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la terre ballerine

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Stefania Vastano
La terre ballerine
Traduit de l’italien
et illustré par
Madeleine Racimor
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La terre ballerine
Il était une fois, dans un petit village, une petite maison très
très gracieuse. Dans cette maison vivait une famille petite mais
très très unie.
Le papa, la maman et le petit Mattias avaient tellement désiré
une petite fille, qu’après de nombreuses années, elle s’était
décidée à arriver. Et, comme elle naquit au lever du soleil, ils
l’appelèrent Soleil.
L’enfant avait les yeux bleus et ses cheveux étaient des fils
dorés. Elle grandit, entourée d’amour, de baisers et de paroles
douces qui remplissaient ses journées insouciantes, faites de
jeux et de curieuses questions.
« Maman, demandait Soleil, où finit le jour ? Papa, où est partie
grand-mère ? » Les parents accueillaient les questions de la
petite avec patience, essayant de répondre du mieux qu’ils
pouvaient.
Quand elle commença à aller à l’école, Soleil reçut de nouvelles
réponses de la part de sa maîtresse, qui, patiemment, écoutait
tous ses écoliers. Pour la petite fille, les journées étaient comme
l’un des colliers que sa mère portait, une succession de perles
lumineuses.
Pourtant, elle avait peur la nuit, parfois, parce qu’il y avait trop
d’ombres. Alors, elle demandait à sa maman de laisser la
lumière de la table de nuit allumée et la maman le faisait.
D’autres nuits, quand ses rêves étaient trop confus, Soleil
courait dans la chambre de ses parents pour se réfugier près
d’eux et retrouver sa sérénité.
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Mais une nuit, alors que tout le village était endormi, Soleil et
Mattias furent réveillés par un grondement inconnu. La fillette
s’assit sur son lit qui tremblait comme une feuille au vent, même
le lampadaire et les meubles oscillaient comme des feuilles, la
pièce entière bougeait dans une danse fantomatique.
Tandis que Soleil, paralysée de peur, tentait de fuir, elle entendit
la voix de sa mère qui criait : « Le tremblement de terre ! Le
tremblement de terre ! Mattias, Soleil, mes petits. » Puis, le
silence retomba.
Qui sait combien d’heures elle était restée blottie dans le
noir. Finalement, lorsqu’elle ouvrit les yeux lentement, elle se
mit à hurler d’épouvante : « Maman, papa ! » Mais elle ne reçut
aucune réponse. Elle commença à tousser parce que quelque
chose lui brûlait la gorge. Elle bougea, avec précaution, comme
elle avait l’habitude de le faire au réveil, se frotta les yeux et
dirigea son regard vers le haut, instinctivement. Un rai de
lumière filtrait, comme provenant d’une fenêtre aux persiennes
semi fermées, mais c’était un trou et non une fenêtre. Elle vit
une sorte de tunnel dans lequel elle pouvait se faufiler.
Combien de temps avait passé depuis cet horrible grondement ?
Et pourquoi maman et papa ne répondaient-ils pas ? Dans ce
grand silence, quelques voix indistinctes commençaient à
poindre à la surface, jusqu’à ce que, juste au-dessus de sa tête,
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elle perçut un va-et-vient continu, frénétique, de pas et de voix,
de machines.
« Le tremblement de terre », avait dit la maman. Une parole qui
s’était ancrée dans son esprit pour toujours. Là-dessous, où elle
réussissait à peine à respirer, tout était poussière et terre. Elle
trébucha sur quelques objets connus : des pantoufles, des
couvertures, des morceaux de verre, sa poupée même, restée
enveloppée dans sa couverture, intacte. La retrouver réveilla une
plaie dans son cœur qui semblait avoir cessé de battre.
« Lilli ! », s’exclama-t-elle, la serrant fortement sur sa poitrine.
Lilli la regardait, avec ses grands yeux verts et Soleil comprit
qu’elle voulait lui dire quelque chose. « Qu’est-il arrivé ? Tu ne
sais pas ? », lui demanda-t-elle, inquiète. « Le tremblement de
terre, tu te souviens de ce qu’avait dit maman ? Maintenant nous
devons sortir d’ici, tout le monde doit me chercher ». Puis, d’un
coup, elle se souvint de son frère, qui, certainement, ne devait
pas être loin. « Mattias ! Eh Matti, où es-tu ? », appela-t-elle en
hurlant du plus fort qu’elle pouvait alors que sa gorge continuait
de la brûler.
Elle essaya de bouger au milieu de tout ce fatras, mais c’était
comme un château de cartes, comme ceux que faisait sa maman
dans ses moments de repos, et tout tombait à chaque léger
soupir. Elle dut inventer un moyen pour ne pas se blesser. Elle
imagina qu’elle faisait partie d’un grand puzzle, comme ceux
qu’elle aimait tant et qu’elle avait assemblés tant de fois,
lentement. Elle fit appel à toute sa patience pour déplacer les
objets qui la surplombaient, un à un, pas à pas. Comme chaque
objet était imbriqué dans un autre, elle ne devait pas les bouger
tous ensemble. Seulement ainsi, peut-être, pourrait-elle arriver
au bout du tunnel.
Devant elle se trouvait une poutre de bois recouverte de
plâtres, de pierres et de beaucoup de poussière. Elle la respirait
depuis quelques heures déjà, mais le temps là-dessous s’était
arrêté. Comment pourrait-elle déplacer des choses si lourdes ?
Elle fut prise d’une terreur indicible, se sentant tout à coup seule
et abandonnée.
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« Mattias ! », appela-t-elle avec le peu de voix qui lui restait.
« Mattias ! », tenta-t-elle de nouveau. Mais le silence était si
grand qu’elle commença à penser au pire. À ce moment, elle
sentit une grande faiblesse la parcourir et s’écroula,
recroquevillée sur elle-même.
Tandis qu’elle restait ainsi, les yeux fermés, en position fœtale,
elle perçut un bruissement qui venait de loin. Elle s’éveilla,
s’assit et répéta : « Mattias ? » Elle s’était trompée ou avait mal
entendu. Elle se recroquevilla à nouveau, en pensant à ce qu’elle
allait faire, et quand elle entendit le bruissement plus
distinctement, plus proche, elle eut peur. Elle se leva et resta
ainsi, comme une statue de sel, attendant que quelque chose se
passe. C’est alors qu’elle le vit arriver, rampant sous la poutre.
D’abord la tête velue, puis les pattes et enfin la queue. C’était un
chien, plutôt un chiot, couleur miel, plein de poussière ! Ils se
regardèrent, curieux et effrayés. Finalement, Soleil prit les
devants, s’accroupit et l’appela : « Viens, n’aie pas peur ! »
Cette créature tremblante lui remplissait le cœur d’une nouvelle
espérance. Le chiot s’approcha, la queue basse, et Soleil put
sentir son haleine chaude. « D’où viens-tu ? Comment
t’appelles-tu ? » Soleil le pressait de questions pendant que
l’animal agitait la queue si fortement qu’il semblait vouloir
s’envoler.
« Je t’appellerai Miel, ça te plaît ? », demanda Soleil en lui
caressant la tête. Le chien, reconnaissant, s’était couché sur le
ventre et la regardait avec des yeux langoureux. « Maintenant,
nous sommes trois : moi, Lilli et toi. Mais nous avons beaucoup
de choses à faire et nous ne pouvons pas rester ici, tu le sais ?
D’abord, nous devons chercher Mattias. Il était près de moi
quand c’est arrivé, il ne peut pas être très loin. Nous devons
aussi chercher à manger et de l’eau. Peut-être devrons-nous
creuser, mais tu m’aideras, non ? Ensuite, nous devons suivre ce
tunnel, je ne sais pas combien de temps, mais au bout il y a de la
lumière et de l’air. Nous n’avons pas beaucoup de temps, alors,
allons-y ! » Miel sauta sur ses pattes, prêt à la suivre.
Soleil avançait précautionneusement à travers les décombres
cherchant à passer en dessous ou au-dessus, comme elle avait vu
faire les athlètes dans les compétitions de slalom sur la neige.
Elle pensa à ses montagnes, celles qui entouraient son village, et
ressentit une nostalgie brûlante. Elles étaient là dehors, peut-être
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à quelques pas d’elle, et elle était impatiente de les revoir. Elle
accéléra le pas, mais soudain elle perçut un bruit sourd derrière
elle et un coup sec s’abattit sur elle. Elle tomba à terre sans
connaissance.
Une sensation agréable de chaleur humide la réveilla. Elle se
frotta le nez et les yeux et, quand elle les rouvrit, elle reprit
conscience de la situation. Miel était sur elle et lui léchait le
visage, glapissant comme s’il pleurait.
« Qu’est-ce qui est arrivé ? », lui demanda la fillette qui avait
compris qu’elle était bloquée sous un tas de rochers. « Sors-moi
de là, vite ! » ordonna-t-elle au petit chien, qui se mit à creuser
activement. Pour s’asseoir, puis se mettre debout, Soleil dut
faire un effort énorme. Quelque chose semblait avoir été cassé,
ses jambes étaient en sang et ses vêtements, un pyjama de
flanelle qui, un jour, avait été blanc, étaient terriblement
déchirés. Ce dernier écroulement l’avait probablement touchée
durement.
