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Bromberg M, Frigout Sophie, Georget P. Regard croise des cadres selon le genre

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Regards croisés des cadres selon le genre : consensus illusoire ou vrai dissensus
Bromberg M1, Frigout Sophie1, Georget P2.
1 Laboratoire de psychologie sociale. Groupe de Recherche sur la Parole. (EAD351). Université de Paris 8. 2 rue
de la liberté.93 526. St Denis
2 Laboratoire de Psychologie Cognitive et Pathologique. Université de Caen. Esplanade de la Paix – 14032 Caen
Adresses E-mail : Bromberg [email protected]
Frigout
[email protected]
Georget [email protected]
L'accès récent des femmes à des postes de responsabilité dans les entreprises soulève le
problème de la construction d'une identité nouvelle, entre une certaine conception de la
féminité, intériorisée par l'éducation, et certaines normes de comportements masculins,
imposées par l'organisation. La représentation que se font les femmes cadres de leur rôle et
statut dans l’entreprise est, pour partie, le résultat d’une recherche d'identité professionnelle
fondée sur l’aspiration à occuper des postes de responsabilité et de pouvoir et d’un refus
d’identification avec le modèle masculin. En d'autres termes, cette identité est marquée par une
sorte de dialectique entre la recherche de l’égalité homme/femme et la revendication à la
différence. Cette dialectique peut se traduire par une typologie de carrières au féminin. De plus,
l’entreprise à travers son idéologie, sa structure et sa culture constitue un facteur de poids
dans les déterminants du comportement des femmes cadres et de leur situation. Le
cheminement de carrière qui les a menées à un poste de cadre supérieur a exercé sur elles un
ensemble de pressions les conduisant à une appropriation de l’univers des cadres. Ainsi, les
carrières des femmes cadres peuvent s’inscrire dans de multiples modèles de trajectoires
professionnelles dont certains sont semblables à ceux des hommes et d'autres particuliers
aux femmes. C'est pourquoi les trajectoires de certaines femmes cadres peuvent être le
reflet de stratégies d'ajustement liées à leur rôle de mère de famille comme par exemple :
• entreprendre une carrière vers l’age de quarante ans,
• travailler à temps partiel au moment où leurs enfants sont jeunes,
• changer d'entreprise et/ou de fonction afin de pouvoir mieux concilier
responsabilités professionnelles et familiales,
Les femmes cadres apportent aussi des ajustements à leur vie privée pour l'articuler à leur
carrière:
• elles ont en général leur premier enfant plus tard que les autres,
• elles mettent en place une organisation domestique efficace afin de ne pas troubler
leur vie professionnelle,
• elles limitent leurs loisirs personnels au minimum.
• Elles veulent à la fois être de bonnes professionnelles et de bonnes mères et elles
manœuvrent de façon à assurer un équilibre optimal entre les deux.
Ces contraintes s’expriment parfaitement par la formule consacrée « pour être une bonne
mère, on ne peut pas se contenter d'être un bon père ». Cette formule capte l'héritage de la
conception traditionnelle des rôles parentaux et ses répercussions sur les ajustements que
les femmes cadres font pour concilier leurs rôles maternel et professionnel.
L’étude que nous présentons a pour objet d’étudier en terme de représentation la façon
dont hommes et femmes s’approprient leur culture d’entreprise pour co-construire leurs
parcours professionnels et matérialiser leur désir de réussite. Nous faisons l’hypothèse que les
représentations croisées des cadres selon le genre sont articulées autour de noyaux de sens qui
se laissent saisir par un ensemble d’interrogations portant tout à la fois sur la perception de
faits et sur des processus d’évaluation. Ainsi on pourra s’interroger sur les points suivants :
o Les valeurs de réussite des femmes cadres sont-elles les mêmes que pour les hommes ?
o
Sont-elles toutes autant motivées ? Ont-elles le même modèle de carrière que les
hommes ? Ce modèle est-il lié à celui des hommes et au poids des représentations qu’ils
ont d’elles ?
o En quels termes les femmes cadres parlent-elles de leur travail, de leur carrière, de leur
entreprise ?
o Comment gèrent-elles les conflits ?
o Comment font-elles passer leurs idées ?
o En quoi se montrent-elles différentes des autres cadres ?
o Comment se projettent-elles dans leur avenir professionnel et personnel ?
o Quelles places les organisations réservent-elles aux femmes lorsque les enjeux de
pouvoir sont importants ?
