Compte-rendu d’article Auteur : Youval Rotman (1965-) est un historien et anthropologue israélien enseignant à l’Université de Tel Aviv et il a été professeur à l’Université de Yale. C’est un professeur connu et respecté. Spécialiste de l’histoire sociale et l’anthropologie de la méditerranée orientale et du Proche-Orient, ses recherches portent sur les processus sociaux et culturels sous la domination romaine et byzantine lesquelles sont : la tradition hellénistique, la civilisation juive, le christianisme émergent. C’est pourquoi ses recherches se sont portées sur l’esclavage, sur le travail des enfants, sur les captifs et la rédemption des captifs, les prisonniers de guerre et sur la conversion religieuse. Actuellement, sur deux thèmes, Rotman s’intéresse à la sainteté et l’anormalité sociale dans le vie religieuse du Proche-Orient antique tardif, et sur la rivalité entre communautés religieuses de confessions différentes dans le monde byzantin. Ses ouvrages sont : Les Esclaves et l’Esclavage : De la Méditerranée antique à la Méditerranée médiévale VIe-XIe siècles (Les Belles Lettres, 2004) ; Insanity and Sanctity in Byzantium: The Ambiguity of Religious Experience, forthcoming Harvard University Press, 2016 ; Byzantine Slavery and the Mediterranean World (Harvard University Press, 2009) Article : Rotman, Youval. « Byzance face à l'Islam arabe, VIIe - Xe siècle. D'un droit territorial à l'identité par la foi », Annales. Histoire, Sciences Sociales, vol. 60, no. 4, 2005, pp. 767-788. Provient des Annales de l’EHESS. Plan : - L’évolution du statut de captif - Le développement de l’identité religieuse de l’Etat - Byzance entre l’Islam et les païens Balkans - L’image de soi des Byzantins face aux Arabes L’Empire byzantin se modifie au VIIème siècle, surtout il se réduit territorialement, en dépit d’un bref moment de reconquête des provinces orientales à la faveur d’Héraklios que l’Empire sassanide avait subtilisé. Byzance alors réduit de près du tiers de son territoire doit s’adapter à une menace éventuelle, qui certes, n’est pas existentielle mais quand même la rétrocède dans le rang des puissances et la menace de « défaite totale ». Se faisant l’auteur cherche à retracer les effets, les conséquences que les relations géopolitiques ont eu comme impact sur les populations byzantines, s’agissant ici d’un contre-balancier à une « idée reçu » véhiculée par les sources antiques et médiévales qui placent ces communautés humaines comme « des victimes abandonnées à la menace des Arabes ». C’est pourquoi Rotman veut apprécier avec acuité les rapports des sujets avec le pouvoir central, si la citoyenneté n’est pas encore véritable au sens actuel que, nous, contemporains considérons, la Constitutio Antoniniana promulguée par Caracalla accordant la citoyenneté romaine aux habitants de l’Empire, abrogea la romanité des habitants de l’Empire dans le sens politique que l’assertion permet normalement. En d’autres termes, Rotman évoque la question plus large de la « citoyenneté » et la construction historique qui structure aujourd’hui ce terme et le définit. Y-a-il une citoyenneté médiévale ? Si la question posée n’est pas de réglé le phénomène, l’assertion néanmoins apporte des réponses entre le rapport entre Etat et citoyen auquel cas sujet. Cette relation réformée, modifiée se conçoit parce que l’Islam apparaît un moyen de disloquer le rapport et le lien qui attachait le peuple à son souverain, les sujets à son chef. Alors l’étude des captifs de guerre, des prisonniers de guerre est un idéal moyen de convenir, de comprendre le sentiment dûment créer entre l’Etat et l’individu, responsable dès lors de l’un envers l’autre. L’évolution du statut du captif Les échanges de prisonniers de guerres ne sont pas une première, et habituel dans le monde grec mais Rotman considère que l’évolution du statut du captif convint à prouver une forme nouvelle de l’individu et la relation Etat-individu, les prisonniers ne sont pas seulement des prisonniers mais des ressortissants appartenant à l’Etat et donc consubstantiel de lui-même. Rotman utilise l’exemple de 769 où les deux civilisations : Arabe et Byzantine, échangèrent leurs prisonniers. Première de l’ère romaine. Rotman alors expose cette absence dans le monde romain. Et pourquoi, si l’échange de prisonnier n’était pas une pratique