FAIRE FAMILLE ! Faire famille… Une famille ça sert à quoi ? Comprendre et aider les familles ! Familles et cultures ! Dr Jean-Jacques JOUSSELLIN Pédopsychiatre Centre hospitalier Gérard Marchant 134, route d'Espagne 31057 Toulouse cedex 1 N°37 – octobre-novembre 2012 N°38 – décembre 2012-janvier 2013 N°39 – février-mars 2013 N°40 – avril-mai 2013 Faire Famille Recomposée, monoparentale, homoparentale, la famille évolue, se transforme... à tel point qu’il devient difficile de parler de la famille au singulier. Si ces changements ont, sûrement, une incidence sur les jeunes enfants, et notamment leur socialisation, qu’en est-il de fait ? Le fonctionnement même plus que la composition de la famille ne serait-il pas la raison des problèmes que peuvent rencontrer certains enfants ? À la découverte de la diversité familiale À la sortie de l’école, « Petit Paul » est tout excité, il saute partout. Il est content parce que ce soir il va chez Léa. Elle a 7 ans, comme lui, et c’est sa copine depuis la maternelle. C’est super d’aller chez Léa. Sa famille est extraordinaire. Il y a Jacques et Sarah, les parents, mais aussi Pierre et Sophie, les enfants de Jacques, mais pas de Sarah. Et aussi Amandine, la fille de Sarah, mais pas de Jacques. Léa, elle, c’est la fille de Jacques et de Sarah ! « Petit Paul » a appris que c’est une famille recomposée, parce qu’avant, Jacques et Sarah avaient un autre amoureux, et ils se sont séparés pour vivre ensemble, mais sans être mariés cette fois-ci. C’est comme pour Déborah, elle, elle a deux mamans qui ne sont pas mariées, mais qui vivent ensemble. « Petit Paul », lui, il est tout seul avec sa maman et sa petite sœur. Il se demande comment c’est d’avoir un papa, comme Léa, ou deux mamans, comme Déborah. Ça l’a toujours intéressé ces histoires de famille. Peut être parce que lui, il ne connait pas son papa! Mais ce qu’il aime, chez Léa, c’est que Sarah, elle raconte toujours des histoires au moment d’aller se coucher. Sa maman à lui, elle n’a jamais le temps. Et dans ces histoires il y a toujours des familles extraordinaires ! Le conte y est ! Tiens, Cendrillon, elle aussi c’était une famille recomposée : « Il était une fois un Gentilhomme qui épousa en secondes noces une femme, la plus hautaine et la plus fière qu'on n’eût jamais vue. Elle avait deux filles de son humeur, et qui lui ressemblaient en toutes choses. Le mari avait de son côté une jeune fille, mais d'une douceur et d'une bonté sans exemple. Elle tenait cela de sa Mère, qui était la meilleure personne du monde. Les noces ne furent pas plus tôt faites, que la Belle-mère fit éclater sa mauvaise humeur. Elle ne put souffrir les bonnes qualités de cette jeune enfant, qui rendaient ses filles encore plus haïssables. Elle la chargea des plus viles occupations de la maison: c'était elle qui nettoyait la vaisselle et les montées, qui frottait la chambre de Madame, et celles de Mesdemoiselles ses filles. Elle couchait tout au haut de la maison, dans un grenier, sur une méchante paillasse, pendant que ses soeurs étaient dans des chambres parquetées, où elles avaient des lits des plus à la mode, et des miroirs où elles se voyaient depuis les pieds jusqu'à la tête. » Déjà une famille recomposée avec ses grands et petits soucis ! Mais, la plus étrange des familles pour « Petit Paul », c’est celle de Peau d’âne. « Il était une fois un roi, le plus grand qui fut sur la terre, aimable en paix, terrible en guerre, seul enfin comparable à soi: ses voisins le craignaient, ses états étaient calmes, et l'on voyait de toutes parts fleurir, à l'ombre de ses palmes, et les vertus et les beaux arts. Son aimable moitié, sa compagne fidèle, était si charmante et si belle, et avait l'esprit si commode et si doux qu'il était encore avec elle moins heureux roi qu'heureux époux. De leur tendre et chaste hyménée, pleine de douceur et d'agrément, avec tant de vertus une fille était née. […] Arrivée a sa dernière heure la reine dit au roi son époux : trouvez bon qu'avant que je ne meure, j'exige une chose de vous ; - c’est que s'il vous prenait envie de vous remarier quand je n'y serai plus... je veux avoir votre serment que si vous rencontrez une femme, celle-ci soit plus belle, mieux faite et plus sage que moi. […] Au bout de quelques mois le roi voulut procéder à faire un nouveau choix : ni la cour en beautés fertile, ni la campagne, ni la ville, ni les royaumes d'alentour dont on alla faire le tour, n'en purent fournir une telle. - L’infante seule était plus belle et possédait certains tendres appas que la défunte n'avait pas. Le roi le remarqua lui-même et brulant d'un amour extrême alla follement s'aviser que par cette raison, il devait l'épouser. » Pour « Petit Paul », cette histoire d’un papa qui veut se marier avec sa fille est incroyable. Et pourtant, la morale de cette histoire continue à vivre dans toutes les familles « Le conte de Peau d ‘âne est difficile à croire, mais tant que dans le monde on aura des enfants, des mères et des mères-grands, on en gardera la mémoire », dit Mr Charles Perrault ! Pour « Petit Paul », sa décision est prise, il se mariera avec Léa. Sa maman lui a expliqué qu’il ne pouvait pas se marier avec elle, et que l’amour d’une maman pour son enfant, ce n’est pas le même que celui pour son « amoureux ». D’ailleurs, « Petit Paul » l’a bien compris, quand les parents divorcent, comme ceux de Pauline, les parents ne divorcent pas de leurs enfants. Leur amour pour les enfants continue, même s’ils ne vivent plus ensemble. D’ailleurs, chez Léa, c’est un peu compliqué les week-ends, parfois ils sont trois, parfois cinq, et parfois six. « Petit Paul » s’y perd, mais Léa, elle, elle s’y retrouve très bien ! Au fil