Pour tenter de répondre à ces questions nous avons utilisé d’une part des échelles
d’évaluations personnologiques et relationnelles, d’autre part des entretiens semi directifs.
Quarante huit cadres féminins et masculins d’une multinationale se sont positionnés sur les
échelles et ont participé aux entretiens individuels.
La tradition psychosociologique s’accorde à dire que les individus s’attachent à expliquer
les conduites d’autrui par l’intermédiaire de traits caractéristiques (Beauvois, 1994). Ces
descriptions psychologiques sont avant tout structurées par la valeur attribuée aux personnes
décrites. Le principe de telles descriptions a donné lieu à la conception d’échelles
d’évaluation, destinées à caractériser la perception que les individus entretiennent les uns sur
les autres et la perception des rapports sociaux qui les lient entre eux. Ces échelles permettent
de comprendre la dynamique des processus de catégorisation sociale et des relations intergroupes qui leur sont associées. Elles font apparaître, par exemple, les processus de
favoritisme pour l’intra-groupe et de discrimination à l’égard du hors groupe, elles permettent
de repérer à quel groupe de travail les salariés des entreprises s’identifient. Dans notre cas
précis, il s’agit d’évaluer la façon dont les cadres féminins et masculins se perçoivent
mutuellement et comment ils s’identifient à la catégorie plus général des cadres de leur
entreprise.
L’échelle d’évaluation des individus que nous utilisons se compose de 20 mots-traits
(par exemple autoritaire, naïf, ambitieux, cultivé…), allant du registre le plus négatif au plus
positif (Bazoumana & Belle, 1986). L’utilisation de cette échelle est particulièrement simple
et rapide puisqu’il s’agit de demander aux individus de choisir parmi les mots de la liste ceux
qui caractérisent le mieux une personne ou un groupe cible. Selon les conditions
expérimentales, les sujets avaient une des trois consignes suivantes : choisir les adjectifs qui
caractérisent les mieux (1) les cadres masculins ; (2) les cadres féminins ou (3) les cadres de
l’entreprise.
L’échelle d’évaluation des rapports sociaux a, quant à elle, pour objectif de déterminer
avec quel groupe les rapports sociaux sont perçus comme aisés, convenables ou difficiles. Elle
comporte une liste d’items (paternalisme, tolérance, tension, collaboration…) et selon les
conditions expérimentales, les sujets avaient une des trois consignes suivantes : choisir les
mots qui caractérisent le mieux les relations (1) entre les cadres masculins ; (2) entre les
cadres féminins ; (3) entre les cadres masculins et les cadres féminins dans l’entreprise.
Pour les deux types d’échelles la comparaison des réponses selon le sexe de
l’interviewé et la cible sur laquelle porte l’évaluation permet de faire apparaître les points de
saillance des perceptions croisées. Nous avons analysé les résultats sur la base de 4
indicateurs : poids, densité, dispersion, nombre d’items choisis. L’analyse des résultats met,
par exemple, en évidence qu’un cadre masculin est décrit par les hommes et les femmes
cadres à l’aide de traits caractéristiques d’un cadre, alors qu’un cadre féminin est décrit avec
les traits caractéristiques d’une femme. Ces résultats sont discutés dans le cadre conceptuel
des groupes collection et agrégat (Lorenzi-Cioldi, 2002). Enfin, les résultas quantitatifs
obtenus à partir des échelles d’évaluation sont confrontés aux entretiens semi-directifs, au
cours desquels les interviewés sont sollicités sur le thème des compétences, des modèles de
réussite et du management. L’analyse thématique et la comparaison systématique homme –
femme complète sans les remplacer les résultats obtenus sur les échelles d’évaluations et
montre l’utilité du croisement méthodologique dans l’intervention psycho-sociologique.
Références
Bazoumana, N. & Belle, F. (1986). Evaluation des partenaires et des rapports sociaux dans le
processus de différentiation catégorielle. Psychologie Française, 31-2, 141-147.
Beauvois, J.L. (1994). Catégorisation et description psychologique dans les organisations : un
outil de diagnostic psychosocial. In G. Guingouain & F. Le Poultier (eds.), A quoi sert
aujourd’hui la psychologie sociale ? Rennes, Presses universitaires de Rennes.
Beauvois, J.L. (1984). La psychologie quotidienne. Paris : Presses universitaires de France.
Belle, F. (1991). Etre femme et cadre. Paris, L’Harmattan.
Lorenzi-Cioldin F. (2002). Les représentations des groupes dominants et dominés. Collection
et agrégat. Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble.
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