Hommes et Migrations
Au cœur de "l'affaire". Un professeur de Creil témoigne
Luis Cardoso
Résumé
Trois jeunes filles qui se rendaient en classe coiffées d'un foulard dit "islamique ont provoqué un débat national sur la laïcité
française un siècle après Jules Ferry, sur la place de l'islam en France et même, plus généralement, sur l'intégration des
populations immigrées ou issues de l'immigration.
Luis Cardoso, qui au collège Gabriel-Havez a vécu "l'affaire" depuis ses prémices et qui avait à l'automne une des adolescentes
dans sa classe, retrace les différentes étapes de ce qui est devenu une polémique à rebondissements.
En encadré, Alain Seksig évoque un souvenir personnel, presque une fable intime dont la "morale" éclaire encore ses
convictions et dont il tire la conclusion suivante : l'appartenance religieuse ressort du domaine privé.
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Cardoso Luis. Au cœur de "l'affaire". Un professeur de Creil témoigne. In: Hommes et Migrations, n°1129-1130, Février-mars
1990. Laïcité – Diversité. pp. 7-12;
doi : https://doi.org/10.3406/homig.1990.1404
https://www.persee.fr/doc/homig_1142-852x_1990_num_1129_1_1404
Fichier pdf généré le 27/02/2019
AU
CŒUR
DE
"L'AFFAIRE"
Un
professeur
de
Creil
témoigne
par
Luis
Cardoso
*
Trois
jeunes
fiiies
qui
se
rendaient
en
classe
coiffées
d'un
foulard
dit
"
islamique
ont
provoqué
un
débat
national
sur
la
laïcité
française
un
siècle
après
Jules
Ferry
,
sur
la
place
de
l'islam
en
France
et
même
,
plus
généralement,
sur
l'intégration
des
popula¬
tions
immigrées
ou
issues
de
l'immigration.
Luis
Cardoso
,
qui
au
collège
Gabriel-Havez
a
vécu
T
affaire
"
depuis
ses
prémices
et
qui
avait
à
l'automne
une
des
adolescentes
dans
sa
classe
,
retrace
les
différentes
étapes
de
ce
qui
est
devenu
une
polémique
à
rebondissements.
En
encadré
,
Alain
Seksig évoque
un
souvenir
personnel
,
presque
une
fable
intime
dont
la
"
morale
"
éclaire
encore
ses
convictions
et
dont
il
tire
la
conclusion
suivante
:
l'appar¬
tenance
religieuse
ressort
du
domaine
privé.
?fT
JL/
AFFAIRE
du
voile
islamique"
est
née
pour
l'opi¬
nion
en
septembre
1989.
Si
l'on
en
croit
les
médias,
le
proviseur
du
collège
Gabriel-Havez
de
Creil
aurait
exclu
trois
lycéennes
pour
port
du
tchador
(sic).
Rappelons
quelques
faits,
pour
bien
comprendre
de
qui
et
de
quoi
l'on
parle.
Depuis
plusieurs
années,
des
élèves
de
confession
israélite
membres
de
l'Associa¬
tion
de
maison
d'enfants
(A.M.E.)
du
château
de
La-
versine,
proche
de
Creil,
ne
viennent
pas
en
classe
le
samedi
matin
et,
en
septembre,
ne
rentrent
qu'une
dizaine
de
jours
après
tout
le
monde.
Considérant
que
la
situation
n'avait
que
trop
duré,
M.
Chénière,
princi¬
pal
du
collège,
et
avec
lui
le
conseil
d'administration
réuni
en
juin
1989,
avaient
décidé
que
l'absence
aux
cours
pour
raisons
religieuses
ne
serait
plus
tolérée
à
la
rentrée
scolaire
suivante.
C'est
alors
que
certains
professeurs
évoquèrent
le
cas
de
trois
jeunes
filles
porteuses
d'un
"voile"
:
si
l'on
demandait
à
des
enfants
juifs
de
respecter
le
cadre
laïque
des
établissements
scolaires,
il
fallait
agir
de
même
vis-à-vis
de
ces
jeunes
filles
musulmanes...
Les
vacances
d'été
passent,
la
rentrée
arrive.
Je
dois
avoir
Fatima
A.
dans
une
de
mes
classes
;
je
ne
la
verrai
pas
avant
le
9
octobre
!