du temps, la famille évolue Des familles différentes... Si « Petit Paul » avait été à la place de Manon, son papa pédopsychiatre lui aurait expliqué que la façon dont les familles existent, évolue au fil du temps. D’ailleurs, il n’y a pas à s’en inquiéter, puisque, partout dans le monde, les adultes « font famille », mais ils organisent leurs familles très différemment. Et ça n’empêche pas la terre de tourner, le monde d’exister, et … les hommes et les femmes de faire société. Ce n’est pas la famille qui est à la base de la Société, ce sont les rapports de pouvoir, d’autorité, et de croyance. D’ailleurs, quelques siècles auparavant, c’était Dieu qui organisait les rapports des hommes entre eux. Dieu, le Roi, le Père et le fils ainé, la famille ne devait pas s’écarter de ce chemin qui organisait la répartition des richesses et des pouvoirs, la tradition et les places de chacun. Puis c’est le peuple qui a mis à la tête des pays les élus et les dirigeants. La famille s’est ainsi, peu à peu, démocratisée. L’autorité ne va plus « de soi », elle existe toujours, mais elle s’explique, se discute, se négocie. Pour certains, la « famille démocratique » a remplacé la « famille traditionnelle». Depuis les années 1970, des transformations importantes ont modifié la façon de « faire famille ». La baisse du nombre des mariages, l’augmentation de la « cohabitation » et la multiplication du nombre des divorces sont à l’origine de l’accroissement du nombre de familles recomposées et monoparentales. Les enfants nés hors mariage représentaient 6 % des naissances en 1965, ils représentaient plus de 42 % en 1999. Et l’on sait que la plupart des enfants qui vivent en famille recomposée, ont d’abord vécu avec leurs deux parents,… sauf pour 14 % d’entre eux qui sont issus d’une famille monoparentale. Ces dernières représenteraient, quant à elles, environ 16 % de l’ensemble des familles, et dans 86 % des cas, le chef de famille est la mère. ... que peut-on en penser ? Il est difficile de parler de la famille au singulier, puisqu’on peut rencontrer une grande diversité d’organisation pour « faire famille ». Ces transformations ont, bien sûr, une incidence sur la socialisation des jeunes enfants. Par exemple, qu’en est-il de l’ouverture aux autres ? La place et le rôle du père permettent ils l’introduction du tiers ou non ? Et le travail, qui introduit une diversité des modalités d’accueil : assistantes maternelles, crèches, mise à l’école plus précoce, etc., permet-il plus facilement la relation aux autres ?… Ou bien est-il un facteur de stress et de stagnation dans le développement? Les recherches récentes montrent que ce n’est pas la diversité de l’organisation des familles qui peut poser problème quant au devenir de ses enfants. Ainsi, une étude menée par une équipe de l’IEP de Grenoble (1) (La structure familiale n’explique pas la délinquance des jeunes !) en mars 2008, montre que l’environnement et le contexte de vie expliquent bien plus la délinquance juvénile, que la structure familiale. Cette étude montre également que le fonctionnement familial (entente des parents, supervision parentale) et le parcours scolaire ont une certaine influence sur le devenir des jeunes, … mais pas la structure familiale. La façon dont la famille s’organise, se structure (famille traditionnelle, famille monoparentale, famille homoparentale, famille recomposée, etc.), n’est en rien responsable de la délinquance des jeunes. Par contre, la façon dont la famille fonctionne et existe, dans un environnement à problème, peut être prédictives de problèmes chez les jeunes. La supervision, la déscolarisation et le contexte environnemental sont des facteurs importants de prédiction dans la marginalisation des jeunes et de ses conséquences. 1 IEP Grenoble, « La structure familiale n’explique pas la délinquance des jeunes »!, Dossier d’étude de la CNAF, numéro 102 Une famille, ça sert à quoi ? Si on sait forcément ce qu’est une famille, sait-on vraiment à quoi elle sert ? Il y a, certes, la fonction de reproduction. Mais une fois que le petit est « fabriqué », il faut lui permettre de se construire en tant que personne. Voilà la grande mission de la famille : offrir au petit, né en son sein, une sécurité de base grâce à laquelle il pourra se construire une image de lui suffisamment rassurante lui permettant de s’engager dans la découverte du monde et des autres, sans craindre la différence. La construction de l’humain au cœur même de la famille Si la famille n’est pas à la base de la structuration de la société, elle a un rôle majeur à jouer dans la construction de l’humain : elle est chargée, par la société, de construire des « petits d’hommes », à la fois « humains », comme tous les autres, mais aussi « uniques », différents les uns des autres ! Traditionnellement, dans notre société occidentale, il n’y a pas de conception et de procréation sans que l’union de deux êtres différents (un homme et une femme) fasse que… « Deux différents » vont construire… « Un bébé nouveau venu ». C’est à partir de la différence des sexes que notre société a pensé pendant très longtemps la construction de l’humain, dès la conception. Un homme et une femme, de sexe différent, vont construire un « petit d’homme » ! Pour de nombreuses sociétés, dites traditionnelles, la question de savoir comment né un bébé, garçon ou fille, ne peut être résolue uniquement par la différence des sexes. Il faut également une intervention divine ou celle des ancêtres. Par exemple, chez les Inuits, un enfant, même s’il nait garçon, pourra être nommé et éduqué comme une fille, puisqu’il est la réincarnation d’un ancêtre féminin. Mais sommes-nous si loin de cette pensée qui fait intervenir