Elle s’accroupit à terre, se flétrissant comme une fleur fanée, la
terreur et la douleur prenant le dessus. Elle prit sa tête entre ses
mains et dit tristement : « On n’y arrivera jamais. » Alors
qu’elle était tombée dans un tunnel plus sombre que celui dans
lequel elle se trouvait, un frôlement chaud, humide, doux mais
pressant vint lui caresser les mains.
« Ne te laisse pas aller maintenant, Soleil. Tu es près de la
solution ! » Mais quelle était cette voix ? La fillette s’éveilla,
comme si elle avait entendu sonner des cloches. Elle regarda
alentour, espérant voir son frère Mattias, car la voix était celle
d’un garçon probablement de son âge. Mais non, il n’y avait
personne, excepté… le chien. Miel ! Ils se regardèrent puis
Soleil lui demanda :
« Qui était-ce ? Tu l’as entendu aussi ou j’ai perdu la tête ?
– Tu as parfaitement entendu, chère Soleil. C’est moi, ne
t’inquiète pas, je suis là pour t’aider.
– Tu parles. Alors tu es magique ?
– Tout ce que tu as vu et entendu est magique, même le
tremblement de terre. Il y a un ensorcellement dans ce pays, et
toi et ton frère devrez le rompre.
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– Un ensorcellement, qu’est-ce que ça veut dire ? Et où est
Mattias ?
– Tu poses trop de questions pour l’instant, mais tu auras toutes
les réponses pendant ce voyage.
– Un voyage ?
– Oui, ce voyage dans la terre te montrera beaucoup de choses
inconnues et terribles que tu n’aurais jamais connues si tu
n’étais pas arrivée ici.
– Mais ici il n’y a pas de lumière, pas de nourriture et même pas
d’eau ! Je suis blessée et il n’y a aucune trace de ma famille.
– Tu dois garder confiance pour continuer et chercher ton
chemin. Je t’aiderai. »
Il la soigna en léchant ses nombreuses blessures. Les jambes
étaient les plus touchées. Sans ces soins, la petite fille n’aurait
pas pu se remettre sur pied et croire aux paroles de son nouvel
ami.
La première étape du voyage, après l’incident, fut assez
rapide car ils trouvèrent de la nourriture et de l’eau. Un
réfrigérateur, qui semblait tombé du ciel, leur procura du
fromage, du jambon, des fruits, du lait et de l’eau. Ils les
consommèrent avec voracité tant parce qu’ils avaient faim que
parce qu’ils étaient conscients qu’ils serait rapidement avariés.
Ils avançaient déjà depuis quelques heures, impressionnés par la
désolation environnante. Il y avait des traces de vie partout sans
l’ombre d’un être vivant.
« Où sont-ils tous partis ? », demanda Soleil à Miel, le
reconnaissant désormais comme son guide.
« Les plus chanceux se trouvent là, dit le chien en pointant son
museau vers le haut, à la surface. D’aucuns, comme toi,
cherchent encore une issue. D’autres, en revanche, n’y sont pas
arrivés. »
« Qu’est-ce que ça veut dire ? » demanda l’enfant.
Le chien la regarda avec ses yeux languides et ajouta : « Suismoi et je te raconterai une histoire. »
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L’enfant, confiante, le suivit.
Ils atteignirent une grotte, une sorte de grand trou dans la terre.
Elle était complètement obscure, mais Miel chercha dans les
débris jusqu’à ce qu’il trouve une lampe torche qu’il apporta à
Soleil.
« Allume-la » lui dit-il.
La fillette obéit. Un spectacle incroyable s’offrit à ses yeux : les
murs étaient pleins de protubérances, de formes inanimées
spectaculaires et fantomatiques.
« Ce sont des stalactites, Soleil, c’est la terre qui les forme au fil
des années.
– Ce ne sont pas des artistes qui les ont faites ?
– Non. Les hommes ont construit ces vilaines maisons qui
s’écroulent à la première secousse de tremblement de terre.
– Mais moi j’aimais notre maison. Tu ne l’as jamais vue.
– J’ai vu comment elles sont tombées en quelques minutes. Tu
n’as vu que les décombres, mais tu vois ce trou ? Il y avait là
une maison, même un immeuble. Viens voir ce qu’il en est
resté. »
Ils marchèrent plus vite maintenant qu’ils avaient dépassé le
tunnel. Soleil, avec la lampe devant elle, détournait les yeux,
terrorisée. Elle ne voulait pas suivre Miel, elle ne voulait pas
regarder dans le trou. Arrivée au bord de la crevasse, elle prit
son courage à deux mains et demanda à son guide :
« C’est dangereux ?
– Tu ne dois pas trop te pencher, accroche-toi à moi, à mon cou.
– Je dois vraiment regarder ?
– Tu dois savoir ce qui est arrivé, Soleil, courage ! »
Elle se mit au bord du précipice qui était une bouche fumante de
gaz. Sur les murs de cet énorme orifice, il y avait des restes à
peine reconnaissables de toits, de gouttières, de fenêtres, de
portes et même de rues. Cela ressemblait à un monde à l’envers,
implosé, massacré, dans lequel il n’y avait plus aucune trace de
vie.
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« Où sont tous ceux qui habitaient ici ? » demanda la petite
doucement, par peur de la réponse.
« Ce sont ceux qui ne s’en sont pas sortis, Soleil. Les victimes
du tremblement de terre et de la spéculation immobilière, des
bâtisseurs qui, par souci d’épargne, n’ont pas respecté les lois et
ont construit ces immeubles de carton !
– De carton ? Quel carton ? Il n’y a ici que du fer et du verre !
– Bien sûr, mais tout a explosé et l’explosion n’a épargné
personne. »
Soleil se mit à pleurer sur cette ville disparue. C’était sa ville,
une partie de sa jolie ville et elle l’aimait encore.
Miel lui lécha le visage, les cheveux, le cou. C’était sa manière
de la consoler. Et plus il la léchait, plus les larmes, brûlantes,
jaillissaient des yeux de la petite fille sans retenue. Soleil avait
compris, devant ce spectacle funeste, qu’elle avait tout perdu :
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sa ville bien-aimée, sa famille et, à travers ses sanglots, elle
réussit à dire ce que jusqu’alors elle avait à peine osé penser.
« Ils n’existent plus, je ne pourrai plus jamais les revoir ni les
embrasser. Ma maman, mon papa, mon frère ! » Miel ne dit ni
oui ni non, se mit à lui lécher plus vite ses larmes salées, ce qui
confirma tous les doutes et les peurs de la petite fille, ses pires
craintes.
« Et maintenant, que vais-je devenir ? Que vais-je faire ? Où
vais-je aller ? Qui prendra soin de moi ?
– de nous, ajouta l’animal, se remettant à parler. Personne ne
pourra nous séparer, Soleil. Nous faisons équipe et nous ne
sommes pas seuls… regarde ! »
Il lui fit tourner la tête de son museau humide et Soleil, à
travers les larmes qui lui brouillaient la vue et la pénombre à
laquelle elle s’était habituée, entr’aperçut une ombre qui
s’approchait d’eux. Elle en resta bouche bée, partagée entre la
peur et la stupeur, jusqu’à ce que l’ombre demande :
« Qui êtes-vous ? D’où venez-vous ? » Soleil connaissait cette
voix, comment aurait-elle pu l’oublier, c’était la voix de Mattias.
« Mattias ! »
« Soleil ! »
Ils n’en croyaient pas leurs yeux ni leurs oreilles, mais quand ils
s’embrassèrent, ils eurent la certitude de s’être retrouvés.
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« Maintenant, les enfants, le temps des retrouvailles est passé,
intervint Miel résolument, nous devons sortir ou bien nous
n’aurons plus d’air pour respirer. Suivez-moi, je vais vous
indiquer le chemin. »
« Un chien qui parle ? Il arrive des choses extraordinaires sous
la terre ! » s’exclama Mattias.
« C’est notre guide, nous devons nous fier à lui, confia Soleil à
son frère alors qu’ils reprenaient la marche, il a réussi à trouver
à manger et cette lampe. Tiens, j’ai encore du fromage et du
pain dans ma poche. »
« Moi, j’ai trouvé un peu d’eau. Mais pas de trace de maman ni
de papa. Ils ont dû être catapulté par la force de la secousse, ou
bien… » Il s’arrêta, regardant sa sœur dans les yeux.
« Courage, les enfants, on nous attend, les exhorta le chiot,
grimpé le long des murs de la grotte. Faites attention où vous
mettez les pieds. »
« Tu me raconteras tout quand nous serons sortis d’ici Mattias.
Maintenant, suivons notre guide. » Puis, s’adressant à Miel, elle
lui demanda :
« Qui nous attend ?
– Vous n’entendez pas un bruit ? » demanda le chien.
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Les enfants écoutèrent en silence. Au-dessus de leurs têtes, ils
pouvaient suivre les mouvements d’un imperceptible bruit de
fond, comme le bruit d’un moteur mais pas d’une voiture.
« Qu’est-ce que ça peut bien être ? » demanda Mattias au chien.
– « C’est une pelleteuse. »
– « Comme celles qu’on utilise pour
immeubles ? » demanda le garçon curieux.
construire
les
« Quelque chose de semblable, répondit l’ami poilu, pas une
grue mais une pelleteuse. Elle sert à creuser et à déplacer de
grandes masses de terre. On l’utilise, dans les grandes villes,
pour construire les lignes de métro par exemple.
