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david mas

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Compétence et organisation du capital-risque :
Modélisation et analyse empirique
David Mas
To cite this version:
David Mas. Compétence et organisation du capital-risque : Modélisation et analyse empirique.
Economies et finances. Université Paris II - Panthéon Assas, 2008. Français. �tel-03691950�
HAL Id: tel-03691950
https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-03691950
Submitted on 14 Jun 2022
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recherche français ou étrangers, des laboratoires
publics ou privés.
UNIVERSITÉ PANTHÉON-ASSAS PARIS II
Droit - Economie - Siences Sociales
Compétence et Organisation du Capital-Risque
Modélisation et analyse empirique
THÈSE
présentée et soutenue publiquement le 7 octobre 2008 par
David Mas
pour l’obtention du
Doctorat en Sciences Economiques de l’université Panthéon-Assas Paris II
(Arrêté du 30 Mars 1992)
Composition du jury
Gérard BALLOT Professeur, Université Panthéon-Assas Paris II (Directeur de thèse)
Georges BRESSON Professeur, Université Panthéon-Assas Paris II
Mauro GALLEGATI Professeur, Università Politecnica delle Marche, Ancona (Rapporteur)
Pascal PETIT Directeur de Recherche, CEPN et CEPREMAP, Paris
Annick VIGNES Maı̂tre de Conférence, Université Panthéon-Assas Paris II
Jean-Benoît ZIMMERMANN Directeur de Recherche, GREQAM, Marseille (Rapporteur)
ii
iii
L’ Université Pantéon-Assas Paris II n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises
dans les thèses. Ces opinions doivent être considérées
comme propres à leurs auteurs.
iv
v
Cette thèse à été préparée au sein de l’ERMES :
ERMES (UMR 7181 CNRS)
Université Panthéon-Assas Paris II
12, place du Panthéon
F-75231 Paris Cedex 05
Tel : +33 (0)1 44 41 89 61
Fax : +33 (0)1 40 51 81 30
http ://www.u-paris2.fr/ermes/
vi
Résumé
Le capital-risque est une forme d’investissement soumis à une incertitude radicale. Pour y
faire face, on fait appel à des intermédiaires compétents qui investissent dans les start-ups des
fonds levés auprès d’investisseurs institutionnels : les capital-risqueurs. Dans cette thèse nous
étudions donc le rôle de la compétence des capital-risqueurs dans l’organisation du capitalrisque à l’aide de modèles théoriques et d’analyses empiriques des investissements en capitalrisque réalisés aux Etats-Unis, en Europe et en Israël entre 1990 et 2005.
Nous proposons tout d’abord un modèle du capital-risque basé sur une double sélection :
celle des start-ups par les capital-risqueurs et celle des capital-risqueurs par les investisseurs
institutionnels. Ce modèle nous permet d’établir les conditions de l’efficacité du capital-risque
et d’étudier les dynamiques d’apprentissage et de sélection qui permettent de faire émerger une
population de capital-risqueurs compétents à partir d’une population hétérogène aléatoire.
Puis nous étudions l’influence de la compétence sur les stratégies du capital-risqueur. Nous
proposons un modèle dynamique de l’arbitrage entre spécialisation industrielle et diversification
financière dans le portefeuille de start-ups du capital-risqueur lorsqu’il améliore sa compétence
dans les industries où il investit. Nous étudions ensuite le réseau de co-investissement entre
capital-risqueurs et nous montrons le rôle des proximités culturelle, industrielle et dans le réseau
comme source d’information sur la compétence des partenaires potentiels.
Mots-clés: capital-risque, compétence, sélection, apprentissage, modèles multi-agents, réseaux
sociaux.
Abstract
English title : Competence and Organization of Venture Capital
Venture capital is a kind of investment made under radical uncertainty. To face it, competent intermediaries are involved who invest in start-ups specific funds raised from institutional
investors : the venture capitalists. In this thesis we study the role of venture capitalists’ competence in the organization of venture capital with theoretical models and empirical analyses of
the venture capital investments made in the United States, in Europe and in Israel between 1990
and 2005.
We first propose a model of venture capital based on a double selection process : the selection of start-ups by the venture capitalists and the selection of venture capitalists by the
institutional investors. With this model we establish the conditions for venture capital efficiency
and we study the dynamics of selection and learning that leads to the emergence of a population
of competent venture capitalists from an initial random heterogeneous population.
We then study the influence of competence on venture capitalist’s strategies. We propose a
dynamical model of the trade-off between industrial specialisation and financial diversification
in venture capitalist’s portfolio of start-ups when the venture capitalist increase his competence
in the industries where he invests. We then study the syndication network of venture capitalists
and we show the role of cultural, industrial and network proximities as information sources on
the competence of potential partners.
Keywords: venture capital, competence, selection, learning, agent based models, social networks
xi
Remerciements
Je tiens tout d’abord à remercier Gérard Ballot pour la confiance qu’il m’a accordée et pour
son soutien tout au long de ma thèse.
Je remercie ensuite Annick Vignes qui m’a permis grâce au projet européen CO3 de vivre
une expérience de recherche internationale, riche en rencontres et en interactions scientifiques.
J’exprime aussi ma gratitude à Gérard Weisbuch qui m’a ouvert les portes des systèmes
complexes, et notamment celles de l’analyse des réseaux sociaux.
Je remercie Giulio Bottazzi pour m’avoir accueilli à plusieurs reprises à Pise, et pour notre
fructueuse collaboration sur les problèmes de sélection.
Je remercie Georges Bresson, directeur de l’ERMES, pour les conditions de travail très
confortables dont j’ai bénéficié, et pour les nombreuses possibilités d’interactions scientifiques
de haut niveau offertes par l’ERMES, tant avec les chercheurs et enseignants chercheurs du
laboratoire qu’avec les professeurs invités étrangers.
Je remercie Sorin Solomon, coordinateur du projet CO3, qui a largement contribué au financement de cette thèse, ainsi que pour ses critiques et remarques toujours pertinentes sur
mes travaux. Je tiens aussi à remercier les autres membres du projet CO3 et notamment Yoram
Louzoun, Nadav Shnerb, et Giovanni Dosi.
Je tiens à remercier ici Myriam, Jean-Michel, Cyriaque, Oussama, Makram, Elie, Roger,
Adélaïde, Emmanuel, Meriem K., Meriem M., Amani, Anna, Soumaya, Houda, Nouriddine,
Mohamed et les anciens Fabrice, Diègo et Mathieu, pour la bonne ambiance et la solidarité qui
règne entre les doctorants de l’ERMES. Ils savent allier camaraderie avec partage de savoir et
de savoir faire.
Je remercie enfin mes proches et notamment mes parents et Linda pour leur soutien inconditionnel et indispensable.
Cette thèse a bénéficié du financement des projets européens "COevolution and Self-organisation
In dynamical Networks" (FET Open Project, IST-2001-33555 COSIN) et "COmmon COmplex
COllective Phenomena in Statistical Mechanics, Society, Economics, and Biology" (FP6-NEST
012410 CO3).
xii
Table des matières
Introduction Générale
1
1 Les fondements du capital-risque
15
1.1
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
17
1.2
L’histoire du capital risque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
19
1.3
Capital-risque, banques et marchés financiers . . . . . . . . . . . . . . . .
23
1.4
Les données VentureSource . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
26
1.5
Les acteurs du capital-risque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
27
1.5.1
Les investisseurs institutionnels . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
28
1.5.2
Les start-ups . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
32
1.5.3
Les capital-risqueurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
39
L’investissement en capital-risque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
44
1.6.1
Principales industries . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
45
1.6.2
Localisation du capital-risque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
47
1.6.3
Devenir des start-ups . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
53
1.6.4
La rentabilité du capital-risque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
56
Les pratiques du capital-risqueur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
63
1.7.1
Gestion du fonds . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
63
1.7.2
Sélection des start-ups . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
66
1.7.3
Suivi, conseil et assistance aux start-ups . . . . . . . . . . . . . . .
69
1.7.4
Investissement par étape . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
71
1.7.5
Le co-investissement entre capital-risqueurs . . . . . . . . . . . . .
74
1.7.6
Un modèle séquentiel de l’investissement en capital-risque . . . . .
78
L’environnement du capital-risque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
87
1.8.1
Marchés de sortie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
88
1.8.2
Protection de la propriété intellectuelle . . . . . . . . . . . . . . .
89
1.6
1.7
1.8
xiii
Table des matières
xiv
1.8.3
1.9
I
Lien avec la recherche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
90
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
91
Compétence et efficacité du capital-risque
93
2 Le processus de sélection des start-ups
97
2.1
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
2.2
Un tour d’horizon de la littérature . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100
2.3
Mise en évidence empirique de la compétence des capital-risqueurs . . . . 105
2.4
2.5
2.6
2.7
2.8
99
2.3.1
Mesure du succès de l’investissement . . . . . . . . . . . . . . . . 106
2.3.2
Mesure de la compétence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108
2.3.3
Décisions d’investissement du capital-risqueur . . . . . . . . . . . 110
2.3.4
Les données . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111
2.3.5
Modèle économétrique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118
2.3.6
Statistiques descriptives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119
2.3.7
Estimations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122
Le modèle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127
2.4.1
Les start-ups . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127
2.4.2
Les capital-risqueurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129
2.4.3
Le marché . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130
Analyse du modèle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131
2.5.1
Paramètres du modèle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131
2.5.2
Hypothèses simplificatrices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 132
2.5.3
Calcul de la rentabilité du capital-risque . . . . . . . . . . . . . . . 133
2.5.4
Frontière de rentabilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 137
Simulations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140
2.6.1
Evaluation privée plutôt que partagée . . . . . . . . . . . . . . . . 141
2.6.2
Distribution de qualité Gaussienne . . . . . . . . . . . . . . . . . 141
2.6.3
Marché centralisé ou décentralisé ? . . . . . . . . . . . . . . . . . 144
Efficacité du capital-risque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149
2.7.1
Mesures de l’efficacité de la sélection et du capital-risque . . . . . 149
2.7.2
Libre entrée simple . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151
2.7.3
Libre entrée avec anticipation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 156
xv
2.9
Annexe : Calcul de la qualité moyenne de la sélection . . . . . . . . . . . . 159
3 Sélection et apprentissage des capital-risqueurs
163
3.1
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165
3.2
Un tour d’horizon de la littérature . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 166
3.3
Mise en évidence empirique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 173
3.4
3.5
3.6
3.7
3.8
3.3.1
Modèle de survie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 173
3.3.2
Sélection et apprentissage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 184
Le modèle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 192
3.4.1
Sélection des capital-risqueurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 192
3.4.2
Apprentissage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 195
Analyse de la sélection . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 196
3.5.1
Evaluation de la performance des capital-risqueurs . . . . . . . . . 197
3.5.2
Influence de la taille du fonds . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 197
3.5.3
Fonction de sélection globale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 200
Simulation de la sélection . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 201
3.6.1
Conditions de simulation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 201
3.6.2
Distribution de compétence finale . . . . . . . . . . . . . . . . . . 203
3.6.3
Fonction de sélection globale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 206
3.6.4
Types d’erreurs et taille du fonds . . . . . . . . . . . . . . . . . . 209
3.6.5
Coût de sélection et taille du fonds optimale . . . . . . . . . . . . 211
Sélection et apprentissage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 216
3.7.1
Conditions de simulations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 217
3.7.2
Capacité d’apprentissage homogène . . . . . . . . . . . . . . . . . 217
3.7.3
Capacité d’apprentissage hétérogène . . . . . . . . . . . . . . . . 221
3.7.4
Taille de fonds optimale avec des capacités d’apprentissage hétérogènes226
3.7.5
Compétence et capacité d’apprentissage corrélées . . . . . . . . . 227
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 230
II Compétence et stratégies des capital-risqueurs
233
4 Spécialisation industrielle et diversification financière
237
4.1
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 239
4.2
Un tour d’horizon de la littérature . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 240
Table des matières
xvi
4.3
4.4
4.5
4.6
Mise en évidence empirique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 243
4.3.1
Les données . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 243
4.3.2
Degré de concentration . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 247
4.3.3
Spécialisation et diversité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 249
4.3.4
Expérience et diversification . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 252
Le modèle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 260
4.4.1
Portefeuille optimal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 260
4.4.2
Approximations et interprétation . . . . . . . . . . . . . . . . . . 261
4.4.3
Dynamique d’apprentissage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 262
Apprentissage non-borné à rendements décroissants . . . . . . . . . . . . . 264
4.5.1
Analyse formelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 265
4.5.2
Simulations numériques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 267
Apprentissage borné . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 273
4.6.1
Analyse formelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 273
4.6.2
Simulations numériques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 276
4.7
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 279
4.8
Annexe : Démonstrations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 281
5 Proximités et structure du réseau de co-investissement
285
5.1
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 287
5.2
Un tour d’horizon de la littérature . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 288
5.3
Analyse empirique de la structure du réseau de co-investissement . . . . . 295
5.4
5.3.1
Définition du réseau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 295
5.3.2
Caractérisation du réseau de co-investissement . . . . . . . . . . . 296
5.3.3
Centralité et expérience . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 310
5.3.4
Proximités et communautés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 315
Modèle économétrique de la formation des liens . . . . . . . . . . . . . . 333
5.4.1
Le modèle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 333
5.4.2
Les données . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 336
5.4.3
Estimations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 339
5.5
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 349
5.6
Annexe : Réseaux types . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 352
Conclusion Générale
353
xvii
Bibliographie
359
Glossaire des abréviations
371
Glossaire du capital-risque
373
xviii
Table des matières
Introduction Générale
D’après Kortum & Lerner (2000), un dollar investi en capital est 3 fois plus efficace qu’un
dollar investi en R&D classique pour stimuler la production d’innovation. Le capital-risque
est donc une source de financement très efficace de l’innovation. Sa vitalité particulière sur le
contient nord-américain est souvent considérée comme un avantage comparatif des Etats-Unis
par rapport au reste du monde.
L’Europe, qui s’est donnée comme ambition à Lisbonne en 2000 de devenir l’économie de
la connaissance la plus dynamique et compétitive du monde en 2010, compte elle aussi sur
le capital-risque pour atteindre cet objectif. Cependant jusqu’à présent le capital-risque reste
essentiellement un succès nord-américain. Le capital-risque en Europe s’est développé sur des
bases nationales, générant des marchés relativement distincts qui n’ont jamais atteint, même
agrégés, le niveau d’investissement et le succès du capital-risque aux Etats-Unis. A titre de
comparaison, en 2007, les investissements en capital-risque aux Etats-Unis représentaient 30.5
milliards de dollars (soit environ 22 milliards d’euros avec un euro à 1.37 dollars en 2007) alors
qu’en Europe ils ne représentaient que 12.3 milliards d’euros, soit deux fois moins.1 De plus les
investissements en capital-risque européens sont significativement moins performants que ceux
réalisés aux Etats-Unis (Hege, Palomino & Schwienbacher 2003). Ces différences peuvent être
expliquées d’une part par un retard européen notamment dans l’investissement sur la phase de
commercialisation du produit, et d’autre part par les différences de contexte institutionnel sur les
deux continents (Petit & Quéré 2006). L’Europe a donc une forte marge de progression pour se
doter d’un capital-risque aussi dynamique et productif que les Etats-Unis, mais n’y parviendra
pas forcément en copiant simplement les pratiques nord-américaines.
1 sources
: NVCA, EVCA
1
Introduction Générale
2
L’enjeu d’une meilleure compréhension du fonctionnement du capital-risque est donc d’une
part de permettre sa transposition hors des Etats-Unis, en Europe notamment, et d’autre part
d’évaluer sa capacité réelle à financer l’innovation. En effet, si le succès du capital-risque aux
Etats-Unis représente une performance à égaler, rien n’indique que l’on ne puisse pas faire
mieux. La question du potentiel réel et des limites du capital-risque est donc essentielle.
Pour cela il est nécessaire d’isoler les facteurs environnementaux - législation, niveau d’investissement en R&D, fiscalité, protection de la propriété intellectuelle - et les facteurs internes
- organisation du marché, compétence et comportement des agents - qui influent sur l’efficacité
du capital-risque. Cette thèse s’efforce de contribuer à répondre à ces questions.
"Le capital-risque est de l’argent fourni par des professionnels qui investissent aux côtés
des dirigeants dans des jeunes entreprises à croissance rapide qui ont le potentiel pour se
développer en des acteurs économiques significatifs".2
Cette présentation du capital-risque par la NVCA (National Venture Capital Association),
principale association de défense et de promotion du capital-risque aux Etats-Unis, est à la fois
une description dense et précise du capital-risque et une revendication.
Le capital-risque est tout d’abord une source de financement. L’argent qu’il apporte n’est
pas investi n’importe où mais dans des "jeunes entreprises à croissance rapide". Cela en dit déjà
beaucoup. Le fait que les entreprises ciblées soient jeunes indique que les risques pris par les
capital-risqueurs sont importants. En effet, d’une part le taux de faillite est très important pour
les jeunes entreprises, et d’autre part sans bilans passés il est assez difficile d’évaluer objectivement la valeur réelle d’une entreprise. Cependant ces entreprises sont "à forte croissance", ce
qui souligne le fait qu’à la prise de risque importante répond un espoir de gain lui aussi important, de l’ordre de dix fois la mise de départ. Nous sommes donc en plein univers d’incertitude
radicale au sens de Knight (1921). Le succès de l’investissement est en effet difficilement prédictible mais la prise de risque de l’investisseur est compensée par la perspective d’un profit
2 Version
originale : "Venture capital is money provided by professionals who invest alongside management
in young, rapidly growing companies that have the potential to develop into significant economic contributors.",
http ://www.nvca.org/def.html
3
exceptionnel. Cette prise de risque par l’investissement dans des jeunes entreprises à fort potentiel est la caractéristique essentielle du capital-risque.
De plus ces jeunes entreprises "ont le potentiel pour se développer en des acteurs économiques
significatifs". Nous sommes ici en plein processus de création destructrice à la Schumpeter
(1943). Il s’agit ni plus ni moins que de financer les nouvelles entreprises qui forceront les anciennes à s’adapter ou à périr. Toute l’ambition du capital-risque est là. Cette ambition n’est
cependant pas irréaliste. Lorsqu’en 2000, AOL, entreprise qui fournit des accès à internet,
rachète Time Warner, un géant des médias, c’est bien la nouvelle entreprise issue du capitalrisque et des nouvelles technologies qui rachète un géant de l’économie classique. De même
lorsqu’en 2004, peu après son introduction en bourse, la capitalisation boursière de Google
dépasse celle de General Motors, c’est un symbole fort de l’évolution de l’économie des EtatsUnis. Une des entreprises phare de la révolution industrielle est dépassée par le dernier géant
issu des nouvelles technologies. Quelques années plus tard, Google est à la porte des dix plus
grandes entreprises mondiales, et devient le concurrent le plus sérieux de Microsoft, alors que
General Motors est sorti du top 100, et risque de déposer son bilan. Difficile de trouver une
meilleure illustration de la création destructrice.
Enfin les capital-risqueurs revendiquent le rôle de "professionnels qui investissent aux côtés
des dirigeants". Les capital-risqueurs ne sont donc pas de simples pourvoyeurs de fonds mais
des investisseurs spécialisés dans ce type d’investissement particulier qui requière à la fois une
bonne connaissance des technologies exploitées par les start-ups, et la capacité d’assister ces
dernières pour les mener au succès. En effet, seules les nouvelles technologies offrent aux
capital-risqueurs le profil d’investissement qui leur permet d’espérer un retour important en
échange de leur prise de risque. Une bonne connaissance de ces nouvelles technologies est
donc essentielle. Mais ce n’est pas tout. Le capital-risqueur est aussi un partenaire de la startup dans laquelle il investit, et il s’engage dans sa gestion afin d’en maximiser les chances de
succès. Les capital-risqueurs revendiquent ces compétences particulières qui font d’eux des investisseurs actifs extrêmement bien rémunérés. Cet appel à la compétence nous amène donc à la
théorie de la firme comme panier de compétence de Penrose (1959). Ici le capital-risqueur tire
un avantage comparatif de ses capacités à détecter les meilleurs projets et à assister les start-ups
de son portefeuille.
Introduction Générale
4
Du point de vue de la théorie économique le capital-risque est donc au confluent de la prise
de risque à la recherche de profits à la Knight, du changement technologique et de la création
destructrice à la Schumpeter, et de la théorie de la firme comme panier de compétence à la
Penrose.
Le capital-risque consiste en effet à investir sur le potentiel de création destructrice des
start-ups. Mais ce processus n’est pas simple à anticiper. C’est donc la dynamique économique
envisagée par Schumpeter qui génère l’incertitude radicale au sens de Knight auquel font face
les capital-risqueurs, mais aussi les opportunités de profits qu’ils recherchent.
Les capital-risqueurs revendiquent leur "professionnalisme", et leur capacité à accompagner les start-ups qu’ils financent comme avantage comparatif pour gérer cette incertitude. Tout
comme l’existence de la firme est justifiée par Penrose par sa capacité à développer des compétences spécifiques, tant organisationnelles qu’individuelles, le capital-risqueur justifie son existence par ses compétences particulières pour gérer l’incertitude radicale au sens de Knight.
L’évocation de Knight et de Schumpeter, incite naturellement à rapprocher le capital-risqueur
de cet agent économique majeur qu’est l’entrepreneur3 . Peut-on pour autant considérer le capitalrisqueur comme un entrepreneur ?
Si l’on se base sur la définition de Knight, il est clair que le capital-risqueur, prêt à assumer
un risque financier important en échange de profit exceptionnel, est un entrepreneur. Mais si
l’on prend le point de vue de Schumpeter, qui valorise surtout l’entrepreneur en tant qu’innovateur, c’est plutôt le fondateur de la start-up qui joue le rôle d’entrepreneur. Le capital-risqueur
n’est pour Schumpeter qu’un simple fournisseur de fonds, qui assure la prise de risque financière en échange d’une compensation. Mais Schumpeter néglige l’incertitude dans le choix des
entrepreneurs. Pour lui c’est le métier des banquiers de repérer les entrepreneurs, et ils ne se
trompent pas. Le capital-risqueur semble donc plutôt être un entrepreneur au sens de Knight.
Cependant si l’on prend en compte la participation active du capital-risqueur à la gestion de
la start-up, par ses activités d’assistance et de conseil, le capital-risqueur devient aussi en partie,
par sa contribution à la mise en oeuvre de l’innovation, un innovateur et donc un entrepreneur
au sens de Schumpeter. De plus, le capital-risqueur doit aussi être en mesure de repérer et de
3 Voir
Brouwer (2002) pour une analyse similaire du rôle du capital-risqueur comme entrepreneur
5
sélectionner les meilleurs projets et d’anticiper les futures industries en croissance, ce qui en
fait un entrepreneur au sens de Kirzner (1978) ; il doit être en alerte pour saisir les bonnes opportunités d’investissements permises par l’introduction de nouvelles technologies. Ces deux
visions du capital-risqueur comme entrepreneur valorisent donc sa participation au développement de l’économie, en lui attribuant une part active dans la détection et la mise en oeuvre des
opportunités économiques offertes par le développement des nouvelles technologies.
Enfin pour être en mesure de réaliser des investissements sujets à une telle incertitude, le
capital-risqueur doit posséder et développer des compétences particulières qui lui confèrent un
avantage comparatif pour saisir des opportunités qui ne sont pas accessibles aux autres. Le
capital-risqueur est donc aussi un entrepreneur dans un sens compatible avec la théorie de la
firme comme panier de compétence telle que le proposent Foss & Klein (2004).4
A plusieurs titres, le capital-risqueur peut donc être considéré comme un entrepreneur.
Cela ne se fait pas au détriment du fondateur de la start-up qui est lui indubitablement un entrepreneur. En effet, le fondateur assume aussi une prise de risque en investissant de son temps
et souvent aussi de son argent, ce qui en fait un entrepreneur au sens de Knight, il met en oeuvre
l’innovation, ce qui en fait un entrepreneur au sens de Schumpeter et il a du détecter l’opportunité économique de l’innovation qu’il développe, ce qui en fait un entrepreneur au sens de
Kirzner. Capital-risqueur et fondateur sont donc deux types d’entrepreneurs complémentaires,
avec des rôles distincts. Le capital-risqueur recherche, sélectionne et assiste les fondateurs de
start-ups qui eux apportent l’innovation et assurent la gestion quotidienne de sa mise en oeuvre.
Ils sont tous deux indispensables au bon fonctionnement du capital-risque.
Outre son rôle d’entrepreneur, il est aussi instructif de considérer le capital-risqueur en tant
qu’intermédiaire financier. Petit & Quéré (2006) font d’ailleurs de la compréhension du rôle
d’intermédiaire du capital-risqueur l’élément central permettant de mettre en oeuvre des politiques de soutien au développement du capital-risque.
Le capital-risqueur moderne est en effet un gestionnaire de fonds. Il lève ses fonds auprès
des investisseurs institutionnels (fonds de pension, assurance, banques d’affaires, etc.) pour les
4 Bien qu’à l’origine de la théorie de la firme comme panier de compétence, Penrose définit plutôt l’entrepreneur
comme une des fonctions à remplir au sein de la firme, celle d’impulser le changement vers de nouvelles formes
d’organisation.
Introduction Générale
6
investir dans des jeunes firmes innovantes, les start-ups. Il est donc en situation d’intermédiaire
entre les start-ups et les investisseurs institutionnels.
Cette structure d’intermédiation permet un afflux d’argent bien plus important que ce que les
riches industriels seuls pourraient investir à partir de leur fortune personnelle. Ces derniers, les
’business-angels’, sont néanmoins toujours présents dans les premiers stades de développement
de la start-up qui nécessitent moins d’argent et où la prise de risque est maximum. Ils jouent
donc un rôle important en permettant aux start-ups d’émerger. Mais d’une part ils ne sont pas
les seuls à le jouer car en effet les incubateurs publics, certaines grandes entreprises et parfois
les capital-risqueurs eux-mêmes jouent aussi ce rôle de financement de la phase d’amorçage
des start-ups. D’autre part la puissance du capital-risque vient essentiellement de la possibilité offerte à ces jeunes entreprises de bénéficier rapidement d’un apport de fonds important,
qui accélère leur croissance et leur permet de gagner la course à l’innovation. C’est donc les
capital-risqueurs institutionnels, c’est-à-dire les investisseurs gérant des fonds spécialisés et intervenant dans les phases de développement après l’amorçage, et non les ’business-angels’ que
nous étudions dans cette thèse.
Cette position d’intermédiaire des capital-risqueurs pose cependant une question fondamentale : pourquoi les investisseurs institutionnels n’investissent ils pas directement dans le capitalrisque ?
La réponse que nous apportons dans cette thèse suit celle de la théorie de la firme comme
panier de compétence (Penrose 1959, Foss & Knudsen 1996). En effet, les justifications classiques de la théorie de la firme, les coûts de transactions (Coase 1937), les coûts d’information
(Alchian & Demsetz 1972), et l’asymétrie d’information et les coûts d’agence (Jensen & Meckling 1976), ou encore l’incomplétude des contrats (Grossman & Hart 1986) ne permettent pas
d’expliquer certains faits stylisés. En particulier ces théories ne permettent pas d’expliquer l’existence d’avantages comparatifs persistants pour certaines firmes, ni les évolutions à long-terme
de ces avantages. Ces théories négligent donc le fait que les firmes sont plongées dans un monde
incertain et que leur rôle est de l’explorer afin de trouver la meilleure stratégie de production,
et/ou de développement. Les meilleures obtiennent alors un avantage comparatif temporaire
jusqu’à ce qu’elles soient imitées ou dépassées par d’autres. De la même manière les théories
7
classiques de l’intermédiation financière ne permettent pas de comprendre pleinement le rôle
des capital-risqueurs.
Les justifications de l’existence d’intermédiaires financiers sont en effet proches de celles
utilisées par la théorie de la firme classique. Leland & Pyle (1977) montrent que dans le cas
d’asymétrie d’information sur la qualité des projets recherchant des financements, même en
présence d’un signal de qualité et avec une recherche d’information coûteuse, des intermédiaires financiers jouant le rôle de producteurs d’information apportent une solution optimale.
Campbell & Kracaw (1980) poursuivent et affinent le résultat précédent en montrant l’importance de l’aléa moral, qui peut être résolu en imposant aux intermédiaires financiers d’investir
dans les projets qu’ils recommandent. Cela correspond d’ailleurs à ce qui se passe en pratique
pour les fonds de capital-risque : les capital-risqueurs participent généralement à hauteur de 1%
dans les fonds qu’ils gèrent. Cette somme représente un faible pourcentage du fonds de capitalrisque mais peut représenter une part importante de la fortune personnelle du capital-risqueur.
Le capital-risqueur prend donc aussi un risque financier personnel important, même s’il n’assume pas la totalité du risque financer du fonds. Dans la même ligne, Chan (1983) justifie le
rôle des intermédiaires financiers en tant qu’investisseurs à coûts d’information nuls. Ils montre
qu’une proportion d’investisseurs à coûts nuls est nécessaire pour que le marché du financement existe, et que des intermédiaires financiers peuvent jouer ce rôle en facturant leurs coûts
de recherche à leur clients.
De même que pour la théorie de la firme, ces théories négligent le rôle essentiel de l’incertitude radicale qui se présente aux capital-risqueurs. Dans cette thèse nous défendons l’idée
que l’entrepreneur ne sait pas plus que le capital-risqueur si son projet de start-up va réussir. Il
peut y avoir asymétrie d’information sur la qualité de l’innovation ou sur les compétences de
l’équipe dirigeante. Il peut y avoir des problèmes d’aléa moral pour la gestion de la start-up.
Pour tous ces points l’approche par la théorie de l’agence et les contrats optimaux, qui constitue
l’essentiel de la théorie sur le fonctionnement du capital-risque est pertinente. Mais l’incertitude fondamentale à laquelle se heurte le capital-risque est celle sur le marché potentiel ouvert
par l’innovation. Pour faire face à cette incertitude, les capital-risqueurs doivent développer une
compétence qui leur permet d’estimer avec suffisamment de précision les chances de succès et
le potentiel de développement de chaque start-up afin de pouvoir investir avec profit.
Introduction Générale
8
Cette compétence est essentiellement tacite et inégalement répartie, difficile à acquérir aussi
bien qu’à évaluer. L’existence d’un marché des intermédiaires financiers permet donc d’expérimenter en confiant des fonds à différents capital-risqueurs et de sélectionner les plus performants. Dans un monde d’incertitude radicale, l’existence d’intermédiaires compétents permet
donc de remplacer, comme le suggère Knight, "l’ignorance de l’environnement par la connaissance du jugement des hommes".
Tout comme la compétence des firmes se traduit par un avantage comparatif persistant, la
compétence des capital-risqueurs est mise en évidence par des différences de performances persistantes entre les gestionnaires de fonds tant par nos propres études empiriques que celles
menées par d’autres tels que Kaplan & Schoar (2005). Une justification de l’existence des
capital-risqueurs comme intermédiaires financiers par un simple coût de l’information n’expliquerait ni cette différence de performance, ni pourquoi les investisseurs institutionnels qui
gèrent des fonds bien plus importants que les capital-risqueurs ne seraient pas à même de payer
ces coûts eux-mêmes.
Dans cette thèse nous considérons donc le capital-risqueur comme un intermédiaire compétent dont le rôle est de participer au développement de l’innovation, en sélectionnant et en
finançant les start-ups les plus prometteuses. Nous suivons en cela l’analyse de Carlsson &
Eliasson (2003), qui attribuent comme rôle essentiel aux capital-risqueurs de sélectionner et
d’amener à maturation les start-ups les plus prometteuses.
La vision des capital-risqueurs comme intermédiaires compétents est une tendance émergeante dans la littérature sur le capital-risque. Amit, Brander & Zott (1998) ont proposé un
modèle dans lequel les capital-risqueurs possèdent des compétences qui leur permettent de réduire les coûts d’agence liés à l’asymétrie d’information et à l’aléa moral. Leur modèle constitue
donc un intermédiaire entre une approche purement contractuelle du capital-risque et une approche par les compétences. Mais ils restent encore dans le cadre de l’asymétrie d’information,
plutôt que de s’inscrire dans celui de l’incertitude radicale.
Plus récemment, Gompers, Kovner, Lerner & Scharfstein (2006) ont montré empiriquement que la compétence du capital-risqueur, mesurée par son expérience, était surtout utile pour
sélectionner les entrepreneurs qui créent leur première start-up. Lorsque les entrepreneurs ont
déjà monté une ou plusieurs start-ups, cet effet disparaît, car on parie alors sur un entrepreneur
9
qui a fait ses preuves. On retrouve le principe de Knight de remplacement de l’incertitude de
l’environnement par la connaissance du jugement des hommes. Zarutskie (2008) montre que
l’on peut expliquer le succès des capital-risqueurs dans leur premier fonds par leur capital humain antérieur, éducation et position occupée dans l’industrie avant de devenir capital-risqueur.
Elle confirme aussi la persistance de différences de performances entre les capital-risqueurs.
Enfin du côté théorique, Casamata & Haritchabalet (2007) expliquent le choix de recourir au
co-investissement en prenant explicitement en compte la compétence de sélection de chaque
partenaire.
Dans cette thèse, nous proposons donc d’étudier en détail le rôle de cette compétence et
son influence tant sur l’efficacité du capital-risque que sur les stratégies mises en oeuvre par
les capital-risqueurs. Notre point de vue est que cette compétence est un paramètre central de
l’organisation du capital-risque. Il est donc nécessaire d’en comprendre le rôle pour être en
mesure de comprendre le fonctionnement du capital-risque et favoriser son développement au
sein d’une politique plus large de soutien de l’innovation.
Le capital-risque tel que nous le connaissons aujourd’hui ressemble beaucoup aux partenariats commerciaux déjà établis pour le commerce maritime au XIIIe et XIVe siècles dans les
cités Italiennes, notamment Gênes et Venise5 . Il s’agissait alors de financer des expéditions dangereuses, tant à cause des aléas climatiques, que des risques de piratages et de la concurrence.
Cependant le profit potentiel était important, car les denrées importées se négociaient à très bon
prix. Il existait alors des contrats liant travail et capital, et déterminant le partage du profit : les
commenda.
On retrouve bien ici d’une part le principe fondamental du capital-risque, une prise de risque
importante compensée par un profit exceptionnel, et d’autre part le mode de financement par
participation au capital et partage du profit plutôt que par un contrat de dette.
Dans leur forme originale, les commenda étaient des contrats de services, par le biais desquels
un marchand déjà riche et bien établi, le stans, pouvait en envoyer un autre, le tractator, sou5 Voir
Brouwer (2005) pour une discussion très similaire du parallèle entre capital-risque et commenda, et Kohn
(1999a,b) pour une description détaillée de ces différents contrats au moyen-âge. Voir aussi Braudel (1967) qui
voit dans les commenda l’origine de la firme moderne, et de Roover (1965) qui propose aussi une analyse de ces
contrats.
Introduction Générale
10
vent jeune mais sans capital, courir les mers à sa place en échange d’une part du profit lorsque
le bateau revenait, si toutefois il revenait. Cette association entre le financier et le voyageur
rappelle celle entre le capital-risqueur et l’entrepreneur. Tous deux assument des risques, l’un
financier, l’autre vital, et ils se partagent le profit suivant une proportion définie à l’avance6 .
Plus tard les commenda se muèrent en montages financiers permettant à un marchand de
lever les fonds nécessaires à une expédition auprès d’autres marchands. Le principe fondamental restant le même, un partage des risques en échange d’une participation aux profits. Cela
permettait aussi aux marchands de diversifier leur prise de risque en investissant leur capital
dans plus d’expéditions qu’ils n’en montaient eux mêmes. Ce qui rappelle la pratique du coinvestissement très utilisée par les capital-risqueurs.
Ensuite les commenda furent remplacées par des collegentia très ouvertes et rassemblant
beaucoup de partenaires, pas forcément marchands eux-mêmes mais qui y voyaient une bonne
opportunité d’investissement. Afin de prendre en compte le rôle particulier de ces petits investisseurs passifs, les collegentia furent remplacées au XVe siècle par des acomendita distinguant les
partenaires principaux, responsables de la gestion de l’expédition, et les partenaires dormants,
responsables uniquement à hauteur de leur investissement. Cette dernière forme est très proche
du partenariat limité, qui constitue la structure juridique majoritaire des fonds de capital-risque
aux Etats-Unis. L’équivalent français du partenariat limité est d’ailleurs la société en commandite par action, ici le nom comme le principe sont restés. Cependant les structures utilisés par
les fonds de capital-risque français sont d’autres structures ad-hoc, les fonds communs de placement à risque (FCPR). Une des différences clés entre ces deux formes juridiques modernes des
acomendita pouvant expliquer ce phénomène est que les partenariats limités américains peuvent être fondés pour une durée limitée alors que les sociétés en commandite françaises sont
des sociétés à durée illimitée. Or on le verra dans cette thèse la durée limitée des fonds de
capital-risque est une des caractéristiques essentielles des fonds de capital-risque, qui permet
notamment de sélectionner des capital-risqueurs compétents.
Les collegentia et les acomendita perdirent progressivement de leur intérêt avec la banalisation du transport maritime en méditerranée, mais furent reprises pour le transport à destination
du nouveau monde. Elles furent surtout populaires aux Pays-Bas au XVIe siècle sous forme
6 Pour
une commenda classique, les trois quart du profit revenaient au stans et un quart au tractator.
11
de rederijen avant de donner naissance à la première entreprise cotée en bourse, la Compagnie
Néerlandaise des Indes Orientales fondée en 1602, forme qui offre la supériorité de la liquidité pour les investisseurs. Ce destin des commenda indique la relation forte entre forme d’investissement et prise de risque. Un risque important favorise le recours à l’investissement direct
en capital par rapport aux contrats de dette. Et finalement la société par action cotée détrône le
partenariat car la liquidité de l’action limite la prise de risque de l’investisseur.
L’histoire financière est donc passée d’une forme d’investissement proche du capital-risque
aux marchés financiers pour finalement y revenir car cette forme plus directe répond aux besoins
des nouvelles expéditions d’aujourd’hui, le développement d’innovations technologiques. L’innovation a en effet remplacé l’exploration et la découverte de contrées lointaines pour apporter
de nouveaux produits et ouvrir de nouveaux marchés. Cependant une différence importante subsiste entre commanda et capital-risque. Les capital-risqueurs sont des intermédiaires entre des
investisseurs institutionnels et des entrepreneurs, ce qui n’a pas d’équivalent au moyen-âge. Il
n’y avait pas non plus alors de fonds de pension et ni de compagnies d’assurance ayant d’importantes masses de capitaux à placer. La finance moderne a donc produit les structures à la
source d’un retour vers un financement à l’ancienne, le capital-risque.
Cependant un nouveau véhicule financier annonce peut être une nouvelle évolution. Les
SPACs (Special-Purpose Acquisition Company) permettent en effet de profiter du meilleur des
deux mondes, le marché financier et l’investissement en capital. Il s’agit de fonds d’investissement en capital levés directement par une introduction en bourse et dont les parts sont donc
cotées et échangeables sur les marchés financiers. Ils permettent aux investisseurs de bénéficier
d’un placement certes risqué mais potentiellement très rentable et beaucoup plus liquide que le
placement dans un fonds de capital-investissement bloqué sur 10 ans. Quant aux entrepreneurs,
ils bénéficient d’un mode de financement direct en capital adapté à leurs besoins. L’histoire
pourrait donc se répéter si les SPACs finissent par remplacer les partenariats limités, de même
que les sociétés par action ont par le passé remplacé les commenda.
L’objectif de cette thèse est d’analyser et de modéliser le rôle de la compétence des capitalrisqueurs dans le fonctionnement du capital-risque et son influence sur l’organisation du capitalrisque.
Introduction Générale
12
Pour cela nous suivons la démarche suivante. Nous commençons tout d’abord par une analyse empirique, le plus souvent à l’aide de modèles économétriques, permettant de mettre en évidence des faits stylisés sur le fonctionnement du capital-risque. Nous utilisons pour cela la base
de données VentureSource, qui couvre les investissements en capital-risque réalisés aux EtatsUnis, en Europe et en Israël depuis 1990. Nous proposons ensuite des modèles multi-agents
reproduisant ces faits stylisés et permettant de prendre en compte les dynamiques évolutionnistes que nous étudions, la sélection et l’apprentissage notamment. Lorsque cela est possible
nous proposons tout d’abord une analyse formelle d’une version simplifiée du modèle avant de
passer à la simulation.
La thèse est organisée en deux parties, précédées par un chapitre de présentation du fonctionnement du capital-risque à partir d’une revue de la littérature empirique et de statistiques
descriptives issues de notre base de données. Ce premier chapitre présente l’ensemble des connaissances nécessaires sur le capital-risque en général pour aborder le reste de la thèse.
La première partie s’intéresse à la relation entre la compétence des capital-risqueurs et l’efficacité du capital-risque. Cette partie propose un modèle en deux parties du fonctionnement
du capital-risque basé sur une double sélection, celle des start-ups par les capital-risqueurs et
celle des capital-risqueurs par les investisseurs institutionnels. Ce modèle permet donc de montrer comment pour faire face à l’incertitude de la sélection des start-ups, on peut recourir à la
sélection d’intermédiaires compétents, les capital-risqueurs.
Le chapitre 2 présente un modèle de la sélection des start-ups par les capital-risqueurs. Il
permet d’étudier l’influence de la compétence des capital-risqueurs sur l’efficacité du capitalrisque, à la fois en terme de rentabilité des investissements et de capacité à financer l’innovation.
Ce modèle permet aussi de relativiser le rôle de la compétence par rapport aux autres facteurs
déterminants du fonctionnement du capital-risque, notamment le nombre et la qualité des projets
soumis aux capital-risqueurs et le gain attendu en cas de succès.
Dans le chapitre 3, nous proposons un modèle de sélection des capital-risqueurs par les
investisseurs institutionnels sur la base de leurs performances dans la gestion des fonds qui
leur sont confiés. Nous étudions aussi l’interaction de ce processus de sélection avec le processus d’apprentissage mis en évidence par les analyses empiriques. Le modèle permet donc l’étude des deux processus évolutionnistes qui mènent à l’émergence d’une population de capital-
13
risqueurs compétents à partir d’une population hétérogène aléatoire, la sélection et l’apprentissage.
La seconde partie porte sur l’influence de la compétence sur les stratégies du capital-risqueur.
En effet si la compétence du capital-risqueur lui confère un avantage comparatif, elle n’est pas
le seul élément lui permettant de faire face au risque et à l’incertitude. La prise en compte de la
compétence modifie donc les pratiques et les stratégies des capital-risqueurs.
Dans le chapitre 4, nous étudions le compromis entre diversification financière et spécialisation industrielle dans le portefeuille de start-ups des capital-risqueurs. En effet, en tant que
gestionnaire financier le capital-risqueur est amené à diversifier ses investissements pour limiter
son exposition au risque spécifique de chaque industrie. Mais d’un autre côté sa compétence est
aussi spécifique aux industries qu’il connaît, ce qui l’incite à se spécialiser. Le modèle permet
donc de déterminer le degré de diversification optimal, ou ce qui revient au même de spécialisation optimal, en prenant en compte la compétence du capital-risqueur. Comme de plus les
capital-risqueurs peuvent apprendre de leurs investissements, leur compétence évolue au fil du
temps, et donc leur stratégie aussi. Le modèle propose donc une étude de la dynamique de la
diversification du portefeuille des capital-risqueurs induite par l’apprentissage.
Enfin, dans le chapitre 5, nous étudions stratégie de co-investissement des capital-risqueurs.
En utilisant les outils d’analyse des réseaux sociaux nous caractérisons le réseau de co-investissement entre les capital-risqueurs. Puis avec un modèle économétrique de la formation
des liens dans le réseau, nous mettons en évidence le rôle de la proximité et du réseau de coinvestissement lui-même dans le choix des partenaires de co-investissement compétents.
14
Introduction Générale
Chapitre 1
Les fondements du capital-risque
15
Chapitre 1. Les fondements du capital-risque
16
Sommaire
1.1
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
17
1.2
L’histoire du capital risque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
19
1.3
Capital-risque, banques et marchés financiers . . . . . . . . . . . . .
23
1.4
Les données VentureSource . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
26
1.5
Les acteurs du capital-risque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
27
1.5.1
Les investisseurs institutionnels . . . . . . . . . . . . . . . . . .
28
1.5.2
Les start-ups . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
32
1.5.3
Les capital-risqueurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
39
L’investissement en capital-risque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
44
1.6.1
Principales industries . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
45
1.6.2
Localisation du capital-risque . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
47
1.6.3
Devenir des start-ups . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
53
1.6.4
La rentabilité du capital-risque . . . . . . . . . . . . . . . . . .
56
Les pratiques du capital-risqueur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
63
1.7.1
Gestion du fonds . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
63
1.7.2
Sélection des start-ups . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
66
1.7.3
Suivi, conseil et assistance aux start-ups . . . . . . . . . . . . .
69
1.7.4
Investissement par étape . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
71
1.7.5
Le co-investissement entre capital-risqueurs . . . . . . . . . . .
74
1.7.6
Un modèle séquentiel de l’investissement en capital-risque . . .
78
L’environnement du capital-risque . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
87
1.8.1
Marchés de sortie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
88
1.8.2
Protection de la propriété intellectuelle . . . . . . . . . . . . . .
89
1.8.3
Lien avec la recherche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
90
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
91
1.6
1.7
1.8
1.9
1.1. Introduction
17
1.1 Introduction
Le capital-risque finance des jeunes entreprises innovantes avec un fort potentiel de croissance, les start-ups. L’objectif du capital-risqueur est de réaliser une forte plus-value en finançant la start-up dans les premiers stades de son développement pour la revendre lorsqu’elle
atteint la maturité.
Le capital-risque constitue un mode de financement original de l’innovation. Contrairement
à la conception classique de l’innovation développée dans les départements de recherche et
développement des grandes entreprises et financée par les profits, le capital-risque finance des
petites entreprises dont la seule activité est le développement d’une unique innovation avec des
fonds provenant d’investisseurs extérieurs.
Ce mode de fonctionnement expose directement le capital-risqueur aux risques liés au
développement de l’innovation. Ces risques sont d’autant plus importants qu’il s’agit le plus
souvent d’innovations radicales, qui seules offrent des perspectives de croissance suffisantes
pour rémunérer convenablement le risque encouru. C’est pour cela que le capital-risque est
surtout présent dans les technologies émergentes : l’électronique et les semi-conducteurs dans
les années 70-80, et dans les technologies liées à l’internet et les biotechnologies depuis 1990.
Les risques rencontrés lors du financement d’une start-up sont essentiellement de trois
types : technique (faisabilité), commercial (demande future pour le produit), et humain (compétence et fiabilité des fondateurs, qualité des employés). Suivant le type de produit développé
un type de risque peut être dominant. Dans le cas d’un nouveau médicament par exemple la
demande peut être correctement anticipée : on connaît le nombre de patients atteint de la maladie cible. Par contre on ne saura si le médicament est efficace qu’a l’issue de tests cliniques
longs et coûteux. Dans le cas d’un nouveau service sur internet la technologie est connue, mais
on ignore le nombre de clients prêts à payer pour ce nouveau service. Ces deux exemples sont
typiques des deux types d’innovation de produit usuellement distinguées : tirée par la demande
(’demand-pull’), ou poussée par la technologie (’technology-push’). Dans tous les cas le résultat
final est très incertain et difficilement anticipable.
Le modèle de l’investissement en capital-risque est un pari sur un développement de la startup suivant une courbe en J. Le capital fourni par le capital-risqueur doit permettre à la start-up
Chapitre 1. Les fondements du capital-risque
18
de se développer très rapidement, même à perte dans un premier temps, afin de se positionner
comme l’entreprise dominante sur son marché. Le capital-risqueur peut alors sortir du capital
de la start-up en valorisant pleinement le potentiel de développement ultérieur du marché. Etant
donné la grande incertitude qui plane sur la réalisation effective de ce scénario et la jeunesse des
firmes financées, le capital-risque est la seule source de financement qui permet aux start-up de
bénéficier pleinement de cet effet d’accélération.
Le taux d’échec des start-ups est très élevé, mais en cas de succès le retour sur investissement est très important, de l’ordre de plusieurs dizaines de fois la somme investie. Au niveau
de l’investissement individuel, le capital-risque est donc un placement très risqué mais au rendement potentiellement très élevé. En pratique les capital-risqueurs sont donc à la recherche
du champion dont les bénéfices compenseront largement les pertes dues aux autres investissements. Ils gèrent par conséquent un portefeuille de start-ups qui leur permet de diversifier le
risque pris.
Le capital-risqueur type est en fait un gestionnaire de fonds. Des investisseurs individuels,
les business angels, financent aussi certaines start-ups, mais l’essentiel des montants investis
proviennent de fonds levés auprès des investisseurs institutionnels (fonds de pension, assurances, banques d’affaires, etc.) et gérés par les capital-risqueurs. Les capital-risqueurs sont donc
des intermédiaires entre les pourvoyeurs de fonds et les start-ups. Leur rôle est essentiellement
d’assurer un placement rentable des fonds qui leur sont confiés dans un contexte de forte incertitude.
Plus globalement, le développement du capital-risque est un moyen de financer l’innovation
et par là la croissance économique. L’efficacité du capital-risque pour le financement de l’innovation est attestée par l’étude de Kortum & Lerner (1998) qui estime à partir de l’impact de
l’investissement en capital-risque sur le dépôt de brevets, qu’un dollar investi en capital-risque
est jusqu’à dix fois plus efficace qu’un dollar investi en R&D classique. Le capital-risque ne
représente que 3% des fonds investis en R&D aux Etats-Unis à l’époque de l’étude mais ces
auteurs lui attribuent environ 15% des brevets industriels déposés. Le capital-risque est aussi
à l’origine d’entreprises aujourd’hui devenues des acteurs majeurs de l’industrie américaine
comme Apple, Genetech, Intel, Lotus, ou Microsoft.
1.2. L’histoire du capital risque
19
Ce chapitre présente les caractéristiques principales du fonctionnement du capital-risque en
s’appuyant à la fois sur la littérature empirique et sur l’analyse de données obtenues auprès de
DowJones - VentureOne. La suite du chapitre est organisée comme suit. La section 2 présente
une rapide histoire du capital-risque, puis la section 3 positionne le capital-risque par rapport
aux autres sources de financement. Les sections suivantes présentent plus en détail les différents
aspects du capital-risque. Tout d’abord, la section 4 présente les données dont sont tirées les
statistiques utilisées dans les sections suivantes. La section 5 introduit les différents acteurs du
capital-risque, puis la section 6 décrit les principales caractéristiques des investissements en
capital-risque. La section 7 présente les pratiques spécifiques des capital-risqueurs et enfin la
section 8 décrit les relations du capital-risque avec son environnement.
1.2 L’histoire du capital risque
Le capital-risque est une industrie relativement jeune, son histoire commence dans les années 50 et son essor réel ne date que des années 80. Son histoire est celle de l’émergence d’une
nouvelle forme d’organisation économique permettant de répondre à un problème spécifique :
le financement de l’innovation. Elle est ponctuée de diverses tentatives initiées par des acteurs
privés ou publics et sanctionnées par des succès et des échecs qui ont finalement abouti au
capital-risque tel que nous le connaissons aujourd’hui. Le dernier échec en date, la bulle internet, va d’ailleurs certainement encore en affecter l’organisation en incitant les capital-risqueurs
à plus de prudence. L’étude de cette histoire permet donc, à la lueur de la sanction historique,
de mettre en évidence les facteurs clés du bon fonctionnement du capital-risque.
American Research and Development Corporation (ARD) est une des entreprises pionnière
du capital-risque. C’est une entreprise privée fondée à Boston en 1946 dont le but avoué était
de prouver que le financement de l’innovation pouvait être une activité rentable. L’objectif n’était donc pas seulement de faire des profits mais bien de fonder par l’exemple une industrie du
financement privé de l’innovation. Hsu & Kenney (2005) décrivent son histoire en détail, en se
basant notamment sur les rapports annuels de l’entreprise et sur l’analyse des investissements
réalisés. ARD finance de jeunes entreprises porteuses de projets d’innovation, préférentiellement dès les premiers stades de leur développement. La prise de risque est alors maximale mais
Chapitre 1. Les fondements du capital-risque
20
c’est justement le principe fondamental du capital-risque : c’est la prise de risque qui rapporte.
Le succès d’ARD viendra en fait essentiellement d’un unique investissement. En 1957, ARD
investi 70 000 dollars dans Digital Equipment Corporation (DEC). En 1971, les parts d’ARD
dans DEC valent 355 millions de dollars. Grâce à ce succès, ARD présente un rendement annuel de 14.8%, supérieur aux 12.8% de l’indice Dow Jones sur la même période (sans DEC,
le rendement annuel d’ARD ne serait que 7.4%). ARD réussi ainsi son pari de prouver que le
capital-risque peut être un investissement très rentable. La part prépondérante de DEC dans les
profits d’ARD apporte aussi une leçon essentielle pour le capital-risque : l’important n’est pas
d’éviter les échecs mais de trouver les champions.
L’influence d’ARD sur le capital-risque vient autant de son succès exemplaire que des pratiques d’investissement mise en place par son fondateur, le général Doriot. ARD était tout
d’abord très sélective dans ses investissements, en moyenne elle finançait seulement 2% des
projets qui lui étaient proposés. Ensuite l’apport d’ARD ne se limitait pas à de l’argent. ARD
prenait une participation suffisante pour lui donner un contrôle sur la start-up, ce qui lui permettait de surveiller, mais aussi de conseiller l’équipe dirigeante. Enfin ARD réalisait son investissement par étape, conditionnant la poursuite de son investissement à des objectifs intermédiaires.
Cela permet à la fois de limiter les risques tout en fournissant une incitation pour l’entrepreneur
à faire de son mieux. Toutes ces pratiques qui participent au succès d’ARD, font désormais
partie intégrante du métier de capital-risqueur.
Malgré son succès initial, ARD succombera dans la compétition avec les nouveaux entrants
sur le marché du capital-risque : les Small Business Investment Companies (SBIC) et les Partenariats Limités (Limited Partnerships, LP). ARD était désavantagée par rapport à chacun : elle
n’était pas subventionnée par l’Etat comme les SBIC, et sa forme juridique ne lui permettait pas
d’offrir à ses investisseurs professionnels une rémunération aussi attractive que les partenariats
limités. En 1973, ARD liquida ses derniers investissements et fut revendue à Textron.
Le programme Small Business Investment Companies (SBIC) est un programme du gouvernement fédéral américain lancé en 1958. L’objectif explicite est de soutenir le développement du capital-risque. Le programme permet à de petites compagnies d’investissement, gérant
entre 150 000 et 5 millions de dollars, de bénéficier d’un effet de levier grâce à des prêts de fonds
publics à un taux avantageux. Si le programme permet une rémunération plus attractive pour les
1.2. L’histoire du capital risque
21
gestionnaires des fonds, il souffre d’autre lacunes. Tout d’abord le fait que les fonds publics soit
mis à disposition sous forme de prêts incite les SBIC à prêter elles aussi leur argent aux startups plutôt que de prendre une participation dans leur capital. Or le fait de devoir rembourser
des traites empêche la start-up de se développer suivant la courbe en J et diminue la rentabilité
potentielle de l’investissement. Ensuite, comme les conditions d’accès au programme ne sont
pas très sélectives, les créateurs de SBIC ne sont pas forcement des spécialistes du domaine.
Ils ne peuvent donc pas assister les entreprises de leur portefeuille. Ces deux défauts majeurs
feront du programme SBIC un échec (Gompers 1994).
Finalement le capital-risque ne se développera vraiment que grâce à deux autres éléments
complémentaires. Le premier est l’émergence progressive du partenariat limité comme forme
légale privilégiée pour les fonds d’investissement en capital-risque. Ces fonds représentent 80%
des fonds investis en capital-risque aux Etats-Unis à partir des années 80 (Gompers & Lerner
1999a). Le partenariat est limité dans le temps, souvent à 10 ans, ce qui pousse les gestionnaires
à obtenir des résultats dans le laps de temps imparti sous peine de ne pas pouvoir lever de fonds
ultérieurement. De plus, les gestionnaires bénéficient d’une rémunération attractive : en plus
d’une rémunération fixe ils touchent typiquement 20% des profits générés par le fonds alors
que leur participation financière n’est que de l’ordre de 1%. Enfin les investisseurs ne sont responsables financièrement qu’à hauteur des sommes investies. Le partenariat limité fourni donc
d’une part des incitations fortes pour les gestionnaires ce qui permet d’espérer un bon rendement
et permet d’autre part de circonscrire les pertes pour les investisseurs (Sahlman 1990).
Enfin le second élément est la modification de l’Employee Retirement Income Security Act
(ERISA) intervenue en 1979 qui permet aux fonds de pension d’investir dans le capital-risque,
et ouvre ainsi l’accès à une véritable manne financière. Malgré un grand nombre d’erreurs
commises dans les premiers temps, le flux massif d’investissement vers le capital-risque va
l’installer durablement dans le paysage financier. L’essor réel du capital-risque ne viendra que
lorsque les fonds de pension, prenant conscience de leurs limites, feront plus systématiquement
appel aux capital-risqueurs en jouant le rôle de partenaires limités dans les fonds de capitalrisque plutôt que d’investir directement dans les start-ups (voir Gompers (1994) et Avnimelech,
Kenney & Teubal (2004)).
Chapitre 1. Les fondements du capital-risque
22
100
EUR milliards
80
60
40
20
0
1990
1992
1994
1996
1998
2000
2002
2004
année
F IG . 1.1: Montant total investi en capital-risque aux Etats-Unis (en euros 2005)
source : données VentureSource
A l’échec final d’ARD qui n’a pas su retenir ses investisseurs professionnels faute d’incitations suffisantes et à celui des SBIC qui n’a pas su attirer les meilleurs spécialistes, répond le
succès des partenariats limités qui mettent en place un schéma incitatif efficace pour les gestionnaires de fonds et permet de tirer pleinement parti de l’afflux de fonds généré par la modification
de l’ERISA. On voit d’ors et déjà apparaître le rôle essentiel des capital-risqueurs compétents
dans le succès du capital-risque.
L’histoire récente du capital-risque est celle de la bulle internet. A partir des années 90
le montant des investissements en capital-risque augmente régulièrement. A partir de 1996 le
mouvement s’accélère et la médiatisation des plus gros succès entraînent une bulle spéculative
qui, démarrant en 1998, va éclater en 2000. (Figure 1.1). L’engouement suscité par les start-ups
liées internet et la bulle qui s’en suit rappelle un autre épisode de myopie du marché, celui de
l’industrie du disque dur dans les années 80 analysé par Sahlman & Howard (1985). La croissance rapide du marché du disque dur à la fin des années 70 amenèrent un sur-investissement
1.3. Capital-risque, banques et marchés financiers
23
dans les start-ups du domaine, transformant une belle opportunité économique en une catastrophe commerciale. On retrouve les mêmes ingrédients que dans le cas de la bulle internet : une
sur-anticipation de la demande future, un trop grand nombre de start-ups financées sur le même
segment, et une euphorie spéculative. Lerner (2002) reprend d’ailleurs ces arguments dans son
étude de la bulle internet. Il y ajoute une analyse des rigidités à court-terme du capital-risque qui
induisent nécessairement des cycles lors des réajustements du marché en réponse à des chocs
exogènes. En effet les investissements en capital-risque sont peu liquides et leur valeur réelle
n’est réellement déterminée qu’après plusieurs années. La sanction du marché n’est donc pas
immédiate en cas de sur-investissement, ce qui laisse la place à des phénomènes de dépassement
du type de la bulle internet.
Cependant la bulle internet ne remet pas en cause le capital-risque. En 2004, après l’éclatement de la bulle, le montant des investissements en capital-risque reste supérieur à celui de
1998. La bulle internet aura rappelé aux investisseurs à la prudence, le capital-risque reste un
placement extrêmement risqué et non un jeu où tout le monde gagne. Mais le capital-risque
reste malgré tout bien installé comme un mode majeur de financement de l’innovation. Kortum & Lerner (2000) montrent à partir d’une étude sur les brevets déposés dans 20 secteurs
industriels entre 1965 et 1992 que la recherche et développement financée par le capital-risque
est trois fois plus efficace en terme de dépôts de brevets que celle financée en interne par les
autres entreprises. Le capital-risque est donc une véritable industrie de l’innovation, dotée d’une
organisation spécifique et de pratiques adaptées sélectionnées au cours de son histoire.
1.3 Capital-risque, banques et marchés financiers
Les start-ups ont un besoin important de capital extérieur. En effet, elles n’ont en principe
pas d’autre activité que de développer leur innovation et ce développement nécessite des investissements importants, que ce soit pour des raisons techniques, les nouvelles technologies
coûtent cher à développer, ou commerciales, pour faire connaître et imposer leur nouveau produit sur le marché. Cependant leur jeunesse et leur avenir très incertain les contraint fortement
dans le choix de leur source de financement.
Chapitre 1. Les fondements du capital-risque
24
Pour une banque, le plus problématique est le taux de défaut élevé. Un grand nombre de
start-ups sont en effet vouées à échouer. Or ces jeunes entreprises très spécialisées n’ont pas
d’actifs à proposer comme collatéral. La seule solution possible pour la banque serait donc
d’imposer un taux d’intérêt élevé pour compenser les défauts. Mais elle serait alors confrontée à
un problème de sélection adverse à la Stiglitz & Weiss (1981), seuls les projets les plus risqués
pouvant supporter un taux d’intérêt important lui serait présentés. De plus le fait de devoir
rembourser des traites impose à la start-up d’avoir un minimum de revenus, ce qui l’empêche
de suivre la courbe de développement en J. Au final ni la banque, ni la start-up n’ont d’intérêt à
un financement par un prêt.
Les marchés financiers évitent les écueils du financement par le crédit, mais d’autres problèmes se posent. Tout d’abord les conditions d’accès aux marchés financiers en limite normalement l’entrée à des entreprises bien établies, pouvant présenter plusieurs bilans comptables
positifs, et respectant des normes d’audit et de comptabilités assez lourdes. Il est clair que les
start-ups ne tombent pas dans cette catégorie. Il existe des marchés spécialisés pour les jeunes
entreprises dont les critères d’entrée sont moins stricts, tels que le NASDAQ aux Etats-Unis et
le Nouveau Marché en France. Cependant les start-ups se heurtent alors à un problème d’information. Les start-ups sont beaucoup trop jeunes pour permettre une évaluation de leur valeur
à partir de l’analyse de leurs bilans, et elles proposent des innovations radicales qui par définition ne peuvent se comparer à aucune autre. Dans leurs premiers stades de développement,
l’investissement dans les start-ups est encore trop risqué pour les marchés financiers.
Il reste alors un troisième type de financement dont le capital-risque est une des formes, le
capital-investissement (Figure 1.2). Le principe général du capital-investissement est de prendre des participations dans le capital d’ entreprises non cotées. Ce mode de financement plus
souple permet d’éviter les inconvénients du prêt et les contraintes des marchés financiers mais
fait supporter un risque plus grand à l’investisseur, car l’investissement est beaucoup moins liquide. Le capital-investisseur parie sur la croissance de l’entreprise financée, ce qui lui permettra
de revendre ses parts avec un profit. Il existe trois voies de sortie potentielle pour un capitalinvestisseur : l’introduction de l’entreprise en bourse, ce qui rend liquide ses actions, la cession
à un industriel, ou bien la revente à un autre capital-investisseur.
1.3. Capital-risque, banques et marchés financiers
25
Sources de financement
Banques
Marchés Financiers
Capital−Investissement
Ammorçage
Capital−Retournement
Capital−Risque
Capital−Transmission
Capital−Developpement
F IG . 1.2: Le capital-risque parmi les sources de financement.
Le capital-investissement prend des formes différentes en fonction du moment où il intervient dans la vie de l’entreprise. L’amorçage correspond à des investissements très précoces, lorsque l’entreprise en est encore au stade de la recherche développement, en amont du
capital-risque. Le capital-risque intervient ensuite, pour permettre le développement et la commercialisation du produit jusqu’à ce que le potentiel de croissance effectif de l’entreprise soit
établi. Le capital-développement correspond à un investissement pour un projet de développement particulier, censé augmenter fortement la valeur de l’entreprise, tel que l’extension vers
un nouveau marché, ou l’ouverture d’une nouvelle ligne de produits. Avec le capital-risque, une
des formes les plus à la mode du capital-investissement est le capital-transmission, particulièrement lorsqu’il s’accompagne d’un effet de levier (Leveraged Buy-Out, LBO). Le principe est
de prendre le contrôle d’une entreprise, d’en augmenter la valeur par une meilleure gestion, et
de récupérer la plus value. L’effet de levier permet de réaliser l’opération avec peu de capitaux et pour un gain maximum. Ce genre d’opération fait souvent intervenir les gestionnaires
actuels ou futurs de l’entreprise et des fonds d’investissements qui leur font confiance. Enfin le
capital-retournement a pour principe le rachat d’entreprise en difficulté afin de les redresser.
Chaque forme du capital-investissement est particulière et requière de la part des investisseurs des compétences et des pratiques adaptées. Le capital-risque, spécialisé dans les jeunes
entreprises innovantes n’échappe pas à la règle.
Chapitre 1. Les fondements du capital-risque
26
1.4 Les données VentureSource
Avant de décrire plus précisément le fonctionnement du capital-risque, cette section présente
rapidement les données utilisées dans la thèse, et dont sont en particulier tirées les statistiques
présentées dans la suite de ce chapitre.
Les données utilisées dans cette thèse sont publiées par Dow Jones - VentureOne qui maintient la base VentureSource, une base de données comprenant les investissements en capitalrisque aux Etats-Unis, en Europe et en Israël depuis 1990. Cette base de données est l’une des
deux principales bases de données relative au capital-risque. La seconde, VentureEconomics,
est maintenue par Thomson Financial. Ces deux bases ont un point de vue différent sur le
capital-risque. VentureSource est une base spécifique au capital-risque, qui suit avec précision
les investissements réalisés et fournit des informations riches sur les capital-risqueurs et les
start-ups financées. VentureEconomics fait partie de la suite des bases d’information financière
de Thomson Financial et suit plutôt les fonds de capital-risque dans une perspective d’évaluation de leur performance. La force de VentureEconomics tient dans sa couverture précoce des
investissements en capital-risque, elle contient des données utilisables à partir des années 1980,
alors que les données VentureSource ne commencent qu’en 1990. Cependant sur la période
commune de 1990 à aujourd’hui, la base VentureSource est plus précise car plus spécialisée.
La stratégie de collecte de donnée de VentureOne est la suivante : ses enquêteurs repèrent
tous les investissements réalisés par des fonds de capital-risque gérant au moins 20 millions
de dollars. Une fois un tel investissement repéré les enquêteurs identifient la start-up financée,
font une recherche d’historique pour connaître tous les investissements précédents reçus par la
start-up, et identifient les autres investisseurs ayant investi dans la start-up. Les informations
sont collectées par VentureOne à la fois auprès des capital-risqueurs et des entrepreneurs ce
qui permet une vérification. La start-up est ensuite régulièrement suivie jusqu’à la sortie des
capital-risqueurs de son capital ou à sa cession d’activité. VentureOne estime sa couverture des
investissements aux Etats-Unis à plus de 90%, en Europe à 70% et en Israël à 50%.
La Figure 1.3 représente la structure générale de la base. L’élément central de la base VentureSource est le tour de table, la prise de participation d’un ou de plusieurs capital-risqueurs
dans une start-up. La base fournit aussi des informations sur les start-ups et sur les capital-
1.5. Les acteurs du capital-risque
Fond A1
...
27
Fond Ai
Capital Risqueur A
...
Fond B1
...
...
...
Fond Bi
Capital Riqueur B
...
Tours de table
Start−up 1
...
Start−up i
...
Start−up j
...
Start−up k
...
Sortie ?
BK − Banqueroute
MA − Acquisition
IPO − Cptée
F IG . 1.3: Organisation de la base de données VentureSource
risqueurs. Enfin pour chaque capital-risqueur on connaît les fonds successifs qu’il a levé, et
dans quelles start-ups ce fonds a été investi. La base contient 80338 tours de table, 26024 startups, et 4712 capital-risqueurs.
1.5 Les acteurs du capital-risque
Le capital-risque fait intervenir trois acteurs essentiels : les investisseurs institutionnels qui
apportent les fonds, les start-ups dans lesquelles ils sont investis et les capital-risqueurs, qui font
le lien entre les deux. Les capital-risqueurs lèvent des fonds auprès des investisseurs institutionnels, la plupart du temps sous la forme de partenariats limités formés pour une durée de 10 ans.
Ils investissent ensuite ces fonds dans les start-ups et reversent les dividendes obtenus aux investisseurs institutionnels. Les capital-risqueurs jouent donc un rôle d’intermédiaire particulier
entre l’offre et la demande de capital sur le marché du capital-risque. Leur présence transforme
un unique marché en deux sous-marchés : un marché de la levée de fonds où opèrent les investisseurs institutionnels côté offre et les capital-risqueurs côté demande, et un marché de l’investissement proprement dit où les capital-risqueurs forment l’offre et les start-ups la demande
de capital.
Chapitre 1. Les fondements du capital-risque
28
Cette section présente chacun des acteurs et leur rôle dans le capital-risque, en commençant
par les investisseurs institutionnels et les start-ups qui constituent les deux pôles du capitalrisque, et en finissant par les capital-risqueurs qui font la liaison entre les deux.
1.5.1
Les investisseurs institutionnels
Les investisseurs institutionnels sont les pourvoyeurs de fonds du capital-risque. Cette soussection présente les investisseurs institutionnels, indique quel est leur intérêt d’investir dans le
capital-risque et détaille leur relation avec les capital-risqueurs.
Qui sont les investisseurs institutionnels ?
Les principaux investisseurs institutionnels sont les fonds de pensions, les compagnies d’assurance et les individus. Les Figures 1.4 et 1.5 permettent de se faire une idée du poids relatif
de chaque type d’investisseurs institutionnels. Les deux graphiques représentent des données
très hétérogènes. Le premier présente des données relatives au capital-risque aux Etats-Unis en
1994, le second des données pour tout le capital-investissement, le capital-risque ne représente
que 16% du total sur cette période, en Europe et en 2006, soit plus de 10 ans après. Cependant on y retrouve les quatre mêmes acteurs principaux : les fonds de pension, les compagnies
d’assurance et les individus et les entreprises.
Au Etats-Unis il faut noter le rôle essentiel des dotations (endowments) qui sont des capitaux mis à la disposition des universités et autres institutions académiques pour financer leur
fonctionnement sur les dividendes issus du placement des capitaux. En Europe, la contribution de ces fonds est moindre mais il faut cependant noter la participation des banques et des
agences gouvernementales, qui sont des acteurs plus actifs en Europe qu’aux Etats-Unis. Enfin
dans le graphique européen on trouve une contribution importante des fonds-de-fonds. Ils sont
une forme d’investissement récente mais en croissance et ils sont eux-mêmes levés auprès d’investisseurs institutionnels. Les fonds-de-fonds ajoutent donc un niveau d’intermédiation entre
les investisseurs institutionnels et les start-ups. Il s’agit d’un véhicule d’investissement permettant de limiter les risques encourus, mais limitant aussi de facto les gains espérés. L’existence
de fonds-de-fonds permet donc d’élargir l’accès à l’investissement en capital-risque.
1.5. Les acteurs du capital-risque
Investisseurs étrangers, 2%
29
Dotations, 21%
Compagnies d’assurance, 9%
Fonds de Pension, 47%
Entreprises, 9%
Individus, 12%
F IG . 1.4: Les différents types d’investisseurs institutionnels pour le capital-risque aux EtatsUnis en 1994.
source : Gompers & Lerner (1999b)
Compagnies d’assurances, 10.1%
Fonds de fonds, 18.2%
Institutions académiques, 3.6%
Marchés financiers, 1.2%
Autres, 4.1%
Fonds de Pension, 27.1%
Entreprises, 3.7%
Individus, 8.9%
Banques, 14.4%
Agences gouvernementales, 8.7%
F IG . 1.5: Les différents types d’investisseurs institutionnels pour le capital-investissement en
Europe en 2006.
source : EVCA, http ://www.evca.com
Chapitre 1. Les fondements du capital-risque
30
Globalement les investisseurs institutionnels sont des donc gestionnaires de fonds non spécialisés qui investissent une partie de leur fonds en capital-risque ou en capital-investissement.
Par rapport au capital-risqueurs, ils gèrent des fonds plus importants et ne sont pas en contact
direct avec les entreprises financées.
La place du capital-risque comme actif dans le portefeuille de l’investisseur institutionnel
Pour l’investisseur institutionnel le capital-risque présente un intérêt en tant que placement
risqué mais potentiellement très rémunérateur pouvant trouver sa place dans un portefeuille
diversifié.
L’intervention du capital-risqueur comme intermédiaire financier a deux effets pour l’investisseur institutionnel. Premièrement l’investisseur institutionnel n’investit plus dans une startup mais dans un fonds de capital-risque, qui lui aussi est diversifié. Les risques sont donc moindres que pour un investissement direct dans une start-up. Weidig & Mathonet (2004) montrent
par exemple que la probabilité de pertes pour un investissement direct est de 42%, probabilité
qui tombe à 30% pour un fonds, et à seulement 1% pour un fonds-de-fonds. Le Tableau 1.1
permet de bien visualiser cet effet. Le risque diminue avec la diversification, mais bien sûr le
retour moyen diminue aussi. Deuxièmement l’investisseur institutionnel confie la gestion du
fonds à un capital-risqueur qui possède une compétence spécifique qui lui permet d’obtenir de
bons résultats malgré la forte incertitude de l’investissement en capital risque. L’investisseur
institutionnel n’a donc pas besoin de développer une expertise du capital-risque pour y investir.
Du point de vue de l’investisseur institutionnel le capital-risque n’est donc qu’un choix d’investissement supplémentaire, dont les caractéristiques détermineront la place dans son portefeuille. Hwang, Quiglay & Woodward (2005) proposent un indice pour le capital-risque, ce qui
leur permet de comparer ce dernier aux autres types d’actifs classiques, tels que les indices
boursiers (S&P 500, NASDAQ) ou les bons à long terme émis par l’Etat ou les entreprises.
Ils trouvent que le capital-risque a sa place dans un portefeuille optimal mais que celle-ci est
moindre que celle des autres actifs. 7 Baierl, Kaplan & Chen (2002) constatent une faible corrélation entre le capital-risque et les marchés financiers mais une forte volatilité des retours.
7 La
composition du portefeuille optimal de Hwang et al. (2005) est discutable car elle contient des poids
négatifs (positions courtes) importants, ce qui rend plus difficile l’estimation de l’apport de chaque actif.
1.5. Les acteurs du capital-risque
31
Direct
Fonds
Fonds-de-Fonds
Multiple moyen
6.2
1.7
1.8
Multiple median
1.5
1.3
1.7
Ecart-type (multiple)
53.8
1.9
0.5
Pire 99e centile
-100%
-74%
12%
Pire 95e centile
-100%
-55%
26%
Probabilité de pertes
42%
30%
1%
Pertes moyennes
-85%
-29%
-4%
Probabilité de pertes complètes
30%
1%
0%
Rapport retour/risque
0.1
0.4
1.7
TAB . 1.1: Profil de risque des investissements en capital-risque pour un investissement direct,
un investissement dans un fonds de capital-risque ou un investissement dans un Fonds de Fonds.
Le multiple est le rapport brut entre le montant investi et le gain obtenu. Les pourcentages sont
à rapporter au montant investi. Le rapport retour/risque est le rapport entre le retour moyen,
soit le multiple moins un, et son écart-type.
source : Weidig & Mathonet (2004)
Par conséquent ils conseillent une allocation de 2% à 9% en capital-risque pour un portefeuille
uniquement placé en actions.
La relation entre les investisseurs institutionnels et les capital-risqueurs
La relation entre investisseurs et capital-risqueurs est gérée par la structure légale du fonds
levé par le capital-risqueur. Le plus souvent les fonds sont des partenariats limités, ou des structures légales similaires hors Etats-Unis. Le partenariat limité est conclu entre deux types d’acteurs : les partenaires généraux et les partenaires limités. Les partenaires limités n’ont pas de
contrôle sur la gestion du fonds, ils ne sont responsables financièrement que de leur apport et
touchent des dividendes proportionnels à leur participation. Les partenaires généraux sont eux
responsables légalement de la gestion du fonds en plus de leur prise de participation financière.
Chapitre 1. Les fondements du capital-risque
32
Le partenariat est conclu pour une durée déterminée à l’issue de laquelle tous les actifs doivent
être liquidés et les fonds retournés aux différents partenaires.8
Dans le cas du capital-risque, les capital-risqueurs sont les partenaires généraux. Ils ne participent que pour une faible proportion du fonds, typiquement 1%, mais en leur qualité de gestionnaires ils ont le droit à une rémunération fixe, correspondant environ à 2.5% du montant
investi dans le fonds par an, et à une prime correspondant à 20% des bénéfices générés. Les
investisseurs institutionnels sont les partenaires limités. Ils apportent l’essentiel des fonds et
récoltent les éventuels bénéfices. La structure de la rémunération des capital-risqueurs garantit
que la rémunération sur les bénéfices est supérieure à la rémunération fixe, et par là constitue
une incitation forte à la bonne gestion du fonds. La durée du partenariat limité, en général fixée
à 10 ans, est aussi un élément incitatif. Un capital-risqueur qui souhaite rester sur le marché doit
lever des fonds successifs. Il est clair que les résultats des fonds précédents ont une influence
forte sur la levée des fonds ultérieurs.
Le partenariat limité est fondé pour dix ans, et la durée moyenne d’un investissement en
capital-risque est de 5 ans. Le capital-risqueur passe donc les 5 premières années du fonds à
investir, et les 5 dernières à liquider les investissements. Comme les opportunités d’investissement, les projets de start-up, arrivent en continu, il n’est pas rare que le capital-risqueur lève un
nouveau fonds dès la fin de la période d’investissement du précédent. Si c’est son premier fonds
le capital-risqueur n’a pas encore assez d’historique pour pouvoir justifier de ses capacités. Il
peut alors être amené à précipiter la liquidation de ses investissements, par exemple en introduisant les start-ups en bourse le plus tôt possible. Ce phénomène décrit par Gompers (1996)
montre l’importance de l’effet de réputation pour les capital-risqueurs et l’incitation que leur
fournit la durée prédéterminée du partenariat limité.
1.5.2
Les start-ups
Les start-ups sont les récipiendaires des investissements en capital-risque. Ces jeunes entreprises innovantes ont souvent besoin d’investissements importants tant pour développer leur
produit que pour se positionner sur leur nouveau marché. Leur activité étant trop risquée le
8 voir Sahlman (1990) pour une description très détaillé de ce contrat et des termes entre investisseurs et capital-
risqueurs.
1.5. Les acteurs du capital-risque
33
capital-risque est quasiment la seule source de financement à la quelle elles ont accès. Cependant les start-ups ne font que passer par le capital-risque. Elles existent souvent avant d’être
financées par le capital-risque, et l’objectif est de développer la start-up afin d’en faire une entreprise dominante sur son marché. Les exemples classiques de start-ups ayant réussi sont DEC,
Apple, Microsoft, GeneTech et Google. Le devenir de ces réussites exceptionnelles, mais que
tout le monde cherche à égaler, montre bien que le capital-risque n’est qu’une étape vers le
succès. Cependant cette première étape est aussi pour beaucoup de start-ups la dernière étape.
Cette section décrit l’évolution de la start-up depuis sa création jusqu’à sa sortie du capitalrisque.
Avant le capital-risque : l’amorçage
La start-up est en général fondée avant le premier financement par un capital-risqueur. Suivant leurs préférences, les capital-risqueurs investissent plus ou moins tôt dans les start-ups de
leur portefeuille, mais dans tous les cas ils n’investissent que dans un projet déjà bien construit.
Pour se présenter devant un capital-risqueur un entrepreneur doit présenter un business-plan qui
contient au moins les principes techniques essentiels de l’innovation, une étude de marché ou
une estimation de la demande potentielle, et les principes de commercialisation de l’innovation. La préparation de ce business plan demande un travail initial déjà important. Il est clair
que l’existence d’un prototype ou une étude de marché solide sont des atouts pour obtenir un
financement, mais cela a un coût.
Le financement de ce travail préliminaire provient soit des ressources propres de l’entrepreneur, notamment son temps libre mais aussi des ressources financières minimales, ou
des business angels . En effet les sommes nécessaires sont alors faibles mais l’incertitude est
maximale. Les business angels ont donc un véritable avantage comparatif pour ce financement
précoce. A ce niveau les ’anges’ peuvent être des business angels professionnels mais aussi des
relations directes de l’entrepreneur, famille ou amis.
Le cycle de vie de la start-up : stades de développement
Une jeune entreprise devient une start-up en levant des fonds lors de son premier tour de
table. Cet apport de fonds lui est généralement nécessaire pour pouvoir démarrer son activité
Chapitre 1. Les fondements du capital-risque
34
Création
Produit en
beta test
Produit en
développement
Génériques
Phase 1
Phase 2
Commercialisation
Phase 3
