Se former Pour enseigner Patrice Pelpel 3ème édition Entièrement revue et argumentée DÉFINIR DES OBJECTIFS PEDAGOGIQUES 15 De jouer la même partition ! C'est le domaine de l'interprétation, de la diversité, des priorités et des choix de l'enseignant. Le plus souvent, lorsqu'on lui demande de préciser ses objectifs, ce sont ses intentions qu'il annonce :« Faire aimer Victor Hugo aux élève », « leur apprendre à faire une dissertation » ou « leur faire comprendre les causes de la Révolution française » ... Si, à ce niveau, une certaine différenciation est possible, on ne se trouve pourtant pas dans le domaine de l'arbitraire et de la pure fantaisie : son action doit tendre à réaliser les buts de l'enseignement ; il lui appartient donc de les connaître, et de mettre en œuvre les moyens qui lui semblent les plus adaptés pour les atteindre. Sauf à devenir schizophrène ou paranoïaque, son projet ne peut être opposé à celui de l'institution : c'est en ce sens qu'il est professeur de français, de mathématiques ou d'éducation physique. L'enseignement est pavé de... bonnes intentions Les choses paraissent donc simples, alors que c'est pourtant là qu'elles se compliquent, cor l'enseignant n'est pas un simple engrenage qui démultiplie au niveau des élèves les buts de l'éducation sans les modifier. Par le fait qu'il est une personne, il a une part de libre arbitre, une zone franche qui constitue son aire de liberté, mais comporte aussi, par là-même, un risque. Cette indétermination qu'il introduit dans le processus d'enseignement se développe selon trois axes principaux : - il s'agit d'abord de la zone trouble qui sous-tend ce que D. Hameline (1982) décrit comme l'intention d'instruire et le désir d'aider ; c'est la manière personnelle dont l'individu investit le fait même d'avoir à enseigner, avant d'enseigner ceci ou cela. Ici déjà tous les enseignants ne sont pas sur le même plan, ni par rapport au savoir que représente leur discipline, ni par rapport à l'institution, ni par rapport aux élèves ; - ensuite, l'intention de l'enseignant s'analyse à plusieurs niveaux qui peuvent entretenir entre eux des rapports complexes et parfois contradictoires ; on peut distinguer classiquement ce qu'il voudrait faire, ce qu'il pense faire et ce qu’il fait réellement. L'intention peut n'être que velléité, tourner à l'obsession ou dégénérer en fantasme ; - enfin, pour que l'intention aboutisse, et qu'elle puisse se formuler, une compétence professionnelle est nécessaire. Il ne suffit pas de lire le programme ! Si c'était le cas, les élèves pourraient à coup sûr s'auto-enseigner. L'enseignant doit acquérir une double compétence : dans le domaine disciplinaire des contenus qu'il aura à enseigner, et dans le domaine pédagogique au sens large (qui va de la connaissance de soi-même à celle de l'élève, en passant par l'apprentissage des méthodes et des procédures de l'enseignement (cf. infra, Annexes 1 et 2). 1.2 Rendre les objectifs opérationnels Passer des intentions à la définition des objectifs opérationnels, c'est passer du domaine des projets de l'enseignant et de ce qu'il fait pour les mettre en Œuvre, à la définition des effets attendus chez l'élève et à leur mesure. Sans doute l'enseignant s'attend-il, lorsqu'il fait un cours, à ce que les élèves en tirent quelque profit, comprennent une notion ou retiennent certains éléments. Sinon, ce serait simple manière d'occuper le temps, pur divertissement, et non pédagogie ! Mais le plus souvent, cette attente reste informulée, latente, comme allant de soi ; ou alors elle est formulée de manière tellement générale et floue qu'on ne peut pas se représenter clairement le produit attendu ou qu'il est possible d'en proposer plusieurs qui correspondent tous à la formulation de départ ; cette indétermination est à la fois préjudiciable l’enseignement, à l'apprentissage et à l'évaluation. Voici deux exemples d'objectifs inutilisables, faute de précision suffisante : - l'élève devra savoir se servir d'un ordinateur : que veut dire «se servir » ? Est-ce brancher l'appareil et utiliser le clavier, est-ce pour faire un jeu ou de l'EAO, ou encore s'agit-il de programmer ou de « surfer » sur Internet ? Etc. ; - l'élève devra être capable de nager 25 mètres : en quelle nage, est-ce chronométré, peut-on s'aider d'une bouée, comment s'effectue