– Il est super le chiot, dit Mattias en faisant un clin d’œil à sa
sœur.
– Je te l’avais dit, mais avance plus vite sinon nous allons le
perdre. »
Pendant qu’ils grimpaient, faisant de la lumière dans cet antre
obscur, le chien se mit soudain à hurler. Il hurlait si fort que
Soleil eut peur.
« Pourquoi fait-il ça ? Qu’est-ce qui lui prend ?
– Je crois qu’il essaie d’attirer l’attention. »
Puis Miel recula vers eux et leur dit rapidement : « En arrière !
Couchez-vous à terre ! »
Les enfants eurent à peine le temps de suivre son ordre qu’une
montagne de terre s’écroulait devant eux. La pelleteuse avait
pénétré dans la grotte, ouvrant au-dessus de leurs têtes une
grande baie de lumière.
«Les voilà, les voilà ! » Un tonnerre d’applaudissements
remplit leurs oreilles au point de les assourdir. La lumière
augmenta encore cette confusion et Soleil se cacha les yeux pour
se protéger. Elle sentit les paroles et les mains pleuvoir sur eux
comme s’ils étaient des héros. Puis, soudainement, le silence.
Dans l’ambulance, il n’y avait qu’elle et une doctoresse à la
blouse immaculée et aux grands yeux couleur du ciel.
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« Comment t’appelles-tu ?
– Soleil.
– Oh, Soleil, quel joli nom !
– Et toi, comment tu t’appelles ?
– Virginia, comme l’État en Amérique. Tu le connais ?
– Je ne suis jamais allée en Amérique.
– Mais ça te plairait d’y aller ?
– Peut-être… »
La doctoresse était sympathique, mais, pendant qu’elle parlait,
elle la tâtait, touchant diverses parties de son petit corps désarmé
et, de temps en temps, elle lui demandait :
« Ça fait mal là ? »
Être malmenée ne plaisait pas beaucoup à Soleil, mais après tout
ce qu’elle avait vécu sous terre elle était résignée. Pourtant, elle
continuait à lui poser la même question :
« Où est mon frère ? »
Finalement, elle réussit à avoir une réponse :
« Vous êtes dans le même hôpital, ne t’inquiète pas. Ce sont
seulement des examens de routine.
– Des examens ?, pensa Soleil surprise, mais les examens ne se
font-ils pas à l’école ? »
Mattias était assis sur une civière, avec un pansement sur la tête
et les chaussettes enroulées sur ses chevilles. Dès qu’elle le vit,
Soleil pensa que c’était un enfant abandonné mais quand elle
s’approcha et reconnut ses grands yeux noirs, elle vit qu’il
s’agissait bien de son frère et que sa beauté avait chassé ses
premières fausses impressions.
« Enfin, tu es là ! Tu vas voir, ils vont te mettre un pansement et
nous pourrons partir.
– Toi aussi, tu as un pansement sur la tête.
– Ils m’ont déjà mis les points et je n’ai pas poussé un cri !
– Maman et papa ne sont pas venus.
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– Qui sait… Mais je suis là moi. Et puis ici, à l’hôpital, ils
prennent nos noms et ce sera plus facile de nous trouver. »
Soleil se sentait mieux depuis qu’elle savait que Mattias ne
l’abandonnerait plus et que la doctoresse ne lui avait pas fait de
mal. Mais, quand d’autres médecins vinrent lui rendre visite, lui
firent une radio et lui plâtrèrent la jambe, elle pleura de douleur.
Alors elle pensa à Mattias et à son courage, et cette pensée lui
donna de la force. Elle avait autant besoin d’espoir que du pain
et des sourires des infirmières qui, chaque jour, s’amusaient
avec elle.
Près de son lit, il y avait une autre petite fille, plus malheureuse
qu’elle, car elle avait perdu les jambes dans l’éboulement de sa
maison. Sa seule chance était d’avoir sa maman, qui ne l’a
perdait de vue que pour aller aux toilettes et revenir.
Aussi, Soleil décida de mettre de côté sa tristesse et de jouer
avec sa nouvelle amie qui s’appelait Anna. Il y avait
énormément de jeux qui arrivaient de toutes parts. Elles
passaient des après-midi entiers avec des poupées Barbie à la
dernière mode et des consoles de jeux électroniques dernière
génération.
Quand Soleil et Mattias eurent la permission de sortir, il leur fut
difficile à tous deux de quitter le service de traumatologie de
l’hôpital, tous les amis, les infirmières, les médecins et les
bénévoles. Mais une surprise les attendait juste derrière la porte
vitrée.
«Miel ! » cria soleil, elle n’en croyait pas ses yeux.
« Mais, c’est bien lui ! » confirma Mattias, autant surpris. Le
petit chien leur fit joyeusement fête, remuant la queue
vigoureusement et, dès qu’ils furent seuls, leur parla.
« Je vous ai attendus car votre voyage continue et j’ai le devoir
de vous accompagner. Maintenant que vous êtes remis sur pied,
vous allez pouvoir me suivre, mais ce voyage-ci ne sera pas sans
difficulté. Vous devez encore apprendre beaucoup de choses sur
votre terre et sur les personnes qui vous attendent.
– Quelqu’un nous attend ? Et qui, maman, papa ?
– Non, malheureusement. Vos parents ont disparu.
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– Que veut dire disparu ? » demanda Soleil inquiète.
« Que personne ne sait où ils sont », répondit son frère résigné
en levant les épaules. Soleil aurait voulu pleurer tant le
désespoir lui serrait le cœur, mais Miel reprit son discours
interrompu.
« Ce ne sont pas des personnes en chair et en os que nous allons
rencontrer, mais vous comprendrez mieux lorsque nous les
verrons. Venez, n’ayez pas peur, restez derrière moi et vous ne
courrez aucun danger. »
Ils entrèrent à l’intérieur d’une grande église à travers une
grande fissure dans la sacristie. Il n’y avait personne et leurs pas
résonnaient comme s’ils étaient à l’intérieur d’une caisse de
résonance.
« Vous l’avez reconnu ?
– Quoi ? » demanda Mattias.
« L’endroit où nous sommes.
– Bien sûr, s’exclama le garçon, presque vexé, c’est le dôme de
San Antonio !
– Bravo Mattias, et maintenant suivez-moi et dites-moi si vous
le reconnaîtriez encore. »
Leur guide leur avait recommandé de le suivre à pas feutrés, la
petite fille au centre du petit cortège, le garçon en dernier.
Quand ils arrivèrent devant l’autel, les enfants durent s’asseoir
par terre, incapables de rester debout. Un spectacle désolant et
superbe s’offrait à eux. La majestueuse coupole du dôme était
suspendue dans le vide, à moitié, comme une pomme coupée en
deux. Des traces de mosaïques, d’enduit et de marbre occupaient
toute la nef centrale, recouvrant de déchets tous les objets.
Soleil faillit s’évanouir quand elle se tourna et vit que le grand
crucifix de bois était resté à sa place juste à côté de l’autel.
Alors, au souvenir de toutes les fois où sa maman lui avait
enseigné de se signer avant de quitter l’église, elle tomba à
genoux devant la croix et se signa.
Un chant, semblable à un chœur magique et cristallin,
résonna dans la nef, sortant les enfants de l’enchantement dans
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lequel ils étaient. Mattias leva la tête, Soleil leva les yeux et
Miel en fit autant.
En haut, sur la corniche de la nef centrale, un oiseau
multicolore, à la voix enchanteresse, chantait imperturbablement. Miel, après l’avoir laissé chanter un moment, reprit la
parole.
« Tu es le rossignol aux plumes de couleur, n’est-ce pas ?
– Oui, et je vous attendais. »
Le frère et la sœur échangèrent un coup d’œil complice pour se
rassurer devant la nouvelle magie à laquelle ils assistaient.
« Les enfants sont là, ils sont un peu étourdis parce qu’il
viennent de sortir de l’hôpital. Présentez-vous aussi, le rossignol
est notre ami » dit Miel en poussant les enfants en avant.
« Je suis Mattias.
– Et moi Soleil, enchantée.
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– Le plaisir est pour moi mes enfants, mettez-vous sur le banc et
ouvrez bien vos oreilles parce que l’histoire que vous allez
entendre va vous surprendre. Je sais que vous avez survécu aux
terribles secousses du tremblement de terre, que vos parents ont
disparu et que vous sortez de l’hôpital. Je suis ici pour vous
parler de la ville où vous êtes nés et où vous avez grandi, de tous
les tremblements de terre qui l’ont détruite, des familles qui
l’ont toujours reconstruite et du maléfice qui la tient prisonnière.
« Qu’est-ce que c’est un maléfice ? » demanda Soleil perplexe.
« C’est un ensorcellement fait par un être méchant avec
l’intention de faire du mal », répondit promptement le rossignol.
« Et qui veut faire du mal ? » demanda Mattias.
« Vous le connaîtrez vite, je vais vous conduire à lui ; mais
avant, vous devez connaître votre histoire, il n’y a pas de futur
sans passé. »
« Il est difficile à comprendre cet oiseau », susurra Soleil à
l’oreille du chien.