d’autres facteurs que la biologie dans la naissance et dans la famille ? Car après tout, Jésus est né de la vierge Marie, mais sans l’intervention de Joseph. Et Sarah, femme d’Abraham, a 90 ans quand elle met au monde Isaac. Pourtant, Joseph est bien le père de Jésus, et il fait famille avec Marie, tout comme Abraham et Sarah font famille. Ensuite, une fois le bébé présent, il n’y a pas de naissance d’un individu, sans la rupture du lien symbiotique qui différencie les uns, des autres. Si, au départ, existe un bébé à protéger et à élever, il va falloir, petit à petit, construire un être humain, homme ou femme. Toute société organise ce trajet qui inscrit l’identité et la différenciation dans la construction du « petit d’homme », par des rites et des rituels culturellement déterminés. Toutes les sociétés du monde s’organisent pour répondre à ce besoin, mais elles le font différemment en organisant leur espace familial et social. Dans notre société occidentale, les croyances religieuses nous ont longtemps accompagnées sur ce terrain ! Mais, au fond, la Bible nous dit elle pas que ce qui fait famille, ce n’est pas tant le père et la mère biologique que…«l’esprit de famille » ? La parenté est sociale, plus que biologique, le cadre culturel et familial doit permettre de répondre à cette mission de construction de l’humain, au-delà de la biologie. C’est d’ailleurs comme cela que l’adoption pose le rôle et la place des parents et de la famille. Mais les temps changent et les sociétés évoluent ! La médecine et la procréation médicalement assistée permettent techniquement à un couple homosexuel de faire famille, et met en évidence qu’une alliance de genre, n’est pas à superposer à une filiation. Un couple homosexuel femme peut très bien avoir un enfant qui est une fille, … que des femmes à la maison qui, bien évidemment, font famille ! La façon de faire famille change! La nécessaire sécurité de base indispensable pour accepter la différence Alors, une famille, à quoi ça sert ? Une famille Wolof au Sénégal va fabriquer des petits Wolof, et pour cela elle va mettre en place une organisation sociale où la classe d’âge et le respect des anciens sont très importants. Une famille Baruya en Papouasie-Nouvelle Guinée s’organise autour de la domination des hommes qui sont seuls responsables de la reproduction, les femmes (impures) ne sont qu’un sac qui permet au fœtus de se développer. Une famille Han en Chine va mettre au centre les femmes, et ce sont elles qui dirigent toute la vie sociale. Elles peuvent avoir plusieurs amants (le fils et le père éventuellement en même temps), mais l’enfant appartient à la lignée des femmes. Et la famille anglaise, ou française, ne cherche-t-elle pas à reproduire et fabriquer des petits Anglais ou des petits Français ? Une fois sur terre, cet enfant, né par le désir des hommes ou par la grâce d’un Dieu, il va bien falloir le rendre humain, et c’est à cela que va s’attacher la famille, dans son quotidien. Dans toutes les sociétés, nous dit Maurice Godelier (2), on retrouve toujours les mêmes fonctions parentales, au nombre de sept, mais elles se distribuent différemment selon les sociétés et les organisations familiales. Ces fonctions parentales sont : procréer/engendrer, donner un nom et un statut social, nourrir/élever et protéger, éduquer et apprendre, avoir autorité sur l’enfant, avoir des droits sur l’enfant et respecter des interdits sexuels. C’est bien pourquoi, plus que la différence de la structure familiale, c’est le fonctionnement familial et le respect, ou non, de ces fonctions qui sont à considérer dans l’éducation d’un enfant. Par exemple, si la fonction d’autorité est absente, la désorganisation psychique ou la toute puissance d’un enfant risque fort d’être un problème pour les parents. Et, tout le monde le sait bien, au fond, l’autorité n’est pas l’apanage des pères. Il existe des femmes qui font autorité (y compris dans la famille), et des hommes qui se caractérisent par leur absence ou une grande incapacité à poser un cadre éducatif contenant. Les contes sont en ce sens très instructifs quant à notre regard sur les rituels d’éducation, et nous ne cessons de les raconter aux enfants, comme de bonnes paroles à entendre. Et ce qu’apprennent les contes aux enfants, ce sont les codes de bonne conduite. René Roussillon(3), psychanalyste, propose de considérer que les parents passent un contrat avec les enfants dans trois registres : l’image de soi, les règles de vie et l’ouverture aux autres. 2 Godelier M., « Métamorphoses de la parenté », Fayard, 2004, p. 240- 242. Conférence de René Roussillon le 8 février 2007 à Albi : « Familles précaires et souffrances psychiques » lors du séminaire « De la crise des familles à la crise du lien », disponible avec la mallette vidéo du séminaire (10 DVD), diffusion : Lien Social 0562733440 / [email protected] 3 Il appelle le premier contrat : le contrat « narcissique » (4), c’est la façon dont les parents regardent et aident l’enfant à se construire une image de lui-même (tu es grand, tu es beau, tu es pénible, tu n’y arriveras jamais…). Le deuxième contrat est appelé « symbolique ». Il concerne les règles de vie : apprendre les codes, les interdits et les possibles, apprendre le vivre ensemble. Enfin, le troisième contrat est dit « d’interface ». C’est la nécessité pour des parents d’ouvrir l’enfant au monde, de lui permettre d’aller vers les autres, de s’enrichir des autres, d’aller vers la différence et l’accepter. Nous avons vu comment « Petit Paul » observe les familles de ses amis. Comment il s’enrichit de ces différences qui lui permettent de lire le monde et de se « faire une idée ». Mais pour que ce chemin soit