Elle
et
sa
sœur
(sur
la
demande
de
leur
père
?)
refusent
de
reprendre
les
cours.
Finalement,
trois
semaines
après
la
rentrée,
une
note
de
service
nous
apprend
qu'il
faut
refuser
en
classe
tout
élève
se
présentant
avec
un
"voile".
Quelques
jours
après,
Samira
S.
est
envoyée
dans
le
bureau
du
principal,
qui
la
fait,
après
une
âpre
discussion,
raccompagner
par
une
surveillante
jusque
chez
elle
avec
un
mot
avertissant
la
famille
de
la
nouvelle
situa-
*
Professeur
d'histoire-géographie
au
collège
Gabriel-Havez
de
Creil.
HOMMES
&
MIGRATIONS
1
129-1
130
-
FEVRIER-MARS
1990
7
DE
L'AFFICHAGE
DE
L'APPARTENANCE
RELIGIEUSE
DANS
L'ESPACE
PUBLIC
par
Alain
Seksig
Si
tant
est
que
l'on
puisse
assimiler
le
foulard
à
un
signe
d'appartenance
religieuse
(cf.
à
ce
sujet
ce
qu'en
dit
dans
ce
numéro
Jacques
Berque,
à
quoi
je
souscris
entièrement),
le
rapprochement
avec
le
port
de
la
kippa
par
certains
jeunes
juifs,
y
compris
dans
des
établissements
scolaires,
a
été
établi
dès
les
premiers
jours
de
"l'affaire".
Argument
cent
fois
entendu
:
«
Si
les
uns
peuvent
porter
leur
kippa,
pourquoi
pas
le
foulard
pour
les
autres
Et
de
faire
remarquer
que
«
notamment
dans
le
quartier
du
Marais,
à
Paris,
nombreux
sont
les
jeunes
juifs
portant
kippa
dans
leur
école
».
Enfin,
il
s'est
trouvé
certaines
auto¬
rités
rabbiniques
pour
défendre
le
droit
d'afficher
ses
convictions
religieuses
contre
ce
qu'ils
estiment
être
"l'intolérance
laïque".
De
quoi
effectivement
donner
mauvaise
conscience
(ou
la
nourrir)
à
plus
d'un
laïque
convaincu...
Avant
même
la
salutaire
réaction
d'un
cer¬
tain
nombre
d'intellectuels
juifs
interdisant
que
l'on
parle
ainsi
en
leur
nom,
un
souvenir
persis¬
tant
a
éclairé
mon
propre
jugement.
Manière
de
boussole
et
intime
antidote
contre
les
faux
arguments
et
les
incantations
démagogiques
que
ce
moment-là
personnellement
vécu
:
Il
y
a
treize
ans,
à
la
mort
de
mon
père,
je
me
rendais
chez
notre
vieux
rabbin
de
famille.
Installé
dans
une
cité
HLM
de
la
banlieue
parisienne,
cet
homme
connaissait
bien
ma
famille
en
Algérie
pour
y
avoir
célébré
nombre
mariages,
circonci¬
sions
ou
bar-mitzvas.
Il
me
savait
laïc
et
non
pratiquant,
ce
qui,
à
l'occasion,
me
valait
quelque
discret
"rappel
à
l'ordre".
Ce
jour-là,
je
venais
le
chercher
pour
que,
conformément
à
la
loi
religieuse,
il
vienne
prier
au
domicile
de
mon
père,
défunt.
Entrant
chez
lui,
je
coiffais
ma
calotte.
En
sortant,
à
ses
côtés,
je
m'interrogeais
la
peine
tout
entier
m'enva¬
hissait
alors,
mais
la
question
avait
réussi
à
se
frayer
un
chemin
jusqu'à
ma
conscience
:
«Je
l'enlève
ou
je
la
garde
Je
décidais,
pour
ne
pas
indisposer
le
rabbin,
de
garder
ma
calotte
sur
la
tête.
Du
moins
m'imaginais-je
ainsi
le
contenter
car
à
peine
avions-nous
franchi
le
pas
de
la
porte
tion
:
l'élève
n'est
pas
renvoyée
du
collège
au
sens
strict
du
terme
(seul
le
conseil
de
discipline
peut
prendre
une
telle
décision,
insistons
sur
ce
point).
