COMPTES RENDUS
Leif
Littrup
(éd.),
Analecta
Hafniensia.
25
years ofEastAsian studies
in
Copenhagen.
Londres, Curzon Press ; Copenhague, Scandinavian
Institute of Asian Studies,
1988,
vi + 194
pages, illustrations (Scandina-
vian Institute of Asian Studies, Occasional Papers n°3)
Vingt-deux articles ont été ici réunis en 1985 pour illustrer la variété et
le sérieux des recherches entreprises sous l'égide de V0stasiatisk
Institut de Copenhague : celui-ci, fondé en 1960 comme un « labora-
toire
»
d'enseignement du chinois et du
thaï,
est
en
effet devenu
au
fil des
ans un institut scientifique couvrant la Chine, le Japon, la Corée, le
Tibet,
l'Asie
du Sud-Est, l'Océanie (en 1986, il comptait
9
professeurs
en
titre,
5
enseignants à temps partiel,
4
chercheurs et
253
étudiants). La
moitié de ces contributions concerne
d'une
façon ou
d'une
autre la
Chine, et parmi elles, deux nous paraissent mériter une attention parti-
culière.
La
première,
due
à
Donald
B.
Wagner et traitant de l'industrie du fer
dans l'antiquité d'après les trouvailles archéologiques et les évidences
textuelles ( « Swords and ploughshares, ironmasters and officiais. Iron
in China in the third century B.C.»,
pp.
174-192),
s'inscrit
dans la série
des travaux
de
l'auteur sur l'histoire
de
la métallurgie
en
Chine
(un
livre,
Dabieshan,
Londres, 1985
;
plusieurs articles
dans Historical
Metallur-
121
Comptes rendus
gy, XVIII, 2, 1984 ; XX, 1, 1986 ; XXI, 1, 1987 ; et un article dans les
Acta Orientalia de Copenhague, XLVIII, 1987, pp. 111-156, qui recti-
fie certaines informations données dans la présente contribution pp.
177-178). En conclusion, le fer est devenu la matière première usuelle,
à la place du bronze, dans la fabrication de la plupart des armes et des
outils d'abord dans le sud-est, sur le territoire de Wu et Yue, vers le vi"
siècle av. J.C., puis vers le début du mc siècle dans le nord et à travers
toute la Chine. Si l'on considère la production du métal, et non pas
seulement son usage c'est-à-dire la distribution des gisements de
minerai, les spécialistes du travail du fer, les ateliers, le rôle de l'État,
les techniques mises en œuvre, l'information disponible est trop dis-
parate et incertaine pour qu'un tableau d'ensemble puisse être dressé
hors de l'État de Qin.
La seconde contribution, qui applique une réflexion fructueuse à des
faits bien connus, nous mène en RPC : K.E. Br0sdsgaard (« Models of
the Chinese policy making process. Beyond the two Unes », pp. 29-39)
y examine les diverses théories par lesquelles les tiananmenologues ont
voulu rendre compte de l'évolution du régime populaire. Dans les
années cinquante, le modèle explicatif favori chez les spécialistes
occidentaux de la RPC était celui du « totalitarisme ». La Révolution
culturelle a entraîné, après 1966-69, un abandon de la théorie monolithi-
que en faveur d'une dichotomie ; mais opposer les « radicaux »/
« idéologues »/« maoïstes » aux « modérés »/« pragmatiques »/« liuis-
tes » n'était que reproduire purement et simplement le psychodrame de
la lutte entre une « révolution prolétarienne » correcte et une « réaction
bourgeoise » néfaste, par lequel le pouvoir chinois justifiait son action.
En fait, les modèles explicatifs proposés depuis lors, en réaction contre
le simplisme des décennies précédentes, doivent être regardés comme
complémentaires les uns des autres, afférents à des niveaux spécifiques
de la politique chinoise et, par conséquent, de la stratégie de son étude.
