quelques écoles françaises implantées en Kabylie ont contribué à ouvrir de nou-
veaux horizons à un certain nombre d’individus pour le problème de leur survie.
Avec l’industrialisation et le développement du mouvement ouvrier contes-
tataire en Europe, le gouvernement français, à la recherche d’une main-d’œuvre
docile, fera venir des ouvriers kabyles pour briser les mouvements de grève
dans diverses usines du pays. Après la Première Guerre mondiale de 1914-1918
qui verra une mobilisation importante d’Algériens, l’émigration algérienne sera
plus diversifiée quant à son origine. Paradoxe : après l’Indépendance de
l’Algérie, le mouvement migratoire va s’accélérer. Mais l’Algérie prend la
décision de l’arrêter en 1973 et la France en 1974, dès lors la destination des
Kabyles n’estpluslaFrancemaislesgrandesvillesdupays.
Pendant longtemps, jusqu’àlafin des années 1960, l’émigré kabyle, comme
les autres émigrés maghrébins, vit sa condition d’émigré comme transitoire car
il était profondément attaché à son pays où il rentrait régulièrement, où il avait
laissé sa famille, sa femme, ses enfants. Mais la France confrontée à un déficit
démographique ne cherchait pas à attirer seulement des travailleurs immigrés,
mais également des familles susceptibles d’être intégrées aisément, par le biais
du regroupement familial qui date de 1975. Le code de la nationalité, relati-
vement ouvert, accordait la nationalité française quasiment à tous ceux qui en
faisaient la demande.
La chanson d’émigration kabyle est née, à partir de 1920, de l’exode et de
l’exil des hommes spoliés de leur terre ancestrale. Des ouvriers, généralement
analphabètes et sans formation musicale savante, se retrouvent dans des cafés-
bars, tenus principalement par des Kabyles, pour jouer de la musique. Les
thèmes principaux, qui se sont imposés à la chanson kabyle avant et après la
Seconde Guerre mondiale jusqu’aux années 1970, ont souvent trait à l’expé-
rience du quotidien, la désolation des campagnes, l’éclatement de la cellule
tribale, l’anonymat des villes, les départs massifs vers la métropole coloniale, les
dures conditions de travail dans les usines de France et, surtout, la nécessité de
réveiller les consciences. Cette chanson est l’expression des paysans émigrés en
France. Ces émigrés entendaient rester « paysans » malgré toutes les épreuves de
l’exil qui les arrachaient du sol natal en les envoyant dans un monde inconnu. Ils
restaient liés à leur communauté par un contrat d’une implacable rigueur avec
des échéances draconiennes : garantir la construction d’une maison, réunir la
somme d’argent nécessaire à un mariage, rembourser des dettes... et c’était
d’ailleurs à ces seules conditions que la communauté laissait partir quelques-uns
des siens. Pendant la guerre de libération, ces cafés servent de lieu de réunion
des villageois et accueillent les tournées d’artistes. Des collecteurs de fonds du
FLN y passent souvent pour réclamer « l’impôt révolutionnaire » aux artistes.
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© La Boite à Documents | Téléchargé le 02/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 154.121.81.36)
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