Résumons
:
des
élèves
reprenant
les
cours
quand
ils
le
veulent
bien,
s'absentant
systématiquement
le
samedi
matin,
d'autres
venant
avec
un
voile
et
refusant
de
rentrer
en
classe
(pour
deux
jeunes
filles).
Cette
affaire
a
certes
fait
surgir
un
certain
refoulé,
mais
aussi
un
nombre
surprenant
de
contradictions.
Les
jeunes
filles
concernées,
les
premières,
ne
semblent
pas
avoir
toujours
un
comportement
logique
quant
à
leurs
convictions
:
elles
veulent,
disent-elles,
vivre
pleinement
leur
religion,
en
bonnes
fondamenta¬
listes1
qu'elles
paraissent
être.
Elles
respectent
certains
préceptes
essentiels
du
Coran,
mais
si
Samira
S.
refuse
la
reproduction
de
son
image,
en
revanche
elle
laisse
voir
le
bas
de
ses
jambes,
des
chevilles
jusqu'à
mi-
mollet,
suivant
la
mode
actuelle.
Les
deux
sœurs
A.
se
font
faire
des
photos
d'identité
sans
"voile",
posent
pour
les
photographes,
se
laissent
filmer
par
les
caméras.
Toutes
trois
sont
dans
une
école
mixte,
suivent
les
cours
d'E.P.S.
Ces
trois
adolescentes
me
semblent
être
le
symbole
d'un
des
problèmes
actuels
de
l'islam,
problème
qui
concerne
tous
ceux
qui
vivent
leur
religion
dans
un
pays
à
majorité
non-musulmane.
Est-il
possible
de
concilier
tradition
et
modernité
?
C'est
en
tout
cas
au
nom
de
cette
modernité
honnie
et
d'un
certain
rejet
de
la
société
française
telle
qu'elle
se
donne
à
voir
que
certains
utilisent
ces
jeunes
filles
à
des
fins
encore
bien
obscures
à
Creil,
mais
claires
à
Noyon.
Par
exemple,
le
voile
avait
été
accepté,
le
dialogue
se
poursuivant
avec
les
familles
concernées,
d'autres
exigences
sont
très
vite
apparues
(les
mêmes
que
pour
d'autres
confessions,
d'ailleurs)
:
refus
de
certaines
disci¬
plines,
de
leur
contenu,
exigences
quant
à
la
mixité,
etc.
Les
médias
et
à
leur
suite
l'opinion,
se
sont
focalisés
sur
ce
"voile",
après
un
article
scandaleux
du
Courrier
pi¬
card.
Il
faudrait
quand
même
se
demander
pourquoi
la
presse
n'a
retenu
qu'un
des
aspects
de
la
question,
en
passant
sous
silence
l'absentéisme
des
élèves
israé-
lites...
Il
est
vrai
que
des
jeunes
filles
voilées,
voilà
du
sensationnel
à
la
une,
qui
fait
vendre
du
papier
ou
aug¬
mente
les
taux
d'écoute
dans
une
période
l'actualité
ne
connaît
pas
l'intensité
dramatique
des
événements
de
Roumanie
!
Certains
nous
ont
demandé
comment
des
élèves
pou¬
vaient
être
laïques
si
elles
ne
passaient
pas
par
l'école
qui
leur
apporterait
cette
laïcité
?
Mais
comment
peut-
8
HOMMES
&
MIGRATIONS
1
129-1
130
-
FEVRIER-MARS
1990
on
prétendre
cela
:
elles
sont
en
quatrième
et
en
troisième
!
D'autres
ont
parlé
d'agression
injustifiée,
de
racisme
latent
et
sournois
envers
une
et
une
seule
communauté
immigrée,
en
l'occurrence
maghrébine.
Cette
accusation
ne
tient
pas
à
l'épreuve
des
faits
résumés
ci-dessus
;
il
faut
être
sérieux
et
avoir
des
positions
responsables
quand
on
prétend
représenter
une
communauté,
quelle
qu'elle
soit.
Les
lettres
de
réactions
reçues
au
collège
se
sont
ensuite
multipliées.
Mises
à
part
de
très
nombreuses
lettres
de
soutien
"inconditionnel",
se
sont
déga¬
gées
deux
positions
plus
tranchées
et
fort
diver¬
gentes
l'une
de
l'autre
:
d'une
part
l'imbécillité,
la
haine
de
l'Autre,
le
racisme
abject
et
vulgaire
:
«
Qu'elles
s'en
aillent,
qu'
ils
retournent
chez
eux
».