« Écoutez bien et vous comprendrez », conseilla Miel aux deux
enfants.
« L’Italie est un pays à fort risque de séismes. Depuis
l’Antiquité, cette terre, du Nord au Sud, a été traversée de
secousses comme celle que vous avez connue la nuit du 5 au 6.
Il était exactement 3 h 32 quand une secousse de 6 degrés –
c’est ainsi que les experts mesurent l’intensité de la rupture qui
ouvre littéralement la terre en profondeur – s’est faite ressentir
non seulement ici chez nous, mais aussi dans l’Apennin, en
passant par Rome et jusqu’à Naples. Les dommages aux
personnes et aux édifices ont souvent été inévitables bien que les
secousses aient été annoncées par la protection civile. En ville,
la préfecture et la maison des étudiants se sont écroulées et de
nombreux jeunes gens sont morts. Votre village a été quasiment
rasé. Aujourd’hui, il y a des milliers de blessés et de personnes
évacuées qui, comme vous, ont été accueillis dans des camps de
tentes et dans les hôpitaux. La réaction du monde à cette
tragédie a été immédiate : des nations, des politiciens, des
familles sont venus en aide, apportant de l’argent, de la
nourriture, des couvertures, des médicaments et même des
jouets. »
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– C’est vrai, réagit Mattias avec enthousiasme, à l’hôpital, nous
recevions chaque jour des jeux magnifiques !
– Mais maintenant, comme dans le passé, il faut reconstruire,
retrousser les manches et se remettre au travail. Et à vous, les
enfants, incombe une mission vraiment extraordinaire :
rencontrer le génie du tremblement de terre responsable de tout
cela. Pas seulement lui, mais aussi le mage et la sorcière qui le
retiennent prisonnier et l’obligent à agir par ensorcellement.
« Le mage ? La sorcière ? » Mais de quoi parle-t-il ? demanda le
garçon au chien guide.
« Écoutez, il n’a pas terminé.
– Votre ami Miel vous conduira à eux et alors vous
comprendrez tout, même le plus incroyable. Mon rôle est de
vous préparer à la rencontre et de vous accompagner jusqu’à la
caverne où le génie s’est rendormi.
– Mais moi… moi, je ne veux pas retourner sous la terre, j’ai
peur ! » cria la petite fille terrorisée.
« Vous ressortirez, ne t’inquiète pas, petite. Vous ne serez plus
jamais seuls », la tranquillisa le rossignol aux plumes
multicolores. Et il prit son envol. Il s’approcha si près d’eux
qu’ils en furent éblouis. Ses plumes étaient si étincelantes
qu’elles propageaient une lumière chaude et régénératrice. Il
leur dit : « Nous sommes prêts, suivez-moi. »
Ils cheminèrent longtemps pour arriver à la montagne,
faisant diverses haltes pour boire et se reposer. Miel avait pensé
à tout, portant une gourde d’eau comme s’il était un saint
Bernard. Il ne voulait pas que les enfants se fatiguent.
Arrivés au pied de la montagne fendue, un spectacle superbe
s’offrit à leurs yeux : le soleil se levait et la montagne semblait
peinte en rose !
« Je n’étais jamais venu jusqu’ici », dit le garçon.
« C’est très haut ! », ajouta la petite sœur, impressionnée par le
panorama.
« Nos montagnes ne font pas partie des sommets les plus hauts
d’Italie, mais celle-ci est certainement l’une de nos richesses, je
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veux parler de la nature. Ce n’est pas pour rien que certains des
animaux en voie d’extinction vivent sur ces sommets et y
trouvent refuge contre les braconniers.
– Que veut dire extinction ? Et qu’est-ce que c’est les
braconniers ? » demanda Mattias curieux.
« Des animaux, comme les dinosaures par exemple, ont
complètement disparu, continua l’oiseau de couleur. Il y a très
longtemps, on pensait que c’était à cause de la chute de
météorites sur la Terre, de grosses pierres qui, en chute libre du
ciel, détruisaient la Terre comme ferait une bombe. De nos
jours, beaucoup d’espèces animales sont en extinction à cause
de l’homme et de la chasse, comme l’éléphant, le tigre, la
baleine ou l’ours. Même les loups, considérés comme voraces et
méchants, sont désormais protégés de la stupidité des
braconniers, chasseurs sans scrupules.
– Mais c’est horrible ! s’exclama la petite Soleil. Alors, nous
sommes là pour sauver les animaux du parc ?
– Oui, dans un certain sens, répondit l’oiseau. Et tous les autres,
y compris les hommes, les femmes et les enfants. Suivez-moi,
nous allons entrer dans la montagne. »
Ils s’introduisirent à l’intérieur de la montagne par un boyau qui
les accueillis comme le ventre d’une mère. Même Soleil n’avait
plus peur, précédée par la lumière éblouissante de l’oiseau
magique et par son frère, tandis que Miel fermait le cortège.
Bien que le souvenir des souterrains obscurs et nauséabonds
était encore proche, elle avait la certitude de ne plus être seule.
L’intérieur de la montagne n’était pas aussi effrayant que Soleil
l’avait imaginé, et pas malodorant comme les fondations des
immeubles et des maisons du village. On y respirait, au
contraire, un parfum de mousse et de lichen mélangé à l’eau de
pluie. De délicieux champignons avaient poussé sur les murs
encore éclairés de l’entrée et des limaces se promenaient de long
en large. Puis, lentement, l’intérieur devint plus obscur et plus
frais et Soleil demanda à Mattias de la prendre par la main.
« Regardez bien où vous mettez les pieds, les enfants,
recommanda l’oiseau, nous descendons dans les entrailles de la
terre.
– Pourquoi est-ce que nous ne montons pas, puisque nous
sommes dans la montagne ?
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– Bonne observation ! dit le chien guide.
– Parce que le génie habite au fond et non au sommet.
– Un génie ? Ça veut dire une personne très intelligente ?
– Ce n’est pas vraiment une personne mais il est certainement
très intelligent et vous devrez faire attention à ses énigmes car
elles mettront votre intelligence à l’épreuve.
– Mais, si ce n’est pas une personne, qu’est-ce que c’est ? »,
demanda Soleil.
« Les génies sont des créatures engendrées directement de
l’esprit humain, ressemblant aux hommes sans être mortels
comme vous.
– Ça veut dire qu’ils ne meurent jamais ?
– Seulement quand l’esprit humain le décide, par exemple quand
sa mission est finie et qu’il peut retourner au néant d’où il est
sorti.
– Pourquoi devons-nous le rencontrer ? » demanda le garçon.
– Parce que c’est lui qui vous donnera les clés précieuses avec
lesquelles vous accomplirez une action qui sera glorifiée.
– C’est-à-dire ? Ne nous fais pas languir, oiseau, nous devrons
savoir quoi faire en face de ce génie ! », dit le garçon avec
impatience.
« Chaque chose en son temps. Retiens ta curiosité, vous saurez
tout le moment venu. »
Et il vola plus bas.
Ils étaient descendus de plusieurs mètres sous terre et il
faisait noir comme dans un four. L’oiseau volait aussi haut qu’il
pouvait pour éclairer la profonde grotte aux murs pleins
d’excroissances comme la peau d’une vieille sorcière. Audessus de leurs têtes, tandis que Miel ouvrait le chemin et que
Soleil et Mattias le suivaient pas à pas, accrochés à sa mantelure
tiède, des chauve-souris accrochées en grappes formaient de
curieux lampadaires privés de lumière.
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Au fond de la grotte, planté à moitié dans la terre et les bras
croisés, se tenait un géant à moitié nu. Sa vue fut si
impressionnante que Soleil poussa un cri qui le réveilla.
« Qui est-ce ? », hurla le géant, d’une voix qui fit vibrer les
lampadaires.
« Bonjour génie, tu as de la visite aujourd’hui ! », dit l’oiseau
aux plumes multicolores, sa voix cristalline et sa lumière
contrastaient avec l’aspect désagréable du géant.
« On se connaît ? », répondit celui-ci agacé, les paupières
lourdes sur ses yeux ronds.
« Pas encore, mais j’espère que tu voudras bien accueillir tes
gracieux invités. Ils ont fait le voyage jusqu’ici pour te connaître
et te parler. Montre-toi courtois, bon génie ! », l’exhorta l’oiseau
futé, faisant appel au narcissisme de la curieuse créature.
« Courtois ? Personne n’a jamais été courtois avec moi !
Pourquoi devrais-je l’être avec ces inconnus ? », tonna de
nouveau le géant, secouant un peu sa torpeur et la boue. La terre
en frémit et les enfants s’agrippèrent plus fort à la croupe de
Miel.
« Ces enfants ne sont pas des inconnus. Comme toi, ils sont nés
ici et ont vécu dans ces montagnes, vous avez les mêmes
origines !
– Mes origines se perdent dans la nuit des temps, précisa le
génie, encore agacé. Aucun génie ne connaît ses origines,
seulement son maître. Tu sais bien, petit oiseau, qui m’a
ordonné d’habiter dans ces terres.
– J’ai bien peur que oui, génie de la montagne.
– Alors, si tu sais tant de choses, pourquoi viens-tu me réveiller
de mon repos mérité, traînant derrière toi ces morveux avec leur
chien ?