possible, il lui faut, à « Petit Paul », une sécurité de base qui lui permet d’avoir une image de lui suffisamment rassurante. Il sait qui il est et d’où il vient. Il sait aussi suffisamment bien comment « relationner » et se comporter avec les autres. Comment faire, jusqu’où aller, ce qui est possible ou non. Dès lors, fort de ces certitudes, il peut s’engager à la découverte du monde, à la découverte des autres. Même le Rémi de Sans famille d’Hector Malot est éduqué dans un espace de sécurité familial par Mme Barberin : « Je suis un enfant trouvé. Mais jusqu’à 8 ans j’ai cru que, comme tous les autres enfants, j’avais une mère, car lorsque je pleurais, il y avait une femme qui me serrait si doucement dans ses bras, en me berçant, que mes larmes s’arrêtaient de couler. Jamais je ne me couchais dans mon lit, sans qu’une femme vînt m’embrasser, et, quand le vent de décembre collait la neige contre les vitres blanchies, elle me prenait les pieds entre ses deux mains et elle restait à me les réchauffer en me chantant une chanson, dont je retrouve encore dans ma mémoire l’air, et quelques paroles. […] Quand j’avais une querelle avec un de mes camarades, elle me faisait conter mes chagrins, et presque toujours elle trouvait de bonnes paroles pour me consoler ou me donner raison. Par tout cela et par bien d’autres choses encore, par la façon dont elle me parlait, par la façon dont elle me regardait, par ses caresses, par la douceur qu’elle mettait dans ses gronderies, je croyais qu’elle était ma mère. » Car c’est bien de cela qu’il est question : les conditions de vie et d’éducation, dès les premiers moments de l’existence. Cette différence qui permet de se construire et d’être soi Faire une richesse des différences n’est possible qu’à la condition que chacun soit suffisamment construit au fond de lui pour que la différence soit perçue comme un enrichissement potentiel et non comme une menace à venir. Pour reprendre le fil de nos petites histoires, Rémi de Sans famille a été un enfant aimé par Mme Barberin et il a pu, sur les chemins et malgré les terribles épreuves qu’il a vécues, savoir trouver les appuis nécessaires à sa survie. Par contre, Pinocchio est un pantin qui nait sans chaleur maternelle, et dont le premier acte sera, une fois ses pieds réalisés par Gepetto, de sauter par la fenêtre et de s’enfuir. Rattrapé par un gendarme, ce dernier mettra néanmoins Gepetto en prison et libèrera Pinocchio. Dès le début de son existence, la mère est absente et l’autorité du père est disqualifiée. Dès lors, sur le chemin de la vie, les épreuves que traversera Pinocchio ne seront qu’une succession de problèmes, et toutes les rencontres qu’il fera ne seront que difficultés et mauvais tours dont il fera les frais. proposé par Piera Aulagnier : « Contrat narcissique », dans « La violence de l’interprétation » Paris, PUF, coll. « Le fil rouge », 1981, p.182. 4 Terme La différence n’est acceptable que si l’intérieur de soi-même est constitué de réassurance et de possibilité à contenir ce qui, parfois, va venir bousculer ses propres certitudes. Cendrillon a été aimée d’une mère avant d’être maltraitée par une marâtre. La différence est en soi une richesse. L’isolement, qui est par essence l’opposé de la différence (puisque l’on est seul), est un malheur. La précarité, malheureusement, s’accompagne de repli et de solitude. Il en est de même pour certains trajets migratoires qui introduisent des ruptures dans la continuité éducative culturelle, et ne permettent plus aux parents de remplir cette fonction d’interface dont parle René Roussillon. Il en est aussi des replis fusionnels que l’on rencontre dans certaines familles, pas toujours monoparentales… mais qui vont le devenir par exclusion de la fonction tierce que représentent d’abord le père, puis la vie sociale en général. Être soi, c’est d’abord expérimenter la différence et la sécurité avec sa famille, pour ensuite pouvoir affirmer ses propres choix. Comprendre et aider les familles ! Le cadre culturel et familial doit permettre de répondre à cette mission de construction de l’humain, au-delà de la biologie. Mais pourquoi les parents d’aujourd’hui ont ils aussi peu de certitudes dans leurs positions éducatives ? Et pourquoi ont ils perdus les repères qui pouvaient sembler si simples ? Les modèles éducatifs à interroger… Au XIXème siècle, afin de mettre fin aux infanticides, des hospices ont été créés, et le corps médical s’est préoccupé de la mortalité infantile très importante dans ces hospices. C’est la naissance de l’hygiénisme et des bonnes pratiques de puériculture ! Il faut « sauver les bébés » ! Les bonnes pratiques, ça se discute ! Les médecins hygiénistes, les pédiatres et les puéricultrices ont permis des avancées considérables dans la protection et l’élevage des enfants. Les parents ont acquis des savoirs et des savoirs faire qui permettent aujourd’hui à un bébé de vivre et de grandir dans de bonnes conditions. Mais cependant, dans le même temps, la perte des repères éducatifs est omniprésente dans ce monde en perpétuelle évolution. Comment faire, comment bien faire ? Quel parent ne s’est pas déjà posé la question, une fois, deux fois, et plus encore ! Les parents reçoivent de très nombreux conseils, tous plus ou moins normatifs, et qui font appel aux bonnes pratiques! Votre enfant est il bien élevé ? Avez-vous bonne conscience de faire ce que vous faites ? Les conseils sont parfois contradictoires, et les hésitations et les inquiétudes gagnent les parents. Mais on le sait maintenant, les « discours savants » sont imprégnés des modèles culturels, que ce soit du coté des bonnes pratiques de puéricultures (alimentation, couchage, portage, etc.) que