1. Introduction
Étroitement associé dans certains pays aux courants interactionnistes, s’est développé depuis la fin des années 1960 un
champ d’analyse du discours qui vise à étudier dans leur diversité les pratiques discursives en situation. C’est un
domaine de recherche particulièrement actif, mais très instable, divisé entre de multiples courants. C’est dans les
années 1960, essentiellement en Europe occidentale et aux États-Unis, que des courants relativement indépendants les
uns des autres et issus de diverses disciplines ont placé la question du « discours » au centre de leurs préoccupations.
En considérant la question du point de vue de l’Europe, après l’émergence de l’analyse du discours dans les années
1960, on peut distinguer sommairement deux phases dans son développement :
– À partir de la seconde moitié des années 1970, une première convergence s’opère pour constituer un champ
spécifique d’analyse du discours : linguistique textuelle, théories de l’énonciation, pragmatique apportent un outillage
conceptuel et méthodologique considérable. C’est aussi la période où devient importante la référence au penseur russe
M. Bakhtine, dont les maîtres mots sont « dialogisme » et « polyphonie ».
– Au cours des années 1980, les divers courants entrent en dialogue avec ceux des États-Unis. On assiste ainsi au
développement d’un champ mondialisé d’études sur le discours (en anglais discourse studies). Ce processus va
de pair avec une accentuation du caractère interdisciplinaire de la recherche et un élargissement considérable
des types de corpus pris en compte : du discours philosophique aux débats télévisés en passant par les
interactions entre malades et médecins, l’ensemble des productions verbales est désormais concer
2. Les objets de l’analyse du discours
Les analystes du discours travaillent sur des objets très divers.
– Ils peuvent étudier les différents types de discours correspondant aux multiples secteurs d’activité de la société
(discours administratif, publicitaire…), avec toutes les subdivisions que l’on veut. C’est à l’intérieur de ces « types »
que sont identifiés les genres de discours : ainsi le discours médical (type) englobe-t-il un grand nombre de genres tels
que la consultation, l’ordonnance, le compte rendu opératoire, les réunions de service, etc. Types et genres de discours
sont pris dans une relation de réciprocité : tout type est en fait un ensemble de genres ; tout genre n’est tel que s’il
appartient à un type. Mais la notion de genre recouvre des réalités très diverses ; le journal télévisé ou le guide
touristique, par exemple, sont des routines stabilisées par les contraintes attachées à une certaine situation de
communication, ils répondent à des besoins précis. En revanche, en littérature ou en philosophie, quand on parle de «
genres » pour des catégories comme « élégie » ou « méditation », il ne s’agit que partiellement de routines attachées à
une situation : ce sont aussi des manières pour les auteurs de donner un sens singulier à leur texte.
– Ils peuvent étudier les divers genres de discours qui sont à l’œuvre dans une même institution : un hôpital, une école,
etc. On a alors affaire à un réseau de genres complémentaires qui interagissent et qui sont constitutifs
du fonctionnement de l’institution concernée.
– Ils peuvent aussi étudier des ensembles de textes qui appartiennent à divers genres mais relèvent du
même positionnement idéologique (parti, doctrine, courant, mouvement littéraire, etc.). Le discours du Parti
socialiste, par exemple, ce sont les divers genres de discours (journal quotidien, tracts, programmes électoraux, etc.)
produits par ce positionnement à l’intérieur du champ politique. On est alors dans une optique de lutte idéologique, de
délimitation d’un territoire symbolique contre d’autres.
– Les analystes du discours travaillent également avec des unités qu’on pourrait dire transverses, en ce sens qu’elles
traversent les textes de multiples genres de discours. Elles peuvent être définies sur la base de critères (1)
linguistiques, (2) fonctionnels, ou (3) communicationnels.
(1) On peut en effet classer les textes à partir de critères purement linguistiques. C’est ainsi qu’Émile Benveniste
(Problèmes de linguistique générale, 1966) a proposé de diviser les textes en deux grandes catégories, l’« histoire » et
le « discours ». Dans le premier cas les énoncés semblent totalement coupés de leur situation d’énonciation (par
exemple dans les textes scientifiques, les proverbes, etc.) ; dans le second cas, le texte renvoie constamment à sa
situation d’énonciation et utilise massivement les formes du dialogue, « je » et « tu » ou « vous ». Mais on peut aussi
classer les textes en fonction du vocabulaire qu’ils emploient ou de la présence de telle ou telle catégorie de mots : par
exemple les textes scientifiques utilisent beaucoup les phrases passives et le présent de l’indicatif, les textes narratifs
l’imparfait et le passé simple, etc.
(2) On peut également appréhender les textes en se fondant sur des critères fonctionnels. Dans ce domaine, la
typologie la plus célèbre est celle des fonctions du langage élaborée par le linguiste russe Roman Jakobson. Il
distingue six fonctions : phatique (établir ou maintenir le contact), référentielle (parler du monde hors du langage),
métalinguistique (parler du langage), conative (agir sur l’allocutaire), expressive (exprimer les émotions du locuteur),
poétique (mettre en valeur la face signifiante de l’énoncé, sa matière) ; dans chaque genre de texte, c’est telle ou telle
de ces fonctions qui domine. Ainsi, dans une grammaire, c’est la fonction métalinguistique, dans un fait divers, la
fonction référentielle, etc. Dans la pratique, cette typologie séduisante est difficile à manier car la plupart des textes
mobilisent plusieurs fonctions à la fois. Il existe d’autres typologies des fonctions du langage que celle de Jakobson ;
elles utilisent des catégories psychologiques ou sociologiques : fonctions ludique, informative, prescriptive, rituelle…