– Ton maître ne t’a rien dit ?
– Non, personne ne vous a annoncés. Et maintenant, avant que
je ne perde patience, laisse-moi dormir, ta lumière est importune
en ce lieu. »
Mattias rappela l’ami oiseau, lui faisant des signes de la main. Il
voulait dissiper le trouble dû aux paroles du génie et répondre au
désir de sa petite sœur qui s’accrochait à sa veste. Toutefois,
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l’oiseau aux plumes multicolores, sans se soucier d’eux et loin
de lâcher prise, alla proprement se poser sur la tête du génie qui
venait juste de refermer les yeux.
Un grondement comme celui du tonnerre accompagna la
réaction du génie quand il entendit les railleries des enfants à
travers leurs rires étouffés. Quand ceux-ci avaient vu sa grosse
tête s’allumer et s’éteindre comme une lampe, ils s’étaient
d’abord mis à sourire puis à ricaner. Le génie se retourna d’un
coup de rein pour se glisser hors de la fosse.
Lorsqu’ils le virent aussi agile et fort malgré les apparences, les
enfants reculèrent promptement et s’accroupirent derrière Miel
dans un angle sombre de la grotte.
« Vous vous moquez de moi, alors ! Où est parti ce maudit
oiseau ? Je vais le manger en une bouchée ! », dit le génie en
ouvrant une bouche aux dents monstrueuses.
« Me voici, je suis là, répondit l’animal à plumes, voletant ça et
là sur la tête lisse qui ressemblait à une boule. Attrape-moi, je
suis là ! »
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Le géant agitait ses bras puissants sans réussir à l’attraper. Les
enfants étaient terrorisés et ne comprenaient pas pourquoi le
volatile continuait à exciter le génie. Lequel, voyant qu’il ne
pouvait pas emprisonner l’agile animal, plongea sur les enfants
dans la direction opposée. Mais Miel para le coup et lui montra
les dents en grognant.
« Tu ne les touches pas !, dit-il en grinçant des dents, ils sont là
pour connaître la vérité cachée dans cette montagne et te sortir
de là. Si tu veux la liberté tu dois te fier à eux.
– Qui sont ces morveux ? Présente-les moi », le défia le génie.
« Ce sont Mattias et Soleil. »
Les enfants sortirent timidement de leur refuge pour se montrer
au géant.
« Et je devrais me fier à ces petits morveux ?
– Oui, c’est le seul moyen de rompre le maléfice qui te retient
dans cette caverne. Ils vont vaincre le mage et la sorcière qui te
tiennent enfermé ici depuis des siècles, te contraignant à faire
trembler la terre depuis la nuit des temps.
« Lui, c’est lui qui fait trembler la terre ? », demanda Mattias,
incrédule et furieux.
« Oui, c’est lui, le génie du tremblement de terre », répondit
Miel.
Poings et dents serrés, Mattias avait du mal à croire ce qu’il
venait d’entendre. En face de lui, cette montagne de chair et de
poils était responsable de la tragédie qui lui avait pris sa maison
et sa famille en une seule nuit, tué des centaines de personnes et
réduit des familles entières à vivre dans la rue.
Il s’avança d’un pas pour donner plus de force à sa protestation,
surmontant sa terreur et celle de sa petite sœur pour s’adresser
directement au génie.
« Si tu n’es jamais sorti de cet endroit, alors tu ne connais pas
les hommes ni les femmes qui habitent cette terre. Tu ne connais
pas les enfants, comme elle, comme moi ; tu ne connais pas les
familles, leurs maisons. Tu ne sais rien des sacrifices que les
pères et les mères ont faits pour les construire et donner à leurs
enfants un lieu sûr pour grandir, dormir, manger et s’instruire.
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Et tu ne connais pas non plus les écoles où les enfants
apprennent à lire et à écrire, à devenir grands ; et les maîtres qui
leur enseignent patiemment tant de choses nouvelles. Tu ne
connais pas les hôpitaux qui allument l’espoir et abritent la
solidarité, ni les fleurs et les animaux, ni nos ours et nos loups.
Tu ne connais peut-être même pas le soleil et la lune. C’est pour
ça que tu sembles si triste, mais tu devrais être encore plus triste
d’avoir semé la peur et la mort sur cette terre inconnue. Pour
tout cela, je te déteste, horrible créature qui vit dans les ténèbres
et qui mérite d’y rester ! »
« Il me hait ! Ah, ah, ah ! », éclata le génie en agitant ses gros
bras.
La terre bougea de nouveau. Les enfants et le chiot furent
projetés en arrière.
« Tu ne connais pas ma force, je pourrais vous éliminer d’un
seul geste ! », hurla le géant, cherchant les enfants au fond de la
caverne.
« Vous feriez mieux de ne pas me provoquer, petits morveux !
Mais, tes belles paroles m’ont rendu curieux. Tu m’as donné
l’envie de connaître cette fameuse terre dont tu as plein la
bouche. Sors-moi d’ici pour aller la visiter ! »
Miel chuchota à l’oreille de Mattias, à l’abri des yeux à moitié
aveugles du géant :
« C’est le moment de jouer la partie, Mattias. Tu as réussi en
prenant des risques à tendre un piège au génie de la montagne,
tu l’as coincé.
– Qu’est-ce que ça veut dire ? Que dois-je faire ?
– Sors de l’ombre, montre-toi assuré et mets des conditions : s’il
veut sortir à la surface, cela dépend de toi, il n’y a que toi qui
puisse le conduire à l’extérieur. En échange, il devra te donner
quelque chose.
– Comment ? Quelle chose ?
– Il ne le sait pas et toi non plus, mais seul un enfant peut
rompre l’ensorcellement du génie et le libérer de sa servitude.
En échange, tu lui demanderas de te conduire chez la sorcière et
le mage qui vivent au sommet de la montagne. »
Le génie accepta le marché.
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« D’accord, dit-il de sa voix tonitruante, quand nous serons
sortis d’ici, je te conduirai chez eux. Mais tu devras leur dire que
c’était ton idée ! »
« D’accord », répliqua Mattias, tendant la main au géant qui
éclata d’un rire assourdissant en voyant cette minuscule main
dans la sienne.
Le voyage de retour allait commencer et Mattias sentit le
besoin de consulter les deux animaux magiques.
« N’aie pas peur, mon garçon, dit l’oiseau aux plumes
multicolores, dans peu de temps tu rencontras quelqu’un qui
t’aidera dans cette nouvelle aventure. »
Tout en le remerciant, le garçon se demanda encore une fois
comment il était possible que les animaux sachent déjà tout, et il
dut admettre que ce n’étaient pas des animaux ordinaires.
Alors que l’obscur boyau qu’ils avaient commencé à parcourir
devenait plus dangereux, au fur et à mesure que la lumière
filtrait à travers les pores de la terre et que le cortège étrange
avançait précautionneusement, pas à pas, un son curieux se fit
entendre. Il provenait d’une anfractuosité du tunnel mais les
enfants, qui se demandaient ce que cela pouvait être, ne purent
pas le localiser.
« Qu’est-ce que c’est ? », demanda Soleil épouvantée. Ce n’était
pas si terrifiant mais la petite fille était devenue méfiante.
« Vous avez une idée ? », lui fit écho Mattias, s’adressant à Miel
et à l’oiseau qui volait toujours au-dessus de leurs têtes.
« Ça doit être une chauve-souris, il y en a tellement làdessous », conclut le génie, obligé d’avancer les épaules
courbées.
« Regardez bien, dit le volatile du haut de sa sagesse, c’est là
devant vous, indiqua-t-il en projetant la lumière vers la bouche
du tunnel. Le son, en effet, devenait de plus en plus fort et
distinct ; c’était le coassement rythmé d’un petit animal vert qui
semblait les attendre.
« Enfin, vous êtes arrivés, s’exclama le crapaud impatient,
suivez-moi, le chemin est encore long et tortueux.
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– Mais, nous devons nous fier à ce petit monstre ? Qu’est-ce que
c’est et qui le connaît ?
– Moi je vous connais et surtout toi, puissant génie de la
montagne, répondit le petit crapaud qui n’était pas si petit que
ça. Et vous n’avez pas d’autre alternative que de me faire
confiance parce que je sais comment vous faire sortir d’ici.
– Écoute, écoute, tu me connais ? Mais je ne t’ai jamais vu !
– Je suis le crapaud à large bouche et ma mission est de vous
montrer le passage pour quitter la caverne et vous indiquer la
route pour trouver le mage et la sorcière.
– Pourquoi ne pouvons-nous pas nous en sortir nous-mêmes ? »,
insista le génie.
« Vous pourriez, mais vous pourriez aussi errer là-dessous
pendant des jours et des semaines.
– C’est si difficile de trouver la route ? » demanda Mattias
curieux.
« Regardez et jugez vous-mêmes », conclut le crapaud.
Devant
eux se présentait un spectacle extraordinaire : la
grotte, complètement recouverte de stalactites, avait au moins
dix ouvertures de différents diamètres au-dessus d’eux. Pour les
atteindre, ils auraient dû grimper sur les murs arrondis et
glissants. Seul le génie pouvait les atteindre sans effort mais il
n’aurait pu y passer que la tête. Il voulut essayer en mettant son
nez écrasé à l’intérieur.
