourd'hui une banque de données de plusieurs millions d'ARNr
16S et 18S. En comparant sa séquence chez différents organismes, on peut construire des arbres phylogénétiques,
c'est-à-dire quantifier les relations de parenté entre organismes. La longueur des branches des arbres
phylogénétiques indique la distance génétique (c'est-à-dire évolutive) entre les organismes. L'arbre phylogénétique
ainsi obtenu a créé une surprise importante. En effet, on a découvert que tout le groupe d'organismes appelés
archées, dont la morphologie ressemblait beaucoup à celle des bactéries classiques, se retrouvait isolé, distant à la
fois des bactéries classiques (qu'on appelait procaryotes quand elles étaient les seules cellules sans noyau) et des
eucaryotes, qui rassemblent la plus grande diversité morphologique (plantes, champignons, animaux et micro-
organismes eucaryotes). Cela remettait en question la traditionnelle représentation des relations entre organismes
vivants. On a découvert depuis que ces organismes n'étaient pas du tout les premiers, qu'ils dérivaient d'évolutions
complexes, mais le nom historique d'archée, consacré par l'usage, demeure. Et les généticiens proposent
aujourd'hui que les archées soient plus proches des eucaryotes que des bactéries (cf. figure ci-dessous). Les
Archaea
sont présents dans tous les milieux et dominent la biomasse de certains d'entre eux, comme l'océan
profond par exemple.
Source - © 2018 Inspiré de P. Forterre, S. Gribaldo, C. Brochier / Médecine sciences (2005)
Figure 5. Figure 5. Arbre Arbre phylogénétique théorique du monde vivant cellulaire (le monde des virus n'est pas pris enphylogénétique théorique du monde vivant cellulaire (le monde des virus n'est pas pris en
compte), basé sur l'analyse compte), basé sur l'analyse comparative des gènes ARNr et montrant la séparation des bactéries, des archées, et descomparative des gènes ARNr et montrant la séparation des bactéries, des archées, et des
eucaryotes (en eucaryotes (en rouge)rouge)
Le cénancêtre représente la position du dernier ancêtre théorique commun à tous les êtres vivants actuels