Profitable
Phase 4
Essais Cliniques
F IG . 1.6: Les stades de développement d’une start-up.
source : données VentureSource
ou tout du moins pour pouvoir suivre un développement rapide suivant la courbe en J. Ne pas
parvenir à lever de fonds est souvent un signal négatif pour la qualité du projet, et de plus
l’entreprise doit alors se développer sur ses ressources propres. Son développement est alors
beaucoup plus lent et sort du cadre classique des start-ups. Devenir une start-up est donc déjà
une étape importante pour une jeune entreprise innovante.
Les stades de développement des start-ups suivent la maturation de l’innovation. La figure
1.6 et le tableau 1.2 présentent les différents stades de développement de la start-up telles qu’ils
sont distingués dans notre base de données. A chaque stade correspond un niveau d’incertitude
plus faible que le précédent. La première incertitude qui disparaît est l’incertitude technique :
“le produit est-il réalisable ?”. Puis vient l’incertitude sur la demande pour le nouveau produit,
et enfin l’incertitude sur le business model, c’est-à-dire la profitabilité de l’entreprise.
Les étapes de développement de la start-up sont un indicateur essentiel pour les capitalrisqueurs. Elles mesurent à la fois le niveau d’incertitude résiduelle et la perspective de succès.
La valeur de la start-up augmente avec son niveau de développement, ainsi que ses besoins
financiers et donc le montant des investissements (Figures 1.7 et 1.8).
Le choix du stade de développement pour entrer dans le capital est crucial donc pour le
capital-risqueur, plus il attend moins il prend de risque mais moins son gain sera élevé. La figure
1.9 montre la répartition des stades de développement auquel la start-up reçoit son premier
financement par le capital-risque. Dans un peu plus de la moitié des cas ce premier financement
1.5. Les acteurs du capital-risque
Amorçage
Création
Produit en développement
Produit en beta test
Essais Cliniques
L’amorçage est un stade exploratoire durant lequel l’idée de la
start-up est étudiée avant d’être poussée plus avant. Elle peut consister en la construction d’un prototype et/ou en une étude marketing par exemple. A ce niveau peu de moyens sont nécessaires.
Le stade de création couvre les toutes premières années de la startup. L’argent est alors nécessaire pour s’installer, recruter le personnel, et lancer l’activité de la start-up.
Le développement du produit est la première phase critique de
la start-up. C’est une phase essentiellement technique mais où se
prépare aussi la future commercialisation. Elle peut s’achever par
le dépôt d’un brevet et/ou l’obtention d’une autorisation de mise
sur le marché (pour le matériel médical par exemple).
Ce stade correspond à la phase finale de la mise au point du produit. Il consiste en des tests de fonctionnement et de qualité avant
leur mise sur le marché.
Les essais cliniques ne sont des stades pertinents, mais obligatoires, que pour les médicaments. Les essais cliniques permettent de tester les effets du futur médicament chez l’homme. Ils se
déroulent en 4 phases distinctes :
1. toxicité et pharmacocinétique (mode et temps d’action du
médicament)
2. dosage et effets secondaires
3. efficacité du médicament
4. suivi à long terme des effets du médicaments après sa mise
sur le marché
Commercialisation
Profitable
Sortie
Ce stade correspond à la mise sur le marché du produit. La startup se développe fortement et commence a avoir un chiffre d’affaire, mais les profits ne sont encore pas encore au rendez-vous.
Ce stade correspond à la fin du cycle de développement de la
start-up. La start-up génère alors un chiffre d’affaire voire des
profits suffisants pour rassurer des investisseurs plus classiques.
Il se peut que la start-up reçoivent encore des financements pour
consolider sa position.
Le développement ultérieur de la start-up requière plus d’argent
que ne peut en fournir le capital-risque mais ses perspectives de
croissance sont attractives. La start-up peut chercher à lever des
fonds sur le marché financier via une introduction en bourse ou
alors être revendue à un industriel. Dans les deux cas le capitalrisqueur peut sortir du capital de la start-up et empocher la plusvalue ainsi réalisée.
TAB . 1.2: Description des stades de développement de la start-up.
35
Chapitre 1. Les fondements du capital-risque
Profitable
Commercialisation
Produit en Beta Test
Produit en Dével.
Création
−2
−1
0
1
2
3
36
F IG . 1.7: Distribution des montants des tours de table (en logarithme) en fonction du stade de
développement de la start-up.
Profitable
Commercialisation
Produit en Beta Test
Produit en Dével.
Création
−1
0
1
2
3
source : données VentureSource
F IG . 1.8: Distribution de la valeur de la start-up (en logarithme) en fonction de son stade de
développement.
source : données VentureSource
1.5. Les acteurs du capital-risque
37
Produit en Développement, 33.9%
Création, 19%
Produit en Beta Test, 2.4%
Profitable, 3.1%
Commercialisation, 41.8%
F IG . 1.9: Répartition des stades de développement des start-ups au moment du premier financement par le capital-risque.
source : données VentureSource
arrive dans un stade précoce, avant la mise sur le marché du produit. L’autre moitié arrive dans
des stades plus tardifs, mais l’essentiel des premiers investissements se fait alors que la start-up
n’est pas encore profitable. Le capital-risque n’a en effet de sens que s’il arrive assez tôt pour
permettre à la start-up de se développer.
La sortie : acquisition ou introduction en bourse
La sortie du capital de la start-up est l’objectif du capital-risqueur. Pour lui, elle signifie
récolter les fruits de son investissement. Pour l’entrepreneur, elle signifie que sa start-up a passé
avec succès le test de la validation économique et que désormais il s’agit de passer à l’échelle de
production supérieure : l’industrialisation de l’innovation. Deux modes de sortie existent pour
les start-ups, l’introduction en bourse et l’acquisition par un industriel.
L’introduction en bourse est historiquement le mode de sortie préféré tant par les capitalrisqueurs que par les entrepreneurs. Black & Gilson (1998) soutiennent l’hypothèse que la possibilité de sortie par introduction en bourse est un facteur majeur du succès du capital-risque aux
Etats-Unis, comparé à d’autre pays comme l’Allemagne et le Japon dont le système financier
est centré sur les banques. L’introduction en bourse permet un transfert de contrôle entre le
Chapitre 1. Les fondements du capital-risque
38
400
300
0
100
200
nombre
500
600
Acquisition
IPO
1990
1992
1994
1996
1998
2000
2002
2004
annee
F IG . 1.10: Nombre de sorties par Acquisition ou par Introduction en bourse (IPO).
source : données VentureSource
capital-risqueur et l’entrepreneur. En effet la levée de fonds obtenue en ouvrant le capital de
l’entreprise lui permet de se développer par elle même, avec l’objectif de devenir un acteur industriel majeur, et souvent l’entrepreneur reste à la tête de son entreprise. Le capital-risqueur
peut lui sortir aisément du capital en revendant ses parts. De plus l’objectif partagé d’une introduction réussie tend à réduire les conflits d’intérêts entre capital-risqueur et entrepreneur. Un
autre aspect attractif de l’introduction en bourse est que les profits générés peuvent être très
supérieurs à ceux obtenus par la vente à un industriel bien que cela ne soit pas automatique, ni
forcément plus avantageux en moyenne.
L’acquisition est un mode de sortie qui prend de plus en plus d’importance. Rivaud-Danset
& Vignes (2004) considèrent que cette évolution est due à la maturation du marché. Lorsque
qu’une technologie est nouvelle, le marché financier permet de fixer la valeur des entreprises
porteuses d’innovation basée sur cette technologie. Une fois que la technologie et son marché
potentiel est mieux connu, il est plus facile d’évaluer la valeur des nouvelles entreprises et les
acteurs industriels préfèrent alors les acheter que de voie émerger de nouveaux concurrents. En
1.5. Les acteurs du capital-risque
39
cas d’acquisition le devenir de l’entrepreneur est plus incertain. Il réalise bien sûr une bonne
opération financière, mais il est souvent remplacé ou contraint à partager le contrôle de l’entreprise avec un manager choisi par l’acheteur.
La Figure 1.10 montre l’évolution du nombre de sorties pour chaque type depuis 1990. Le
nombre de sorties par introduction en bourse est plus fluctuant que celui les acquisitions qui croit
régulièrement. L’introduction en bourse est le mode de sortie privilégié jusqu’en 1994. Ensuite
les deux modes de sorties s’équilibrent, malgré un creux pour les introductions en bourse en
1997 et 1998. Après la bulle internet le nombre d’introduction en bourse s’écroule alors que les
acquisitions restent à un niveau élevé. Ce dernier phénomène s’explique en partie par un effet de
substitution, l’introduction en bourse étant devenue très difficile après l’éclatement de la bulle.
L’entreprise perd sa qualité de start-up au moment de sa sortie. Elle devient une entreprise
standard. Son activité est encore risquée, car sa rentabilité au niveau industriel reste une inconnue, mais ce risque est désormais tolérable et gérable par les acteurs classiques de l’économie,
les marchés financiers et les industriels.
1.5.3 Les capital-risqueurs
Les capital-risqueurs au sens large, c’est-à-dire l’ensemble des investisseurs qui investissent
directement dans les start-ups, sont très hétérogènes. On distingue plusieurs types d’investisseurs en capital-risque, chacun possédant des objectifs et des stratégies propres. La Figure 1.11
montre la répartition des 4712 investisseurs de notre base. Les Figures 1.12, 1.13, 1.14 permettent de caractériser respectivement, l’impact de chaque type d’investisseur sur le capital-risque,
la distribution des tailles des fonds gérés par chaque type, et le profil de leurs investissements,
déterminé par le stade de développement des start-ups au moment de l’entrée dans leur capital.
Les investisseurs en capital-risque les plus nombreux sont les fonds de capital-risque. Ce
sont des fonds d’investissement spécialisés qui jouent le rôle d’intermédiaires entre les investisseurs institutionnels et les start-ups, levant des fonds auprès des premiers pour les investir dans
les secondes. Bien qu’ils ne représentent que 40% des investisseurs présents dans notre base,
ils financent plus de 90% des start-ups et gèrent plus de 70% des montants investis. Ce sont les
acteurs majeurs du capital-risque.
Chapitre 1. Les fondements du capital-risque
1000
Partenaire limité
Fond Public
Business Angel
SBIC
Autre
Banque d’affaire
Inconnu
Entreprise
Capital−investissement
Capital−risque
0
500
nombre
1500
40
F IG . 1.11: Les différents types de capital-risqueur.
60
40
Partenaire limité
Fond Public
Business Angel
SBIC
Autre
Banque d’affaire
Inconnu
Entreprise
Capital−investissement
Capital−risque
0
20
% start−ups
80
source : données VentureSource
F IG . 1.12: Proportion de start-ups ayant bénéficié de financement des différents types de
capital-risqueur. Plusieurs capital-risqueurs pouvant financer la même start-up, la somme de
ces pourcentages est supérieure à 100%.
source : données VentureSource
1.5. Les acteurs du capital-risque
3
2
Partenaire limité
Fond Public
Business Angel
SBIC
Autre
Banque d’affaire
Inconnu
Entreprise
Capital−investissement
Capital−risque
0
1
log(taille)
4
5
41
F IG . 1.13: Distribution des tailles des différents types de capital-risqueur. Les tailles étant très
hétérogènes, le logarithme de la taille est utilisé. Ces tailles représentent l’ensemble des fonds
gérés, pas uniquement ceux investis en capital-risque.
140
source : données VentureSource
80
60
Partenaire limité
Fond Public
Business Angel
SBIC
Autre
Banque d’affaire
Inconnu
Entreprise
Capital−investissement
Capital−risque
0
20
40
% tours de table
100
120
Redémarrage
Profitable
Commercialisation du Produit
Produit en Beta Test
Produit en Developpement
Lancement
F IG . 1.14: Répartition des investissements en fonction du stade de développement de la start-up
au moment de l’entrée dans le capital pour les différents types de capital-risqueur. Les stades
de développement sont classés de haut en bas du plus précoce au plus tardif.
source : données VentureSource
Chapitre 1. Les fondements du capital-risque
42
Un petit point s’impose sur la désignation de ces fonds. L’appellation ’fonds de capitalrisque’ est abusive car en fait ce sont des entreprises qui lèvent et gèrent des fonds investis
en capital-risque. Leur activité ne se limite donc pas à la gestion d’un unique fonds. Ces entreprises appartiennent généralement à plusieurs gestionnaires de fonds associés, qui sont les
capital-risqueurs proprement dits. Cependant souvent le comportement de l’entreprise peut être
confondu avec celui des ses gestionnaires. L’appellation elle aussi abusive de ’capital-risqueur’
peut donc désigner aussi bien l’entreprise de capital-risque que les gestionnaires.
On trouve aussi dans la base un grand nombre de fonds de capital-investissement. Ces fonds
ne sont pas spécialisés en capital-risque mais y réalisent une partie de leurs investissements. Le
capital-risque étant une forme de capital-investissement, ce genre de pratique n’a rien d’étonnant. Cependant puisqu’ils n’investissent qu’une partie de leur fonds en capital-risque et qu’ils
ne sont pas aussi spécialisés que les capital-risqueurs, ils ne prennent pas les mêmes risques.
Les fonds de capital-investissement investissent généralement plutôt dans les stades tardifs du
développement de la start-up, qui sont plus proches de leurs investissements habituels. Enfin la
taille des fonds de capital-investissement est nettement supérieure à celle des fonds de capitalrisque.
Le troisième type d’investisseurs par le nombre sont les fonds d’entreprises. Ces fonds sont
assez proches des fonds de capital-risque classique et ils ont sensiblement la même taille mais
ils ont d’autres objectifs. Leurs investissements sont liés à la stratégie de développement de
l’entreprise qui fournit les fonds. Ils peuvent par exemple financer des start-ups fondées par
d’anciens employés ou bien tout simplement investir dans des start-ups dont l’innovation aura
un impact dans le marché de l’entreprise mère. De plus l’organisation interne des fonds n’est
pas celle d’un partenariat limité mais plutôt celle d’une filiale de l’entreprise mère. Les schémas
incitatifs pour les gestionnaires sont donc moins puissants. Gompers & Lerner (1998) montrent
à partir de l’étude détaillée des investissements des fonds de capital-risque d’entreprise entre
1983 et 1994 que ces fonds ont généralement un succès équivalent au fonds de capital-risque
indépendants lorsque les investissements sont complémentaires avec l’activité de l’entreprise
mère. La complémentarité permet donc de dépasser la faiblesse des schémas incitatifs. Ils montrent aussi que les fonds de capital-risque d’entreprise payent une prime lorsqu’ils investissent
dans les start-ups, celle-ci étant alors surévaluée. Cette prime est due à l’externalité positive
1.5. Les acteurs du capital-risque
43
engendrée pour l’entreprise en cas de succès. Ces fonds sont donc très particuliers puisque
leur comportement dépend de facteurs extérieurs au capital-risque proprement dit. Mais en tant
qu’instrument de développement des entreprises industrielles, le capital-risque d’entreprise est
un vecteur de plus en plus utilisé.
Passés ces trois types majeurs, viennent les autres types, dont l’impact est moindre. Les
plus nombreux sont des investisseurs dont le type est inconnu. Les données sur le capital-risque
sont très coûteuses à entretenir, la base de données est donc souvent incomplète. Malgré leur
nombre, ces investisseurs ont un impact très faible et correspondent surtout à des petits fonds,
ce qui explique que l’information les concernant soit moins riche.
A l’instar des fonds de capital-investissement les banques d’affaire et les partenaires limités
ne sont pas spécialisés dans le capital-risque (les partenaires limités sont des investisseurs institutionnels ayant investis dans des fonds de capital-risque qui choisissent d’investir une partie
de leur fonds directement). Ils gèrent des fonds beaucoup plus importants et n’en investissent
qu’une partie dans le capital-risque. Eux aussi prennent moins de risques en investissant plutôt
dans les stades de développement tardifs.
Les business angels méritent une attention particulière. Ce sont des individus fortunés qui
investissent leur argent dans des domaines proches de celui qui est à l’origine de leur fortune. Ils
possèdent à la fois l’argent et l’expertise nécessaire. Mais leur action est limitée car les sommes
à leur disposition sont moins importantes que les fonds classiques. L’investissement moyen d’un
business angel est généralement inférieur à cent mille dollars alors que les investissements des
fonds de capital-risque sont plutôt de l’ordre du million de dollars. Les start-ups nécessitant un
gros apport de capital ont donc plutôt tendance à se tourner vers les capital-risqueurs. Les business angels interviennent par conséquent plutôt dans les premiers stades de développement de
la start-up, lorsque les investissements requis sont moins lourds. De plus le marché des business
angels est très informel et très dispersé, et donc peu accessible. Par conséquent la couverture de
la base est très partielle. Elle ne contient que les business angels les plus importants et les plus
actifs. La taille de leur fonds est clairement plus faible que ceux des capital-risqueurs classiques
mais leur profil d’investissement est comparable. La base mentionne aussi la participation dans
les tours de tables d’investisseurs individuels, qui ne sont pas identifiés. Ceux-ci sont présents
dans un tiers des start-ups, ce qui montre l’importance de ces investisseurs pour le capital-
Chapitre 1. Les fondements du capital-risque
44
risque. Mais l’étude de ce type d’investissement est beaucoup plus difficile car les données sont
coûteuses à collecter.
Enfin le dernier acteur du capital-risque est l’Etat, qui intervient soit directement par des
fonds publics, soit indirectement par des programmes de soutien et d’incitation à l’innovation,
comme le programme SBIC (Small Business Investment Companies) aux Etats-Unis ou l’ANVAR (Agence Nationale pour la Valorisation de la Recherche) en France. Le programme SBIC
est particulier car il soutient l’investissement dans le capital-risque plutôt que l’innovation proprement dite, il apparaît donc dans notre base. Les fonds publics ont des tailles comparables à
ceux des fonds de capital-risque, mais leur profil d’investissement est clairement plus risqué,
ce sont les fonds qui investissent le plus dans les stades précoces du développement des startups. Cela traduit la volonté dominante de soutien à l’innovation par rapport à l’exigence de
rentabilité. Les SBIC par contre sont parmi ceux qui prennent le moins de risque. Ce programme semble donc peu efficace, que ce soit en terme d’impact, ou de complémentarité avec
le capital-risque classique. Globalement l’impact de l’Etat reste lui aussi faible, mais c’est bien
là aussi le principe du capital-risque : être une source de financement privé spécifique pour l’innovation. L’action de l’Etat passe donc beaucoup plus par la mise en place d’un environnement
adéquat pour le capital-risque, c’est-à-dire par le financement de la recherche fondamentale, par
la mise en place d’une fiscalité incitative et par la création de statuts juridiques adaptés tant aux
start-ups qu’au fonds de capital-risque.
1.6
L’investissement en capital-risque
Maintenant que nous avons présenté les différents acteurs du capital-risque, nous nous
tournons vers les investissements proprement dit. Cette section présente donc les caractéristiques principales des investissements en capital-risque. Les deux premières sous-sections décrivent
la répartition par industrie et la répartition spatiale des investissements. Les deux dernières s’intéressent au résultat de l’investissement, le devenir des start-ups et les rendements du capitalrisque.
1.6. L’investissement en capital-risque
45
1.6.1 Principales industries
Le capital-risque accompagne le développement des technologies émergentes, car ce sont
celles qui promettent les meilleures perspectives de croissance. Cette pratique est clairement illustrée par la répartition des start-ups en fonction de leur industrie. Dans notre base les start-ups
sont classées en fonction de leur industrie dans une classification à trois niveaux. Le premier
niveau comprend 4 groupes d’industries : les industries des Nouvelles Technologies de Communication (NTIC), les industries de la Santé, le Commerce et les Services, et Autre. Ces niveaux
se découpent ensuite en segments puis en codes.
La répartition des start-ups entre les principaux segments (Figure 1.15), c’est-à-dire entre
tous les segments comprenant au moins 1% des start-ups, donne une bonne idée de l’ensemble.
La majorité des start-ups opèrent dans les NTIC, qui constituent la technologie émergente principale de la période. Vient ensuite le domaine de la Santé, où les biotechnologies tout d’abord
puis les nano-technologies apportent de nombreuses innovations. Le cas de l’industrie du Commerce est particulier. Elle comprend essentiellement les start-ups proposant des services sur internet, qui forment un gros contingent des start-ups de la bulle internet. Cette répartition montre
donc la part prépondérante des technologies de l’information dans le capital-risque. Cependant
le secteur de la santé et des biotechnologies représente aussi un part importante du total. Cela
prouve que le capital-risque n’est pas une forme de financement uniquement applicable dans les
NTIC, mais peut au contraire accompagner tout type de technologie émergente.
En suivant l’évolution du nombre de start-up recevant des financements dans chaque domaine (Figure 1.16), on retrouve la nette domination des NTIC. On constate aussi que la bulle
internet touche essentiellement les NTIC et le Commerce. Mais à la différence du Commerce
dont l’activité retombe fortement après la bulle, les NTIC restent à un niveau important. Il semble donc que le Commerce soit l’industrie la plus spécifique à la bulle internet. C’est en effet
l’industrie des “dot com”, les start-ups proposant de lancer de nouveaux services en ligne sur
internet qui ont été crées à tout va durant la période d’euphorie précédant le krach, et qui ont
ensuite fait faillite les unes après les autres. Enfin le domaine de la santé est peu affecté par
la bulle internet et continue de progresser ensuite. C’est donc encore une industrie en pleine
expansion.
Chapitre 1. Les fondements du capital-risque
46
NTIC / Communications, 10.4%
Commerce / Vendeurs, 2.7%
NTIC / Electronique, 7.1%
Commerce / Services, 14%
Commerce / Produits, 2.1%
Autre / Matériaux avancés & Chimie, 1.2%
Autres, 1.7%
Santé / Systèmes d’Information Médicaux, 2.6%
Santé / Services de Santé, 2.3%
NTIC / Logiciels, 27.5%
Santé / Médicaments, 9.4%
NTIC / Semi−conducteurs, 4.6%
NTIC / Services d’Information, 7.1%
Santé / Matériel Médical, 7.3%
F IG . 1.15: Répartitions des start-ups entre les principaux segments (= au moins 1% du nombre
total de start-ups)
source : données VentureSource
3000
2000
0
1000
nb startups
4000
5000
NTIC
Santé
Commerce
1980
1985
1990
1995
2000
année
F IG . 1.16: Nombre de start-ups financées chaque année par industrie.
source : données VentureSource
1.6. L’investissement en capital-risque
47
1.6.2 Localisation du capital-risque
Le capital-risque est une activité très concentrée spatialement. Aux Etats-Unis, un tiers des
start-ups sont crées dans deux Metropolitan Statistical Area (MSA) seulement, celles de San
Francisco et de San José (Table 1.3). La localisation des start-ups sur la carte des Etats-Unis
(Figure 1.17) permet de visualiser ce phénomène. Les start-ups sont essentiellement crées dans
les grandes métropoles mais la Silicon Valley, qui s’étend sur les deux MSA dominantes, attire une part disproportionnée de start-ups. Cet effet de concentration spatiale est encore plus
marqué si l’on regarde la localisation des capital-risqueurs (Figure 1.18). Les trois principales
MSA, New York plus la Silicon Valley, attirent plus de 40% des capital-risqueurs.
La situation est plus contrastée en Europe9 (Table 1.4 et Figure 1.19), où le capital-risque
s’est développé plus récemment et où l’intégration économique ne s’est pas encore affranchie
des frontières nationales. Les trois principaux pays, le Royaume-Uni, l’Allemagne et la France
présentent une répartition très différente. En France, Paris règne sans partage. En Allemagne
l’activité est répartie sur tout le territoire. Au Royaume-Uni, Londres rassemble l’essentiel de
l’activité mais des start-ups sont crées partout ailleurs. Cependant on observe comme aux EtatsUnis une amplification de la concentration lorsque l’on s’intéresse à la localisation des capitalrisqueurs (Figure 1.20). Londres et Paris, qui sont les places financières de premier plan au
niveau européen, dominent largement.
Deux faits principaux se dégagent donc de ces observations. Premièrement les capitalrisqueurs semblent plus concentrés spatialement que les start-ups, fait constaté aux Etats-Unis
comme en Europe. Deuxièmement le phénomène de la Silicon Valley, qui n’a pas d’équivalent
en Europe, laisse supposer que le capital-risque se développe plus efficacement s’il est concentré spatialement. De nombreux travaux se sont intéressés à ces deux faits.
Florida & Smith (1993) montrent que les déterminants du choix de la localisation des
capital-risqueurs sont essentiellement la proximité des sources de financement et la proximité avec les start-ups de leur portefeuille. La proximité avec les sources de financement est
évidemment essentielle pour des intermédiaires financiers, d’autant plus qu’ils sont contraints
de lever régulièrement de nouveaux fonds à cause de la durée de vie limitée de ceux-ci. Cela
9 La couverture de l’Europe par notre base de donnée est moins exhaustive que celle des Etats-Unis, VentureOne
estime à 50/60% le nombre d’investissements pris en compte dans la base.
Chapitre 1. Les fondements du capital-risque
48
MSA
Start-ups
Capital-risqueurs
San Francisco-Oakland-Fremont, CA
San Jose-Sunnyvale-Santa Clara, CA
Los Angeles-Long Beach-Santa Ana, CA
New York-Northern New Jersey-Long Island, NY-NJ-PA
Washington-Arlington-Alexandria, DC-VA-MD-WV
San Diego-Carlsbad-San Marcos, CA
Seattle-Tacoma-Bellevue, WA
Atlanta-Sandy Springs-Marietta, GA
Philadelphia-Camden-Wilmington, PA-NJ-DE-MD
Chicago-Naperville-Joliet, IL-IN-WI
2229
2039
769
736
604
543
481
398
362
337
203
103
51
130
48
18
34
26
23
40
17.43%
15.94%
6.01%
5.75%
4.72%
4.25%
3.76%
3.11%
2.83%
2.63%
20.71%
10.51%
5.2%
13.27%
4.9%
1.84%
3.47%
2.65%
2.35%
4.08%
TAB . 1.3: Nombre de start-ups et de capital-risqueurs dans les 10 premières MSA aux EtatsUnis.
source : données VentureSource
NUTS2
Start-ups
Capital-risqueurs
Ile-de-France, FR
London, UK
Stockholm, SE
Oberbayern, DE
Danmark, DK
Berlin, DE
Berkshire, Buckinghamshire and Oxfordshire, UK
Etelä-Suomi, FI
Köln, DE
Noord-Holland, NL
725
547
383
266
220
190
182
178
137
125
116
238
98
58
28
21
8
25
19
25
10.92%
8.24%
5.77%
4.01%
3.31%
2.86%
2.74%
2.68%
2.06%
1.88%
9.17%
18.81%
7.75%
4.58%
2.21%
1.66%
0.63%
1.98%
1.5%
1.98%
TAB . 1.4: Nombre de start-ups et de capital-risqueurs dans les 10 premiers NUTS2 en Europe
de l’Ouest.
source : données VentureSource
1.6. L’investissement en capital-risque
49
1
3
28.4
2229
F IG . 1.17: Localisation des start-ups aux Etats-Unis.
source : données VentureSource
1
2
9.2
203
F IG . 1.18: Localisation des capital-risqueurs aux Etats-Unis.
source : données VentureSource
50
Chapitre 1. Les fondements du capital-risque
4
14
44.2
725
F IG . 1.19: Localisation des start-ups en Europe de l’Ouest
source : données VentureSource
1.6. L’investissement en capital-risque
51
1
3
10
238
F IG . 1.20: Localisation des capital-risqueurs en Europe de l’Ouest.
source : données VentureSource
Chapitre 1. Les fondements du capital-risque
52
explique l’importance constatée de New-York, Londres et Paris pour la localisation des capitalrisqueurs. La proximité avec les start-ups est liée au caractère particulier du financement des
start-ups qui demande un suivi important, et pousse les capital-risqueurs qui siègent au conseil
d’administration des start-ups à ne pas financer de start-ups trop éloignées de leur siège social
(Lerner 1995b). Aux Etats-Unis on constate d’ailleurs qu’un grand nombre de capital-risqueurs
se sont installés directement dans la Silicon Valley.
Ces deux exigences, se trouver à proximité des sources de financement et des start-ups,
peuvent apparaître incompatibles, mais grâce au co-investissement les capital-risqueurs peuvent
dépasser ces problèmes, en investissant aux côtés de capital-risqueurs localisés à proximité des
start-ups. Sorenson & Stuart (2001) montrent que si les capital-risqueurs investissent plutôt
localement, cette tendance diminue avec l’expérience et le développement du réseau de coinvestissement du capital-risqueur. Le co-investissement permet en effet de déléguer la gestion
du suivi de la start-up au capital-risqueur le plus proche, qui assuma alors le rôle de meneur
du co-investissement (c.f. 1.7.5). Le co-investissement est donc un outil qui permet aux capitalrisqueurs de dépasser les contraintes géographiques inhérentes au capital-risque.
Pour expliquer la concentration des start-ups dans la Silicon Valley, on invoque couramment
les externalités marshaliennes. Dans le cas des start-ups on s’intéresse plus particulièrement aux
externalités technologiques : le savoir et le savoir faire lié à la technologie étant en partie tacite,
il se transmet plus facilement entre des acteurs ayant des interactions fréquentes, ce qui favorise
la proximité. Ces effets sont mis en évidence par Jaffe, Trajtenberg & Henderson (1993) qui
montrent par l’étude des citations des brevets que les innovations technologiques ont tendance
à donner lieu à d’autres innovations plus fréquemment dans la même région que dans une autre.
Almeida & Kogut (1997) confirment ce résultat pour les start-ups et montrent que l’effet est
encore plus marqué dans la Silicon Valley.
On pourrait en déduire que ces externalités suffisent à expliquer la localisation des start-ups
mais Saxenian (1994) montrent qu’avec des dotations initiales identiques en terme d’expertise scientifique dans le domaine des semi-conducteurs, d’environnement scientifique de grande
qualité, le MIT et Stanford, et de fonds capital-risque, la Silicon Valley s’est imposée là où la
route 128, à Boston, a échouée. Le succès de la Silicon Valley est dû pour Saxenian à son organisation très ouverte. Les entreprises y sont de plus petite taille, les travailleurs très mobiles, et si
1.6. L’investissement en capital-risque
53
les entreprises sont engagées dans une compétition pour l’innovation leurs employés communiquent beaucoup entre eux et partagent notamment leur expertise technique. Par comparaison
la route 128 est dominée par de grandes entreprises, qui développent une grande partie de leurs
innovations en interne et cultivent le secret. C’est donc pour Saxenian l’organisation institutionnelle de la Silicon Valley qui lui permet de bénéficier d’un avantage comparatif. Castilla,
Hwang, Granovetter & Granovetter (2000) reprennent cette idée en étudiant la multiplicité de
réseaux sociaux formels et informels qui composent la Silicon Valley et attribuent son succès à
l’action volontaire de Stanford pour développer ces réseaux.
Pour réconcilier ces deux approches, on peut suivre Breschi & Lissoni (2001) dans leur
critique des externalités de localisation technologiques comme justification de l’agglomération
industrielle, en ce qu’elles décrivent un phénomène sans en expliquer l’origine. Le succès de la
Silicon Valley peut alors être expliqué par la capacité de ses réseaux à diffuser l’information et
donc à générer des externalités technologiques.
Le capital-risque est donc une activité concentrée spatialement, tant au niveau des capitalrisqueurs que des start-ups. Si les externalités de localisation technologiques peuvent expliquer
la concentration des start-ups, les réseaux sont un phénomène marquant de la localisation du
capital-risque. Pour les capital-risqueurs les réseaux de co-investissement sont un moyen de
dépasser les contraintes géographiques. Pour les start-ups les réseaux formels et informels entre
les acteurs du capital-risque permettent de bénéficier pleinement des externalités de localisation.
1.6.3 Devenir des start-ups
L’objectif du capital-risqueur est de faire sortir sa start-up, c’est-à-dire de l’amener jusqu’à
un stade de développement où elle pourra être revendue ou introduite en bourse. Le capitalrisqueur peut alors vendre ses parts de capital et récupérer ainsi la plus value éventuellement
générée. Le processus de développement de la start-up est aléatoire et la sortie n’est pas l’issue
automatique de tout investissement en capital-risque. De plus ce processus prend du temps.
Pour étudier les succès des investissements en capital-risque il faut donc prendre en compte ces
deux dimensions. La première question pertinente pour évaluer le succès d’un investissement
en capital-risque est donc la suivante : qu’est devenue la start-up après n années ?
Chapitre 1. Les fondements du capital-risque
0.2
0.4
0.6
0.8
Privée
Acquisition
IPO
0.0
proportion de start−ups
1.0
54
0
5
10
15
âge
F IG . 1.21: Statut des start-ups à partir de leur premier tour de table.
source : données VentureSource
La Figure 1.21 permet de visualiser la réponse à cette question pour les start-ups financées
aux Etats-Unis entre 1990 et 1998. En prenant comme référence pour l’âge l’année du premier
financement, le graphique montre la proportion de firmes déjà sorties par acquisition, par introduction en bourse ou encore privées. Les firmes qui ne parviennent pas à sortir restent comptées
comme privées. Qu’elles fassent faillite ou non, les investissements qui ne mènent pas à des
sorties sont des échecs complets pour le capital-risqueur qui ne peut pas revendre ses parts. Au
final le résultat d’un investissement en capital-risque sur cette période se repartit ainsi : 36% de
sorties par acquisition, 22% de sorties par IPO, et 42% de start-ups qui restent privées.
Les temps de sortie sont assez bien modélisées par des distributions de Weibull (Figure
1.22). L’ajustement permet de caractériser le processus de sortie des start-ups. Les distributions
de Weibull ont deux paramètres : un paramètre de forme k et un paramètre d’échelle λ. Le
taux de sortie en fonction de l’âge atteint par la start-up s’exprime en fonction de ces deux
paramètres.
h(t) =
k t k−1
( )
λ λ
0.25
|
0.15
0.20
MA: empirique
weibull:
* forme=1.53
* échelle=5.7
0.00
0.00
0.05
0.10
densité
0.15
IPO: empirique
weibull:
* forme=1.44
* échelle=4.01
0.05
densité
0.20
|
55
0.10
0.25
1.6. L’investissement en capital-risque
0
5
10
15
0
5
age
10
15
age
F IG . 1.22: Distribution des âges de sorties respectivement lors de l’introduction en bourse (à
gauche), et de l’acquisition (à droite)
source : données VentureSource
Le taux de sortie est donc croissant si k > 1 et décroissant sinon.
Ici, les paramètres de forme sont supérieurs à 1 pour les deux distributions, ce qui indique
un processus de maturation : la probabilité de sortie augmente avec l’âge. Cela correspond bien
à la logique du capital-risque. La start-up a besoin de temps pour se développer avant d’être en
mesure de sortir soit par une introduction en bourse, soit par une acquisition.
Pour les sorties par introduction en bourse le temps moyen de sortie est de 3.6 ans, et pour
les acquisitions il est de 5 ans. Mais pour le capital-risqueur il est plus pertinent de raisonner en
termes cumulatifs : 75% des start-ups qui doivent sortir sont sorties au bout de 6 ans, et 90%
au bout de 9 ans. Le capital-risque est donc un investissement non liquide à moyen terme. Une
conséquence de cette longue durée de l’investissement est qu’il faut un temps d’observation
assez long pour pouvoir juger de la performance d’un investissement. Ces durées sont de plus
cohérentes avec la durée normale d’un partenariat limité, 10 ans. Il ne faut en effet pas moins
de temps pour être en mesure de faire sortir toutes les start-ups financées.
Chapitre 1. Les fondements du capital-risque
56
1.6.4 La rentabilité du capital-risque
Le capital-risque est un placement financier, sa rentabilité est donc une caractéristique essentielle. Deux questions principales se posent : quel est le type de risque correspondant à l’investissement en capital-risque ? et y-a-il une prime de risque associé au placement en capitalrisque par rapport à d’autres actifs ?
L’analyse des rendements des investissements directs en capital-risque, c’est-à-dire la prise
de participation dans une start-up, permet de caractériser les particularités du capital-risque.
Sahlman (1990) rapporte un taux de pertes de 34,5%, dont 11,5% de pertes complètes. Le taux
d’échec des placements en capital-risque est donc élevé. De plus les gains du capital-risque sont
essentiellement générés par les quelques investissements qui rapportent plus de 10 fois la mise
initiale. En moyenne 50% des bénéfices sont générés par seulement 6,8% des investissements
initiaux. Le jeu du capital-risque est donc particulier. Il ne s’agit pas tant d’éviter les pertes,
qui sont de toute façon fréquentes, mais avant tout de trouver les investissements gagnants,
c’est-à-dire les start-ups qui vont rapporter plus de dix fois l’investissement initial.
Si l’on se tourne vers nos données, on peut affiner ces constatations. La rentabilité de l’investissement dépend du devenir de la firme. On sait que les pertes complètes correspondent
aux start-ups qui ne parviennent pas à sortir. Dans nos données cela correspond à un tiers des
start-ups, le capital-risque des années 90 est plus risqué que celui des années 80 rapporté par
Sahlman. Dans les autres cas on peut calculer le retour sur investissement obtenu.
La Figure 1.23 montre la distribution des retours mesurés en fonction du type de sortie.
Le calcul de ces retours requière une petite explication. Lorsqu’une start-up reçoit des fonds à
l’occasion d’un tour de table on peut lui accorder une valeur. En pratique, les capital-risqueurs
achètent des parts du capital. Le prix qu’ils payent déterminent la valeur de la start-up, et notamment celles des parts qui restent en possession de l’entrepreneur. Si les capital-risqueurs
apportent I euros en échange de p% du capital de la start-up la valeur de la firme après investissement est V1 = I ∗ 100/p. De la même façon on peut calculer la valeur de la start-up V2
lors de son acquisition, c’est alors son prix, ou lors de son introduction en bourse, qui s’apparente à une entrée dans le capital et dont la valeur se calcule comme pour l’investissement initial.
Le rapport entre ces deux valeurs est le retour brut sur investissement (ou multiple) : R = V2 /V1 .
1.6. L’investissement en capital-risque
57
0.20
0.00
0.10
densité
0.30
IPO
Acquisition
−5
0
5
Log(retours)
F IG . 1.23: Distribution des retours sur investissement en fonction du type de sortie.
Période 1990-2004 ; log(IPO) : µ=1.8, σ=1.27 ; log(Acquisition) : µ=0.64, σ=1.83
source : données VentureSource
De plus, si la start-up reçoit plusieurs tours de table, il faut prendre en compte la dilution du
capital dans le calcul des retours. Si par exemple un montant I 0 est investi en échange de p0 %
du capital lors d’un tour de table intermédiaire avant la sortie, le retour brut sur l’investissement
initial n’est plus que de R = (1 − p0 /100) V2 /V1 . Et puisque V 0 = I 0 ∗ 100/p0 , on obtient R =
(1 − I 0 /V 0 ) V2 /V1 . Pour cette raison, on ne peut calculer le retour sur investissement que pour
les tours de table dont on connaît la valeur post-investissement, ainsi que celle de tous les tours
de table intermédiaires jusqu’à la sortie. Or si la valeur des firmes cotées en bourse est toujours
connue puisque l’information est publique, ce n’est pas le cas pour les tours intermédiaires et
encore moins pour les acquisitions, ce qui limite les données utilisables dans notre base pour
ces estimations. Ici nous avons pu calculer le retour pour seulement 2224 investissements qui
ont menés à une introduction en bourse et 755 qui ont mené à une acquisition.
La Figure 1.23 montre donc la distribution des retours composés après une introduction en
bourse ou une acquisition calculés ainsi. On constate que ces retours suivent une distribution
normale. Cependant les apparences sont trompeuses. En effet, habituellement on utilise comme
Chapitre 1. Les fondements du capital-risque
58
IPO
Acquisition
IPO (5 ans)
Acq. (5 ans)
E(ln(R))
µ
1.800983
0.6389321
0.3601966
0.1277864
σ(ln(R))
σ
1.270800
1.833925
0.5683188
0.8201564
Mode(r)
µ−σ2
0.2044842
-0.9344112
0.03791125
-0.4200829
5.055597
0.8944567
0.4336112
0.1363103
12.57797
9.18151
0.6848723
0.5906053
27.24928
53.76362
1.040327
1.558010
e
eµ − 1
Mediane(r)
E(r)
σ(r)
−1
√
e
µ+σ2 /2
−1
(eσ − 1) e2 µ+σ
2
2
TAB . 1.5: Correspondance entre les retours composées ln(R) et les retour arithmétiques r =
R − 1 pour les retours après une sortie par introduction en bourse ou par acquisition. Les
retours des deux premières colonnes correspondent aux retours sur investissement total, et les
retours des deux dernières colonnes correspondent à annualisation pour un investissement sur
5 ans.
mesure du retour sur investissement indifféremment soit le retour arithmétique r = V2 /V1 − 1,
soit le retour composé ln(R) = ln(V2 /V1 ), l’avantage du retour composé étant sa manipulation mathématique très pratique. Lorsque les retours arithmétiques sont faibles r ¿ 1, ces deux
valeurs sont similaires ln(R) = ln(1 + r) ≈ r et les retours composés sont donc une bonne approximation des retours arithmétiques. Mais ici les retours composés sont en moyenne de l’ordre
de l’unité. L’approximation ne tient donc plus et les retours composés distribués normalement
que nous observons masquent en fait des retours arithmétiques très dispersés. Or ce sont les retours arithmétiques qui importent vraiment pour les investisseurs, les retours composés n’étant
qu’une forme pratique à manipuler. Le Tableau 1.5 donne donc les correspondances entre les
retours composés mesurés et les retours arithmétiques.
L’asymétrie de la distribution log-normale explique donc la répartition des gains observés
par Sahlman, beaucoup de petits gains et quelques retours exceptionnels qui tirent le retour
moyen vers le haut. Par exemple pour les introductions en bourse, la moyenne de 1.8 et l’écarttype de 1.27 observés pour la distribution des retours composés correspondent à un mode de
20%, à une médiane de 506% et à une moyenne de 1260% pour les retours arithmétiques. On
1.6. L’investissement en capital-risque
59
voit bien que ce sont les retours exceptionnels qui tirent la moyenne vers le haut, le retour modal
étant plutôt raisonnable pour un investissement sur plusieurs années.
On constate aussi que le type de sortie n’est pas neutre vis à vis des retours sur investissement. La sortie par introduction en bourse est clairement plus rentable en moyenne que l’acquisition. Cela est dû au fait que les sorties par acquisition permettent aussi au capital-risqueur de
sortir d’une start-up défaillante avec des pertes limitées plutôt que de ne pas sortir du tout, en
revendant à un industriel les actifs essentiels tels que les brevets déposés par exemple. D’ailleurs
le mode des retours arithmétiques pour l’acquisition est proche de -100%, ce qui confirme qu’un
grand nombre de sorties par acquisition sont en fait des sorties à perte. Ce genre de sortie n’est
pas possible sur un marché financier où seules les start-ups ayant de bonnes perspectives de
croissance peuvent entrer. Les pertes sur le marché financier sont donc essentiellement dues à
une sous-valorisation de la start-up lors de l’introduction. On observe par conséquent beaucoup
plus de retours négatifs pour les acquisitions que pour les introductions en bourse. A cause de
cette ambiguïté sur la nature des sorties par acquisition, leurs retours sont nettement plus volatils
que les sorties par introductions en bourse.
Les retours arithmétiques moyens mesurés sont impressionnants : 1250% pour l’introduction en bourse, 920% pour l’acquisition. Cependant c’est là tout le principe du capital-risque :
des réussites exceptionnelles, qui rapportent plus de dix fois la mise initiale, permettent de
compenser les pertes, très nombreuses on l’a vu, et les petits gains. Les volatilités des retours
arithmétiques, tout aussi impressionnantes rappellent d’ailleurs que le capital-risque est avant
tout un placement très risqué. De plus, pour estimer la rentabilité effective de l’investissement,
ces retours doivent être annualisés. Pour un investissement sur 5 ans, les rendements calculés
correspondent respectivement à 68% et 59% par an. C’est toujours beaucoup mais les chiffres
sont désormais plus raisonnables. Et les volatilités annuelles restent très élevées, respectivement
104% et 156%. On retrouve encore une fois le principe du capital-risque, des rendements très
élevés pour un risque très important.
Bizarrement, comme Cochrane (2005) l’a constaté, la distribution des retours sur investissement semble ne pas dépendre de la durée de l’investissement. C’est pour cela que nous avons
d’abord estimé les retours totaux avant de les annualiser. Le retour effectif du capital-risqueur
est donc affecté par une autre source de volatilité, la durée aléatoire de l’investissement. Par
Chapitre 1. Les fondements du capital-risque
60
Auteurs
Période
Capital-risque
S&P 500
E(r)
σ(r)
1987-2000
59%
107%
Peng (2001)
1987-1998
41.4%
27.8%
14.3%
Hwang et al. (2005)
1987-2003
9.36%
26%
1987-2000
20.6%
24.8%
NASDAQ
E(r)
σ(r)
14%
81%
3.9%
17.4%
5.2%
8.2%
16.8%
10%
29.2%
12.8%
14.8%
17.2%
24%
E(r)
σ(r)
Investissements directs
Cochrane (2005)
Indice
Fonds de capital-risque
S&P 500
Ljungqvist & Richardson (2003)
1981-2000
19.8%
22.3%
Kaplan & Schoar (2005)
1987-2003
17%
31%
prime de 5%
équivalent marché public < 1
TAB . 1.6: Retours arithmétiques annuels estimés par différents auteurs, et les comparaisons
fournies avec les indices S&P 500 et NASDAQ
exemple pour une sortie par introduction en bourse, le retour arithmétique moyen sur 3 ans est
de 138%, sur 5 ans de 68% et sur 10 ans de 30%. Pour un capital-risqueur il est donc aussi
important de sortir vite que de sortir bien. Tous ces facteurs font qu’il est difficile d’évaluer la
rentabilité générale du capital-risque.
Cochrane (2005) propose une estimation de cette rentabilité permettant notamment de corriger le biais de sélection sur l’observation des valeurs des start-ups. En effet on n’observe la
valeur des start-ups que lorsqu’elles lèvent des fonds ou qu’elles sortent. Or ces évènements
constituent des signaux positifs en soi. La probabilité d’observer la valeur de la start-up augmente donc avec la valeur de cette dernière. La correction est apportée par l’introduction d’une
fonction de sélection dans un modèle de type CAPM en logarithme. Avec cette correction, il
trouve des valeurs plus raisonnables pour les retours composés annuels, une moyenne de 15% et
une déviation standard de 89%. Ce qui correspond à des retours arithmétiques annuels moyens
de 59% avec une volatilité de 107%. On reste cependant dans une classe d’actifs très risqués.
D’autres auteurs ont tenté d’estimer la rentabilité du capital-risque en adoptant diverses approches. La table 1.6 présente leurs résultats et les références utilisés pour la comparaison avec
d’autres classes d’actif. Le capital-risque est en général comparé soit directement à l’indice S&P
1.6. L’investissement en capital-risque
61
500, qui représente la rentabilité d’un portefeuille placé en action, soit au NASDAQ Composite,
qui représente des investissements toujours en actions mais dans des entreprises plus jeunes et
donc plus risqués.
Deux travaux ont proposé un indice pour les investissements directs en capital-risque. Ces
études permettent de comparer plus directement le capital-risque avec les autres actifs financiers.
Peng (2001) construit un indice à partir des données VentureOne sur la période 1987-2000 en
prenant en compte les biais de sélection, la censure des données à droite et les données manquantes. Il trouve un taux de retour annuel moyen sur la période de 41.4%. Le taux de retour
annuel résultat est similaire à Cochrane mais la volatilité de l’indice, qui représente un portefeuille diversifié est moindre (27.8% en moyenne). Les retours annuels et la volatilité de l’indice
reportés sont tout deux nettement supérieurs au S&P 500 et au NASDAQ. Ce résultat confirme
l’idée d’un placement risqué. Il trouve aussi une corrélation positive et significative entre le
capital-risque et le NASDAQ ce qui n’est pas étonnant car le NASDAQ est le principal marché
financier de sortie pour le capital-risque. Hwang et al. (2005) proposent eux aussi un index pour
le capital-risque à partir des mêmes données enrichies et sur une période plus longue, 19872003. Mais ils utilisent un modèle de prix hédonique pour la valeur des start-ups. Cela leur
permet de proposer un index pour des start-ups standardisées. Ils prennent en compte les caractéristiques suivantes des start-ups : type du tour de table, stade de développement, industrie,
région géographique. L’index qu’ils proposent donne des taux de retour annuels et des volatilités comparable au NASDAQ sur la période complète. Ils trouvent d’ailleurs une corrélation
importante entre les deux indices. Par contre le capital-risque semble plus performant sur la
période 1987-2000, soit avant l’éclatement de la bulle. Dans son étude Cochrane avait plutôt
trouvé une similarité de comportement, mais pas de corrélation, entre le capital-risque et les
plus petites entreprises côtés au NASDAQ (celles dont le capital était inférieur à 2 millions de
dollar). Les résultats un peu surprenants de Hwang et al. sont certainement dus à l’utilisation
d’un modèle hédonique pour calculer la valeur de la start-up. Cela revient à se concentrer sur la
part systématique de la valeur de la start-up alors que la spécificité du capital-risque se trouve
plutôt dans l’hétérogénéité des start-ups et les retours extrêmes de quelques rares gagnants.
Un des rôles des capital-risqueurs est aussi de limiter le risque en diversifiant les investissements. En effet les fonds gérés par les capital-risqueurs ont des retours beaucoup moins volatils.
Chapitre 1. Les fondements du capital-risque
62
Ainsi ce qui intéresse les investisseurs institutionnels ne sont pas les retours directs mais les retours des fonds de capital-risque dans lequel ils investissent. Ljungqvist & Richardson (2003)
étudient les retours obtenu par un grand investisseur institutionnel américain dans divers fonds
d’investissement en capital, dont 25% en capital-risque et 75% en capital investissement. Il ne
trouvent pas dans leurs données de différences significatives entre ces deux types d’investissement. Ils trouvent un taux de rendement interne moyen de 19,8%, avec une déviation standard
de 22,3%. Comparé aux taux trouvé par Cochrane, la diversification permet de diminuer le
risque, mais bien sûr le retour moyen diminue de même. Le taux de rendement interne moyen
des fonds rapporté correspond à une prime de 5 à 6% par rapport à l’index boursier S&P 500,
même en prenant en compte le risque accru. Cette prime est attribuée par les auteurs à l’illiquidité des investissements en capital-risque. Mais Kaplan & Schoar (2005) constatent eux à partir
de l’étude de 754 fonds de capital-risque et de 336 fonds de capital-investissement une rentabilité moyenne inférieure à celle du S&P 500. Ils observent cependant que les fonds étudiés sont
très hétérogènes, les fonds les plus gros et gérés par des gestionnaires plus expérimentés étant
plus performants. La question de la performance réelle des fonds de capital-risque reste donc
encore ouverte.
Un dernier phénomène particulier est l’effet de saturation du marché du capital-risque.
Gompers & Lerner (2000) montre que l’afflux de capitaux dans le capital-risque augmente
artificiellement la valorisation des investissements, et donc diminue les retours. La même constatation est faite par Ljungqvist & Richardson (2003). Le capital-risque tire ses revenus de la
qualité des innovations financées. Les innovations de qualité sont en nombre limité, par conséquent un afflux trop important de fonds vers le capital-risque conduit à financer des projets de
moins bonne qualité, ou à financer plus que nécessaire les bons projets. Dans les deux cas les
retours diminuent. Ce phénomène souligne la position d’intermédiaire du capital-risque entre
entrepreneurs et investisseurs institutionnels. Il ne fonctionne efficacement que s’il y a adéquation entre les montants des fonds dont il dispose et les besoins des innovations qui lui sont
proposées.
Le capital-risque est donc un placement risqué mais potentiellement très rentable. La volatilité des placements directs est très importante, et la distribution des retours est très asymétrique.
L’essentiel des profits provient des résultats exceptionnels de quelques start-ups. La rentabilité
1.7. Les pratiques du capital-risqueur
63
du capital-risque est de plus dépendante de l’adéquation entre l’offre et la demande, c’est-à-dire
entre les montants investis en capital-risque et le nombre de projets de start-ups potentiellement
rentables qui recherche un financement.
1.7 Les pratiques du capital-risqueur
En tant qu’intermédiaire entre investisseurs institutionnels et start-ups, les activités du capitalrisqueur ont deux versants, tournés vers chaque partie. Vis à vis des investisseurs institutionnels,
le capital-risqueur est un gestionnaire de fonds. Son rôle est de gérer au mieux les montants
investis afin de maximiser la plus-value pour ses mandataires. Vis à vis, des start-ups le capitalrisqueur est un investisseur particulier, qui développe des pratiques adaptées à l’investissement
dans un contexte de forte incertitude. Ce sont ces pratiques particulières qui confèrent au capitalrisqueur une valeur supérieure à celle d’un simple intermédiaire et qui justifie leur rémunération
confortable (en particulier une commission de 20% sur les bénéfices du fonds).
Cette section présente tout d’abord l’activité de gestionnaire de fonds du capital-risqueur,
puis les pratiques spécifiques à l’investissement dans les start-ups que sont la sélection des
start-ups à financer, le suivi et le conseil des start-ups, l’investissement par étape et le coinvestissement.
1.7.1 Gestion du fonds
L’activité des capital-risqueurs en tant que gestionnaires de fonds se repartit en 3 phases :
lever le fonds, investir dans les start-ups et liquider les investissements. Dans le cas du capitalrisque, le temps est le facteur critique. En effet d’une part le fonds a une durée limitée, habituellement de 10 ans, et d’autre part le processus d’investissement dans une start-up prend du temps :
il faut 4 ans en moyenne pour faire sortir une start-up, 6 ans pour faire sortir 75% des start-ups
financées. De plus la durée limitée du fonds oblige le capital-risqueur à lever des fonds successifs pour rester en activité. Ces contraintes temporelles spécifiques conditionnent le mode de
fonctionnement du capital-risqueur.
La Figure 1.24 permet de visualiser la dynamique d’un fonds. Elle présente la composition
du portefeuille de start-ups d’un fonds moyen, obtenu par agrégation de tous les fonds de la base
Chapitre 1. Les fondements du capital-risque
0.2
0.4
0.6
0.8
restent à financer
privées
sorties
0.0
proportion de start−ups
1.0
64
0
5
10
15
année du fond
F IG . 1.24: Profil temporel des fonds de capital-risque : proportion de start-ups encore à financer, privées et sorties dans le portefeuille du fonds pour chaque année après sa levée.
source : données VentureSource
levés entre 1990 et 1998. On voit que le capital-risqueur repartit ses investissements sur les premières années du fonds : 80% des start-ups du portefeuille sont financées dans les 4 premières
années du fonds. Cela s’explique par la nécessité de laisser au start-up le temps de sortir avant
la fin du fonds. Comme il faut 6 ans pour faire sortir 75% des start-ups financées, le capitalrisqueur ne peut plus réaliser de nouveaux investissements durant la seconde moitié de la vie du
fonds car sinon les start-ups risqueraient de ne pas avoir le temps de sortir. La seconde moitié
de la vie du fonds est donc consacrée essentiellement à la liquidation des investissements réalisés lors de la première moitié. Or les opportunités d’investissement arrivent en continu. Pour
conserver une activité d’investissement sans interruption, le capital-risqueur est donc contraint
de lever un nouveau fonds avant la fin du premier.
Ce recouvrement temporel des fonds pose un problème particulier aux jeunes capital-risqueurs
qui gèrent leur premier fonds. En effet la possibilité de lever un second fonds dépend des performances du capital-risqueur lors de la gestion du premier. Or ces performances ne peuvent s’apprécier que lorsque les investissements sont liquidés, c’est-à-dire lorsque la start-up sort et que
1.7. Les pratiques du capital-risqueur
65
l’investisseur revend ses parts avec une plus-value. Par conséquent les jeunes capital-risqueurs
ont tendance à faire sortir leur start-ups prématurément afin de pouvoir afficher des retours sur
investissement positifs le plus tôt possible. Ce phénomène est mis en évidence par Gompers
(1996). Il montre à partir de l’étude de 433 introduction en bourse de start-ups réalisées entre
1978 et 1987, que les start-ups introduites en bourse par des jeunes capital-risqueurs, moins
de 6 années d’activités, sont plus jeunes, soutenues depuis moins longtemps par le capitalrisqueur, et sous-évaluées par rapport à celles introduites par des capital-risqueurs plus anciens.
Cela montre l’importance de se signaler comme un capital-risqueur compétent pour les jeunes
capital-risqueurs. Ce besoin à un impact négatif sur les start-ups dont la sortie est précipitée et
la valeur diminuée. Les anciens capital-risqueurs qui ont déjà fait leurs preuves, peuvent par
contre attendre le meilleur moment pour faire sortir leurs start-ups.
Pour le capital-risqueur, la capacité à lever des fonds dépend à la fois de ses performances
personnelles et de la conjoncture. Gompers & Lerner (1999b) montrent à partir de l’étude de
1294 fonds de capital-risque levés entre 1972 et 1994, que le niveau global d’investissement en
capital-risque est favorablement affecté par le changement le la législation de l’ERISA (autorisation pour les fonds de pensions d’investir en capital-risque en 1979) côté offre de capital, mais
aussi par les investissements en R&D et par la diminution des taxes sur le capital (plus grande
incitation à devenir entrepreneur) côté demande. Au niveau individuel, ils montrent aussi que la
valeur des start-ups introduites en bourse par le capital-risqueur l’année précédente a un impact
positif sur sa possibilité de lever un nouveau fonds et sur le montant du fonds levé. De même
les capital-risqueurs les plus expérimentés ont plus de chances de lever un nouveau fonds et
lèvent des fonds plus importants. Ces deux derniers résultats montrent l’importance de la réputation pour le maintient en activité des capital-risqueurs. Au niveau des causes conjoncturelles,
Jeng & Wells (2000) montrent aussi à partir de l’étude d’un panel de 21 pays que le volume
des introductions en bourse de l’année précédente a un effet positif sur le montant agrégé des
levées de fonds de capital-risque. Les introductions en bourse semblent ainsi être une mesure
de performance à la fois globale et individuelle.
Deux aspects sont donc essentiels pour l’activité de gestion des fonds des capital-risqueurs :
le découpage en deux phases de durées égales des dix ans de vie du fonds, une première phase
Chapitre 1. Les fondements du capital-risque
66
d’investissement suivie d’une phase de liquidation, et l’importance cruciale de la réputation
pour la continuité de l’activité du capital-risqueur.
1.7.2
Sélection des start-ups
La première pratique utilisée par les capital-risqueurs pour limiter la prise de risque est le
filtrage des demandes de financement par les entrepreneurs. Ce filtrage permet principalement
de sélectionner les projets les plus prometteurs. Ce filtrage est assez sévère : le chiffre communément admis est que les capital-risqueurs financent seulement 1% des projets qui leur sont
soumis (Sahlman 1990).
Tyebjee & Bruno (1984) présentent un modèle très détaillé de ce processus, basé sur une
enquête téléphonique menée auprès de 46 capital-risqueurs et sur un questionnaire rempli par 41
capital-risqueurs qui détaille le processus de décision pour 90 start-ups financées. Ils distinguent
5 étapes dans l’investissement en capital-risque :
1. recherche des opportunités d’investissement
2. filtrage des propositions
3. évaluation des projets retenus
4. mise en oeuvre de l’investissement
5. activités post-investissement
L’étude distingue donc deux étapes de filtrage, un premier filtrage sur des critères assez
grossiers (étape 2), puis un second basé sur une analyse plus fine de chaque projet (étape 3).
La mise en oeuvre de l’investissement correspond à la négociation du contrat, et les activités de
post-investissement au suivi de la start-up qui sera traité dans les sections suivantes.
Dans les réponses recueillies par le questionnaire, 65% des opportunités d’investissement
ont été soumises aux capital-risqueurs par recommandations, dont 40% qui proviennent d’autres
capital-risqueurs. En effet lors du premier filtrage les capital-risqueurs sélectionnent essentiellement sur des critères d’adéquation entre le projet proposé et leurs propres intérêts et capacités.
Sur les quatre critères cités 2 sont liés à la politique d’investissement du capital-risqueur : montant de l’investissement et stades de développement de la firme. Les deux autres sont liés aux
1.7. Les pratiques du capital-risqueur
67
Tyebjee & Bruno (1984)
Analyse factorielle
Kaplan & Strömberg (2000)
variance
Analyses menées
observations
expliquée
1 Attractivité du marché
22.5%
Equipe dirigeante
97.6%
2 Différentiation du produit
12.9%
Taille/croissance du marché
92.9%
3 Equipe dirigeante
9.6%
Compétition
88.1%
4 Menaces environnementales
8.2%
Possibilités de sortie
64.3%
5 Possibilités de sortie
7.2%
Adoption du produit
61.9%
TAB . 1.7: Critères pris en compte dans la décision d’investissement dans une start-up.
capacités du capital-risqueur : domaine technologique et localisation. En effet l’évaluation de la
valeur réelle du projet nécessite une expertise technique que ne possède pas forcément le capitalrisqueur. Quand à la localisation, elle est importante car les capital-risqueurs préfèrent investir à
proximité, surtout lorsqu’ils siègent au conseil d’administration de la start-up (Gompers 1995).
Les projets de start-ups éliminées lors de la première étape ne sont donc pas nécessairement
mauvais, mais ils n’intéressent simplement pas le capital-risqueur. Le processus de recommandation permet donc de faciliter l’appariement entre projets de start-ups et capital-risqueurs.
La deuxième étape de filtrage, l’évaluation de la valeur du projet, est l’étape où le capitalrisqueur évalue réellement les risques et les bénéfices potentiels. C’est sur cette étude qu’est
basée la prise de décision. A partir des réponses des capital-risqueurs aux questionnaires qui
comprennent la décision finale et des critères explicatifs, Tyebjee & Bruno mènent une analyse
factorielle qui aboutit à 5 facteurs principaux (Première colonne du Tableau 1.7). Plus récemment, Kaplan & Strömberg (2000) se sont livré à une étude des mêmes critères à partir des fiches
de synthèses utilisés par 10 capital-risqueurs pour 42 investissements. La deuxième colonne du
Tableau 1.7 présente la fréquence des différentes analyses menées par les capital-risqueurs.
On retrouve les mêmes critères dans les deux études, l’avantage de l’étude de Tyebjee &
Bruno étant que leur analyse quantitative leur permet de classer les critères par ordre d’importance.
Chapitre 1. Les fondements du capital-risque
68
Les capital-risqueurs sont avant tout intéressés par le potentiel de croissance du marché,
ce qui est cohérent avec leur objectif de retours importants en échange de risques importants.
Car c’est surtout de la taille du nouveau marché dont dépendent les profits et par conséquent le
succès de la start-up. Les considérations plus particulières sur les caractéristiques du produit,
différentiation ou capacité d’adoption par les clients, relèvent de la même logique.
La qualité de l’équipe dirigeante est le second critère essentiel. Face à l’incertitude, les
capital-risqueurs veulent pouvoir compter sur une équipe solide et compétente. Un investissement en capital-risque peut être vu comme la rencontre du capital financier, apporté par le
capital-risqueur, et du capital humain, apporté par l’équipe dirigeante. Il est donc normal que le
capital-risqueur soit très vigilant sur la valeur du capital humain auquel il s’associe.
Ensuite les capital-risqueurs s’intéressent aussi à l’environnement de la start-up et notamment à la compétition potentielle, dont on peut se protéger par un brevet par exemple. Enfin
un critère moins important mais quand même pris en compte est la possibilité de sortie, c’està-dire la possibilité d’une introduction en bourse ou bien des acheteurs potentiels si la start-up
parvient à la maturité.
On peut remarquer un grand absent de ces analyses : le risque technique, c’est-à-dire la possibilité que l’innovation ne puisse pas être réalisée, est très peu cité par les capital-risqueurs et
ne ressort pas de l’analyse factorielle. Cette absence est étonnante alors que les capital-risqueurs
investissent essentiellement dans les nouvelles technologies, où l’innovation technique joue un
rôle essentiel. Deux explications sont possibles. La première est que les capital-risqueurs investissent peu dans les tous premiers stades de développement du produit (amorçage) et que
le risque technique a généralement disparu lorsqu’ils entrent dans le capital de la start-up. Dit
autrement, les capital-risqueurs attendent de la faisabilité de l’innovation soit prouvée avant
d’investir dans la start-up. La seconde explication est que les capital-risqueurs investissent dans
des projets qui exploitent des innovations plus qu’ils ne les développent, comme c’est le cas
par exemple d’un site internet, et que le risque technique est alors quasiment nul. Au final, les
considérations humaines et commerciales semblent être celles qui dominent la prise de décision.
Une autre dimension à prendre en compte dans l’évaluation de la qualité de l’équipe dirigeante,
notée dans les deux études précédentes mais surtout soulignée par Dubocage (2003) est la qualité de l’entente entre le capital-risqueur et l’équipe dirigeante. En tant que partenaires dans une
1.7. Les pratiques du capital-risqueur
69
entreprise risquée, les deux acteurs vont en effet être amenés à prendre des décisions importantes
conjointement, pour redéfinir et adapter la stratégie de la start-up en fonction de l’évolution du
marché, et au fur et à mesure que le temps lève les incertitudes. Dubocage constate que la négociation autour du plan de développement (’business plan’) de la start-up lors de l’évaluation de
la start-up permet au capital-risqueur et à l’équipe dirigeante de tester leur capacité à s’entendre
sur la stratégie à mettre en oeuvre. L’importance des facteurs humains, que ce soit en terme de
compétence ou de capacité de concertation, est une spécificité essentielle du capital-risque.
1.7.3 Suivi, conseil et assistance aux start-ups
Le suivi des start-ups et la valeur ajoutée apportée par l’implication des capital-risqueurs
dans la gestion des entreprises qu’ils financent sont considérées comme une des spécificités
majeures du rôle de capital-risqueur.
Gorman & Sahlman (1989) montrent à l’aide d’un questionnaire rempli par 49 fonds de
capital-risque que le capital-risqueur médian passe 60% de son temps à suivre les entreprises
de son portefeuille. C’est donc son activité principale. L’importance de cette implication à une
conséquence directe sur le nombre de start-ups que peut suivre un capital-risqueur. Gorman &
Sahlman montrent que chaque capital-risqueur suit 9 start-ups en moyenne. Interrogés sur les
causes principales qui ont mené leurs investissements à un échec, les capital-risqueurs citent les
manquements de l’équipe dirigeante dans 90%, et en font la cause principale dans 65% des cas.
Même si les capital-risqueurs surestiment certainement la responsabilité de l’équipe dirigeante,
ce résultat confirme l’importance des capacités individuelles dans la réussite ou le succès des
start-ups.
Lerner (1995b) présente des résultats similaires à partir de l’étude de la composition des conseils d’administrations de 271 start-ups opérant dans les biotechnologies entre 1978 et 1989. Il
montre que la présence des capital-risqueurs au conseil d’administration de la start-up augmente
lors du remplacement du PDG, ce qui indique une implication plus importante des capitalrisqueurs en cas de difficultés. De plus il trouve une corrélation entre la proximité géographique
de la start-up et du capital-risqueur et le fait que ce dernier siège au conseil d’administration.
Chapitre 1. Les fondements du capital-risque
70
Cela indique que la présence au conseil d’administration des capital-risqueurs implique bien un
suivi actif de la start-up et non un simple droit de vote.
Une question importante est de savoir si l’implication des capital-risqueurs dans la startup apporte réellement quelque-chose à celle-ci. Sapienza (1992) évalue directement la valeur
apportée par le capital-risqueur à partir d’un questionnaire rempli par 51 paires de capitalrisqueurs et d’entrepreneurs. Il montre que la valeur ajoutée par le capital-risqueur est plus
importante lorsque la fréquence des interactions entre entrepreneur et capital-risqueur est plus
grande, et lorsque ces interactions sont plus ouvertes. Il vérifie aussi que l’évaluation de la
valeur ajoutée du capital-risqueur est bien corrélée à une meilleure performance de la start-up.
Ces résultats confirment donc l’importance d’une grande implication du capital-risqueur, mais
aussi de la qualité d’entente entre le capital-risqueur et les dirigeants.
Plus récemment Hellmann & Puri ont étudié l’apport des capital-risqueurs dans deux études
basées sur des questionnaires réguliers envoyés à 173 jeunes entreprises de haute technologie dans la Silicon Valley, soutenues ou non par des capital-risqueurs (Hellmann & Puri 2000,
2002). Ils montrent d’une part que les entreprises soutenues par le capital-risque sont plus susceptibles d’adopter une stratégie d’innovateur, c’est-à-dire de premier entrant sur le marché à
développer l’innovation, plutôt qu’une stratégie d’imitateur. Ces start-ups sont aussi capables
d’amener plus rapidement leur produit sur le marché. Le soutien des capital-risqueurs est donc
associé à une meilleure performance de la start-up. Ils montrent d’autre part que la présence
de capital-risqueurs dans le capital à un impact sur la gestion du personnel de l’entreprise, par
exemple en favorisant l’embauche d’un directeur marketing, la mise en place d’un plan de distribution de stock-options aux employés, et même le remplacement du PDG par une personne
extérieure à la start-up. Cela confirme la participation des capital-risqueur à la gestion concrète
de la start-up.
Tous ces travaux mettent donc en évidence à la fois la grande implication du capital-risqueur
dans la gestion de la start-up et l’amélioration des performances qui en découle.
1.7. Les pratiques du capital-risqueur
71
1.7.4 Investissement par étape
L’investissement par étape est une pratique presque universellement adoptée par les capitalrisqueurs. Au lieu d’investir en une fois tout le capital nécessaire au développement et de la
commercialisation de l’innovation, le capital-risqueur préfère distiller le financement par étapes
successives. A chaque étape la poursuite de l’investissement est conditionnée à une évaluation
positive de l’étape passée et des perspectives futures. D’après Sahlman (1990) cette stratégie
d’investissement a un double avantage. Le premier est de limiter la prise de risque. En effet au
fur et à mesure du développement de l’innovation et de sa commercialisation les incertitudes
sur la faisabilité technique, puis sur la demande réelle pour le produit diminue. Si le projet ne
se révèle pas assez rentable, il est toujours possible d’arrêter l’investissement et ainsi de limiter
les pertes financières. Le deuxième avantage de l’investissement par étape est la possibilité de
mieux contrôler l’entrepreneur. En effet celui-ci est contraint de faire de son mieux pour espérer
obtenir le financement suivant, nécessaire à la poursuite de son entreprise.
Du fait de ce mode de fonctionnement, on peut considérer le développement de la start-up
suivant deux échelles de temps, corrélées mais distinctes : d’une part le stade développement
effectif de la start-up, et d’autre part l’étape de financement atteinte. La Figure 1.25 permet de
visualiser la relation entre ces deux échelles temporelles. On constate clairement une succession
ordonnée des types de tour de table en fonction du stade de développement. Mais on voit aussi
que les tours de table se répartissent assez largement entre les différents niveaux de développement. Ainsi même si le premier tour de table a plus de chance de se produire lorsque le produit
est encore en développement, on trouve malgré tout toujours au moins 30% de premiers tours
à chaque étape de développement. Les logiques financière et de développement sont donc bien
liées mais de façon assez lâches.
Gompers (1995) a analysé les caractéristiques de l’investissement par étape à partir d’un
échantillon aléatoire de 794 start-up financées entre 1961 et 1992. Il constate tout d’abord que
les start-ups qui sortent par une introduction en bourse, qui est le mode de sortie le plus favorable pour le capital-risqueur, reçoivent en moyenne plus de tour de table et plus de fonds que
les autres. Cela confirme l’idée que l’investissement par étape permet de moins investir dans
les firmes moins performantes. Il analyse ensuite la durée entre deux tours de table successifs
Chapitre 1. Les fondements du capital-risque
0.2
0.4
0.6
0.8
Amorcage
Premier Tour
Second Tour
Tours Ultérieurs
Profitable
Commercialisation
Création
Produit en Devel
Produit en Beta Test
0.0
proportion de tours de table
1.0
72
F IG . 1.25: Tours de table et stades de développement. Proportion de tours de table de chaque
type à un stade de développement donné.
source : données VentureSource
IPO
IPO
1.8 %
11 %
8.5 %
72 %
Premier Tour
ACQ
52 %
Tours Ulterieurs
18 %
78 %
DEPART
70 %
19 %
0.21 %
Amorcage
15 %
ACQ
15 %
FIN
IPO
64 %
4.9 %
IPO
FIN
4.3 %
Second Tour
16 %
ACQ
FIN
12 %
16 %
ACQ
FIN
F IG . 1.26: Probabilités de transitions entre les tours de table.
source : données VentureSource
1.7. Les pratiques du capital-risqueur
chemin
73
probabilité
Premier Tour -> Second Tour -> Troisième Tour -> IPO
3.55%
Premier Tour -> Second Tour -> IPO
2.47%
Premier Tour -> IPO
1.30%
Premier Tour -> ACQ
6.12%
Premier Tour -> Second Tour -> ACQ
6.04%
Premier Tour -> Second Tour -> Troisième Tour -> ACQ
4.84%
TAB . 1.8: Probabilité des chemins menant à une sortie par introduction en bourse ou par
acquisition.
et les montants investis à chaque tour de table. Il constate que la durée entre deux tours de table est essentiellement liée aux caractéristiques de l’industrie dans laquelle opèrent la start-up.
La durée entre deux tours de table est d’autant plus courte que l’industrie est basée sur des
biens non tangibles, et que l’activité de l’industrie est intensive en R&D. Cela supporte l’idée
que l’investissement par étape permet un meilleur contrôle. Moins ce contrôle est évident, intangibilité des actifs, incertitude des résultats, plus les évaluations sont rapprochées. La taille
des investissements est sensible aux mêmes variables, on investit moins lorsque l’on investi
plus souvent, mais aussi au stade de développement de la start-up : les besoins financiers augmentent avec le développement de la start-up. Cette étude confirme donc les deux justifications
de l’investissement par étape avancées par Sahlman.
Une autre façon de regarder l’investissement par étape est d’étudier les probabilités de transitions d’un tour de table à un autre, en adoptant une hypothèse markovienne d’indépendance
avec le chemin passé (Figure 1.26). La première chose à remarquer sur ce graphe c’est le cas
particulier du tour de table d’amorçage. En effet seules 20% des start-ups de notre base de
donnée reçoivent un tel financement de la part des capital-risqueurs. C’est un tour de table particulier réservé aux jeunes start-ups permettant éventuellement d’atteindre le premier tour de
table. Les autres start-ups n’ayant pas bénéficié de ce type de financement entrent directement
au niveau du premier tour. Les constatations suivantes concernent les probabilités de sorties
après chaque tour de table. On constate que la probabilité de sortir augmente au fur et à mesure
Chapitre 1. Les fondements du capital-risque
74
des tours de table. On constate aussi que la part des sorties positives, par introduction en bourse
ou par acquisition, augmente relativement aux échecs. Après le premier tour de table, la probabilité de sortir par introduction en bourse ou par acquisition est de 10.2%, et la probabilité de
s’arrêter là est de 20%, après un troisième tour de table ces chiffres passent respectivement à
20.8% et 28%. Il y a donc bien d’une part une maturation de la firme au cours des tours de table
successifs, la probabilité de sortir augmente. Mais il y a aussi une sélection à chaque tour de
table, la probabilité relative d’un succès par rapport à celle d’un échec augmente aussi.
On peut aussi calculer la probabilité des différents chemins (Table 1.8). On constate alors
que le chemin le plus probable menant à une introduction en bourse passe par trois tours de
table. Alors que pour l’acquisition, les chemins passant par un tour ou deux sont plus probables
que ceux avec trois tours de table. On retrouve donc ici le résultat de Gompers : les start-ups
qui sortent par une introduction en bourse reçoivent plus de tours de financement.
L’investissement par étape est donc pratique essentielle des capital-risqueurs. Elle leur permet d’une part de limiter les risques en se réservant une option de sortie en cas de mauvaise
performance et d’autre part de contrôler plus efficacement l’entrepreneur par une évaluation
régulière de sa performance.
1.7.5
Le co-investissement entre capital-risqueurs
Le co-investissement est une autre pratique courante des capital-risqueurs. La Figure 1.27
présente la distribution du nombre de capital-risqueurs par tour de table. C’est une distribution
géométrique, qui est la contrepartie discrète de la distribution exponentielle. Le nombre moyen
de capital-risqueurs par tour de table de 2.69, mais le chiffre le plus pertinent est sans doute
la proportion de tours de table qui impliquent au moins 2 capital-risqueurs : 64%. Une large
majorité des investissements en capital-risque sont donc des co-investissements.
La littérature propose plusieurs motivations possibles pour cette pratique. Les trois principales raisons avancées sont la diversification financière (Bygrave 1987, 1988), une meilleure
sélection des start-ups dans lesquelles investir (Bygrave 1987, 1988, Lerner 1994b, Brander,
Antweiler & Amit 2002), et la valeur ajoutée par les capital-risqueurs (Brander et al. 2002).
1.7. Les pratiques du capital-risqueur
75
L’intérêt du co-investissement d’un point de vue financier c’est qu’il permet de diversifier
les investissements en investissant moins dans chaque start-up mais dans plus de start-ups. Les
besoins en capital des start-ups sont en effet souvent importants, et s’il devait y pourvoir seul
le capital-risqueur ne pourrait alors pas diversifier son portefeuille de start-up autant qu’il le
désire.
La seconde motivation est inspirée de Sah & Stiglitz (1986) : puisque l’important pour le
capital-risqueur est surtout de ne pas manquer une bonne opportunité, des avis complémentaires
peuvent permettre une meilleure prise de décision.
Enfin la troisième motivation vient de la constatation empirique que les capital-risqueurs
apportent beaucoup à la start-up. L’association de plusieurs capital-risqueurs pourrait donc potentiellement augmenter la valeur finale de la start-up et donc la rentabilité de l’investissement.
Plus récemment une quatrième motivation d’importance a été proposée par Sorenson & Stuart (2001) : la possibilité pour le capital-risqueur d’investir hors de son champ d’investissement
habituel, géographique ou technologique, en s’associant avec d’autres capital-risqueurs.
Enfin d’autres motivations moins influentes ont encore été proposés : la possibilité de rejoindre des start-ups dont le succès est probable pour augmenter son taux de retour et sa réputation (Lerner 1994b), la possibilité de résoudre des problèmes d’agence, en maintenant une
participation constante lors des investissements successifs le capital-risqueur joue le rôle d’un
observateur intérieur non opportuniste (Admati & Pfleiderer 1994, Lerner 1994b), et enfin la
possibilité de collusion entre les capital-risqueurs afin d’obtenir des positions plus avantageuses
qu’en cas de concurrence entre eux pour investir dans la start-up (Brander et al. 2002).
L’objet des travaux empiriques sur le co-investissement est la mise en évidence et le classement par importance relative de ces différentes motivations.
Dans ses deux études, Bygrave (1987, 1988) considère le réseau formé par les liens de coinvestissement entre les capital-risqueurs. Il étudie les investissements de 464 capital-risqueurs
dans 1501 start-ups entre 1966 et 1982. Il remarque que les 61 meilleurs capital-risqueurs sont
très inter-connectés entre eux, et que parmi les autres, les trois quart sont connectés à un d’eux.
Il ne constate pas de différence entre le degré de co-investissement des grands fonds de capitalrisque et des petits, ce qui implique que la logique de diversification financière peut être écartée.
Par contre il constate que les capital-risqueurs qui investissent dans les nouvelles technologies
Chapitre 1. Les fondements du capital-risque
76
0.2
partenaires: empirique
geometrique: p= 0.37
0.0
0.1
densité
0.3
|
2
4
6
8
10
12
nb de partenaires
F IG . 1.27: Répartition du nombre de capital-risqueurs participants à un tour de table.
source : données VentureSource
sont plus inter-connectés que ceux qui investissent dans des start-ups moins innovantes. Il en
déduit que le co-investissement est une réponse à l’incertitude de l’investissement.
Lerner (1994b) étudie 591 tour de table reçus par 271 start-ups en biotechnologies avant leur
introduction en bourse, entre 1978 et 1989. Ses résultats se focalisent sur les capital-risqueurs
les plus expérimentés, considérés comme plus compétents et donc plus à même d’adopter les
meilleures stratégies. Il constate que les capital-risqueurs les plus expérimentés investissent
plutôt avec des capital-risqueurs aussi expérimentés lors des premiers tours de table. Lors des
tours suivant, ils acceptent par contre d’investir avec des capital-risqueurs moins expérimentés.
La volonté d’investir avec des investisseurs aussi compétents dans les premiers tours, où l’incertitude est maximum, supporte l’idée que le co-investissement permet une meilleure sélection des
start-ups. Il constate ensuite que les capital-risqueurs les plus expérimentés qui investissent tardivement dans une start-up le font plus souvent lorsque la valeur de la start-up a fortement augmenté, ce qui supporte l’idée de rejoindre un investissement pour améliorer ses performances.
Enfin il montre que la participation moyenne des capital-risqueurs déjà présents dans la start-up
1.7. Les pratiques du capital-risqueur
77
restent constante (ils apportent donc juste les fonds nécessaires au maintient de leur position),
ce qui vérifie un résultat théorique établi par Admati & Pfleiderer (1994).
Brander et al. (2002) comparent les retours sur investissement de 584 start-ups Canadiennes
sorties entre 1992 et 1998. Les sorties incluent les échecs, comptabilisées comme des pertes
complètes. Ils montrent que les start-ups financées par plusieurs investisseurs ont des retours
plus importants. Leur interprétation de ce résultat est basée sur deux modèles théoriques du coinvestissement. Le premier modèle considère que le capital-risqueur recoure au co-investissement
s’il doute de la qualité de la start-up. Cela implique que les start-ups financées par plusieurs
investisseurs sont de moins bonne qualité que les autres, et par conséquent que leurs retours
doivent être inférieurs. Le second modèle montre que si un second capital-risqueur peut apporter de la valeur à la start-up, alors les start-ups ayant été financées par plusieurs investisseurs
ont des retours plus importants. Les deux modèles, basés chacun sur une motivation différente
du co-investissement, mènent donc des conclusions opposées. L’analyse comparative des retours sur investissements permet de discriminer entre elles. Ils en déduisent donc que le coinvestissement permet surtout d’augmenter la valeur de la start-up. Cette conclusion est limitée
car les modèles choisis reposent sur des hypothèses assez réductrices. Cependant le résultat
principal reste valable : le co-investissement augmente la valeur des start-ups financées.
Enfin Manigart, Leuven, Lockett, Meuleman, Wright, Landström, Bruining, Desbrières &
Hommel (2002), à la suite de Lockett & Wright (2001), proposent de mesurer l’importance relative des différentes motivations du co-investissement proposées par la théorie à partir de 317
réponses à un questionnaire envoyé aux capital-risqueur de six pays d’Europe (Suède, France,
Allemagne, Hollande, Belgique, Royaume-Uni). Le premier résultat de cette étude est que les
raisons financières (diversification, montant de l’investissement trop important) sont les plus
importantes pour tous les capital-risqueurs, quelle que soit leur taille ou leur stratégie d’investissement. Ils montrent cependant que pour les capital-risqueurs investissant préférentiellement dans les tours de table précoces les motifs de valeur ajoutée et de meilleure sélection sont
plus importants que pour les capital-risqueurs investissant préférentiellement dans les tours plus
tardifs. Lorsqu’ils sont plus exposés à l’incertitude, les capital-risqueurs sont donc plus sensibles
aux capacités de leurs partenaires permettant de la réduire. Ils montrent aussi que les capitalrisqueurs à la tête de gros fonds sont moins sensibles aux raisons financières, ce qui se com-
Chapitre 1. Les fondements du capital-risque
78
prend aisément. Ils trouvent enfin que l’accès à de nouvelles opportunités d’investissement est
une motivation respectivement plus importante ou équivalente à la sélection des start-ups pour
les capital-risqueurs dans les tours tardifs et pour ceux dans les tours précoces. Cette dernière
motivation n’est donc pas à négliger.
Un dernier aspect du co-investissement est le rôle particulier du meneur de l’investissement.
Lors du co-investissement les capital-risqueurs désignent en général un meneur qui sera en
contact direct avec la start-up, et fera des rapports réguliers aux autres sur son état d’avancement.
A cause de ce rôle particulier le meneur tient une place prépondérante dans l’investissement. Il
détient généralement une plus grande part du capital de la start-up (Wright & Lockett 2003).
C’est lui qui siège au conseil d’administration de la start-up et par conséquent doit être localisé
non loin d’elle (Lerner 1995b). Enfin dans l’hypothèse de l’utilisation du capital-risque comme
moyen d’étendre le champ d’investissement, le meneur est généralement celui qui est proche
de la start-up (Sorenson & Stuart 2001). Le capital-risque meneur est donc l’investisseur clé
de tout co-investissement. Pour revenir aux motivations du co-investissement, Manigart et al.
(2002) montrent aussi dans leur étude que les capital-risqueurs qui prennent moins souvent le
rôle de meneur accordent plus d’importance à la meilleure capacité de sélection et à la valeur
ajoutée apportée par leurs partenaires.
Le co-investissement est donc une pratique courante dont les motivations sont variées. La
motivation financière semble être prépondérante, au moins en Europe. Mais les motivations
basées sur la compétence des capital-risqueurs, meilleure sélection et valeur ajoutée, sont aussi
importantes, et ce d’autant plus que l’incertitude est grande. Enfin la motivation d’accès à de
nouvelles opportunités d’investissement est aussi à prendre en considération. La prise en compte
des seules caractéristiques des capital-risqueurs ne permet pas de différencier aisément entre les
différentes motivations, et leur poids relatif dépend aussi des caractéristiques de la start-up et
de l’adéquation entre son profil et celui des capital-risqueurs.
1.7.6
Un modèle séquentiel de l’investissement en capital-risque
A partir des deux sections précédentes il est possible de bâtir un modèle économétrique
du cheminement de la start-up d’un tour de table à un autre en fonction des caractéristiques des
1.7. Les pratiques du capital-risqueur
79
investissements qu’elle reçoit. Ce modèle permet d’étudier l’influence du co-investissement, des
montants investis et les spécificités de chaque industrie sur le parcours suivi par les start-ups.
Pour suivre la logique séquentielle de l’investissement par étape de la Figure 1.26, nous
construisons un modèle logit multinomial pour chaque type de tour de table. Ces modèles sont
donc des modèles conditionnels au fait que la start-up a déjà passé les étapes précédentes. Le
modèle économétrique s’écrit comme suit.
A chaque étape, la probabilité de passer à une étape suivante si s’écrit :
expXβi
P(Y = si ) =
1 + ∑ j expXβ j
(1.1)
Mais comme les probabilités de transition se somment à l’unité (∑ j P(Y = si ) = 1), on est
obligé de choisir une référence pour identifier le modèle. Le modèle devient alors :