le départ ? Etc. À quelles conditions un objectif est-il opérationnel ? Et d'abord, que signifie le terme opérationnel ? Il possède deux significations qui éclairent déjà la notion même d'objectif : Un objectif est opérationnel d'abord en ce sens qu'il est utilisable, c'est-à-dire communicable en des termes non ambigus ; il doit en particulier pouvoir faire l'objet d'une communication sans sous-entendu ni malentendu entre celui qui organise l'apprentissage et le plus souvent l'évalue (le professeur) et ceux qui le réalisent (les élèves) ; Mais il est opérationnel aussi, dans la mesure où ce qu'il décrit, est une opération que l'apprenant doit être capable d'effectuer, cette opération étant attestée par un comportement qui en est le résultat. On peut donc définir un objectif opérationnel (certains auteurs disent aussi spécifique, ou encore opératoire) comme une compétence acquise par l'apprenant, au cours ou au terme d'un apprentissage. Il ne s'agit plus de savoir ce que le professeur a fait, fera ou a voulu faire, mais de définir ce que l'élève doit être capable de faire et dont il n'était pas (ou moins) capable auparavant. Il ne s'agit plus de « faire le programme », mais de tenter de définir ce que l'élève doit en faire à son tour. . Encore faut-il le faire en des termes - et nous revenons aux conditions-qui permettent à l'objectif d'être effectivement opérationnel. Ces conditions sont au nombre de trois, qui sont suffisantes, plus quelques autres qui peuvent être nécessaires pour parvenir à une meilleure précision. A Trois conditions essentielles 1. L'objectif est toujours formulé en fonction de celui qui apprend (l'apprenant) et non en fonction de celui qui enseigne (l'enseignant) ; si ce n'est pas le cas, il ne peut s'agir que d'une intention ou d'un but. La formulation d'un objectif commence donc toujours par : « l'étudiant, l'élève, l'apprenant, sera capable de...x, car c'est à lui que l'on s'intéresse et à la capacité nouvelle qu'il doit acquérir. L’objectif se propose de définir la valeur ajoutée par l'apprentissage ; 2. Ensuite, l'objectif doit être spécifique, c'est-à-dire que la capacité en question doit être exprimée par un verbe qui ne permette pas diverses interprétations, qui soit univoque ; il doit être suffisamment précis pour que fous ceux qui en prennent connaissance (en particulier les professeurs et leurs élèves) se représentent le produit attendu. Sous-la même. Forme. Comprendre, savoir, apprécier, lire, etc. Sont bien des comportements, mais ils ne sont pas suffisamment spécifiques pour pouvoir donner lieu à la formulation d'un objectif exploitable sur le plan pédagogique. 3. Le résultat attendu doit être décrit sous la forme d'un comportement observable et, dans certains cas, (mesurable ; s'il s'agit de comprendre quelque chose (cf. plus bas ce qui concerne les niveaux taxonomiques), il faut décrire le comportement qui va manifester-que l'élève a compris, qui va indiquer -et d'abord à lui-même - qu'il a atteint l'objectif. Pour être plus complet, en particulier pour aller jusqu'à la problématique de l'évaluation, on peut ajouter deux autres conditions : - 4. Préciser les circonstances dans lesquelles le comportement en question doit se produire : conditions de temps, conditions matérielles, etc. -5. Préciser les critères d'acceptabilité de la performance, c'est-à-dire le niveau de réussite à partir duquel on considérera que l'objectif est atteint. Pour pouvoir utiliser réellement le concept d'objectif en pédagogie, il convient d'ajouter à ces éléments de définition quelques termes nouveaux qui lui permettent de mieux s'adapter à la réalité. D'abord, la notion d'étape : on doit distinguer, dans un apprentissage, les objectifs terminaux et les objectifs intermédiaires : les premiers marquent le terme de l'apprentissage, alors que les seconds en constituent les étapes. C’est une distinction importante pour l'enseignant, car c'est à lui qu'il appartient, compte tenu du temps dont il dispose, d'organiser les apprentissages des élèves tout au long de l'année scolaire ou d'un cycle de formation. Ensuite, la notion de prérequis : si un objectif se définit par son terme (la capacite qui doit être acquise par l'apprenant), il se définit aussi par son point d’entrer, c’est-à-dire par des capacités qui doivent être déjà acquises