romaine, alors pourquoi l’est-il pour l’Empire héritier ? Et pourquoi cette pratique s’interrompt au Xème siècle, brusquement, violemment. La refondation de la définition même de prisonnier est une raison fondamentale, absolue en un sens car la définition moderne, contemporaine du prisonnier correspond à l’enlèvement d’un ennemi, or à l’époque consacrée le statut d’esclave était lié à la domiciliation dans l’Empire, la potestas d’un Etat était consacré dans ces limites, le droit des peuple – ius gentium- était de fait circonscrit. S’exclure de l’Empire, c’est s’exclure par la même des lois romaines. Mais ce statut évolutif, correspond à la définition que l’on considère actuellement, c’est-à-dire que Rotman voit dans le ius postliminii promulgué par la potestas de l’Etat romain, la légitimation d’une citoyenneté car le critère de l’habitat n’est plus nécessaire pour se reconnaître dans le corps social et civique romain. En cela, il constitue un premier acte de la « citoyenneté » en devenir, qui se formate. Ces définitions juridiques valent aussi pour le captif romain, et deux exemples sont souvent mentionnés par les spécialistes : celui d’Attilius Regulus et celui des captifs d’Hannibal à Canne, les deux exemples révèlent un motif moral car la défaite est qualifiée de honteuse. Pour les Romains voient dans la guerre menant au sacrifice suprême la garantie de la liberté d’Etat sauvegardé, le soldat a réagi pour lui-même. Toutefois, le rachat à l’ennemi est peu réalisé par l’Empire, il très souvent un acte privé : Cassius Dion raconte le rachat de soldats romains à des Germains au Ier siècle. Pour Rome, tout soldat capturé est un esclave, l’ensemble de ces biens sont spoliés par la communauté et son mariage ainsi que ses droits romains lui sont retirés, à moins que l’esclave redevenu un homme libre et regagnant l’Empire, en vertu de l’ius postliminii on lui restitue la totalité de ce qui lui avait été subtilisé, sinon doit-il remboursé son possesseur pour garantir la restitution de ses biens et de ses droits. Le statut de « citoyen » est dévolu par la famille que ni le mariage, ni l’Etat ne peut intercéder. En pleine élaboration, le statut d’esclave évolue encore, l’évangélisation de l’Empire élabore une nouvelle appréciation du captif : la rançon est un acte de charité. Prévalu par la religion de l’individu, l’évêque est le garant du rachat, que la législation impériale prévoit dès 409 sous Honorius. C’est aussi un moyen plus pernicieux car les évêchés augmentent leurs influences et leurs propriétés dans l’Empire. Les Novelles de justinien au VIème siècle corrobore cette responsabilité épiscopale, d’abord en 544, laissant l’Eglise vendre des terres inaliénables pour le rachat de captif ; puis en 545 où l’évêque se charge du rachat de l’otage. Que les papyri relatent. Procope de Césarée convient comme Theodôros de pratiques similaires. Le mariage chrétien indissoluble est introduit par rapport au mariage romain et conserve sa position de membre de la communauté religieuse. Au VIIème siècle, confronté à l’Empire sassanide, rien ou presque ne change mais l’avènement du conflit face aux Arabes. Les captifs de guerre juifs et chrétiens deviennent des esclaves - dhimmis - comme le voulait la coutume arabe. Entre le VIIIème et le Xème, Byzance évolue avec l’Ekloga en 741, sur le statut du captif, en effet, les droits affiliés à l’individu capturé ne sont plus soustraits à l’esclave, les droits deviennent inaliénables, c’est-à-dire que l’esclave reste libre en dépit d’être marchandé, et se doit de rembourser son acheteur malgré tout. C’est une forme de compromis, qui continu la politique justienne élaboré, entre les principes chrétiens qui conçoit tout homme comme son prochain pareillement qualifiable et les principes ancestraux relatif à l’économie. Pour le cas des ennemis capturés à l’ennemi, une loi militaire concomitante de l’Ekloga, oblige le possesseur du captif au grader avec lui ou à le rendre à l’empereur pour un échange de prisonnier. En cela, désormais la nature de la foi du prisonnier n’est plus un critère fondamental Le développement de l’identité religieuse de l’Etat L’élaboration du statut de captif considéré par le Coran est plutôt modéré : il est préconisé de le laisser vivant ; rien n’est relatif entre un musulman captif et un musulman possesseur. Au contraire