 P(Y = s1 ) =

 P(Y = si ) =
1
Xβ
1+∑ j6=1 exp j
expXβi
Xβ , i 6= 1
Xβ
exp i +∑ j6=1 exp j
(1.2)
Les coefficients βi s’interprètent alors comme une variation de la probabilité d’occurrence
d’une transition particulière par rapport à la référence.
P(Y = si )
= eXβi
P(Y = s1 )
(1.3)
Le calcul des effets marginaux permet de revenir à un effet direct sur la probabilité d’une
transition particulière.
Pour notre modèle, les transitions possibles se font soit vers le tour de table suivant, soit vers
une acquisition, vers une introduction en bourse (IPO) ou alors sur un arrêt des investissements,
auquel cas la start-up reste privée. Nous choisissons comme référence l’étape suivante la plus
probable, c’est-à-dire un nouveau tour de table.
Comme variables explicatives nous considérons le nombre de co-investisseurs sous forme de
classes, le montant moyen investi par chaque co-investisseur, l’industrie de la start-up et l’année
du financement. Nous étudions des tours de tables réalisés entre 1990 et 2000 pour laisser le
temps aux transitions de s’effectuer.
Le Tableau 1.9 présente les statistiques descriptives des données utilisées. Pour le nombre de
co-investisseurs nous rapportons à la fois la moyenne et l’écart-type et la répartition en fonction
Chapitre 1. Les fondements du capital-risque
80
Amorçage
Premier Tour
Second Tour
Tours ultérieurs
co-investisseurs 1.4431 (0.77293)
2.0052 (1.2779)
3.2388 (2.0727)
3.7706 (2.6333)
1.0775 (1.3309)
6.007 (15.139)
10.684 (15.761)
12.473 (21.169)
montant moyen 0.81427 (1.0696)
3.063 (5.7399)
3.3589 (4.7843)
3.6474 (7.708)
46.202%
23.251%
25.269%
27.163%
20.690%
15.778%
15.185%
18.241%
13.77%
6.3694%
14.455%
11.357%
5.0817%
23.362%
33.827%
montant total
1 investisseur
2 co-investisseurs
3 co-investisseurs
4 co-investisseurs
69.018%









30.982%
5+ co-investisseurs
NTIC
52.928%
56.253%
56.151%
56.986%
Santé
23.329%
16.671%
19.855%
23.220%
Commerce
21.899%
25.296%
22.156%
16.954%
Autre
1.8442%
1.7803%
1.8371%
2.8392%
Premier Tour
73.398%
0%
0%
0%
Second Tour
0%
65.301%
0%
0%
Tours ultérieurs
0%
0%
63.036%
53.904%
Acquisition
5.0254%
8.6941%
12.303%
15.413%
Privée
21.577%
24.129%
19.577%
18.191%
IPO
0%
1.8754%
5.0844%
12.492%
N=
2169
11571
5389
4931
TAB . 1.9: Statistiques descriptives des données utilisées pour l’estimation des modèles logit
multinomiaux de transition entre les tours de table. Moyenne et écart-type pour les variables
quantitatives, répartition pour les variables qualitatives.
1.7. Les pratiques du capital-risqueur
81
des classes que nous avons proposées. On constate que le nombre de co-investisseurs augmente
avec l’avancement de l’étape de financement. Les investissements d’amorçage sont essentiellement le fait d’investisseurs uniques, alors que ce n’est plus le cas que d’un peu moins de la
moitié des premiers tours et de seulement un quart des tours de table suivants. Les montants investis augmentent à chaque nouvelle étape, aussi bien le montant moyen, c’est-à-dire le montant
investi par investisseur, que le montant total qui est le produit du montant moyen et du nombre
de co-investisseurs. Cela correspond au fait que les besoins des start-ups s’accroissent au fur et à
mesure de leur développement. Cette augmentation est importante, on passe d’un million d’euros pour un tour d’amorçage à 12 millions d’euros pour un tour ultérieur. Ce besoin d’argent
plus important est aussi une motivation de l’augmentation du nombre des co-investisseurs.
La répartition des tours de table par industrie est sensiblement la même pour chaque étape.
L’industrie dominante est celle des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). Les deux autres industries de la santé et du commerce sont à peu près de taille
équivalente.
Finalement, pour ce qui est des transitions on constate que le passage au tour de table suivant
est toujours l’issue la plus probable. Cependant cette probabilité diminue avec le développement
de la start-up au profit des deux sorties possibles pour la start-up, l’acquisition et l’introduction
en bourse (IPO). La probabilité que la start-up ne reçoivent plus de financement et reste privée
diminue elle aussi à chaque nouvelle étape de financement.
Les Tableaux 1.10 à 1.13 présentent les estimations obtenues. Les tableaux en haut de page
fournissent les coefficients du modèle et leur significativité. Afin de pouvoir mieux quantifier les effets de chaque variable les tableaux en bas de page donnent les effets marginaux de
chaque variable. Pour la seule variable continue du modèle, le montant moyen investi, nous
avons calculé son élasticité. Pour les indicatrices nous rapportons directement l’effet brut d’un
changement de zéro à un de l’indicatrice.
Dans le cas de l’amorçage, le trop faible nombre d’introductions en bourse ne permet pas
d’estimer les coefficients correctement, il y aura donc une transition en moins. De même le
nombre de co-investisseurs étant beaucoup plus faible à ce stade on ne considérera qu’une
indicatrice indiquant qu’il y a eu co-investissement.
Chapitre 1. Les fondements du capital-risque
82
Amorçage
Acquisition
Privée
constante
-2.0933
*** -0.12104
co-investissement
-0.33095
-0.65468 ***
montant moyen
-0.014763
-0.21924 ***
NTIC
référence
Santé
-0.85976
Commerce
0.17015
0.40271
**
Autres
-0.47876
1.3949
***
Année
Pseudo R2
**
-0.13584
indicatrices
0.083101
Signif. : *** < 0.1% ; ** < 1% ; * < 5% ; . < 10%
Premier Tour Acquisition
Privée
X
montant moyen(e)
0.034219
0.022198
-0.1443
0.81427
co-investissement
0.099574
-0.0093833
-0.090191
0.30982
Santé
0.046043
-0.031989
-0.014054
0.23329
Commerce
-0.067977
0.003875
0.064102
0.21899
Autre
-0.26915
-0.029279
0.29843
0.018442
Prob
0.76325
0.048323
0.18842
TAB . 1.10: Logit multinomial pour le devenir des tours d’amorçage. Tableau du haut : coefficients du modèle. Tableau du bas : effets marginaux des variables. (e) : élasticité pour la seule
variable continue du modèle.
1.7. Les pratiques du capital-risqueur
83
Premier Tour
Acquisition
Privée
IPO
constante
-1.5822
***
0.082153
.
-4.436
***
2 co-investisseurs
-0.23504
**
-0.63616
***
-0.63877
***
3 co-investisseurs
-0.41378
***
-0.90382
***
-0.49058
*
4 co-investisseurs
-0.27051
.
-0.88099
***
-0.78238
*
5+ co-investisseurs
-0.33726
*
-0.99546
***
-0.4989
montant moyen
0.022483
***
-0.00043969
NTIC
***
référence
Santé
-0.6757
Commerce
-0.016798
Autre
-0.90336
***
*
Année
Pseudo R2
0.041856
-0.29161
***
0.096662
0.33494 ***
0.27372
0.4383
*
0.52873
indicatrices
0.082783
Signif. : *** < 0.1% ; ** < 1% ; * < 5% ; . < 10%
Second Tour Acquisition
Privée
IPO
X
montant moyen(e)
-0.0077083
0.061156
-0.009055
0.12049
3.063
2 co-investisseurs
0.10536
-0.0075668
-0.091786
-0.0060072
0.27163
3 co-investisseurs
0.14025
-0.01845
-0.11815
-0.0036597
0.15185
4 co-investisseurs
0.12633
-0.0085781
-0.11128
-0.0064797
0.063694
5+ co-investisseurs
0.13768
-0.012841
-0.12111
-0.0037304
0.050817
Santé
0.076325
-0.04303
-0.036282
0.0029877
0.16671
Commerce
-0.052114
-0.0083402
0.057639
0.0028148
0.25296
Autre
-0.044472
-0.057184
0.093704
0.0079525
0.017803
Prob
0.68575
0.090579
0.21
0.013677
TAB . 1.11: Logit multinomial pour le devenir des premiers tours de table. Tableau du haut :
coefficients du modèle. Tableau du bas : effets marginaux des variables. (e) : élasticité pour la
seule variable continue du modèle.
Chapitre 1. Les fondements du capital-risque
84
Second Tour
Acquisition
Privée
IPO
-4.0686
constante
-1.3219
***
0.032309
2 co-investisseurs
-0.29257
*
-0.55908
3 co-investisseurs
-0.13865
4 co-investisseurs
-0.3462
5+ co-investisseurs
-0.16758
montant moyen
0.019576
*
*
NTIC
0.047179
-0.77185 ***
-0.28732
-0.76653
***
-0.30118
-0.96198 ***
0.53408
0.0028407
**
0.073333 ***
référence
Santé
-0.51125
Commerce
-0.048993
Autre
-0.14419
Année
Pseudo R2
***
***
***
-0.25373
*
0.14915
0.50387 ***
0.18607
0.53715
*
-0.36362
indicatrices
0.072671
Signif. : *** < 0.1% ; ** < 1% ; * < 5% ; . < 10%
Tours ultérieurs
Acquisition
Privée
IPO
X
montant moyen(e)
-0.019528
0.046225
-0.0099858
0.22679
3.3589
2 co-investisseurs
0.080187
-0.021225
-0.065612
0.0066492
0.2069
3 co-investisseurs
0.0942
-0.00031699
-0.088324
-0.0055587
0.18241
4 co-investisseurs
0.11088
-0.022349
-0.083279
-0.0052518
0.14455
5+ co-investisseurs
0.08799
-0.0047922
-0.11406
0.030867
0.23362
Santé
0.063019
-0.047268
-0.025812
0.010061
0.19855
Commerce
-0.062616
-0.017806
0.076891
0.0035311
0.22156
Autre
-0.054702
-0.026259
0.095095
-0.014134
0.018371
Prob
0.66573
0.12741
0.16811
0.038755
TAB . 1.12: Logit multinomial pour le devenir des second tours de table. Tableau du haut :
coefficients du modèle. Tableau du bas : effets marginaux des variables. (e) : élasticité pour la
seule variable continue du modèle.
1.7. Les pratiques du capital-risqueur
85
Tours ultérieurs
Acquisition
constante
-0.84811
2 co-investisseurs
-0.18503
3 co-investisseurs
-0.28637
4 co-investisseurs
5+ co-investisseurs
Privée
***
IPO
0.025483
-2.5217 ***
-0.49179
***
-0.13381
*
-0.65442
***
0.027777
-0.35602
*
-0.81446
***
-0.1776
-0.45483
***
-1.1327
***
0.11513
montant moyen -0.00080521
0.0067341
NTIC
0.039053
***
référence
Santé
-0.40143
Commerce
-0.11896
Autre
-0.51384
Année
***
.
-0.28688
**
0.10062
0.41523
***
-0.085121
-0.15069
0.045342
indicatrices
Pseudo R2
0.0422
Signif. : *** < 0.1% ; ** < 1% ; * < 5% ; . < 10%
Tours ultérieurs Acquisition
Privée
IPO
X
montant moyen(e)
-0.019779
-0.022715
0.0047833
0.12266
3.6474
2 co-investisseurs
0.06792
-0.010613
-0.055376
-0.0019311
0.15778
3 co-investisseurs
0.077082
-0.023244
-0.072913
0.019075
0.1377
4 co-investisseurs
0.10916
-0.025811
-0.083847
0.0005031
0.11357
5+ co-investisseurs
0.12786
-0.034776
-0.13307
0.039986
0.33827
Santé
0.053073
-0.045303
-0.0308
0.02303
0.2322
Commerce
-0.028365
-0.025627
0.068777
-0.014785
0.16954
Autre
0.050491
-0.055988
-0.010407
0.015903
0.028392
Prob
0.56038
0.15913
0.16718
0.11331
TAB . 1.13: Logit multinomial pour le devenir des tours de table ultérieurs. Tableau du haut :
coefficients du modèle. Tableau du bas : effets marginaux des variables. (e) : élasticité pour la
seule variable continue du modèle.
Chapitre 1. Les fondements du capital-risque
86
L’intérêt de ce modèle est qu’il permet de différencier les effets de chaque variable à chaque
tour de table assez finement puisque toutes les transitions possibles sont prises en compte.
Si l’on considère l’effet du co-investissement, on constate que l’effet majeur quel que soit
l’étape de financement et quel que soit le nombre de co-investisseurs est de restreindre la probabilité que la start-up reste privée. Cet effet est assez fort, il est de l’ordre de 10% quand la
probabilité de rester privée est de l’ordre de 20%.
Si on détaille l’effet par étape de financement, on constate qu’au premier tour de table, le
co-investissement pousse fortement vers le second tour de table, il a un impact négatif sur toutes
les autres transitions. Au second tour on voit apparaître une réorientation vers les introductions
en bourse, notamment pour les tours de table faisant intervenir de nombreux co-investisseurs.
Enfin, lors des tours ultérieurs le co-investissement favorise indifféremment une sortie par introduction en bourse ou un nouveau tour de table.
Enfin, si l’on détaille l’effet du co-investissement en fonction du nombre de co-investisseurs,
on constate que l’essentiel de l’effet vient dès le second partenaire. L’effet augmente ensuite
légèrement mais dans des proportions moindres. Le co-investissement a donc des rendements
décroissants.
Le montant moyen investi est clairement un indicateur de la sortie prochaine de la start-up.
Un montant moyen plus important augmente en général la probabilité d’une sortie par acquisition ou par introduction en bourse, la préférence se déplaçant vers les introductions en bourse
pour les tours plus tardifs. Les capital-risqueurs prêt à investir un montant plus important s’attendent visiblement à une sortie rapide.
C’est au second tour que l’effet est le plus important, l’élasticité du montant investi sur la
probabilité de sortir par une introduction en bourse est alors de 0.23 alors qu’elle est de 0.12 au
premier tour et pour les tours ultérieurs. C’est donc à ce moment là qu’un investissement plus
important est le plus critique.
On peut aussi noter quelques spécificités suivant les industries. L’industrie des nouvelles
technologies de l’information et de la communication (NTIC) qui est la plus importante est la
référence. Par contraste, les start-ups de la santé ont tendance à moins sortir par acquisition
et à rester privée moins souvent. L’effet est particulièrement net pour les tours ultérieurs. Par
conséquent ces start-ups sortent plus souvent par une introduction en bourse. Enfin les start-ups
1.8. L’environnement du capital-risque
87
commerciales ont elle une nette tendance à moins sortir que les autres. Il s’agit certainement
d’un effet de la bulle internet qui a vu notamment l’explosion des start-ups crées dans cette
industrie.
Ce modèle séquentiel permet donc une analyse assez fine des transitions entre les différentes
étapes de financement des start-up. On montre notamment l’interaction non triviale entre les
deux pratiques des capital-risqueurs d’investissement par étape et de co-investissement. Globalement, un tour de table réunissant un plus grand nombre de capital-risqueurs tend plus souvent
à être suivi d’un nouveau tour de table ou d’une introduction en bourse. Le co-investissement
permet donc bien d’améliorer les perspectives de la start-up.
1.8 L’environnement du capital-risque
Le capital-risque ne constitue qu’une étape dans le développement et la commercialisation d’une innovation. Il est donc fortement dépendant des étapes précédentes et suivantes,
la recherche qui génère de nouvelles innovations et les marchés de sorties qui permettent de
passer au stade de développement suivant pour la start-up, l’industrialisation de la production.
Le capital-risque est aussi sensible au cadre légal dans lequel il s’exerce, et surtout à la protection de la propriété intellectuelle.
La Figure 1.28 replace le capital-risque dans son environnement. Verticalement il joue le
rôle d’intermédiaire entre les investisseurs institutionnels et les start-ups. Horizontalement le
capital-risque est une étape située entre la recherche et les marchés de sorties. Le capital-risque
se situe donc dans une double situation d’intermédiaire. Par conséquent son efficacité ne peut
se juger qu’en considérant les contraintes ou les opportunités apportées par son environnement.
Les sous-sections suivantes détaillent, dans l’ordre de l’importance donnée à chacun dans
la littérature, l’influence des marchés de sortie, de la protection intellectuelle et de la recherche
sur le capital-risque.
Chapitre 1. Les fondements du capital-risque
88
Investisseurs Institutionnels
fonds
capital−risqueurs
Capital−risque
fonds, assistance
Marchés financiers
progrès technique
Recherche
Start−up
sortie
Marché acquisitions
entrepreneurs
F IG . 1.28: L’environnement du capital-risque
1.8.1
Marchés de sortie
Les capital-risqueurs sont spécialisés dans la gestion des premières phases de développement de la start-up. Une fois celle-ci parvenue à maturité ils ne possèdent de toutes façons pas
assez de fonds pour financer la phase suivante, l’industrialisation de la production. Mais comme
l’incertitude sur la valeur de la start-up a largement diminué il est possible d’avoir recours à des
modes de financements plus classiques, notamment aux marchés financiers ou à la revente.
Encore faut-il qu’il existe des marchés pour effectuer ces transactions.
Black & Gilson (1998), et plus récemment Jeng & Wells (2000), attribuent le succès du
capital-risque aux Etats-Unis à leur marché du capital centré sur les marchés financiers, par
comparaison à celui centré sur les banques en l’Allemagne et au Japon. Les marchés financiers
offrent en effet une voie de sortie naturelle pour les capital-risqueurs. Ces marchés de sortie
pour les start-ups sont cependant particuliers. Les conditions d’entrée au NASDAQ (National
Association of Securities Dealers Automatic Quotation System), marché financier spécialisé
dans la cotation des jeunes entreprises aux Etats-Unis, ou au second marché en France sont
allégées par rapport à celle d’un marché financier classique, notamment sur le nombre de bilans
positifs successifs à présenter. Les start-ups étant très jeunes, avec un mode de développement
1.8. L’environnement du capital-risque
89
basé sur de l’investissement à long terme, elles ont souvent très peu de bilan à présenter et la
plupart sont négatifs. Les investisseurs du NASDAQ savent donc que leurs investissements sont
plus risqués que sur un marché classique, cependant la prise de risque est sans commune mesure
avec l’investissement initial de capital-risque, et les gains espérés sont encore très attractifs.
Le marché pour l’acquisition de start-up est plus informel puisqu’il ne dépend que de la
volonté des industriels d’exploiter les innovations portées par de jeunes entreprises innovantes.
Cependant il constitue un mode de sortie fréquent. Sa vitalité est donc aussi essentielle pour le
développement du capital-risque. Historiquement on constate que les deux modes de sortie se
développent en parallèle dans les premiers temps, mais depuis l’éclatement de la bulle internet
en 2001 la sortie par acquisition semble être la voie de sortie privilégiée (Rivaud-Danset &
Vignes 2004).
L’existence de marchés de sorties, marché financier et marché pour l’acquisition, est une
donc nécessité pour le bon fonctionnement du capital-risque. Leur vitalité est une des composantes du succès du capital-risque comme mode de financement de l’innovation.
1.8.2 Protection de la propriété intellectuelle
Pour une start-up, un brevet représente le seul actif de valeur qu’elle puisse posséder. Le
capital-risque est donc particulièrement sensible à la qualité de la protection de la propriété
intellectuelle.
Le capital-risque, et en particulier le secteur des biotechnologies où la durée de développement d’un médicament est telle (10 ans) que la protection par un brevet est indispensable,
est donc un domaine privilégié pour l’étude de l’impact de la protection de la propriété intellectuelle sur l’économie. Lerner (1994a) montre à partir d’une base de données sur des start-ups
en biotechnologie comment l’étendue de la protection accordée par le brevet augmente sur la
valeur de la start-up qui le détient. Et Lerner (1995a) montre sur les mêmes données que la
différence de coûts légaux afférents à la protection des brevets entre les entreprises change leur
stratégie. Les entreprises ayant des coûts légaux plus élevés, les entreprises jeunes et petites,
déposent de préférence des brevets dans des domaines moins concurrentiels. Elles évitent notamment les domaines où leurs concurrents ont des coûts légaux faibles, les entreprises plus
Chapitre 1. Les fondements du capital-risque
90
anciennes et plus grosses. La nature de la protection de la propriété intellectuelle influence donc
l’activité des start-ups et par là des capital-risqueurs. Cependant dans leur étude sur l’impact du
capital-risque sur l’innovation, Kortum & Lerner (2000) suggèrent que la propension à breveter
des start-ups n’est pas plus importante que celle des autres entreprises. L’influence de la qualité
de protection de la propriété intellectuelle sur le capital-risque devrait donc être similaire à celle
sur la R&D classique.
Le capital-risque comme toute activité d’innovation est donc sensible à la politique de protection de la protection intellectuelle, qui influence notamment les domaines dans lesquels celuici peut se développer.
1.8.3
Lien avec la recherche
Le capital-risque est un moyen de financer l’innovation. Les innovations proposées sont
en général portées par des entrepreneurs issus des départements recherche et développement
d’entreprises industrielles, souvent elles même d’anciennes start-ups d’ailleurs, de laboratoires
de recherche publics ou bien de jeunes étudiants formés aux nouvelles technologies. Dans tous
les cas l’influence de la recherche est double. Elle fourni les entrepreneurs, directement ou
indirectement par la formation des étudiants, et le support essentiel de l’innovation : le progrès
technologique.
Les liens entre capital-risque et recherche sont multiples. Si la recherche alimente le capitalrisque en innovations et en entrepreneurs, le capital-risque en retour peut servir de source de
financement de la recherche en valorisant les innovations issues de et licenciées par celle-ci.
De plus les liens informels entre capital-risqueurs et chercheurs permettent une meilleure information des premiers sur les avancées technologiques, et donc une meilleure évaluation et
sélection des projets à financer. Ils permettent aussi de faciliter aux chercheurs la recherche de
financement de leurs projets d’innovation. Certains voient d’ailleurs dans la politique active de
l’université de Stanford en faveur du développement de ces liens informels une des raisons du
succès de la Silicon Valley (Castilla et al. 2000).
Le dynamisme de la recherche, ainsi que les interactions entre chercheurs et capital-risqueurs
sont donc des éléments essentiels d’un fonctionnement efficace du capital-risque. En plus de son
1.9. Conclusion
91
rôle de production d’innovations, le capital-risque peut aussi être envisagé comme un outil de
valorisation et de financement de la recherche.
1.9 Conclusion
Le capital-risque est donc un mode de financement spécifique pour les jeunes entreprises
innovantes, les start-ups, qui présentent un haut niveau de risque pour l’investisseur mais en qui
peuvent rapporter un gain très important en cas de succès.
Face à l’incertitude de l’investissement, les capital-risqueurs mettent en oeuvre des pratiques
qui leur permettent de réduire et de mieux gérer leur exposition au risque.
En particulier, ils sélectionnent très sévèrement les projets de start-ups qu’ils financent ; ils
retiennent environ 1% des projets qui leur sont présentés. Les deux critères essentiels pris en
compte dans l’évaluation de la qualité d’un projet de start-up sont le marché potentiel ouvert
par l’innovation et la qualité de l’équipe dirigeante. L’investissement en capital-risque requière
donc une expertise particulière permettant l’évaluation des projets à financer.
Les capital-risqueurs sont aussi très actifs une fois la décision d’investissement prise. D’une
part, ils réalisent leur investissement par étape, ce qui leur permet de limiter les risques et de
mieux contrôler l’entrepreneur. D’autre part ils siègent au conseil d’administration de la start-up
et participent activement à la gestion de la start-up, en proposant le recrutement d’un directeur
commercial ou la mise ne place d’un plan de stock-options pour les employés par exemple.
Un capital-risqueur doit être aussi capable d’apporter conseil et assistance aux start-ups de son
portefeuille.
Enfin, les capital-risqueurs co-investissent souvent pour deux raisons essentielles. Ils cherchent
tout d’abord à limiter les risques, en les partageant avec d’autre et en diversifiant mieux leur
portefeuille d’investissement. Ils recherchent aussi chez leurs partenaires le capital humain
qu’ils apportent à la start-up, que ce soit en terme de meilleure sélection des projets ou de
valeur ajoutée par le suivi et le conseil.
Le capital-risque occupe une double position d’intermédiaire : entre la recherche et développement et l’industrialisation de l’innovation d’une part, entre les investisseurs institutionnels et les
start-ups d’autre part. Sa position d’intermédiaire en tant que mode de financement privilégié
92
Chapitre 1. Les fondements du capital-risque
des start-ups, c’est-à-dire pour le développement initial des innovations, se justifie par l’inefficacité des modes de financement classiques, marché bancaire et marché financier, et les pratiques particulières qui lui permettent de faire face à un haut niveau d’incertitude. Sa position
d’intermédiaire entre les investisseurs institutionnels et les start-ups se justifie par la compétence
spécifique des capital-risqueurs, qui leur permet de bien sélectionner les projets à financer, et
d’accompagner les start-ups financées vers le succès.
Première partie
Compétence et efficacité du capital-risque
93
95
Dans cette première partie, nous étudions la relation entre la compétence des capital-risqueurs
et l’efficacité du capital-risque. Pour cela nous proposons un modèle en deux parties du fonctionnement du capital-risque basé sur une double sélection, celle des start-ups par les capitalrisqueurs et celle des capital-risqueurs par les investisseurs institutionnels. Les capital-risqueurs
en tant qu’intermédiaires entre les start-ups et les investisseurs institutionnels sont donc au centre de ce modèle.
L’efficacité du capital-risque est envisagée ici suivant deux points de vue, celui du rôle de
la compétence des capital-risqueurs pour la sélection des meilleures start-ups, et partant pour le
financement de l’innovation, et celui de la capacité du capital-risque à sélectionner les capitalrisqueurs compétents nécessaires à son bon fonctionnement. Les deux chapitres composant cette
partie traitent chacun un de ces points de vue.
Dans le chapitre 2, nous supposons les capital-risqueurs homogènes en compétence et nous
étudions l’influence du niveau de compétence des capital-risqueurs sur la qualité de la sélection
qu’ils réalisent. Ce premier modèle permet d’étudier l’influence relative de la compétence et
des autres facteurs déterminant la rentabilité du capital-risque. En définissant l’efficacité du
capital-risque comme sa capacité à financer un maximum d’innovation tout en étant rentable,
nous montrons aussi qu’un trop grand niveau de compétence peut avoir un effet négatif sur
l’efficacité et que le niveau de compétence optimal n’est pas le niveau maximal.
Dans le chapitre 3, les capital-risqueurs sont désormais hétérogènes et nous étudions la
capacité pour le marché de sélectionner des capital-risqueurs suffisamment compétents. Cette
sélection est réalisée par les investisseurs institutionnels qui financent des fonds d’investissement à durée limitée et qui ont le choix au terme de chaque fond entre renouveler leur confiance
au capital-risqueur ou à confier leur prochain fond à un nouvel entrant. Ce second modèle montre que la sélection permet de ne retenir que des capital-risqueurs suffisamment compétents,
mais que le choix de la taille des fonds de capital-risque arbitre entre le nombre de capitalrisqueurs éliminés à tort et le risque pris par les investisseurs institutionnels. Le modèle permet
aussi d’étudier l’interaction entre la sélection et l’apprentissage des capital-risqueurs et de déterminer les conditions dans lesquels ces deux processus sont complémentaires ou concurrents.
96
Chapitre 2
Le processus de sélection des start-ups
97
Chapitre 2. Le processus de sélection des start-ups
98
Sommaire
2.1
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
2.2
Un tour d’horizon de la littérature . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100
2.3
Mise en évidence empirique de la compétence des capital-risqueurs . 105
2.4
2.5
2.6
2.7
99
2.3.1
Mesure du succès de l’investissement . . . . . . . . . . . . . . . 106
2.3.2
Mesure de la compétence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108
2.3.3
Décisions d’investissement du capital-risqueur . . . . . . . . . . 110
2.3.4
Les données . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111
2.3.5
Modèle économétrique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118
2.3.6
Statistiques descriptives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119
2.3.7
Estimations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122
Le modèle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127
2.4.1
Les start-ups . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127
2.4.2
Les capital-risqueurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129
2.4.3
Le marché . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130
Analyse du modèle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131
2.5.1
Paramètres du modèle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131
2.5.2
Hypothèses simplificatrices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 132
2.5.3
Calcul de la rentabilité du capital-risque . . . . . . . . . . . . . 133
2.5.4
Frontière de rentabilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 137
Simulations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140
2.6.1
Evaluation privée plutôt que partagée . . . . . . . . . . . . . . . 141
2.6.2
Distribution de qualité Gaussienne . . . . . . . . . . . . . . . . 141
2.6.3
Marché centralisé ou décentralisé ? . . . . . . . . . . . . . . . . 144
Efficacité du capital-risque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149
2.7.1
Mesures de l’efficacité de la sélection et du capital-risque . . . . 149
2.7.2
Libre entrée simple . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151
2.7.3
Libre entrée avec anticipation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151
2.8
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 156
2.9
Annexe : Calcul de la qualité moyenne de la sélection . . . . . . . . . 159
2.1. Introduction
99
2.1 Introduction
Comme nous l’avons vu dans le Chapitre 1, le capital-risqueur joue un rôle d’intermédiaire
entre les investisseurs institutionnels et les start-ups. Ce rôle d’intermédiaire se justifie notamment par la valeur ajoutée apportée par le capital-risqueur dans sa relation à la start-up. Dans
ce chapitre, nous nous concentrons donc sur la relation capital-risqueur/start-up et plus particulièrement sur la sélection des start-ups par les capital-risqueurs.
L’objectif de ce chapitre est de proposer un modèle du marché du financement des start-ups
par les capital-risqueurs et d’identifier les facteurs déterminant la performance du capital-risque.
La thèse centrale de notre étude est que la compétence des capital-risqueurs est un facteur clé de
la performance du capital-risque, ce que nous montrons à la fois par une analyse économétrique
et grâce à un modèle théorique. Mais nous montrons aussi que la compétence n’est pas le seul
facteur influent. La rentabilité du capital-risque dépend aussi de son environnement d’une part,
et de l’intensité de la sélection d’autre part. Le modèle montre d’ailleurs que l’intensité de la
sélection et la compétence des capital-risqueurs sont substituables, ce qui signifie que le capitalrisque peut très bien être rentable avec des capital-risqueurs peu compétents.
La simulation du modèle dans des conditions plus générales que celles de l’analyse nous permet de montrer un résultat surprenant. On considère deux cas polaires : un marché centralisé, où
un seul agent réalise tous les investissements, et un marché décentralisé, où des capital-risqueurs
indépendants réalisent chacun un unique investissement. Nous montrons alors que l’organisation optimale du marché dépend de la forme de la distribution du bruit dans l’évaluation de la
qualité des start-ups par les capital-risqueurs.
Enfin si l’on considère, comme le Général Doriot10 , que l’objectif du capital-risque est
de financer l’innovation tout en étant rentable, on peut dériver une mesure de l’efficacité du
capital-risque. Nous montrons alors que si l’entrée des capital-risqueurs sur le marché est libre,
l’efficacité du capital-risque augmente avec le niveau de compétence des capital-risqueurs. Mais
si les capital-risqueurs n’entrent sur le marché que lorsqu’ils anticipent des profits positifs, un
trop haut niveau de compétence peut diminuer l’efficacité du capital-risque. Il existe alors un
10 Voir
l’histoire du capital-risque, section 1.2 du Chapitre 1
Chapitre 2. Le processus de sélection des start-ups
100
niveau optimal de compétence qui maximise le nombre d’innovations financées sous condition
de rentabilité.
Ce chapitre reprend et étend les résultats présentés dans l’article de Mas & Vignes (2006).
Il est organisé comme suit. La section 2 motive notre étude par rapport à la littérature. La
section 3 présente le modèle empirique permettant la mise en évidence de la compétence des
capital-risqueurs. La section 4 présente le modèle du marché du financement des start-ups par
les capital-risqueurs. La section 5 propose une analyse d’une version simplifiée du modèle. La
section 6 étend l’étude du modèle par la simulation à différentes conditions et à différentes
organisations du marché. Enfin la section 7 étudie l’efficacité du marché en terme de capacité
de financement de l’innovation.
2.2
Un tour d’horizon de la littérature
Dans la littérature sur la relation entre capital-risqueur et start-up, trois rôles principaux
sont reconnus aux capital-risqueurs : un rôle de sélection des start-ups dans lesquelles investir,
un rôle de rédaction de contrat, et un rôle de supervision et de conseil aux start-ups financées
(Kaplan & Stromberg 2001).
Le rôle de conseil et de supervision est le rôle généralement considéré comme le plus spécifique du capital-risqueur11 . Il est revendiqué comme tel par les capital-risqueurs eux-mêmes ; le
capital-risque, ainsi que le capital-investissement en général, est considéré comme le type d’investissement par excellence où l’investissement actif est non seulement une vertu mais aussi
une nécessité.
Le rôle de conseil et d’assistance des capital-risqueurs a notamment été mis en évidence
par les études de Gorman & Sahlman (1989) qui montrent que les capital-risqueurs passent
en moyenne 60% de leur temps en relation avec les start-ups de leur portefeuille, de Sapienza
(1992) qui montre que les start-ups qui bénéficient de plus de soutien de la part des capitalrisqueurs ont plus de valeur, et de Hellmann & Puri (2000, 2002) qui montrent que les start-ups
financées par des capital-risqueurs sortent plus rapidement leur produit sur le marché et sont
11 voir
aussi la section 1.7.3 du Chapitre 1
2.2. Un tour d’horizon de la littérature
101
plus à même d’embaucher un directeur commercial, de mettre en place un plan de stock-option
pour leurs employés et de voir l’entrepreneur remplacé par un manager extérieur.
Dans une optique plutôt de supervision et de relation d’agence, Gompers (1995) justifie
l’investissement par étape par la nécessité de surveiller les décisions prises par l’entrepreneur.
Comme ce contrôle est coûteux, le temps entre deux étapes dépendra de l’importance des
risques d’agence encourus. Il montre à partir d’une étude sur 794 start-ups financées entre 1961
et 1992 que les étapes de financement sont plus rapprochées lorsque le capital de la firme est
plus immatériel et que l’intensité d’investissement en R&D est plus grand.
Le rôle de rédaction du contrat a pour objectif de résoudre les risques d’agence qui existent
entre le capital-risqueur qui investit dans la start-up (le principal) et l’entrepreneur, c’est-à-dire
le dirigeant/fondateur ou l’équipe dirigeante de la start-up (l’agent). Dans le cas du capitalrisque, les principaux risques d’agence considérés sont l’asymétrie d’information sur la qualité
du projet de start-up, supposée connue de l’entrepreneur mais pas du capital-risqueur, l’aléa
moral, qui provient soit du niveau d’effort fourni par l’entrepreneur soit de l’existence d’un
bénéfice privé pour ce dernier, et enfin les risques de hold-up, soit de la part du capital-risqueur
qui pourrait voler l’idée de l’entrepreneur pour la mettre en oeuvre avec une autre équipe, soit
de la part de l’entrepreneur qui pourrait refuser d’être remplacé par un manager plus compétent.
On peut distinguer deux courants dans la littérature théorique sur les risques d’agence entre
le capital-risqueur et l’entrepreneur. Le premier courant s’intéresse plutôt à l’étude des contrats
liant capital-risqueurs et entrepreneurs. Les auteurs cherchent en particulier à expliquer un fait
stylisé spécifique du capital-risque : l’allocation différenciée des droits de contrôle sur la startup et des parts de capital, par opposition à un simple droit de vote proportionnel à la part de
capital. En effet les contrats entre capital-risqueur et entrepreneur accordent souvent le droit
au capital-risqueur de prendre le contrôle de la start-up en cas de mauvaise performance, pour
remplacer l’entrepreneur par un autre manager par exemple. En cas de bonnes performances,
le capital-risqueur se contente de sa part de capital et laisse le contrôle total à l’entrepreneur.
Souvent l’indicateur de performance utilisé est un objectif fixé a priori, par exemple un certain
chiffre d’affaire ou un dépôt de brevet.
Dans cette ligne, Aghion & Bolton (1992) considèrent que l’entrepreneur jouit d’un bénéfice privé lorsqu’il dirige sa start-up ce qui peut l’inciter à ne pas choisir la meilleure action à
102
Chapitre 2. Le processus de sélection des start-ups
entreprendre du point de vue du capital-risqueur. Ils montrent qu’un contrat qui conditionne le
contrôle de la start-up par l’entrepreneur à une bonne performance permet de régler ce problème d’agence efficacement. Dans le même esprit Hellmann (1998) considère que l’allocation
des droits de contrôle conditionnée à une bonne performance permet d’éviter un hold-up de la
part de l’entrepreneur lorsque ce dernier peut s’opposer à son remplacement par un manager
plus compétent. Enfin Kaplan & Stromberg (2000) confirment par l’analyse de 200 contrats
entre capital-risqueurs et start-ups l’existence de clauses contingentes à des objectifs de performances qui régulent l’allocation du contrôle et des parts de capital. Ces clauses sont cohérentes
avec les prédictions des modèles théoriques précédents.
Le deuxième courant s’attache plutôt à justifier le rôle d’intermédiaire financier joué par
le capital-risqueur entre les investisseurs institutionnels et les entrepreneurs par leur capacité à
réduire les risques d’agence et notamment l’asymétrie d’information. Chan (1983) justifie déjà
le rôle des intermédiaires financiers tels que les capital-risqueurs en tant qu’agents permettant
de lever l’asymétrie d’information. Il montre en effet que si l’information sur la qualité des
projets d’investissement proposés par les entrepreneurs est coûteuse, il y a un risque de sélection
adverse à la Akerlof (1970) qui peut empêcher le marché d’exister. Ce risque disparaît s’il existe
des investisseurs à coûts d’investigation nuls. Les intermédiaires financiers tels que les capitalrisqueurs peuvent jouer ce rôle en facturant leurs coûts d’investigation à leurs clients.
Dans la même ligne Admati & Pfleiderer (1994) montrent que le capital-risqueur, qui bénéficie de l’information interne à la start-up puisqu’il la suit de près, peut jouer un rôle de valorisation indépendant de la start-up lors des étapes de financement successives ouvertes à des
investisseurs extérieurs. Il doit pour cela conserver une part constante du capital de la start-up,
de sorte qu’il n’ait aucun intérêt personnel à donner une fausse valeur. Enfin Amit et al. (1998)
justifient explicitement l’existence des capital-risqueurs par leur capacité à réduire les risques
d’agence. Ils introduisent tout d’abord dans un modèle principal-agent classique des compétences particulières au capital-risqueur qui lui permettent de surveiller l’entrepreneur et d’apporter à la start-up des services à forte valeur ajoutée, ce qui réduit les risques d’aléa moral. Ils
introduisent ensuite une compétence d’investigation, qui permet au capital-risqueur de s’assurer
que le projet soumis est de bonne qualité, ce qui réduit l’asymétrie d’information. Ils déduisent
de ce modèle que les investisseurs les plus compétents sont capables d’investir dans des indus-
2.2. Un tour d’horizon de la littérature
103
tries où les problèmes d’agence sont trop important pour les autres, typiquement les nouvelles
technologies. Ce sont donc eux qui deviennent capital-risqueurs. Cependant comme l’utilisation
de ces compétences est coûteuse, ils préfèrent au sein de ces industries les investissements où
les problèmes d’agence sont moindres.
Le rôle de sélection des start-ups par contre est moins traité par la littérature12 . Certains
auteurs ont analysé les critères pris en compte par les capital-risqueurs pour la sélection des
projets de start-ups qu’ils financent (Tyebjee & Bruno 1984, Kaplan & Strömberg 2000). Ils
montrent notamment que les deux facteurs prépondérants sont l’anticipation de la croissance
du marché et la qualité de l’équipe dirigeante. Mais peu de travaux ont étudié l’impact de ce
rôle de sélection sur le fonctionnement du capital-risque, à l’exception de Amit et al. (1998) qui
ajoutent une compétence d’investigation à la fin de leur modèle, et de Casamata & Haritchabalet
(2007) qui étudient explicitement le recours au co-investissement en fonction de la compétence
de sélection des capital-risqueurs.
Cette attention moindre portée à la sélection peut venir du cadre principal agent habituellement utilisé pour étudier la relation entre capital-risqueur et entrepreneur. Dans ce cadre, les
problèmes d’information se traduisent par une asymétrie d’information qui peut être résolue
soit par un contrat qui induit les entrepreneurs à présenter un bon projet ou à faire les bons
choix, soit par un menu de contrat qui amène les entrepreneurs à révéler la qualité de leur projet. Or dans le cas du capital-risque on ne se trouve pas forcément en asymétrie d’information
car bien souvent les entrepreneurs ont une mauvaise appréciation de la qualité de leur projet.
Si, comme le montrent les études empiriques, les deux facteurs principaux permettant d’évaluer la qualité des projets sont l’anticipation de la croissance du marché et la qualité de
l’équipe dirigeante, il n’est pas absurde de penser que les capital-risqueurs peuvent avoir plus
d’expérience pour évaluer le premier et plus de recul pour juger le second. Dubocage (2003)
considère d’ailleurs que plutôt qu’à une asymétrie d’information, le capital-risqueur et l’entrepreneur font face à une incertitude partagée. Admati & Pfleiderer (1994), qui se placent
pourtant dans une relation d’agence, reconnaissent que leur modèle ne résout pas le problème
de la sélection. Ils ne considèrent en effet que les stades de financements ultérieurs, mais ils sug12 Voir
la section 1.7.2 du Chapitre 1 pour le détail des travaux empiriques sur la sélection des start-ups par les
capital-risqueurs
Chapitre 2. Le processus de sélection des start-ups
104
gèrent que lors du premier financement il est probable que les capital-risqueurs soient plus aptes
que les entrepreneurs à estimer la vraie valeur du projet de start-up. Suivant cette idée, Gamaise
(2001) propose un modèle où les investisseurs sont mieux informés que les entrepreneurs. Mais
il n’étudie que le contrat choisi par les agents en fonction de leurs croyances respectives, sans
s’interroger sur l’efficacité de la sélection en elle-même.
S’il n’y a pas d’asymétrie d’information mais incertitude partagée, l’information doit venir
d’ailleurs. Pour remplir son rôle de sélection le capital-risqueur doit donc être doté d’une compétence particulière qui lui permet d’évaluer les projets de start-ups qui lui sont soumis et de
choisir dans lesquels investir. La question de la compétence des capital-risqueurs se pose donc
dès lors que l’on ne considère plus le problème d’information comme relevant de l’asymétrie
d’information.
On retrouve ainsi le rôle attribué aux capital-risqueurs par Carlsson & Eliasson (2003) dans
leur analyse du processus de développement d’une innovation en un produit industriel. Dans
un monde incertain et complexe, ils considèrent que les agents fonctionnent par essai/erreurs
plutôt que par une maximisation ex-ante du profit espéré. Dans ce cadre ils définissent un bloc de
compétence, c’est-à-dire un ensemble minimal de couples acteur/fonction13 requis pour passer
d’une idée nouvelle à un produit largement commercialisé. Les acteurs sont définis comme
possédant des compétences spécifiques à leur fonction. Le bloc de compétence définit donc les
compétences des acteurs par leur usage et non par leur contenu.
Le bloc de compétence proposé par Carlsson & Eliasson contient : des consommateurs compétents qui aident à la définition de la demande pour le futur produit, un innovateur qui réalise
la nouvelle intégration technologique permettant l’innovation, un entrepreneur qui lance la production et la commercialisation du produit, un capital-risqueur qui sélectionne les meilleurs
projets de start-ups et les finance, un marché de sortie permettant de transmettre la propriété de
la start-up du capital-risqueur vers un industriel qui passe à la production et à la commercialisation de masse du produit. Dans cette approche, les capital-risqueurs sont donc définis comme
des agents possédant une compétence qui leur permet de se tromper moins souvent que d’autres
en choisissant les start-ups qu’ils financent. Ils sont aussi vu comme les maillons d’une chaîne
13 La
notion d’acteur est ici intimement lié à la fonction et non à une personne. Un même agent peut donc jouer
le rôle de plusieurs acteurs.
2.3. Mise en évidence empirique de la compétence des capital-risqueurs
105
qui doit être complète pour fonctionner correctement. Dans l’optique du bloc de compétence,
l’efficacité capital-risque dépend donc aussi de l’efficacité des maillons amonts (innovateurs et
entrepreneurs) et avals (marchés de sortie et industriels).
Dans la lignée Carlsson & Eliasson, le modèle que nous proposons dans ce chapitre est donc
centré sur le rôle de sélection des start-ups des capital-risqueurs. Nous spécifions explicitement
la compétence des capital-risqueurs pour la sélection des start-ups comme une capacité d’évaluer la qualité des projets de start-ups qui lui sont proposés. Comme dans le bloc de compétence,
le modèle prend en compte l’environnement amont et aval du capital-risque. En amont, le modèle intègre l’afflux et la qualité des projets de start-ups qui recherchent un financement par le
capital-risque. En aval, la rentabilité du capital-risque dépend de l’existence de marché de sortie
permettant de faire sortir les start-ups et de réaliser un gain important.
Ballot, Eliasson & Taymaz (2006) proposent une modélisation similaire à la nôtre de la
compétence des capital-risqueurs. Ils ajoutent le capital-risque dans un modèle multi-agents de
croissance endogène micro vers macro et montrent que la présence de capital-risqueurs compétents capables de sélectionner les meilleurs projets de start-ups accélère significativement la
croissance de l’économie. Ici, nous adoptons une approche micro-économique pour étudier en
détail le fonctionnement du capital-risque.
2.3 Mise en évidence empirique de la compétence des capitalrisqueurs
Mettre en évidence la compétence des capital-risqueurs n’est pas aisé car la compétence
est une caractéristique intrinsèque des capital-risqueurs qui n’est pas mesurable directement.
Cependant la définition de la compétence comme capacité de sélection des start-ups suggère
une mesure indirecte : un capital-risqueur plus compétent qu’un autre doit financer des start-ups
de meilleure qualité, c’est-à-dire des start-ups qui ont plus de chance de sortir par introduction
sur le marché financier ou par acquisition, et qui sortent mieux, c’est-à-dire qui rapportent plus
en cas de sortie.
Chapitre 2. Le processus de sélection des start-ups
106
Dans cette section, nous mettons en évidence la compétence des capital-risqueurs en montrant que les capital-risqueurs les plus compétent sont ceux qui prennent le plus de risque. Pour
cela nous définissons la stratégie des capital-risqueurs en fonction de la répartition de leurs investissements entre les start-ups en stades de développement précoces et tardifs. Nous montrons
que ceux qui investissent plus souvent dans les stades précoces, plus risqués mais plus rentables,
ont plus de succès que les autres.
Cette section est organisée ainsi. Nous présentons tout d’abord la mesure du succès de l’investissement, puis la définition de la stratégie des capital-risqueurs. Nous estimons ensuite le
modèle économétrique qui permet de mesurer l’influence de cette stratégie, proxy de la compétence, sur le succès des investissements du capital-risqueur.
2.3.1
Mesure du succès de l’investissement
Dans les études empiriques on utilise généralement la sortie par introduction en bourse
comme indicateur de succès. Ce choix se justifie par l’incomplétude des données utilisées.
Pour être en mesure de calculer directement le retour sur investissement14 , ce qui serait la
mesure idéale, il faudrait disposer d’informations précises sur chaque tour de table successif
de la start-up. Il faudrait notamment connaître la valorisation de la start-up à chaque étape, ce
qui détermine le prix payé pour une part de capital à l’entrée dans celui-ci, puis la dilution
de ce capital lors des tours de table suivants. Or cette information n’est disponible que dans
46% des cas dans nos données. Et bien sûr il faudrait aussi connaître la valeur de la start-up
lors de sa sortie. Or si les valorisations des start-ups qui entrent sur le marché financier sont
publiques, la valorisation des start-ups acquises par un industriel sont souvent gardées secrètes
(dans les données on dispose de 92% des valorisations pour les introductions en bourse et 44%
des valorisations pour les acquisitions). Si l’on combine toute ces contraintes, il reste très peu
d’investissements pour lesquels on peut calculer le retour sur investissement.
Puisqu’il n’est pas possible de calculer un taux de retour directement sans mettre de côté
une grande quantité de données, on se contente généralement d’analyser la probabilité de sortie.
14 Voir
la section 1.6.4 du Chapitre 1 pour le calcul et l’analyse des retours sur investissement du capital-risque.
2.3. Mise en évidence empirique de la compétence des capital-risqueurs
0.20
0.30
IPO
Acquisition
0.00
0.10
densité
107
−5
0
5
Log(retours)
F IG . 2.1: Distribution des retours sur investissement en fonction du type de sortie.
Période 1990-2004 ; log(IPO) : µ=1.8, σ=1.27 ; log(Acquisition) : µ=0.64, σ=1.83
Cela revient à considérer que la sortie comme un succès en soi, indépendamment du retour
effectif.
Les sorties peuvent se faire par deux voies, soit par une acquisition soit par une introduction en bourse. Or les sorties par acquisition ne sont pas un signal non ambigu de succès. En
effet une acquisition peut correspondre soit à une sortie positive, l’achat de la start-up par un
industriel pour qui elle pourrait devenir un concurrent sérieux par exemple, soit à une sortie
négative, la vente pouvant se limiter aux quelques actifs de la start-up comme ses brevets par
exemple. L’étude des retours sur investissement en cas de sortie sur les données disponibles
montre d’ailleurs clairement que les retours sur acquisition sont plus faibles et beaucoup plus
fréquemment négatifs que les retours sur introduction en bourse (Figure 2.1). Puisque les acquisitions ne sont pas toutes des succès, et que ce sont souvent des succès moins importants, on
n’utilise que les introductions en bourse comme indicateur de succès.
Bien entendu cet indicateur est très restrictif, il correspond à ne prendre en compte que les
meilleures sorties. Mais c’est l’indicateur le moins biaisé à notre disposition. L’hypothèse faite
ici est de considérer que si un capital-risqueur est plus capable que les autres de financer des
Chapitre 2. Le processus de sélection des start-ups
108
start-ups qui sortent le mieux, alors il est plus capable que les autres en général. Cette hypothèse
a été déjà discutée dans la littérature et notamment par Gompers & Lerner (1998), qui ont montré notamment que prendre en compte les acquisitions favorables (celles dont la valorisation à la
sortie est supérieure à la somme des investissements reçus) en plus des sorties par introduction
en bourse comme indicateur de succès ne change pas qualitativement les résultats.
2.3.2
Mesure de la compétence
Nous avons donc une définition indirecte de la compétence, elle permet d’obtenir une meilleure
performance toutes choses égales par ailleurs, et une mesure de la performance, le taux de sortie
par introduction en bourse. Afin de mettre en évidence la compétence il faut donc trouver une
caractéristique des capital-risqueurs corrélée avec la performance des start-ups qu’il finance.
Dans la littérature empirique on sait déjà que l’expérience des capital-risqueurs correspond
à cette définition. Dans un article remarquable, Sorensen (2004) mesure précisément la contribution de l’expérience au succès des start-ups en contrôlant pour l’effet d’assortativité qui veut
que les capital-risqueurs les plus performants attirent aussi les meilleures start-ups. Il y a donc
bien une différentiation verticale des capital-risqueurs par la compétence en fonction de leur
expérience, ce qui correspond à un effet d’apprentissage. Mais la compétence n’est pas seulement une affaire d’expérience directe acquise sur le marché du capital-risque. Elle doit aussi
dépendre d’autres facteurs, notamment de l’expérience passée du capital-risqueur, qui ne sont
pas observables à partir de nos données.
Zarutskie (2008) propose d’ailleurs une estimation de l’influence du capital humain accumulé antérieurement par les capital-risqueurs sur le succès obtenu lors de leur premier fonds.
A partir des noms des gestionnaires de fonds et des sites internet des firmes de capital-risque,
elle a reconstitué la biographie des capital-risqueurs, ce qui lui permet de mesurer d’une part
leur niveau d’éducation et d’autre part leur expérience passée. Elle montre que l’expérience
spécifique à la tâche, c’est-à-dire dans le milieu du capital-risque soit dans une autre firme de
capital-risque soit en tant qu’entrepreneur, est le meilleur prédicteur du succès du fonds. Elle
montre aussi que l’expérience spécifique à l’industrie à une influence positive lorsque qu’elle
correspond à l’orientation du fonds. L’expérience passée en tant que consultant en manage-
2.3. Mise en évidence empirique de la compétence des capital-risqueurs
109
ment est tout le temps positive, l’expérience ou un diplôme scientifique est positive pour les
investissements en technologies de pointes, et l’expérience en finance est plus utile pour les
investissements dans les tours de tables tardifs. Un résultat surprenant de cette étude est qu’un
diplôme de MBA a systématiquement un impact négatif. Cette formation semble donc très mal
adaptée au capital-risque.
Nous proposons ici une autre approche pour la mesure de la compétence en considérant que
les capital-risqueurs prennent plus de risque en investissant dans les start-ups non pas parce
qu’ils sont moins averses au risque que les autres investisseurs, mais parce que leur compétence leur donne un avantage comparatif pour ce type d’investissement. Cette distinction entre
investisseurs existe aussi entre les capital-risqueurs.
En effet les risques ne sont pas les mêmes suivant le stade de développement de la start-up
auquel on choisi d’entrer dans le capital de la start-up. Les start-ups dans un stade de développement précoce présentent plus de risques que celles dans un stade de développement plus avancé,
mais en contre partie les gains en cas de succès sont plus importants. Si les capital-risqueurs les
plus compétents disposent d’un avantage comparatif à investir dans les stades précoces, alors le
choix d’investir dans les stades précoces permet de révéler la compétence des capital-risqueurs.
Un modèle simple permet d’illustrer ce mécanisme. On peut modéliser l’investissement en
capital-risque comme un investissement qui ne rapporte qu’en cas de succès. Soit s ∈ {P, T } le
stade de développement de la start-up, précoce ou tardif, le retour Rs sur un investissement dans
un start-up au stade s est donc :