pour s’engager utilement dans l'apprentissage. En termes d'apprentissage, les prérequis, concernent l'avenir, et, pour les définir, il suffit de connaître les Objectifs (chronologiquement, ils ne peuvent être définis qu'après les objectifs) ; par contre, les acquis réels des élèves concernent le passé, et correspondent plus ou moins aux prérequis nécessaires à un moment donné de l'apprentissage. Le fait qu'il puisse exister un décalage entre les prérequis nécessaires et les acquis réels des élèves, ou de certains d'entre eux, peut justifier en début de séquence un contrôle et/ou un rappel des prérequis. On voit toute l'importance de la vérification des prérequis dans le cadre d'un enseignement différencié qui tienne compte du niveau réel de chacun et non du niveau supposé de tous. Début << l’apprenant sera capable de…>> S’adresser à l’apprenant (1) Choisir un verbe d’action (2) Eviter les verbes mentalistes : comprendre Savoir, apprécier… Utiliser des verbes concrets : identifier, Que fera l'apprenant Comportement non observable Définir, classer, résoudre Absence de comportement Comportement observable (3) Décrire le produit de l’action En restant dans les limites fixées par le Contenu de la formation Etant donné … Préciser les conditions de réalisation (4) En utilisant… Avec…/ Sans … Pourcentage /Quantité Fixer les critères de performance (5) Proportion/ Seuil d’acceptabilité Durée Précision Fin Figure 1.1 Définir des objectifs : une démarche structurée Enfin, bien que nous y revenions plus loin dans une perspective critique, il faut introduire dès maintenant une distinction entre les différents types d'objectifs. Qui sont susceptibles d'être utilisés dans l'enseignement. Trois types d'objectifs 1. Les objectifs de maîtrise : ce sont ceux qui, portant sur un domaine que l'on peut facilement circonscrire, permettent une description complète, exhaustive, univoque du comportement attendu. Exemples : appliquer les règles d'accord du participe passé ; écrire un texte sans faute d'orthographe, etc. 2. Les objectifs de transfert : ici, il s'agit d'utiliser des connaissances ou des compétences pour résoudre un problème nouveau ; il ne s'agit plus de reproduire, mais d'appliquer (cf. chap. 2) ; il y a sans doute plusieurs solutions possibles et une personnalisation de la réponse. On ne peut prédire d'avance toutes les situations. Exemples : résoudre un problème de mathématiques qui admet plusieurs solutions ; proposer une solution à un problème technique, etc. 3. Les objectifs d'expression : l'accent n'est plus mis sur le produit, qui est largement imprévisible et ne peut donc être décrit d'avance, mais sur la situation qui doit lui donner naissance. Ils sont plus vocatifs que prescriptifs. Au niveau des résultats, on ne recherche pas l'uniformité, mais plutôt la diversité. Exemples : créer une forme à trois dimensions, à l'aide de fil de laiton et de pâte à papier ; réaliser un travail dans le cadre des TPE, etc. Des exercices scolaires classiques et complexes, comme la dissertation de philosophie, se réfèrent à la fois à des objectifs de transfert et d'expression. Cette ébauche de différenciation des objectifs renvoie à des problèmes de domaines et de niveaux que nous aborderons maintenant par le biais des taxonomies1. 2 TAXONOMIES, RÉFÉRENTIELS, CURRICULUM Définir des objectifs pédagogiques, c'est essayer de dépasser la simple description des contenus de l'enseignement, pour mettre en évidence les opérations auxquelles ceux qui apprennent doivent être capables de se livrer à propos de ces contenus. Or, ces opérations, à propos d'un contenu donné, sont multiples : elles peuvent varier en niveau, c'est-à-dire être simples ou complexes, ou situées quelque part sur un continuum qui va du simple au complexe. Elles peuvent appartenir à des domaines différents, par exemple au domaine des activités intellectuelles abstraites ou à celui de la créativité de l'individu ; ou encore intégrer les deux aspects. Reprenons un exemple tiré du programme d'histoire : « La Révolution française » que les élèves traitent plusieurs fois au long de leur scolarité et qui peut, de temps à autre, figurer au programme de concours postbac. Par rapport à un tel sujet, on peut attendre de l'élève la capacité de citer quelques noms, quelques dates, quelques événements de cette période ; ou bien la capacité d'articuler ensemble certaines causes et certains effets ; ou encore celle d'interpréter telle ou telle décision prise par un personnage de l'époque ; on peut lui demander enfin de prendre position, et de s'impliquer personnellement dans un jugement porté sur l'ensemble de cette période et sur ses conséquences. 