« Oh ! s’exclama-t-il, Venez voir !
– Ils ne peuvent pas, répondit l’oiseau aux plumes multicolores
qui avait remarqué la frustration et l’impatience des enfants.
C’est trop haut pour eux.
– Mais le génie peut nous soulever d’une seule main, pas
vrai ? » demanda Soleil.
« Oui, le génie peut le faire sans effort mais ensuite il resterait
enfermé ici. De plus, il n’y a qu’un seul chemin pour atteindre le
sommet de la montagne et ce chemin est magique.
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– Alors, il faut de la magie, c’est ça ? » poursuivit Mattias qui
commençait à comprendre comment les choses fonctionnaient.
« Exactement, de la magie, dit le crapaud à large bouche, prêt à
réaliser son tour. Voilà la bonne entrée. Que vous le croyiez ou
pas, ajouta-t-il avec détermination, c’est le moment de vous
préparer à sauter.
– Sauter ? » demandèrent les enfants.
« Sauter ? » dit aussi le génie.
« Oui, vous avez bien compris, répondit le crapaud à large
bouche. Faites comme moi. Quand je dirai “sautez”, vous devrez
sauter à tour de rôle, l’un après l’autre. Le génie devra faire un
effort particulier pour passer et il devra prendre la main du
garçon pour y arriver ».
« Je devrai le prendre par la main ? » demanda Mattias.
« Non, tu devras le prendre avec toi, dans ta main.
– Quoi ? Mais ce n’est pas possible !
– Tu te trompes, tout est possible quand on veut » dit le crapaud.
Puis il s’adressa aux autres animaux et leur dit : « Prêts ? »
« Prêts. »
Le premier à sauter, plutôt à voler, fut l’oiseau aux plumes
de couleur, qui semblait danser dans un tourbillon gracieux vers
l’orifice de la caverne indiqué par le crapaud magique.
Juste après, ce fut le tour du crapaud, qui montra à Mattias
comment faire.
« Tu dois te mettre là, c’est l’endroit exact pour faire le saut.
Toi, petite, tiens-moi par le cou, n’aie pas peur, tu sortiras avec
moi. »
Soleil, confiante, s’approcha de la créature et mit ses petites
mains autour de son cou. À cet instant, elle devint légère comme
une plume et s’envola, en un seul saut, avec monsieur le
crapaud. Ce fut merveilleux de pouvoir respirer l’air frais du
matin et de voir la montagne recouverte de neige et de rosée.
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« C’est à ton tour » dit le crapaud, penché sur le petit cratère.
« Génie de la montagne, prends la main du garçon. » Celui-ci
s’approcha de Mattias, comme il avait vu faire la petite fille,
apaisé par les paroles magiques du crapaud. Soudain, son corps
gigantesque rapetissa, il devint léger et se posa dans la main
droite du garçon. Mattias suivit les instructions à la lettre, se
mettant au milieu d’un cercle vert tracé par le crapaud.
« Saute ! » ordonna l’animal quand il le vit en position. Mattias
s’accroupit, posa les paumes de ses mains à terre, le génie
debout sur son poignet. Il donna un coup de rein et s’envola.
« Enfin, te voilà ! » cria Soleil excitée à la vue de son frère sain
et sauf. Elle avait du mal à croire que cette magie ait réussi
aussi. Le génie reprit son apparence normale.
« Et Miel, où est-il ? » demanda Mattias, encore étourdi.
« Le voici qui arrive », répondit l’oiseau. Le dernier voyage
s’était bien passé et le chiot, voltigeant en une superbe cabriole,
rejoignit ses compagnons au pied de la montagne enchantée.
Avant de reprendre la route, ils s’arrêtèrent dans une clairière
ensoleillée pour se restaurer. C’est le génie qui y avait pensé et
qui leur offrit, reconnaissant, les réserves qu’il avait mises de
côté dans sa sacoche.
Pendant que les animaux se nourrissaient des fruits abondants de
la terre, les enfants se régalèrent avec les gourmandises que le
génie leur donna.
« Bien ! » s’exclama le crapaud après leur avoir accordé aussi
un peu de repos. « On repart. Voilà le chemin et nous devons
atteindre le sommet, vous le voyez ? »
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« Je vous attends ici », dit le génie rassasié, et il se tourna dans
le sens opposé.
« Mais non, il y a quelqu’un qui t’attend », reprit le crapaud.
« Qui m’attend moi ?
– Exactement, cher monsieur le génie.
– Allons-y monsieur génie » dit soleil, le tirant par le gilet. Le
géant, observant la petite sous les rayons du soleil naissant, fut
ébloui par tant de beauté et, attendri par cette invitation, se
bougea lentement pour se mettre en route. Le chemin était raide
et accidenté. Les enfants durent plusieurs fois s’agripper aux
racines du terrain ou au manteau de Miel, même à la main du
génie qui, contrairement à toute attente, montait lentement mais
sans fatigue apparente. Chaque fleur et chaque animal étaient
pour lui un motif de grand étonnement qui méritait une pause.
Grâce à eux, les enfants purent reprendre haleine et continuer à
grimper avec plus de vigueur.
Ils firent la connaissance des bouquetins aux cornes recourbées
qui sautaient agilement d’un rocher à l’autre. Et aussi d’animaux
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plus dangereux, ou qui en avaient l’air, comme les loups. Un
groupe de trois loups à la fourrure argentée s’approcha d’eux.
Soleil serra la main de son frère, se rappelant l’histoire du Petit
Chaperon rouge, s’attendant à ce qu’ils ouvrent grand la gueule.
Ceux-ci, au contraire, se contentèrent de les flairer, car le
crapaud, le chiot et l’oiseau avaient formé un cercle magique
autour des enfants. Quand les loups repartirent dans la direction
opposée, les enfants poussèrent un soupir de soulagement.
« Tous les loups ne sont pas dangereux et tous les contes ne sont
pas véridiques ! Cette bande était déjà rassasiée », expliqua le
crapaud à large bouche.
« C’est pour ça qu’ils ne nous ont pas mangés ?
– Pour ça mais aussi parce que vous avez une mission spéciale à
accomplir.
– Et aussi parce que ce petit tas d’os n’est pas très alléchant,
non ? » dit le génie en riant.
« Tu es un génie farceur ! » protesta Soleil en s’arc-boutant.
« Rira bien qui rira le dernier », ajouta-t-elle, sans savoir très
bien à quoi elle faisait allusion. Quand ils s’approchèrent de la
cime, une verte clairière s’ouvrit devant leurs yeux émerveillés.
L’air raréfié mais frais les remplit d’énergie. À cet instant
précis, Mattias aperçut une silhouette sombre bouger dans la
montagne.
« Qu’est-ce que c’est ? » demanda-t-il immobile, partagé entre
la peur et l’étonnement.
« Je vous avais parlé de notre terre et des merveilleux animaux
qui l’habitent. Vous ne l’avez jamais vu sur vos livres de
classe ? » répondit l’oiseau aux plumes multicolores.
« Non, jamais ! » dit Mattias.
« Qu’est-ce qu’on vous enseigne alors ? C’est une créature
protégée, comme le loup, c’est le fameux ours brun. Il en reste
très peu en liberté.
– Mais il est… il est énorme ! » s’exclama Soleil en reculant de
quelques pas.
« Il est seulement un peu plus gros que moi ! » dit le génie de la
montagne.
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« Il est très dangereux ? » demanda le garçon sans prêter
attention aux boutades du blagueur.
« Non, c’est un animal timide qui ne viendra jamais vers nous.
Nous pouvons observer ses mouvements, ses déplacements et
nous considérer heureux de l’avoir repéré.
– Il est vraiment fascinant ! » poursuivit Mattias, enchanté.
« Qu’est-ce que vous trouvez de spécial à un génie à la fourrure
foncée ? » grommela le géant entre ses dents.
« Tu peux te taire un moment ? réagit le garçon énervé, il n’est
pas comme toi, c’est un bon géant et toi non ! »
Le génie prit mal les paroles du garçon, comprenant qu’il était
encore en colère contre lui, et alla se mettre tout seul dans un
coin.
« Tu dois comprendre, le consola Miel, il n’oubliera jamais le
mal que tu lui as fait. »
Le géant farceur changea complètement d’humeur, au bord des
larmes :
« Mais je… j’ai été forcé ! »
« Tu pourras le leur expliquer quand nous seront devant ton
maître. L’heure de vérité a sonné ! » dit le petit chien. Puis,
levant les yeux vers le sommet lumineux, ils virent l’ours se
lever sur ses pattes postérieures et lancer vers le ciel un appel
puissant.
Les enfants se serrèrent contre la fourrure tiède de Miel qui leur
dit : « Vous avez entendu ? C’est le signal, nous pouvons
continuer. »
L’ours les fixa encore de ses yeux humides et noirs, puis se
retourna et disparut, comme il était venu, dans la montagne.
Le printemps préparait ses surprises dans chaque touffe
d’herbe et chaque fleur. Le parfum des bourgeons était si intense
que nos amis auraient voulu se rouler par terre, pour se laisser
bercer par le réveil de la nature. La montagne, à cette heure du
jour, quand les rayons du soleil étaient presque au zénith, leur
semblait un paradis.