du coté de l’éducation. Par exemple, biberon ou allaitement au sein, «Co-sleeping», portage en écharpe, éducation non contrainte, stimulation dès les premiers moments de la vie … à prendre ou à laisser ? Qui croire et que croire ? Quelle est la place accordée au mieux être du bébé, des parents ou à la relation éducative parents/enfants dans ces préconisations ? N’y a-t-il pas parfois confusion entre stimulation et excitation, contenance et symbiose, portage et contrainte par exemple? Les « bon conseils » dépendent parfois de l’interlocuteur et des buts recherchés! Heureusement, pour les parents, il y a les amis et les autres parents avec lesquels il est possible de discuter, d’échanger, de confronter ses opinions, pour finalement, peut être, affirmer ses choix, ou bien changer d’attitude. Aller à la rencontre d’autres familles permet de conforter ses repères, ou bien d’en trouver d’autres. Il s’agit d’une sorte de chasse au trésor, comme un chemin que l’on prend avec l’espoir de trouver des « savoirs faire et des savoirs être ». Cette recherche de repères ne fait pas appel aux conseils, mais à l’expérience de chacun. Les grands écarts dans les pratiques éducatives d’autres communautés de vie, nous sont plus difficiles à accepter tant ils nous déstabilisent, et mettent en question notre cohérence, nos certitudes, nos repères. Mais, si l’on y regarde de plus près, ils nous rassurent sur l’universel. Cet universel qui est la nécessité pour toutes les familles de construire de l’humain. En ce sens, le film d’Alain CHABAT « Bébés » (1) est un vrai plaisir. Ce dont il est question ici, c’est de pointer du doigt le risque qu’il y a à penser que les évidences et les « bons conseils » d’aujourd’hui seront les mêmes demain, et permettront de faire de « bonnes familles ». Les conseils présentés comme des certitudes, n’empêchent ils de penser à l’à-venir et aux évolutions de la famille? Et, finalement, n’est ce pas un « bon repère » que de penser que les différences et les divergences créent des discussions et des échanges, et donc, du mouvement et de la vie ? Et l’enfant nait du désir Le XXème siècle va faire apparaitre l’enfant. Celui-ci ne sera plus l’enfant né de la volonté de Dieu, et soumis à son « Destin », mais celui attendu par les parents à un moment choisi par eux grâce à la contraception. Si désormais l’enfant échappe au destin, il n’en a pas pour autant gagné son libre arbitre. Après avoir « sauvé les bébés », il nous faut maintenant « sauver l’enfant ». « Le bébé est une personne ! » nous a dit Bernard Martino (6). Il y a là une vérité intangible, mais dans cette nouvelle position, où est la part de l’enfance ? L’enfant n’est il pas trop souvent regardé comme un adulte en miniature ? L’enfant n’est-il pas passé d’un être « d’insouciance » (un enfant quoi !) à un être « d’inconscience » » à décrypter et à interpréter ? De très nombreux auteurs, à partir de la psychanalyse, nous enrichissent en permanence sur la question de l’émergence du « Sujet » dans l’enfant. On parle alors des processus de subjectivation, des premiers liens d’attachement, des processus de construction narcissique, de la formation des positions symboliques, des dynamiques de séparation et d’individuation, du destin des pulsions, de la structuration de l’Inconscient, etc. Tout cela nous invite à penser que l’enfant n’est pas un adulte en miniature, mais le résultat de processus intersubjectifs. La démarche systémique a mis l’accent, dans la dimension familiale, sur la communication, les places et les rôles dans les interactions (alliances, coalitions, etc.). L'histoire de la famille agit sur l'individu qui transporte avec lui des valeurs, des émotions et des comportements véhiculés par la famille, et ceci depuis plusieurs générations. La famille sert à construire des « Petits d’hommes » ! Mais pour bien élever son enfant il ne suffit plus d’accepter les enfants que Dieu veut bien accorder et de se conformer aux bonnes pratiques de l’hygiénisme et de la puériculture. Chacun peut choisir un enfant « si je veux, et quand je veux». Les parents doivent désormais assumer une position où l’enfant va jouer un rôle important dans la réalisation de leur désir et dans leur construction narcissique! Ne rien refuser à son enfant de peur de perdre son amour, lui offrir de multiples cadeaux pour être un parent digne d’être aimé, devient parfois une position inconsciente qui tend à résoudre l’enjeu parental du désir d’enfant. Combien de parents-copains n’osent pas s’opposer au désir (tout puissant) de leur enfant, et donc peinent à se poser en éducateur au sens de René Roussillon(7). Cette posture amène parfois la disparition de l’enfant dans une symbiose qui explosera comme une bulle de violence à l’adolescence. L’enfant est devenu l’enfant du désir, un être précieux, choyé, envié, ou insupportable. Dans ce registre, la question des liens et de l’interrelationnel apparait comme fondamentale. Et cette même question revient, quelque soit la forme de la famille : famille communautaire, famille hiérarchisée, famille monoparentale, famille recomposée, etc. Au-delà du bébé, se présente un enfant à éduquer, de la dépendance à l’autonomie. Et sur cette question existe un espace, qui prolonge les « bonnes pratiques » de puéricultures, et dont doivent s’occuper les EJE. Les modèles parentaux à discuter … Vous avez dit parentalité ? Aujourd’hui, « Petit Paul » est perplexe, Pierre, un copain de sa classe, est très énervé depuis quelques temps. Un rien ne l’agace et le fait exploser de colère. La maitresse lui a demandé pourquoi est ce qu’il était si mécontent ? Petit Paul a entendu Pierre parler de la colère de son papa qui « ne veut personne à la