 r avec la probabilite p
s
Rs =
 0
sinon
(2.1)
Comme on ne s’intéresse qu’au choix entre les deux stades de développement possibles,
on peut négliger le coût fixe correspondant à l’investissement. Admettons que la compétence
c du capital-risqueur lui permet d’augmenter la probabilité de succès de la start-up ps par une
meilleure sélection.
ps = α c + p0s
(2.2)
Alors le retour sur investissement espéré d’un investissement au stade s est :
E(Rs ) = (α c + p0s ) rs , α > 0
(2.3)
Chapitre 2. Le processus de sélection des start-ups
110
Dans ces conditions, un capital-risqueur investira dans une start-up en stade précoce si et
seulement si :
E(RP ) > E(RT )
(2.4)
Ce qui après quelques manipulations algébriques donne :
c>
p0T rT − p0P rP
α (rP − rT )
(2.5)
Cette inégalité nous indique qu’il existe une séparation des capital-risqueurs entre les deux
stades de développement suivant leur niveau de compétence lorsque le terme de droite est positif.
Or p0s rs est le retour espéré par un capital-risqueur ne possédant pas de compétence spécifique pour un investissement dans le stade de développement s. Le numérateur est donc positif si
pour un capital-risqueur incompétent il vaut mieux investir dans le stade tardif plutôt que dans
le stade précoce. Le dénominateur est positif lorsque le retour sur investissement des stades
précoces est supérieur à celui des stades tardifs.15
Le modèle montre donc bien que dans des conditions raisonnables (un capital-risqueur incompétent a intérêt à investir dans les stades tardifs, investir dans le stade précoce apporte un
retour supérieur), le choix du stade de développement de la start-up révèle la compétence du
capital-risqueur. C’est donc le nouvel indicateur de la compétence que nous proposons.
2.3.3
Décisions d’investissement du capital-risqueur
Pour mesurer la compétence du capital-risqueur nous nous intéressons à ses décisions d’investissement. Elles sont de deux types. Tout d’abord le capital-risqueur doit décider d’entrer
dans le capital de la start-up à une étape donnée. Ensuite, une fois qu’il est entré dans le capital
de la start-up, il doit décider de faire passer la start-up à l’étape suivante ou non. Ces différentes
décisions sont représentées sur la Figure 2.2.
La différence principale entre les deux types de décision est la situation d’engagement du
capital-risqueur. Lorsque le capital-risqueur entre dans le capital de la start-up, il a le choix entre
investir dans cette start-up ou dans une autre. Lorsque le capital-risqueur est déjà entré dans le
15 N.B
: lorsque ces deux conditions sont réunies, on a nécessairement : p0T >
rP
rT
p0P > p0P
2.3. Mise en évidence empirique de la compétence des capital-risqueurs
Amorcage
Second Tour
Premier Tour
111
Tours ulterieurs
IPO
IPO
IPO
IPO
Acq.
Acq.
Acq.
Acq.
FIN
FIN
FIN
FIN
F IG . 2.2: Décisions d’investissement prises par le capital-risqueur : 1- à quel moment entrer
dans le capital de la start-up ? (flèches verticales) 2- faut-il passer au tour de table suivant ?
(flèches horizontales)
capital de la start-up il a le choix entre poursuivre l’investissement dans l’espoir d’une sortie
positive, ou arrêter les investissements pour limiter les pertes. Le capital-risqueur peut donc être
amené à poursuivre son investissement dans le second cas alors qu’il ne serait pas entré dans la
start-up si il n’y était pas déjà. Les deux décisions doivent donc être étudiées séparément.
A chaque fois, nous estimons la probabilité d’obtenir un succès, c’est-à-dire une introduction en bourse, en fonction des informations disponibles pour la capital-risqueur au moment où
il prend sa décision. Ces informations sont synthétisées dans les caractéristiques du tour de table
auquel le capital-risqueur prend part, c’est-à-dire soit le premier investissement qu’il effectue
dans la start-up, soit le tour de table supplémentaire dans le cas d’une transition (par exemple,
le Second Tour de table dans le cas d’une transition Premier Tour -> Second Tour). Le tour de
table pris en compte est donc celui pointé par les flèches épaisses sur la Figure 2.2.
Par contraste avec le modèle séquentiel de la section 1.7.6 du Chapitre 1, nous n’étudions
pas les déterminants de la trajectoire suivie par la start-up, mais l’opportunité d’entrer dans le
capital de la start-up ou de lui faire poursuivre son développement, c’est-à-dire l’opportunité
d’investir dans la start-up à un point donné de sa trajectoire.
2.3.4 Les données
Cette étude empirique est menée sur les données VentureSource. Afin de laisser le temps
aux start-ups de sortir pour mesurer avec un minimum de biais le résultat de l’investissement,
112
Chapitre 2. Le processus de sélection des start-ups
nous nous limitons à la période 1990-1998. Ce choix permet aussi de limiter les effets de la bulle
internet sur les estimations. Pour des raisons d’homogénéité des données nous nous restreignons
aussi aux investissements réalisés aux Etats-Unis par des capital-risqueurs localisés aux EtatsUnis.
Caractéristiques des tours de table
Pour chaque tour de table nous disposons des informations suivantes. Sur le plan purement
financier, nous connaissons le montant investi dans la start-up et le nombre de capital-risqueurs
participant au tour de table. Le montant du tour de table est clairement un indicateur du succès espéré de la start-up, les montants importants ne sont investis que dans les start-ups qui
ont de bonnes chances de réussir. Le nombre de capital-risqueurs est aussi un indicateur du
succès espéré. En effet, on sait que le co-investissement est une pratique courante des capitalrisqueurs. Cette pratique se justifie notamment par la volonté des capital-risqueurs de diversifier
plus largement leur portefeuille mais aussi par la meilleure sélection des start-ups que permet
le co-investissement, et par la valeur ajoutée qu’apporte chaque capital-risqueur. Brander et al.
(2002) notamment, ont montré que les start-ups financées par un plus grand nombre de capitalrisqueurs avaient plus de chances de réussir.
Les autres facteurs influents sont les caractéristiques de la start-up elle-même, et notamment
le stade de développement de la start-up et l’industrie dans laquelle elle opère. Pour le stade de
développement de la start-up, deux échelles sont disponibles, le stade de développement du
produit et l’étape de financement atteinte par la start-up (c.f. section 1.7.4 du Chapitre 1). Nous
choisissons la seconde échelle car elle explique mieux le taux de réussite des start-ups. Avec
le temps le futur de la start-up est moins incertain et seules les start-ups les plus prometteuses
reçoivent de nouveaux financements. Les investissements dans les stades tardifs ont donc plus
de chance de réussir que ceux dans les stades précoces. Quant à l’industrie de la start-up elle
peut influer sur sa probabilité de succès en raison à la fois de pratiques et d’opportunités différentes suivant les industries. Nous contrôlons donc pour l’industrie au niveau le plus élevé de
la classification entre 4 grandes industries (’NTIC’, ’Santé’, ’Commerce’ et ’Autre’).
2.3. Mise en évidence empirique de la compétence des capital-risqueurs
113
Enfin, nous prenons en compte la conjoncture économique qui peut influer tant sur les opportunités d’investissement que sur les opportunités de sortie des start-ups. Nous contrôlons
donc pour l’année de financement de la start-up.
Stratégie des capital-risqueurs
Nous définissons la stratégie des capital-risqueurs par la répartition de leurs investissements
entre les tours de table précoces (’Amorçage’, ’Premier Tour’) et tardifs (’Second Tour’,’Tours
ultérieurs’). Cette distinction entre tours de table précoces et tardifs se justifie par la différence
en terme de risque et de retour potentiel de ces investissements. En effet, investir plus précocement dans une start-up signifie prendre plus de risque que la start-up ne soit pas un succès.
Mais cette prise de risque supplémentaire est compensée par un retour sur investissement plus
important.
Pour mettre cette distinction en évidence nous estimons deux modèles simples de la probabilité de sortie de la start-up, modèle logit, et du retour composé annuel, modèle linéaire, en
fonction de la précocité du tour de table.
Les statistiques descriptives des caractéristiques des tours de table précoces et tardifs permettent déjà d’illustrer les effets annoncés (Tableaux 2.1 et 2.2). Les échantillons utilisés pour
les deux estimations diffèrent car le retour n’est calculable que pour un nombre limité de tour
de table à cause des données manquantes (voir section 1.6.4 du Chapitre 1). Les tours précoces
font intervenir en moyenne moins de co-investisseurs et mobilisent des moyens moins importants. La probabilité de sortir par une introduction en bourse est moindre de 10% pour un tour
précoce que pour un tour tardif. Les tours précoces mettent bien entendu plus de temps à sortir
mais rapportent plus que les tours tardifs. Même une fois annualisé un tour précoce rapporte
15% de plus qu’un tour tardif. On constate d’ors et déjà que les tours précoces sont bien plus
risqués mais plus rentable que les tours tardifs.
L’estimation du Tableau 2.3 permet de mesurer l’effet l’investissement dans un tour précoce sur la probabilité de succès en contrôlant notamment pour l’industrie de la start-up et pour
l’année de l’investissement. L’estimation montre un effet négatif significatif du fait que l’investissement se fasse dans un stade précoce. Toutes choses égales par ailleurs un investissement
dans un stade précoce a 5% de chance de moins qu’un investissement tardif de sortir par une
Chapitre 2. Le processus de sélection des start-ups
114
Tous
Tours précoces
Tours tardifs
nb co-invest. 2.7610 (1.9597) 2.0446 (1.2572)
3.4154 (2.238)
montant
4.6717 (6.7126) 3.6018 (5.6833) 5.6493 (7.3975)
IPO
26.376%
20.720%
31.545%
NTIC
Santé
Commerce
Autre
N=
55.246%
27.359%
14.549%
2.8456%
9664
55.072%
26.94%
15.605%
2.3840%
4614
55.406%
27.743%
13.584%
3.2673%
5050
TAB . 2.1: Statistiques descriptives des données utilisée pour mesurer la probabilité de sortie
par introduction en bourse des tours précoces.
Tous
Tours précoces
Tours tardifs
ln(R)
années
ln(R) annuel
1.7294 (1.1333)
2.7093 (1.7682)
0.89988 (0.87475)
nb co-invest.
montant
3.5298 (2.2768)
6.3465 (7.983)
2.4409 (1.5125)
4.3733 (6.72)
4.1367 (2.4023)
7.4463 (8.4109)
54.859%
33.699%
9.9269%
1.5152%
1914
52.847%
34.891%
10.803%
1.4599%
685
55.98%
33.035%
9.4386%
1.5460%
1229
NTIC
Santé
Commerce
Autre
N=
2.4276 (1.1752) 1.3402 (0.89884)
3.2539 (1.7698)
2.4057 (1.6936)
0.99283 (0.82993) 0.84806 (0.8949)
TAB . 2.2: Statistiques descriptives des données utilisée pour mesurer le retour composé annuel
en cas d’introduction en bourse pour les tours précoces.
2.3. Mise en évidence empirique de la compétence des capital-risqueurs
115
Sortie par introduction en bourse
Coefficient
Std. Err.
z
Pr(>|z|)
constante
-2.0901 0.084044 -24.869 1.6132e-136
tour précoce
-0.28921 0.052084 -5.5528
2.8105e-08
nb co-invest.
0.10283 0.012982 7.9205
2.3659e-15
montant
0.053775 0.0045076
11.93
8.2767e-33
NTIC
référence
Santé
0.26013
0.054506 4.7725
1.8198e-06
Commerce
-0.11223 0.075704 -1.4825
0.13822
Autre
-0.20828
0.15136 -1.3761
0.1688
année
indicatrices
N
9664
null deviance
11151
deviance
10435
2
pseudo R
0.064229
Signif. : *** < 0.1% ; ** < 1% ; * < 5% ; . < 10%
Coefficient
nb co-invest.
montant
ey/ex
0.21323
0.18868
Std. Err.
0.027035
0.01593
z
Pr(>|z|)
7.8871 3.1086e-15
11.845
0
***
***
***
***
***
X
2.761
4.6717
Coefficient
∆y
Std. Err.
z
Pr(>|z|)
X
tour précoce -0.054073 0.0097094 -5.5691 2.5599e-08
0.47744
Santé 0.048635
0.01018 4.7774
1.776e-06
0.27359
Commerce -0.020983
0.01415 -1.4829
0.13811
0.14549
Autre -0.038941
0.028295 -1.3763
0.16874 0.028456
Y
0.24893
TAB . 2.3: Logit : probabilité de sortie de la start-up par introduction en bourse en fonction des
caractéristiques de l’investissement, et de la précocité du tour de table. Tableau du haut : coefficients du modèle. Tableau du bas : effet marginaux, élasticité pour les variables quantitatives,
effet direct de la variable pour les indicatrices.
116
Chapitre 2. Le processus de sélection des start-ups
Retour composé annuel si introduction en bourse
Coefficient
Std. Err.
t
Pr(>|t|)
constante
1.5065
0.06861 21.958 2.4022e-95
tour précoce
0.30409
0.037743
8.0567 1.3764e-15
nb. co-invest. 0.0030781 0.0080662 0.3816
0.7028
montant -0.010407 0.0023455 -4.4369 9.6549e-06
NTIC
référence
Santé
-0.30054
0.038867 -7.7325 1.7041e-14
Commerce
0.024717
0.057187 0.43221
0.66564
Autre
-0.47436
0.134 -3.5401 0.00040961
année invest.
indicatrices
année IPO
indicatrices
N
1914
2
R
0.35436
Adj. R2
0.34477
Signif. : *** < 0.1% ; ** < 1% ; * < 5% ; . < 10%
***
***
***
***
***
Coefficient
ey/ex Std. Err.
z
Pr(>|z|)
X
r.nb.inv 0.012074 0.044168 0.27336
0.78457 3.5298
mean.amount -0.073396
0.02661 -2.7582 0.0058127 6.3465
Y
0.89988
TAB . 2.4: MCO : retours en cas d’introduction en bourse en fonction des caractéristiques de
l’investissement, et de la précocité du tour de table.
2.3. Mise en évidence empirique de la compétence des capital-risqueurs
117
introduction en bourse. Le montant du tour de table et le nombre de co-investisseurs ont un
impact positif significatif. Cela confirme ce que l’on avait déjà constaté au Chapitre 1. Parmi
les industries, seule celle de la santé se distingue par une probabilité de succès plus grande.
Le modèle prédit une probabilité de succès moyenne de 20% pour un investissement précoce
moyen et de 30% pour un investissement tardif moyen16 .
L’estimation du Tableau 2.4 permet de mesurer l’effet de l’investissement dans un tour précoce sur la rentabilité annuelle de l’investissement. L’estimation montre un effet positif significatif du fait d’investir dans un stade précoce. Toutes choses égales par ailleurs un investissement
dans un tour de table précoce rapporte 30% de plus qu’un investissement dans un tour tardif. Le
nombre de co-investisseurs n’influe pas sur le retour obtenu, mais le montant investi le diminue
significativement. Enfin les start-ups dans le domaine de la santé rapporte moins que les autres.
Le modèle prédit qu’un investissement moyen dans un tour précoce rapporte 111% par an alors
qu’un investissement moyen dans un tour tardif ne rapporte que 78% par an16 .
A partir de ces deux estimations on vérifie donc bien que les tours précoces sont plus risqués
mais plus rentables que les tours tardifs. Pour un capital-risqueur plus compétent, il y a donc
un intérêt à prendre plus de risques afin de bénéficier de la prime associée aux investissements
précoces.
Par conséquent nous caractérisons la stratégie de chaque capital-risqueur par la proportion
d’investissements réalisés dans les tours de table précoces parmi l’ensemble de ses investissements. Une stratégie est d’autant plus risquée que la proportion d’investissements précoces est
importante dans son portefeuille. Afin de limiter les biais sur le calcul de la stratégie, nous nous
limitons aux investissements des capital-risqueurs ayant réalisé au moins vingt investissements
auparavant.
Pour vérifier que les capital-risqueurs suivent une stratégie cohérente au cours du temps,
nous comparons la stratégie suivie par un capital-risqueur sur ses investissements passés et
celle suivie sur ses investissements futurs. Comme le montre la Figure 2.3 la corrélation entre
la stratégie passée et la stratégie suivie dans le futur est élevée (0.65). Les capital-risqueurs
semblent donc bien suivre une stratégie cohérente au cours du temps. Comme la précision de
16 Ces
valeurs sont calculées pour un investissement précoce ou tardif avec un montant et un nombre d’investis-
seurs moyen pour ce type de tour.
Chapitre 2. Le processus de sélection des start-ups
0.6
0.4
0.2
stratégie future
0.8
118
0.2
0.4
0.6
0.8
1.0
strategie passée
F IG . 2.3: Persistance des stratégies d’investissement des capital-risqueurs. Proportion d’investissements réalisés dans les investissements passés du capital-risqueur, contre cette même
proportion dans les investissements futurs (ne sont pris en compte que les proportions calculées
sur au moins 20 investissements).
la mesure de la proportion d’investissements réalisés dans les tours précoces augmente avec
le nombre d’investissements pris en considération, la cohérence de la stratégie des capitalrisqueurs au cours du temps nous autorise à utiliser l’ensemble de ses investissements passés et
futurs pour mesurer cette stratégie.
2.3.5
Modèle économétrique
Le modèle utilisé est un modèle logit.


Yi ∼ B(ni , pi )
 log( pi ) = β + β X + ε , ε ∼ N(0, σ)
i
i i
0
1−pi
(2.6)
La variable expliquée (Yi ) est une variable binaire indiquant si la start-up est sortie par une
introduction en bourse avant la fin de nos données, c’est-à-dire avant 2005 (ni = 1).
2.3. Mise en évidence empirique de la compétence des capital-risqueurs
119
pi
)) est régressé sur les caractéristiques de l’investisseLe logarithme des chances (log( 1−p
i
ment (’montant total’, ’nombre d’investisseurs’, ’année’), de la start-up (’tour de table’, ’industrie’), et sur les deux mesures de la compétence (’expérience’, ’stratégie’). Nous contrôlons de
plus pour la conjoncture économique affrontée par les start-ups lors de l’investissement (’année’).
Nous effectuons trois séries d’estimations. Le premier modèle est une estimation globale
de l’effet de la stratégie sur le succès des investissements correspondant à une entrée dans le
capital de la start-up. Nous estimons ensuite un modèle différent pour chaque étape à laquelle
le capital-risqueur entre dans la start-up. Finalement, nous estimons l’impact de la stratégie
sur le succès de la poursuite d’un investissement dans la start-up, c’est-à-dire la décision de
passer à l’étape suivante lorsque le capital-risqueur était déjà présent à l’étape précédente. Les
modèles des deux dernières séries correspondent respectivement aux flèches épaisses verticales
et horizontales de la Figure 2.2.
2.3.6 Statistiques descriptives
Le Tableau 2.5 présente les statistiques descriptives pour les investissements correspondants
à une entrée dans le capital de la start-up répartis en trois groupes de capital-risqueurs représentant trois types de stratégies. Ces groupes sont obtenus en regroupant les capital-risqueurs par
terciles de leur proportion d’investissements en stade précoce. Les groupes sont nommés en
fonction de leur prise de risque : ’Risquée’, ’Intermédiaire’ et ’Prudente’.
L’échantillon comprend 6257 investissements réalisés par 193 capital-risqueurs dans 3296
start-ups. Ces statistiques permettent notamment d’observer la répartition par tour de table des
investissements correspondant à chaque stratégie. On constate que tous les capital-risqueurs entrent fréquemment dans le capital de la start-up lors du premier tour de table. Ils se différencient
essentiellement par leur présence lors des tours d’amorçage, pour la stratégie risquée, et lors
des tours ultérieurs pour la stratégie prudente.
On constate aussi que les caractéristiques moyennes des investissements évoluent avec la
stratégie. En effet les tours de table tardifs sont plus coûteux et font intervenir plus de capitalrisqueurs que les précoces. En changeant la répartition entre les tours de table on change donc
Chapitre 2. Le processus de sélection des start-ups
120
Stratégie :
Toutes
Risquée
Intermédiaire
Prudente
0.61427 (0.13814)
0.7609 (0.05891)
0.63828 (0.035164)
0.46778 (0.092647)
expérience
85.186 (63.169)
82.313 (56.365)
84.488 (64.361)
88.406 (67.28)
nb co-invest.
3.5365 (2.1812)
3.0653 (1.8597)
3.4835 (2.1254)
3.9834 (2.3875)
montant
5.5234 (7.2883)
4.2249 (5.3239)
4.9211 (5.7352)
7.1946 (9.4272)
IPO
30.174%
30.579%
29.556%
30.483%
Amorçage
9.2696%
13.158%
9.3484%
5.9087%
Premier Tour
54.419%
63.632%
56.704%
44.449%
Second Tour
20.633%
14.737%
21.010%
25.246%
Tours ultérieurs
15.678%
8.4737%
12.937%
24.396%
NTIC
58.43%
65.368%
54.391%
56.356%
Santé
28.081%
23.368%
32.531%
27.842%
Commerce
11.795%
10.158%
11.095%
13.876%
Autre
1.6941%
1.1053%
1.983%
1.9248%
6257
1900
2118
2234
stratégie
N=
TAB . 2.5: Statistiques descriptives pour les premiers investissements réalisés par les capitalrisqueurs aux Etats-Unis, entre 1990 et 1998, en fonction de leur stratégie d’investissement.
Les variables considérées sont pour le tour de table : le montant investi en millions d’euros et
le nombre de capital-risqueurs prenant part au tour de table ; pour le capital-risqueur : son
expérience (le nombre de start-ups financées avant cet investissement), et sa stratégie d’investissement ; pour la start-up : son stade de développement, son industrie et enfin si elle est
sortie par une introduction en bourse ou non.
2.3. Mise en évidence empirique de la compétence des capital-risqueurs
121
Amorçage
Premier Tour
Second tour
Tours ultérieurs
0.66911 (0.12273)
0.63768 (0.12756)
0.58033 (0.13917)
0.54523 (0.14468)
expérience
80.616 (61.436)
85.67 (61.943)
88.742 (65.895)
81.532 (64.467)
nb co-invest.
1.9483 (0.9768)
2.9128 (1.6317)
4.6522 (2.1978)
5.1723 (2.6530)
montant
1.0232 (1.1314)
4.8737 (6.6771)
7.1208 (7.3806)
8.3371 (9.3293)
IPO
19.655%
26.167%
36.561%
41.896%
NTIC
53.448%
57.915%
62.51%
57.798%
Santé
34.828%
27.489%
26.956%
27.625%
Commerce
8.2759%
13.069%
9.5275%
12.436%
Autre
3.4483%
1.5272%
1.0070%
2.1407%
580
3405
1291
981
stratégie
N=
TAB . 2.6: Statistiques descriptives pour les décisions d’entrée dans le capital de la start-up à
une étape donnée.
Amorçage -> Premier Premier -> Second Second -> Ultérieurs
stratégie
0.68062 (0.11400)
0.6505 (0.12152)
0.63101 (0.12636)
expérience
79.373 (57.174)
84.884 (60.845)
87.622 (61.252)
nb co-invest.
3.1568 (1.5288)
4.1966 (2.1046)
5.41 (2.4568)
montant
4.2857 (9.5569)
5.948 (7.131)
6.4717 (6.2358)
IPO
29.929%
33.877%
41.002%
NTIC
51.069%
57.848%
56.277%
Santé
40.38%
30.109%
31.79%
Commerce
5.4632%
10.179%
9.4988%
Autre
3.0879%
1.8648%
2.4344%
421
2574
2095
N=
TAB . 2.7: Statistiques descriptives pour les investissements de transition entre deux étapes.
Chapitre 2. Le processus de sélection des start-ups
122
nécessairement les caractéristiques moyennes des investissements. A part cela les trois groupes
sont relativement similaires.
Le Tableau 2.6 présente les statistiques descriptives de des mêmes données mais regroupée
par tour de table. On vérifie bien que le nombre de co-investisseurs et le montant investi augmente à chaque étape. De même la probabilité de sortir par une introduction en bourse (IPO)
augmente avec le développement de la start-up. Si l’on regarde les caractéristiques des investisseurs on constate que l’expérience est à peu près la même pour tous et, ce qui est normal, que la
stratégie moyenne des investisseurs qui investissent dans les stades précoces est plus risquée que
celle de ceux qui investissent dans les stades tardifs. La répartition par industrie est globalement
la stable entre les étapes. En regardant les tailles des échantillons, on constate que l’essentiel des
entrées se font au premier ou au second tour de table. L’amorçage est l’étape d’entrée la moins
fréquente pour les capital-risqueurs. C’est en effet une étape facultative qui peut être financée
par d’autre investisseurs, notamment par les business angels.
Enfin, le Tableau 2.7 présente les statistiques descriptives des investissements de transition
d’une étape à une autre. Mis à part la contrainte de construction des données qui impose au
capital-risqueur d’être présent au tour de table précédent, les statistiques sont similaires à celles
des investissements d’entrée dans le capital.
2.3.7
Estimations
Le premier modèle, présenté dans le Tableau 2.8, prend en compte l’effet global des caractéristiques du capital-risqueur sur la réussite des start-ups dans lesquelles il décide d’investir.
On y retrouve les effets déjà établi du montant investi et du nombre de co-investisseurs, significativement positifs. Les start-ups de l’industrie de la santé on toujours plus de chances de sortir
par une introduction en bourse que les autres. Enfin la probabilité de sortie par introduction en
bourse augmente avec le stage de développement atteint par la start-up.
On mesure tout d’abord un effet significativement positif de l’expérience du capital-risqueur.
Cela indique un effet d’apprentissage, les capital-risqueurs les plus expérimentés sélectionnent
mieux les start-ups dans lesquelles ils investissent. Cet effet est déjà clairement identifié dans la
littérature empirique sur le capital-risque.
2.3. Mise en évidence empirique de la compétence des capital-risqueurs
123
Sortie par introduction en Bourse
Coefficient
Std. Err.
z
Pr(>|z|)
constante
-2.7298
0.18248 -14.959 1.3573e-50 ***
stratégie
0.57696
0.22357
2.5807
0.0098606
**
expérience 0.0026472 0.00046025
5.7516 8.8384e-09 ***
nb co-invest.
0.10528
0.015584
6.7556 1.4224e-11 ***
montant
0.024963
0.0044908
5.5587 2.7178e-08 ***
NTIC
référence
Santé
0.30903
0.065081
4.7483 2.0512e-06 ***
Commerce
0.087937
0.093934 0.93616
0.34919
Autre
-0.31308
0.24191 -1.2942
0.19559
Premier Tour
référence
Amorçage
-0.28093
0.11529 -2.4366
0.014826
*
Second Tour
0.26955
0.076886
3.5058 0.00045527 ***
Tours ultérieurs
0.40223
0.086309
4.6604 3.1561e-06 ***
année
indicatrices
N
6257
null deviance
7662.7
deviance
7197.2
2
pseudo R
0.060753
Signif. : *** < 0.1% ; ** < 1% ; * < 5% ; . < 10%
Coefficient
stratégie
expérience
nb co-invest.
montant
z
2.5789
5.7267
6.7265
5.5446
Pr(>|z|)
0.009911
1.0243e-08
1.7385e-11
2.9464e-08
X
0.61427
85.186
3.5365
5.5234
Coefficient
∆y Std. Err.
z
Santé 0.063383 0.013334
4.7535
Commerce 0.018036 0.019266 0.93619
Autre -0.064216 0.049609 -1.2944
Pr(>|z|)
1.9994e-06
0.34918
0.19552
X
0.28081
0.11795
0.016941
Amorçage
Second Tour
Tours ultérieurs
Y
ey/ex
0.25229
0.16053
0.26505
0.098155
Std. Err.
0.097829
0.028033
0.039404
0.017703
-0.05762 0.023622
0.055286 0.015755
0.082501 0.017688
0.28812
-2.4393
3.509
4.6643
0.014716 0.092696
0.00044982
0.20633
3.0966e-06
0.15678
TAB . 2.8: Logit : probabilité qu’une start-up choisie par un investisseur sorte par introduction
en bourse, en fonction des caractéristiques du premier investissement du capital-risqueur dans
la start-up, de son expérience et de sa stratégie.
Chapitre 2. Le processus de sélection des start-ups
124
Amorçage
Premier Tour
Second tour
Tours ultérieurs
constante
-2.9873 ***
-3.1383 ***
-2.1504 ***
-1.8104 ***
stratégie
0.58505
0.96085
**
-0.34773
0.85215
.
expérience 0.0019161
0.0030442 *** 0.0028462
** 0.0024811
*
nb co-invest.
0.1283
0.13825 ***
0.14446 ***
0.034841
montant
-0.2433
0.017262 **
0.014704
.
0.044849 ***
NTIC
référence
Santé
0.25981
0.26614 **
0.2521
.
0.41991
**
Commerce
-0.39205
-0.017077
0.53929 ** -0.085424
Autre
-1.5118
0.0086604
-1.4098
.
-0.2589
année
indicatrices
N
580
3405
1291
981
null deviance
574.88
3914.4
1695.3
1334.1
deviance
543.86
3712.3
1594.3
1267.4
2
pseudo R
0.053952
0.05162
0.059583
0.050002
Signif. : *** < 0.1% ; ** < 1% ; * < 5% ; . < 10%
ey/ex
stratégie
expérience
nb co-invest.
montant
Amorçage
0.3221
0.1271
0.20568
-0.20484
Premier Tour
Second tour
0.46065 ** -0.13003
0.19607 *** 0.16275
**
0.30275 *** 0.43304 ***
0.063248 ** 0.067466
.
Tours ultérieurs
0.27108
.
0.11803
*
0.10514
0.21816 ***
∆y Amorçage
Premier Tour
Second tour
Tours ultérieurs
Santé 0.037877
0.04966 ** 0.05777
.
0.10205
**
Commerce -0.057155
-0.0031865
0.12358
** -0.020761
Autre
-0.2204
0.001616
-0.32307
. -0.062922
Y
0.17718
0.24819
0.35564
0.41654
Signif. : *** < 0.1% ; ** < 1% ; * < 5% ; . < 10%
TAB . 2.9: Logit : probabilité qu’une start-up dans laquelle un investisseur entre à une étape
donnée sorte par introduction en bourse, en fonction des caractéristiques du premier investissement du capital-risqueur dans la start-up, de son expérience et de sa stratégie.
2.3. Mise en évidence empirique de la compétence des capital-risqueurs
Amorçage -> Premier
Premier -> Second
constante
-3.4281 ***
-2.9801 ***
stratégie
1.4381
0.81853
*
expérience
0.0027949
0.0023335
**
nb co-invest.
0.1537
.
0.16228 ***
montant moyen
0.058779
.
0.01674
*
NTIC
référence
Santé
-0.095981
0.39026 ***
Commerce
0.30826
-0.22901
Autre
0.10897
0.034964
année
indicatrices
N
405
2470
null deviance
495.64
3177.5
deviance
454.29
2971.5
2
pseudo R
0.083441
0.06483
Signif. : *** < 0.1% ; ** < 1% ; * < 5% ; . < 10%
ey/ex Amorçage -> Premier
stratégie
0.7001
expérience
0.16192
nb co-invest.
0.34501 .
montant moyen
0.1812 .
125
Second -> Ultérieurs
-1.8231 ***
0.39407
0.0019046
*
0.077877 ***
0.056263 ***
0.36958 ***
-0.52478 **
0.66421
*
1979
2686.5
2513.6
0.064345
Premier -> Second
0.35633
*
0.13551
**
0.45726 ***
0.067636
*
Second -> Ultérieurs
0.14719
0.10162
*
0.25073 ***
0.21983 ***
∆y Amorçage -> Premier
Premier -> Second
Santé
-0.019548
0.08639 ***
Commerce
0.062782
-0.050695
Autre
0.022193
0.0077399
Y
0.28475
0.33078
Signif. : *** < 0.1% ; ** < 1% ; * < 5% ; . < 10%
Second -> Ultérieurs
0.089273 ***
-0.12676 **
0.16044
*
0.40808
TAB . 2.10: Logit : probabilité qu’une start-up dans laquelle un investisseur a poursuivi son
investissement sorte par introduction en bourse, en fonction des caractéristiques de l’investissement supplémentaire du capital-risqueur dans la start-up, de son expérience et de sa stratégie.
126
Chapitre 2. Le processus de sélection des start-ups
On constate aussi un effet positif significatif de la stratégie du capital-risqueur sur le succès
de la start-up. L’élasticité de l’effet de la stratégie est de plus supérieure à celle de la compétence
et à peu près du même ordre que celle du nombre de co-investisseurs. Cet effet est donc conforme à notre hypothèse que les capital-risqueurs les plus compétents prennent plus de risques
en investissant plus souvent dans des tours de table précoces.
Résultat 2.1 (Compétence et prise de risque). Les capital-risqueurs les plus compétents tendent
à prendre plus de risques en investissant plus souvent dans les stades précoces de développement, qui sont plus risqués mais aussi plus rentables.
Si l’on détaille cette estimation de la probabilité de succès en fonction des différentes étapes,
on constate que l’effet de la stratégie est surtout sensible pour une entrée dans le capital lors
du premier tour de table. L’avantage comparatif des capital-risqueurs ayant une stratégie plus
risquée est donc spécifique aux tours précoces. L’effet de la stratégie n’apparaît cependant pas
pour l’amorçage, mais cela est certainement dû au manque de données disponibles pour ces
tours de table. On constate de plus que l’effet de l’expérience diminue lui aussi lorsque le tour
de table augmente, l’élasticité passe de 0.19 à 0.16 puis à 0.11. Cela confirme que la compétence
en général est plus utile lors des tours de table précoces.
Le schéma est similaire pour les transitions d’une étape à une autre (Tableau 2.7). L’effet
de la stratégie est significatif est positif pour un passage du premier au second tour seulement.
L’influence de la compétence diminue là aussi entre le passage du premier tour au second et
celui du second tour au troisième.
Ces estimations permettent donc de confirmer que la compétence des capital-risqueurs augmente avec leur expérience, de montrer que les capital-risqueurs qui adoptent une stratégie plus
risquée ont un avantage comparatif à investir dans les stades précoces, et que la compétence de
sélection en général est plus utile lors des premiers stades de développement.
Principaux Résultats
Cette étude confirme donc l’existence d’une différenciation verticale des capital-risqueurs
en fonction de leur compétence. Cette compétence résulte à la fois de leur expérience en tant que
capital-risqueurs et de leur capital humain propre. Ce dernier n’est pas observable directement
2.4. Le modèle
127
avec les données dont nous disposons mais peut être partiellement révélé par leur stratégie d’investissement. Les capital-risqueurs les plus compétents choisissent une stratégie d’investissement plus risquée que les autres.
Cette étude confirme aussi que la sélection des start-ups est essentielle dans l’activité du
capital-risqueur puisque les choix d’investissement permettent de différencier les capital-risqueurs
performants des autres. La capacité de choisir les bonnes start-ups dans lesquelles investir est
donc déterminante pour le capital-risqueur.
2.4 Le modèle
Dans cette section, nous proposons un modèle du marché du financement des start-ups par
les capital-risqueurs centré sur le processus de sélection des start-ups par les capital-risqueurs.
Le marché comprend donc deux types d’agents, les start-ups et les capital-risqueurs.
Les start-ups sont hétérogènes en qualité. La qualité détermine la probabilité de succès des
start-ups et donc le profit espéré en cas d’investissement. Les capital-risqueurs sont hétérogènes
en compétence. Leur compétence est définie comme une capacité à évaluer la qualité des projets de start-ups qu’on leur propose de financer. Le marché est défini par les interactions entre la
population des start-ups et celle des capital-risqueurs, c’est-à-dire par la sélection et le financement des start-ups par les capital-risqueurs.
2.4.1 Les start-ups
Les start-ups sont hétérogènes en qualité. Cette qualité représente la capacité de la start-up à
devenir un succès. Cela comprend des caractéristiques internes comme la qualité de l’entreprise
dirigeante ou le potentiel de l’innovation, mais aussi des critères extérieurs comme l’existence
d’un large marché potentiel et l’état de la concurrence. Cette qualité différencie verticalement
les start-ups entre elles : il est toujours préférable d’investir dans une start-up de meilleure
qualité. Le montant investi est le même dans chaque start-up, et le gain en cas de succès aussi.
Les start-ups sont donc ici considérées simplement comme des opportunités de placement à
saisir ou pas, suivant l’évaluation que le capital-risqueur en fait.
128
Chapitre 2. Le processus de sélection des start-ups
Dans toute la suite les start-ups seront indexée par l’indice i. La qualité de la start-up i est
notée qi . La qualité de la start-up détermine sa probabilité de succès pi .
pi = qi × p̄
(2.7)
Pour des raisons de simplicité, nous avons choisi une relation linéaire simple entre la qualité
de la start-up et la probabilité de succès. Nous supposons de plus que la distribution de la qualité
des start-ups a une moyenne égale à 1, de sorte que p̄ est la probabilité de succès moyenne de
la population des start-ups. Ce choix permet de paramétrer séparément la probabilité de succès
moyenne et la dispersion de la population des start-ups autour de cette moyenne.
Les start-ups sont supposées avoir besoin du même montant d’investissement I. Le résultat
des start-ups est binaire. Si la start-up est un succès sa valeur est multipliée par un facteur g,
sinon sa valeur est considérée comme nulle. Cela permet de définir πi , le profit réalisé par un
capital-risqueur s’il investit dans la start-up i.