des romains, le lieu de résidence n’est pas gage de liberté ou de captivité, seul la loi islamique le considère partie intégrante du corps religieux des croyants, l’umma. Parallèlement, à cette singularité juridique, s’élabore la doctrine religieuse musulmane, se faisant politique dont selon R. Serjeant convient de huit textes confirmant l’umma, parlant de « communauté théocratique », que les historiens préfèrent nommer par « communauté des croyants », se référant à « ceux là [communauté des croyants] forment une seule et même umma séparée de l’humanité ». Desquels l’on doit ajouter les juifs qui font parti de cette umma ou bine d’une autre communauté cohabitant avec les musulmans. Se faisant, la considération entre ethnie et communauté n’est pas encore établie et s’est formée durant le califat d’Abu Bakr, « l’émir des croyants », l’Islam n’est pour le moment conscrit qu’à ceux s’y référant et n’est pas impérialiste car elle est synonyme d’identité politique qu’autant religieuse, les frontières de l’Empire ne confèrent pas la foi mais est relatif à la foi individuelle. Concernant les captifs sont obligés de verser un tribut à la communauté des croyants ; le rachat lui n’étant pas mentionné par le Coran, il relève d’un droit tribal au VIIème siècle, et était très commun, lorsque celuici était privé au temps des Omeyades. Et donc ni les Byzantins, ni les Arabes ne sont instigateurs ne sont les instigateurs de la pratique selon les historiographes. Si les empereurs byzantins ont invité à ce changement, les arabes, désormais l’Empire abbasside par les échecs militaires ont favorisé le rachat des musulmans auprès des autorités byzantines et constituent une diplomatie, c’est vingt échanges entre le VIIIème et le Xème siècle, quelques milliers de personnes. Et selon la valeur de l’individu récupéré, de l’or soutenait l’équivalence, un partage « équitable » avec l’exemple du calife al-Wathik. Des rançons publiques aussi eurent lieu, comme en 855-856, favorisant les échanges, les empires ont développés une relation politique singulière, pas irréversible mais qui enjoints un problème nouveau : les réfugiés. Des précédents sont constatés dès les traités entre Perses et Romains où les réfugiés sont largement mentionnés. Les réfugiés sont des déserteurs pour les états respectifs et sont évangélisés, convertis comme Akritas. Et c’est 10 à 12 milles personnes de la tribu des Banu Habib qui deviennent chrétiens et inversement chez les arabes. Byzance entre l’islam et les païens des Balkans Sur l’autre front, les Byzantins n’usèrent pas d’échange dans les Balkans, seul en 816 est mentionné avec les Bulgares. Marginal et mineur, les captifs étaient utilisés par les byzantins dans leur armée ce que Justinien II fit en Asie Mineure comme l’atteste l’historiographie ; ou bien ils étaient vendus comme esclaves (« Scythes »). Evangélisé, le slave restait esclave. La politique ambivalente promue par Byzance était affiliée à une appréciation particulière, l’évangélisation d’un musulman devait s’accompagner obligatoirement pour réussir d’une « naturalisation », or chez les païens, l’Eglise rodé à l’exercice n’était pas contrainte de dispenser la nationalité romaine aux Slaves et leur reconnaître un quelconque droit. En cela était aussi liée à une conflictualité entre deux empires, de deux modèles qui prenant compte la foi se firent concurrences et donc marteler sa propre religion était fondamental en un sens absolu tel l’échange de 855-856. Pas de terminologie ne pouvait qualifier les Byzantins au sens auquel aujourd’hui il convient de les nommer, en effet, les « Romains » qui connurent une agonie lente étaient confrontés à des ethnies organiques qui se constituaient et donc se formataient aussi une identité nouvelle. Des chrétiens contre des musulmans, pas nécessairement. Les musulmans dans l’Empire sassanide, exaltés par l’umma, ne considéraient pas criminels les actes de répression sur les chrétiens présent dans leur empire. Or, l’Empire byzantin s’est confronté à diverses ethnies et à une autre religion, musulmane ici, permit de considérer davantage les chrétiens soutenant politiquement la communauté tout entière, se faisant la rivalité permit l’unification de l’Eglise byzantine et des communautés religieuses chrétiennes et de convenir d’une foi unique, une foi d’Etat. Ce qui