20 On s'aperçoit dès maintenant que ce type de clarification des objectifs de l'enseignement est d'une importance fondamentale : - pour la définition du contenu même de l’enseignement : il ne sera pas le même selon que l'on cherche à atteindre tel ou tel des niveaux précités ; - pour la définition des critères qui vont servir à l'évaluation. Portant sur le même sujet, un travail d'élève ne sera pas apprécié de la même manière selon qu'il s'agit d'une copie de baccalauréat ou d'une composition d'agrégation. C'est d'ailleurs à partir de cette problématique de l'évaluation que s'est élaborée la première taxonomie d'objectifs. 2.1 Un enseignement plus rationnel : les taxonomies C'est en effet en 1948, participant à une réunion d'examinateurs et constatant la divergence des points de vue que l'américain B.S. Bloom eut l'idée d'essayer de clarifier, et de faire exprimer par écrit les attentes possibles des examinateurs par rapport à des productions d'étudiants. Cette première réflexion aboutira en 1956 à la publication aux États-Unis d'un ouvrage B.S. Bloom (traduction française du canadien M. L’avalée en 1968). Ce fut un double point de départ : d'abord en ce sens que l'ouvrage fut suivi de deux autres, l'un, Domaine affectif, cosigné de Bloom et de Krathwohl (1976), l'autre signé de Harrow, Domaine psychomoteur (1977) ; ensuite parce que, à partir de cette première taxonomie connue sous le nom de « taxonomie de Bloom », de nombreuses autres ont été proposées. Bien qu'elle soit la plus ancienne, c'est pourtant sur celle de Bloom que nous allons nous arrêter : étant la première, elle a été amenée à bien motiver sa démarche ; elle permet donc de comprendre ce qu'est une taxonomie en général. De plus, celles qui sont venues ensuite se sont 20 souvent constituées par rapport à elle, soit pour la simplifier, soit pour la modifier sur tel ou tel point. DÉFINIR DES OBJECTIFS PÉDAGOGIQUES 21 Vous avez dit : taxonomie ? Qu'est-ce qu'une taxonomie ? II s'agit simplement d'une classification d'objets, quel que soit le principe de classification, et quels que soient les objets : il peut s'agir d'êtres vivants, de minéraux... ou d'objectifs. Il ne s'agit pas pour autant d'une classification quelconque, et elle doit comporter trois caractéristiques pour être utilisable : - elle instaure un ordre entre les objets, c'est-à-dire qu'elle met en œuvre un principe de classification, une loi ; - elle est exhaustive, c'est-à-dire que, dans le domaine qu'elle considère, rien ne doit lui échapper. Tous les objets dudit domaine doivent pouvoir trouver leur place dans l'une ou l'autre de ses catégories, aucun ne doit être inclassable ; - les catégories qu'elle utilise doivent être mutuellement exclusives, c'est-à-dire qu'un objet ne doit pas pouvoir appartenir à deux catégories à la fois ; il ne doit pas y avoir de chevauchement possible entre les catégories. On peut comparer une taxonomie à un classeur à tiroirs, dans lequel chaque tiroir porte une étiquette : si le nombre de tiroirs est suffisant et le libellé des étiquettes précis, il devient facile de ranger un élément nouveau dans le tiroir qui convient, ou de retrouver rapidement un élément déjà classé dans le tiroir ad hoc. La taxonomie de Bloom utilise deux modes de classification : d'abord une classification par domaines (entre lesquels il n'y a pas de hiérarchie), et l’intérieur de chaque domaine, une classification par niveaux, qui va du plus simple au plus complexe. Les notions de simple et de complexe ont ici une signification psychologique et pédagogique : le simple est en même temps le plus élémentaire sur le premier plan, et le plus facile à atteindre sur le second. Les trois domaines dont il est question ici sont : - le domaine cognitif, qui concerne les différents modes d'acquisition des connaissances et les différentes manières de les mettre en relation et de les utiliser ; le domaine affectif, qui concerne la manière de réagir de l'individu par rapport à son