maison », et qui dit « je n’ai pas besoin d’aide ! ». La maitresse a essayé d’expliquer qu’une éducatrice allait venir les aider parce que son papa n’allait pas bien depuis qu’il avait perdu son boulot. Parfois il se mettait très en colère, et pouvait faire peur, même à lui, quand il criait pour les devoirs ! Pierre a baissé la tête et dit : « Ce n’est pas juste » ! Après s’être émerveillé face à la diversité des familles, après s’être interrogé sur la façon dont les familles si différentes s’y prennent pour élever leurs enfants, le voilà perplexe. Il existerait des personnes pour aider les familles ? Didier HOUZEL (4) propose de penser la dimension parentale selon trois axes : l’exercice de la parentalité, la pratique de la parentalité et l’expérience de la parentalité. L'exercice de la parentalité est entendu dans le sens des règles qui régissent les droits et les devoirs des parents. La pratique de la parentalité désigne les tâches quotidiennes que les parents ont à remplir auprès de l'enfant, c'est le domaine des soins parentaux. L'expérience de la parentalité comporte le désir d'enfant et le processus de transition vers une position de parent, elle est en lien avec l’histoire personnelle et familiale du parent. Les parents qui consultent pour une aide ou un soutien, font souvent état de leur profond désarroi et de la perte de sens : « mais pourquoi ça nous arrive, qu’est ce qu’on a fait, ou pas fait ou mal fait pour qu’on en soit là ? ». Aider une famille, c’est alors aider ces parents au niveau de leur « parentalité ». 7 Conférence de René Roussillon le 8 février 2007 à Albi : « Familles précaires et souffrances psychiques » lors du séminaire « De la crise des familles à la crise du lien », disponible avec la mallette vidéo du séminaire (10 DVD), diffusion : Lien Social 0562733440 / [email protected] 4 Houzel D., « Les enjeux de la parentalité », Editions Erès 1999, Qui peut encore penser que l’histoire de l’enfant en soi n’a aucune incidence sur l’histoire de l’enfant devant soi ? Les positions parentales actuelles sont issues de la propre histoire d’enfant du parent, de ses joies, de ses peines, de ses certitudes, de ses rencontres, et parfois aussi de ses traumatismes et de ses impasses. Ce soutien à la parentalité concerne donc un travail sur la position psychique que prend un parent, dans un contexte, en lien avec son expérience, à partir d’une histoire singulière et familiale. La guidance parentale, quant à elle, s’adresse directement à la pratique éducative d’un parent, et mobilise des recommandations en référence aux « bonnes pratiques éducatives ». Les parents dans le désarroi ont besoin de mettre du sens sur leur histoire actuelle et passée, afin qu’ils puissent ensuite entendre une parole qui parfois soutient, parfois renforce, parfois écarte, parfois répare, mais toujours respecte et donne sens. Prendre soin des parents, c’est aider une famille ! Une fois sorti de l’angoisse de voir la famille traditionnelle s’écrouler, apparait alors la richesse de l’invention humaine pour construire des « petits d’hommes ». On le sait maintenant, la dynamique familiale est plus importante que la structure qui se donne à voir. Si la position parentale est cohérente, quelle que soit son organisation, chacun de ses membres ne cesse d’aller de découverte en découverte. Et la vie, qui n’est rien d’autre que l’ouverture au monde, peut alors prendre toute son ampleur et toute sa saveur. A partir de cette réflexion, voilà discutée une démarche d’accompagnement qui amène au respect des familles, quelque soit leur configuration, et qui invite à un travail sur la mise en sens et en contexte des positions parentales. Même s’il convient parfois d’accompagner et les soutenir les parents vers d’autres positions éducatives, être attentif à leurs cheminements et les respecter, c’est prendre une autre option que celle qui voudrait ramener ces parents égarés dans le droit chemin. Mais laissons le dernier mot à « Petit Paul » : « ce qui est chouette chez Léa, c’est que y’a toujours du monde et qu’on rigole bien » ! Y’a de la vie, quoi ! Familles et cultures La famille est un ensemble culturellement déterminé qui, tel un dispositif d’emboitement de poupées russes, inscrit dans l’éducation de ses enfants une lecture du monde qui lui permet d’être soi parmi les autres. Familles en culture La découverte actuelle des différents modes de vie dans le monde nous permet de comprendre que l’organisation traditionnelle de la famille n’est pas la seule qui permette d’éduquer correctement un enfant. La diversité des organisations familiales nous montre qu’il existe d’autres modèles de construction de l’humain. En Europe, le regard porté sur l’enfant s’est profondément modifié. L’enfant du début du XXe siècle était un petit être qu’il fallait sauver et sortir de l’animalité. Le Siècle des Lumières, la Révolution française, la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen, la possibilité de choisir ou non la venue d’un enfant, le travail des femmes, l’autorité parentale partagée, etc. ont positionné la question du désir d’enfant à une place bien différente de celle qu’elle occupait au début du XXe siècle. L’enfant voulu par Dieu n’est pas celui du désir des hommes et des femmes de ce siècle. Une fois acquise la possibilité d’avoir un enfant « quand je veux et avec qui je veux » et après avoir eu accès au monde du travail et à l’autonomie financière, les femmes ont vu arriver sur le terrain de l’éducation des pères revendiquant un droit et une compétence à s’occuper des bébés. Les rôles d’éducation sont moins figés dans une position de genre, et tout le monde s’accorde à reconnaitre aux pères un droit à « materner » leur enfant. Les filles-mères ne se cachent plus, les enfants nés hors mariage sont reconnus et les familles monoparentales sont maintenant acceptées. Poursuivant sur ce chemin de l’égalité des droits, la possibilité d’adoption a ouvert la voie à la reconnaissance d’une parenté sociale plus que biologique. Celle-ci se prolonge par la demande actuelle des couples homosexuels à être reconnus comme pouvant faire famille, avec les mêmes droits et devoirs que les couples hétérosexuels. Jamais les changements n’ont été aussi rapides et les repères éducatifs autant bousculés par de nouveaux enjeux sociaux. La question de la liberté individuelle a pris le pas sur le principe de solidarité et de respect du collectif. La demande sociale en direction des familles incite celles-ci à mettre en place une éducation de la liberté et du désir. Et la société de consommation surfe sur la vague déferlante du commerce qui met l’individu et ses envies au centre du monde. Selon René Kaës, (8) « Chaque nouveau-né vient au monde dans un groupe, il est appelé à en devenir sujet en étant porteur d’une mission : celle d’assurer la continuité du groupe et des générations successives selon un code particulier qui lui est assigné au terme d’un contrat relevant de l’économie narcissique. […] Ainsi, chaque nouveau-né dont le statut psychique est, dès avant sa naissance, celui d’un sujet du groupe, trouve une place déjà désignée dans un ensemble, une place dont il a besoin pour se développer et pour que le groupe se maintienne. » 8 Kaës R., Les alliances inconscientes, Paris, Dunod, 2009. L’enfant perçoit et comprend le monde à travers le regard de ses parents. Pour passer de la perception à la représentation, le bébé a besoin de l’autre. Ce processus d’humanisation et de socialisation passe par une construction symbolique du monde et par la mise en place de contenants de pensée. La langue, les croyances, les alliances, les valeurs, les rituels sociaux sont autant de façons qu’a chaque culture, à travers les groupes d’appartenance, de poser le sujet dans une relation à l’autre socialement construite. Rudyard Kipling (9) nous offre un exemple de cette découverte du monde à partir d’un groupe d’appartenance. Mowgli, accepté par mère Louve au même rang que ses louveteaux, va grandir dans cette famille. Il passera sous la protection du Clan au Rocher du Conseil et découvrira les lois du monde (de la jungle) avec l’ours Baloo, éducateur-enseignant : « Je lui apprends les Maitres Mots de la Jungle appelés à le protéger auprès des oiseaux, du Peuple Serpent, et de tout ce qui chasse sur quatre pieds […] Il peut maintenant, se réclamer de toute la Jungle ». Mowgli, banni par le Clan, trouvera refuge au village des humains. Mais ce monde lui est incompréhensible : « Ils n’ont point de façons, ces gens qu’on appelle des hommes ! Il n’y a que le singe gris capable de se conduire comme ils font »… « À quoi bon être un homme si on ne comprend pas le langage de l’homme ? »… Pendant trois mois, Mowgli va s’efforcer d’apprendre les « us et coutumes » des hommes, mais soit il s’ennuie, soit il ne comprend rien, soit il trouve cela inutile. « Un jour où le prêtre du village lui déclara que s’il volait des mangues, le dieu du temple se mettrait en colère, il alla prendre l’image, l’apporta au prêtre dans sa maison et lui demanda de mettre le dieu en colère, parce qu’il aurait plaisir à se battre avec. Ce fut un scandale affreux »… « Les vieillards, assis autour de l’arbre, causaient et aspiraient leurs gros houkas. Ils racontaient d’étonnantes histoires de dieux, d’hommes et de fantômes […] Toutes vos histoires ne sont-elles que pareilles turlutaines et contes de lunes ? » dit Mowgli ». Bernard Gibello (10) propose que « Les contenants culturels se manifestent d’une manière aujourd’hui bien explorée dans les contes et les mythes, par exemple les habitudes et coutumes alimentaires. Il en va de même pour les manières de vivre en général, qu’il s’agisse des “bonnes” et des “mauvaises” manières […]. Ces contenants de pensée permettent de “faire tenir ensemble” des individus différents dans une même société et une même culture. Dans le cas de sujets passant d’un cadre culturel à un autre, on ne sera pas étonné que la transformation des contenants culturels s’accompagne de troubles divers de la fonction générale de “symbolisation”, de même que des apprentissages cognitifs, scolaires, sociaux et culturels. » Beate Collet et Emmanuelle Santelli (11), en partant de la question des familles migrantes, permettent de comprendre l’entre-deux culturel en regardant du côté de la formation des couples. Elles distinguent l’entre soi déterminé (qui ne s’écarte pas de la tradition), l’entre soi évolutif (qui est négocié) et l’entre soi émancipé (qui fait rupture avec la culture traditionnelle). De cette position du couple parental découlent, bien évidemment, des positions éducatives, avec leurs trouvailles et leurs impasses. 9 Kipling R., « Le livre de la jungle », Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2012 . 10 Gibello B., « Contenants de pensée, contenants culturels » in Troubles du langage et de la filiation chez le Maghrébin de la deuxième génération, Paris, La pensée sauvage, 1988. 