 g × I − I avec la probabilité
pi
πi =

−I
avec la probabilité (1 − pi )
(2.8)
Cette modélisation est une représentation simplifiée des profits générés par l’investissement
dans une start-up. Elle capture néanmoins les deux caractéristiques principales des retours sur
investissement dans le capital-risque : un grand nombre d’échecs compensés par des gains très
importants en cas de succès. Une modélisation plus réaliste conserverait la logique en deux
étapes : une sortie aléatoire de la start-up modélisée par un processus binaire, suivi d’un retour sur investissement aléatoire généré par une loi log-normale par exemple. La modélisation
choisie ici dégrade donc la représentation des retours au nom de la simplicité afin de réserver
un traitement plus fin au processus de sélection.
Cette représentation est aussi proche du raisonnement des capital-risqueurs. Lorsque ces
derniers évaluent une start-up ils estiment la probabilité que celle-ci leur rapporte au moins une
certaine fois leur mise.
2.4. Le modèle
129
2.4.2 Les capital-risqueurs
Les capital-risqueurs possèdent une compétence spécifique qui leur permet d’évaluer la
qualité des start-ups qu’on leur propose de financer. Dans toute la suite les capital-risqueurs
seront indexés par l’indice j. La compétence du capital-risqueur c j est modélisée comme l’acuité
de l’évaluation q̃i j de la qualité de la start-up i par le capital-risqueur j. Cette évaluation est perturbée par un bruit ui j . Les ui j sont i.i.d. et issus de la même distribution que les qi 17 .
q̃i j = c j × qi + (1 − c j ) × ui j
(2.9)
Cette spécification est inspirée de Voorneveld & Weibull (2004) qui reformulent le marché
des voitures d’occasion d’Akerlof (1970) avec des consommateurs pouvant évaluer partiellement la qualité des voitures18 . Elle permet d’effectuer un balayage continu de l’absence d’information (c = 0) à l’information parfaite (c = 1) tout en conservant la valeur moyenne de
l’évaluation égale à celle de la qualité réelle.
Cette modélisation pose une hypothèse forte sur le fonctionnement du capital-risque. Ici
information parfaite ne signifie pas une prédiction parfaite du futur, mais une évaluation exacte
du risque encouru en investissant dans la start-up. Cela veut dire que l’investissement dans
une start-up reste risqué même pour un capital-risqueur très compétent. Mais le capital-risqueur
compétent peut diminuer le risque auquel il s’expose en sélectionnant les start-ups qu’il finance.
Le capital-risqueur sans compétence au contraire ne peut que compter sur un niveau de risque
équivalent à la probabilité de succès moyenne des start-ups p̄.
La probabilité de succès de la start-up pi constitue donc un horizon indépassable que l’on
peut voir comme la meilleure estimation réalisable avec l’information disponible au moment de
l’investissement. La compétence des capital-risqueurs permet donc de passer d’une information
17 Cette
contrainte n’est pas nécessaire a priori, mais elle permet d’une part de limiter le nombre de paramètres
du modèle, et d’autre part elle représente l’idée que le capital-risqueur est trompé par un bruit dont les propriétés
statistiques sont identiques à celle de l’information réelle. De plus l’étude de Bottazzi & Mas (2008) montre que
c’est surtout la distribution du bruit qui est critique pour l’efficacité de la sélection, indépendamment de celle de la
qualité. Choisir les deux distributions identiques n’a donc pas un trop grand impact sur le modèle.
18 En ajoutant une capacité d’évaluation imparfaite de la qualité des voitures aux consommateurs, les auteurs
montrent l’existence d’équilibres mélangeurs et séparateurs en fonction du niveau d’information des consommateurs, nuançant ainsi le résultat initial d’Akerlof (1970).
Chapitre 2. Le processus de sélection des start-ups
130
incomplète (on ignore la qualité de la start-up) à une simple incertitude (un succès aléatoire
mais dont la probabilité est connue).
2.4.3
Le marché
Sur le marché se rencontrent S start-ups cherchant un investisseur et V capital-risqueurs. La
qualité des start-ups est distribuée aléatoirement suivant une distribution Q de moyenne 1.
Dans ce chapitre, les capital-risqueurs sont considérés comme homogènes de compétence
c. Cela permet d’étudier l’influence du niveau de compétence sur le processus de sélection sans
se préoccuper pour l’instant de l’hétérogénéité des capital-risqueurs. On peut voir c comme le
niveau de compétence moyen des capital-risqueurs.
Le processus de sélection se déroule comme suit. Chaque capital-risqueur finance une unique
start-up, et chaque start-up ne peut être financée que par un seul capital-risqueur. Nous supposons S ≥ V , ce qui signifie que chaque capital-risqueur trouve au moins une start-up à financer mais que S −V start-ups ne sont pas financées. Les capital-risqueurs choisissent chacun
leur tour la start-up s j qu’ils financent parmi les start-ups qui n’ont pas été choisies par un
capital-risqueur précédent. Ils choisissent la meilleure start-up suivant leur évaluation qi j . L’ordre de choix des capital-risqueurs est aléatoire.
s j = argmax{i|i6=sk ,∀k< j} q̃i j
(2.10)
Le modèle suppose que les capital-risqueurs sont en compétition pour financer les meilleures
start-ups dans une population finie. Cette compétition est résolue simplement par un choix
séquentiel dans un ordre aléatoire. Le modèle permet donc d’étudier les effets de la compétition
sans se trop se préoccuper du mécanisme de compétition lui même.
L’hypothèse selon laquelle un capital-risqueur finance une seule start-up est aussi très restrictive, mais on peut aisément passer à un financement de plusieurs start-ups en dupliquant
le capital-risqueur. Dans le cas homogène qui nous intéresse ici on peut même voir le modèle
comme représentant le financement d’une start-up par V capital-risqueurs ou de n start-ups par
V
n
capital-risqueurs. Le résultat global n’est donc pas affecté par cette hypothèse.
2.5. Analyse du modèle
131
Enfin l’hypothèse selon laquelle chaque capital-risqueur finance toujours une start-up est
aussi discutable. En effet si un capital-risqueur ne trouve pas de start-up de qualité suffisante
à ses yeux rien ne l’oblige a priori à financer une start-up à tout prix. Cela peut malgré tout
arriver dans le cas d’un trop grand afflux de capital vers le capital-risque. Les capital-risqueurs
disposant d’un temps limité pour investir leur fonds, ils peuvent être amenés à financer des startups de moins bonne qualité (Gompers & Lerner 2000). Cette hypothèse sera levée ultérieurement.
2.5 Analyse du modèle
L’objectif de cette analyse est d’isoler les paramètres clés du modèle, et de déterminer l’influence des paramètres spécifiques au marché du capital-risque sur la rentabilité des investissements.
Nous montrons notamment que la rentabilité du capital-risque dépend à la fois de son environnement, qui détermine le retour brut sans sélection, et de paramètres qui lui sont propres, le
niveau de compétence des capital-risqueurs et l’intensité de la sélection. Nous montrons aussi
que le niveau de compétence et l’intensité de sélection sont substituables et qu’aussi faible que
soit le niveau de compétence des capital-risqueurs, il peut toujours être compensé par une intensité de sélection plus importante.
2.5.1 Paramètres du modèle
Le modèle comprend 6 paramètres exogènes :
p̄ la probabilité de succès moyenne des start-ups
g le multiplicateur de gain en cas de succès
S le nombre de start-ups
V le nombre de capital-risqueurs
Q la distribution de qualité des start-ups
c le niveau de compétence des capital-risqueurs
Chapitre 2. Le processus de sélection des start-ups
132
Parmi ces paramètres, deux sont liés à l’activité en amont du capital-risque, S et Q. Ils
représentent l’afflux d’entrepreneurs et d’innovations vers le capital-risque, ainsi que la qualité
des projets proposés. Leur niveau dépend de facteurs extérieurs au capital-risque tel que le
niveau d’investissement en R&D privé et public, la mobilité des chercheurs et des ingénieurs, ou
les facilités de création de nouvelles entreprises. Un paramètre est lié spécifiquement à l’activité
en aval du capital-risque, le multiplicateur de gain en cas de succès g, qui représente le marché
potentiel qui s’ouvre à la start-up en cas de succès. Enfin p̄ est un paramètre hybride entre amont
et aval. La probabilité de sortie moyenne des start-ups dépend en effet aussi bien de la qualité
des projets de start-ups qui cherchent un financement que de l’existence de marchés de sortie
actifs permettant la sortie effective des start-ups. Tout ces paramètres sont donc des paramètres
environnementaux du capital-risque.
Deux paramètres sont par contre liés au capital-risque proprement dit, V et c, qui représentent le nombre et la compétence des capital-risqueurs. On retrouve donc ici la chaîne de production de l’innovation décrite par Carlsson & Eliasson (2003), avec un amont et un aval du
capital-risque qui ont une influence directe sur son fonctionnement.
Ce modèle permet donc de prendre en compte le capital-risque dans son environnement.
L’efficacité du capital-risque doit être considérée comme sa capacité à remplir sa fonction dans
le “bloc de compétence”, c’est-à-dire sélectionner et financer les meilleures start-ups, dans les
conditions imposées par les étapes précédentes et suivantes.
2.5.2
Hypothèses simplificatrices
Pour étudier le modèle formellement, nous faisons deux hypothèses simplificatrices :
H1 : la distribution de la qualité des start-ups Q est uniforme sur [0 : 2]
H2 : tous les capital-risqueurs partagent la même évaluation de la qualité des start-ups.
C’est-à-dire que l’équation (2.9) devient :
q̃i j = q̃i = c × qi + (1 − c) × ui
(2.11)
2.5. Analyse du modèle
133
2.5.3 Calcul de la rentabilité du capital-risque
Pour être efficace le capital-risque doit tout d’abord être rentable, c’est pourquoi nous commençons par calculer la rentabilité du capital-risque en fonction des paramètres du modèle.
La rentabilité peut se mesurer de plusieurs manières. On peut calculer le profit espéré E(π),
le retour brut E(R) ou le retour net E(r) sur investissement espéré. Ces trois quantités sont
reliées ainsi :
E(ri ) =
E(π)
= E(R) − 1
I
(2.12)
Lorsque le profit est proportionnel au montant investi, ce qui est le cas ici, il est plus simple de se concentrer sur le retour sur investissement qui est alors indépendant du montant de
l’investissement I. Puisque que nous nous intéressons à la rentabilité du capital-risque, nous
considérons le retour net, qui doit être positif pour que l’investissement soit rentable.
Séparation de la qualité moyenne de la sélection et du retour brut sans sélection
A partir des équations (2.7) et (2.8) on dérive immédiatement l’expression du retour net sur
investissement espéré E(ri ) pour un investissement dans la start-up i.
E(ri ) =
E(πi ) ( p̄ g qi − 1) × I
=
= p̄ g qi − 1
I
I
(2.13)
A partir de cette expression on voit d’ors et déjà que l’on peut séparer l’effet du produit p̄ g
et de la sélection. La sélection permet en effet de passer d’une population de start-up initiale de
qualité moyenne 1 à une population VC de qualité moyenne qVC . Le retour espéré du capitalrisque E(rVC ) est donc :
E(rVC ) = E(E(ri )|i ∈ VC)
= E( p̄ g qi − 1|i ∈ VC)
= p̄ g E(qi |i ∈ VC) − 1
(2.14)
= p̄ g qVC − 1
Le produit p̄ g correspond au retour brut d’un investissement en l’absence de sélection.
Il représente les conditions environnementales du capital-risque car il dépend uniquement de
Chapitre 2. Le processus de sélection des start-ups
134
facteurs extérieurs au capital-risque proprement dit. L’effet de ce produit est de déterminer la
qualité moyenne minimum des start-ups sélectionnées. En effet, la condition pour obtenir un
retour positif est :
E(rVC ) > 0 ⇔ qVC >
1
p̄ g
(2.15)
Le retour brut sans sélection p̄ g est donc un paramètre réduit du modèle. Il détermine la
qualité moyenne minimum des start-ups sélectionnées requise pour que le capital-risque soit
rentable. Plus il est faible plus la sélection doit être sévère.
Calcul de la qualité moyenne de la sélection
Puisque l’on peut séparer le retour brut sans sélection et la qualité moyenne de la sélection,
il nous suffit de calculer cette dernière pour déterminer ensuite la rentabilité du capital.
D’après notre seconde hypothèse (H2), l’évaluation des start-ups est commune à tous les
capital-risqueurs. La sélection revient alors à un seuillage sur la distribution des évaluations
comme indiqué sur la Figure 2.4.
Le calcul de la qualité moyenne dans la sélection se fait donc en deux temps. Il faut tout
d’abord déterminer le seuil de sélection q̃ sur l’évaluation de la qualité. Puis calculer la qualité
moyenne espérée des start-ups dont l’évaluation est supérieure au seuil de sélection.
Pour calculer le seuil q̃, il faut tout d’abord calculer la distribution des évaluations des startups fq̃ . Cette distribution est une combinaison de deux distributions uniformes identiques, ce
qui revient à une simple convolution :
fq̃ (x) =
Z ∞
−∞
fc q (t) f(1−c) u (q̃ − t) dt
(2.16)
Le Tableau 2.12 en annexe donne l’expression exacte de cette densité, et le Tableau 2.13
celle de la fonction de répartition correspondante Fq̃ .
La sélection consiste à prendre la fraction supérieure de la distribution des évaluations.
La proportion de start-ups retenue est égale au nombre de capital-risqueurs sur le nombre de
start-ups
V
S
= 1l . Ici l représente l’intensité de la sélection, c’est-à-dire le nombre de start-ups
candidates par rapport au nombre de start-ups sélectionnées.
2.5. Analyse du modèle
135
c < 1/2
c > 1/2
Densite
1
2(1−c)
1
2c
0
2
~
q
_
2c
2(1−c)
2(1−c)
Qualite
2c
F IG . 2.4: Sélection des start-ups en cas d’évaluation partagée par tous les capital-risqueurs.
Le graphique montre la distribution de l’évaluation des start-ups. Les points d’inflexions varient suivant que c est inférieur ou supérieur à 12 . Les start-ups sélectionnées sont celles dont
l’évaluation est supérieure au seuil q̃ (zone grisée).
Le seuil de sélection sur l’évaluation de la qualité est donc la solution de l’équation suivante :
P(q̃ > q̃) = 1 − Fq̃ (q̃) =
V
1
=
S
l
(2.17)
En fonction des valeurs de c et de l, il y a 6 expressions différentes pour q̃. Cela coupe le
plan (c, l) en 6 zones différentes. Ces zones sont tracées sur la Figure 2.16 en annexe.
Une fois déterminé le seuil de sélection, on connaît l’évaluation de la qualité des start-ups
sélectionnées. Or le retour sur investissement dépend de la qualité réelle des start-ups, non
de leur évaluation. Pour calculer la qualité moyenne des start-ups sélectionnés il faut donc
calculer la qualité espérée d’une start-up dont l’évaluation est connue E(q|q̃). Cela dépend de
la probabilité P(q|q̃) qui peut être calculée avec la règle de Bayes.
E(q|q̃) =
Z 2
0
q P(q|q̃) dq =
Z 2
P(q̃|q) P(q)
0
P(q̃)
q dq
(2.18)
Les expressions littérales de P(q|q̃) et E(q|q̃) sont données dans les Tableaux 2.15 et 2.16
en annexe. Maintenant nous pouvons calculer la qualité moyenne des start-ups sélectionnées
qVC avec la formule suivante :
Chapitre 2. Le processus de sélection des start-ups
136
qVC = E(q|q̃ > q̃) =
Z 2
q̃
P(q̃)
d q̃ = l ∗
E(q|q̃)
P(q̃ > q̃)
Z 2
E(q|q̃) P(q̃) d q̃
(2.19)
q̃
L’expression finale de la qualité moyenne des start-ups sélectionnées est donnée dans le
Tableau 2.17 en annexe. Les formules ne sont pas très explicites, mais on peut déjà constater
que qVC ne dépend que du niveau de compétence des capital-risqueurs c et de l’intensité de
sélection l = VS . On peut aussi aisément vérifier que
∂qVC
∂c
> 0 si l > 1 et que
∂qVC
∂l
> 0 si c > 0.
qVC = f (c , l )
(2.20)
+ +
On peut donc résumer les conclusions de cette analyse par le résultat suivant :
Résultat 2.2 (Paramètres influant sur la rentabilité du capital-risque). La rentabilité du capitalrisque dépend d’un paramètre d’environnement, le retour brut sans sélection, et de deux paramètres
propres au capital-risque, le niveau de compétence des capital-risqueurs et l’intensité de la
sélection. Le retour brut sans sélection fixe la difficulté de la sélection : plus il est faible plus la
sélection des start-ups doit être sévère. La rentabilité est strictement croissante avec les deux
paramètres qui lui sont propres, le niveau de compétence et l’intensité de sélection.
Lignes de niveau de la qualité moyenne de la sélection
L’analyse des lignes de niveau de la qualité moyenne de la sélection permet de déterminer
la substituabilité de la compétence et de l’intensité de sélection.
A partir des expressions trouvées pour la qualité moyenne, on peut déterminer l’expression
des deux branches extrêmes.
Lorsque c → 0, on se trouve dans le cas c < 12 , l ∈ [ 2(1−c)
2−3c :
2 (1−c)
].
c
L’expression de qVC
devient alors :
c → 0 : qVC ≈ 1 +
cl
6
(2.21)
La ligne de niveau a donc une asymptote pour c = 0. Cela signifie qu’aussi petite que soit
la valeur de la compétence, pour peu qu’elle ne soit pas nulle, il existe toujours un niveau
d’intensité de sélection qui permet d’atteindre le niveau de qualité voulu.
2.5. Analyse du modèle
137
Lorsque c → 1, on se trouve dans le cas c > 12 , l ∈ [ 2(1−c)
2−3c :
2 (1−c)
].
c
L’expression de qVC
devient alors :
c → 1 : qVC ≈ 2 −
1
l
(2.22)
Cela signifie que pour tout niveau de qualité souhaité, il existe une valeur minimum de
l’intensité de sélection requise pour l’atteindre : lmin =
1
2−q .
Cela nous permet donc d’établir le résultat suivant :
Résultat 2.3 (Subsituabilité de la compétence et de l’intensité de sélection). La compétence
et l’intensité de sélection sont substituables. Quel que soit le niveau de qualité moyen souhaité
pour les start-ups sélectionnées, et si le niveau de compétence des capital-risqueurs est non nul,
il existe un niveau d’intensité de sélection qui permet de l’atteindre. Par contre pour chaque
niveau de qualité moyenne des start-ups, il existe un niveau minimum de l’intensité de sélection
requis pour l’atteindre.
2.5.4 Frontière de rentabilité
A l’aide des résultats précédents, nous pouvons maintenant étudier dans quelles conditions
le financement des start-ups est rentable. Puisque nous avons établi que la rentabilité du capitalrisque dépend de la qualité moyenne de la sélection et de la valeur du retour sans sélection (Eq.
2.14), nous commençons par déterminer les valeurs possibles pour la qualité moyenne de la
sélection.
La qualité moyenne des start-ups sélectionnées en fonction du niveau de compétence des
capital-risqueurs et de l’intensité de sélection qVC (c, l) est tracée sur la Figure 2.5. La valeur
minimum est 1, ce qui correspond à la qualité moyenne de la population initiale des start-ups.
Ce minimum est atteint lorsque la sélection est inopérante, soit parce que les capital-risqueurs
n’ont aucune information sur la qualité des start-ups (c = 0), soit parce que toutes les start-ups
sont sélectionnées (l = 1). La qualité moyenne des start-ups sélectionnées est ensuite strictement
croissante avec c et l. Elle tend vers 2, la valeur maximum de la qualité des start-ups, lorsque
l → ∞ et ce quelque soit la valeur de c > 0. Cette croissance est d’autant plus rapide que c est
proche de 1.
Chapitre 2. Le processus de sélection des start-ups
138
1.9
1.8
1.7
1.6
1.5
1.4
1.3
1.2
1.1
1
0.9
1.9
1.8
1.7
1.6
1.5
1.4
1.3
1.2
1.1
1
0.9
0
0.2
0.4
competence 0.6
0.8
2
1 1
3
8 9
6 7
4 5
intensite de selection
10
F IG . 2.5: Qualité moyenne des start-ups sélectionnées en fonction du niveau de compétence
des capital-risqueurs c et de l’intensité de sélection l = VS .
p.g = 0.95
p.g = 0.9
p.g = 0.85
p.g = 0.8
p.g = 0.75
p.g = 0.7
p.g = 0.65
p.g = 0.6
p.g = 0.55
0
competence
0.2
0.4
0.6
0.8
1
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
intensite de selection
F IG . 2.6: Frontières de rentabilité dans le plan du niveau de compétence des capital-risqueurs
c et de l’intensité de sélection l = VS en fonction du retour brut sans sélection p̄ g.
2.5. Analyse du modèle
139
Nous pouvons maintenant déterminer la zone de rentabilité en fonction du retour brut sans
sélection. Puisque la qualité moyenne dans la sélection est au moins supérieure à 1, le capitalrisque est toujours rentable lorsque le retour brut sans sélection p̄ g est lui aussi supérieur à
l’unité. La sélection n’est donc nécessaire que lorsque le retour brut sans sélection est inférieur
à 1 et c’est seulement dans ces conditions que le capital-risque est utile. C’est donc le cas que
nous considérons.
Tant que la qualité minimum requise pour que le capital-risque soit rentable est inférieure
à la qualité maximum ( p̄1g < max(qVC ) = 2), la stricte croissance de la qualité moyenne de la
sélection en fonction de la compétence et de l’intensité de sélection implique qu’il existe une
zone de paramètres dans le plan (c, l) tel que le retour net sur investissement espéré du capitalrisque soit positif. Cette zone est délimitée par une frontière de rentabilité correspondant à un
retour nul E(rVC ) = 0.
La Figure 2.6 montre les frontières de rentabilité obtenues pour différents niveaux du retour
brut sans sélection p̄ g. Ces courbes illustrent les résultats suivants.
Puisque le niveau de qualité minimum requis augmente lorsque le retour brut sans sélection
diminue, ces frontières définissent des zones de rentabilité de plus en plus restreintes lorsque le
retour brut sans sélection tend vers zéro.
Les frontières de rentabilité correspondent à des lignes de niveau de la qualité moyenne des
start-ups sélectionnées. On retrouve donc le fait que pour tout niveau du retour brut sans sélection, il existe un niveau minimum d’intensité de sélection requis pour atteindre la rentabilité.
Enfin, puisque l’on peut toujours atteindre un niveau de qualité cible pour peu que le niveau
de compétence des capital-risqueurs soit non nul, le capital-risque peut être rentable même si
les capital-risqueurs sont peu compétents. Cependant la faible compétence des capital-risqueurs
doit être compensée par une grande intensité de sélection.
Principaux Résultats
Cette analyse a donc permis d’identifier trois paramètres réduits dont dépend le retour sur
investissement du capital-risque. Le retour brut sans sélection est un paramètre extérieur au
Chapitre 2. Le processus de sélection des start-ups
140
capital-risque. Il fixe l’objectif à atteindre pour la sélection des start-ups : plus il est faible plus
la sélection doit être efficace.
Les deux autres paramètres, le niveau de compétence des capital-risqueurs et l’intensité de
sélection, sont propres au capital-risque. La qualité moyenne des start-ups sélectionnées est
croissante avec ces deux paramètres, mais leur rôle n’est pas symétrique. Quelle que soit la
qualité moyenne à atteindre pour la sélection et pour peu que l’évaluation des capital-risqueurs
comporte au moins un peu d’information, il existe toujours un niveau d’intensité de sélection
qui permet de l’atteindre. Par contre il existe un niveau d’intensité de sélection minimum requis
pour atteindre une qualité de sélection donnée même avec une information parfaite des capitalrisqueurs sur la qualité des start-ups.
Par conséquent, pour être rentable le capital-risque requière une intensité de sélection minimum, mais il peut être rentable même avec des capital-risqueurs très peu compétents.
2.6
Simulations
L’analyse précédente repose sur deux hypothèses simplificatrices, une distribution de la
qualité des start-ups uniforme sur [0 : 2] (H1) et l’évaluation de la qualité partagée par tous
les capital-risqueurs (H2). La simulation du modèle permet de dépasser ces hypothèses et notamment la seconde (H2) qui est la plus restrictive des deux. Par contre les capital-risqueurs
restent toujours homogènes en compétence. C’est-à-dire que l’on s’intéresse plutôt au niveau
moyen de compétence des capital-risqueurs, qu’à la compétence individuelle de chacun.
Ces simulations mettent en évidence le fait que passer d’une évaluation partagée à une évaluation privée peut améliorer la rentabilité du capital-risque. Nous étudions alors en détail la
différence entre une évaluation partagée, qui peut s’assimiler à un marché centralisé, et une
évaluation privée, qui correspond à un marché décentralisé. Nous montrons que le marché décentralisé est plus efficace lorsque la distribution du bruit a une queue fine, c’est-à-dire lorsque
le bruit est une distribution centrée, alors que le marché centralisé est plus efficace lorsque le
bruit a une queue lourde, c’est-à-dire lorsque les erreurs de grande magnitude sont influentes.
2.6. Simulations
141
2.6.1 Evaluation privée plutôt que partagée
Nous calculons donc le retour sur investissement moyen obtenu par 100 capital-risqueurs au
cours de 100 simulations en faisant varier le niveau de compétence c et l’intensité de sélection
l. Pour toute la suite, le retour brut sans sélection p̄ g est fixé à 0.75 ( p̄ = 0.075, g = 10).
La Figure 2.7 montre en référence le retour sur investissement moyen obtenu avec les hypothèses utilisées pour l’analyse précédente. La frontière de rentabilité est tracée à la base du
graphique. La Figure 2.8 montre le retour sur investissement moyen obtenu en levant l’hypothèse d’une évaluation partagée (H2), c’est-à-dire en utilisant l’équation (2.9) au lieu de
l’équation (2.11).
Qualitativement les résultats précédents restent valables. Le retour est toujours une fonction
croissante du niveau de compétence et de l’intensité de sélection. La frontière de rentabilité a
toujours la même forme. Par contre quantitativement on constate une nette amélioration de la
rentabilité moyenne lorsque l’évaluation de la qualité des start-ups est privée. Il semblerait donc
que le fait que les capital-risqueurs aient des évaluations indépendantes (les bruits ui j sont i.i.d.)
soit bénéfique pour la sélection des start-ups.
2.6.2 Distribution de qualité Gaussienne
Afin de tester l’impact de la forme de la distribution de la qualité des start-ups Q, nous
avons relancé les simulations précédentes en remplaçant la distribution uniforme sur [0 : 2] par
une distribution normale N(1, 0.3). Les résultats obtenus sont tracés sur les Figures 2.9 et 2.10.
Les résultats sont toujours qualitativement identiques mais quantitativement atténués. En
effet la sélection est plus difficile avec une distribution de qualité normale qu’uniforme. Cela
est dû à la moindre probabilité des start-ups de bonne qualité dans une distribution normale
comparée à une distribution uniforme. Du coup la rentabilité moyenne est plus faible.
Cela étant le passage d’une évaluation partagée à une évaluation privée à toujours un effet
bénéfique avec une distribution de qualité normale, bien que cet effet soit moins important que
dans le cas de la distribution uniforme.
Chapitre 2. Le processus de sélection des start-ups
142
0.5
0.4
0.3
0.2
0.1
0
-0.1
-0.2
-0.3
0.5
0.4
0.3
0.2
0.1
0
-0.1
-0.2
-0.3
retours < 0
0
0.2
0.4
competence 0.6
0.8
retours > 0
1 1
2
3
8 9
6 7
4 5
intensite de selection
10
F IG . 2.7: Retour sur investissement, qualité uniforme, évaluation partagée
0.5
0.4
0.3
0.2
0.1
0
-0.1
-0.2
-0.3
0.5
0.4
0.3
0.2
0.1
0
-0.1
-0.2
-0.3
retours < 0
0
0.2
0.4
competence 0.6
0.8
retours > 0
1 1
2
3
8 9
6 7
4 5
intensite de selection
10
F IG . 2.8: Retour sur investissement, qualité uniforme, évaluation privée
2.6. Simulations
143
0.5
0.4
0.3
0.2
0.1
0
-0.1
-0.2
-0.3
0.5
0.4
0.3
0.2
0.1
0
-0.1
-0.2
-0.3
0
0.2
0.4
competence 0.6
0.8
retours < 0
retours > 0
1 1
2
9
7 8
5 6
4
3 intensite de la selection
10
F IG . 2.9: Retour sur investissement, qualité normale, évaluation partagée
0.5
0.4
0.3
0.2
0.1
0
-0.1
-0.2
-0.3
0.5
0.4
0.3
0.2
0.1
0
-0.1
-0.2
-0.3
retours < 0
0
0.2
0.4
competence 0.6
0.8
retours > 0
1 1
2
3
8 9
6 7
4 5
intensite de selection
10
F IG . 2.10: Retour sur investissement, qualité normale, évaluation privée
144
Chapitre 2. Le processus de sélection des start-ups
2.6.3 Marché centralisé ou décentralisé ?
L’effet bénéfique de l’évaluation privée rappelle l’importance de la “variété horizontale”
défendue par Carlsson & Eliasson (2003). En complément de ce qu’ils appellent la “complétude verticale”, la nécessité que chaque fonction soit assurée correctement dans le bloc de compétence de l’innovation, ils insistent en effet sur l’importance de la “variété horizontale” : les
capital-risqueurs doivent avoir des profils et des compétences variés afin de limiter les erreurs
de type II (ne pas financer une bonne start-up). Ils invoquent pour cela le modèle de Sah &
Stiglitz (1986) qui montre la supériorité des polyarchies par rapport aux hiérarchies dans ce cas.
Dans notre modèle on peut assimiler l’évaluation partagée à une situation de marché centralisé où un seul capital-risqueur financerait V start-ups, et l’évaluation privé à un marché
décentralisé où V capital-risqueurs seraient en compétition pour le financement d’une start-up
chacun. On peut donc se demander si un marché décentralisé est toujours plus efficace qu’un
marché centralisé.
Cela dépend en fait de la distribution choisie pour la qualité des start-ups, qui est aussi celle
du bruit. (Equation 2.9)
Les Figures 2.11 et 2.12 présentent le retour moyen espéré en fonction de la compétence et
de l’intensité de la sélection pour différentes distributions et un marché décentralisé ou centralisé. Les distributions sont ordonnées en fonction de leur queue, de la plus fine à la plus lourde.
Sur la Figure 2.11 on retrouve les distributions uniforme et normale pour lesquelles on sait déjà
que le marché décentralisé est préférable. Vient ensuite la distribution de Gumbel pour laquelle
il n’y a pas de différence entre les deux conditions. Sur la Figure 2.12 on trouve des dsitributions
à queues lourdes, distribution exponentielle, log-normale et de Pareto, et le marché centralisé
devient alors préférable. La différence est très faible pour la distribution exponentielle, mais elle
devient de plus en plus importante lorsque la queue de la distribution s’alourdit.
Le Tableau 2.11 présente la différence moyenne de retour sur investissement entre le marché
centralisé et décentralisé pour chaque distribution. La différence est calculée sur tous les points
de simulation utilisés pour tracer les graphiques (tous les 0.1 unités pour la compétence et toutes
les unités pour l’intensité de sélection). On peut ensuite tester si cette moyenne est significativement différente de zéro.
2.6. Simulations
145
0.4
0.3
0.2
0.1
0
-0.1
-0.2
-0.3
0.4
0.3
0.2
0.1
0
-0.1
-0.2
-0.3
0
0.2
0.4
competence 0.6
0.8
1 1
1.5
4.5
3.5 4
2.5 3
2 intensite
de selection
0.4
0.3
0.2
0.1
0
-0.1
-0.2
-0.3
0
0.2
0.4
competence 0.6
0.8
5
1 1
(a) Uniforme décentralisé
0.1
0.05
0
-0.05
-0.1
-0.15
-0.2
-0.25
-0.3
1 1
1.5
4.5
3.5 4
2.5 3
2 intensite
de selection
1 1
2
4.5
3.5 4
2.5 3
intensite de selection
(e) Gumbel décentralisé
1.5
4.5
3.5 4
2.5 3
2 intensite
de selection
5
(d) Normale centralisé
1.4
1.2
1
0.8
0.6
0.4
0.2
0
-0.2
-0.4
1.5
5
0.1
0.05
0
-0.05
-0.1
-0.15
-0.2
-0.25
-0.3
0
0.2
0.4
competence 0.6
0.8
5
1.4
1.2
1
0.8
0.6
0.4
0.2
0
-0.2
-0.4
1 1
4.5
3.5 4
2.5 3
2 intensite
de selection
0.1
0.05
0
-0.05
-0.1
-0.15
-0.2
-0.25
-0.3
(c) Normale décentralisé
0
0.2
0.4
competence 0.6
0.8
1.5
(b) Uniforme centralisé
0.1
0.05
0
-0.05
-0.1
-0.15
-0.2
-0.25
-0.3
0
0.2
0.4
competence 0.6
0.8
0.4
0.3
0.2
0.1
0
-0.1
-0.2
-0.3
5
1.4
1.2
1
0.8
0.6
0.4
0.2
0
-0.2
-0.4
1.4
1.2
1
0.8
0.6
0.4
0.2
0
-0.2
-0.4
0
0.2
0.4
competence 0.6
0.8
1 1
1.5
2
4.5
3.5 4
2.5 3
intensite de selection
5
(f) Gumbel centralisé
F IG . 2.11: Retour sur investissement moyen pour différentes distributions de la qualité des
start-ups (et donc du bruit) avec une sélection décentralisée ou centralisée.
Chapitre 2. Le processus de sélection des start-ups
146
1
0.8
0.6
0.4
0.2
0
-0.2
-0.4
1
0.8
0.6
0.4
0.2
0
-0.2
-0.4
0
0.2
0.4
competence 0.6
0.8
1 1
1.5
4.5
3.5 4
2.5 3
2 intensite
de selection
1
0.8
0.6
0.4
0.2
0
-0.2
-0.4
0
0.2
0.4
competence 0.6
0.8
5
1 1
(a) Exponentielle décentralisé
1
0.8
0.6
0.4
0.2
0
-0.2
-0.4
1 1
1.5
4.5
3.5 4
2.5 3
2 intensite
de selection
1 1
2
4.5
3.5 4
2.5 3
intensite de selection
(e) Pareto décentralisé
1.5
4.5
3.5 4
2.5 3
2 intensite
de selection
5
(d) Log-normale centralisé
0.7
0.6
0.5
0.4
0.3
0.2
0.1
0
-0.1
-0.2
-0.3
1.5
5
1
0.8
0.6
0.4
0.2
0
-0.2
-0.4
0
0.2
0.4
competence 0.6
0.8
5
0.7
0.6
0.5
0.4
0.3
0.2
0.1
0
-0.1
-0.2
-0.3
1 1
4.5
3.5 4
2.5 3
2 intensite
de selection
1
0.8
0.6
0.4
0.2
0
-0.2
-0.4
(c) Log-normale décentralisé
0
0.2
0.4
competence 0.6
0.8
1.5
(b) Exponentielle centralisé
1
0.8
0.6
0.4
0.2
0
-0.2
-0.4
0
0.2
0.4
competence 0.6
0.8
1
0.8
0.6
0.4
0.2
0
-0.2
-0.4
5
0.7
0.6
0.5
0.4
0.3
0.2
0.1
0
-0.1
-0.2
-0.3
0.7
0.6
0.5
0.4
0.3
0.2
0.1
0
-0.1
-0.2
-0.3
0
0.2
0.4
competence 0.6
0.8
1 1
1.5
2
4.5
3.5 4
2.5 3
intensite de selection
5
(f) Pareto centralisé
F IG . 2.12: Retour sur investissement moyen pour différentes distributions de la qualité des
start-ups (et donc du bruit) avec une sélection décentralisée ou centralisée.
2.6. Simulations
147
Qualité des start-ups
Décentralisé - centralisé
Uniforme
0.16002
***
Normale
0.03258
***
Gumbel
0.00285
Exponentielle
-0.04665
***
Log-normale
-0.13790
***
Pareto
-0.36168
***
Weibull shape = 3
0.04178
***
Weibull shape = 1
-0.04441
***
Weibull shape = 0.5
-0.80513
***
Signif. : *** < 0.1% ; ** < 1% ; * < 5%
TAB . 2.11: Différence moyenne entre les retours sur investissements moyen dans le cas d’une
évaluation privée (marché décentralisé) et partagée (marché centralisé), pour différentes distribution de qualité des start-ups.
Ces simulations montrent que le marché décentralisé est plus efficace lorsque la distribution
de qualité des start-ups a une queue fine (Uniforme, Normale) mais que le marché centralisé est
plus efficace si elle a une queue lourde (Exponentielle, Log-normale, Pareto). Cette différence
est nulle pour une distribution de Gumbel. Ces résultats sont confirmés par l’utilisation d’une
distribution de Weibull qui possède un paramètre de forme shape, qui permet de passer d’une
queue fine (shape > 1) à une queue lourde (shape < 1) en passant par la distribution exponentielle (shape = 1).
Cet effet est étudié en détail par Bottazzi & Mas (2008). Ils montrent notamment que la
forme d’organisation optimale du marché, centralisé ou décentralisé, dépend uniquement de la
queue de la distribution du bruit. Ils établissent le résultat suivant.
148
Chapitre 2. Le processus de sélection des start-ups
Résultat 2.4. (Organisation optimale pour le marché de financement des start-ups) Soit deux
formes polaires pour l’organisation du marché de financement des start-ups : le marché centralisé, un agent central évalue toutes les start-ups et investi dans N start-ups, et le marché
décentralisé, N agents évaluent indépendamment les start-ups et en sélectionnent une chacun.
L’organisation optimale dépend uniquement de la forme de la distribution du bruit. Si la distribution du bruit a une queue fine, c’est-à-dire que les erreurs d’évaluation faites par les agents
sont concentrées autour de la moyenne, le marché décentralisé est le plus efficace. Si la distribution du bruit a une queue lourde, c’est-à-dire que les agents font peu d’erreurs mais que
celles qu’ils font sont très importantes, alors le marché centralisé est le plus efficace.
Ce résultat est similaire à celui de Sah & Stiglitz (1986). Ils montrent en effet qu’une hiérarchie est préférable lorsqu’il s’agit de d’éviter de financer de mauvais projet (éviter les erreurs de
type II), et qu’au contraire il faut préférer une polyarchie pour éviter de manquer un bon projet
(éviter les erreurs de type I). Dans notre cas, lorsque la distribution du bruit a une queue fine, les
erreurs d’estimation sont faibles et la priorité est d’éviter de rater des bons projets. On préfère
alors un marché décentralisé, qui est le pendant de la polyarchie. Lorsque la distribution du bruit
a une queue lourde, les erreurs sont potentiellement importantes, et il devient alors prioritaire
de les limiter. On préfère alors un marché centralisé, qui est le pendant de la hiérarchie.
Principaux Résultats
Ces simulations ont donc permis de monter que l’une des hypothèses faites pour l’analyse
formelle avait un impact quantitatif fort. Le fait de considérer une évaluation privée et indépendante pour chaque capital-risqueur ne change pas la forme ni les propriétés de la frontière de
rentabilité, mais la déplace. Le sens de déplacement dépend de la forme de la distribution du
bruit.
La forme de la distribution du bruit détermine donc l’organisation la plus efficace pour le
marché du financement des start-ups par les capital-risqueurs. Lorsque le bruit est plutôt centré
(queue fine) le marché décentralisé est plus efficace, mais lorsque le bruit est extrême (queue
lourde) le marché centralisé permet de limiter le nombre d’erreurs commises.
2.7. Efficacité du capital-risque
149
2.7 Efficacité du capital-risque
Pour la société, l’intérêt du capital-risque repose dans sa capacité à financer l’innovation.
Kortum & Lerner (2000) estiment d’ailleurs que l’argent investi en capital-risque est trois fois
plus efficace que l’argent investi en R&D classique pour produire de l’innovation. Mais comme
il s’agit d’un mode de financement privé, le capital-risque est requis d’être une activité rentable.
Ces deux objectifs induisent deux mesures de l’efficacité du capital-risque, le nombre d’innovations financées et la rentabilité financière. Dans le cadre de notre modèle, centré sur la sélection
des start-ups, ces deux mesures ont des traductions directes en terme d’évaluation des systèmes
de recherche d’information.
Dans cette section nous présentons tout d’abord les deux mesures de l’efficacité de la sélection, et nous en tirons une mesure de la capacité du capital-risque à financer l’innovation qui
combine les deux. Puis nous étudions l’évolution de cette capacité dans deux conditions, lorsque
l’entrée des capital-risqueurs sur le marché est simplement libre, et lorsqu’ils conditionnent de
plus leur entrée sur le marché à une anticipation de profit positif.
Nous montrons que lorsque l’entrée est libre sans anticipations, la capacité du capital-risque
à financer l’innovation est une fonction croissante de la compétence des capital-risqueurs. Par
contre si les capital-risqueurs n’entrent sur le marché que lorsqu’ils anticipent un profit positif, un niveau de compétence trop élevé peut diminuer cette capacité. Il existe alors un niveau
de compétence optimal qui maximise le nombre d’innovations financées sous contrainte de
rentabilité.
2.7.1 Mesures de l’efficacité de la sélection et du capital-risque
L’objectif du capital-risque est de financer des innovations utiles, sanctionnées par un succès
commercial. Les capital-risqueurs doivent donc financer les start-ups qui seront des succès. Expost, il est possible de savoir si les choix des capital-risqueurs ont été les bons, c’est-à-dire si
la start-up financée est un succès ou un échec. L’avantage de la simulation est qu’il est même
possible de savoir ce qu’il serait advenu des start-ups qui n’ont pas été financées par les capitalrisqueurs. L’efficacité du capital-risque dépend donc de l’efficacité de la sélection opérée par
les capital-risqueurs.
Chapitre 2. Le processus de sélection des start-ups
150
Cette efficacité peut se mesurer en fonction des erreurs de sélection commises par les capitalrisqueurs. En recherche de l’information, deux mesures permettent de mesurer ces erreurs. Les
erreurs de type I (ici, sélectionner une mauvaise start-ups) sont mesurées par la précision, et les
erreurs de type II (ne pas financer une bonne start-up) sont mesurées par le rappel. Voici leur
traduction pour la sélection des start-ups.
precision =
nb de succès obtenus
nb de start-ups financées
(2.23)
nb de succès obtenus
(2.24)
nb de start-ups qui auraient été un succès
La précision de la sélection conditionne directement la rentabilité du capital-risque, puisque
rappel =
chaque succès se traduit par un gain et chaque échec par des pertes. Le rappel est par contre
l’indicateur pertinent pour la société, puisqu’il mesure la capacité du capital-risque à ne pas
rater d’innovations potentiellement utiles étant donné qu’elles se seraient traduites en succès
commercial.
Dans notre modèle, la précision et le rappel moyens peuvent se calculer directement à partir
de la qualité des start-ups et de la probabilité de sortie moyenne des start-ups p̄. On retrouve
ainsi la relation directe entre la précision et le retour sur investissement moyen rVC . On constate
aussi que le rappel est au final indépendant de la probabilité de sortie moyenne p̄.
qi
∑i∈VC qi × p̄
∑
= p̄ i∈VC
V
V
1 + rVC
= p̄ E(qi |i ∈ VC) =
g
precision =
(2.25)
(2.26)
∑i∈VC qi × p̄ ∑i∈VC qi
=
(2.27)
∑i qi × p̄
∑i qi
Puisque que la société est essentiellement intéressée par la production d’innovations, l’obrappel =
jectif qu’elle assigne au capital-risque et de maximiser le nombre d’innovations financées tout
en étant rentable. Nous définissons donc l’efficacité du capital-risque par sa capacité à financer
l’innovation :

 rappel
si
rVC > 0
efficacité =

0 sinon
(2.28)
2.7. Efficacité du capital-risque
151
2.7.2 Libre entrée simple
Pour mesurer l’impact du niveau de compétence des capital-risqueurs sur l’efficacité du
capital-risque on peut considérer tous les paramètres extérieurs au capital-risque fixes et rendre
l’intensité de sélection endogène. Si l’on suppose que l’entrée des capital-risqueurs est libre sur
le marché du capital-risque, la contrainte de participation des capital-risqueurs, obtenir un retour
sur investissement positif, implique que l’équilibre de long terme se trouve sur la frontière de
rentabilité. On peut alors calculer le rappel correspondant.
La Figure 2.13 montre le résultat obtenu avec les paramètres suivants : distribution de la
qualité des start-ups normale, évaluation privée, retour brut sans sélection 0.75 et intensité de
sélection endogène.
La frontière de rentabilité définit alors une relation négative entre la compétence et l’intensité de sélection. Or rappel et intensité de sélection sont liées. En effet, moins la sélection est
sévère, plus il y a de start-ups financées et donc de succès. Si l’intensité de la sélection diminue
avec la compétence des capital-risqueurs, le rappel doit donc augmenter. C’est bien ce que l’on
constate ici.
Le rappel se confond dans ce cas avec l’efficacité du capital-risque car la condition de
rentabilité du capital-risque est toujours remplie. La capacité du capital-risque à financer l’innovation est donc une fonction croissante de la compétence. Mais même avec une information
parfaite (c = 1), le rappel reste inférieur à 0.5, ce qui signifie dans ce cas que plus de la moitié
des start-ups qui auraient pu réussir ne sont pas financées.
Par leur sélection les capital-risqueurs éliminent les projets de start-ups les plus risqués bien
que certains de ces projets auraient pourtant abouti si ils avaient été financés. Ces projets non
financés constituent une perte d’innovations pour la société. Mais cette perte diminue lorsque le
niveau de compétence des capital-risqueurs augmente.
2.7.3 Libre entrée avec anticipation
Cependant le tableau est tout autre si on lève une des hypothèses fortes du modèle sur
le comportement des capital-risqueurs. Jusqu’ici le modèle considère que les capital-risqueurs
présents sur le marché investissent toujours dans la meilleure start-up parmi celles qui restent,
Chapitre 2. Le processus de sélection des start-ups
10
1
intensite de selection
retour sur investisssement
rappel
efficacite
8
intensite de selection
0.5
6
0
4
-0.5
2
0
retour sur investisssement / efficacite
152
-1
0
0.2
0.4
0.6
competence
0.8
1
F IG . 2.13: Efficacité du capital-risque en fonction du niveau de compétence des capitalrisqueurs, avec entrée libre simple (profit nul ex-post).
1
intensite de selection
retour sur investissement
rappel
efficacite
8
intensite de selection
0.5
6
0
4
-0.5
2
0
retour sur investissement / efficacite
10
-1
0
0.2
0.4
0.6
competence
0.8
1
F IG . 2.14: Efficacité du capital-risque en fonction du niveau de compétence des capitalrisqueurs, avec entrée libre et anticipation.
2.7. Efficacité du capital-risque
153
même si l’évaluation de cette dernière est mauvaise. Nous considérons maintenant que les
capital-risqueurs ne participent au marché en investissant dans une start-up que s’ils trouvent
une start-up de qualité suffisante à leurs yeux, c’est-à-dire une start-up dont l’évaluation de
qualité laisse espérer un profit positif.
E(πi ) > 0 ⇔ q̃i j ≥
1
p̄ g
(2.29)
La contrainte de participation des capital-risqueurs ne se fait donc plus par une contrainte
de retour moyen positif ex-post, mais par l’anticipation ex-ante du profit espéré par l’investissement dans la start-up. La qualité de cette anticipation dépend de la compétence du capitalrisqueur.
La Figure 2.14 montre les courbes obtenues dans ces conditions. Si les capital-risqueurs
utilisent leur compétence pour anticiper les profits espéré sur le marché, la relation entre intensité de sélection et compétence s’inverse. En effet la qualité de l’anticipation des capitalrisqueurs augmente aussi avec leur compétence. Les capital-risqueurs les moins compétents entrent donc sur le marché plus facilement que les autres car ils se trompent plus souvent dans leur
évaluation des start-ups. Lorsque la compétence des capital-risqueurs augmente, ils deviennent
plus sélectifs sur les start-ups qu’ils financent ce qui leur permet d’augmenter leur rentabilité.
Avec l’augmentation de l’intensité de la sélection, le rappel diminue lorsque la compétence
augmente. On trouve donc une relation inverse par rapport au cas précédent d’une libre entrée
sans anticipation.
Par conséquent la relation entre efficacité du capital-risque et compétence n’est plus monotone. Lorsque le niveau de compétence des capital-risqueurs est faible, le capital-risque n’est
pas rentable, l’efficacité est alors nulle. Puis lorsque la compétence devient suffisamment grande
pour que le capital-risque soit rentable, l’efficacité devient égale au rappel. Après une discontinuité lorsque la rentabilité devient positive, l’efficacité diminue avec la compétence tout en
restant positif. La capacité du capital-risque à financer l’innovation est donc maximale lorsque
le niveau de compétence des capital-risqueurs permet tout juste d’atteindre la rentabilité.
Ce résultat d’une relation non monotone entre l’efficacité du capital-risque et la compétence
des capital-risqueurs s’explique ainsi. Si l’information est parfaite (c = 1) l’anticipation des
profits est exacte. Pour obtenir un profit moyen nul, comme dans le cas de la libre entrée simple,
154
Chapitre 2. Le processus de sélection des start-ups
il faut donc nécessairement financer des start-ups dont le profit espéré est négatif. Il est clair
qu’aucun agent rationnel ne ferait une chose pareille. Dans le cas d’entrée avec anticipations
les capital-risqueurs vont donc financer moins de start-ups qu’ils ne pourraient, ce qui diminue
l’efficacité.
On retrouve ici un résultat à la Baumol (1990), où les entrepreneurs peuvent avoir un effet négatif sur l’économie par un comportement de recherche de rente. Ici un haut niveau de
compétence des capital-risqueurs peut leur permettre de choisir leur niveau de rentabilité au
détriment de leur rôle de financement de l’innovation. Pour la société, il est donc préférable que
les capital-risqueurs fassent des erreurs d’évaluation, mais dans des proportions raisonnables,
c’est-à-dire juste suffisamment pour ramener la rentabilité à zéro.
Nous avons donc établi le résultat suivant.
Résultat 2.5 (Capacité du capital-risque à financer l’innovation et compétence des capital-risqueurs).
L’efficacité du capital-risque est défini comme sa capacité à financer un maximum d’innovations sous contrainte d’une rentabilité positive. Lorsque l’entrée des capital-risqueurs sur le
marché est libre (condition de profits nuls ex-post), l’efficacité est strictement croissante avec le
niveau de compétence des capital-risqueurs. Par contre lorsque l’entrée des capital-risqueurs
sur le marché est conditionnée à une anticipation de profits positifs ex-ante, le nombre d’innovation financées est une fonction décroissante du niveau de compétence des capital-risqueurs
tandis que le rentabilité en est une fonction croissante. L’efficacité maximale est alors obtenue
pour le niveau de compétence juste nécessaire pour obtenir un profit nul.
Ce contraste entre les deux modes d’entrée considérés soulève quelques questions. On peut
considérer qu’ils correspondent à deux attitudes différentes des capital-risqueurs. Dans le premier cas, la libre entrée simple, les capital-risqueurs se contentent de financer la meilleure startup qu’ils trouvent et laissent le marché déterminer leur profit moyen. Ils le quittent si leur profit
est s’avère négatif, ils y restent sinon. Dans le second cas, la libre entrée avec anticipation, les
capital-risqueurs tentent d’anticiper leur profit espéré, et basent leur décision d’entrée sur cette
anticipation.
Tout d’abord, on peut se demander quel est le mode d’entrée applicable. Pour que l’anticipation soit possible, il faut que les capital-risqueurs connaissent le niveau de qualité minimum
2.7. Efficacité du capital-risque
1
intensite de selection
retour sur investissement
rappel
efficacite
8
intensite de selection
0.5
6
0
4
-0.5
2
0
retour sur investissement / efficacite
10
155
-1
0
0.2
0.4
0.6
competence
0.8
1
F IG . 2.15: Efficacité du capital-risque en fonction du niveau de compétence des capitalrisqueurs, avec entrée libre et anticipation uniquement lorsque cela est profitable.
requis, qui est déterminé par le retour brut sans sélection. Or cette valeur n’est pas simple à estimer car personne n’investit sans sélectionner ses start-ups. L’anticipation suppose donc que les
agents soient capables d’estimer ou d’apprendre cette qualité minimum. Sinon on se trouvera
plutôt dans le cas de la libre entrée simple.
Ensuite, si l’on admet que l’on se trouve dans le cas de l’entrée libre avec anticipation
un autre problème se pose. En effet, comme la qualité de l’anticipation dépend aussi de la
compétence des agents, cette seconde attitude n’est profitable que si le niveau de compétence
des capital-risqueurs est élevé. Dans le cas contraire, cette option peut mener à une rentabilité
négative. Or dans ce cas il serait rationnel que les capital-risqueurs reconnaissent leur erreur
et quittent le marché. Au final, le comportement des capital-risqueurs devrait donc être une
combinaison des deux processus d’entrée : libre entrée avec anticipation lorsque le niveau de
compétence est élevé (suffisant pour obtenir un profit positif), et libre entrée simple sinon.
La Figure 2.15 montre les courbes obtenues avec une telle combinaison. L’efficacité du
capital-risque est alors une fonction continue, croissante avec la compétence tant que l’entrée
libre simple s’applique, puis décroissante une fois que la compétence devient assez grande pour
Chapitre 2. Le processus de sélection des start-ups
156
permettre aux capital-risqueurs de réaliser un profit positif grâce à leurs anticipations. Il existe
donc toujours un niveau de compétence optimal qui est le même que précédemment, celui qui
permet juste d’obtenir des profits nuls dans le cas d’une entrée libre avec anticipations.
Principaux Résultats
Nous avons donc défini deux mesures de l’efficacité de la sélection : la précision qui mesure
la rentabilité de l’investissement en capital-risque et le rappel qui mesure la capacité à financer
un maximum d’innovations. Si l’on définit l’efficacité du capital-risque comme sa capacité à
financer un maximum d’innovations tout en étant rentable, on trouve une relation contrastée entre la compétence des capital-risqueurs et l’efficacité du capital-risque suivant le mode d’entrée
considéré.
Si les capital-risqueurs entrent sur le marché suivant un mécanisme de libre entrée simple,
l’efficacité du capital-risque augmente avec le niveau de compétence des capital-risqueurs. Au
contraire, si les capital-risqueurs ne financent que les start-ups pour lesquelles ils anticipent un
profit positif, on trouve une relation opposée entre la compétence des capital-risqueurs et la
proportion d’innovations financées. Il existe alors un niveau optimal de compétence, correspondant à une rentabilité nulle de l’investissement. En deçà de ce niveau les capital-risqueurs ne
sélectionnent pas assez strictement leur start-ups pour être rentables. Au-delà de ce niveau les
capital-risqueurs sont trop sélectifs, au détriment du financement de l’innovation.
2.8
Conclusion
Dans ce chapitre, nous avons pu établir le rôle de la compétence des capital-risqueurs dans
le fonctionnement du capital-risque.
Nous avons tout d’abord mis en évidence par une étude empirique l’existence d’une compétence inégalement repartie entre les capital-risqueurs. Nous montrons en effet que les capitalrisqueurs qui prennent plus de risques que les autres, sont aussi les plus performants. Ce résultat suggère, en plus d’une différentiation verticale entre les capital-risqueurs, que les capitalrisqueurs en général peuvent exercer dans ce domaine très risqué grâce à leur compétence qui
leur confère un avantage comparatif par rapport aux autres investisseurs.
2.8. Conclusion
157
Le modèle théorique proposé ensuite modélise explicitement la compétence des capitalrisqueurs comme une capacité d’évaluation des projets de start-up qui leur sont proposés.
Ce modèle permet d’étudier l’influence relative du niveau moyen de compétence des capitalrisqueurs par rapport aux autres facteurs influents sur le capital-risque. Le modèle montre notamment que l’environnement du capital-risque joue aussi un rôle par l’intermédiaire du retour
brut sans sélection. Ce dernier, qui ne dépend que de paramètres extérieurs au capital-risque,
détermine en effet l’objectif à atteindre en terme de qualité moyenne des start-ups financées par
les capital-risqueurs afin que le capital-risque soit rentable.
De plus, la compétence est substituable à un autre paramètre, l’intensité de sélection, qui
mesure le rapport entre le nombre de projets qui cherchent un financement et le nombre de
start-ups financées. Si une intensité de sélection minimum est requise pour que le capital-risque
soit rentable, le capital-risque peut supporter un niveau de compétence moyen très faible. Il est
en effet toujours possible de compenser un niveau de compétence faible par une grande intensité
de sélection. Le capital-risque peut donc être rentable même avec des capital-risqueurs très peu
compétents.
Cependant si l’on considère l’efficacité du capital-risque comme sa capacité à financer un
maximum d’innovations tout en étant rentable, la compétence reprend un rôle plus critique. Si
les capital-risqueurs entrent librement sur le marché et n’y restent que s’ils réalisent un profit
positif, l’efficacité du capital-risque est alors une fonction strictement croissante de la compétence. Mais si les capital-risqueurs n’entrent sur le marché que s’ils anticipent des profits
positifs, alors un niveau de compétence trop grand peu diminuer l’efficacité du capital-risque.
Il existe alors un niveau de compétence intermédiaire optimal qui maximise le nombre d’innovations financées sous contrainte de rentabilité.
Enfin, nous montrons aussi que l’organisation du marché joue aussi un rôle. En effet suivant la forme des erreurs d’évaluation faites par les capital-risqueurs, la structure du marché
optimal change. Un marché décentralisé, composé de capital-risqueurs formant des évaluations
indépendantes, est préférable lorsque les erreurs suivent une loi centrée, mais lorsque les erreurs
sont extrêmes un marché centralisé, où toutes les start-ups sont financées par un seul agent, est
plus performant.
158
Chapitre 2. Le processus de sélection des start-ups
La compétence des capital-risqueurs est donc un élément essentiel pour le fonctionnement
du capital-risque. Mais d’une part, son influence dépend aussi d’autres paramètres environnementaux et organisationnel. Et d’autre part, son influence du point de vue de l’efficacité du
capital-risque peut être ambiguë : un niveau de compétence trop important peut en effet mener à
une dégradation de la capacité du capital-risque à financer l’innovation. Il existe alors un niveau
de compétence optimal du point de vue de la société, qui est inférieur au niveau maximum.
2.9. Annexe : Calcul de la qualité moyenne de la sélection
159
2.9 Annexe : Calcul de la qualité moyenne de la sélection
c < 12
c > 21
q̃ ∈ [0 : 2c]
q̃
4c(1−c)
q̃ ∈ [0 : 2(1 − c)]
q̃
4c(1−c)
q̃ ∈ [2c : 2(1 − c)]
1
2(1−c)
q̃ ∈ [2(1 − c) : 2c]
1
2c
q̃ ∈ [2(1 − c) : 2]
2−q̃
4c(1−c)
q̃ ∈ [2c : 2]
2−q̃
4c(1−c)
TAB . 2.12: Densité de l’évaluation de la qualité des start-ups : fq̃
c < 12
c > 12
q̃ ∈ [0 : 2c]
q̃2
8c(1−c)
q̃ ∈ [0 : 2(1 − c)]
q̃2
8c(1−c)
q̃ ∈ [2c : 2(1 − c)]
q̃−c
2(1−c)
q̃ ∈ [2(1 − c) : 2c]
q̃−(1−c)
2c
q̃ ∈ [2(1 − c) : 2]
(2−q̃)
1 − 8c(1−c)
q̃ ∈ [2c : 2]
(2−q̃)
1 − 8c(1−c)
2
2
TAB . 2.13: Fonction de répartition de l’évaluation de la qualité des start-ups : Fq̃
Chapitre 2. Le processus de sélection des start-ups
160
5
4.5
l > 2(1-c)/c
l > 2c/(1-c)
l: screening intensity
4
3.5
3
l in [2(1-c)/(2-3c):2(1-c)/c]
2.5
l in [2c/(3c-1):2c/(1-c)]
2
1.5
l in [1:2(1-c)/(2-3c)]
1
0
0.2
l in [1:2c/(3c-1)]
0.4
0.6
0.8
1
c: competence
F IG . 2.16: Partition du plan (c, l) déterminant les différentes expression du seuil de sélection
2.9. Annexe : Calcul de la qualité moyenne de la sélection
161
c < 12
l ∈ [1 :
√
2 (1−c)
2−3c ]
l ∈ [ 2(1−c)
2−3c :
c > 12
2
2 (1−c)
]
c
2 c (1−c) (l−1)
l
1 + (l−2)l(1−c)
(
l
∈ [ 2(1−c)
c
: ∞]
l ∈ [1 :
2
1−
√
√
2c
3c−1 ]
2c
l ∈ [ 3c−1
:
2
c
1 + (l−2)
l
2c
1−c ]
)
2 c (1−c)
l
2 c (1−c) (l−1)
l
(
l
2c
∈ [ 1−c
: ∞]
1−
2
√
)
2 c (1−c)
l
TAB . 2.14: Seuil de sélection sur l’évaluation de la qualité : q̃(c, l)
c < 21
c > 21
q̃ ∈ [0 : 2c]
c
q̃
q̃ ∈ [0 : 2(1 − c)]
c
q̃
q̃ ∈ [2c : 2(1 − c)]
1
2
q̃ ∈ [2(1 − c) : 2c]
c
2 (1−c)
q̃ ∈ [2(1 − c) : 2]
c
2−q̃
q̃ ∈ [2c : 2]
c
2−q̃
TAB . 2.15: Probabilité conditionnelle de la qualité réelle sachant l’évaluation de qualité :
P(q|q̃)
Chapitre 2. Le processus de sélection des start-ups
162
c < 21
c > 21
q̃ ∈ [0 : 2c]
q̃
2c
q̃ ∈ [0 : 2(1 − c)]
q̃
2c
q̃ ∈ [2c : 2(1 − c)]
1
q̃ ∈ [2(1 − c) : 2c]
q̃−(1−c)
c
q̃ ∈ [2(1 − c) : 2]
4c+q̃−2
2c
q̃ ∈ [2c : 2]
4c+q̃−2
2c
TAB . 2.16: Qualité réelle espérée sachant l’évaluation de qualité : E(q|q̃)
c < 21
l ∈ [1 :
2 (1−c)
2−3c ]
l ∈ [ 2(1−c)
2−3c :
l
2 (1−c)
]
c
∈ [ 2(1−c)
c
c > 21
l−2
3
2
1
3
(1−c) 2 (l−1) 2
1
1
3 c2 l 2
: ∞]
2−
2c
3c−1 ]
2c
:
l ∈ [ 3c−1
cl
1 + 6 (1−c)
3
l ∈ [1 :
2c
1−c ]
l−2
3
2
1
1
3 c2 l 2
3
1
1
3 c2 l 2
2
2 − 1l − l (1−c)
12 c2
3
1
2 2 (1−c) 2
1
(1−c) 2 (l−1) 2
l
2c
∈ [ 1−c
: ∞]
2−
TAB . 2.17: Qualité moyenne de la sélection : qVC (c, l)
1
2 2 (1−c) 2
1
1
3 c2 l 2
Chapitre 3
Sélection et apprentissage des
capital-risqueurs
163
Chapitre 3. Sélection et apprentissage des capital-risqueurs
164
Sommaire
3.1
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165
3.2
Un tour d’horizon de la littérature . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 166
3.3
Mise en évidence empirique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 173
3.4
3.5
3.6
3.7
3.8
3.3.1
Modèle de survie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 173
3.3.2
Sélection et apprentissage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 184
Le modèle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 192
3.4.1
Sélection des capital-risqueurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . 192
3.4.2
Apprentissage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 195
Analyse de la sélection . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 196
3.5.1
Evaluation de la performance des capital-risqueurs . . . . . . . . 197
3.5.2
Influence de la taille du fonds . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 197
3.5.3
Fonction de sélection globale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 200
Simulation de la sélection . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 201
3.6.1
Conditions de simulation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 201
3.6.2
Distribution de compétence finale . . . . . . . . . . . . . . . . . 203
3.6.3
Fonction de sélection globale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 206
3.6.4
Types d’erreurs et taille du fonds . . . . . . . . . . . . . . . . . 209
3.6.5
Coût de sélection et taille du fonds optimale . . . . . . . . . . . 211
Sélection et apprentissage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 216
3.7.1
Conditions de simulations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 217
3.7.2
Capacité d’apprentissage homogène . . . . . . . . . . . . . . . 217
3.7.3
Capacité d’apprentissage hétérogène . . . . . . . . . . . . . . . 221
3.7.4
Taille de fonds optimale avec des capacités d’apprentissage hétérogènes226
3.7.5
Compétence et capacité d’apprentissage corrélées . . . . . . . . 227
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 230
3.1. Introduction
165
3.1 Introduction
Dans le chapitre précédent nous avons étudié le rôle de la compétence des capital-risqueurs,
et son influence sur l’efficacité de la sélection des start-ups. Dans ce chapitre nous considérons
désormais les capital-risqueurs comme hétérogènes en compétence et devant lever des fonds
auprès des investisseurs institutionnels pour pouvoir investir dans les start-ups. Nous montrons comment l’existence d’intermédiaires financiers permet d’obtenir un marché du capitalrisque efficace. Nous étudions notamment les deux processus évolutionnistes permettant de
faire émerger une population de capital-risqueurs compétents à partir d’une population initiale
aléatoire : la sélection et l’apprentissage.
Nous mettons tout d’abord en évidence la coexistence de ces deux processus par une analyse
empirique. Cette analyse nous permet aussi de mesurer leur influence relative sur l’amélioration
des performances des capital-risqueurs.
Nous proposons ensuite un modèle théorique de la dynamique de sélection et d’apprentissage des capital-risqueurs. Dans ce modèle, la sélection des capital-risqueurs se base sur le
processus de levée de fonds auprès des investisseurs institutionnels. En effet, puisque les fonds
gérés par les capital-risqueurs sont à durée limitée, ils doivent régulièrement lever de nouveaux
fonds. Cela permet donc aux investisseurs institutionnels de sélectionner les capital-risqueurs
en ne renouvelant leur confiance qu’aux capital-risqueurs suffisamment performants. Le modèle
de sélection des capital-risqueurs fait donc intervenir le deuxième versant de la position d’intermédiaire des capital-risqueurs, leur relation avec les investisseurs institutionnels qui fournissent
les fonds investis.
Nous montrons que la taille des fonds de capital-risque, exprimée en tant que nombre de
start-ups pouvant être financées avec un fonds, est un facteur important pour l’efficacité de la
sélection des capital-risqueurs. Plus cette taille est grande plus la sélection est précise, mais plus
les investisseurs institutionnels prennent de risques. Nous montrons également que la distribution finale de compétence des capital-risqueurs sélectionnés est indépendante de la taille des
fonds et qu’elle ne contient que des capital-risqueurs suffisamment compétents. Le processus
de sélection est donc efficace au sens où il élimine les erreurs de type I (sélectionner un mauvais
capital-risqueur).
Chapitre 3. Sélection et apprentissage des capital-risqueurs
166
Cependant le nombre de capital-risqueurs éliminés à tort est une fonction croissante de la
taille des fonds. Par conséquent la taille des fonds arbitre surtout entre erreurs de type II (éliminer un bon capital-risqueur) et prise de risque des investisseurs institutionnels. Nous montrons
alors qu’en l’absence de coûts pour le remplacement des capital-risqueurs éliminés, les investisseurs institutionnels choisissent toujours une taille de fond minimum. En présence de coûts de
remplacement, la taille de fond effectivement choisie est une fonction croissante de ces coûts.
Enfin nous étudions l’interaction entre les deux processus évolutionnistes de sélection et
d’apprentissage des capital-risqueurs. Nous montrons notamment que la sélection bénéficie
toujours de l’apport d’un processus d’apprentissage, mais que le processus d’apprentissage
peut être ralenti par le processus de sélection. Il y a donc une forme de concurrence entre les
deux processus. Mais nous montrons aussi que lorsque la capacité d’apprentissage des capitalrisqueurs est hétérogène, le processus de sélection sélectionne en partie des capital-risqueurs
apprenant plus vite que la moyenne. Il y a donc aussi une complémentarité entre sélection et
apprentissage.
Ce chapitre reprend et étend les résultats présentés dans l’article de Mas (2007). Il est organisé ainsi. La section 2 motive l’étude menée dans ce chapitre et la situe par rapport à la
littérature. La section 3 présente la mise en évidence empirique de la coexistence des processus de sélection et d’apprentissage dans le capital-risque. La section 4 présente le modèle. La
section 5 propose une étude analytique du processus de sélection, et la section 6 étend cette
analyse par la simulation. Enfin la section 7 présente l’étude de l’interaction entre le processus
de sélection et l’apprentissage.
3.2
Un tour d’horizon de la littérature
Ce chapitre se focalise donc sur la compétence des capital-risqueurs. Comme définition de
la compétence, nous reprenons celle de Foss (1996) : “un savoir idiosyncratique qui permet à
son possesseur de réaliser certaines activités et typiquement de le faire plus efficacement que
les autres”. Comme il le précise juste après, par sa nature même “la compétence comporte
une grande part de savoir tacite et est inégalement distribuée”. Puisque les capital-risqueurs
sont compétents, ils sont donc nécessairement aussi hétérogènes en compétence. Cela implique
3.2. Un tour d’horizon de la littérature
167
que l’on est aussi confronté à un problème de sélection au niveau des capital-risqueurs. Si
la compétence des capital-risqueurs permet de résoudre le problème de la sélection des startups, elle ne fait que repousser celui du fonctionnement efficace du capital-risque car il faut
maintenant sélectionner les bons capital-risqueurs.
Comme la sélection des start-ups, la sélection des capital-risqueurs pose au minimum un
problème d’asymétrie d’information car les investisseurs institutionnels qui fournissent les fonds
à investir ne peuvent évaluer une compétence qu’ils ne possèdent pas. Mais il n’est pas sûr non
plus que le capital-risqueur lui même connaisse son propre niveau de compétence. Un savoir
tacite ne peut en effet être mesuré directement, même par son possesseur. Il ne peut qu’être
révélé par son utilisation. C’est donc seulement ex-post que l’on peut évaluer, avec plus ou
moins d’acuité, la compétence d’un capital-risqueur.
Si un bon contrat peut donc permettre d’éliminer le risque moral entre capital-risqueur et
investisseur institutionnel, en imposant aux capital-risqueurs d’investir eux même dans le fonds
par exemple19 , il ne peut pas révéler une information inconnue des capital-risqueurs eux même.
Une approche par la théorie de l’agence ne permet donc pas de comprendre le mécanisme
de sélection des capital-risqueurs. Cependant puisque contrairement aux start-ups les capitalrisqueurs restent sur le marché, il est possible d’observer leur performance et de les sélectionner
ensuite. Un processus de sélection par le marché lui même est donc possible. C’est ce processus
que nous allons étudier ici.
Dans le cas du capital-risque, le mécanisme de sélection s’appuie sur la durée limitée des
fonds confiés aux capital-risqueurs, qui est typiquement de 10 ans. Les capital-risqueurs doivent
donc faire la démonstration de leur bonne gestion de leurs fonds précédents pour pouvoir lever
de nouveaux fonds et ainsi rester en activité sur le marché.
Ce mécanisme est mis en évidence par Gompers (1996) qui montre à partir de l’analyse
de 433 introductions en bourse de start-ups aux Etats-Unis entre 1978 et 1981 que les jeunes
capital-risqueurs ont tendance à faire sortir leurs start-ups plus tôt, quitte à obtenir une valori19 La
participation moyenne des capital-risqueurs dans le fonds qu’ils gèrent est de 1% (Sahlman 1990), ce qui
étant donné la taille des fonds peut représenter un montant important rapporté à la fortune personnelle du capitalrisqueur. Cette participation est donc suffisante pour aligner l’intérêt du capital-risqueur sur celui des investisseurs
institutionnels.
168
Chapitre 3. Sélection et apprentissage des capital-risqueurs
sation plus faible, de façon à démontrer leur capacité à financer des start-ups gagnantes. Cette
volonté de démontrer ses capacités au plus vite vient de la temporalité de la gestion du fonds.
Comme les start-ups mettent un certain temps à sortir, 5 ans pour la start-up médiane, le capitalrisqueur passe la moitié du temps de la gestion de son fonds à investir, et l’autre moitié à faire
sortir ses start-ups. S’il veut investir en continu il doit donc lever un nouveau fonds avant même
la fin du premier, et donc avoir déjà fait ses preuves. Ce phénomène montre bien l’importance
de la performance pour la poursuite de l’activité de capital-risqueur, et la sélection que permet
de la durée limitée des fonds de capital-risque.
Kaplan & Schoar (2005) dans leur étude des retours générés par les fonds de capital-risque
apportent trois éléments qui confirment ce mécanisme de sélection. Ils montrent tout d’abord
qu’il y a persistance de la performance des capital-risqueurs pour les fonds successifs qu’ils
gèrent, ce qui justifie une sélection basée sur les résultats passés. Ils montrent aussi que les
capital-risqueurs les plus performants ont plus de chance de lever un nouveau fonds, ce qui
constitue bien un mécanisme de sélection. Ils montrent enfin que les capital-risqueurs les plus
performants lèvent aussi en moyenne des fonds plus importants. Ces résultats montrent donc
bien que la survie des capital-risqueurs sur le marché dépend de leur performance passée, et
que la confiance accordée par les investisseurs institutionnels, mesurée par la taille du fonds
levé, dépend aussi de cette performance. Ces travaux empiriques indiquent donc bien qu’un
processus de sélection des capital-risqueurs par le marché est à l’oeuvre, via la nécessité pour
les capital-risqueurs de lever des fonds successifs.
Du point de vue théorique, depuis Alchian (1950) la sélection des agents économiques par
le marché est vue comme une des forces évolutionnistes essentielles permettant au marché
d’atteindre l’efficacité. La reprise de l’argument d’Alchian par Friedman (1953) pour justifier
de la validité de l’hypothèse de rationalité des agents et de leur comportement de maximisation
des profits (la sélection opérée par le marché éliminant les agents qui se comportent autrement,
on peut raisonner comme si les agents étaient rationnels), a induit tout une série de travaux
visant à vérifiant cette assertion.
Blume & Easley (1992) notamment remettent en cause cette hypothèse dans un modèle de
marché financier. Ils montrent que des agents non rationnels peuvent survivre à la sélection et
que des agents rationnels peuvent être éliminés. La dynamique de sélection dépend en effet de
3.2. Un tour d’horizon de la littérature
169
prix endogènes déterminés à partir des parts de marché de chaque agent. Or ces derniers diffèrent non seulement par leurs croyances mais aussi par leur taux d’épargne. De ce fait un agent
moins bien informé peut en dominer un autre mieux informé si leur taux d’épargne est suffisamment différents. Ils montrent aussi que parmi différentes stratégies d’adaptation, le marché
sélectionne les investisseurs Bayesiens. Sandroni (2000) remet en cause cette invalidation de
l’hypothèse de sélection des agents rationnels par le marché en rendant la décision d’épargne
endogène. Mais Blume & Easley (2002) confirment ensuite leur premier résultat dans un modèle d’équilibre général. Ils montrent que lorsque le marché est incomplet, en absence de marché
financier, les firmes ayant des comportements rationnels sont bien sélectionnées et que le point
fixe de la dynamique est bien l’équilibre classique Pareto optimal, mais que ce point fixe n’est
pas forcément stable. Cela invalide l’idée que la dynamique de sélection fait forcément tendre
l’économie vers l’équilibre. Lorsque le marché est complet, la sélection s’opère plutôt sur les
investisseurs que sur les firmes et elle échoue si les investisseurs ne sont dotés que d’anticipations rationnelles au sens étroit, c’est-à-dire des anticipations qui ne sont justes que si tous les
autres agents sont aussi rationnels.
Blume & Easley (2006) continuent la démonstration dans le cadre de marchés stochastiques. Ils montrent alors que si le marché financier est complet (au sens d’Arrow et Debreu),
l’hypothèse de sélection tient et le marché sélectionne les investisseurs qui ont des croyances
justes, ou qui utilisent un apprentissage Bayesien. Si le marché est incomplet par contre, ces résultats ne tiennent pas, le marché pouvant éliminer des investisseurs avec des croyances justes.
Ils défendent qu’avec des croyances hétérogènes, l’hypothèse d’incomplétude des marchés est
la plus juste car il ne peut exister autant de marché que de croyances. Blume & Easley apportent donc plusieurs éléments pouvant justifier la survie d’agents non rationnels, notamment la
rationalité limitée des agents dans le cas non stochastique, et l’hétérogénéité des croyances dans
le cas stochastique. Dutta & Radner (1999) proposent eux aussi un modèle qui invalide l’hypothèse de sélection par le marché des agents rationnels dans un monde stochastique. Dans leur
modèle, la simple maximisation des profits mène à la banqueroute avec probabilité un, mais il
existe d’autres stratégies qui garantissent la survie.
On peut donc retenir de ces travaux que la sélection par le marché est une force puissante,
qui tend à sélectionner les agents les plus aptes mais dont l’issue n’est pas forcément opti-
170
Chapitre 3. Sélection et apprentissage des capital-risqueurs
male dès lors que l’on considère les aspects spécifiques à la dynamique de sélection, c’est-àdire l’hétérogénéité des agents et les aléas stochastiques du mécanisme de sélection lui même.
Comme le défendent Silverberg & Verspagen (1994) : “l’argument standard ’comme-si’ développé
en défense du comportement d’optimisation (Friedman 1953), basé sur la sélection par le marché
de la stratégie optimale, doit être explicitement modélisé et non pas supposé”.
L’approche que nous suivons dans ce chapitre se situe donc plutôt dans la ligne évolutionniste de Richardson (1953) et de la première partie de l’article d’Alchian (1950), le monde
du capital-risque étant un monde d’incertitude dans lequel certains agents font preuve de plus
d’habileté que d’autres à anticiper le futur. Comme le monde est stochastique, la sélection est
imparfaite et peut aboutir à l’élimination de bons capital-risqueurs comme à la survie de capitalrisqueurs moins bons mais plus chanceux. Nous représentons donc explicitement la dynamique
de sélection dans un modèle multi-agents basé sur le modèle présenté dans le chapitre précédent.
Le mécanisme de sélection est le suivant : les investisseurs institutionnels confient un fonds
aux capital-risqueurs pour une durée limitée, puis décident sur la base de leur performance de
leur confier un nouveau fonds ou bien de le confier à un nouveau capital-risqueur. Ce mécanisme est similaire au modèle de Jovanovic (1982) où des firmes hétérogènes apprennent par
révision bayesienne leur productivité, qui suit une loi normale dont elles ignorent la moyenne.
Celles qui découvrent que leur productivité moyenne est trop faible quittent le marché, les autres
apprennent à optimiser leur production en fonction de leur type. Dans le modèle proposé ici, ce
sont les investisseurs institutionnels qui apprennent la performance des capital-risqueurs et qui
choisissent de leur renouveler leur confiance ou non.
Ce modèle est aussi proche de celui de Pelikan (2000) qui considère des entrepreneurs
hétérogènes en compétence et différentes institutions permettant de les sélectionner. Il compare
trois types d’institutions : une sélection par la compétition sur le marché des produits, une sélection par des investisseurs sur le marché financier et une sélection par des représentants politiques
élus. Il montre que la sélection par le système politique domine à court terme mais que la sélection par le marché financier est la plus efficace à long terme car ses performances s’améliorent
avec le temps. En effet le système politique ne révise pas ses croyances au cours du temps.
Par contre la sélection par le marché des produits permet de prendre en compte l’information
apportée par les performances des agents sur le marché, et le marché financier est le plus rapide
3.2. Un tour d’horizon de la littérature
171
à intégrer cette information. Dans le cas du capital-risque, ces deux marchés se transforment en
trois, car les start-ups qui sont actives sur le marché des produits ne restent pas sur le marché
du capital-risque, qu’elle soient un succès ou non. Ce sont donc les investisseurs institutionnels
qui jouent le rôle du marché financier, et les capital-risqueurs qui deviennent les entrepreneurs
évalués (ce qui n’est pas totalement surprenant car en assumant la prise de risque financière ils
acquièrent l’un des attributs essentiels de l’entrepreneur Schumpeterien). Cependant dans notre
cas les investisseurs institutionnels ne peuvent pas échanger leur participation dans les fonds
de capital-risque, le marché financier n’existe donc pas en tant que tel. Nous avons donc trois
marchés dans notre modèle mais le mécanisme de sélection est plus proche de la sélection sur le
marché des produits uniquement car seule la performance des capital-risqueurs est déterminante
pour leur survie.
La sélection n’est pas la seule force évolutionniste à l’oeuvre sur le marché. Les processus
d’apprentissage ou d’imitation permettent aussi l’amélioration de la performance des agents.
Ils sont cependant à la fois complémentaires de la sélection, ils tendent vers le même objectif, et concurrents car la sélection empêche les agents éliminés d’apprendre pour progresser
et l’apprentissage permet à des agents moins bons d’éviter l’élimination. Puisque les études
empiriques montrent clairement un effet positif de l’expérience sur la performance des capitalrisqueurs, il est naturel de prendre aussi l’effet de l’apprentissage en compte et d’en analyser
les interactions avec le processus de sélection des capital-risqueurs.
Dans la littérature évolutionniste l’apprentissage tient une place importante. C’est le processus principal qui permet à des agents à la rationalité limité de s’adapter au marché et de
rechercher le profit maximum. Ce processus est souvent couplé à un processus de sélection.
Par exemple, Silverberg & Verspagen (1994) proposent un modèle de croissance endogène basé
sur l’apprentissage par les firmes de la meilleure stratégie d’innovation, c’est-à-dire le choix
du niveau d’investissement en R&D. Le modèle comprend aussi un processus de sélection qui
consiste au remplacement des firmes dont la part de marché tombe sous un certain seuil par de
nouvelles. Ensemble ces deux processus génèrent une dynamique de croissance qui tend vers
un attracteur stable mais avec des phases de croissance différenciées correspondant chacune à
des structures de marchés particulières.
172
Chapitre 3. Sélection et apprentissage des capital-risqueurs
Dosi, Marsili, Orsenigo & Salvatore (1995) étudient plus précisément la relation entre sélection et apprentissage dans un modèle de marché industriel multi-secteur multi-agents avec trois
dynamiques : une dynamique de sélection pure (Schumpeter Mark I), une dynamique de sélection couplée à un apprentissage cumulatif (Schumpeter Mark II) et une dynamique intermédiaire où la rapidité de l’apprentissage est indépendante du niveau de développement atteint. Ils
montrent que la dynamique de sélection pure mène à des états stables, alors que lorsque l’apprentissage est introduit on observe des cycles alternant des phases de forte concentration de
l’industrie et des phases de remise en cause de la structure établie par de nouveaux entrants très
performants. Les états de concentrations sont cependant plus stables lorsque l’apprentissage est
cumulatif (cela confère un avantage supplémentaire aux firmes dominantes). L’interaction entre
les deux mécanismes évolutionnistes n’est donc pas triviale.
La modélisation des processus permettant d’apprendre sur le marché, ou du moins de s’y
adapter le mieux possible, fait appel à des outils particuliers. Ballot & Taymaz (1999) par exemple utilisent des classeurs dans un modèle macro-économique multi-agents pour étudier la
sélection de règles d’allocation des ressources des firmes entre capital physique, recherche &
développement et formation. Ils montrent notamment la subsistance de règles et de performances hétérogènes, ainsi que la supériorité des règles simples sur les règles plus sophistiquées.
Arifovic (2000) présente une revue détaillée de l’application des processus d’apprentissages
évolutionnistes, notamment des algorithmes génétiques, en macro-économie. Les modèles basés
sur ces techniques permettent notamment de discuter de la convergence vers l’équilibre prévu
par l’analyse classique, la sélection d’équilibre dans le cas d’équilibres multiples, et la dynamique menant ces équilibres.
Dans le cas du modèle présenté ici, la complexité du capital-risque qui se situe essentiellement sur le marché des innovations est synthétisée dans le tirage aléatoire du succès de la
start-up, et la compétence des capital-risqueurs résumée en un seul paramètre continu. Il n’y a
donc pas a proprement parler de processus complexe à apprendre. L’apprentissage prendra donc
la forme d’une simple amélioration de la compétence avec l’expérience (learning-by-doing a la
(Arrow 1962)). Ce chapitre se concentre donc plutôt sur l’interaction entre sélection et apprentissage que sur la modélisation de l’apprentissage proprement dit.
3.3. Mise en évidence empirique
173
3.3 Mise en évidence empirique
L’objectif de cette première section est de mettre en évidence la coexistence entre les deux
processus de sélection et d’apprentissage des capital-risqueurs.
Dans un premier temps nous analysons le mécanisme de sélection proprement dit avec un
modèle de survie à hasard proportionnel classique. Nous montrons que des capital-risqueurs
sortent régulièrement du marché et que ces sorties sont corrélées avec l’évaluation de leur performance passée. Cela confirme que les investisseurs institutionnels opèrent une sélection des
capital-risqueurs à chaque renouvellement de fond.
Dans un second temps nous évaluons l’influence relative de la sélection et de l’apprentissage
sur la performance des capital-risqueurs. Nous montrons que la prise en compte de la sélection
réduit légèrement l’effet de l’apprentissage, ce qui indique une interaction entre les deux processus, et que l’effet de la sélection est équivalent à celui de 100 investissement, soit près du
double de l’expérience moyenne des capital-risqueurs qui restent sur le marché.
3.3.1 Modèle de survie
Dans les données VentureSource, les capital-risqueurs ayant cessé toute activité d’investissement sur le marché sont identifiés comme inactifs. Nous pouvons donc exploiter cette information pour étudier les déterminants de la durée d’activité des capital-risqueurs.
Le modèle de survie suppose qu’à chaque période considérée le capital-risqueur peut quitter
le marché. Nous considérons que le capital-risqueur doit lever des fonds pour pouvoir continuer
à investir et rester actif sur le marché. Ces fonds sont levés auprès d’investisseurs institutionnels
qui ne confient de nouveaux fonds aux capital-risqueurs que s’ils ont obtenu une performance
suffisante lors de la gestion de leur fonds précédent.
Si notre hypothèse sur le fonctionnement du processus de sélection est correcte, les capitalrisqueurs les plus performants doivent donc rester sur le marché alors que les moins performants
doivent le quitter.
174
Chapitre 3. Sélection et apprentissage des capital-risqueurs
Mesure de la durée d’activité des capital-risqueurs
L’identification des capital-risqueurs inactifs nous permet de déterminer quels sont les capitalrisqueurs encore en activité et ceux ayant quitté le marché avant la fin de la période d’observation, c’est-à-dire en 2005. La base fournit aussi la date de création d’entrée sur le marché
du capital-risqueur mais par contre elle ne donne pas l’année de cessation d’activité. Or cette
seconde information est essentielle pour calculer la durée d’activité du capital-risqueur.
Il est cependant possible de palier à ce manque en considérant comme année de cessation
d’activité l’année du dernier investissement réalisé par le capital-risqueur. On sait en effet que
le capital-risqueur était encore en activité à cette date, et qu’il n’a plus d’activité d’investissement depuis. La date du dernier investissement est donc un bon proxy de la date de cessation
d’activité.
Mesure de la performance des capital-risqueurs
Comme mesure de performance des capital-risqueurs, nous utilisons la proportion de startups financées par le capital-risqueur par le passé qui sont sorties ou qui sortiront par introduction
en bourse.
Formellement, soit A l’âge du capital-risqueur, t l’année courante, Si,t l’ensemble des startups financées par le capital-risqueur i lors de l’année t, et IPOs une indicatrice qui vaut 1 si
la start-up s est sortie par une introduction en bourse avant la dernière année de notre base de
donnée, soit 2005, et 0 sinon. La mesure de la performance d’un capital-risqueur i pour l’année
t est :
Per fi,t =
∑Aa=1 ∑s∈Si,t−a IPOs
(3.1)
∑Aa=1 Card(Si,t−a )
Il ne s’agit pas d’une mesure exacte de la performance des capital-risqueurs observée par
les investisseurs institutionnels pour l’année t, puisqu’elle anticipe sur le succès futur des startups. Si l’on ne prenait en compte que l’information disponible à la date t, il faudrait remplacer
IPOs par IPOs,t , une indicatrice qui indiquerait que la start-up est sortie par introduction en
bourse avant l’année t (IPOs = IPOs,2005 ). Cependant, étant donné le temps médian de sortie
des start-up de 5 ans, une telle mesure donnerait des taux de sortie très faibles.
3.3. Mise en évidence empirique
175
Mais comme les capital-risqueurs suivent de près leurs start-ups, on peut considérer qu’ils
peuvent estimer la qualité d’un investissement sans avoir à attendre la sortie effective en bourse.
Comme ils fournissent des rapports annuels aux investisseurs de leur fonds, on peut considérer
que ceux-ci sont aussi capables de faire cette estimation. Cette information ne nous est par
contre pas accessible. Nous utilisons donc le devenir effectif de la start-up comme mesure de
la qualité de l’investissement à la place de l’estimation réalisée par les capital-risqueurs et les
investisseurs institutionnels.
L’estimation de la qualité de l’investissement est d’autant plus précise que le temps passe,
elle est donc meilleure sur les start-ups les plus anciennes. Une meilleure mesure de la performance estimée des capital-risqueurs peut donc être obtenue en ajoutant un délai D pour la prise
en compte des start-ups dans le calcul de la performance. La nouvelle mesure devient alors :
Per fi,tD =
∑Aa=D ∑s∈Si,t−a IPOs
(3.2)
∑Aa=D Card(Sa,t−a )
Le problème de cette mesure vient du fait que l’on restreint le nombre d’observations utilisées pour l’évaluation de la performance des capital-risqueurs et donc le nombre de capitalrisqueurs pour lesquels cette performance est mesurable. L’estimation du modèle est alors moins
bonne. Par la suite nous prendrons comme mesure de référence Per fi,t1 , puis nous vérifierons
que nos résultats restent valides avec un délai plus grand, c’est-à-dire avec les mesures Per fi,t2
et Per fi,t3 .
Restrictions de la période d’observation
Afin de pouvoir mesurer la performance correctement, il faut prendre suffisamment de recul
pour laisser le temps aux start-ups de sortir. En prenant 5 ans de recul cela ne permet plus que
d’utiliser les investissements réalisés jusqu’en 2000. De plus pour que la mesure de performance
ait un sens il faut que le capital-risqueur ait au moins eu le temps de réaliser un nombre significatif d’investissements. Puisqu’il faut environ 5 ans pour investir le premier fonds levé, nous
ne considérons que les investisseurs qui ont au moins 5 ans d’existence. Comme les données ne
vont que de 1990 à 2005, on ne peut observer les investisseurs que pendant 5 ans, entre 1995
et 2000, ce qui nous donne 5 années d’investissements observés pour estimer leur performance.
Enfin pour que la proportion de sortie par introduction en bourse ne soit pas trop bruitée, nous
176
Chapitre 3. Sélection et apprentissage des capital-risqueurs
ne prenons en compte que seuls les capital-risqueurs ayant au moins 3 investissements passés.
Seules les données sur les Etats-Unis nous permettent d’avoir suffisamment d’observations avec
toutes ces contraintes.
Statistiques descriptives
Le Tableau 3.1 donne les statistiques descriptives pour ces données. Il reste 390 capitalrisqueurs, fondés entre 1980 et 1995. Pour chaque capital-risqueur nous rapportons tout d’abord
les deux statistiques utilisées pour le calcul de la performance : le nombre de start-ups financées
par le passé (’nb start-ups’) et parmi elles celles qui sont sorties par une introduction en bourse
(’nb IPO’). Nous rapportons ensuite la performance (’performance’) qui est le rapport de ces
deux nombres, ainsi que la durée d’activité du capital-risqueur (’âge’) et la répartition des investissements passés du capital-risqueur entre les différentes industries (’pINDUSTRIE).
La seule différence évidente entre les capital-risqueurs survivants jusqu’en 2005 (’actifs’)
et les autres (’inactifs’) concerne le nombre de start-ups prises en compte dans l’estimation de
la performance et la performance proprement dite, tous deux supérieurs pour les ’actifs’.
Puisque dans un modèle à hasard proportionnel on compare toujours des capital-risqueurs du
même âge, le nombre de start-ups prises en compte dans l’évaluation de la performance permet
de comparer le nombre de start-ups financées dans période de temps identique. Il représente
donc la taille des fonds gérés par le capital-risqueur. Il semble donc que les capital-risqueurs
qui gèrent les fonds les plus importants ont plus de chance de rester sur le marché.
Le fait que les capital-risqueurs qui restent sur le marché aient une compétence supérieure
semble confirmer que la sélection tend à éliminer les capital-risqueurs les moins compétents.
Enfin l’âge moyen, ainsi que la proportion d’investissement dans chaque industrie sont identiques entre les deux groupes. Cela indique que les capital-risqueurs peuvent être éliminés à tout
âge et que l’élimination n’est pas spécifique à l’investissement dans une industrie particulière.
Les capital-risqueurs survivants à la sélection semblent donc de taille plus importante et plus
performants.
3.3. Mise en évidence empirique
177
Tous
Actifs
Inactifs
nb start-ups
11.4 (11.2)
12.2 (12.2)
9.05 (7.12)
nb IPO
3.23 (4.33)
3.57 (4.77)
2.27 (2.53)
performance
0.249 (0.203)
0.256 (0.205)
0.229 (0.195)
age
8.78 (3.75)
8.78 (3.86)
8.8 (3.45)
pNTIC
0.519 (0.296)
0.507 (0.294)
0.55 (0.301)
pSANTE
0.307 (0.309)
0.318 (0.315)
0.277 (0.292)
pCOMMERCE
0.136 (0.183)
0.135 (0.175)
0.139 (0.205)
pAUTRE 0.0377 (0.0988)
0.0392 (0.105)
0.0337 (0.0806)
288
102
N=
390
TAB . 3.1: Statistiques descriptives des données retenues pour l’estimation du modèle de survie.
Chaque capital-risqueur n’est inclus qu’une seule fois, lors de sa première observation, dans le
calcul de ces statistiques.
Table de vie
La table de vie calculée pour les capital-risqueurs de notre échantillon (Tableau 3.2) permet
de se faire une première idée de l’amplitude du mécanisme de sélection.
Voici quelques définitions utiles pour comprendre le calcul de cette table et le modèle utilisé
ensuite. Soit f (t) la densité de probabilité pour qu’un capital-risqueur cesse son activité au bout
de t années, et F(t) la fonction de répartition correspondante. Le taux de hasard h(t) est défini
comme la probabilité que le capital-risqueur quitte le marché dans sa t-ème année, sachant qu’il
est resté sur le marché jusque là.
h(t) =
f (t)
1 − F(t)
(3.3)
On peut tirer de cette définition la relation entre le taux de hasard et la probabilité de survivre
jusqu’à un certain âge S(T ) :
S(T ) = 1 − F(T ) = e−
RT
0
h(t) dt
(3.4)
Chapitre 3. Sélection et apprentissage des capital-risqueurs
178
âge entrées sorties
N
fin-activité hasard survie Nelson-Aalen Kaplan-Meier
5
134
51
134
1
0.007
0.993
0.993
0.993
6
27
27
109
2
0.018
0.982
0.975
0.974
7
28
35
108
3
0.028
0.972
0.948
0.947
8
21
26
91
3
0.033
0.967
0.917
0.916
9
23
13
85
2
0.024
0.976
0.896
0.894
10
20
12
90
1
0.011
0.989
0.886
0.885
11
23
21
100
5
0.050
0.950
0.843
0.840
12
25
15
99
2
0.020
0.980
0.826
0.823
13
33
16
115
3
0.026
0.974
0.805
0.802
14
24
16
120
8
0.067
0.933
0.753
0.748
15
20
20
116
3
0.026
0.974
0.733
0.729
16
4
21
97
3
0.031
0.969
0.711
0.706
17
3
33
76
3
0.039
0.961
0.684
0.679
18
5
18
45
2
0.044
0.956
0.654
0.648
19
0
16
25
0
0.000
1.000
0.654
0.648
20
0
9
9
0
0.000
1.000
0.654
0.648
TAB . 3.2: Table de vie pour les capital-risqueurs observés aux Etats-Unis entre 1995 et 2000,
ayant au moins 5 années d’activité, et une expérience de trois investissements.
La table de vie permet donc d’estimer le taux de hasard (’hasard’) à partir du nombre de
capital-risqueurs qui ont atteint un certain âge (’N’) et parmi eux de ceux qui ont quitté le
marché dans l’année observée (’fin-activité’).
hasard =
fin-activité
N
(3.5)
A partir de ce taux de hasard on peut calculer la probabilité de survivre jusqu’à un certain
âge (ici ’âge’ + 1), soit en utilisant directement la formule (3.4), c’est l’estimateur de NelsonAalen, soit tout simplement en multipliant les probabilités de survivre à chaque intervalle, c’est
3.3. Mise en évidence empirique
0.05
0.03
0.01
Taux de hasard
0.09
0.07
0.8
0.6
0.4
0.2
0.0
probalité de survie
1.0
179
5
10
15
20
âge
F IG . 3.1: Courbe de survie et taux de hasard correspondant à la table de vie du Tableau 3.2.
La ligne correspond à une ajustement linéaire des taux de hasard en ne comptant pas les deux
derniers taux de hasard nuls (non significatifs).
l’estimateur de Kaplan-Meier :
T
S(T ) = ∏ 1 − h(t)
(3.6)
t=1
Les deux approches donnent des résultats similaires, mais l’estimateur de Kaplan-Meier est
plus robuste car il calcule une probabilité de survie exacte, indépendamment de l’instant exact
où se produisent les sorties.
La table de vie présentée ici est particulière car on observe les capital-risqueurs pendant 5
années uniquement et non depuis leur entrée en activité. Le nombre d’observations à chaque
âge n’est donc pas strictement décroissant. Cela dit l’estimation du taux de hasard reste valable,
puisqu’il s’agit d’une probabilité conditionnelle de survie sachant que l’on a déjà atteint un
certain âge. Les colonnes ’entrées’ et ’sorties’ indiquent respectivement le nombre de capitalrisqueurs qui entrent dans l’échantillon à l’âge considéré, et qui en sortent à l’issue de l’année.
Chapitre 3. Sélection et apprentissage des capital-risqueurs
180
La démographie de l’échantillon est donc régie par l’équation suivante :
N(t + 1) = N(t) + entrées(t + 1) − sorties(t) − fin-activité(t)
(3.7)
Si on analyse le Tableau 3.2, on constate que le taux de hasard est très bruité mais légèrement
croissant, de 1% à 4,5%. Le bruit est causé par la construction particulière de notre échantillon,
qui n’est pas constitué d’une population homogène mais de classes d’âge reconstituées. L’estimation du modèle économétrique devrait permettre de limiter cet effet en contrôlant notamment
pour l’année de création de chaque firme de capital-risque.
La Figure 3.1 permet de visualiser les valeurs du Tableau 3.2. Malgré le bruit la courbe
de survie est relativement lisse. L’ajustement linéaire des taux de hasard sur l’âge du capitalrisqueur montre une tendance croissante significative à 5%, ce qui cohérent avec l’idée d’un
processus de maturation. Avec le temps l’évaluation des capital-risqueurs par les investisseurs
institutionnels devient plus précise, et les mauvais capital-risqueurs ont plus de chance d’être
détectés et éliminés.
En cumulatif, la pression de sélection n’est pas négligeable : parmi les firmes de capitalrisque20 ayant au moins 5 années d’activité, seules 65% sont encore actives après 20 années.
Modèle économétrique
La question que nous nous posons ici est de savoir si les capital-risqueurs qui quittent le
marché sont moins performants que ceux qui restent, c’est-à-dire si le mécanisme de sortie
observé correspond bien à un mécanisme de sélection des capital-risqueurs les plus performants.
Pour cela on estime un modèle de survie à hasard proportionnel de Cox. Ce modèle suppose que
le rapport entre les taux de hasard de deux individus différents est constant, et dépend de leurs
caractéristiques Xi,t . Puisqu’il repose sur le taux de hasard, le modèle est adapté à nos données.
Le modèle estimé est le suivant :
hi (t) = h0 (t) eXi,t β+εi,t
(3.8)
Les variables observées dépendent du temps, ce qui permet notamment d’utiliser une mesure
de la performance des capital-risqueurs qui évolue au cours du temps (Per fi,tD ).
20 Dans
notre base nous n’avons accès qu’aux données au niveau des firmes de capital-risque, qui peuvent em-
ployer plusieurs capital-risqueurs.
3.3. Mise en évidence empirique
181
Estimations
Le Tableau 3.3 donne le résultat de l’estimation. En bas du tableau sont rapportés quelques
mesures de la validité du modèle. Outre le pseudo-R2 , les trois tests proposés permettent de
tester le modèle complet, c’est-à-dire l’hypothèse que tous les coefficients estimés soit significativement différents de zéro. Sous l’hypothèse H0 que tous les coefficients sont nuls ces trois
statistiques suivent une loi χ2 (d f ). L’hypothèse H0 est significativement rejetée par les trois
tests21 .
La première colonne de la table donne le coefficient estimé et la deuxième colonne l’effet
relatif sur le taux de hasard d’une unité de la variable. En effet pour deux observations X1,t et
X2,t , le rapport de leur taux de hasard est :
h1 (t) h0 (t) eX1,t β
= e(X1,t −X2,t ) β
=
h2 (t) h0 (t) eX2,t β
(3.9)
Si les deux observations ne diffèrent que d’une unité sur la composante i, le rapport de leur
taux de hasard est donc exactement eβi .
Le coefficient de la performance du capital-risqueur est négatif et significatif à 5%. Les
capital-risqueurs les plus performants ont donc moins de risque de cesser leur activité.
On mesure aussi un effet négatif significatif du nombre de start-ups financé par le passé.
Puisque l’on compare des capital-risqueurs ayant le même âge, cela indique que les capitalrisqueurs gérant des fonds de taille plus importante on moins de chance de quitter le marché que
les autres. Chaque start-up supplémentaire diminue de 8% la probabilité de quitter le marché.
Enfin la répartition des investissements par industrie n’a pas d’effet significatif sur la probabilité de sortie. Cela signifie que les exigences des investisseurs institutionnels sont indépendantes des domaines d’investissement.
L’effet de la performance indiqué par la deuxième colonne de la table est qu’une augmentation d’une unité de la performance multiplie le taux de hasard par 0.14, soit une baisse relative
de 86%. Bien sûr le taux de hasard ne peut pas varier autant entre deux capital-risqueurs car la
performance prend ses valeurs entre 0 et 1. Une variation d’une unité correspond donc à l’amplitude maximum de la variation de la performance. Pour mieux estimer cet effet, le tableau
21 Pour
plus de détails sur ces tests voir Klein & Moeschberger (1997)
Chapitre 3. Sélection et apprentissage des capital-risqueurs
182
Variable expliquée : fin d’activité du capital-risqueur
coef exp(coef)
robust se
z
p
performance
-1.9011
0.14941
0.90507
-2.1005
0.036
*
nb start-ups
-0.07709
0.92581
0.021893
-3.5212
0.00043
***
pNTIC
référence
pSANTE -0.075612
0.92718
0.65301
-0.11579
0.91
pCOMMERCE
0.2516
1.2861
0.95927
0.26228
0.79
pAUTRE
-0.14786
0.86256
1.6957
-0.087194
0.93
année de fondation
indicatrices
N
1419
pseudo R2
0.033326
/ 0.2328
log test
48.095
12 df
p=
3.0087e-06
***
wald test
51.64
12 df
p=
7.1913e-07
***
score test
38.93
12 df
p=
0.00010808
***
Signif. : *** < 0.1% ; ** < 1% ; * < 5% ; . < 10%
TAB . 3.3: Modèle de survie à hasard proportionnel de Cox pour les capital-risqueurs actifs aux
Etats-Unis entre 1995 et 2000, ayant au moins 5 ans d’expérience et une expérience de trois
investissements.
3.3. Mise en évidence empirique
183
Variable expliquée : fin d’activité du capital-risqueur
D = 1 an
D = 2 ans
D = 3 ans
performance
-1.9011
*
-2.7611
**
-2.9015
**
nb start-ups
-0.07709
***
-0.070435
**
-0.063048
*
pNTIC
référence
pSANTE
-0.075612
-0.050977
0.18705
pCOMMERCE
0.2516
0.5452
0.58776
pAUTRE
-0.14786
-0.40058
0.38931
année de fondation
indicatrices
N
1419
1279
1138
pseudo R2
0.033326
0.032934
0.029229
logtest
48.095
***
42.832
***
33.759
***
waldtest
51.64
***
50.41
***
49.21
***
scoretest
38.93
***
37.258
***
30.898
**
Signif. : *** < 0.1% ; ** < 1% ; * < 5% ; . < 10%
TAB . 3.4: Estimations de modèles de survie à hasard proportionnel de Cox, en mesurant la
performance des capital-risqueurs avec différents délais pour la prise en compte des start-ups
financées : un an, deux ans ou trois ans.
Chapitre 3. Sélection et apprentissage des capital-risqueurs
184
suivant donne donc le rapport entre le taux de hasard pour des valeurs de la performance correspondant à différents quantiles de la distribution de la performance et la valeur moyenne.
quantile
0%
10%
25%
50%
75%
90%
100%
performance 0.00
0.00
0.15
0.25
0.38
0.50
1.00
effet relatif 1.66
1.66
1.25
1.03
0.80
0.64
0.25
En passant du premier au troisième quartile de la distribution de la performance, la probabilité de quitter le marché diminue relativement de 36% (1 − 0.8/0.125). La sélection élimine
donc bien préférentiellement les capital-risqueurs les moins performants.
Ce résultat est encore plus net si l’on utilise des mesures de la performance avec un délai plus
grand pour la prise en compte des start-ups dans son calcul (Eq. (3.2). Le Tableau 3.4 présente
les estimations obtenues avec un délai d’un an (identique au modèle précédent) deux ans et trois
ans. L’effet de la performance est alors de plus en plus important et plus en plus significatif. Ce
résultat se justifie par le fait que plus le temps passe plus l’évaluation des start-ups financées
est aisée. Les mesures de performance avec un délai plus grand sont donc plus proches de
l’évaluation effective utilisée par les investisseurs institutionnels. Ces estimations confirment
donc que le processus de sélection se fait sur la base d’une évaluation de la performance par les
investisseurs institutionnels sur la base d’une information incomplète.
Par conséquent nous pouvons établir le résultat suivant :
Résultat 3.1. Il existe un processus de sélection qui tend à éliminer les capital-risqueurs les
moins compétents, sur la base de l’évaluation de leur performance passée effectuée par les
investisseurs institutionnels.
3.3.2
Sélection et apprentissage
L’analyse précédente a mis en évidence le processus de sélection des capital-risqueurs les
plus performants. Mais l’on sait aussi que l’un des faits stylisés du capital-risque est que les
capital-risqueurs les plus expérimentés sont plus performants. Cet effet est la combinaison de
la sélection que l’on vient de voir et de l’apprentissage des capital-risqueurs. Nous proposons
3.3. Mise en évidence empirique
185
maintenant une étude permettant de mieux séparer ces deux effets, et de mesurer l’influence
relative de chacun de ces processus évolutionnistes.
Nous nous inspirons ici de Baldwin & Rafiquzzaman (1995). Dans leur étude, ils mesurent
l’influence relative de ces deux forces évolutionnistes sur des jeunes firmes industrielles canadiennes entrées sur le marché entre 1970 et 1982 en comparant d’une part les performances lors
de leur entrée des firmes survivantes et des firmes éliminées, et d’autre part en comparant la
performance des firmes survivantes après dix ans à leur performance dans les premières années.
Ils montrent que l’effet de sélection est prédominant dans cet échantillon, l’avantage compétitif
des survivants existant déjà à leur entrée sur le marché et n’évoluant que faiblement ensuite.
Nous analysons de même la performance relative des capital-risqueurs qui restent sur le
marché (’Sélectionnés’) et de ceux qui le quittent (’Eliminés’). Comme dans le Chapitre précédent la mesure de performance utilisée est la probabilité de faire sortir ses start-ups par une
introduction en bourse.
Modèle économétrique
Comme au chapitre précédent, nous analysons les déterminants de la probabilité de sortie
par introduction en bourse d’une start-up avec un modèle logit. Par contre nous n’estimons ici
que l’effet global de la sélection et de l’apprentissage sur la performance des capital-risqueurs
dans le choix d’investir ou non dans une start-up (c.f. section 2.3.5).