Ce sont : la théorie fonctionnelle (Andrew Nathan, Lucian Pye, par
exemple), qui insiste sur les concepts de clientèle et de faction ; la
théorie tendancielle, qui identifie les interactions des groupes d'opinion
(pour différents moments de l'histoire chinoise et dans des optiques
variées, Oksenberg et Goldstein, Van Ness et Raichur, Dorothy Solin-
122
Comptes rendus
ger) ; la théorie des groupes d'intérêt et de pouvoir (Skilling et Griffith
pour l'URSS, Oksenberg pour la Chine)
;
celle de la politique bureaucra-
tique (développée pour d'autres Etats communistes par Graham Alli-
son),
qui met en lumière le marchandage qu'opèrent au niveau supé-
rieur les représentants des divers blocs bureaucratiques ; enfin la prise
en compte du corps des spécialistes.
Un article de pure linguistique (phonétique) sur les langues lolo-mé-
ridional de Chine, par I.L. Hansson (« Akha and the Hani languages of
China », pp. 56-65), réalisé à la stite d'enquêtes en Thaïlande depuis
1977 et au Yunnan en 1982, offre, outre un intérêt intrinsèque certain,
des précisions qui seront utiles pour se retrouver dans le dédale de
certaines petites ethnies du Sud-Ouest chinois
:
les Hâni, Aini [= Akha],
Kaduo, Biyue, Haoni.
Le Roman des Trois Royaumes est étudié sous son aspect grammati-
cal par B. Arendrup (« The Romance of the Three Kingdoms. Inquiries
into the language of the Sanguo yanyi », pp. 3-18). Une comparaison,
illustrée par des tableaux statistiques (portant sur les chap. 1-2 et 35-36),
est menée avec trois autres œuvres présentant des traits caractéristiques
de la langue parlée : le Yuzuan Zhuzi quanshu, une collection de lettres
et écrits divers de Zhu Xi (déjà analysée en détail par G. Kallgren,
Bulletin of the Muséum ofFar Eastern Antiquities, XXX, 1958, pp. 1-
165),
le Gantian dongdiDouEyuan, un opéra Yuan en dialecte du nord
(traduit et étudié par Chung-wen Shih, Injustice to Tou 0, Cambridge
Univ. Press, 1972), et le Shuihuzhuan (dont certains dialogues ont été
disséqués par B. Karlgren). Ces œuvres, bien que toutes les quatre
publiées à la fin des Ming ou au début des Qing, offrent des dissemblan-
ces de style et de grammaire qui plaident en faveur de l'authenticité de
versions originales anciennes ; ainsi, l'usage des pronoms et négations
reflète, d'une œuvre à l'autre, une évolution singulière. Le Sangguo
yanyi, d'une langue claire et souple, plus littéraire que celle des trois
autres œuvres, est composé en grande partie de dialogues et est frappé
en phrases de quatre ou six caractères (dans les quatre chapitres envisa-
gés,
près de la moitié des phrases sont dans ce cas) ; si les pronoms et
négations relèvent de la langue classique, leur emploi suit les règles en
usage à l'époque de la première rédaction.
123
Comptes rendus
Provenant d'une collection privée danoise, trois œuvres de peintres
mineurs du milieu ou de la fin des Qing fournissent à S.B. Heilesen
l'occasion de démontrer qu'une bonne technique picturale au service
d'une formule éprouvée peut ne donner qu'un art formel, purement
décoratif (« Three album leaves of the Qing period », pp. 66-74, 3
planches).
La pensée est abordée de différents points de vue. K.R. Lauridsen
(« Long live Confucius. Some remarks on Creel, Confucius, and huma-
nistic values »,pp. 78-81) remarque que H.G. Creel, dans son Confucius,
the man and the myth, un classique des années cinquante, minimise les
déclarations du penseur ayant une tonalité religieuse, pour insister sur
son rôle de réformateur. C. Steenstrup (« On "legalism" as an heuristic
device in the comparative study of the history of Western and Chinese
institutions », pp. 137-147) défend le paradoxe selon lequel le dévelop-
pement du droit chinois serait une voie normale, alors que l'évolution du
droit européen à partir du droit romain (de même que l'essor scientifi-
que) aurait suivi une voie anormale, suscitée par le pluriethnisme,
l'intra-élitisme, la compétition internationale ; et il remarque qu'au xixc
siècle, les spécialistes britanniques du droit, formés par le Common law,
montraient plus d'indulgence envers le droit Qing que les Français
modelés par le Code Napoléon.