environnement, ses choix, ses préférences et ses rejets, ses goûts; - le domaine psychomoteur, qui concerne la maîtrise du corps et l'apprentissage du geste. Il va de soi que la distinction e ces trois domaines a essentiellement une signification pédagogique : car tout individu, quelles que soient les circonstances, se développe en même temps dans les trois domaines : il acquiert et il SE FORMER POUR ENSEIGNER Utilise des connaissances, il manifeste sa personnalité par des goûts, des préférences et des attitudes, il maitrise progressivement son corps et son environnement. L'individu forme bien un tout, et il ne s'agit donc pas d'un clivage existentiel. Par contre, sur le plan pédagogique, on peut mettre l'accent sur tel ou tel domaine et, à l'intérieur de chaque domaine, chercher à ment la définition d'un comportement, mais d'un comportement partiellement ou totalement nouveau, qui fait l'objet d'un apprentissage. Pour préciser ce qu'est une taxonomie, et pour susciter la curiosité d'aller plus loin, voici le résumé de celle de Bloom ; nous ne retenons dans chaque domaine que les titres de chacun des niveaux (chaque niveau se trouvant divisé luimême en un certain nombre de sous-rubriques) complétés par quelques commentaires explicatifs : - Domaine cognitif 1.Connaissance : il s'agit ici du rappel de faits particuliers ou généraux, de méthodes ou de processus. C'est essentiellement la mémoire qui est concernée. 2. Compréhension : ici, on met l'accent sur la manière dont l'individu est capable d'organiser des matériaux pour obtenir un certain résultat, soit en découvrant un nouveau matériel, soit en utilisant un matériel déjà connu. 3. Application : c'est la capacité à utiliser des représentations abstraites et/ou générales pour traiter des cas concrets et/ou particuliers. 4. Analyse : c'est la séparation d'un tout en ses parties constituantes qui a pour but d'expliciter le tout lui-même. Par exemple, à propos d'un texte : le séparer en différentes parties, distinguer les différentes idées, etc. 5.Synthèse : c'est au contraire réunir ensemble plusieurs éléments sans relation entre eux auparavant, de manière à en faire un tout cohérent. Par exemple, produire une œuvre personnelle, mettre au point un projet, etc. 6. Évaluation : c'est le niveau le plus complexe, dans la mesure où il suppose que l'individu mobilise toutes ses ressources. (Connaissances et capacités), de manière à être capable de formuler un jugement en utilisant des critères internes ou externes par rapport à un objet. Exemple : reconnaître les paralogismes dans un raisonnement ou choisir un processus de fabrication à partir d'un cahier des charges. Domaine affectif Rappelons que l'on peut définir ce domaine comme étant le registre des différentes attitudes possibles de l'individu, celui de l'évolution de ses intérêts et du choix de ses valeurs. 1. Réception : il s'agit de la capacité (plus ou moins grande) à être attentif à une situation, à un événement ou à une personne. L'individu est réceptif et son comportement indique qu'il accepte le stimulus. 23 2. Réponse : non seulement l'individu est réceptif, mais il manifeste un comportement-réponse par rapport à une stimulation extérieure. Il s'investit plus ou moins dans cette réponse (du simple assentiment à la satisfaction). 3. Valorisation : il s'agit d'un comportement plus structuré qui se manifeste par les choix que fait l'individu en fonction de certaines valeurs. C'est l'adhésion à ces valeurs qui motive le comportement. Cela va de la simple croyance à l'intime conviction qui suscite un engagement de la personne. Non seulement apprécier le jazz, mais se rendre à un concert. 4. Organisation : c'est la mise en système des valeurs que l'on adopte dans un domaine donné : par exemple l'esthétique ou la politique. Cette systématisation influe sur le comportement de l'individu dans le domaine considéré. C'est un « fan » ou un militant. 5.Caractérisation par une valeur ou un système de valeurs : c'est la généralisation de l'attitude précédente au niveau de laquelle un individu établit une hiérarchie entre les valeurs qu'il adopte et recherche une certaine cohérence. Le point le plus achevé en est constitué par ce que I'on pourrait appeler une « vision du monde », une « philosophie de la vie », au niveau de laquelle l'individu dépasse et transforme les normes qu'il a intériorisées. - Domaine psychomoteur Il comprend les différentes capacités que l'individu peut acquérir dans la maîtrise de son corps. 