Yi ∼ B(ni , pi )
 log( pi ) = β + β X + ε , ε ∼ N(0, σ)
i
i i
0
1−pi
(3.10)
La variable expliquée (Yi ) est une variable binaire indiquant si la start-up est sortie par une
introduction en bourse ou non (ni = 1).
pi
Le logarithme des chances (log( 1−p
)) est régressé sur les caractéristiques de l’investissei
ment (’montant’, ’nb co-invest.’, ’année’), de la start-up (’industrie’,’tour de table’), et de l’investisseur (’expérience’, ’taux succès passé’, ’inactif’). Nous contrôlons de plus pour la conjoncture économique affrontée par les start-ups lors de l’investissement (’année’).
186
Chapitre 3. Sélection et apprentissage des capital-risqueurs
Statistiques descriptives
Le Tableau 3.5 présente les statistiques descriptives de l’échantillon utilisé. Il s’agit toujours des investissements réalisées par les capital-risqueurs aux Etats-Unis entre 1990 et 1998.
Comme dans le chapitre précédent on retrouve comme variables explicatives le montant du de
l’investissement, le nombre de capital-risqueurs prenant part au tour de table, et l’industrie de
la start-up.
En s’inspirant du résultat de Kaplan & Schoar (2005), nous rajoutons aux variables explicatives le taux de succès passé (’taux succès passé’) estimés sur tous les investissements précédents afin de vérifier que l’on retrouve un effet de persistance de la performance des capitalrisqueurs.
Le tableau permet de comparer les statistiques des investissements réalisés par les capitalrisqueurs qui restent sur le marché (’Sélectionnés’) et ceux qui sont voués à en sortir (’Eliminés’).
Entre ces deux groupes on constate des différences dans les caractéristiques des investissements dont la combinaison est ambiguë. En effet les investissements des capital-risqueurs éliminés sont moins importants mais font intervenir plus de capital-risqueurs. Puisque la probabilité
de succès augmente avec ces deux variables, on ne peut pas a priori déterminer l’effet global de
ces différences.
De même la répartition des start-ups financées en fonction du tour de table auquel le capitalrisqueur rentre dans la start-up est aussi ambiguë. Les capital-risqueurs éliminés investissent
moins souvent dans les premiers tours de table et plus souvent aux autres étapes. Sachant que
ces capital-risqueurs vont être éliminés on peut interpréter le choix d’investir plutôt dans les
stades tardifs comme la marque d’une compétence moindre, ainsi que nous l’avons vu au premier chapitre, et celui d’investir dans l’amorçage comme une prise de risque trop importante.
Cette interprétation est néanmoins à prendre avec précaution car les effets sous-jacents sont
certainement plus complexe que cela.
Les capital-risqueurs éliminés ont aussi moins d’expérience que les capital-risqueurs sélectionnés ce qui s’explique car ils restent moins longtemps sur le marché. Par contre la répartition
des investissements par industrie est similaire entre les deux groupes.
3.3. Mise en évidence empirique
187
Tous
Sélectionnés
Eliminés
5.38 (7.43)
5.52 (7.54)
4.68 (6.83)
3.5 (2.19)
3.47 (2.17)
3.68 (2.29)
54.4 (62.5)
60 (65.7)
26.8 (30.1)
taux succès passé 0.356 (0.202)
0.361 (0.196)
0.327 (0.229)
montant
nb co-invest.
expérience
IPO
28.6%
29.3%
25.1%
NTIC
57.1%
57.6%
55%
Santé
28.4%
28.4%
28.1%
Commerce
12.4%
12.2%
13.7%
Autre
2.03%
1.81%
3.16%
Amorçage
10.0%
9.78%
11.2%
Premier Tour
53.5%
54.4%
48.8%
Second Tour
19.9%
19.6%
21.7%
Tours ultérieurs
16.6%
16.2%
18.3%
N=
10492
8753
1739
TAB . 3.5: Statistiques descriptives des données utilisées pour la mesure de l’effet relatif de
l’apprentissage et de la sélection sur la performance des capital-risqueurs.
188
Chapitre 3. Sélection et apprentissage des capital-risqueurs
Enfin, globalement, les capital-risqueurs sélectionnés ont à la fois un taux de succès passé
et une probabilité de succès des investissements réalisés plus faible que les éliminés. Il semble
donc bien que la sélection améliore la performance globale du capital-risque en ne conservant
que les capital-risqueurs les plus performants.
Estimations
Nous estimons quatre modèles différents. Le premier modèle estimé est notre modèle de
référence. Il ne contient pas le résultat anticipé de la sélection comme variable explicative, mais
il comprend le taux de succès passé. Cela permet de tester la stabilité de l’effet de l’apprentissage lorsque l’on prend en compte la sélection. Le modèle suivant contient en plus du modèle
de référence une indicatrice désignant les capital-risqueurs qui seront éliminés par le processus de sélection. Ce modèle permet donc de mesurer l’amélioration de la performance due à la
sélection. Enfin les deux derniers modèles sont estimés séparément sur chaque sous-ensemble
de la population des capital-risqueurs, ceux qui seront sélectionnés et ceux qui seront éliminés.
Les coefficients des modèles estimés sont donnés dans le Tableau 3.6, et les effets marginaux
associés à ces coefficients sont donnés dans le Tableau 3.7.
Dans le premier modèle nous trouvons un effet positif et significatif de l’expérience, ce qui
confirme l’effet de l’apprentissage déjà bien établi dans la littérature. Nous trouvons aussi un
effet positif et significatif du taux de succès passé qui montre une persistance de la performance
des capital-risqueurs cohérente avec le résultat établi par Kaplan & Schoar sur la performance
des fonds de capital-risque. Cet effet constitue d’une part une nouvelle mise en évidence de la
compétence des capital-risqueurs, et justifie d’autre part le recours à une sélection sur la base
de la performance passée.
Dans le second modèle, nous ajoutons la variable indicatrice qui désigne les capital-risqueurs
qui seront éliminés par la sélection. Le coefficient de cette indicatrice est négatif et significatif.
Les capital-risqueurs qui vont être éliminés par la sélection sont donc bien moins performants
que ceux qui restent sur le marché. De plus on remarque que le coefficient associé à l’expérience
a diminué de 10% en relatif et que son élasticité passe de 0.81 à 0.71. Ce qui signifie qu’une
part de l’effet de l’expérience est en fait dû non pas à l’apprentissage mais à l’élimination des
capital-risqueurs les moins performants. L’effet de la sélection est important : il est équiva-
3.3. Mise en évidence empirique
référence
189
sélection
Sélectionnés
Eliminés
constante
-1.6636
***
-1.6276
***
-1.6235
***
-1.8861
expérience
0.0018007
***
0.0015797
***
0.0016018
***
0.0011065
taux succès passé
0.38082
***
0.36374
***
0.43693
***
0.024891
-0.17922
***
CR éliminé
***
montant
0.015098
***
0.015077
***
0.015204
***
0.015023
*
nb co-invest.
0.072368
***
0.07321
***
0.06896
***
0.094298
***
0.15362
***
0.26415
**
.
NTIC
référence
Santé
0.17467
***
0.1709
Commerce
0.01623
0.019495
-0.014147
0.22349
Autre
-0.090788
-0.086714
-0.20493
0.2887
Premier Tour
***
référence
Amorçage
-0.084752
-0.082331
Second Tour
0.14774
***
0.15244
***
0.12512
**
0.30542
**
Tours ultérieurs
0.24254
***
0.24547
***
0.23328
***
0.33745
**
année
-0.078701
-0.094716
indicatrices
N
7855
7855
6609
1246
null deviance
9544.4
9544.4
8111.8
1421.8
deviance
8883.5
8867.2
7552
1292.2
pseudo R2
0.069248
0.070951
0.06902
0.091185
Signif. : *** < 0.1% ; ** < 1% ; * < 5% ; . < 10%
TAB . 3.6: Modèles logit. Estimation de la probabilité de succès de la start-up, c’est-à-dire
d’une sortie par introduction en bourse, en fonction des caractéristiques du capital-risqueur et
de l’investissement.
Chapitre 3. Sélection et apprentissage des capital-risqueurs
190
ey/ex
référence
sélection
Sélectionnés
expérience
0.081939
***
0.071903
***
0.079055
***
0.026644
taux succès passé
0.086718
***
0.082856
***
0.10024
***
0.0054496
montant
0.051324
***
0.051271
***
0.052215
***
0.048306
*
nb co-invest.
0.16408
***
0.16604
***
0.15339
***
0.23716
***
∆y
référence
sélection
CR éliminé
***
Eliminés
Sélectionnés
-0.041286
***
0.039368
***
0.03561
Eliminés
Santé
0.040247
***
0.058378
**
Commerce
0.0037398
0.004491
-0.0032795
0.04939
.
Autre
-0.02092
-0.019976
-0.047504
0.063803
Tours ultérieurs
0.055886
***
0.056547
***
0.054076
***
0.074576
**
Second Tour
0.034043
***
0.035117
***
0.029004
**
0.067498
**
Amorçage
-0.019529
-0.018966
-0.018243
-0.020932
Y
0.36008
0.35986
0.36512
0.3297
Signif. : *** < 0.1% ; ** < 1% ; * < 5% ; . < 10%
TAB . 3.7: Effets marginaux des modèles logit du Tableau 3.6. Elasticités pour les variables
quantitatives et effet direct sur la probabilité de sortie pour les variables indicatrices.
3.3. Mise en évidence empirique
191
lent à celui d’une expérience de 100 investissements soit de l’ordre du double de l’expérience
moyenne des capital-risqueurs sélectionnés.
Résultat 3.2. Les processus de sélection et d’apprentissage coexistent sur le marché du capitalrisque. L’effet de la sélection sur l’amélioration de la performance des capital-risqueurs est
équivalente à une expérience de 100 investissements, ce qui est de l’ordre du double de l’expérience moyenne d’un capital-risqueur sélectionné.
Enfin, dans le troisième et le quatrième modèle nous estimons ce même modèle séparément
sur les sous-ensembles de capital-risqueurs sélectionnés et éliminés. On constate que l’effet
d’apprentissage reste stable pour les capital-risqueurs sélectionnés, mais qu’il disparaît pour les
éliminés. Ce dernier résultat peut s’expliquer soit par une moins grande capacité d’apprentissage
des capital-risqueurs éliminés, soit par le fait qu’ils sont éliminés avant d’avoir pu apprendre.
Par contre le coefficient associé au nombre de partenaires de co-investissement est plus important pour les capital-risqueurs éliminés : l’élasticité passe de 0.15 à 0.23. Il semble donc que
les capital-risqueurs les moins performants utilisent le co-investissement pour compenser leur
handicap.
Principaux Résultats
Ces études empiriques ont donc mis en évidence la coexistence de deux processus évolutionnistes qui mènent à une meilleure performance globale des capital-risqueurs. Le modèle
de survie a montré qu’il existe un processus de sélection qui élimine les capital-risqueurs les
moins performants. Le modèle des déterminants du succès des start-ups a montré la coexistence des deux processus, et permis de mesurer l’impact de la sélection sur la performance des
capital-risqueurs. L’effet de la sélection est équivalent à une expérience de 100 investissements.
Il y a de plus une interaction non triviale entre les deux processus. D’une part, la prise en
compte de la sélection diminue l’effet de l’apprentissage. D’autre part, les capital-risqueurs
éliminés par la sélection sont soit moins capables d’apprendre, soit éliminés avant d’avoir pu
apprendre.
Chapitre 3. Sélection et apprentissage des capital-risqueurs
192
3.4 Le modèle
Le modèle présenté dans le Chapitre 2 représente le mécanisme de sélection des start-ups
par des capital-risqueurs dotés d’une compétence d’évaluation. Pour analyser ce modèle nous
avions supposé les capital-risqueurs homogènes en compétence et comparé l’efficacité de la
sélection à différents niveaux de compétence pour l’ensemble de la population des capitalrisqueurs. Dans ce chapitre nous prenons en compte l’hétérogénéité de la compétence des
capital-risqueurs et le mécanisme de sélection de ces derniers. Nous ajoutons ensuite un mécanisme d’apprentissage et nous étudions les interactions entre ces deux processus.
3.4.1
Sélection des capital-risqueurs
Comme nous l’avons vu dans la littérature, la sélection des capital-risqueurs se fait par la
durée limitée des fonds qu’ils gèrent, et la nécessité pour eux de lever de nouveaux fonds afin
de rester sur le marché. Le modèle reprend ce principe.
Nous considérons que chaque capital-risqueur gère un fonds de taille LP, c’est-à-dire que
chaque fond lui permet de financer LP start-ups. Ce fonds est levé auprès d’investisseurs institutionnels qui sont attentifs aux retours générés par le fonds.
A chaque période, les capital-risqueurs investissent dans une unique start-up en suivant le
processus de sélection du chapitre précédent. Une fois LP start-ups financées, soit après LP
périodes, la performance des capital-risqueurs est évaluée par les investisseurs institutionnels.
Ceux dont la performance est jugée satisfaisante peuvent lever un nouveau fonds à investir, les
autres sont remplacés par de nouveaux entrants.
Nous revenons donc à la définition originale de la compétence des capital-risqueurs avec
une compétence hétérogène :
q̃i j = c j × qi + (1 − c j ) × ui j
(3.11)
La profit pour un investissement dans une start-up est toujours :