Très
honnêtement,
ces
infâmes
bafouilles
ont
été
très
peu
nombreuses
et
mais
est-il
nécessaire
de
le
préciser
?
nous
ne
nous
reconnaissons
pas
dans
cette
caricature
grotesque
de
"l'Occident"
;
d'autre
part
le
réflexe
identitaire,
mais
parfois
aussi
de
repli
sur
soi
:
Nous,
immigrés
maghrébins,
dénonçons
le
fantasme
qui
consiste
à
voir
un
ayatollah
derrière
chaque
immigré
».
Je
l'ai
dit,
ces
prises
de
position
me
semblent
à
l'opposé
l'une
de
l'autre
et
pourtant
quelque
chose
les
rapproche
:
cet
emploi
des
pronoms
"ils"
ou
"nous".
Peut-on
croire
à
l'intégration
si
l'on
continue
à
voir
les
choses
de
cette
façon
?
Une
enquête
récente
SOFKES-Nouvel
Observateur
du
23-29
mars
19892
montrait
que
27
%
seulement
des
musulmans
de
France
interrogés
se
sentaient
avant
tout
musulmans,
contre
59
%
qui
se
considéraient
comme
étant
français
et
musulmans
à
la
fois
;
71
%,
si
le
choix
était
possible,
opteraient
pour
l'école
publique
alors
que
29
%
choisiraient
des
établissements
privés.
44
%
des
personnes
interrogées
pensaient
que
l'on
pouvait
rompre
avec
l'islam
(pourcentage
énorme
et
presque
impensable
il
y
a
encore
quelques
années).
Il
semble,
selon
les
conclusions
de
cette
enquête,
que
l'on
se
dirige
de
plus
en
plus
vers
un
islam
"ouvert
et
sécularisé",
presque
"laïque"
!
Le
danger
d'un
islam
intégriste
en
France
est
donc
une
crainte
chimérique,
mauvais
rêve
de
quelques
frileux
intransigeants,
laïcs
de
fraîche
date.
D'ailleurs,
si
danger
intégriste
il
y
a,
ses
manifestations
en
milieu
scolaire
ne
sont
pas
le
résultat
de
pressions
de
certains
milieux
islamiques.
Au
contraire,
depuis
plusieurs
années
certains
milieux
catholiques,
protestants
et
juifs
ne
cessent
de
har-
de
l'immeuble
que
celui-ci
se
retournait
vers
moi
:
«
Enlève-la
!
chez
moi,
bien
sûr,
tu
peux
porter
la
kippa,
chez
moi
tu
es
chez
toi
;
mais
,
dans
la
rue
tu
es
chez
tout
le
monde...
»
Cet
homme
qui
vivait
tout
entier
par
et
pour
la
religion,
ne
s'intéressant
que
de
très
loin
aux
affaires
de
la
cité
et
n'ayant
peut-être
même
jamais
voté
de
sa
vie
en
France,
bien
que
de
natio¬
nalité
française
depuis...
le
décret
Crémieux,
pouvait-il
mieux
dire
qu'il
faisait
sienne la
concep¬
tion
laïque
de
distinction
entre
espace
public
et
territoire
privé
?
Mieux
dire
que
le
sentiment
religieux
se
vit
à
l'intérieur
de
soi
et
n'a
nujl
besoin
de
s'arborer
"crânement".
Un
peu
plus
tard,
le
rabbin
devait
nous
adresser
un
second
message
d'ouverture
et
d'intelligence,
d'autant
plus
fort
et
émouvant
que
dépouillé
de
tout
effet
ostentatoire.
Tout
ce
qui
devait
être
dit
et
lu
en
pareille
circonstance
l'avait
été
huit
jours
durant
;
les
mots
et
les
gestes
quoti¬
diens
s'apprêtaient
à
recouvrir
péniblement
le
silence
du
deuil
partagé...,
alors
notre
rabbin
sortit
de
sa
poche
un
livre
de
petit
format,
précautionneusement
couvert
de
chatterton
noir.
Il
ouvrit
le
livre,
sa
voix
doucement
s'éleva
pour
l'ultime
prière
:
en
arabe,
en
judéo-arabe...