1.Mouvements réflexes : gamme de mouvements nonappris que possède l'individu au départ et qui sont la base à partir de laquelle s'élabore la suite. Mouvements réflexes pouvant être utilisés dans des mouvements volontaires (exemple : sucer son pouce). 3.Aptitudes perceptives : c'est là que commencent véritablement les apprentissages ; développement de la sensibilité et de la discrimination perceptive (à gauche, à droite, près ou loin, etc.). 4.Aptitudes physiques : Même processus que plus haut, mais sur le plan des capacités physiques (force, souplesse, agilité, dextérité). 5.Habiletés motrices : leur acquisition dépend des niveaux précédents. Maîtrise du geste qui permet d'obtenir certains résultats particuliers (exemple : taper à la machine, se servir d'un outil, jouer au tennis). 6.Communication non verbale : c’est le niveau le plus élevé, et le plus son corps comme un moyen d'expression pour communiquer aux autres un sens. Exemples : expression corporelle, danse, mime. 24 SE FORMER POUR ENSEIGNER Domaine cognitif Domaine affectif * Le niveau réflexe n'est ici pas pris en compte dans la mesure où il précède l'apprentissage proprement dit. Figure 1.2 La pyramide de la taxonomie de Bloom1 Nous ne présentons pas les trois volets de cette taxonomie comme des modèles : ils sont critiquables de différents points de vue, soit dans leur contenu, soit dans leurs possibilités d'utilisation. À la suite de Bloom, d’autres auteurs ont proposé des taxonomies et on en trouve une bonne synthèse accompagnée d'un point de vue critique dans l'ouvrage de V.et G. de Landsheere (1978). Domaine cognitif Domaine affectif Domaine psychomoteur ·Connaissance ·Attitudes ·Mouvements sans ·Compréhension ·Appréciations objets ni outils ·Opérations ·Intérêts ·Mouvements avec ·Stratégies objets et outils Tableau 1.2 La taxonomie de Burns Voici deux exemples qui illustrent, chacun à leur manière, l'évolution des taxonomies d'objectifs pédagogiques : - le premier va dans le sens d'une simplification : il conserve la distinction des trois domaines retenus par Bloom, mais il diminue dans chaque domaine le nombre de niveaux. On peut citer ici la taxonomie proposée par Burns2; DÉFINIR DES OBJECTIFS PÉDAGOGIQUES 25 - le second exemple, au contraire, est celui d'une taxonomie qui tente de préciser davantage certains des domaines retenus. Elle multiplie les catégories et, en même temps, en propose une approche plus dialectique. On peut citer ici celle de J.-P. Guilford' qui, élaborée à partir de travaux sur l'intelligence, décrit de la manière suivante le domaine cognitif : elle permet de distinguer les opérations, qui sont les processus intellectuels principaux, les produits qui en sont le résultat, et les contenus qui spécifient les deux premières catégories auxquelles elles s'appliquent. Chaque opération peut théoriquement s'appliquer à n'importe quel type de produit et à tous les contenus possibles. Ce qui donne 120 combinaisons possibles, que l'on peut représenter par la matrice suivante (cf. figure 1.3). OPÉRATIONS Jugement Production divergente Production convergente Mémoir e Cognitio n PRODUITS Unités Classe s Relation s Système s Transformation s Implications CONTENUS Figuraux Symboliques Sémantiques Comportementaux Figure 1.3 La matrice de Guilford Au-delà de cette diversité d'approches, et des imperfections relatives de chacune d'elles, quel est l'intérêt de l'entreprise, en quoi concerne-t-elle I ‘enseignant ? 1 The Nature of Human Intelligence, New York, Mac Graw-Hill, 1967. SE FORMER POUR ENSEIGNER Les taxonomies concernent l'enseignant à trois niveaux : - d'abord, au niveau de l'organisation et de la mise au point d'un enseignement, ou de ce que nous appelons plus loin un référentiel, ou un curriculum : lorsque l'on définit des objectifs pour un enseignement particulier, on doit préciser leur niveau taxonomique ; car c'est lui qui permet de définir la nature et le niveau de l'enseignement lui-même, et qui permet ensuite de respecter une certaine cohérence entre l'enseignement dispensée l'évaluation. On doit le faire avec le souci d'une certaine variété : on ne peut jouer seulement sur un domaine, ni toujours