n’empêche pas l’Empire byzantin de fomenter des attaques contre les chrétiens du moment où ils étaient dans l’Empire sassanide, l’épisode de Bélisaire va en ce sens. Face aux bulgares, ils ont réussi à faire prévaloir l’image de l’Empire chrétien, symbole de cette même foi, l’obédience de Constantinople en cela était pour la première fois valorisé en comparaison de l’Antiquité tardive. Sans pour autant être soumis à une résistance bulgare, forte et dure, que les rois Syméon, Boris II et Samuel ont mené. C’est pourquoi les traités de 911, 914 et 944 prouvent la détermination des Byzantins à étendre la foi chrétienne au-delà de leur propre potestas. C’est une christianisation graduelle et d’influence culturelle qui se mit en route. Mai aussi, il était fondamental de s’établir l’Empire représentatif de Rome auprès des autorités arabes pour établie la primauté de celle-ci. Néanmoins, après la scission entre catholiques et orthodoxes, Byzance se trouva véritablement empire au sens où elle était dépositaire d’une histoire et d’un pouvoir convenu tant à l’Est, par les Arabes -Ibn al- Adim-, tant à l’Ouest par les Slaves et les Bulgares. Les Byzantins avaient à cœur de continuer d’incarner la puissance romaine : l’Empire romain d’Orient. Au-delà de cette reconnaissance internationale, diplomatique il était important de créer des liens commerciaux afin de favoriser cette reconnaissance convenue comme le préempte le traité de 941 avec les Russes. Désormais, les Slaves et les Bulgares devenus chrétiens, le statut de captif n’a plus raison d’être et s’arrête. L’image de soi des Byzantins face aux Arabes La guerre entre les Arabes et les Byzantins se modifia à cause de la piraterie en atteste les sources primaires de l’époque. Les arabe n’ont fait que quelques incursions dans l’Empire sans jamais mettre ne danger la constitution des Byzantins. Au IX et Xème siècle, alors qu’ils ont conquis la Crète, pendant 6 ans, l’endroit devient base de piraterie mais rapidement les forces byzantines reprennent la plupart des conquêtes réalisés par les Arabes. C’est pendant ce Xème siècle que les ressortissants byzantins deviennent des valeurs marchandes de premier choix, ce qui inquiéta Byzance et de nouveau le rachat privé reprit une forte inflation que plusieurs histoires relatent, notamment des vies de Saint. Ces prises d’individus étaient organisées sur les territoires dar al-harb – « en guerre » - mais si le sources ne le relèvent pas les Byzantins ne sont pas ne reste dans cette « razzia », de même que les Arabes, ils pillaient et vendaient les marchandises surtout au Levant et au Proche Orient comme l’histoire de Harun ibn Yahya qui relate son parcours à la cour byzantine. Le mutisme des sources byzantines interroge car elles sont ambivalentes, quant elles parlent c’est pour valoriser un saint, donc une moralité, un comportement, une vertu qui manifeste sa bonne chrétienté et en fait un exemple, alors que les autres faites par les Byzantins sont tacites et ne s’attachent guères à évoquer la propre part byzantine dans ce processus, et les Arabes ne sont que agresseurs et menace pour la Chrétienté. De l’autre côté, à l’Ouest, des menaces équivalentes et des razzias identiques avaient lieu, mais les sources ne tarissent pas les actes barbares des byzantins dans les « razzias » et blâme les deux camps, une hagiographie en demi-teinte. Pour conclure, la démonstration de Rotman est claire et concrète tant elle s’attache à s’appuyer sur des œuvres, des ouvrages et des sources primaires que d’autres plus modernes qui élargit le spectre de réflexion et permet en fin de compte de comprendre les rapports très complexe en Byzance et ses voisins, entre un Empire byzantin qui cherche à se réinventer et divers empires qui tour à tour perses, arabes et musulmans qui cherchent à tisser des liens avec les Byzantins et inversement. Et chacun d’eux utilisent à la fois le pouvoir politique soutenant symbolique que la force militaire soutenant la puissance, c’est-à-dire la contrainte de l’adversaire. C’est par ailleurs, deux identités en devenir et organique qui se forgent l’un et l’autre. Le travail de Rotman s’inscrit dans une approche large de refondation des études effectués sur Byzance en utilisant notamment d’autres matières de sciences sociales à savoir anthropologie, la sociologie, la psychologie….