L. Littrup, le rédacteur du présent recueil, revient sur une question
qui lui tient à cœur et que nul autre que lui ne
s'est
posée, sans doute en
raison de l'énorme investissement d'énergie que sa réponse requiert :
l'orientation des histoires mondiales rédigées en Chine populaire (« In
search of a centre. Some notes on Chinese world historiés with spécial
référence to the Middle Age », pp. 100-104). La règle universellement
observée pour une histoire mondiale étant d'exclure l'histoire du pays
qui publie l'ouvrage, les historiens chinois dressent eux aussi une
barrière entre histoire nationale et histoire mondiale. Leur perception du
monde est néanmoins bi-centrée eurocentrée comme les modèles
euro-américains, et sinocentrée en dépit de l'omission de la Chine de
sorte que leur vision diffère de celle de leurs collègues occidentaux.
L'auteur concentre ici son observation sur l'histoire médiévale dans les
années 1981-1983 (une matière peu populaire : un manuel de niveau
124
Comptes rendus
secondaire et universitaire, et quelques collections d'articles et de
traductions). Le Moyen-Âge est défini comme une période « féodale »,
au sens marxiste du terme ; et sa présentation est soigneusement tradi-
tionnelle par la primauté accordée à la chronologie, aux noms de
personnes, de lieux, de batailles, et, cela va de soi, par le schéma de
périodisation marxiste et l'attention portée aux soulèvements populai-
res.
Le sinocentrisme montre le bout de l'oreille lorsque les voisins de
la Chine sont en cause : les rébellions coréennes ne sont plus de
«
justes
soulèvements » (qiyi) lorsqu'elles s'exercent contre la domination Tang
ou même Yuan ; l'Asie centrale et la Sibérie sont considérées comme
partie intégrante de la Chines le Moyen-Âge (opinion que l'auteur
détecte de même dans l'histoire publiée à Taiwan). Ces réflexions de
Leif Littrup appelleraient quelques amendements : la connaissance de
l'histoire mondiale, centre-asiatique notamment, a considérablement
évolué en Chine depuis le début des années quatre-vingt, à mesure que
le pays s'ouvrait davantage au monde extérieur ; et la schématisation
affligeante de l'histoire de l'Asie centrale, telle qu'elle ressort d'un
ouvrage de vulgarisation de 1980, devrait être corrigée par le rappel des
travaux admirablement érudits de spécialistes de l'Asie centrale à
l'époque Tang qui, tels Zhang Guangda et Rong Xinjiang, sont parfai-
tement au courant des méandres de la recherche orientaliste occidentale
et japonaise et celas le début des années quatre-vingt. Il faudrait
songer aussi aux histoires du monde arabe et musulman traditionnelle-
ment réservées aux ulémas chinois lettrés en arabe.
Signalons encore une description de seize manuscrits de Dunhuang
(15 bouddhistes et 1 taoïste) conservés à la Bibliothèque Royale de
Copenhague (J.O. Petersen, « The Dunhuang manuscripts in the Royal
Library in Copenhagen », pp. 112-117). Une étude fouillée des croyan-
ces,
avec texte original des prières, entourant le ramassage du ginseng
sauvage en Corée, par le regretté Huy Dong Shin ( « Korean Ginseng.
Belief and tradition »,
pp.
126-136). Et, pour la Chine populaire, un essai
d'évaluation de la « réforme urbaine » menée, avec décentralisation des
entreprises, à titre expérimental en 1984 à Chongqing (T. Vosbein,
« Urban reform in Chongqing », pp. 169-173) ; enfin la traduction d'une
nouvelle de 1974, au ton angoissant : les mémoires d'une femme qui, à
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