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« Mais c’est vraiment là qu’habitent le mage et la sorcière ?
– Oui, répondit le crapaud sans l’ombre d’un doute. Et ma
mission se termine ici, les enfants.
– Comment est-il possible, poursuivi Mattias, qu’un lieu si beau
soit habité par deux créatures malveillantes ?
– Attends de les connaître pour juger », intervint l’ami à plumes.
« Suivez-moi, maintenant que le crapaud nous salue. Adieu ami
et merci pour ton aide.
– Adieu à tous et bonne chance !
– Mais… Nous ne nous verrons plus ? » demanda Soleil
inquiète.
« Qui sait, ce serait bien. Appelez-moi si vous avez besoin.
– Nous devons laisser partir nos maîtres pour faire place aux
nouveaux », expliqua l’oiseau à la petite fille.
« Mais, le crapaud était un ami », protesta-t-elle.
« C’est vrai et nous devons le remercier. Courage, avant qu’il ne
soit trop tard », l’exhorta le rossignol.
« Adieu, crapaud ! » dit Soleil en agitant la main.
« Adieu et merci pour tout. Et maintenant allons-y, je suis très
curieux de connaître ces deux personnages », grommela Mattias
en allongeant le pas.
La maison creusée dans la roche avait plusieurs niveaux. En
la voyant, nos amis crurent tout d’abord que c’était un palais,
puis un château et enfin une maison à l’aspect très original. Elle
semblait changer selon le point d’observation. Les enfants furent
immédiatement conquis.
« C’est là qu’ils habitent ? » demanda Mattias.
« Qu’est-ce que c’est, un parc de jeux ? questionna Soleil.
« Nous avons l’adresse, voilà : résidence ensorcelée, route de la
montagne enchantée, ça correspond ! » dit l’oiseau en déroulant
un petit parchemin.
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« Elle a l’air abandonnée… Il n’y a personne ? » cria le garçon
effrayé en s’avançant. Le génie aussi, jusque-là resté en arrière,
fit quelques timides pas en avant.
Un silence étonnant, qui ne présageait rien de bon, régnait dans
l’air. On aurait dit que même les oiseaux et les plantes se
retenaient de respirer.
« Il y a quelqu’un ? » répéta Mattias. Miel avait commencé à
flairer les plantes luxuriantes du jardin qui semblaient vouloir
cacher la maison.
« J’ai peur ! Retournons en arrière », supplia Soleil.
« La petite a raison, ajouta le génie. Ça ne sent rien de bon.
Nous pouvons encore rentrer chez nous », dit-il en reculant.
« Et où voulez-vous aller ? » demanda l’oiseau aux plumes
multicolores. « Vous avez une maison ou une famille qui vous
attend ? Vous n’avez pas encore compris que notre mission doit
s’accomplir ici ? Si nous ne le faisons pas maintenant, rien ne
changera.
– Je ne comprends pas pourquoi je dois faire toujours des choses
difficiles. Je veux maman ! » protesta Soleil.
« Peut-être que ta maman est là et vous attend, mais peut-être
que vous devrez la libérer.
– Peut-être, peut-être… Toi qui es toujours si savant, pourquoi
ne nous dis-tu pas la vérité une bonne fois pour toutes ! » cria
Mattias.
« Parce que la vérité ne se trouve pas comme ça, il faut la
chercher !
– Aide-nous à la trouver, petit oiseau, je t’en prie! supplia Soleil.
Je suis fatiguée et affamée après toutes ces heures de marche.
– Bon, alors essayons d’entrer dans la maison, comme ça vous
pourrez vous reposer. »
Ils découvrirent le salon dans toute sa magnificence. Le
rouge du dallage brillant reflétait la lumière qui s’infiltrait à
travers les hautes fenêtres à la marqueterie de couleur, et le
grand escalier remplissait l’espace comme une colonne de lave
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douce. Les lustres de cristal contribuaient à cette opulence et
rendaient la maison étincelante.
Soleil et Mattias, bouche bée, n’avaient jamais imaginé tant de
richesse.
« Oh ! » s’exclama Soleil, incapable de réfréner ses émotions.
« Mais personne n’habite dans ce palais ? » redemanda Mattias.
« Quelqu’un va venir vous accueillir » répondit l’oiseau qui
voltigeait de-ci de-là pour étudier les lieux.
« Regardez ! » hurla le génie, pointant son gros doigt devant lui.
L’escalier revêtu d’un précieux tapis rouge sembla bouger et
fondre.
« Qu’est-ce que ça veut dire ? » demanda Mattias inquiet.
« En arrière, en arrière ! » ordonna l’oiseau à ses amis. Ceux-ci,
d’un bond, reculèrent vers l’entrée, suspendus au museau de
Miel qui les repoussa dans un coin. En un clin d’œil, l’escalier
disparut et se transforma en une spectaculaire langue de feu.
Une silhouette féminine aux traits fins et harmonieux la
descendait en voltigeant.
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« Qui est-ce ? » demanda Mattias.
« Je ne sais pas », répondit le génie effrayé. Aucun d’entre eux
n’avait jamais vu tant de grâce et d’agilité. Il s’agissait sans
doute de magie, encore une fois.
« Qui êtes-vous qui osez mettre les pieds dans ma demeure sans
y être invités ? » tonna la dame au regard de feu. Sa peau était
blanche comme la neige et ses cheveux noirs semblaient
l’envelopper comme un manteau de soie aux reflets bleus
changeants.
« Voici notre invitation, Madame, avec l’adresse », dit l’oiseau
sage. Nous sommes des pèlerins et nous ne demandons que
l’hospitalité, celle qui ne se refuse pas même au plus misérable
mendiant. »
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La dame glissa lestement de son tapis et prit le parchemin que le
volatile tenait dans son bec au-dessus de sa gracieuse tête. Après
avoir vérifié le document, elle dévisagea les membres du
groupe, un par un. Ses lèvres bien dessinées esquissèrent un
sourire mystérieux et, montrant le chemin, elle leur dit :
« Suivez-moi. »
Le grand escalier
réapparut en une seconde et les invités
purent suivre l’étrange femme.
« Ça doit être la sorcière » murmura Mattias à l’oreille du génie
épouvanté.
– Mais… je pensais que les sorcières étaient laides et
méchantes.
– Elle t’a paru bonne celle-là ?
– Chut ! On pourrait vous entendre », souffla Soleil à ses
compagnons.
Soudain, en haut de l’escalier, une porte en bois massif s’ouvrit
tout grand et le curieux groupe se retrouva dans une immense
pièce à moitié obscure. Des étoffes et des toiles d’araignée
pendaient du haut plafond comme dans un film d’horreur. Un
faisceau de lumière apparut au-dessus de leurs têtes et d’un
plafond mobile descendit un ascenseur de cristal dans lequel se
devinait une figure extraordinaire. Les enfants ne s’étaient pas
encore remis de la rencontre avec la belle dame que déjà un
nouvel effort leur était demandé pour imaginer qui était cette
mystérieuse présence.
« C’est le mage ! » s’esclaffa Soleil par intuition.
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« Exactement, confirma l’oiseau sage, ce sont les maîtres de
maison. Nous les avons beaucoup cherchés. Tu te souviens
d’eux, génie ?
– Non, c’est la première fois que je les vois », répondit celui-ci
confus.
– Peut-être sous cette forme, ils sont capables de changer
continuellement de forme.
– Pourquoi le génie devrait-il les connaître ? » demanda Mattias.
« Parce que ce sont eux, il y a de nombreux siècles, qui
l’emprisonnèrent dans la montagne et le contraignirent au
maléfice du tremblement de terre.
– N’écoutez pas cet imposteur ! L’oiseau ment, je n’ai rien fait
et je n’ai jamais été prisonnier. Je n’ai jamais vu ces gens. »
Tandis que le génie se rebellait, les portes de l’ascenseur arrivé
au sol s’ouvrirent et un homme à l’habit miroitant en sortit en
grondant : « Tais-toi, stupide tas de chair et de poils ! Que peuxtu connaître alors que tu ne te connais pas toi-même. L’oiseau a
raison : tu es ma créature, dont je ne suis pas très fier. Du jour
où tu as ouvert les yeux, j’ai su que tu n’apporterais rien de bon,
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et je ne me suis pas trompé. Tu as trahi ma confiance et celle de
ma compagne adorée, la splendide Rosenoire.
« Racontez-nous vos exploits, Monsieur. Nous sommes arrivés
jusqu’ici à travers monts et vallées, avons affronté dangers,
fatigue et faim pour vous écouter, parce que dans le monde on
dit des choses incroyable sur vous », l’exhorta l’oiseau aux
plumes multicolores en se posant sur l’épaule du génie. « Et ce
géant ne désire qu’une chose, s’agenouiller devant vous.
– Il a été créé pour nous servir, comme toutes les créatures que
ces mains ont façonnées », poursuivit le mage, du haut de son
ego, élevant ses mains blanches comme celles d’un jeune
homme. « Son unique devoir était de rayer de la carte un pays
qui n’a pas voulu croire en notre pouvoir, s’est moqué de nous
et nous a persécutés à mort. Rosenoire fut accusée de sorcellerie
et brulée vive en place publique. Moi, après avoir subi la prison
et la torture, je réussis à fuir en France, puis j’ai erré de pays en
pays, avant de revenir en Italie sous de fausses apparences pour
exhumer les cendres de ma compagne bien-aimée.