Quatre
remarques
pour
conclure
:
1
J'ai
mené
ma
propre
enquête
dans
les
écoles
élémentaires
du
Marais
:
il
y
a
quelques
années,
un
élève
portait
effectivement
la
kippa
:
c'était
un
enfant
profondément
handicapé,
admis
dans
une
classe
relevant
de
l'éducation
spéciali¬
sée.
Les
enseignants
avaient
alors
jugé
qu'il
s'agis¬
sait
au
moins
autant
d'un
signe
d'affirmation
in¬
dividuelle
que
d'appartenance
religieuse
stricte
et
avaient
accepté
de
le
tolérer.
Encore
les
pa¬
rents
ont-ils,
au
bout
de
quelques
mois,
décidé
d'inscrire
leur
enfant
dans
une
école
privée
juive.
Sans
nier
bien
sûr
qu'il
puisse
y
avoir,
dans
tel
ou
tel
établissement
scolaire
à
travers
la
France,
des
élèves
portant
la
kippa,
telle
n'est
en
tout
cas
pas
la
situation
dans
les
écoles
du
Marais,
quartier
une
population
juive
est
de
longue
date
instal¬
lée
et
ne
cache
pas
en
général
sa
ferveur
religieuse.
Les
écoles
du
Marais
qui
accueillent
des
élèves
coiffés
de
kippas
sont
des
écoles
privées.
2
Visitant
il
y
a
peu
le
très
beau
"Musée
de
la
Diaspora"
à
Tel-Aviv,
je
fus
frappé
par
une
scène
sculptée
reproduisant
une
famille
attablée
un
soir
de
seder
,
à
l'occasion
des
pâques
juives
:
aucun
des
hommes
attablés
grand-père,
père,
HOMMES
&
MIGRATIONS
1
129-1
130
-
FEVRIER-MARS
1990
9
fils
n'est
coiffé
de
la
kippa.
J'interrogeais
alors
un
responsable
du
musée
que
cela
surprit
!
Il
ne
l'avait
pas
remarqué
et
pensait
que
le
port
de
la
kippa
dont
l'origine
remonte
aux
prêtres
de
la
Bible
mais
ne
fait
pas
l'objet
d'un
impératif
reli¬
gieux
ne
s'était
véritablement
généralisé
qu'au
XIXe
siècle
(la
sculpture
reproduisant
une
scène
du
XVIIIe
siècle).
3
Lors
d'une
réunion
publique
à
la
Mutua¬
lité
(le
28
novembre
1989),
Alain
Finkielkraut
rappelait
qu'au
XIXe
siècle,
Samson-Raphaël
Hirsch,
rabbin
de
Francfort,
fondateur
de
la
pre¬
mière
école
privée
juive,
demandait
à
ses
élèves
d'ôter
leur
kippa
lors
des
cours
d'instruction
profane,
ajoutant
que
rien
ne
doit
protéger
devant
le
savoir
et
qu'il
convient
de
se
présenter
à
lui
tête
nue.
4
L'école
publique,
quant
à
elle,
a
depuis
longtemps
prouvé
sa
capacité
à
dialoguer
et
à
s'adapter
:
il
n'est
plus
guère
de
cantine
scolaire
aujourd'hui
qui
ne
propose
d'autre
plat
aux
élèves
juifs
et
musulmans
qui
le
demandent,
lorsque
du
porc
est
inscrit
au
menu.
Ce
qui
signifie
tout
simplement
qu'il
est
des
aspects
négociables
de
la
présence
du
religieux
à
l'école,
d'autres
qui
ne
le
sont
pas
quand
ils
sont
ouvertement
ou
subrepti¬
cement
destinés
à
pervertir
l'espace
public,
s'opposer
aux
principes
de
la
laïcité
qui
le
régis¬
sent,
établir
la
prééminence
de
la
loi
religieuse
et
quelquefois
prétendue
telle
sur
la
loi
commune
et
confiner
les
individus
à
la
reproduc¬
tion
obligée
de
comportements
claniques.
celer
les
ministères
compétents
ou
les
académies
de
de¬
mandes
pressantes
et
précises
concernant
les
contenus
de
l'enseignement
ou
les
rythmes
sco¬
laires
(l'organisation
de
la
semaine
notamment).
Pour
moi,
il
n'y
a
pas
d'ambiguïté
:
les
trois
adoles¬
centes
"voilées"
ne
sont
pas
maghrébines,
immigrées
ou
franco-maghrébines,
elles
sont
françaises
à
part
entière,
c'est-à-dire
tout
cela
à
la
fois.