 g × I − I avec la probabilité
pi
πi =

−I
avec la probabilité (1 − pi )
(3.12)
3.4. Le modèle
193
avec :
pi = qi × p̄
(3.13)
Et les capital-risqueurs choisissent toujours les start-ups dans un ordre aléatoire, suivant leur
évaluation propre :
s j = argmax{i|i6=sk ,∀k< j} q̃i j
(3.14)
La dynamique du modèle est définie ainsi :
– Le modèle est initialisé avec un population de V capital-risqueurs, chacun gérant un fonds
initial de taille LP.
– A chaque période n, on répète les étapes suivantes :
1. S nouveaux projets de start-ups sont générés.
2. Les capital-risqueurs évaluent les projets de start-ups et choisissent celui qu’il vont
financer.
3. Un tirage aléatoire détermine si les start-ups financées sont un succès ou un échec.
4. Les capital-risqueurs accumulent les profits et les pertes réalisés par leurs investissements.
5. Après LP investissements, les capital-risqueurs sont évalués individuellement : si
leur performance est satisfaisante les investisseurs institutionnels leur confient un
nouveau fonds de taille LP a gérer. Sinon ils sont remplacés par un nouveau capitalrisqueur, doté d’un fonds de taille LP.
La dynamique proposée ici est donc une répétition du processus de sélection du chapitre
précédent, avec une évaluation des capital-risqueurs toutes les LP périodes qui peut mener à
une élimination et un remplacement par un nouvel entrant.
Par mesure de simplicité, on considère que les start-ups ne vivent que durant une seule
période. Les projets de start-ups financés génèrent donc des profits ou des pertes à la fin de la
période où ils sont financés. Cette hypothèse est très irréaliste du point de vue de l’investissement individuel, mais du point de vu du processus de sélection cela revient à dire que toutes
les start-ups sont sorties lors de la levée du nouveau fonds. On a vu que cela était faux aussi,
mais normalement au moins l’essentiel des start-ups sont sorties, et on peut considérer qu’il est
194
Chapitre 3. Sélection et apprentissage des capital-risqueurs
possible de se faire une idée raisonnable du futur des autres pour l’évaluation de la performance
du capital-risqueur. Cette hypothèse n’est donc pas si forte que cela.
Le processus de remplacement des capital-risqueurs éliminés revient à conserver une population de capital-risqueurs de taille constante. Là encore il s’agit d’une hypothèse simplificatrice,
cependant pour la lever il faudrait supposer un mécanisme d’entrée sur le marché qui d’une part
serait lui aussi forcément arbitraire et d’autre part générerait des perturbations. Dans un premier temps, une population constante permet d’étudier le processus de sélection pur, en faisant
abstraction du mécanisme d’entrée sur le marché.
Enfin, contrairement à l’évidence empirique, les capital-risqueurs lèvent des fonds de taille
constante LP et non pas croissante. Il s’agit encore d’une hypothèse simplificatrice mais de
second ordre.
L’hypothèse la plus restrictive est peut être finalement de considérer l’investissement comme
séquentiel, une start-up à la fois, sur des marchés renouvelés à chaque période. L’investissement
est plus vraisemblablement asynchrone, les capital-risqueurs traitant plusieurs dossiers à la fois,
au fur et à mesure de leur arrivée et non en simultané. Cependant pour des raisons de simplicité
du modèle cette hypothèse est la plus raisonnable, du moins dans un premier temps, car le
processus de sélection à chaque période est alors bien identifié et analysé.
Note sur le temps dans le modèle
Dans le modèle, chaque période représente la réalisation d’un investissement par les capitalrisqueurs. Nous avons en effet supposé que l’on pouvait décomposer l’investissement des fonds
par la répétition de périodes d’investissements au cours desquelles chaque capital-risqueur
réalise un unique investissement. Cette période ne correspond cependant pas à un intervalle
de temps particulier.
Nous savons en effet que la durée des fonds de capital-risque, typiquement de 10 ans, est
déterminée par la durée du cycle de vie des start-ups plutôt que par la taille des fonds (c.f. la
section 1.7.1 du Chapitre 1). Quelque soit les montants investis dans le fonds, et donc le nombre
de start-ups que le fonds permet de financer, la durée des fonds est en pratique toujours la même.
S’il fallait compter en unité de temps plutôt qu’en nombre d’investissements, le nombre
de fonds levés serait donc plutôt la bonne unité de mesure. Chaque fonds correspondant à 5
3.4. Le modèle
195
années, puisque le capital-risqueur n’investit que pendant la première moitié du fonds et liquide
ses investissements durant la seconde.
Dans la suite du chapitre nous nous intéressons notamment à l’effet de la taille des fonds sur
l’efficacité de la sélection. Or l’effet d’une augmentation de la taille des fonds est multiple : cela
revient à augmenter la fréquence des évaluations des capital-risqueurs, à augmenter le nombre
d’investissements réalisés par le capital-risqueur pendant la durée du fonds et donc globalement
la densité d’investissements en capital-risque, et cela pourrait aussi éventuellement mener à un
allongement de la durée du fond si le nombre d’investissements à réaliser est trop important.
En choisissant de raisonner sur le nombre d’investissement réalisés plutôt que sur le temps,
cela nous permet d’isoler un seul effet, celui de l’augmentation de la fréquence des évaluations
des capital-risqueurs. Ce faisant nous considérons en fait le résultat à long terme de la sélection
de capital-risqueurs immortels. Ces hypothèses sont donc très irréalistes mais permettent de
bien comprendre cet effet particulier de la taille des fonds. On se gardera donc d’interpréter les
résultats obtenus en d’autres termes.
3.4.2 Apprentissage
Dans un second temps nous introduisons un mécanisme d’apprentissage, pour rendre compte
du processus établi par les études empiriques. Puisque l’évidence empirique indique que la performance du capital-risqueur augmente avec son expérience, nous modélisons l’apprentissage
comme un mécanisme de learning-by-doing à la Arrow (1962). Pour cela nous définissons une
fonction d’apprentissage qui lie expérience exp j et compétence c j . Ce doit être une fonction
croissante de R+ dans [0 : 1]. Nous choisissons une forme exponentielle simple.
c j = 1 − e−α j exp j
(3.15)
Le paramètre α j est la capacité d’apprentissage du capital-risqueur j. La compétence de tout
capital-risqueur dont la capacité d’apprentissage est non nulle tend donc vers 1 (évaluation avec
information parfaite) avec l’expérience, et ce d’autant plus rapidement qu’α j est grand. Le fait
que la compétence soit bornée dans [0 : 1] impose une saturation de la fonction d’apprentissage
et donc des rendements décroissants pour l’expérience. Cela n’est cependant pas une hypothèse
196
Chapitre 3. Sélection et apprentissage des capital-risqueurs
si irréaliste pour une fonction d’apprentissage. Les capital-risqueurs restent dotés d’une compétence initiale c j,0 . Lors de leur entrée sur le marché cette compétence initiale est traduite en
expérience en inversant l’équation (3.15).
exp j,0 = −
1
log(1 − c j,0 )
αj
(3.16)
La traduction de la compétence initiale en expérience peut paraître simplement technique,
voire abusive, elle se justifie néanmoins. Tout d’abord cela signifie qu’un investissement profite
moins à un capital-risqueur très compétent qu’à un investisseur moins compétent. Cela est cohérent avec l’idée de rendements décroissants de l’expérience. En fait le rapport de causalité est
même inversé, c’est parce qu’il est plus difficile de progresser lorsque l’on est déjà très compétent que les rendements de l’apprentissage sont décroissants et non l’inverse. Ensuite il faut
bien que la compétence initiale du capital-risqueur vienne de quelque-part. Il n’y a donc pas de
difficulté à considérer que cette expérience initiale représente l’expérience passée du capitalrisqueur, acquise avant son entrée sur le marché du capital-risque. Enfin à capacité d’apprentissage équivalente, deux capital-risqueurs entrant sur le marché avec des compétences initiales
différentes resteront classés dans le même ordre avec l’expérience puisqu’ils suivent la même
courbe d’apprentissage. Par contre leur différence absolue en niveau de compétence diminuera
avec l’expérience, toujours à cause des rendements décroissants.
3.5
Analyse de la sélection
Dans cette section, nous analysons l’influence de l’incertitude sur la mesure de la performance du capital-risqueur sur la qualité de la sélection. Nous dérivons tout d’abord une mesure
de la performance qui soit une bonne estimation de la compétence du capital-risqueur, avant
d’analyser les propriétés de la sélection à l’issue du premier fonds puis de la sélection globale.
Nous montrons que la taille des fonds de capital-risque est un facteur essentiel pour l’efficacité de la sélection des capital-risqueurs. Plus la taille des fonds augmente plus la sélection
est précise mais plus les investisseurs institutionnels prennent de risques.
3.5. Analyse de la sélection
197
3.5.1 Evaluation de la performance des capital-risqueurs
L’étude du chapitre précédent a permis de montrer que la compétence du capital-risqueur
détermine de façon non-linéaire mais croissante la qualité moyenne des start-ups qu’il finance.
Cette qualité moyenne détermine à son tour la probabilité de succès moyenne des start-ups financées, puis le profit moyen du capital-risqueur. La qualité moyenne des start-ups financées
dépend aussi d’autres facteurs que la compétence des capital-risqueurs, notamment de l’intensité de la sélection et de la distribution de la qualité des start-ups. Mais dans ce chapitre ces
autres facteurs sont des conditions fixes du marché M. Dans ce cadre, la qualité moyenne des
start-ups financées par le capital-risqueur E(qs j ), et donc leur probabilité de succès moyenne p j
est déterminée totalement par la compétence du capital-risqueur c j .
p j = E(qs j ) p̄ = f (c j , M)
(3.17)
+
Une mesure de la performance qui donne une bonne estimation du taux de succès p j serait
donc une mesure de performance qui donne une bonne estimation de la compétence du capitalrisqueur c j .
Le résultat de l’investissement d’un capital-risqueur j peut être approximé par un tirage de
Bernouilli de probabilité p j . Le nombre d’investissements réussis parmi n suit alors une loi
binomiale B(n, p j ). Ce qui implique que le profit moyen d’un capital-risqueur sur n investissements converge vers une valeur déterminée linéairement par p j .
((
)
)
1 n
1
πˆj = ∑ π j,k =
B(n, p j ) g − 1 I
n k=1
n
πˆj −−−→ (p j g − 1) I
n→∞
Puisque
1
n
(3.18)
(3.19)
B(n, p j ) est un estimateur sans biais et efficace de p j , πˆ j est un estimateur sans
biais et efficace du profit moyen réalisé par un capital-risqueur. Le profit moyen du capitalrisqueur est donc un bon estimateur de sa compétence.
3.5.2 Influence de la taille du fonds
L’évaluation de la performance des capital-risqueurs est bruitée, mais d’autant plus précise
que le nombre d’investissements observé est important. La taille du fonds LP, qui détermine la
Chapitre 3. Sélection et apprentissage des capital-risqueurs
198
fréquence d’évaluation des capital-risqueurs est donc un paramètre essentiel de l’efficacité de
la sélection. La première évaluation est la plus critique, puisque c’est celle où l’évaluation de la
performance est la moins précise.
Pour simplifier l’analyse, on suppose que la taille du fonds est toujours un multiple du gain
en cas de succès (LP = k g). Puisqu’un succès rapporte g fois l’investissement initial et qu’un
échec ne rapporte rien, il faut exactement k succès pour obtenir un profit moyen nul sur k g
investissements. Un capital-risqueur qui gère un fonds de taille LP = k g, doit donc obtenir au
moins k succès pour obtenir un profit nul.
Par conséquent la probabilité d’être sélectionné pour gérer un nouveau fonds pour un capitalrisqueur ayant une probabilité moyenne p j après avoir investi un premier fonds de taille LP est :
(
)
P(S|p j , LP) = P B(k g, p j ) g − k g) I > 0
(3.20)
= P(B(k g, p j ) > k)
(3.21)
= 1 − FB(k g,p j ) (k)
(3.22)
La Figure 3.2 montre l’évolution de cette probabilité de sélection en fonction de k. Lorsque
k augmente la fonction de sélection tend vers une fonction créneau de Heaviside H(py − g1 ), où
1
g
correspond à la valeur critique de la probabilité de succès moyenne du capital-risqueur pour
laquelle les profits espérés sont nuls. La précision de la sélection augmente donc bien avec la
taille du fonds LP.
A l’issue du premier fonds certains capital-risqueurs pourtant compétents sont cependant
éliminés (erreur de type II), et parmi ceux sélectionnés certains ne sont pas assez compétents
(erreur de type I). Augmenter la taille du fonds permet de diminuer les deux types d’erreur à
l’issue du premier fonds.
Cependant en augmentant la taille du fonds, les investisseurs institutionnels augmentent
leur prise de risque. En effet la variance des profits obtenus sur la durée du fonds augmente
linéairement avec le nombre d’investissements.
LP
var( ∑ πk ) =
k=1
LP
∑ var(πk ) = LP ∗ var(π)
k=1
(3.23)
3.5. Analyse de la sélection
0.2
0.4
0.6
0.8
k=100
k=10
k=5
k=2
k=1
0.0
probability of selection
1.0
199
0.0
0.2
0.4
0.6
0.8
1.0
success rate
F IG . 3.2: Probabilité de sélection d’un capital-risqueur à la fin de son premier fonds en fonction
de la probabilité de succès moyenne des start-ups qu’il sélectionne p j pour différentes taille de
fonds mesurées par le nombre de succès requis pour obtenir un profit nul LP = k g avec g = 10.
En augmentant la taille du fonds, l’investisseur institutionnel augmente aussi les pertes potentielles qu’il encoure si jamais le capital-risqueur n’est pas compétent. Les pertes potentielles
sont une autre mesure du risque et elles augmentent aussi linéairement avec la taille du fonds.
LP
E(pertes) =
∑
Z 0
k=1 −∞
πk f (πk )dπk = LP ∗
Z 0
−in f ty
π f (π)dπ
(3.24)
La taille des fonds de capital-risque a donc le double effet suivant :
Résultat 3.3 (Influence de la taille des fonds sur le processus de sélection des capital-risqueurs).
La taille des fonds de capital-risque conditionne la performance du processus de sélection des
capital-risqueurs. Plus la taille des fonds est grande plus la sélection est précise mais plus la
prise de risque des investisseurs institutionnels est grande.
200
Chapitre 3. Sélection et apprentissage des capital-risqueurs
3.5.3 Fonction de sélection globale
Le processus de sélection complet est plus complexe que la sélection à l’issue du premier
fonds pour deux raisons. La première est que l’on applique successivement aux capital-risqueurs
sélectionnés des fonctions de sélection différentes, puisque l’évaluation de la performance devient plus précise au fur et à mesure que le nombre d’investissements réalisés augmente. Il y a
donc un premier processus de raffinement de la sélection qui doit éliminer des capital-risqueurs
pas assez performants de moins en moins nombreux avec une fonction de sélection de plus en
plus précise.
La seconde raison est que les capital-risqueurs éliminés sont remplacés par des nouveaux,
ce qui fait que le processus de sélection boucle sur lui même. Cela implique que la population
des capital-risqueurs est constituée de cohortes de nouveaux entrants qui remplacent l’ensemble
des capital-risqueurs éliminés à chaque renouvellement de fonds (toutes les LP périodes).
Nous allons donc recourir à la simulation pour étudier le processus complet. Une fois la simulation achevée on peut d’une part observer la distribution finale de la compétence des capitalrisqueurs sélectionnés P(c|S). Mais on peut aussi retrouver la fonction de sélection globale à
partir de la loi de Bayes.
P(S|c) =
P(c|S) P(S)
P(c)
(3.25)
Ici P(c) est la distribution initiale de la compétence, P(S) la probabilité d’être sélectionné,
c’est-à-dire le nombre de capital-risqueurs sélectionnés sur le nombre de capital-risqueurs étant
entrés sur le marché, et P(c|S) la distribution de compétence des capital-risqueurs sélectionnés.
Cette fonction de sélection globale est l’équivalent pour le processus complet des fonctions de
sélection tracées sur la Figure 3.2 pour la sélection à l’issue du premier fonds.
Principaux Résultats
Cette analyse a permis d’établir que la compétence des capital-risqueurs détermine leur
profit moyen à long terme, et de justifier de l’utilisation du profit moyen observé comme évaluation de la performance. Le fait que cette mesure soit bruitée, mais que sa précision augmente
avec le nombre d’investissements a permis de mettre en évidence le rôle de la taille du fonds
dans la sélection. La précision de la sélection augmente avec la taille du fonds, mais une taille
3.6. Simulation de la sélection
201
de fonds plus grande augmente aussi la prise de risque pour l”investisseur institutionnel. Ce
dernier doit donc arbitrer entre précision et risque pour choisir la taille du fonds optimale. Enfin
nous avons établi la formule permettant de retrouver la fonction de sélection globale à partir des
distributions de compétence initiale et finale, et du nombre de capital-risqueurs éliminés.
3.6 Simulation de la sélection
Dans cette section nous passons à la simulation pour étudier le processus global de sélection des capital-risqueurs. Contrairement à l’intuition issue de l’analyse, nous montrons que la
distribution de compétence issue de la sélection est la même quelque soit la taille des fonds de
capital-risque. Par contre le nombre de capital-risqueurs éliminés à tort diminue lorsque la taille
de fonds augmente.
Nous montrons donc que le choix de la taille des fonds est un arbitrage entre erreurs de
type II (éliminer un bon capital-risqueur) et le risque pris par les investisseurs institutionnels.
En analysant le coût de la sélection, nous déterminons que les investisseurs institutionnels choisissent toujours une taille de fond minimale, sauf en présence de coût de remplacement des
capital-risqueurs éliminés. Dans ce dernier cas la taille de fond optimale est une fonction croissante du coût de remplacement.
3.6.1 Conditions de simulation
Pour étudier le processus de sélection nous nous plaçons dans quatre conditions différentes.
Les paramètres de simulations fixes sont les suivants : la probabilité de succès moyenne des
start-ups p̄ (voir ci-dessous comment la valeur est choisie), le facteur de gain en cas de succès
g = 10, le nombre de capital-risqueurs V = 100, le nombre de projets de start-ups générés à
chaque période S = 500, soit une intensité de sélection l = 5. Ces paramètres fixent les conditions dans lesquelles s’opèrent la sélection, et donc la difficulté de la tâche, mais ne modifient
pas directement le processus de sélection.
Nous faisons par contre varier la distribution de la qualité de start-ups, Gaussienne ou exponentielle, et celle de la compétence des capital-risqueurs, uniforme ou triangulaire.
Chapitre 3. Sélection et apprentissage des capital-risqueurs
202
0.05
0
0.5
return
-0.05
-0.1
-0.15
-0.2
-0.25
-0.3
0
0.2
0.4
0.6
competence
0.8
1
F IG . 3.3: Retour sur investissement moyens en fonction de la compétence du capital-risqueur
dans le cas d’une distribution de qualité Gaussienne.
0.2
0.1
0
0.6
return
-0.1
-0.2
-0.3
-0.4
-0.5
-0.6
0
0.2
0.4
0.6
competence
0.8
1
F IG . 3.4: Retour sur investissement moyens en fonction de la compétence du capital-risqueur
dans le cas d’une distribution de qualité exponentielle.
3.6. Simulation de la sélection
203
La différence essentielle entre les deux distributions de qualité des start-ups est le profil du
retour moyen en fonction de la compétence du capital-risqueur, c’est-à-dire la fonction f (c j , M)
(Figures 3.3 et 3.4). Dans le cas de la distribution exponentielle la différence entre le retour
moyen des capital-risqueurs de compétence différente est plus importante que dans le cas d’une
distribution Gaussienne. Il est donc plus facile de discriminer entre les bons capital-risqueurs et
les mauvais dans le cas d’une distribution exponentielle, ce qui devrait mener à une sélection
plus efficace. Dans chaque condition, il existe une compétence critique telle que le retour moyen
est nul. Le paramètre p̄ est choisi de façon à ce que cG = 0.5 et cE = 0.6. Le choix de ces seuils
est arbitraire mais correspond à une tâche de sélection non triviale. Dans les deux cas, il faut au
moins éliminer la moitié des capital-risqueurs. Puisque la sélection est plus simple dans le cas
de la distribution exponentielle, le seuil est un petit peu relevé pour corser les choses.
La différence entre les deux distributions de compétence tient à la part relative des capitalrisqueurs compétents dans la population initiale. Avec une distribution triangulaire, les capitalrisqueurs compétents sont plus rares qu’avec une distribution uniforme. La sélection est donc
plus difficile dans le cas triangulaire.
Dans chaque condition nous faisons varier la taille du fonds LP afin d’étudier son influence
sur l’efficacité du processus de sélection. Dans chaque condition et pour chaque valeur de LP,
nous faisons tourner 100 simulations. Les résultats présentés sont les moyennes obtenues sur
ces 100 simulations.
3.6.2 Distribution de compétence finale
Les Figures 3.5, 3.6, 3.7 et 3.8 montrent les distributions de compétence obtenues après
5000 périodes. Le trait plein représente montre la distribution de compétence initiale, c’est-àdire la population de capital-risqueurs dont sont tirés les nouveaux entrants. le trait pointillé
vertical représente la compétence critique, c’est-à-dire la compétence minimum requise pour
espérer un profit moyen positif dans le long terme.
Premier résultat de ces simulations, la sélection permet bien d’éliminer les capital-risqueurs
dont la compétence n’est pas suffisante. Après 5000 périodes, la population est uniquement
constituée de capital-risqueurs dont la compétence est supérieure au seuil critique, c’est-à-dire
Chapitre 3. Sélection et apprentissage des capital-risqueurs
204
3.5
Distribution initiale
LP=100
LP=50
LP=40
LP=30
LP=20
LP=10
3
densite
2.5
2
1.5
1
0.5
0
0
0.2
0.4
0.6
competence
0.8
1
F IG . 3.5: Distributions de compétence après 5000 périodes, avec une distribution de qualité
Gaussienne et une distribution de compétence initiale uniforme
4.5
Distribution initiale
LP=100
LP=50
LP=40
LP=30
LP=20
LP=10
4
3.5
densite
3
2.5
2
1.5
1
0.5
0
0
0.2
0.4
0.6
competence
0.8
1
F IG . 3.6: Distributions de compétence après 5000 périodes, avec une distribution de qualité
exponentielle et une distribution de compétence initiale uniforme
3.6. Simulation de la sélection
3
Distribution initiale
LP=100
LP=50
LP=40
LP=30
LP=20
LP=10
2.5
2
densite
205
1.5
1
0.5
0
0
0.2
0.4
0.6
competence
0.8
1
F IG . 3.7: Distributions de compétence après 5000 périodes, avec une distribution de qualité
Gaussienne et une distribution de compétence initiale triangulaire
4.5
Distribution initiale
LP=100
LP=50
LP=40
LP=30
LP=20
LP=10
4
3.5
densite
3
2.5
2
1.5
1
0.5
0
0
0.2
0.4
0.6
competence
0.8
1
F IG . 3.8: Distributions de compétence après 5000 périodes, avec une distribution de qualité
exponentielle et une distribution de compétence initiale triangulaire
Chapitre 3. Sélection et apprentissage des capital-risqueurs
206
à droite du trait vertical. La seule exception est le cas d’une distribution de qualité Gaussienne et
d’une distribution compétence triangulaire. Ce cas correspond aux conditions les plus difficiles
pour la sélection, les capital-risqueurs sont difficiles à discriminer et les bons capital-risqueurs
sont rares, mais même alors l’essentiel des capital-risqueurs de la population finale sont suffisamment compétents. On peut donc en déduire que la sélection par le marché atteint le but
recherché, sélectionner une population d’agents suffisamment compétents.
Deuxième résultat, la distribution de compétence finale est la même quelle que soit la taille
du fonds LP. Ce résultat est surprenant vu les résultats de l’analyse précédente. En effet, puisque
pour une unique étape de sélection la précision de la sélection augmente avec la taille du fonds,
on pouvait s’attendre à une distribution finale différente pour chaque taille de fonds, avec une
proportion plus importante de capital-risqueurs très compétents sélectionnés lorsque LP est plus
grand. Ce n’est pas le cas. Le résultat du processus de sélection complet, avec raffinage successif
de la sélection et remplacement des capital-risqueurs éliminés, est indépendant de la taille du
fonds choisie.
Ce résultat peut s’expliquer intuitivement. On peut considérer chaque étape de sélection à
l’issue d’un fond comme un filtrage de plus en plus précis avec le nombre de périodes d’activité
du capital-risqueur. La distribution finale est donc celle de la population qui est passée à travers
une succession de filtres. Lorsque l’on augmente la taille des fonds on diminue donc le nombre
de filtrages intermédiaires, mais la précision des filtres conservés reste la même. Notre résultat
indique donc que les filtrages intermédiaires n’ont pas d’impact sur la population finale obtenue.
3.6.3
Fonction de sélection globale
Le résultat précédent semble donc infirmer l’existence de l’effet de la taille du fonds tiré de
l’analyse de la sélection à l’issue du premier fonds. L’étude de la fonction de sélection globale
permet de lever cette incohérence.
Les Figures 3.9, 3.10, 3.11 et 3.12 montrent les fonctions de sélection calculées après 5000
périodes en utilisant la formule (3.25). Le trait plein montre la fonction de sélection parfaite,
c’est-à-dire celle qui ne retiendrait que les capital-risqueurs dont la compétence est supérieure
au seuil critique.
3.6. Simulation de la sélection
Selection parfaite
LP=100
LP=50
LP=40
LP=30
LP=20
LP=10
1
probabilite de selection
207
0.8
0.6
0.4
0.2
0
0
0.2
0.4
0.6
competence
0.8
1
F IG . 3.9: Fonctions de sélection après 5000 périodes, avec une distribution de qualité Gaussienne et une distribution de compétence initiale uniforme
Selection parfaite
LP=100
LP=50
LP=40
LP=30
LP=20
LP=10
probabilite de selection
1
0.8
0.6
0.4
0.2
0
0
0.2
0.4
0.6
competence
0.8
1
F IG . 3.10: Fonctions de sélection après 5000 périodes, avec une distribution de qualité exponentielle et une distribution de compétence initiale uniforme
Chapitre 3. Sélection et apprentissage des capital-risqueurs
208
Selection parfaite
LP=100
LP=50
LP=40
LP=30
LP=20
LP=10
probabilite de selection
1
0.8
0.6
0.4
0.2
0
0
0.2
0.4
0.6
competence
0.8
1
F IG . 3.11: Fonctions de sélection après 5000 périodes, avec une distribution de qualité Gaussienne et une distribution de compétence initiale triangulaire
Selection parfaite
LP=100
LP=50
LP=40
LP=30
LP=20
LP=10
probabilite de selection
1
0.8
0.6
0.4
0.2
0
0
0.2
0.4
0.6
competence
0.8
1
F IG . 3.12: Fonctions de sélection après 5000 périodes, avec une distribution de qualité exponentielle et une distribution de compétence initiale triangulaire
3.6. Simulation de la sélection
209
Tout d’abord on peut constater que les fonctions de sélection sont presque identiques quelle
que soit la distribution initiale de compétence, uniforme ou triangulaire. C’est une propriété à
laquelle on peut s’attendre puisque la probabilité de sélection est une probabilité conditionnelle
à la compétence du capital-risqueur P(S|c), et donc par définition indépendante de la distribution de compétence initiale. Les différences observées sont donc dues aux imperfections de la
simulation, et notamment au fait que la vitesse de sélection dépend de la distribution de compétence initiale, ce qui implique que les deux processus n’en sont pas exactement au même point
après le même nombre de périodes (pourtant ici assez grand : 5000).
Pour revenir au point qui nous intéresse, la différence entre les différentes tailles de fonds
apparaît ici clairement. Conformément à l’analyse, la précision de la sélection augmente avec
la taille du fonds. Comme pour la sélection à l’issue du premier fonds, la fonction de sélection
tend vers une sélection parfaite, c’est-à-dire une fonction de Heaviside H(c − cG,E ), lorsque la
taille du fonds LP augmente.
Les fonctions de sélections sont donc bien différentes en fonction de la taille du fonds et,
conformément à l’analyse, la précision de la sélection augmente avec la taille du fonds. Mais ces
différentes fonctions de sélections mènent cependant à des distributions de compétence finales
identiques.
3.6.4 Types d’erreurs et taille du fonds
Si on reprend la formule du calcul de la fonction de sélection avec la loi de Bayes (Eq.
3.25), on voit clairement que si les distributions de compétence finales P(c|S) sont identiques,
la différence entre les fonctions de sélection associées à chaque taille de fonds vient uniquement
de la probabilité de sélection globale P(S). C’est-à-dire que quelle que soit la taille du fonds,
on arrive au même résultat mais avec plus ou moins de capital-risqueurs éliminés. Le nombre
global de capital-risqueurs éliminé diminue lorsque la taille du fonds augmente.
La Figure 3.13 permet de visualiser les erreurs de sélection faites dans deux cas extrêmes,
LP = 10 et LP = 100, pour une distribution de qualité exponentielle et une distribution de
compétence triangulaire. Il apparaît clairement que dans les deux cas, les erreurs de type I
(sélectionner un mauvais capital-risqueur) sont presque totalement éliminées par le raffinage
Chapitre 3. Sélection et apprentissage des capital-risqueurs
210
probabilite de selection
1.2
LP=100
LP=10
1
0.8
0.6
0.4
Erreur de type I
0.2
0
0
0.2
0.4
111111111111111
000000000000000
000000000000000
111111111111111
000000000000000
111111111111111
Erreur de Type II
000000000000000
111111111111111
000000000000000
111111111111111
000000000000000
111111111111111
000000000000000
111111111111111
000000000000000
111111111111111
000000000000000
111111111111111
000000000000000
111111111111111
000000000000000
111111111111111
000000000000000
111111111111111
000000000000000
111111111111111
000000000000000
111111111111111
000000000000000
111111111111111
000000000000000
111111111111111
000000000000000
111111111111111
000000000000000
111111111111111
000000000000000
111111111111111
000000000000000
111111111111111
000000000000000
111111111111111
000000000000000
111111111111111
000000000000000
111111111111111
000000000000000
111111111111111
000000000000000
111111111111111
000000000000000
111111111111111
000000000000000
111111111111111
000000000000000
111111111111111
000000000000000
111111111111111
000000000000000
111111111111111
000000000000000
111111111111111
000000000000000
111111111111111
000000000000000
111111111111111
000000000000000
111111111111111
000000000000000
111111111111111
000000000000000
111111111111111
000000000000000
111111111111111
000000000000000
111111111111111
000000000000000
111111111111111
000000000000000
111111111111111
000000000000000
111111111111111
000000000000000
111111111111111
000000000000000
111111111111111
000000000000000
111111111111111
000000000000000
111111111111111
000000000000000
111111111111111
000000000000000
111111111111111
000000000000000
111111111111111
000000000000000
111111111111111
000000000000000
111111111111111
000000000000000
111111111111111
000000000000000
111111111111111
000000000000000
111111111111111
0.6
0.8
1
competence
F IG . 3.13: Type des erreurs de sélection en fonction de la taille du fonds LP
successif de la sélection. C’est l’effet attendu d’une sélection répétée avec une précision qui
augmente avec le nombre de fonds attribués au capital-risqueur. Par contre lorsque la taille du
fonds est plus petite, c’est-à-dire que l’on sélectionne les capital-risqueurs plus tôt, avec une
moins bonne évaluation de leur performance, on augmente le nombre d’erreur de type II (ne
pas sélectionner un bon capital-risqueur). L’augmentation du nombre de bons capital-risqueurs
perdus, ou éliminés à tort, est représenté sur la figure par la zone grisée entre les deux courbes.
La différence essentielle entre les fonctions de sélection des différentes tailles de fonds vient
donc du nombre de capital-risqueurs éliminés. Ce nombre d’éliminations diminue avec la taille
du fonds, ce qui se traduit au final par une réduction du nombre d’erreur de type II.
L’intuition derrière ce résultat est la suivante. La distribution initiale de compétence détermine la proportion de bons capital-risqueurs parmi tous les candidats, par exemple 1n . Si on rate
un bon capital-risqueur, il faut donc en moyenne tester et éliminer n nouveaux capital-risqueurs
avant d’en retrouver un bon. Chaque bon capital-risqueur raté, c’est-à-dire chaque erreur de
type II, correspond donc à n éliminations supplémentaires.
L’arbitrage initial entre prise de risque et précision de la sélection pour le choix de LP
devient donc, lorsque l’on considère le processus complet, un arbitrage entre prise de risque
3.6. Simulation de la sélection
211
et erreurs de type II, c’est-à-dire entre prise de risque et élimination indue de bons capitalrisqueurs.
On peut résumer les résultats obtenus précédemment par le résultat suivant :
Résultat 3.4 (Performance du processus de sélection). Quelle que soit la taille des fonds, la
distribution de compétence des capital-risqueurs survivants est toujours la même. La fréquence
des évaluations des capital-risqueurs ne modifie donc pas le résultat à long terme de la sélection. De plus le processus de sélection conduit à l’élimination complète des erreurs de type I
(sélectionner un mauvais capital-risqueur). La taille des fonds arbitre donc entre erreurs de
type II (éliminer un bon capital-risqueur) et prise de risque des investisseurs institutionnels.
L’augmentation de la fréquence des évaluations des capital-risqueurs diminue donc la prise
de risque des investisseurs institutionnels mais augmente le nombre de bons capital-risqueurs
éliminés à tort.
Par rapport à la littérature sur la sélection des agents par le marché nous apportons donc une
réponse contrastée. Ici la sélection est efficace au sens où tous les capital-risqueurs qui restent
sur le marché sont suffisamment compétents. Mais par contre il ne suffit pas d’être suffisamment
compétent pour rester sur le marché, il faut aussi avoir de la chance. Et il faut d’autant plus de
chance que les investisseurs institutionnels prennent peu de risques.
3.6.5 Coût de sélection et taille du fonds optimale
Le choix de la taille du fonds est donc un arbitrage entre prise de risque et erreur de type
II. Il est clair que de point de vue de la société le mieux est de minimiser les erreurs de type II,
car cela représente une perte inutile de capital humain. Mais quel sera le choix d’un investisseur
institutionnel ?
On peut considérer la décision d’un investisseur institutionnel agrégé qui fournirait tous les
fonds donnés en gestion aux capital-risqueurs. Cela est équivalent à considérer la décision d’un
investisseur qui raisonne sur son espérance de gain. L’investisseur institutionnel de ce modèle
ne cherche pas à maximiser ses gains mais simplement à trouver un capital-risqueur qui gère
ses fonds avec profits. Il cherche donc à minimiser le coût de sélection d’un capital-risqueur
compétent.
Chapitre 3. Sélection et apprentissage des capital-risqueurs
212
45
sorties
pertes esperes
20
35
30
15
25
20
10
15
10
millions euros
nb capital-risqueurs
40
25
5
5
0
10
20
30
40
50 60
LP
70
80
0
90 100
F IG . 3.14: Nombres de sorties et pertes moyennes en fonction de la taille du fonds, avec une
distribution de qualité Gaussienne et une distribution de compétence initiale uniforme
25
sorties
pertes esperes
35
30
25
15
20
10
15
millions euros
nb capital-risqueurs
20
40
10
5
5
0
10
20
30
40
50 60
LP
70
80
0
90 100
F IG . 3.15: Nombres de sorties et pertes moyennes en fonction de la taille du fonds, avec une
distribution de qualité exponentielle et une distribution de compétence initiale uniforme
3.6. Simulation de la sélection
213
Le coût de sélection moyen par capital-risqueur peut se décomposer en deux parties. L’investisseur institutionnel élimine les capital-risqueurs qui n’ont pas réalisé de profits à la fin
de chaque fonds. Lorsqu’il décide de les remplacer il prend donc à son compte les pertes des
capital-risqueurs. Le premier terme du coût de sélection est donc le produit du nombre de sorties de capital-risqueurs fois les pertes moyennes générées par un capital-risqueur éliminé. Le
second terme correspond au coût de remplacement du capital-risqueur, qui est essentiellement
un coût de recherche d’un nouveau capital-risqueur. En effet, puisque l’on cherche des candidats potentiellement compétents22 , la procédure de recherche d’un nouveau capital-risqueur est
forcément coûteuse. Ce second terme rajoute donc un coût supplémentaire à l’élimination des
capital-risqueurs.
L’expression du coût de sélection en fonction de la taille du fonds choisie, est donc la suivante :
Cselection (LP) = pertes(LP) ∗ sorties(LP) + cremplacement ∗ sorties(LP)
(3.26)
Le coût de sélection dépend donc essentiellement des pertes moyennes en cas de mauvaise
performance d’un capital-risqueur (pertes(LP)) qui est une mesure directe du risque pris par le
capital-risqueur lorsqu’il confie un fonds au capital-risqueur et du nombre de capital-risqueurs
éliminés (sorties(LP)) qui, on vient de le voir, est directement lié au nombre d’erreurs de type
II. On retrouve donc bien dans cette expression l’arbitrage en prise de risque et erreur de type
II.
Les Figures 3.14 et 3.15 présentent l’évolution des deux composantes du coût de sélection
en fonction de la taille du fonds LP.
Les pertes moyennes en cas de mauvaise performance augmentent linéairement avec la
taille du fonds ce qui est parfaitement cohérent avec l’analyse (Equation (3.24)). Les montants
risqués par les investisseurs institutionnels sont importants. Le montant des pertes moyennes
correspond à un peu plus d’un cinquième des fonds investi dans le cas d’une distribution de
qualité Gaussienne, et à 40% des fonds dans le cas d’une distribution de qualité exponentielle.
Toujours en cohérence avec les résultats précédents, le nombre de sorties moyen diminue
avec la taille du fonds. Le nombre de sorties par capital-risqueur dans la population varie de 45
22 La
variabilité de la compétence des capital-risqueurs, représentée par la distribution de compétence initiale,
peut être vue comme la conséquence de l’imperfection de la sélection lors de cette recherche initiale.
214
Chapitre 3. Sélection et apprentissage des capital-risqueurs
à 8 pour une distribution de qualité Gaussienne, et de 22 à 4.5 pour une distribution de qualité
exponentielle. Il faut donc en moyenne un nombre conséquent de tentatives avant de trouver un
bon capital-risqueur.
La question reste de savoir si la diminution du nombre de sorties compense en terme de coût
l’augmentation des pertes moyennes lorsque la taille du fonds augmente.
L’impact de la taille du fonds sur le premier terme du coût de sélection est ambigu. On a
vu que le risque pris augmente avec la taille du fonds, ce qui se traduit par une augmentation
des pertes en cas de mauvaise performance du capital-risqueur. Mais d’un autre côté la taille
du fonds augmente la précision de la sélection, ce qui se traduit globalement par un plus petit
nombre de sorties de capital-risqueurs. L’ambiguïté sur la valeur de ce premier terme reflète
donc l’ambiguïté de l’effet de la taille du fonds sur la sélection.
L”effet de la taille du fonds sur le second terme du coût de sélection est au contraire bien
déterminé. Puisque le nombre de sorties diminue avec la taille du fonds, le second terme varie
dans le même sens. Il peut donc être vu comme une incitation à ne pas éliminer les capitalrisqueurs inutilement, c’est-à-dire à limiter les erreurs de type II.
Les Figures 3.16 et 3.17 représentent l’évolution du coût de sélection en fonction de la taille
du fonds pour différentes valeurs du coût de remplacement.
Si le coût de remplacement est nul (courbe inférieure des graphiques) seul le premier terme
du coût de sélection intervient. Dans ce cas l’investisseur institutionnel préfère toujours la taille
du fonds la plus petite. S’il on poursuit les courbes pour des tailles de fonds plus petites que 10,
on trouve que l’investisseur institutionnel préfère un fonds de taille 1, au prix cependant d’un
grand nombre de sorties. Il semble donc que l’amélioration de la précision de la sélection ne
compense financièrement pas l’augmentation du risque pris par les investisseurs institutionnels.
Cependant en présence d’un coût de remplacement non nul (courbes supérieures) ce résultat
change. La taille optimale est alors une fonction croissante du coût de remplacement. Ce dernier
a donc pour effet de sensibiliser l’investisseur institutionnel aux erreurs de type II et de lui faire
choisir en conséquence des tailles de fonds plus grande.
3.6. Simulation de la sélection
215
260
c=2
c = 1.5
c=1
c = 0.5
c=0
250
millions euros
240
230
220
210
200
190
180
170
160
10
20
30
40
50 60
LP
70
80
90
100
F IG . 3.16: Coût de sélection en fonction de la taille du fonds, avec une distribution de qualité
Gaussienne et une distribution de compétence initiale uniforme
220
millions euros
200
180
160
c=5
c=4
c=3
c=2
c=1
c=0
140
120
100
10
20
30
40
50 60
LP
70
80
90
100
F IG . 3.17: Coût de sélection en fonction de la taille du fonds, avec une distribution de qualité
exponentielle et une distribution de compétence initiale uniforme
Chapitre 3. Sélection et apprentissage des capital-risqueurs
216
L’analyse des coûts de sélection nous permet donc d’établir le résultat suivant.
Résultat 3.5 (Taille de fond optimale pour un investisseur institutionnel). En l’absence de coût
de remplacement des capital-risqueurs éliminés, les investisseurs institutionnels choisissent toujours une taille de fonds minimale, qui maximise les erreurs de type II. En présence de coût de
remplacement, la taille de fond optimale pour un investisseur institutionnel est une fonction
croissante du coût de remplacement des capital-risqueurs.
Principaux Résultats
La simulation du processus de sélection nous a donc permis de montrer que d’une part la
sélection menait toujours à l’élimination complète des erreurs de type I (sélectionner un mauvais
capital-risqueur), et que la distribution finale de compétence des capital-risqueurs sélectionnés
était indépendante de la taille des fonds, c’est-à-dire de la fréquence des évaluations des capitalrisqueurs.
Cependant tous les capital-risqueurs compétents ne sont pas sélectionnés. La taille des fonds
opère un arbitrage entre précision de la sélection en terme d’erreur de type II (éliminer un bon
capital-risqueur), et prise de risque des investisseurs institutionnels. En l’absence de coût de
remplacements des capital-risqueurs éliminés les investisseurs institutionnels choisissent toujours une taille de fonds minimale, ce qui se traduit par un nombre d’erreur de type II maximal
et donc par une perte de capital humain. Cependant avec en présence de coûts de remplacement, liés notamment à la recherche de candidats compétents, la taille de fonds optimale est
une fonction croissante de ces coûts.
3.7
Sélection et apprentissage
Maintenant que le mécanisme de sélection est bien clair, nous étudions la relation entre
sélection et apprentissage. En effet l’amélioration des performances des capital-risqueurs avec
l’expérience est un des faits stylisés les mieux établis par la littérature empirique, au point
que l’expérience est souvent confondu avec la compétence des capital-risqueurs (Sorenson &
Stuart 2001, Gompers, Kovner, Lerner & Scharfstein 2005, Casamata & Haritchabalet 2007). Or
3.7. Sélection et apprentissage
217
l’étude empirique au début de ce chapitre a montré l’existence d’un processus de sélection dont
l’impact est loin d’être négligeable. Puisque ces deux processus évolutionnistes tendent dans la
même direction, l’amélioration de la performance globale des capital-risqueurs, la question se
pose des forces et des faiblesses relatives de ces deux processus, et de leur interaction. Dans
cette section nous analysons donc le résultat de la combinaison de ces deux processus.
Nous montrons que les deux processus peuvent être concurrents mais aussi complémentaires. Le processus de sélection bénéficie en effet toujours de l’apprentissage, mais l’apprentissage peut être ralenti par le mécanisme de sélection. Cependant lorsque la capacité d’apprentissage est hétérogène, le mécanisme de sélection sélectionne aussi en partie les capital-risqueurs
qui apprennent le plus vite.
3.7.1 Conditions de simulations
Pour étudier ces deux mécanismes par la simulation nous nous plaçons uniquement dans
une des quatre conditions précédentes, celle d’une distribution de qualité exponentielle et d’une
distribution de compétence uniforme. Le choix de la condition la plus favorable au processus de
sélection est délibéré. Vu que nous nous intéressons aux performances relatives des deux processus et non à leur performance absolue, et les résultats sont plus clairs lorsque la sélection est
plus efficace. Sauf précision contraire la taille des fonds de capital-risque est LP = 10. Comme
précédemment, ne sont rapportés que des résultats moyens obtenus avec 100 simulations.
3.7.2 Capacité d’apprentissage homogène
Pour commencer nous comparons l’efficacité relative de la sélection et de l’apprentissage
dans le cas ou la capacité d’apprentissage des capital-risqueurs est homogène. Nous prenons
comme référence le déroulement de la sélection dans le cas d’un processus de sélection seul.
La Figure 3.18 permet de suivre l’évolution de la distribution de la compétence des capitalrisqueurs à partir de la médiane, du premier et du troisième quartile ainsi que du premier et du
neuvième décile de la distribution. Dans les conditions choisies il faut 460 périodes pour que
90% de la population des capital-risqueurs possèdent une compétence supérieure à la compétence critique cE = 0.6. Au bout de 1000 périodes la distribution est quasiment stabilisée.
Chapitre 3. Sélection et apprentissage des capital-risqueurs
218
1
competence
0.8
0.6
0.4
9eme decile
3eme quartile
mediane
1er quartile
1er decile
competence limite (0.6)
0.2
0
0
100 200 300 400 500 600 700 800 900 1000
periode
F IG . 3.18: Evolution de la distribution de compétence (premier décile, premier quartile, médiane, troisième quartile et neuvième décile) pour la sélection seule
Dans la colonne de gauche de la Figure 3.19, les graphiques représentent l’évolution de
cette même distribution avec un processus d’apprentissage seul pour trois capacités d’apprentissage différentes. Tout processus d’apprentissage tend à faire converger la distribution des
capital-risqueurs vers une distribution homogène de compétence maximale, seule la vitesse de
convergence varie (Eq. 3.15). Pour α = 0.01, la convergence est atteinte bien avant la fin des
1000 premières périodes, ce n’est pas le cas pour les valeurs plus faibles. Pour α = 0.001, les
90% de la population au dessus du seuil critique sont atteints juste avant la fin des 1000 premières périodes, alors que pour α = 0.0001 la médiane de la distribution ne dépasse jamais le
seuil critique.
On peut noter deux différences fondamentales entre les processus de sélection et d’apprentissage. La première est la distribution finale de la compétence. La sélection se contente d’éliminer les capital-risqueurs qui ne sont pas assez compétents, l’apprentissage permet à tout le
monde d’atteindre (assymptotiquement) le niveau de compétence maximum. La seconde différence est la vitesse de convergence, que l’on peut définir comme le nombre de périodes requises pour qu’une certaine proportion de capital-risqueurs de la population ait une compétence
supérieure au seuil critique (par exemple 90%). Il est clair que si l’on compare les distributions de compétence finales l’apprentissage est supérieur à la sélection. Si l’on prend en compte
219
1
1
0.8
0.8
competence
competence
3.7. Sélection et apprentissage
0.6
0.4
0.2
0
0
100 200 300 400 500 600 700 800 900 1000
periode
(a) Apprentissage rapide : α = 0.01
0
1
1
0.8
0.8
0.6
0.4
100 200 300 400 500 600 700 800 900 1000
periode
(b) Apprentissage rapide + sélection : α = 0.01
competence
competence
0.4
0.2
0
0.2
0.6
0.4
0.2
0
0
0
100 200 300 400 500 600 700 800 900 1000
periode
(c) Apprentissage moyen : α = 0.001
0
1
1
0.8
0.8
0.6
0.4
0.2
100 200 300 400 500 600 700 800 900 1000
periode
(d) Apprentissage moyen + sélection : α = 0.001
competence
competence
0.6
0.6
0.4
0.2
0
0
0
100 200 300 400 500 600 700 800 900 1000
periode
(e) Apprentissage lent : α = 0.0001
0
100 200 300 400 500 600 700 800 900 1000
periode
(f) Apprentissage lent + sélection : α = 0.0001
F IG . 3.19: Evolution de la distribution de compétence (premier décile, premier quartile, médiane, troisième quartile et neuvième décile) avec sélection et/ou apprentissage, pour différentes
vitesse d’apprentissage
Chapitre 3. Sélection et apprentissage des capital-risqueurs
220
periode de depassement
0
200
400
600
800
1000
0.001
selection seule
apprentissage seul
apprentissage + selection
0.004
0.007
capacite d’apprentisage
0.01
F IG . 3.20: Vitesse de la sélection en fonction de la capacité d’apprentissage des capitalrisqueurs, avec ou sans sélection (plus la période de dépassement du seuil critique est faible
plus la vitesse de sélection est grande)
la vitesse de convergence cependant, tout dépend de la capacité d’apprentissage des capitalrisqueurs qui peut mener à une vitesse de convergence supérieure, égale ou inférieure à celle de
la sélection.
Si l’on passe maintenant à la colonne de droite de la Figure 3.19, on peut voir l’effet de
l’interaction entre les deux processus. Dans tous les cas l’apprentissage apporte un plus à la
sélection. La sélection est en effet extrêmement efficace au départ, c’est-à-dire lorsqu’il s’agit
d’éliminer les capital-risqueurs les moins compétents. Ensuite l’apprentissage permet de continuer à améliorer la performance de ceux qui restent. Cependant quand la capacité d’apprentissage
des capital-risqueurs mène à une évolution rapide de la distribution de compétence (α = 0.01),
la combinaison des deux processus est meilleure que la sélection seule mais moins bonne que
l’apprentissage seul. Si l’apprentissage apporte donc toujours un plus au processus de sélection,
l’inverse n’est vrai que lorsque la capacité d’apprentissage des capital-risqueurs n’est pas trop
grande.
Ces résultats peuvent être résumés par l’observation d’une mesure adéquate de la vitesse
de sélection. On peut choisir par exemple le nombre de périodes nécessaires pour que 90% des
capital-risqueurs aient une compétence supérieure au seuil critique. En faisant varier la capacité
3.7. Sélection et apprentissage
221
d’apprentissage des capital-risqueurs entre 0.001 et 0.1, on obtient la Figure 3.20. Sur cette figure apparaît en trait plein la sélection seule. Cette analyse permet de vérifier que l’apprentissage
apporte toujours une amélioration à la sélection seule, la sélection se fait toujours plus rapidement. Par contre lorsque la capacité d’apprentissage augmente, le processus d’apprentissage
peut être freiné par le processus de sélection.
On peut donc établir le résultat suivant.
Résultat 3.6 (Concurrence ou complémentarité entre l’apprentissage et la sélection). Le processus de sélection bénéficie toujours de l’ajout d’un processus d’apprentissage. Lorsque la
vitesse de la sélection du processus d’apprentissage seul est nettement supérieure à celle de la
sélection seule, la combinaison des deux processus est inférieure à l’apprentissage seul. Dans
le cas contraire la combinaison des deux processus est supérieure à chaque processus pris
séparément.
3.7.3 Capacité d’apprentissage hétérogène
La relation entre apprentissage et sélection est donc claire lorsque la capacité d’apprentissage des capital-risqueurs est homogène, elle dépend essentiellement de la vitesse de sélection relative de l’apprentissage et de la sélection. Mais puisque la capacité d’apprentissage est
une compétence comme les autres, elle est nécessairement aussi répartie inégalement entre les
capital-risqueurs. Dans ces conditions l’interaction entre la sélection et l’apprentissage est plus
complexe, car la sélection peut agir aussi sur la capacité d’apprentissage. Dans cette section
nous considérons donc le cas d’une capacité d’apprentissage des capital-risqueurs distribuée
uniformément dans [0 : ᾱ], et indépendante de la compétence initiale des capital-risqueurs.
Dans ce cas l’apprentissage seul est nettement moins performant que dans le cas homogène
et bénéficie clairement de la combinaison avec la sélection (3.21). En effet les capital-risqueurs
dotés d’une compétence initiale et d’une capacité d’apprentissage faible vont rester durablement sous le seuil de compétence critique. L’évolution de la distribution de compétence est
donc beaucoup plus lente dans le bas de la distribution qu’en haut. La sélection, en éliminant
rapidement ces individus, améliore donc le processus de convergence. Dans le cas d’une capac-
Chapitre 3. Sélection et apprentissage des capital-risqueurs
222
periode de depassement
0
selection seule
apprentissage seul
apprentissage + selection
200
400
600
800
1000
0.001
0.004
0.007
capacite d’apprentisage maximale
0.01
F IG . 3.21: Vitesse de la sélection en fonction de la capacité d’apprentissage maximale des
capital-risqueurs (distribuée uniformément sur [0 : ᾱ]), avec ou sans sélection
ité d’apprentissage hétérogène la combinaison des deux processus, apprentissage et sélection,
est donc justifiée. Pour la suite de l’étude, nous choisissons ᾱ = 0.005.
La sélection opère sur les profits réalisés, qui dépendent de la compétence du capitalrisqueur, qui elle même dépend de sa compétence initiale c j,0 , de son expérience exp j et de
sa capacité d’apprentissage α j . De la même manière que l’on calcule la fonction de sélection
globale en fonction de la compétence initiale des capital-risqueurs, on peut calculer la fonction de sélection globale en fonction de leur capacité d’apprentissage, ainsi que pour le couple
compétence initiale et capacité d’apprentissage.
P(S|c0 , α) =
P(c0 , α|S) P(S) P(c0 , α|S) P(S)
=
P(c0 , α)
P(c0 ) P(α)
(3.27)
Les fonctions de sélection pour chaque composante découlent directement de la fonction de
sélection jointe :
P(S|c0 ) =
P(S|α) =
Z
Z
P(S|c0 , α) dα
(3.28)
P(S|c0 , α) dc0
(3.29)
3.7. Sélection et apprentissage
223
probabilite de selection
0.25
0.2
0.15
0.1
0.05
0
0.25
0.2
0.15
0.1
0.05
0
1
0.8
0.6
0.4
0.2
competence initiale
0.005
0.004
0.003
0.002
0.001
0 0
capacite apprentissage
(a) LP = 10
probabilite de selection
1
0.8
0.6
0.4
0.2
0
1
0.8
0.6
0.4
0.2
0
1
0.8
0.6
0.4
0.2
competence initiale
0 0
0.005
0.004
0.003
0.002
0.001
capacite apprentissage
(b) LP = 100
F IG . 3.22: Fonctions de sélection jointes pour la compétence initiale et la capacité d’apprentissage des capital-risqueurs
Chapitre 3. Sélection et apprentissage des capital-risqueurs
224
probabilite de selection
0.5
LP=100
LP=50
LP=20
LP=10
0.4
0.3
0.2
0.1
0
0
0.001
0.002
0.003
0.004
capacite apprentissage
0.005
F IG . 3.23: Fonctions de sélection des capital-risqueurs en fonction de leur capacité d’apprentissage pour différentes taille du fonds LP.
1
LP=100
LP=50
LP=20
LP=10
0.8
probabilite de selection
probabilite de selection
1
0.6
0.4
0.2
0
LP=100
LP=50
LP=20
LP=10
0.8
0.6
0.4
0.2
0
0
0.1 0.2 0.3 0.4 0.5 0.6 0.7 0.8 0.9
competence initiale
(a) sélection seule
1
0
0.1 0.2 0.3 0.4 0.5 0.6 0.7 0.8 0.9
competence initiale
1
(b) sélection + apprentissage
F IG . 3.24: Fonctions de sélection pour la compétence initiale des capital-risqueurs pour différentes taille du fonds LP.
3.7. Sélection et apprentissage
225
Si l’on trace la fonction de sélection jointe (Figure 3.22), on constate que dans les conditions de simulations retenues jusqu’ici (LP = 10) les capital-risqueurs sont essentiellement
sélectionnés en fonction de leur compétence initiale, et presque pas en fonction de leur capacité de d’apprentissage. Les deux processus interviennent donc séquentiellement, la sélection
élimine tout d’abord les capital-risqueurs dont la compétence initiale est trop faible, puis les
capital-risqueurs s’améliorent en fonction de leur capacité d’apprentissage.
Mais si l’on augmente la taille des fonds de capital-risque (LP = 100) la fonction de sélection se déforme pour porter aussi sur la capacité d’apprentissage. Cet effet est notamment sensible pour les niveaux de compétence inférieurs mais proches du seuil critique. En effet des
durées de fonds plus longues laissent le temps aux capital-risqueurs d’accumuler de l’expérience et donc de rattraper leur retard s’ils apprennent assez vite.
On peut vérifier cet effet grâce aux fonctions de sélection pour chaque composante. Si l’on
regarde la fonction de sélection sur la capacité d’apprentissage uniquement (Figure 3.23), on
constate bien une probabilité de sélection plus importante pour les capacités d’apprentissage
élevées. Cet effet est d’autant plus marqué que la taille des fonds est grande. Symétriquement
cet effet déforme la fonction de sélection sur la compétence initiale des capital-risqueurs (Figure
3.24). Par rapport à la sélection seule, les capital-risqueurs qui se trouvent proches du niveau de
compétence critique (cE = 0.6) ont d’autant plus de chance d’être sélectionnés que la taille des
fonds de capital-risque est grande.
Augmenter la taille du fonds permet donc de sélectionner les capital-risqueurs apprenant
plus vite, ce qui garantit une convergence plus rapide vers une population de capital-risqueurs
très compétents.
Paradoxalement ce sont les capital-risqueurs les moins compétents initialement qui ont en
moyenne la meilleure vitesse d’apprentissage après la sélection. Pour ces capital-risqueurs, la
survie dépend en effet de leur capacité à apprendre suffisamment vite pour compenser leur
désavantage initial. A terme, ils deviendront donc plus compétents que ceux partis avec une
meilleure compétence initiale mais moins rapides à apprendre.
Chapitre 3. Sélection et apprentissage des capital-risqueurs
226
L’interaction entre les processus de sélection et d’apprentissage des capital-risqueurs peut
donc être caractérisée par le résultat suivant.
Résultat 3.7 (Interaction entre les processus de sélection et d’apprentissage). L’interaction
principale entre les deux processus est séquentielle. Le processus de sélection élimine d’abord
les agents les moins performants, puis les survivants s’améliorent par apprentissage. Au second
ordre, le processus de sélection retient les agents à la performance initiale faible mais apprenant
rapidement, ce qui augmente la proportion d’agents à capacité d’apprentissage élevée dans la
sélection. Cette interaction de second ordre est d’autant plus importante que la taille des fonds
est grande, c’est-à-dire d’autant plus que le processus de sélection intervient tard dans la vie
des agents.
3.7.4
Taille de fonds optimale avec des capacités d’apprentissage hétérogènes
Puisque l’apprentissage modifie la sélection lorsque la taille des fonds de capital-risque augmente, il modifie aussi l’arbitrage sur le choix de la taille optimale du fonds trouvé précédemment. Pour établir la nouvelle taille optimale, on peut calculer le coût de sélection de la même
manière que sans apprentissage.
La Figure 3.25 montre l’évolution des deux déterminants du coût de sélection, le nombre de
sorties et les pertes moyennes ainsi que le coût global, avec et sans apprentissage. On constate
que le nombre de sorties et les pertes espérées sont tous les deux moindres avec l’apprentissage. Cela s’explique puisque l’apprentissage augmente la probabilité de sélection des capitalrisqueurs dont la compétence initiale est faible et donc limite le nombre de sorties. De même
l’apprentissage au cours de la durée du fonds permet de limiter les pertes encourues même pour
un capital-risqueur insuffisamment compétent.
L’effet cumulé de l’apprentissage sur le coût de sélection globale est donc de rendre les
grandes tailles de fonds plus attractifs. Cependant des coûts de sélection positifs sont encore
nécessaires pour obtenir un choix optimal de la taille des fonds autre que minimale.
3.7. Sélection et apprentissage
selection seule
selection + apprentissage
45
11500
40
11000
1400
35
1200
30
1000
25
800
20
600
15
400
10
200
5
7500
0
0
90 100
7000
10
20
30
40 50 60 70
Taille du fond
80
(a) Sorties et pertes
pertes (M euros)
nb sorties
1600
cout de selection (M euros)
1800
227
selection seule
selection + apprentissage
10500
10000
9500
9000
8500
8000
10
20
30
40 50 60 70
Taille du fond
80
90
100
(b) Coût de sélection
F IG . 3.25: Coût de sélection en fonction de la taille du fonds avec apprentissage (avec coûts de
recherche nuls)
3.7.5 Compétence et capacité d’apprentissage corrélées
Enfin, jusqu’ici nous avons considéré que la compétence initiale et la capacité d’apprentissage étaient des caractéristiques indépendantes des capital-risqueurs. Or il serait logique de
supposer que ces deux caractéristiques soient corrélées, surtout si l’on considère que la compétence initiale du capital-risqueur lui vient d’un apprentissage passé. Pour clore cette analyse
nous allons donc étudier le cas où la capacité d’apprentissage est corrélée à la compétence initiale. Voici la formule utilisée pour déterminer α j à partir de la compétence initiale, θ étant le
coefficient de corrélation entre les deux caractéristiques et u j une variable aléatoire distribuée
comme c j,0 :
α j = (θ × c j,0 + (1 − θ) × u j ) × ᾱ
(3.30)
Nous ne présentons ici que les résultats obtenus avec θ = 0.5. La Figure 3.26 montre la
fonction de sélection jointe pour LP = 100 et l’évolution des fonctions de sélection pour chaque
composante avec LP.
La fonction de sélection jointe P(S|c0 , α) est en fait identique à celle obtenue en absence
de corrélation, ce qui est normal car il s’agit d’une probabilité conditionnelle aux caractéristiques des capital-risqueurs, par définition indépendante de leurs distributions respectives. Mais
elle n’est définie que pour les couples compétence initiale/capacité d’apprentissage possibles.
C’est cette restriction de la fonction de sélection jointe induite par la corrélation entre les deux
Chapitre 3. Sélection et apprentissage des capital-risqueurs
228
probabilite de selection
0.8
0.8
0.6
0.4
0.2
0
0.6
0.4
0.2
0
1
0.8
0.6
0.4
0.2
competence initiale
0 0
0.005
0.004
0.003
0.002
0.001
capacite apprentissage
(a) Fonction de sélection jointe, LP=100
1
LP=100
LP=50
LP=20
LP=10
0.8
probabilite de selection
probabilite de selection
1
0.6
0.4
0.2
0
LP=100
LP=50
LP=20
LP=10
0.8
0.6
0.4
0.2
0
0
0.001
0.002
0.003
0.004
capacite apprentissage
(b) Capacité d’apprentissage
0.005
0
0.1 0.2 0.3 0.4 0.5 0.6 0.7 0.8 0.9
competence initiale
1
(c) Compétence initiale
F IG . 3.26: Fonctions de sélections lorsque la capacité d’apprentissage est corrélée avec la
compétence initiale
3.7. Sélection et apprentissage
229
caractéristiques du capital-risqueur qui modifie les fonctions de sélection obtenues sur chaque
composante.
Pour ces dernières, on remarque assez logiquement que les effets trouvés précédemment
sont renforcés. La sélection opérant essentiellement sur la compétence initiale opère maintenant
aussi sur la capacité d’apprentissage puisque les deux quantités sont corrélées, et cet effet s’ajoute à l’interaction positive déjà trouvée entre les deux processus. Du coup les capital-risqueurs
ayant une compétence proche du seuil critique ont aussi plus de chances d’être sélectionnés.
Le cas où les deux caractéristiques des capital-risqueurs sont indépendantes est donc le cas le
plus défavorable pour l’interaction entre les deux processus. Dans des conditions plus réalistes,
où les capacités d’apprentissage sont hétérogènes mais corrélées à la compétence initiale, la
complémentarité entre les deux processus de sélection et d’apprentissage est maximale.
Principaux Résultats
Cette section a donc permis de caractériser l’interaction entre les deux processus évolutionnistes à l’oeuvre sur le marché, la sélection des capital-risqueurs et leur apprentissage.
L’étude a montré que le processus de sélection était toujours amélioré par l’ajout d’un processus d’apprentissage, mais que l’inverse n’était vrai que lorsque le processus d’apprentissage
est plus lent que celui de sélection.
Si l’on considère des capacités d’apprentissage hétérogènes, le processus d’apprentissage
est très ralenti et l’interaction entre les deux processus en est d’autant plus bénéfique. L’interaction entre les deux processus est alors essentiellement séquentielle, le processus de sélection
élimine tout d’abord les capital-risqueurs les moins compétents, puis l’apprentissage permet
d’amener ceux qui restent à la compétence maximale. Mais il existe aussi un effet de second
ordre : le processus de sélection contribue indirectement à la sélection des capacités d’apprentissages les plus élevées, en particulier pour les capital-risqueurs dont la compétence initiale
est proche de la compétence critique. Cet effet est d’autant plus fort que la taille des fonds est
importante, ce qui contribue aussi à rendre les grandes tailles de fonds plus attractives pour les
investisseurs institutionnels. Enfin lorsque les capacités d’apprentissages des capital-risqueurs
Chapitre 3. Sélection et apprentissage des capital-risqueurs
230
sont corrélées à leur compétence initiale, la sélection des capacités d’apprentissages est fortement renforcé, et l’interaction positive entre les deux processus en est d’autant améliorée.
Ces résultats indiquent donc qu’il y a à la fois concurrence et complémentarité entre les
deux processus de sélection et d’apprentissage des capital-risqueurs. Cependant la complémentarité domine souvent l’effet de concurrence, notamment dans le cas de capacité d’apprentissage
hétérogène grâce à la sélection des capital-risqueurs apprenant plus vite que la moyenne.
3.8
Conclusion
Dans ce chapitre nous avons donc étudié les deux processus évolutionnistes permettant de
faire émerger une population de capital-risqueurs compétents, la sélection et l’apprentissage.
Nous avons tout d’abord mis en évidence la coexistence de ces deux processus par une étude
empirique. L’estimation d’un modèle de survie des capital-risqueurs a permis de montrer que
les capital-risqueurs étaient sélectionné sur la base de l’évaluation de leur performance par les
investisseurs institutionnels. Ensuite, la prise en compte de la sélection dans la mesure de la performance des capital-risqueurs a permis de mesurer l’effet relatif des deux processus. L’effet de
la sélection sur la performance des capital-risqueurs est équivalent à celui d’une expérience de
100 investissements, soit un peu moins de deux fois l’expérience moyenne des capital-risqueurs
qui restent sur le marché. Ces analyses confirment donc d’une part l’importance du processus d’apprentissage mais montrent aussi que le processus de sélection est présent et qu’il a un
impact prépondérant pour l’amélioration de la performance générale des capital-risqueurs.
Nous avons ensuite proposé un modèle multi-agents de ces deux processus. Le modèle montre l’importance de la durée limitée des fonds de capital-risque qui permet aux investisseurs institutionnels de sélectionner les capital-risqueurs. Nous montrons que la répétition du processus
de sélection à l’issue de chaque fonds permet d’éliminer à terme les erreurs de type I (sélectionner un mauvais capital-risqueur). A ce titre le marché du capital-risque est donc capable de
réaliser une sélection efficace au sens où seuls les capital-risqueurs suffisamment compétents
restent sur le marché.
Cependant tous les capital-risqueurs compétents ne sont pas sélectionnés. C’est le choix de
la taille des fonds de capital-risque par les investisseurs institutionnels qui arbitre entre prise de
3.8. Conclusion
231
risque et erreurs de type II (éliminer un bon capital-risqueur). L’analyse du coût de sélection permet de déterminer la taille optimale des fonds pour un investisseur institutionnel qui recherche
un capital-risqueur compétent. Dans les quatre conditions testées, on trouve qu’un investisseur
institutionnel préfère toujours une taille de fonds minimale. Seule la présence de coûts de remplacement permet de faire basculer l’arbitrage en faveur de tailles de fonds plus importantes, et
donc d’inciter les investisseurs institutionnels à limiter les erreurs de type II conformément à
l’intérêt général. L’efficacité de la sélection des capital-risqueurs en terme d’erreurs de type I,
masque donc une inefficacité de la sélection en terme d’erreurs de type II.
Finalement nous avons étudié l’interaction entre les processus de sélection et d’apprentissage. Dans le cas d’une capacité d’apprentissage homogène nous montrons que la combinaison
des deux processus améliore toujours la performance par rapport au processus de sélection seul,
mais peut détériorer la performance par rapport au processus d’apprentissage seul lorsque la
capacité d’apprentissage des capital-risqueurs est grande.
Dans le cas d’une capacité d’apprentissage hétérogène, nous montrons que l’interaction entre les deux processus est essentiellement séquentielle. Le processus de sélection permet d’éliminer rapidement les capital-risqueurs les moins compétents, et le processus d’apprentissage permet de converger ensuite vers une population de capital-risqueurs experts. Il existe aussi une
interaction plus limitée au niveau de la sélection. Le processus de sélection permet en effet de
sélectionner les capital-risqueurs doté d’une bonne capacité d’apprentissage mais partant d’un
niveau de compétence initial faible.
Le modèle montre donc qu’il y a à la fois concurrence et complémentarité entre les processus
de sélection et d’apprentissage. Cependant la complémentarité domine dans la plupart des cas,
notamment lorsque la capacité d’apprentissage est hétérogène.
232
Chapitre 3. Sélection et apprentissage des capital-risqueurs
Deuxième partie
Compétence et stratégies des
capital-risqueurs
233
235
Dans la première partie nous avons établi le rôle de la compétence pour l’efficacité du
capital-risque. Dans cette seconde partie, nous étudions comment la prise en compte de cette
compétence par le capital-risqueur influe sur ses stratégies. Nous étudions deux pratiques essentielles du capital-risqueur.
Dans le chapitre 4, nous étudions la gestion de son portefeuille de start-ups et en particulier
la répartition de ses investissements entre les différentes industries. En effet si la compétence
du capital-risqueur est spécifique à chaque industrie, cela peut le pousser à se spécialiser. Mais
d’un autre côté, en tant que gestionnaire financier il aurait plutôt tendance à diversifier ses
investissements. La prise en compte de la compétence se traduit donc ici par un compromis
entre spécialisation industrielle et diversification financière. De plus ce compromis évolue avec
la compétence du capital-risqueur. En effet si le capital-risqueur augmente par apprentissage
sa compétence dans les industries où il investit, cela modifie dynamiquement sa stratégie. Le
modèle proposé dans ce chapitre permet d’étudier cette dynamique.
Dans le chapitre 5, nous étudions la stratégie de co-investissement des capital-risqueurs.
Le co-investissement est en effet une pratique courante des capital-risqueurs qui se justifie tant
par une volonté de partager le risque avec d’autres que par celle de limiter le risque pris en
mutualisant la compétence de tous les partenaires. Le capital-risqueur doit donc rechercher
des partenaires compétents, mais cette compétence n’est pas facile à évaluer. La recherche de
partenaires compétents limite donc le choix du capital-risqueur en fonction de l’information
dont il dispose sur ses partenaires potentiels. Nous montrons dans ce chapitre que la proximité
est une telle source d’information, et que cette proximité peut être une proximité culturelle,
industrielle ou de réseau.
236
Chapitre 4
Spécialisation industrielle et diversification
financière
237
Chapitre 4. Spécialisation industrielle et diversification financière
238
Sommaire
4.1
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 239
4.2
Un tour d’horizon de la littérature . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 240
4.3
Mise en évidence empirique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 243
4.4
4.5
4.6
4.3.1
Les données . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 243
4.3.2
Degré de concentration . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 247
4.3.3
Spécialisation et diversité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 249
4.3.4
Expérience et diversification . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 252
Le modèle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 260
4.4.1
Portefeuille optimal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 260
4.4.2
Approximations et interprétation . . . . . . . . . . . . . . . . . 261
4.4.3
Dynamique d’apprentissage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 262
Apprentissage non-borné à rendements décroissants . . . . . . . . . 264
4.5.1
Analyse formelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 265
4.5.2
Simulations numériques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 267
Apprentissage borné . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 273
4.6.1
Analyse formelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 273
4.6.2
Simulations numériques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 276
4.7
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 279
4.8
Annexe : Démonstrations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 281
4.1. Introduction
239
4.1 Introduction
Dans ce chapitre nous nous intéressons à la répartition des investissements du capitalrisqueur entre les différentes industries. Cette répartition résulte de deux forces opposées. D’un
côté la logique financière de gestion du risque devrait inciter le capital-risqueur à diversifier
ses investissements entre les différentes industries. D’un autre côté la compétence requise pour
investir avec profit dans les nouvelles technologies pousse plutôt à la spécialisation dans les
industries où le capital-risqueur est le plus compétent. Dans ce chapitre nous proposons donc
un modèle qui permet l’analyse de l’arbitrage entre ces deux forces contradictoires.
De plus l’apprentissage peut modifier la stratégie d’investissement du capital-risqueur en
augmentant son expertise dans les industries où il investit. L’effet de l’apprentissage est ambigu.
Il peut à la fois renforcer la spécialisation du capital-risqueur car son expérience augmente plus
vite dans l’industrie où il investi le plus, mais aussi inciter à une plus grande diversification en
augmentant sa compétence dans les autres industries et donc leur attractivité. Le modèle proposé permet aussi d’étudier l’évolution de la répartition des investissements entre les différentes
industries lorsque la compétence du capital-risqueur augmente avec son expérience dans chaque
industrie.
Nous montrons tout d’abord par une étude empirique que les capital-risqueurs concentrent
leurs investissements dans un petit nombre d’industries, et qu’ils sont spécialisés dans des industries différentes. Nous montrons aussi que les capital-risqueurs ont tendance a augmenter la
diversification de leurs investissements lorsqu’ils gagnent en expérience.
Nous montrons ensuite que la dynamique de la répartition des investissements d’un capitalrisqueur apprenant par learning-by-doing et optimisant son profit à court terme peut mener soit
à une spécialisation complète soit à plus grande diversification de son portefeuille d’investissement. Le sens de la dynamique dépend de la nature des rendements de l’apprentissage lorsque la
fonction d’apprentissage est non bornée à rendement décroissants. Il dépend de la marge de progression du capital-risqueur dans son industrie de proximité lorsque la fonction d’apprentissage
est bornée.
Le chapitre est organisé comme suit. La section 2 motive notre étude et la situe par rapport
à la littérature. La section 3 propose une mise en évidence empirique de la spécialisation des
240
Chapitre 4. Spécialisation industrielle et diversification financière
capital-risqueurs et de l’évolution de leur stratégie de diversification au cours du temps. La
section 4 présente le modèle théorique. Enfin la dynamique de la stratégie de diversification
des capital-risqueurs avec l’apprentissage est analysée dans la section 5 pour un apprentissage
non-borné à rendements décroissants et dans la section 6 pour un apprentissage borné.
4.2
Un tour d’horizon de la littérature
L’importance de la spécialisation des capital-risqueurs dans le choix des industries où investir est mis en évidence par Gompers, Kovner, Lerner & Sharfstein (2006). La particularité de
leur étude est de suivre les investissements réalisés individuellement par chaque capital-risqueur
au sein des firmes de capital-risque, en attribuant les investissements aux capital-risqueurs qui
siègent au conseil d’administration des start-ups considérées. Ils montrent à partir de l’étude
de 12 364 couples de capital-risqueurs/start-ups correspondant à des investissements réalisés
entre 1975 et 1998 que les capital-risqueurs les plus spécialisés sont plus performants. Cette
spécialisation est surtout profitable au niveau individuel. Les firmes de capital-risque qui sont
généralistes mais qui emploient uniquement des capital-risqueurs spécialisés ont en effet des
performances équivalentes à celle des firmes spécialisées. Ces résultats montrent donc un effet positif de la spécialisation sur la performance des capital-risqueurs et désignent le capital
humain comme facteur explicatif de cet effet. Cette étude suggère aussi que les firmes les plus
expérimentées sont plus diversifiées que les autres.
L’arbitrage entre spécialisation et diversification dans le cadre du capital-risque a déjà fait
le sujet d’une étude empirique par Norton & Tenebaum (1993). A partir de questionnaires renseignés par 98 capital-risqueurs, ils étudient la diversification des portefeuilles de start-ups entre les différentes industries et entre les différentes étapes de financement. Ils montrent que les
capital-risqueurs qui investissent plutôt dans les étapes précoces, et qui prennent donc le plus
de risques, sont moins diversifiés entre les différentes industries que les autres. Ils en déduisent
que l’apport de la spécialisation est plus important que celui de la diversification. Ils montrent
aussi une corrélation positive entre les proportions d’investissements réalisés dans les étapes de
financement successives, et une corrélation négative entre les autres étapes. Cela indique que
la diversification entre les différentes étapes de financement observée résulte plutôt de la pour-
4.2. Un tour d’horizon de la littérature
241
suite des investissements dans les mêmes start-ups que d’une stratégie de diversification entre
les différentes étapes. Ces résultats indiquent donc une prévalence de la spécialisation sur la
diversification pour la répartition des investissements dans les différentes industries.
Knill (2004) mène une étude similaire mais plus complète à partir des données collectées
auprès des 500 meilleures firmes de capital-risque entre 1998 et 2003. Son étude s’intéresse à la
diversification des portefeuilles de start-ups suivant quatre dimensions : la localisation des startups, l’étape de financement, l’industrie de la start-up et le nombre de firmes dans le portefeuille.
Il étudie l’impact de la diversification d’une part sur la performance du capital-risqueur, mesurée
par la croissance du capital qu’il gère, et d’autre part sur la performance des start-ups, mesurée
par le devenir de la start-up à la fin de la période d’observation (statut en 2003). Il trouve
que la diversification est profitable au capital-risqueur, mais qu’elle s’effectue au détriment
de la start-up dont la sortie se trouve retardée (la start-up reste privée plus longtemps). Des
quatre dimensions étudiées, la diversification géographique et celle entre les différentes étapes
de financement sont les plus profitables. La diversification entre les industries est aussi efficace
mais dans une moindre mesure et le nombre de start-ups dans le portefeuille ne montre pas
d’impact ni dans un sens ni dans l’autre.
Knill aboutit donc a un résultat contraire à celui de Norton & Tenebaum. Mais l’effet
moindre de la diversification entre les industries peut cependant être attribué à l’influence de
la spécialisation. Il déplace aussi le compromis entre diversification et spécialisation pour la
performance du capital-risqueur vers un compromis entre diversification au bénéfice du capitalrisqueur et spécialisation au bénéfice de la start-up. Le changement de point de vue est original
et intéressant.
Le modèle proposé dans ce chapitre permet une analyse plus fine de l’alternative entre spécialisation et diversification, en déterminant le degré de diversification optimal en fonction de
la compétence spécifique du capital-risqueur et du niveau de risque spécifique dans chaque
industrie.
Pour trouver le portefeuille optimal du capital-risqueur, le modèle se base sur l’analyse
moyenne-variance du Capital Asset Pricing Model (CAPM). La compétence apporte une distorsion car chaque capital-risqueur obtient un compromis différent en fonction de sa propre
compétence dans chaque industrie. On se retrouve alors dans une situation d’information impar-
242
Chapitre 4. Spécialisation industrielle et diversification financière
faite similaire à Merton (1986), mais nous nous contentons ici d’analyser la décision optimale
des capital-risqueurs sans calculer l’équilibre qui en résulte.
Le modèle proposé ici se rapproche beaucoup plus de Winton (1999), qui propose l’analyse
de la même alternative entre diversification et spécialisation mais pour une banque. Dans son
modèle, la banque peut diversifier ses prêts entre deux secteurs et peut ou non exercer une
activité de surveillance coûteuse. La faillite de la banque est aussi coûteuse car elle est financée
elle même par l’emprunt auprès d’investisseurs, sensibles au risque de défaut de la banque.
De plus la banque peut ou non posséder une compétence spécifique à l’un des deux secteurs.
Le modèle permet de montrer que la diversification n’est pas toujours la meilleure stratégie.
Elle n’est efficace que lorsque l’exposition de la banque à une mauvaise conjoncture dans l’un
des deux secteurs est modérée. Dans le cas d’une faible exposition au risque la diversification
n’apporte rien, et dans le cas d’une exposition forte, une mauvaise conjoncture dans un seul
secteur est suffisant pour provoquer la faillite de la banque ce qui implique que la diversification
n’apporte aucune protection. L’expertise de la banque modifie l’exposition de la banque au
risque spécifique et donc les zones de dominance de la diversification, mais ne change pas
qualitativement les résultats.
Le modèle de Winton pose la banque comme un intermédiaire financier, une position équivalente à celle des capital-risqueurs. Mais le compromis entre diversification et spécialisation est
plutôt lié aux caractéristiques du risque qu’à l’expertise de la banque. Dans le modèle considéré
dans ce chapitre, la compétence des capital-risqueurs est le facteur central qui pousse à la spécialisation, alors que le risque pousse à la diversification. Les termes de l’alternative sont donc
sensiblement différents. De plus, au lieu d’une comparaison entre deux stratégies antagonistes,
le modèle proposé permet de dériver un degré de diversification optimale.
Dans ce chapitre comme dans le reste de cette thèse, on s’intéresse essentiellement à la
compétence de sélection des capital-risqueurs. L’autre dimension de la compétence, le conseil et
l’assistance à la gestion des start-ups, pose notamment le problème de la taille optimale du portefeuille de start-up du capital-risqueur. En effet l’activité de conseil est coûteuse en temps, ce qui
limite naturellement le nombre de start-up que le capital-risqueur peut suivre, mais la volonté
de diversification pousse à financer un maximum de projets. Nous ne traiterons volontairement
pas ce sujet dans le cadre de ce chapitre. Le lecteur intéressé peut se reporter notamment à
4.3. Mise en évidence empirique
243
Cumming (2006) qui propose une analyse empirique de la taille optimale des portefeuilles des
capital-risqueurs et à Kanniainen & Keuschnigg (2003) qui proposent un modèle théorique.
Par contre un des apports essentiels de notre modèle est l’analyse de l’évolution de la
stratégie de diversification des capital-risqueurs avec l’expérience. En effet l’apprentissage permet au capital-risqueur d’améliorer son expertise dans toutes les industries où il a investi, ce qui
modifie sa stratégie en retour. Le modèle permet d’étudier la dynamique induite par le choix
d’une stratégie optimale à chaque période, en fonction de la forme de la fonction d’apprentissage.
4.3 Mise en évidence empirique
Afin de mettre en évidence l’arbitrage entre spécialisation et diversification dans les portefeuilles d’investissement en capital-risque, nous allons étudier leur ventilation entre les différentes industries.
Nous montrons dans un premier temps par l’étude statique de la composition des portefeuilles des capital-risqueurs que les capital-risqueurs concentrent leurs investissements dans
un petit nombre d’industries. Nous montrons aussi que les capital-risqueurs sont spécialisés
dans des industries différentes.
Puis dans un second temps nous montrons par l’étude de l’évolution de la concentration des
portefeuilles des capital-risqueurs que ceux-ci ont tendance à augmenter la diversification de
leurs investissements avec l’expérience.
4.3.1 Les données
Dans la base de données VentureSource, les start-ups sont classées par industries dans une
hiérarchie à trois niveaux : groupes, segment et code23 . Cette classification est spécifique au
capital-risque et différente de la classification usuelle (codes SIC). En effet le capital-risque
investit dans les nouvelles technologies, qui sont par essence destinées à créer de nouvelles
industries pour lesquelles il n’existe pas encore de codes dans la classification usuelle. Pour
23 voir
aussi la section 1.6.1 du Chapitre 1
244
Chapitre 4. Spécialisation industrielle et diversification financière
notre étude nous utiliserons le deuxième niveau de la hiérarchie qui contient 19 segments. Le
troisième niveau étant un peu trop détaillé pour correspondre à des compétences différentes des
capital-risqueurs.
Dans un premier temps notre objet d’étude sera les portefeuilles constitués par les investissements réalisés aux Etats-Unis par les investisseurs localisés aux Etats-Unis, entre 1995 et 2000.
La restriction géographique a pour objectif de limiter la perturbation des analyses par un effet
possible de diversification géographique. La période de 5 ans choisie reflète la durée typique
sur laquelle se déroule l’investissement pour un capital-risqueur. On peut donc considérer les
investissements réalisés durant cette période comme correspondant à un même fonds. Bien sûr
il aurait été préférable d’analyser directement les investissements réalisés pour chaque fonds,
mais les données ne le permettent pas. En effet les firmes de capital-risque ne souhaitent pas
toujours dévoiler comment sont investis chacun des fonds qu’elles gèrent. Il leur est difficile de
cacher leur participation au capital d’une start-up mais par contre rien ne les oblige à dévoiler
le ou les fonds qu’elles mobilisent pour cela. Par conséquent les liens entre fonds et start-ups
sont assez incomplets dans notre base. De plus la base VentureSource se focalise plus sur le lien
entre capital-risqueur et start-up que sur les fonds, ce qui implique que de nombreux fonds sont
manquants. Cela explique pourquoi nous préférons travailler plutôt sur des portefeuilles fictifs,
reconstitués à partir de périodes de temps. Si l’interprétation en terme de gestion de fonds est
discutable, l’analyse de ces portefeuilles permet néanmoins d’analyser la stratégie d’investissement des capital-risqueurs ce qui est ici notre objectif principal. Enfin, pour que l’étude de
la diversification ait un sens, seuls les portefeuilles comprenant au moins 5 start-ups ont été
retenus.
Dans cette étude nous travaillons sur des portefeuilles de start-ups et non sur des montants
investis dans chaque industrie. Il y a plusieurs raisons pour cela. Tout d’abord nous n’avons pas
dans notre base le montant exact de la participation de chaque capital-risqueur dans chaque tour
de table. Nous n’avons que le montant total investi et le nombre de partenaires. En première
approximation on peut cependant considérer que tous les capital-risqueurs participent au même
niveau et utiliser le montant du tour de table divisé par le nombre de co-investisseurs comme
montant investi par chacun. Ensuite le montant total investi dans une industrie ne dépend pas
uniquement du choix du capital-risqueur. En effet la logique d’investissement par étape fait que
4.3. Mise en évidence empirique
245
le capital-risqueur investira plus dans les start-ups qui marchent bien que dans les autres, ce
qu’il ne peut pas prédire à priori. Enfin comme le capital des start-ups est peu dilué et que l’on
s’attend à une participation active de chaque capital-risqueur, on ne peut pas investir le montant
que l’on souhaite dans chaque industrie. Le choix d’investir dans une start-up signifie d’accepter
de prendre une part significative du capital et de s’engager à poursuivre l’investissement en cas
de développement favorable. La décision du capital-risqueur se comprend donc mieux en terme
répartition du nombre de start-ups que de répartition des montants investis.
Nous avons cependant aussi mené ces analyses en utilisant le montant investi suivant l’approximation proposée plus haut plutôt que le nombre de start-ups. Au niveau direct la corrélation
entre le nombre de start-up et le montant investi par un capital-risqueur dans une industrie est
de 55%, et les indices de Herfindahl calculés sur cette base sont corrélés à 67%. Les résultats
obtenus sont qualitativement similaires à ceux présentés ici.
Le Tableau 4.1 donne la liste des segments industriels présents dans les portefeuilles ainsi
constitués, avec le nom du groupe auquel ils appartiennent ainsi que le nombre de capitalrisqueurs ayant investi dans ce segment et le nombre de start-ups correspondant. Il faut noter
que bien qu’une start-up puisse être inscrite dans plusieurs industries, nous n’utilisons que son
inscription principale. Un investissement dans une start-up correspond donc à un investissement
dans une seule industrie. Par contre dans la dernière colonne du tableau, il apparaît le nombre
de start-ups inscrites dans le segment industriel cumulé sur tous les portefeuilles des capitalrisqueurs. Puisque qu’une start-up peut être financée par plusieurs capital-risqueurs, elle peut
donc être comptabilisé plusieurs fois. Le nombre de start-ups représente donc le poids cumulé
des segments dans les portefeuilles des capital-risqueurs. Enfin dans la première colonne un
code à 4 chiffres est introduit afin de simplifier la légende des graphiques suivants. Le premier
chiffre correspondant au groupe, le second au segment, et le troisième au code. Puisque nous
restons au niveau du segment les deux derniers chiffres sont toujours nuls.
On voit clairement une domination du groupe "Information Technology" qui correspond aux
nouvelles technologies de l’information auxquelles le capital-risque est généralement assimilé.
Le groupe "Retail & Cons/Bus Prod/Serv" correspond lui plutôt au commerce en ligne, les
start-ups "dot com" qui forment un gros contingent de la bulle internet. Le groupe "Healthcare"
regroupe l’ensemble des biotechnologies qui constituent l’autre industrie majeure du capital-
Chapitre 4. Spécialisation industrielle et diversification financière
246
Code
Groupe
Segment
capital-risqueurs start-ups
1100 Information Technology
Software
810
5638
1200 Information Technology
Communications
509
2795
1300 Information Technology
Information Services
414
1630
1400 Information Technology
Electronics
229
657
1500 Information Technology
Semiconductors
243
809
2100 Retail & Cons/Bus Prod/Serv Cons/Bus Services
663
3335
2200 Retail & Cons/Bus Prod/Serv Retailers
160
530
2300 Retail & Cons/Bus Prod/Serv Cons/Bus Products
70
190
3100 Healthcare
Biopharmaceuticals
333
1798
3200 Healthcare
Medical Devices
275
1428
3300 Healthcare
Medical IS
208
652
3400 Healthcare
Healthcare Services
118
393
4100 Other
Adv Spec Mat & Chem
39
93
4200 Other
Other Companies
21
52
4300 Other
Energy
20
58
4400 Other
Agriculture
13
27
TAB . 4.1: Industries dans les portefeuilles des capital-risqueurs entre 1995 et 2000
4.3. Mise en évidence empirique
247
risque. Ces trois groupes forment donc les trois grandes industries essentielles dans lesquelles
les capital-risqueurs investissent, le groupe "Other" contient les autres. Enfin on peut noter qu’il
n’y a que 16 lignes dans le tableau. Les trois segments manquants sont les segments divers
des trois premiers groupes, dont les effectifs sont trop faibles pour avoir passé le filtre de nos
restrictions sur les données.
4.3.2 Degré de concentration
La figure 4.1 montre la distribution du nombre d’industries différentes dans le portefeuille
des capital-risqueurs. En moyenne un capital-risqueur investi dans 3.6 industries différentes.
La distribution est assez bien approximée par une loi de Poisson de paramètre λ = 3.6. Si les
capital-risqueurs n’investissent donc pas dans toutes les industries, ils investissent typiquement
dans plus d’une industrie à la fois.
Afin de mesurer la concentration réelle des portefeuilles dans les différentes industries, nous
calculons l’indice de Herfindahl de chaque portefeuille à partir du nombre de start-ups pi du
portefeuille p dans chaque industrie i :
H(p) = ∑(
i
pi 2
∑i p2i
) =
(∑i pi )2
∑i pi
(4.1)
L’utilisation de l’indice de Herfindahl est plus fine que l’analyse du simple nombre d’industrie dans chaque portefeuille, car il prend en compte le poids relatif de chaque industrie
dans le portefeuille. Un indice de Herfindahl proche de 1 signifie un portefeuille très concentré.
Un portefeuille équilibré entre n industries aura un indice de 1n . On peut donc aussi interpréter
l’inverse de l’indice de Herfindahl comme le nombre d’industries équivalent dans lequel serait
réparti le portefeuille si chacune y avait un poids égal.
La Figure 4.2 montre la distribution de l’indice de Herfindahl des portefeuilles des capitalrisqueurs. Si l’on fait abstraction du pic en 1, qui correspond aux capital-risqueurs n’investissant
que dans une seule industrie, on trouve une distribution relativement bien centrée autour d’un
indice moyen de 0.42 avec un écart-type de 0.16. Cela correspond à un nombre d’industrie
équivalent moyen de 2.4, ce qui est clairement inférieur à la moyenne trouvée précédemment
alors même que l’on a ôté les portefeuilles les plus concentrés. Il est donc clair que les capital-
Chapitre 4. Spécialisation industrielle et diversification financière
150
13
12
11
10
9
8
7
6
5
4
3
2
1
0
50
100
densité
200
250
300
248
Nb industries
F IG . 4.1: Répartition du nombre d’industries dans le portefeuille des capital-risqueurs entre
1.0
1.0
0.8
0.6
0.4
0.2
0.0
0.0
0.5
densité
1.5
2.0
1995 et 2000, avec ajustement à une loi de poisson.
Herfindahl
F IG . 4.2: Distribution de l’indice de Herfindahl des portefeuilles des capital-risqueurs entre
1995 et 2000
4.3. Mise en évidence empirique
249
risqueurs sont spécialisés dans un petit nombre d’industries. Cependant cela ne prouve pas que
les capital-risqueurs se spécialisent à cause de la spécificité de leur compétence. Il se peut que
ce niveau de concentration soit tout simplement celui du portefeuille d’investissement optimal.
Pour montrer que les capital-risqueurs sont spécialisés, il nous reste donc à montrer que les
capital-risqueurs sont spécialisés dans des industries différentes.
4.3.3 Spécialisation et diversité
Pour chaque capital-risqueur, nous définissons comme industrie de spécialité l’industrie
dans laquelle il investit le plus, autrement dit dans l’industrie qui a le plus de poids dans
son portefeuille. La Figure 4.3 montre le nombre de capital-risqueurs spécialisés dans chaque
industrie. Bien que très inégalement répartis, on trouve des capital-risqueurs spécialisés dans
chaque industrie. En outre cette répartition correspond au poids relatif de chaque industrie dans
l’ensemble des données. Il semble donc bien que les capital-risqueurs soit spécialisés dans des
industries différentes.
Puisque l’on connaît la spécialité de chaque capital-risqueur, on peut définir comme indice
de spécialisation le poids relatif de cette industrie dans le portefeuille du capital-risqueur.
Specialisation(p) =
maxi (pi )
∑i pi
(4.2)
La Figure 4.4 montre la distribution de cette mesure de spécialisation. Si l’on écarte ici
encore le pic en 1, on trouve une distribution centrée autour de 0.53 avec un écart-type de
0.17. Les capital-risqueurs sont donc très présents dans leur industrie de spécialité puisqu’ils
y investissent en moyenne la moitié de leur portefeuille. Cela est cohérent avec l’analyse de
l’indice de Herfindahl précédente et d’ailleurs les deux indices sont très fortement corrélés
(coefficient de corrélation de 0.97).
Pour montrer enfin que les investisseurs spécialisés dans les industries autres que l’industrie dominante ("Software") ne sont pas simplement des investisseurs très diversifiés dont la
spécialité se retrouve par hasard être une autre industrie, on peut regarder la distribution de
l’indice de spécialisation et de l’indice de Herfindahl pour chaque industrie de spécialité. Les
diagrammes en boîte des Figures 4.5 et 4.6 montrent que ces distributions sont similaires quelle
Chapitre 4. Spécialisation industrielle et diversification financière
250
200
150
0
50
100
nb capital−risqueurs
300
350
250
1100
1300
1500
2200
3100
3300
4100
4300
industrie
1.0
0.0
0.5
densité
1.5
2.0
F IG . 4.3: Nombre d’investisseurs spécialisés dans chaque industrie.
0.2
0.4
0.6
0.8
1.0
specialisation
F IG . 4.4: Distribution de l’indice de spécialisation
4.3. Mise en évidence empirique
0.6
0.2
0.4
spécialisation
0.8
1.0
251
1100
1300
1500
2200
3100
3300
4100
4300
industrie
0.6
1100
1200
1300
1400
1500
2100
2200
2300
3100
3200
3300
3400
4100
4200
4300
0.2
0.4
herfindahl
0.8
1.0
F IG . 4.5: Distribution de l’indice de spécialisation pour chaque industrie de spécialité
industrie
F IG . 4.6: Distribution de l’indice de Herfindahl pour chaque industrie de spécialité
252
Chapitre 4. Spécialisation industrielle et diversification financière
que soit l’industrie de spécialité. Les capital-risqueurs sont tous concentrés sur un petit nombre
d’industries, mais ces industries varient suivant leur spécialité. Ces analyses plaident donc pour
une tendance à la spécialisation des capital-risqueurs due à la spécificité de leur compétence.
Nous pouvons donc établir le résultat suivant.
Résultat 4.1 (Spécialisation industrielle des capital-risqueurs). Les portefeuilles des capitalrisqueurs sont concentrés dans un petit nombre d’industries, avec souvent une industrie de
spécialité dominante (plus de 60% des investissements du portefeuille). Les capital-risqueurs
sont spécialisés dans des industries différentes.
4.3.4
Expérience et diversification
Jusqu’ici l’analyse met surtout en évidence la spécialisation des capital-risqueurs. Cependant dans une perspective financière de limitation des risques, la volonté de diversification devrait aussi jouer un rôle dans l’allocation du portefeuille des capital-risqueurs. Cet effet semble
plutôt se faire sentir dans l’évolution de la stratégie de diversification du capital-risqueur. En effet, Gompers, Kovner, Lerner & Sharfstein (2006) constatent que les capital-risqueurs les plus
expérimentés sont plus diversifiés que les autres. Pour vérifier cette constatation nous allons
étudier les déterminants du degré de concentration du portefeuille des capital-risqueurs, mesuré
par l’indice de Herfindahl. Puisque dans les données nous observons les capital-risqueurs sur
une assez longue période, 16 ans, nous pouvons contrôler l’hétérogénéité non observée des
capital-risqueurs avec une structure de panel.
Nous montrons ainsi que les capital-risqueurs ont tendance à augmenter la diversification
de leur portefeuille d’investissement avec l’expérience.
Définition des portefeuilles des capital-risqueurs
Comme pour l’analyse précédente et pour les mêmes raisons, nous travaillons sur des portefeuilles fictifs reconstitués à partir des investissements réalisés par les capital-risqueurs au cours
d’une fenêtre de temps donnée.
Le choix de la période utilisée comme base de calcul du portefeuille est un compromis
délicat. Plus la période considérée est courte, plus on obtient d’observations pour un même
4.3. Mise en évidence empirique
253
capital-risqueur, ce qui améliore l’estimation du modèle en panel. Mais pour être en mesure
de calculer un indice de concentration qui soit exploitable, il faut observer suffisamment d’investissements durant la période choisie. Une période trop courte limite donc les observations
aux capital-risqueurs les plus actifs. Le choix de la période est donc un compromis entre le
nombre de capital-risqueurs observés et le nombre d’observations pour chacun.
Pour prendre en compte cette double contrainte, nous considérons donc les portefeuilles
constitués par les investissements réalisés par un capital-risqueur au cours d’une période de
une, deux ou trois années. Nous présentons en priorité les résultats obtenus avec une période de
deux ans, les estimations sur les deux autres périodes de un et trois ans permettant une analyse
de la sensibilité des résultats à ce choix.
Les données
Nos données vont de 1990 à 2005, ce qui nous donne 8 périodes d’observations de deux
ans. Afin d’obtenir une mesure pertinente de l’indice de Herfindahl, nous ne retenons que les
observations de portefeuille comprenant au moins 5 start-ups. Et pour obtenir une structure
de panel avec un maximum de données, nous conservons les portefeuilles de tous les capitalrisqueurs observés au moins 3 fois, pas nécessairement consécutives. Nous obtenons ainsi un
panel non cylindré comprenant 377 capital-risqueurs, localisés dans le monde entier, et observés
entre 3 et 8 fois, soit au total 1616 observations.
Le premier facteur qui peut influer sur le degré de concentration du portefeuille de startups est la taille de celui-ci. En effet, un plus grand nombre d’investissements permet de mieux
diversifier son portefeuille car cela donne plus de latitude pour repartir ses investissements entre
les industries. Au contraire un portefeuille trop petit peu contraindre un capital-risqueur à moins
diversifier son portefeuille qu’il ne le souhaiterait. On peut donc s’attendre à ce que les petits
portefeuilles soient sous-diversifiés.
Le second facteur qui peut influer sur le degré de concentration est celui qui nous intéresse :
l’expérience du capital-risqueur. L’effet de l’expérience sur le degré de diversification est a
priori ambigu. En effet, avec l’expérience le capital-risqueur peut augmenter par apprentissage
son expertise dans les industries dans lesquelles il investit. Cela peut l’inciter à se spécialiser
encore plus si son expertise augmente surtout dans son industrie de spécialité. Mais cela peut
Chapitre 4. Spécialisation industrielle et diversification financière
254
aussi lui permettre de mieux diversifier son portefeuille si son expertise augmente dans les
autres industries. La volonté de diversification aurait alors un effet dynamique : en poussant le
capital-risqueur à investir dans de nouvelles industries, elle lui permet d’acquérir une expertise
qui lui permet ensuite de plus se diversifier.
Enfin bien sûr les caractéristiques propres du capital-risqueur peuvent aussi influencer sa
stratégie, mais cette hétérogénéité est contrôlée par un effet individuel. De même les effets
conjoncturels sont contrôlés par un effet temporel.
Statistiques descriptives
Le Tableau 4.2 présente les statistiques descriptives des données utilisées pour l’estimation.
On constate que l’essentiel des observations sont celles de capital-risqueurs localisés aux EtatsUnis, et que la majeure partie d’entre elles ont lieu entre 1998 et 2005. Néanmoins puisque
l’analyse en panel permet de contrôler pour l’hétérogénéité des individus et pour les effets
temporels, il n’y a pas lieu de se priver des données provenant des autres régions du monde
(Europe de l’ouest, Israël) et des périodes plus anciennes.
Dans le tableau deux variables permettent de mesurer l’expérience du capital-risqueur. La
première est une mesure directe de l’expérience par le nombre d’investissements passés réalisés
par la firme de capital-risque avant l’année considérée. Mais comme nos données commencent
en 1990, cette variable n’est qu’une mesure partielle de l’expérience. La seconde est l’âge du
capital-risqueur, mesuré en années depuis sa création. Cette seconde variable ne prend pas en
compte le volume d’investissement effectif qui peut varier entre les capital-risqueurs, et donc
modifier l’expérience réellement accumulée par le capital-risqueur, mais elle n’est pas affectée
par la période limitée de nos données.
Modèle économétrique
Herfindahli,t = β1 PETITi,t + β2 invest. passési,t + β3 âgei,t + αi + γt + εi,t
(4.3)
Le modèle utilisé est un modèle de panel à effets fixes individuels et temporels. Les tests de
spécification rapportés dans le Tableau 4.3 confirment la présence de ces deux effets, et rejettent
l’utilisation d’un modèle à effets aléatoires.
4.3. Mise en évidence empirique
255
Min
1er Q. Mediane Moyenne 3ème Q. Max
Herfindahl
0.123
0.2654
0.3501
0.3948
0.4696
1
nb start-ups
5
7
10
14.21
17
151
âge
0
4
8
9.624
15
33
invest. passés
0
15
27
37.66
46
455
Région =
United States
1204
74.5 %
Western Europe
350
21.7 %
Israel
62
3.8 %
2004-2205
341
21.1 %
2002-2003
349
21.6 %
2000-2001
374
23.1 %
1998-1999
297
18.4 %
1996-1997
148
9.2 %
1994-1995
47
3.0 %
1992-1993
39
2.4 %
1990-1991
21
1.3 %
Période =
n = 377, T = 3-8, N = 1616
TAB . 4.2: Statistiques descriptives pour l’analyse en panel des déterminants du degré de diversification. Ne sont retenus que les firmes de capital-risque fondées après 1970, dont on observe
au moins trois années différentes avec 5 investissements.
Chapitre 4. Spécialisation industrielle et diversification financière
256
OLS contre effets individuels
F test
F = 5.7522, df1 = 374, df2 = 1236, p-value < 2.2e-16
Effets individuels seuls contre effets individuels et temporels
F test
F = 8.944, df1 = 7, df2 = 1229, p-value = 8.734e-11
Effets aléatoires cohérent avec effets fixes ?
Hausman test
χ2 = 48.901, df = 10, p-value = 4.247e-07
TAB . 4.3: Tests de spécification pour le modèle en panel. Les tests rejettent les hypothèses
nulles de l’absence d’effets individuels, de l’absence d’effets temporels et de la cohérence entre
modèle à effets fixes et modèle à effets aléatoires
L’estimateur utilisé est donc un estimateur "within" et seuls les effets des caractéristiques des
individus variables dans le temps sont identifiables. La variable indicatrice PET ITi,t indique que
le portefeuille contient moins de 7 start-ups, c’est à dire qu’il se situe dans le premier quartile
de la distribution des tailles de portefeuille.
Estimations
Le Tableau 4.4 présente le résultat de l’estimation avec une période de deux années pour
le calcul de l’indice de Herfindahl. On trouve un effet négatif significatif de l’âge du capitalrisqueur sur le degré de concentration de son portefeuille. Cela confirme donc l’observation
de Gompers, Kovner, Lerner & Sharfstein (2006) que les capital-risqueurs les plus âgés sont
plus diversifiés et l’hypothèse d’un effet dynamique de la volonté de diversification. Cet effet
est important, l’élasticité moyenne de l’indice de Herfindahl par rapport à l’âge est en effet de
−0.44.
L’indicatrice désignant les petits portefeuilles a un impact positif significatif sur la concentration des investissements. Un trop petit portefeuille implique donc bien une sous diversification. Cet effet est dû notamment à l’obligation de prendre une participation significative dans le
capital de la start-up qui ne permet pas d’investir des sommes plus faibles lorsque l’on dispose
de moins d’argent.
4.3. Mise en évidence empirique
257
indice de Herfindahl sur 2 années
Coefficient
écart-type
t
Pr(>|t|)
0.03482
0.0089347
3.8972
9.7321e-05
***
invest. passés 0.00028252
0.00017122
1.65
0.098934
.
1.1102e-15
***
PETIT
âge
-0.014228
0.0017754
-8.014
N
1616
n = 377
T = 3-8
R2
0.082017
F-statistic 36.6 on 1229 and 3 DF, p-value= 0.006093 **
Signif. : *** < 0.1% ; ** < 1% ; * < 5% ; . < 10%
TAB . 4.4: Estimation d’un modèle linéaire en panel à effets fixes individuels et temporels de
l’indice de Herfindahl du portefeuille annuel des capital-risqueurs, en fonction de la taille du
portefeuille, de l’âge et de l’expérience cumulée du capital-risqueur.
Enfin le nombre d’investissements passés du capital-risqueur n’a pas d’impact significatif
sur l’indice de concentration. Cependant si on l’inclut comme seul indicateur de l’expérience
du capital-risqueur dans la régression (sans l’âge), il a un impact négatif significatif. Mais l’ajustement de la régression est alors moins bon. Il semble donc que ce soit le nombre d’années
d’expérience plutôt que le volume des investissements réalisés qui incite à diversifier plus largement son portefeuille.
Si l’on regarde maintenant les résultats obtenus avec des périodes de une ou de trois années
pour la détermination des portefeuilles et le calcul de l’indice de Herfindahl (Tableaux 4.5 et
4.6) on constate une grande robustesse des deux effets majeurs, celui de la taille du portefeuille
et de l’âge de la firme du capital-risque. Les effets restent très significatifs et les estimations
des coefficients sont très stables. On voit aussi l’effet du choix de longueur de la période sur la
composition du panel. Avec une période de 1 année on obtient un panel plus long (jusqu’à 16
observations pour un même capital-risqueur), mais avec moins de capital-risqueurs (n=315 au
lieu de n=377). Au final, le nombre d’observations est légèrement plus grand. Avec une période
de 3 années, non seulement le panel est plus court, mais on se heurte aussi au fait que l’essentiel
des données sont disponibles entre 1998 et 2005. Du coup, rares sont les capital-risqueurs suff-
Chapitre 4. Spécialisation industrielle et diversification financière
258
indice de Herfindahl sur 1 année
Coefficient
écart-type
t
Pr(>|t|)
0.036307
0.0079387
4.5734
4.7992e-06
***
invest. passés 0.00027244
0.00015759
1.7288
0.083849
.
3.2874e-10
***
PETIT
âge
-0.014767
0.0023496
-6.2846
N
1853
n = 315
T = 3-16
R2
0.053689
F-statistic 4.791 on 1520 and 18 DF, p-value= 0.0001549 ***
Signif. : *** < 0.1% ; ** < 1% ; * < 5% ; . < 10%
TAB . 4.5: Modèle identique à celui du Tableau 4.4, estimé avec une période de 1 an pour le
calcul de l’indice de Herfindahl
indice de Herfindahl sur 3 années
Coefficient
écart-type
t
Pr(>|t|)
0.069343
0.016204
4.2795
1.8735e-05
***
invest. passés 0.00058163
0.00027892
2.0853
0.037046
*
2.0262e-05
***
PETIT
âge
-0.014996
0.0035184
-4.262
N
739
n = 209
T = 3-5
R2
0.083391
F-statistic
15.86 on 523 and 3 DF, p-value= 0.0207 *
Signif. : *** < 0.1% ; ** < 1% ; * < 5% ; . < 10%
TAB . 4.6: Modèle identique à celui du Tableau 4.4, estimé avec une période de 3 ans pour le
calcul de l’indice de Herfindahl
4.3. Mise en évidence empirique
259
isamment actifs avant 1998 pour avoir trois périodes d’observation pleines. Au final le nombre
d’observations total chute fortement (N=739), mais les résultats restent cohérents.
L’étude de l’évolution de la concentration des portefeuilles des capital-risqueurs nous permet donc d’établir ce résultat.
Résultat 4.2 (Diversification des portefeuilles avec l’expérience). La concentration du portefeuille des capital-risqueurs diminue avec l’expérience du capital-risqueur. Les capital-risqueurs
ont donc tendance à augmenter la diversification leurs investissements.
Principaux Résultats
Ces études empiriques ont donc permis de mettre en évidence le compromis entre spécialisation industrielle et diversification financière dans la composition du portefeuille des capitalrisqueurs.
D’une part les investissements des capital-risqueurs sont plutôt concentrés dans un petit
nombre d’industries et spécialisés dans des industries différentes. Ce résultat confirme donc
le rôle de la compétence dans les décisions d’investissement des capital-risqueurs, ceux-ci investissent préférentiellement dans les industries qu’ils connaissent bien.
D’autre part la volonté de diversification financière est bien présente, mais se fait surtout
sentir dans l’évolution dynamique de la composition du portefeuille des capital-risqueurs. En
effet les capital-risqueurs ont tendance à augmenter la diversification de leur portefeuille lorsque
leur expérience augmente.
Ces résultats semblent donc indiquer que le besoin d’une compétence industrielle incite
les capital-risqueurs à se spécialiser plus que ce que la pure logique financière leur dicterait.
Cependant l’expérience leur permet de gagner la compétence qui leur manque et de diversifier
leur portefeuille plus largement.
Chapitre 4. Spécialisation industrielle et diversification financière
260
4.4 Le modèle
Afin d’expliciter le choix de la composition de son portefeuille d’investissement par le
capital-risqueur, nous proposons le modèle suivant. Nous supposons que le capital-risqueur est
risque averse, et qu’il compose son portefeuille à partir d’une analyse moyenne-variance. Le
capital risque cherche donc à réaliser un portefeuille optimal au sens du CAPM (Capital Asset
Pricing Model). Nous supposons ensuite que le capital-risqueur possède une compétence spécifique qui lui permet d’obtenir un meilleur retour moyen dans une industrie donnée. Mais nous
supposons d’autre part qu’il existe un risque spécifique à chaque industrie qui se traduit par une
corrélation entre les investissements dans une même industrie. Dans ce contexte, la compétence
spécifique du capital-risqueur pousse donc à la spécialisation, mais l’optimisation financière
pousse à la diversification.
4.4.1
Portefeuille optimal
Soit {Ii }, l’ensemble des industries dans lequel le capital-risqueur peut investir. Les investissements réalisés dans deux industries différentes sont indépendants. Le retour moyen ri
dépend de la compétence du capital-risqueur, et la variance du retour sur investissement σ2 est
la même pour toutes les industries. Deux investissements réalisés dans la même industrie ont
une covariance covii > 0.
Soit I j l’industrie dans lequel le capital-risqueur est spécialiste. Cela signifie qu’il peut espérer un retour moyen r j supérieur au taux sans risque r. Supposons que le capital-risqueur
souhaite faire N investissements, et qu’il existe M ≥ N industries identiques {Ik }k6= j dans lequel
le capital-risqueur possède une connaissance suffisante pour lui apporter un retour moyen rk tel
que r j > rk > r.
Dans ces conditions le choix du capital-risqueur revient au choix du nombre d’investissements dans son industrie de spécialité n, les autres étant tous réalisés dans des industries Ik
différentes. En effet sans l’industrie I j , le capital-risqueur diversifie complètement son portefeuille entre N industries Ik dont les retours espérés et les variances sont identiques mais qui
sont indépendantes les unes des autres.
4.4. Le modèle
261
Le portefeuille optimal au sens du CAPM est celui qui maximise le ratio de Sharpe S(P).
Ce ratio se calcule à partir de du retour espéré du portefeuille E(P), de sa variance Var(P) et du
taux sans risque r :
E(P) − r
S(P) = √
Var(P)
(4.4)
Posons δk = rk − r, la différence entre le retour espéré d’une industrie Ik et le taux sans
risque, et δ j = r j − rk , la différence de retour espéré entre l’industrie I j et une industrie Ik . Avec
ces notations, le ratio de Sharpe d’un portefeuille composé de n investissements dans l’industrie
I j et de N − n investissements dans des industries Ik différentes s’écrit :
S= √
n δ j + N δk
N σ2 + n (n − 1) covii
,n ≥ 1
(4.5)
Pour trouver le nombre optimal d’investissements dans l’industrie I j , il suffit de résoudre les
conditions du premier ordre (et de vérifier les conditions du second ordre bien sûr).
Après résolution et réorganisation des termes on obtient :
σ2 δ j
covii δk
δ
2 + N1 δ j
k
1+2
n∗ =
(4.6)
4.4.2 Approximations et interprétation
Pour mieux comprendre cette expression, considérons les approximations suivantes.
Si
δj
δk
¿ 2 N, c’est-à-dire si l’avantage relatif du capital-risqueur dans son industrie de spé-
cialité est petit devant le double de la taille du portefeuille, alors n∗ devient :
n∗ ≈
σ2 δ j
1
+
2 covii δk
(4.7)
La condition est remplie d’autant plus facilement que la taille du portefeuille est grande.
Cette approximation est donc assez générale.
La première constatation est que n∗ ne dépend alors pas de N, la taille du portefeuille a donc
a priori peu d’impact sur le nombre d’investissements dans l’industrie de spécialité. Par contre
l’indice de Herfindahl du portefeuille optimal dépend de N.
H∗ =
(N − n∗ ) + n∗ 2
N2
(4.8)
Chapitre 4. Spécialisation industrielle et diversification financière
262
Cet indice est bien décroissant avec la taille du portefeuille. Et il tend vers 0 lorsque N tend
vers l’infini. On retrouve donc bien la propriété établie par l’analyse empirique.
∂H
< 0, lim H = 0
N→∞
∂N
σ2
covii
La seconde constatation est que
(4.9)
est exactement l’inverse de la corrélation entre deux
investissements dans la même industrie. Plus cette corrélation est faible plus l’investissement
dans l’industrie I j est important, ce qui est logique. Le choix du nombre d’investissements dans
l’industrie de spécialité est donc gouverné par le rapport entre l’avantage relatif dans l’industrie
de spécialité et la corrélation entre deux investissements dans cette même industrie.
On retrouve donc bien ici le compromis entre spécialisation et diversification. La force de
la spécialisation est mesurée par l’avantage relatif du capital-risqueur dans son industrie de
spécialité
δj
δk
=
r j −rk
rk −r ,
et celle de la diversification par la corrélation entre les investissements
dans la même industrie corii =
covii
.
σ2
Enfin dans les conditions opposées,
δj
δk
À 2 N, qui correspondent à un portefeuille de petite
taille et à un avantage relatif très élevé, on obtient :
n∗ ≈ 2 ∗
σ2
N
covii
Puisqu’un coefficient de corrélation est toujours inférieur à 1,
(4.10)
σ2
covii
> 1. Donc dans ces con-
ditions très particulières, le capital-risqueur effectue tous ses investissements dans son industrie
de spécialité.
δj
À 2 N ⇒ n∗ = N.
δk
4.4.3
(4.11)
Dynamique d’apprentissage
Dans ce modèle, les capital-risqueurs peuvent améliorer leur compétence par un mécanisme
de learning-by-doing à la Arrow (1962). Chaque investissement dans une industrie augmente
leur compétence dans cette industrie.
Nous définissons donc une fonction d’apprentissage reliant l’expérience dans une industrie,
c’est-à-dire le nombre d’investissement réalisés dans cette industrie, et le retour espéré dans
4.4. Le modèle
263
cette industrie. La dynamique est fortement dépendante du choix de cette fonction. Nous allons
donc étudier la dynamique résultant de l’apprentissage avec deux types de fonction d’apprentissage distinctes : non-bornée à rendements décroissants et bornée.
Pour la suite on définit :
ni (t) le nombre d’investissements réalisés dans l’industrie Ii (t) à la période t
0
Ni (t) = ∑t−1
t 0 =1 ni (t ) l’expérience accumulée dans l’industrie Ii à la période t.
ri (t) le retour espéré à la période t dans l’industrie Ii
δ(t) =
r j (t)−rk (t)
rk (t)−r
l’avantage relatif de l’industrie de spécialité I j par rapport aux industries Ik à
la période t
Avec ces définitions une fonction d’apprentissage est donc une fonction de la forme24
ri (t) = f (Ni (t))
(4.12)
Dans la suite nous allons considérer deux types de fonction d’apprentissage : une fonction
non-bornée à rendements décroissants et une fonction bornée.
24 Pour
des raisons de simplicité, nous ne prenons pas en compte dans ce modèle la composante générique de
la compétence du capital-risqueur. Un modèle plus général, dans l’esprit de Lindbeck & Snower (2000), serait de
considérer une fonction d’apprentissage de la forme :
ri (t) = f (Ni (t), ∑ Ni (t))
i
L’effet principal d’une telle extension serait d’engendrer un apprentissage dans toutes les industries même si le
capital-risqueur était complètement spécialisé. Cependant puisque dans notre modèle la volonté de diversification
suffit à enrichir la dynamique, la simplification se justifie. Néanmoins ce modèle pourrait constituer une extension
de l’étude présentée ici.
264
Chapitre 4. Spécialisation industrielle et diversification financière
4.5 Apprentissage non-borné à rendements décroissants
Le premier type de fonction d’apprentissage étudié est une fonction de production de connaissance à rendements décroissants de type Cobb-Douglas. Elle est non-bornée car le retour
espéré tend vers l’infini lorsque l’expérience tend vers l’infini.
ri (t) = β Ni (t)α , α < 1
(4.13)
La contrainte α < 1 n’est pas nécessaire, mais seul le cas des rendements décroissants est
intéressant. Il est clair qu’avec des rendements d’apprentissage croissants voire constants, l’apprentissage est plus rapide dans l’industrie de spécialité et que la dynamique produit un renforcement de la spécialisation.
Le capital-risqueur a un comportement rationnel limité. Il connaît le retour qu’il peut espérer
dans chaque industrie, ainsi que la matrice de variance/covariance des industries. Il investit
toujours dans le portefeuille optimal, mais sans anticiper l’effet de l’apprentissage. Ce qui nous
intéresse donc est le chemin suivi par un agent rationnel à courte vue, prenant à chaque période
la décision optimale pour cette période.
On considère la taille du portefeuille N, la variance des investissements σ2 et la covariance
des investissements dans une même industrie covii comme fixés. Sans perte de généralité on
considère le taux sans risque r comme nul. On considère aussi, en première approximation, que
la symétrie entre les industries Ik est maintenue. Cette dernière hypothèse sera levée par la suite.
Dans ces conditions, la dynamique est dirigée par le système suivant :

