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Les enfants, suivis du troupeau, étaient fous de joie à la perspective d'une nouvelle
journée passée en compagnie de Krishna. Toutes les créatures du village et de la forêt en
oubliaient le poids de l'existence, la rigueur du travail et la lourdeur du temps qui passe.
Dieu était parmi eux sous forme humaine, dans le corps aimable d'un enfant,
radieux comme le soleil naissant. Respirer le même air, fouler le même sol que lui, lui
parler, jouer avec lui, le voir et répéter en chœur les refrains qu'il entonnait les
remplissaient d'une joie inexprimable.
Aucun être humain n'avait jamais éprouvé un tel bonheur. Même les dieux au plus
haut des cieux regardaient les compagnons de Krishna avec un sentiment mélangé de
joie et de douleur.
Gopâla marchait à pas légers, comblant l'atmosphère du parfum de l'amour et les
dieux auraient renoncé volontiers aux délices du ciel pour pouvoir accompagner Krishna
comme le faisaient les joyeux vachers de Brindavan.
Non seulement les dieux soupiraient-ils, mais tout ce que touchait Krishna se
chargeait d'une attraction irrésistible qui poussait les hommes, les bêtes et même les
éléments à rechercher sa présence.
Krishna souriait d'un air suave, conscient de l'amour qu'il émanait et de celui qu'on
lui vouait. Il était heureux de voir les yeux de ses petits amis, ceux des vaches et de leurs
veaux briller de bonheur.
Le Roi du ciel et de la terre marchait devant eux, les pieds nus...
Maman Yashoda craignant qu'il ne se fasse mal aux pieds au contact de cailloux
pointus, avait fait faire une paire de sandales par le cordonnier du village. Mais Krishna
avait refusé de les mettre en disant : « Maman ! Mes petits amis, les vaches et les veaux
n'ont pas de chaussures, eux ! Comment est-ce que je pourrais marcher devant eux sans
crainte des cailloux et des épines ? Comment pourrais-je mériter d'être leur chef si je ne
partage pas leurs difficultés ? Non, je mettrai ces sandales quand tu auras fait faire des
chaussures pour tous mes amis que j'aime tant ! »
Sa mère avait insisté, mais en vain. De plus, il y avait une raison secrète entre
Krishna et l'esprit de la terre. Chacun de ses pas était une caresse d'amour qu'il lui faisait,
pour refermer les plaies qu'on lui infligeait depuis si longtemps en la foulant avec haine,
terreur et arrogance. Krishna marchait donc les pieds nus devant ses compagnons, en
brandissant comme un sceptre le roseau qu'il avait trouvé par hasard sur son chemin.
Par hasard ? Oh ! Non. Rien n'arrive par hasard ni sur la terre, ni dans le ciel ! Tout
ce qui se passe est préparé depuis longtemps et chaque chose, chaque être que nous
rencontrons dans la vie, a une longue histoire à nous raconter. Le petit roseau qui avait
déjà appris le secret du silence et de l'harmonie et qui avait déjà su faire grandir au fond
de son cœur le goût de la Vérité, était maintenant entre les mains de l'enfant-Dieu...
Sa rencontre avec Krishna fut sa vraie naissance. En fait, jusqu'à cet instant, il n'avait
fait que traverser la grande nuit et pousser, tandis que maintenant il ouvrait les yeux sur
une nouvelle dimension et voyait l'esprit de la lumière !
Dans les mains de Krishna, il sentait la même fatigue étrange et le même
soulagement qu'il avait éprouvé quand, il y a longtemps, longtemps auparavant, il était
arrivé à la surface, après son lent voyage sous la terre.
Après avoir marché pendant un certain temps, les vachers arrivèrent dans une
clairière verdoyante encastrée dans la forêt, comme un œil de soleil. Les vaches
commencèrent à brouter avec délices, tandis que les enfants s'allongeaient dans l'herbe
haute pour se reposer de la longue marche. La pause fut brève ! Ils se mirent à courir les
uns après les autres en riant et en s'interpellant.
D'habitude, Gopâla était le capitaine de leurs jeux, mais ce jour-là, il resta appuyé
au tronc d'un banyan dont le feuillage aux proportions gigantesques était la plus belle