11 Collet B., et Santelli E., Couples d’ici, parents d’ailleurs, Paris, Puf, 2012. Culture de familles C’est un fait acquis, la parenté est surtout sociale et culturellement déterminée. Les questions d’éducation, d’autorité, de droits et de devoirs, de statut, d’interdits sont bien des invariants sociaux à résoudre, quelles que soient les cultures. Il ne peut y avoir de vie en société sans résolution des ces principes de base du « vivre ensemble ». Mais comment la famille se débrouillet-elle pour éduquer culturellement un enfant ?Après avoir pensé la question des identifications comme base fondamentale de la construction de l’individu à travers la problématique œdipienne, le regard s’enrichit maintenant de la nécessité de construire du lien avant de pouvoir s’individuer. Les dynamiques d’attachement et le processus de séparation/individuation font l’objet de toutes les attentions. La question du sujet en construction interroge donc le lien et les alliances. Pour D.W. Winnicott (12) : « Un bébé, cela n’existe pas ». Voilà ce qu’il en dit : « Inquiet de m’entendre proférer de semblables paroles, j’ai essayé de donner mes raisons : j’ai fait remarquer que, lorsqu’on me montre un bébé, on me montre aussi quelqu’un qui s’occupe de lui. On se trouve en présence d’un “couple nourrice/nourrisson. […] Ce n’est pas l’individu qui est la cellule, mais une structure constituée par l’environnement et l’individu. Le centre de gravité de l’être ne se constitue pas à partir de l’individu : il se trouve dans ce tout formé par ce couple. […] Les apparences sont trompeuses : là où nous avons souvent cru voir un petit enfant, nous constatons que ce que nous aurions dû voir, c’était un environnement devenant apparemment un être humain. » Pour comprendre le monde et s’y inscrire, l’enfant a besoin de mettre en place un processus de symbolisation qui lui permet de fabriquer, à partir de ses expériences, ses propres représentations. Ce processus nécessite l’intervention d’un tiers qui aide à donner du sens à ce qu’il ressent, pense et éprouve. René Kaës (8) interroge les liens parents-enfants à travers les alliances inconscientes. Selon lui, les alliances structurantes sont de deux ordres : le refoulement et ses destins divers, et le contrat narcissique. « Le contrat narcissique désigne ce qui est au fondement de tout possible rapport sujet-société, individu-ensemble, discours singulier-référent culturel. Ce contrat n’attribue pas seulement à chacun une place déterminée […] Il requiert que ce discours, qui inclut les idéaux et les valeurs, qui transmet la culture et les paroles de certitude de l’ensemble social, soit repris à son compte par chaque sujet. » […] « Ce dont la mère reçoit mandat, ce dont elle est l’actrice et le garant auprès de l’enfant, s’organise dans les rapports que le contrat narcissique entretient avec le pouvoir et l’autorité (culturels, religieux et politique). […] Le contrat narcissique accomplit ainsi une fonction éminente dans la formation des repères identificatoires. Le fait qu’il soit transmis et imposé en indique la portée intergénérationnelle, et sa dimension fondatrice ne doit pas occulter ses potentialités aliénantes. » Les contes « pour enfants » ne disent pas autre chose aux petits que le caractère incontournable de ces alliances. Hors de la famille, le danger rôde. Le Petit Chaperon rouge en est un exemple très parlant, Blanche Neige et Cendrillon ont perdu leur mère et doivent affronter une marâtre soit diabolique, soit maléfique. Le Petit Poucet, abandonné par sa mère, va rencontrer l’Ogre, et Peter Pan verra arriver au Pays de Nulle Part Wendy et ses frères, déçus par leurs parents. Dans ce pays, le temps et la mémoire n’existent plus. Winnicott D.W., « L’angoisse associée à l’insécurité » in « De la pédiatrie à la psychanalyse », Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1980. 12 Peter Pan a perdu le sens de l’amour, le danger rôde et finalement le manque d’une mère ramènera tout le monde à la maison. Qui mieux qu’une mère peut protéger ses enfants, affirment tous ces contes ! Quant aux fables de La Fontaine, elles font passer dans l’inconscient collectif des messages de « bonne conduite ». Venus d’outre-Atlantique, les Simpson et la famille Adams semblent combattre cette idée tant ils détruisent la « bonne morale ». Ils nous parlent des fondements pulsionnels de l’humain où les enfants jouent à (se) faire peur et à vouloir faire disparaitre l’autre, mais ils ne disent rien d’autre que l’importance des liens d’alliance familiaux. La référence communautaire américaine comme la référence républicaine française posent toutes les deux la nécessité des alliances au sein du groupe d’appartenance. René Kaës pose également cette question : « L’alliance est un invariant anthropologique, mais ses formes sont diverses, ses fonctions et ses modalités nombreuses. Les alliances sont soumises aux transformations que l’histoire sociale et culturelle leur impose. […] Si le contrat narcissique suppose un projet impératif de transmission des valeurs et des idéaux structurants, nous devons nous demander quelles contraintes et quelles conditions de possibilités il rencontre dans le champ social et culturel. […] La crise dans la transmission des modèles identificatoires s’exprime dans un hiatus entre ce que l’on souhaite transmettre et ce que l’on doute ou redoute de transmettre : lorsqu’on ne sait plus ce qu’il y a à transmettre, il n’y a plus de paroles de certitude» Entendre comment une famille a pu se construire culturellement, c’est comprendre comment elle a attribué symboliquement une place et un chemin pour son enfant. Entendre son désarroi, la perte des valeurs culturelles et familiales, c’est aussi comprendre la perte de sens du « vivre ensemble ». Que la famille soit d’ici ou d’ailleurs ! FAIRE FAMILLE ! o o Faire famille… N°37 – octobre-novembre 2012 Une famille ça sert à quoi ? N°38 – décembre 2012- o Comprendre et aider les familles ! N°39 – février-mars o Familles et cultures ! janvier 2013 2013 N°40 – avril-mai 2013 Dr Jean-Jacques JOUSSELLIN Pédopsychiatre Centre hospitalier Gérard Marchant 134, route d'Espagne 31057 Toulouse cedex 1