Ils l’écoutaient, atterrés, les enfants comme les animaux, parce
que le mage avait une voix enchanteresse et que son histoire
mêlait le merveilleux et l’épouvantable.
« Au cœur de la nuit, grâce à mon puissant pouvoir magique, je
la ramenai à la vie. Mais elle portera toujours les signes de la
mort. La splendide Rosenoire a deux visages : un rose et un noir,
selon son humeur. Attention à ne jamais la mettre en colère,
vous vous en repentiriez ! » gronda le mage, le doigt levé contre
ses hôtes.
« Mais en quoi le génie ne t’a-t-il pas obéi, grand mage ? »
demanda Mattias.
« Le génie a fauté en se laissant attendrir par les pleurs d’un
petit enfant qui le suppliait d’arrêter de faire trembler la terre.
Mais nous savons, par expérience, que les humains, grands ou
petits, sont des traîtres et qu’avec eux, il faut rester sur ses
gardes. À cause de cela, sa maison s’est transformée en prison et
sans votre aide il n’aurait jamais pu quitter sa caverne.
Ils se regardèrent, les enfants et le génie, puis la petite Soleil prit
la parole :
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« Courage, génie de la montagne, demande pardon à ton papa. »
Et l’accompagna gentiment, le prenant par la main, auprès du
mage.
« Le repentir, s’il est sincère, est une libération qui peut toucher
les cœurs les plus endurcis », dit le rossignol du haut de sa
sagesse.
« Je ne me souviens pas d’avoir donné un cœur à cette étrange
créature » ironisa le mage, regardant le génie de son air
suffisant.
« Tu as entendu ? Il se moque de toi. Montre-lui qu’il se
trompe », l’exhorta Mattias.
« Tu as un cœur, et comment ! Tu nous as accompagnés
jusqu’ici, surmontant ta somnolence et ta peur. Je suis sûre que
tu l’as fait pour l’amitié qui nous lie, n’est-ce pas génie ?
– Oui, Soleil a raison. Que puis-je faire pour montrer au mage
que j’ai changé ? » demanda le génie à ses amis.
« Agenouille-toi devant lui et demande simplement pardon »,
conclut Soleil d’une voix ferme.
Comme un fruit mûr au soleil, le grand génie tomba à
genoux, sur ses genoux couverts de poils. Tous, y compris la
belle Rosenoire, se resserrèrent autour de lui, incrédules et
attirés par une puissante force. Comme si ce geste ne suffisait
pas, sincèrement humilié, il ouvrit la bouche et les paroles qui
en sortirent semblaient former une irrésistible mélodie.
« Père, mon créateur, votre humble serviteur vous supplie de lui
pardonner. Vous m’avez fait à votre image pour que je vous
serve, mais vous avez oublié ça. » En parlant, il montra sa
poitrine. « Pourquoi m’avez-vous donné un cœur ? Même cette
petite fille le sait. Avec ça dans la poitrine, j’ai pu agir selon vos
désirs jusqu’à un certain point. Il a suffit des pleurs d’un enfant
pour m’arrêter, parce qu’avec le cœur, on peut se réjouir mais
aussi souffrir. Otez-le moi pour que je puisse vous servir
fidèlement, maître. » Tout en parlant, il s’approcha du mage et
lui offrit sa poitrine.
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Celui-ci, désorienté, regarda autour de lui tandis que tous le
fixaient pétrifiés. Il se tourna vers sa femme et lui dit : « Ça… je
n’y avais pas pensé! »
« Le génie a raison, intervint Rosenoire, si tu veux qu’il obéisse
à ta volonté, qu’il efface pour toujours ce pays inhospitalier et
traître, tu dois lui prendre ce cœur qui, comme tu le sais, n’a
engendré que des problèmes ! »
La lame du couteau, sorti du néant par la belle sorcière,
passa comme un éclair entre les mains des deux complices. Seul
le génie, la tête basse comme un condamné à mort, n’en vit pas
l’impressionnante lumière.
Quand le mage leva le bras, prêt à asséner le coup, découvrant
l’ampleur de son manteau précieux, une voix déchira la salle.
« Arrête ! »
« Qui ose se mettre entre moi et le destin ? » hurla le mage.
« Il n’est pas nécessaire d’utiliser une lame pour extraire ce que
tu cherches. J’ai reçu une clé magique qui peut transformer tout
et ouvrir n’importe quelle porte, même la plus inaccessible. »
« Tu te moques de moi, garçon ? Une clé ? Et où l’as-tu
prise ? » dit le mage en se tournant vers lui. Le couteau, entretemps, avait rebondi à terre et tous regardaient Mattias qui
gardait les mains cachées dans sa poche.
« Je ne peux pas le dire, désolé, mais je peux te la prêter si cela
t’intéresse. »
« Me la prêter ? » cria l’homme aux mille pouvoirs. « Tu dois
me la donner, et tout de suite, sale morveux ! »
« La voici, regarde comme elle brille. »
« Je ne la connais pas… Je ne crois pas qu’elle ait des
pouvoirs », marmonna le mage en s’approchant de Mattias.
Mais, dès qu’il l’effleura, il fut foudroyé et tomba à terre,
disparaissant dans son manteau.
Alors Rosenoire se mit à voler en hurlant désespérément. De sa
bouche sortaient des langues de feu, son beau visage vieillit
instantanément et se transforma en un masque de carton-pâte. Sa
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vie était indissolublement liée à celle de son amant et devait
finir avec lui.
Un ciel de plomb couvrit l’espace, la lumière incandescente du
feu se transforma en une pluie grise, puis noire, qui envahit la
salle. Les deux méchants personnages restèrent sur place et se
consumèrent lentement. Sur le sol, seuls leurs habits somptueux
flottaient.
Les enfants, cloués au mur, étaient restés hébétés. Quand le
silence revint, Soleil trouva le courage de demander :
« Ils sont morts ? »
« Oui », dit Miel.
« Justice est faite », ajouta l’oiseau aux plumes multicolores.
«Tu resteras avec nous, Génie ? » demanda Soleil alors
qu’ils parcouraient le sentier de retour vers la vallée.
« Si cela vous fait plaisir, moi aussi je reste seul comme vous. »
« Il va y avoir beaucoup à faire maintenant que nous rentrons et
les enfants auront besoin de deux grands bras pour les aider et
les protéger », dit l’oiseau aux plumes de couleur qui leur
éclairait à nouveau le chemin.
La montagne derrière eux ressemblait aussi à un géant noir prêt
à s’endormir pour la nuit. Ils arrivèrent dans la ville mourante au
lever du soleil. Les réverbères qui, il fut un temps, éclairaient la
place, étaient tous éteints. Soleil eut du mal à contenir l’émotion
que la vue de ces rues vides lui causait, elle pensait qu’elle ne
les aurait plus jamais revues.
« Où est votre maison ? » demanda le génie.
« Peut-être qu’elle n’existe plus », répondit Mattias désespéré.
« Je suis là pour vous aider, non ? Emmenez-moi la voir »,
insista le géant.
Ils marchèrent silencieusement, enjambant des tas de débris,
éclairés seulement par le rayon de lumière de leur ami à plumes.
Soleil, le cœur serré en repensant à ses souvenirs, se collait
étroitement au corps chaud de Miel. Quand elle vit sa maison,
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un flot de larmes coula sur son beau petit visage triste. Le génie,
attendri, la prit dans ses bras et lui murmura à l’oreille : « Tu
verras, elle redeviendra comme neuve ! » Il ne pouvait pas
imaginer combien sa mère et son père manquaient à l’enfant.
Cette nuit-là, après tant d’émotions, ils trouvèrent refuge dans
une tente hors du centre historique. Ils firent enregistrer leurs
noms et s’installèrent sur deux lits de camp voisins. Miel et le
génie restèrent dehors.
Pourtant, les émotions du jour n’étaient pas encore finies.
L’oiseau qui leur avait servi de guide prit congé d’eux en leur
disant :
« Maintenant que le bien est revenu sur cette malheureuse terre,
je peux vous dire au revoir.
– Pourquoi ne restes-tu pas avec nous ? Où vas-tu, oiseau de
sagesse ? » lui demanda Mattias.
« Ma mission est finie, mais ce fut un plaisir de vous connaître.
Bonne chance, Mattias. Bonne chance, Soleil. Soyez toujours
courageux ! » Et il s’en alla, disparaissant dans un faisceau de
lumière extraordinaire.
Soleil, inquiète, regarda Miel et lui dit : « Tu ne vas pas nous
laisser, toi aussi ?
– Sois tranquille, petite, mon rôle n’est pas encore terminé. »
Le jour suivant, alors que le soleil était déjà haut dans le ciel,
Soleil et Mattias furent réveillés par une soudaine effervescence
à l’extérieur de la tente. Ils sortirent et furent abasourdis de voir
que tous, adultes et enfants, étaient déjà au travail.
Un
flot de brouettes chargées de ciment et d’autres
matériaux allait et venait dans la ville nouvelle.
Le frère et la sœur se regardèrent, relevèrent leurs manches et
prirent une brouette eux aussi, s’unissant à leurs concitoyens
dans un éternel instinct de reconstruction.
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