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Nicoletta Diasio, Virginie Vinel La préadolescence : un nouvel âge de la vie ?
leur nouveau statut. Et que dire alors
de la quatrième et de la troisième où
se prole le passage au lycée ? L’élabo-
ration des âges et de leurs scansions
donne à lire ainsi une vision du temps
mesuré, morcelé, aux échéances qui se
succèdent et où les intervalles priment
sur la durée, comme le décrit Nicoletta
Diasio.
Par les âges, nous pouvons réé-
chir à la temporalité inhérente aux
processus sociaux de catégorisations
et aux visions du temps qui se rencon-
trent dans les expériences singulières.
Ainsi l’idée que l’existence humaine
s’échelonne par des périodes de sept
ans s’ancrait dans une correspondan-
ce entre microcosme et macrocosme,
entre mouvements célestes, terrestres
et corporels3. Depuis le xixe siècle, une
pensée du développement répandue
dans la psychologie, la physiologie ou
la pédagogie, dénit d’autres rythmes
et stades à travers lesquels la croissance
d’un individu normal et / ou moyen
est évaluée (Turmel 2013). Déplacer
le regard des savoirs experts et des
transitions institutionnelles aux expé-
riences des enfants, au plus près du
vécu de leur corps qui change, révèle
encore une autre vision du grandir où
le processus prime sur l’événement et
où le devenir entre en tension avec les
formes sociales d’encadrement et de
régulation. Dans les échanges en ligne
entre « préadolescents » et entre ces
derniers et des médecins, analysés par
Donatella Cozzi, transparaît leur di-
culté de mettre en mots le changement,
sa uidité et ses aléas, mais aussi l’ur-
gence de leurs questions autour d’un
corps inconnu, d’une sexualité émer-
gente ou de l’incertitude des âges. Mais
ces récits constituent aussi – comme
les témoignages reportés par Nico-
letta Diasio –, pour les enfants, une
manière de résister aux images que les
adultes élaborent sur eux (les étapes
du développement, de la puberté, les
scansions scolaires), de dire « je suis
là ! » et de proter autant des avanta-
ges de l’enfance que des promesses de
l’adolescence.
Raconter la uidité du temps et
l’instabilité des métamorphoses biolo-
giques, leur donner corps à travers des
indices visuels, constitue également
un dé pour les professionnels de la
communication, « obligés de codier,
normaliser et modéliser les variations
innies des corps individuels et de
stabiliser les frontières d’un âge incer-
tain », comme le montre Simona De
Iulio dans son article. Les bornes d’âge
varient alors selon les spécialistes du
marketing : 8-12 ans pour certains,
8-14 pour d’autres, 11-12 ans pour
d’autres encore. Dans le cas des recon-
gurations relationnelles décrites dans
la presse enfantine et analysées par
Myriam Klinger et Louis Mathiot, le
travail du temps se présente comme
tout en douceur, progressif, renvoyant
à une idéologie de la nature comme
grande régulatrice des transformations
corporelles et des nouveaux rapports
entre adultes et enfants. Pour esquiver
les conits, désamorcer la crise, les
frontières des âges sont, dans ce cas,
escamotées et leur relativité soulignée.
Guider l’instabilité de l’adolescence est
au cœur des pratiques et des représen-
tations des Touaregs Kel Aggar, décri-
tes par Cristina Figueiredo. Cet « âge
en train d’atteindre » se caractérise
par une incorporation de rôles sexués
qui modie les postures corporelles
et réaménage les relations entre les
personnes de genre et d’âge diérents :
le trouble, l’imprévu, l’ambiguïté peu-
vent s’installer dans les plis de la vie
ordinaire.
Cette période de la vie permet alors
de penser d’autres transitions biologi-
ques et sociales marquées par l’incer-
titude et l’instabilité – la ménopause
par exemple (Diasio, Vinel 2007). Elle
montre également à quel point, mal-
gré la valeur socialement accordée à
la exibilité et au « devenir » dans les
sociétés européennes et nord-améri-
caines (Martin 1994, Lee 2001), nous
sommes très loin d’une conception
comme celle des Matis du Brésil qui
donne priorité à la métamorphose et
à la « formation continue de l’être, où
l’accent n’est pas mis sur le passage
d’un état à l’autre (avec rupture forte
entre un avant et un après), mais plu-
tôt sur le caractère lé du processus »
(Erikson 2003 : 139). Par le détour
d’autres sociétés, ces représentations
du temps biographique mettent en
lumière « cette forme de pouvoir,
[qui] s’exerce sur la vie quotidienne
immédiate, qui classe les individus en
catégories, les désigne par leur indivi-
dualité propre, les attache à leur iden-
tité, leur impose une loi de vérité qu’il
leur faut reconnaître et que les autres
doivent reconnaître en eux » (Foucault
2001 : 1046).
Catégories plurielles et
agentivité des enfants n
Etudiant les champs des médias, de
l’iconographie, du scolaire, de l’épi-
démiologie, de la médecine, de l’ani-
mation, les articles font état de formes
de catégorisations et de marquages
temporels qui ne sont pas congruents,
de même que la vie sociale s’appa-
rente à un feuilletage de champs qui se
superposent en se recoupant ou non.
Ainsi, les médias de la presse juvénile
rencontrent les médecins et psycho-
logues des sites internet français et
italiens, pour proposer une dénition
du grandir comme un développement
linéaire, « naturel », rassurant, indivi-
dualisé, parsemé de crises qu’il faut
prévenir, grâce aux experts notam-
ment (psychologues, médecins, inr-
mières scolaires, autre tiers). Si l’on
porte la focale sur la scolarité (qui
occupe une part considérable de la
vie des enfants et des jeunes), l’entrée
au collège par ses rites d’institution
se révèle un marqueur temporel fort
qui agit autant sur le statut de l’enfant
(élève-collégien), ses inquiétudes et
anticipations que sur les changements
d’attitudes des parents dans ce qu’ils
autorisent à leurs enfants (en France)
en matière d’individualisation des pra-
tiques culturelles.
On constate que selon la focale
des recherches, sont mis en avant des
ruptures, des moments de passages
(turning point) ou des changements
plus continus ; nulle part en tout cas,
les chercheurs de ce numéro n’ont
trouvé une dénition stabilisée, ni des
âges, ni du contenu de ce qui pourrait
être une catégorie « pré-adolescent ».
Partout le ou des âges et de la séman-
tique, la confusion des termes (pubère,
préado, ado, enfant, jeune) transpa-
raissent. Et pourtant, cet ensemble de
termes, qui sépare et agrège les enfants
dans des catégories, existe. L’article de