sur les mêmes niveaux ; Ensuite, cela en est la conséquence, une amélioration des pratiques d'évaluation ne peut faire l'économie d'une réflexion approfondie sur les taxonomies : c'est seulement après une définition précise de la performance escomptée que l'on peut définir des critères pertinents d'évaluation. Rappelons que c'est à partir d'une réflexion de ce type que Bloom a été amené à mettre au point la première taxonomie pour tenter, notamment, de réguler les divergences entre correcteurs dans les examens ; -enfin les taxonomies, dans leur diversité même, apparaissent comme des outils précieux d'analyse de l'enseignement. On peut en déduire de véritables grilles qui permettent de mettre en évidence les objectifs réels d'une activité pédagogique. Pour se limiter à un exemple, la simple utilisation de la distinction entre le cognitif, le psychomoteur et l'affectif est riche d'enseignements : on s'aperçoit que la part respective de chaque domaine n'est pas la même dans les différents niveaux de l'enseignement (par exemple le primaire et le secondaire): que certaines méthodes pédagogiques ont tendance à bien séparer les trois domaines, alors que d'autres tentent au contraire de les intégrer (c'est une des approches que l'on peut faire de la différence entre les méthodes traditionnelles et les méthodes nouvelles),etc. On peut, comme le propose D'Hainaut (1983), situer une pratique pédagogique ou un cours quelque part sur un sommet, le périmètre ou à la surface d'un triangle dont chacun des sommets représente un domaine pur, et de ce fait, assez improbable : Figure 1.4 Un triangle taxonomique DÉFINIR DES OBJECTIFS PÉDAGOGIQUES 27 S'il est vrai que l'enseignement scolaire tend à hypertrophier le domaine cognitif au détriment des autres, il ne peut cependant ignorer le domaine affectif (pour obtenir, au minimum, quelque chose qi est de l'ordre de l'intérêt, voire de la motivation); et si certaines disciplines, comme l'EPS font une large place aux apprentissages psychomoteurs, elles comportent aussi une dimension cognitive(qui fait l'objet d'une évaluation spécifique). 2.2 Un enseignement plus homogène : Référentiels et curriculum Pour clore cette approche de l'enseignement par la définition des objectifs, deux notions restent à définir et à illustrer par des exemples : celle de référentiel et celle de curriculum. À partir du moment où l'on ne se contente pas du programme comme ensemble de questions à traiter par le professeur, et que l'on tente de définir des objectifs opérationnels pour l'enseignement, il est logique d'essayer de définir l'ensemble des capacités que doit posséder l'élève dans la discipline considérée pour un niveau donné. Un référentiel apparaît donc comme la description de l'ensemble des capacités et des compétences qui correspondent dans une matière à un niveau de formation ou de qualification. Capacités et compétences Capacité, compétence, sont des termes couramment utilisés dans le domaine pédagogique, notamment en ce qui concerne la définition des objectifs (l'apprenant doit être capable de...) et l'élaboration des référentiels. Ils apparaissent maintenant dans la terminologie des nouveaux programmes pour toutes les disciplines, mais sont souvent utilisés l'un pour l'autre ou de manière incohérente. Il est possible d'en préciser le sens en s'appuyant sur le mode de présentation des référentiels : - une capacité désigne un ensemble d ' aptitudes susceptibles d'être mises en œuvre dans un nombre indéfini de situations. Elle n'est donc, en elle-même, ni observable, ni évaluable et comporte un aspect virtuel tant qu'elle n'est pas déclinée en compétences. Pour prendre l'exemple du référentiel cité ci-dessous (cf. tableau 1.3), toutes les entrées (Communiquer, Analyser, Concevoir, Définir, etc.) sont des capacités ; - une compétence, en revanche, désigne la maîtrise d'un ensemble de savoirs et de savoir-faire dans un domaine particulier. Elle peut faire, à ce titre, l'objet d'un apprentissage et d'une évaluation. Par exemple, la capacité « Communiquer » peut s'analyser en un certain nombre de compétences aussi variées que : « rédiger un rapport », « gérer une communication téléphonique », « faire un exposé oral », etc. C'est à partir de la définition des compétences qu'il est possible de définir des objectifs d'apprentissage.