Il
n'est
pas
inutile
de
rappeler
que
cette
affaire
n'a
concerné
en
tout
et
pour
tout
que
trois
élèves
sur
875
(dont
environ
500
susceptibles
d'appartenir
à
l'islam)
et
que
l'on
n'a
vu
apparaître
aucun
nouveau
voile.
Ceci
est
d'une
importance
capitale
:
n'est-ce
pas
la
preuve
que
la
population
du
plateau
Rouher
a
dans
son
immense
majorité,
non
seulement
compris
notre
position,
mais
aussi
qu'elle
n'est
pas
si
réceptive
qu'on
voudrait
le
laisser
entendre
aux
idées
intégristes
?
Les
professeurs
de
Creil
n'ont
d'ailleurs
jamais
consi¬
déré
ces
trois
élèves-là
comme
des
"porte-drapeaux"
de
l'intégrisme
musulman.
Le
dialogue
s'est
engagé,
même
si
par
la
force
des
choses
il
fut
bien
mince
:
une
réunion
a
notamment
eu
lieu
le
samedi
7
octobre
1989
avec
les
parents
des
trois
jeunes
filles,
les
présidents
des
amicales
(laïques)
tuni¬
sienne,
marocaine
et
algérienne,
un
représentant
de
l'association
Attadamoun
(laïque,
marocaine),
membre
de
la
ZEP
de
Creil
et
bien
implantée
sur
le
plateau
Rouher,
et
enfin
des
représentants
des
parents
d'élè¬
ves.
Un
compromis
réussit
à
être
établi
:
les
élèves
gar¬
deraient
leur
"voile"
jusqu'à
l'entrée
en
salle
de
classe
et
elles
le
laisseraient
ensuite
tomber
sur
leurs
épaules.
Ce
geste
nous
éclaire,
il
me
semble,
sur
cet
"attribut
vestimentaire"
:
dans
le
cas
des
soeurs
A.,
par
exemple,
il
s'agit
en
fait
d'un
foulard,
et
comme
nous
l'a
bien
expliqué
S.
M.
Hassan
II
à
l'Heure
de
vérité
:
«
le
foulard
coranique
n'existe
pas
».
C'est
ce
que
nous
avaient
dit
également
les
représentants
des
associations
le
samedi
7
octobre
1989
;
cela
étant,
la
mesure
prise
à
ren¬
contre
des
jeunes
filles
se
déplaçait
alors
du
cultuel
vers
le
culturel.
La
communauté
maghrébine
était
donc
directement
visée,
agressée
violemment
par
une
insti¬
tution
omnipotente,
sûre
d'elle-même,
sourde
au
dialo¬
gue...
La
décision
prise
était
somme
toute
arbitraire
!
Cette
position
me
semble
non
seulement
fantaisiste,
mais
surtout
irresponsable.
Fantaisiste,
car
le
foulard
est
vécu
par
les
jeunes
filles
elles-mêmes
comme
un
élément
religieux
de
premier
ordre.
Mais
aussi
d'une
certaine
façon
par
nous
qui
les
voyons
:
comment
pourrait-on
connaître
autrement
la
religion
de
ces
enfants,
alors
qu'elle
n'est
demandée
dans
aucun
questionnaire
?3
Irresponsable,
car
c'était
pousser
les
extrémistes
des
deux
bords
à
se
radicaliser
(c'est
d'ailleurs
ce
qu'ils
ont
fait)
et
conforter
les
velléités
de
refus
de
la
part
des
parents
des
jeunes
filles.
De
fait
trois
jours
après,
le
mardi
10
octobre,
les
trois
adolescentes
refusaient
de
nouveau
d'assister
aux
cours
tête
nue
!
La
situation
s'est
alors
tendue,
le
harcèle¬
ment
des
médias
quasi
permanent
et
souvent
indé¬
cent
ne
concourant
pas
à
l'améliorer...
Aujourd'hui,
la
passion
est
retombée.
L'actualité
est
aux
bouleversements
extraordinaires
de
l'Est
euro¬
péen
;
"l'affaire
du
voile"
est,
selon
les
médias,
un
"vieux
débat"
!
10
HOMMES
&
MIGRATIONS
11
29-1
130
-FEVRIER-MARS
1990
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