σ2

δ(t)
1 + 2 cov

ii


, N), 1) = n j (δ(t))
n j (t) = max(min(

1

2
+
δ(t)

N






 1

si
n j (t) < N


n
(t)
=

k


 0 sinon
(4.14)
4.5. Apprentissage non-borné à rendements décroissants
265
4.5.1 Analyse formelle
Afin d’étudier la dynamique de ce système, il est utile d’établir la proposition suivante. (Les
démonstrations des propositions sont fournies en annexe à la fin du chapitre)
Proposition 4.1. n j (t) est une fonction strictement croissante de δ(t).
D’après la proposition 4.1, la dynamique de n j (t) suit donc celle de δ(t). On peut ainsi
déterminer le point fixe n̂ j de cette dynamique.
βN j (t)α − βNk (t)α
δ(t) =
=
βNk (t)α
(
δ(t + 1) =
N j (t) + n̂ j
Nk (t) + 1
n̂ j =
)α
(
(
−1 =
N j (t)
Nk (t)
N j (t)
Nk (t)
)α
)α
−1
− 1 = δ(t)
1
N j (t)
= (1 + δ(t)) α
Nk (t)
(4.15)
(4.16)
(4.17)
Cette relation doit être vérifiée en particulier en t = 0. Or ce sont les conditions initiales qui
fixent n j (0). L’existence d’un point fixe dépend donc de ces conditions initiales.

1


 n̂ j = (1 + δ(0)) α
σ2
δ(0)
1 + 2 cov
ii


 n̂ j =
1
2 + N δ(0)
(4.18)
A conditions initiales données, le point fixe n’existe donc que pour une valeur particulière
des rendements de l’apprentissage α̂.
α̂ =
ln(1 + δ(0))
)
(
)
1
ln 1 + 2
δ(0) − ln 2 + δ(0)
covii
N
(
σ2
(4.19)
α̂ est donc la valeur critique des rendements de l’apprentissage pour laquelle la composition
industrielle du portefeuille du capital-risqueur reste inchangée au cours du temps.
Chapitre 4. Spécialisation industrielle et diversification financière
266
1.8
corr = 1
corr = 0.9
corr = 0.8
corr = 0.7
corr = 0.6
corr = 0.5
corr = 0.4
corr = 0.3
corr = 0.2
corr = 0.1
1.6
alpha critique
1.4
1.2
1
0.8
0.6
0.4
0.2
0
10
20
30
40
50 60
delta(0)
70
80
90
100
F IG . 4.7: Valeur critique des rendements de l’apprentissage en fonction de l’avantage comparatif à l’origine δ(0), pour des valeurs de la corrélation des investissements dans la même
industrie corrii =
covii
σ2
prises entre 0.1 et 1, avec une taille de portefeuille fixe N = 100
La Figure 4.7 montre l’évolution de cette valeur critique en fonction de l’avantage comparatif initial δ(0), pour des valeurs de la corrélation des investissements dans la même industrie
ii
corrii = cov
. La valeur critique est croissante et tend vers l’infini lorsque δ(0) tend vers l’infini,
σ2
mais largement inférieure à 1 pour des valeurs plus raisonnables (δ(0) < 10) pour peu que la
corrélation au sein d’une même industrie soit inférieure à 0.7.
Pour les autres valeurs des rendements de l’apprentissage α, la dynamique est elle aussi
complètement déterminée par les conditions initiales. Ce résultat est établi à partir des deux
propositions suivantes.
Proposition 4.2. La dynamique de n j (t) est monotone :

 n (t) > n (t − 1) ⇒ n (t + 1) > n (t)
j
j
j
j
 n (t) < n (t − 1) ⇒ n (t + 1) < n (t)
j
j
j
j
Proposition 4.3. n j (t) est une fonction croissante de α.
4.5. Apprentissage non-borné à rendements décroissants
267
Puisque la dynamique de n(t) est monotone (Proposition 4.2), les conditions initiales fixent
le sens de l’évolution de la composition du portefeuille vers une plus grande spécialisation ou
une plus grande diversification. Puisque n j (t) est une fonction croissante de α (Proposition 4.3),
on en déduit la dynamique suivante :



α > α̂ n j (t) est croissante


α = α̂ n j (t) = n̂ j



 α < α̂ n (t) est décroissante
j
(4.20)
Dans le cas d’une fonction d’apprentissage non bornée à rendements décroissants, la dynamique dépend donc des conditions initiales et des rendements de l’apprentissage. Si les rendements sont faiblement décroissants (α > α̂), la dynamique d’apprentissage conduit à une
spécialisation du capital-risqueur. Au contraire si les rendements sont fortement décroissants
(α < α̂) la dynamique conduit à une plus grande diversification.
Nous avons donc établit le résultat suivant.
Résultat 4.3 (Dynamique de la composition industrielle du portefeuille des capital-risqueurs).
Supposons les capital-risqueurs dotés d’une capacité d’apprentissage et optimisant à chaque
période leur profit à court terme. Alors lorsque la fonction d’apprentissage est non-bornée
à rendements décroissants, la concentration du portefeuille du capital-risqueur suit une dynamique monotone. Lorsque les rendements sont faiblement décroissants (proches de rendements constants), le capital-risqueur aura tendance à se spécialiser davantage jusqu’à concentrer tous ses investissements dans une seule industrie. Lorsque les rendements sont fortement
décroissants, le capital-risqueur tend au contraire à diversifier son portefeuille complètement.
4.5.2 Simulations numériques
La simulation numérique permet une visualisation des trajectoires prédites par l’analyse
précédente. Nous allons lancer deux types de simulations. La première est une simulation de la
dynamique étudiée formellement, c’est-à-dire la dynamique de la composition du portefeuille
n∗ (t) obtenue par l’équation (4.6) avec les mêmes hypothèses. La seconde est une simulation
où le portefeuille du capital-risqueur est déterminé par optimisation numérique en levant l’hypothèse de symétrie des industries autres que celle de spécialité Ik .
Chapitre 4. Spécialisation industrielle et diversification financière
268
Dynamique du portefeuille optimal formel
La Figure 4.8 présente les trajectoires de la proportion du nombre d’investissements dans le
portefeuille p(t) =
n j (t)
N
en fonction du temps pour différentes valeurs de α.
Ces trajectoires sont obtenues dans les conditions suivantes :
– N = 100 investissements dans le portefeuille
– σ2 = 1 et covii = 0.25, soit une corrélation de 0.25 entre les retours d’une même industrie.
– r j (0) = 0.25 et rk (0) = 0.05 soit δ(0) = 4.
– α varie entre 0.1 et 1
– β = 0.05
– N j (0) et Nk (0) sont déterminés à partir de r j (0) et rk (0) en inversant l’équation (4.13) :
(
Ni (0) =
ri (0)
β
)1
α
Dans ces conditions la valeur limite pour α est :
α̂ =
ln(1 + δ(0))
(
)
(
) = 0.568
σ2
1
ln 1 + 2
δ(0) − ln 2 + δ(0)
covii
N
Sur la Figure 4.8, on vérifie bien que lorsque α = α̂ la proportion d’investissements dans
l’industrie de spécialité reste constante au cours du temps. Pour les valeurs d’α supérieures à
α̂, la proportion augmente d’autant plus rapidement qu’α est proche de 1 jusqu’à saturation
lorsque tout le portefeuille est investi dans l’industrie de spécialité. Au contraire lorsque α est
inférieur à α̂, la proportion d’investissements dans l’industrie de spécialité décroît mais assez
lentement. Cela s’explique car le rattrapage par les autres industries se fait lorsque les retours
de l’apprentissage sont les plus faibles. Le rattrapage est donc nécessairement plus lent. Les
résultats sont qualitativement identiques avec d’autres conditions de simulations.
Dynamique du portefeuille optimal calculé par optimisation numérique
La simulation numérique permet de lever l’hypothèse simplificatrice utilisée pour l’analyse
formelle, celle de la symétrie entre les industries autres que celle de spécialité. Cette hypothèse
4.5. Apprentissage non-borné à rendements décroissants
269
1
alpha = 1
alpha = 0.9
alpha = 0.8
alpha = 0.7
alpha = 0.6
alpha = 0.568
alpha = 0.5
alpha = 0.4
alpha = 0.3
alpha = 0.2
alpha = 0.1
proportion
0.8
0.6
0.4
0.2
0
0
10
20
30
40 50 60
periode
70
80
90 100
F IG . 4.8: Evolution de la proportion du portefeuille du capital-risqueur investi dans son industrie de spécialité avec l’apprentissage
1
alpha = 1
alpha = 0.9
alpha = 0.8
alpha = 0.7
alpha = 0.6
alpha = 0.568
alpha = 0.5
alpha = 0.4
alpha = 0.3
alpha = 0.2
alpha = 0.1
proportion
0.8
0.6
0.4
0.2
0
0
10
20
30
40
50
60
70
80
90 100
periode
F IG . 4.9: Evolution de la proportion du portefeuille du capital-risqueur investi dans son industrie de spécialité avec l’apprentissage, lorsque les industries sont hétérogènes et que le
portefeuille optimal est déterminé avec un algorithme génétique
270
Chapitre 4. Spécialisation industrielle et diversification financière
de symétrie est en effet violée dès lors que le capital-risqueur n’investit pas dans toutes les
industries Ik , ce qui est tout le temps le cas car il n’investit que dans N − n∗ (t) d’entre elles.
Cependant lorsque n∗ (t) est croissant, la symétrie est respectée entre les industries Ik dans
lesquelles le capital-risqueur investit effectivement. En voici la démonstration par un exemple
simple. Admettons que le capital-risqueur fasse 10 investissements parmi 10 industries et que
n∗ (0) = 4 et n∗ (1) = 5. Après la première période voici l’expérience acquise par le capitalrisqueur dans chaque industrie (j=1, k=2..10) :
experience(1) = (4, 1, 1, 1, 1, 1, 1, 0, 0, 0)
Le capital-risqueur a bien augmenté son expérience de 4 dans son industrie de spécialité, et
de 1 seulement dans les 6 autres industries nécessaires à compléter son portefeuille. Il n’a donc
pas acquis d’expérience dans les trois dernières industries. Cependant cela n’a pas d’importance,
car le modèle prédit qu’avec une expérience de 4 dans l’industrie de spécialité, et de 1 dans les
autres, le capital-risqueur va faire 5 investissements dans son industrie de spécialité, et donc
5 investissements dans les industries où l’expérience est de 1. Comme il y a 6 industries dans
lesquelles le capital-risqueur possède effectivement une expérience de 1, il peut réaliser son
portefeuille optimal, et l’expérience acquise devient.
experience(2) = (9, 2, 2, 2, 2, 2, 1, 0, 0, 0)
Si n∗ (t) est croissant tout se passe donc comme si l’ensemble des industries Ik était réduit à
chaque période aux industries dans lesquelles le capital-risqueur a effectivement investi et ces
dernières restent bien symétriques.
Par contre si n∗ (t) est décroissant l’hypothèse de symétrie est indéniablement fausse. Si
on reprend l’exemple précédent avec ce coup-ci, n(0)=4 et n(1)=3. A la deuxième période, le
capital-risqueur souhaite réaliser 7 investissements dans les industries où il possède une expérience de 1, or ce n’est le cas que pour 6 d’entre elles. Le capital-risqueur ne peut donc pas réaliser
son portefeuille optimal, qui doit donc être recalculé en prenant en compte l’hétérogénéité des
industries Ik . Admettons que ce second portefeuille optimal comprenne 3 investissements dans
l’industrie de spécialité, 6 dans des industries avec 1 investissement d’expérience, et 1 dans les
4.5. Apprentissage non-borné à rendements décroissants
271
autres, l’expérience acquise devient :
experience(2) = (7, 2, 2, 2, 2, 2, 2, 1, 0, 0)
Dans ce cas, non seulement l’hypothèse de symétrie est violée, mais en plus l’hétérogénéité
des industries Ik augmente.
Pour calculer le portefeuille optimal dans le cas où n∗ (t) est décroissant, il faut donc prendre
en compte l’hétérogénéité des autres industries. Le ratio de Sharpe du modèle complet, avec
toutes les industries hétérogènes devient alors :
S= √
N
∑i ni ri
i ni (ni − 1) covii
σ2 + ∑
(4.21)
Et l’investissement optimal dans chaque industrie devient :
ni =
covii ∑k6=i nk rk + 2 covii ri ∑k6=i nk (nk − 1) + 2 N ri σ2
2 covii ∑k6=i nk rk + covii ri
(4.22)
On obtient donc un système non-linéaire à N équations, non soluble analytiquement. La simulation permet de déterminer numériquement la solution optimale à chaque période et d’étudier
l’impact de l’hypothèse simplificatrice sur les résultats.
Afin de calculer le portefeuille optimal à chaque période, nous utilisons un algorithme génétique. Les algorithmes génétiques sont des algorithmes d’optimisation très puissants et très
génériques. A la différence d’autres algorithmes comme les descentes de gradients, ils ne nécessitent aucune restriction sur la fonction à optimiser, qui peut être en l’occurrence définie
uniquement sur les entiers comme c’est le cas ici.
Un algorithme génétique ne demande qu’une représentation de la variable à optimiser sous
forme de gènes, et une fonction à optimiser. Nous avons déjà la fonction à optimiser, il s’agit du
le ratio de Sharpe. Il ne reste donc plus qu’à décrire le portefeuille sous forme de gène. Celui-ci
sera représenté par N gènes prenant pour valeur l’indice de l’industrie dans lequel le n-ème
investissement est réalisé. Cette forme permet de générer et de croiser facilement les individus.
Pour calculer le ratio de Sharpe, le génotype est converti en phénotype, en comptant le nombre
d’investissements dans chaque industrie.
Par exemple toujours pour N = 10, un portefeuille peut avoir le génotype suivant :
genotype = (1, 2, 1, 3, 1, 4, 5, 6, 7, 1)
272
Chapitre 4. Spécialisation industrielle et diversification financière
Ce qui se traduit par le phénotype suivant :
phenotype = (4, 1, 1, 1, 1, 1, 0, 0, 0)
On reconnaît ici le portefeuille optimal de tout à l’heure. Nous ne rentrerons pas plus dans
les détails de l’algorithme génétique25 utilisé car seule nous importe sa capacité à déterminer
le portefeuille optimal rapidement. Sous cette forme l’algorithme génétique converge vers le
portefeuille optimal en 100 itérations avec une population de 100 individus.
La Figure 4.9 montre les trajectoires obtenues en déterminant le portefeuille optimal avec
l’algorithme génétique dans les mêmes conditions que les simulations précédentes. On constate
que les trajectoires sont identiques, non seulement pour les valeurs d’α supérieures ou égales à
α̂ ce qui est normal, mais aussi pour celles inférieures. Il n’y a donc pas de différences qualitatives entre les trajectoires obtenues avec ou sans l’hypothèse de symétries des industries autres
que celle de spécialité. Cette seconde simulation permet donc d’établir la validité des résultats
obtenus par l’analyse avec l’hypothèse de symétrie.
Principaux Résultats
Dans le cas d’une fonction d’apprentissage non-bornée à rendement décroissant, l’analyse a
permis de déterminer le point fixe de la dynamique de la répartition du portefeuille du capitalrisqueur entre son industrie de spécialité et les autres, ainsi que d’établir la monotonie des
autres trajectoires. Les conditions initiales déterminent une valeur critique pour les rendements
d’échelles pour laquelle la composition du portefeuille reste constante au cours du temps. Si
les rendements sont faiblement décroissants, supérieurs à la valeur critique, la dynamique d’apprentissage conduit à une spécialisation du capital-risqueur. Au contraire si les rendements sont
fortement décroissants, inférieurs à la valeur critique, la dynamique conduit à plus grande diversification. La dynamique engendrée par l’apprentissage sur la concentration du portefeuille
du capital-risqueur est donc ambiguë.
25 Les paramètres utilisés pour l’algorithme génétique sont les suivants : taux de croisement 0.9, taux de mutation
0.1, sélection des parents par tirage aléatoire proportionnel à leur score d’adaptation (roulette), croisement des
génomes en deux points
4.6. Apprentissage borné
273
4.6 Apprentissage borné
Le second type de fonction d’apprentissage étudié est une fonction croissante bornée. C’està-dire que l’apprentissage permet de s’approcher d’un retour maximum indépassable. Un tel
type de fonction a aussi des rendements décroissants, mais la borne supérieure impose une
contrainte supplémentaire à l’apprentissage ce qui modifie la dynamique.
ri (t) = r̄ (1 − e−α Ni (t) ), α > 0
(4.23)
Ici r̄ est le retour espéré maximum, et α la vitesse d’apprentissage. Mis à part le changement de fonction d’apprentissage on se place dans les mêmes conditions que précédemment. Le
système dynamique est donc le même (4.14), et la proposition 4.1 qui stipule que n j (t) est une
fonction croissante de δ(t) tient toujours.
4.6.1 Analyse formelle
Grâce à la proposition 4.1 on peut se focaliser sur la dynamique de δ(t) pour étudier celle
de n j (t). A partir de la définition de ri (t) (4.23) on obtient :
δ(t) =
r j (t) − rk (t) e−α Nk (t) − e−α N j (t)
=
rk (t)
1 − e−α Nk (t)
(4.24)
La première différence avec l’analyse précédente tient dans l’absence de point fixe. Puisque
ri est borné par r̄ on peut montrer la proposition suivante.
Proposition 4.4. S’il n’est pas complètement spécialisé, le capital-risqueur tend à se diversifier
complètement avec le temps.
Avec le temps la différence relative de retour entre l’industrie de spécialité et les autres industries devient très faible, ce qui pousse le capital-risqueur à se diversifier complètement. Ce
processus peut cependant être interrompu si à un instant donné le capital-risqueur est complètement spécialisé.
Cependant la dynamique menant à cette limite n’est pas forcément monotone. La proposition suivante montre dans quelles conditions la dynamique d’apprentissage peut mener à une
spécialisation à court terme, avant de se retourner vers une diversification complète.
Chapitre 4. Spécialisation industrielle et diversification financière
274
Proposition 4.5. Au premier ordre, le capital-risqueur tend à se spécialiser si :
r̄ − r j (t)
δ(t)
>
r̄
n j (t) − 1
et à se diversifier sinon.
σ
δ(t) est valable, le terme de droite ne dépend
Dans le cas où l’approximation n j (t) ≈ 12 + cov
ii
2
que faiblement de δ(t). (rappel : puisqu’il s’agit d’un coefficient de corrélation : 0 ≤
δ(t)
covii
covii 1
≈ 2 (1 + 2
)
n j (t) − 1
σ
σ 2 δ(t)
covii
σ2
≤ 1)
(4.25)
La dynamique dépend donc essentiellement de l’écart relatif entre le retour espéré dans
l’industrie de spécialité et le retour maximum. Le capital-risqueur tend donc à se spécialiser
lorsqu’il a encore beaucoup à apprendre dans son industrie de spécialité. Mais plus il apprend
plus il s’approche du retour maximum espéré. La diversification tend alors à devenir plus attractive.
On peut faire le parallèle avec l’analyse précédente si l’on considère qu’avec une fonction
bornée, les rendements de l’apprentissage sont de plus en plus décroissants au fur et à mesure
que l’on s’approche du retour maximum. Lorsque l’on est loin du maximum, les rendements
sont faiblement décroissants, et on tend donc à se spécialiser. Puis lorsque l’on s’approche du
maximum les rendements deviennent fortement décroissants et l’on tend alors à se diversifier.
Suivant les conditions initiales r j (0) est plus ou moins proche de r̄. Le capital-risqueur peut
donc passer dans une phase de spécialisation accrue avant de tendre vers une diversification
complète. Cette dernière est cependant inéluctable, à moins que le capital-risqueur ne se spécialise complètement.
La valeur limite de r j (0) qui détermine si le capital-risqueur passe par une phase de spécialisation est :
Soit :
(
δ(0)
r̂ j (0) = r̄ 1 −
n(0) − 1

)
(4.26)





δ(0)


r̂ j (0) = r̄ 1 − (

)
σ2


1 + 2 covii δ(0)


−1
1
2 + N δ(0)
(4.27)
4.6. Apprentissage borné
275
corr = 0.1
corr = 0.2
corr = 0.3
corr = 0.4
corr = 0.5
corr = 0.6
corr = 0.7
corr = 0.8
corr = 0.9
corr = 1
1.4
1.2
r0 critique
1
0.8
0.6
0.4
0.2
0
10
20
30
40
50 60
delta(0)
70
80
90
100
F IG . 4.10: Valeur critique du retour sur investissement initial dans l’industrie de spécialité
en fonction de l’avantage comparatif à l’origine δ(0), pour des valeurs de la corrélation des
investissements dans la même industrie
covii
σ2
prises entre 0.1 et 1, avec une taille de portefeuille
fixe N = 100 et un rendement maximum r̄ = 1
A court terme la dynamique est donc la suivante :

 r (0) < r̂ (0) n (t) est croissante
j
j
j
 r (0) >= r̂ (0) n (t) est décroissante
j
j
(4.28)
j
La Figure 4.10 permet de voir l’évolution du seuil critique pour le retour sur investissement
initial dans l’industrie de spécialité r̂ j (0) en fonction de l’avantage comparatif à l’origine δ(0).
On constate que le seuil est légèrement décroissant avec δ(0) et décroissant avec le degré de
corrélation
covii
,
σ2
ce qui est cohérent avec l’approximation de l’équation (4.25). Plus le seuil
est élevé plus la zone de spécialisation à court terme est grande. Les capital-risqueurs sont
donc d’autant plus incités à se spécialiser que qu’il leur reste beaucoup à apprendre et que la
corrélation est faible au sein d’une même industrie.
Chapitre 4. Spécialisation industrielle et diversification financière
276
Si la fonction d’apprentissage est bornée, nous avons donc établi le résultat suivant.
Résultat 4.4 (Dynamique de la composition industrielle du portefeuille des capital-risqueurs
(2)). Supposons les capital-risqueurs dotés d’une capacité d’apprentissage et optimisant à
chaque période leur profit à court terme. Alors lorsque la fonction d’apprentissages est bornée,
le capital-risqueur a toujours tendance à diversifier son portefeuille complètement à long terme.
A court terme cependant, il peut se spécialiser davantage si sa marge de progression est grande
dans son industrie de spécialité, c’est-à-dire s’il est encore loin de la performance maximum.
4.6.2
Simulations numériques
Comme précédemment, les simulations permettent de visualiser les trajectoires prédites par
l’analyse.
Les conditions choisies pour les simulations sont :
– N = 100 investissements dans le portefeuille
– σ2 = 1 et covii = 0.25, soit une corrélation de 0.25 entre les retours d’une même industrie.
– α = 0.002
– r̄ = 1
– δ(0) = 10
– r j (0) varie entre 0.05 et 0.9
– rk (0) =
r j (0)
1+δ(0)
– N j (0) et Nk (0) sont déterminés à partir de r j (0) et rk (0) en inversant l’équation (4.23) :
Ni (0) = −
1
ri (0)
ln(1 −
)
α
r̄
Dans ces conditions, la valeur limite de r j (0) pour laquelle le capital-risqueur passe par une
phase de spécialisation est :
r̂ j (0) = r̄(1 −
δ(0)
) = 0.73
n(0) − 1
(4.29)
La Figure 4.11 montre les trajectoires obtenues dans les conditions données. On observe
bien comme prévu des nettes phases de spécialisation suivies d’un retour vers une diversification complète lorsque r j 0 < r̂ j (0). Pour les autres courbes la diversification commence dès la
4.6. Apprentissage borné
277
1
r_j0 = 0.05
r_j0 = 0.1
r_j0 = 0.2
r_j0 = 0.3
r_j0 = 0.4
r_j0 = 0.5
r_j0 = 0.6
r_j0 = 0.7
r_j0 = 0.8
r_j0 = 0.9
proportion
0.8
0.6
0.4
0.2
0
0
10
20
30
40
50 60
periode
70
80
90
100
F IG . 4.11: Evolution de la proportion du portefeuille du capital-risqueur investi dans son industrie de spécialité avec l’apprentissage dans le cas d’une fonction d’apprentissage bornée
1
r_j0 = 0.05
r_j0 = 0.1
r_j0 = 0.2
r_j0 = 0.3
r_j0 = 0.4
r_j0 = 0.5
r_j0 = 0.6
r_j0 = 0.7
r_j0 = 0.8
r_j0 = 0.9
proportion
0.8
0.6
0.4
0.2
0
0
10
20
30
40
50
60
70
80
90
100
periode
F IG . 4.12: Evolution de la proportion du portefeuille du capital-risqueur investi dans son industrie de spécialité avec l’apprentissage dans le cas d’une fonction d’apprentissage bornée,
lorsque les industries sont hétérogènes et que le portefeuille optimal est déterminé avec un
algorithme génétique
278
Chapitre 4. Spécialisation industrielle et diversification financière
première période. Le cas r j (0) = 0.05 illustre la possibilité pour un capital-risqueur d’arriver à
une spécialisation complète. Dans ce cas le capital-risqueur demeure complètement spécialisé.
Il s’agit cependant d’un cas très particulier.
Toujours comme précédemment, la simulation permet de vérifier que l’hypothèse de symétrie
des industries autres que celle de spécialité ne perturbe pas les résultats de l’analyse. La Figure 4.12 montre donc les trajectoires obtenues lorsque les industries sont hétérogènes et que le
portefeuille optimal est déterminé numériquement par un algorithme génétique. On constate ici
aussi que les résultats ne sont pas affectés qualitativement.
On remarque cependant que les plateaux atteints lorsque la spécialisation est maximale
durent plus longtemps avec l’optimisation numérique plutôt qu’avec l’utilisation de la formule
issue de l’analyse pour déterminer le portefeuille optimal. Cela est sûrement dû à un effet de
discrétisation. En effet rien ne garantit dans l’analyse que le nombre optimal d’investissements
dans l’industrie de spécialité soit un nombre entier. On choisit donc arbitrairement dans ce cas
le nombre entier supérieur. Avec l’algorithme génétique, c’est l’heuristique qui fait l’arbitrage
entre les valeurs entières possibles, et l’arbitrage peut être différent. L’impact de cette erreur de
discrétisation est surtout sensible lorsque l’on est proche de la valeur critique pour r j et que les
variations sont faibles. Le choix arbitraire qui est fait pour le cas formel fait donc sortir plus vite
du plateau que ce qu’il faudrait si l’on prenait en compte uniquement des valeurs entières pour
les nombres d’investissements dans chaque industrie.
Malgré cela, la simulation avec une optimisation numérique qui prend en compte l’hétérogénéité
des industries valide la généralité des résultats obtenus par l’analyse : diversification complète à
long terme et possible spécialisation à court terme tant que r j (t) est inférieur à la valeur critique
r̂ j (0).
Principaux Résultats
Lorsque la fonction d’apprentissage est bornée, le capital-risqueur tend toujours à se diversifier à long terme. A court terme cependant, il peut passer par une phase de spécialisation
lorsque qu’il lui reste beaucoup à apprendre dans son industrie de spécialité. Eventuellement
cette phase de spécialisation peut mener à une spécialisation complète.
4.7. Conclusion
279
On peut comparer le cas d’une fonction d’apprentissage bornée à une fonction d’apprentissage à rendements décroissants dont la décroissance des rendements augmenterait avec l’expérience. Au début de son apprentissage, le capital-risqueur fait face à des rendements faiblement
décroissants et tend donc à se spécialiser. Puis la décroissance des rendements augmente, ce qui
diminue l’intérêt de la spécialisation et l’incite à se diversifier.
4.7 Conclusion
Dans ce chapitre nous avons étudié la répartition du portefeuille d’investissements du capitalrisqueur entre les différentes industries. Nous avions postulé que la décision du capital-risqueur
résulterait d’un compromis entre d’une part la spécificité industrielle de la compétence du
capital-risqueur qui l’incite à se spécialiser et d’autre part la logique financière d’assurance
contre le risque qui le pousse à se diversifier.
L’étude empirique de la composition des portefeuilles des capital-risqueurs a permis de
montrer que les capital-risqueurs concentrent leurs investissements dans un petit nombre d’industries et qu’ils sont spécialisés dans des industries différentes. Ce résultat confirme donc que
la spécificité industrielle de la compétence des capital-risqueurs les incitent à se spécialiser.
Cependant, nous avons aussi montré que les capital-risqueurs ont tendance à augmenter
la diversification de leurs investissements avec l’expérience. Globalement l’analyse empirique
illustre donc bien la tension entre spécialisation industrielle entre diversification financière. La
spécialisation semble dominer dans l’analyse statique, mais l’analyse dynamique indique que
les capital-risqueurs recherchent une plus grande diversification financière.
Nous avons ensuite proposé un modèle de décision d’investissement du capital-risqueur
basé sur la théorie classique du portefeuille optimal incorporant le rôle de la compétence spécifique du capital-risqueur. Dans ce modèle le compromis entre spécialisation et diversification se
traduit par un arbitrage entre avantage comparatif dans l’industrie de spécialité et degré de corrélation des retours attendus au sein d’une même industrie. Ce modèle nous a permis d’étudier
la dynamique induite sur la gestion du portefeuille du capital-risqueur par l’apprentissage de ce
dernier dans les industries où il investit.
280
Chapitre 4. Spécialisation industrielle et diversification financière
Le modèle montre que la dynamique résultante est ambiguë. Le cas général est conforme aux
observations empiriques : le capital-risqueur tend à se diversifier avec l’expérience. Cependant
lorsque la fonction d’apprentissage est non-bornée à rendements décroissants, l’apprentissage
peut mener à une spécialisation complète si les rendements sont faiblement décroissants. Dans
le cas d’une fonction d’apprentissage bornée, le capital-risqueur peut passer par une première
phase de spécialisation si sa marge de progression dans son industrie de spécialité est grande.
Eventuellement cette phase de spécialisation peut mener le capital-risqueur à se spécialiser
complètement dans son industrie de spécialité, auquel cas il demeure par la suite complètement
spécialisé. Dans tous les autres cas le capital-risqueur tend à se diversifier à long terme.
L’évidence empirique et le modèle théorique nous indiquent donc que la spécificité industrielle de la compétence des capital-risqueurs les incitent à se spécialiser, même au prix d’une
exposition au risque spécifique de leur industrie de spécialité. Cependant la volonté de réduire
leur exposition au risque pousse les capital-risqueurs à ne pas se spécialiser complètement.
Le modèle théorique nous indique alors que, si les rendements de l’expérience sont fortement
décroissants ou si la fonction d’apprentissage est bornée, l’expérience qu’ils gagnent en investissant dans d’autres industries leur permet à terme de mieux diversifier leur portefeuille.
Cela explique le résultat empirique d’une plus grande diversification des capital-risqueurs les
plus âgés.
4.8. Annexe : Démonstrations
281
4.8 Annexe : Démonstrations
Proposition 4.1. n j (t) est une fonction strictement croissante de δ(t).
Démonstration.
Or N > 1 et
σ
∂n j (t) N (2 N covii − 1)
=
∂δ(t)
(2 N + δ(t))2
2
σ2
covii
> 1, donc 2 N
σ2
covii
> 1 et
∂n j (t)
∂δ(t)
> 0.
Proposition 4.2. La dynamique de n j (t) est monotone :

 n (t) > n (t − 1) ⇒ n (t + 1) > n (t)
j
j
j
j
 n (t) < n (t − 1) ⇒ n (t + 1) < n (t)
j
j
j
j
Démonstration. La démonstration s’appuie sur les deux lemmes suivants.
Lemme 4.1.
δ j (t + 1) > δ j (t) ⇔ n j (t) >
N j (t)
Nk (t)
Démonstration. Ce lemme découle directement de (4.15)
Lemme 4.2. f (n) =
x+n a
y+n
est une fonction croissante si a > xy , et décroissante si a < xy .
Démonstration.
f 0 (n) =
a y−x
(y + n)2
Le signe de la dérivée de f (n) est donc celui de a − xy .
Si n j (t) > n j (t − 1) :
(
δ(t + 1) =
N j (t − 1) + n j (t) + n j (t − 1)
Nk (t − 1) + 2
(
δ(t + 1) >
N j (t − 1) + 2 n j (t − 1)
Nk (t − 1) + 2
)α
)α
−1
−1
Puisque n j (t) est une fonction croissante de δ j (t) :
n j (t) > n j (t − 1) ⇒ δ j (t) > δ j (t − 1)
Chapitre 4. Spécialisation industrielle et diversification financière
282
En utilisant le lemme (4.1) on en déduit :
n j (t − 1) >
N j (t − 1)
Nk (t − 1)
On peut donc utiliser le lemme (4.2) pour obtenir :
(
δ(t + 1) >
N j (t − 1) + n j (t − 1)
Nk (t − 1) + 1
)α
− 1 = δ(tx)
Et en utilisant la croissance de n j (t) en fonction de δ(t) on trouve :
δ(t + 1) > δ(t − 1) ⇒ n j (t + 1) > n j (t)
La démonstration est identique pour la relation opposée.
Proposition 4.3. n j (t) est une fonction croissante de α.
Démonstration. n j (t) est une fonction croissante de δ(t).
(
δ(t) =
N j (t)
Nk (t)
)α
−1
(
)(
)
N j (t)
N j (t) α
∂δ(t)
= ln
∂α
Nk (t)
Nk (t)
(
)
N (t)
Le signe de la dérivée dépend donc du signe de ln N j (t) . Or :
k
(
N j (t)
∀t, n j (t) ≥ 1 ⇒ N j (t) > Nk (t) ⇒ ln
Nk (t)
)
>0
δ(t) est une donc fonction croissante de α, et par conséquent n j (t) aussi.
Proposition 4.4. S’il n’est pas complètement spécialisé, le capital-risqueur tend à se diversifier
complètement avec le temps.
Démonstration. Si ∀t, n j (t) < N, alors :
lim N j (t) = lim ∑ n(t 0 ) = ∞
t→∞
t→∞
t0
4.8. Annexe : Démonstrations
283
lim Nk (t) = lim Nk (0) + t = ∞
t→∞
t→∞
Et donc :
e−α Nk (t) − e−α N j (t)
=0
t→∞
1 − e−α Nk (t)
lim δ(t) = lim
t→∞
Ce qui implique :
lim n j (t) = lim n j (t) = 1
δ(t)→0
t→∞
Proposition 4.5. Au premier ordre, le capital-risqueur tend à se spécialiser si :
r̄ − r j (t)
δ(t)
>
r̄
n j (t) − 1
et à se diversifier sinon.
Démonstration. n j (t) étant une fonction croissante de δ(t) sa dynamique suit celle de δ(t).
δ(t) =
e−α Nk (t) − e−α N j (t)
1 − e−α Nk (t)
Au premier ordre :
δ(t + 1) =
e−α (Nk (t)+1) − e−α (N j (t)+n) (1 − α) e−α Nk (t) − (1 − n α) e−α N j (t)
≈
1 − e−α (Nk (t)+1)
1 − (1 − α) e−α Nk (t)
On obtient alors :
δ(t + 1) − δ(t) ≈
(
)
α e−α (N j (t)+Nk (t)) n j (t) (e α Nk (t) − 1) − (e α N j (t) − 1)
(1 − e−α Nk (t) )(1 − (1 − α) e−α Nk (t) )
δ(t) est donc croissante si et seulement si :
n j (t) (e α Nk (t) − 1) − (e α N j (t) − 1) > 0
Chapitre 4. Spécialisation industrielle et diversification financière
284
Si on inverse (4.23) on obtient :
Ni (t) = −
1
ri (t)
ri (t)
ln(1 −
) ⇒ e α Ni (t) − 1 =
α
r̄
r̄ − ri (t)
En remplaçant on trouve δ(t) croissante si et seulement si :
n j (t)
Et puisque rk (t) =
r j (t)
1+δ(t) ,
r j (t)
rk (t)
−
>0
r̄ − rk (t) r̄ − r j (t)
en remplaçant et réorganisant on obtient finalement :
r̄ − r j (t)
δ(t)
>
r̄
n j (t) − 1
Chapitre 5
Proximités et structure du réseau de
co-investissement
285
Chapitre 5. Proximités et structure du réseau de co-investissement
286
Sommaire
5.1
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 287
5.2
Un tour d’horizon de la littérature . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 288
5.3
Analyse empirique de la structure du réseau de co-investissement . . 295
5.4
5.3.1
Définition du réseau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 295
5.3.2
Caractérisation du réseau de co-investissement . . . . . . . . . . 296
5.3.3
Centralité et expérience . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 310
5.3.4
Proximités et communautés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 315
Modèle économétrique de la formation des liens . . . . . . . . . . . . 333
5.4.1
Le modèle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 333
5.4.2
Les données . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 336
5.4.3
Estimations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 339
5.5
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 349
5.6
Annexe : Réseaux types . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 352
5.1. Introduction
287
5.1 Introduction
Comme nous l’avons vu dans le chapitre 1, le co-investissement est une pratique courante
des capital-risqueurs, 64% des investissements en capital-risque sont des co-investissements
entre deux capital-risqueurs au moins. Les raisons essentielles de recourir au co-investissement
sont la volonté de diversification financière, la possibilité d’une meilleure sélection des start-ups
par la mise en commun des évaluations, et la valeur ajoutée apportée à la start-up par chaque
capital-risqueur (Brander et al. 2002). Sorenson & Stuart (2001) ajoutent une justification supplémentaire, la volonté d’investir hors de son champ d’investissement habituel en s’associant
avec un partenaire complémentaire. Mise à part la première raison purement financière, ces
raisons semblent suggérer que les capital-risqueurs recherchent une certaine compétence chez
leur partenaire de co-investissement.
Le co-investissement crée des liens forts entre les capital-risqueurs. En effet, un co-investissement implique une relation suivie et engageante entre les capital-risqueurs qui assument
ensemble une prise de risque importante et se côtoient jusqu’à ce que la start-up sorte, soit
plusieurs années. Co-investir crée donc un réseau de relations entre les capital-risqueurs. Nous
proposons ici d’étudier ces liens avec les outils d’analyse des réseaux sociaux. Nous mettons
ainsi en évidence la structure du réseau de co-investissement et explicitons leurs stratégies de
choix de partenaire de co-investissement.
Nous considérons dans ce qui suit que la recherche d’un partenaire compétent se heurte à
l’incertitude sur la compétence des partenaires potentiels. En effet la compétence des capitalrisqueurs étant essentiellement tacite, elle est difficile à évaluer directement. On peut alors se
demander à quelle source d’information extérieures le capital-risqueur va faire appel pour lever
cette incertitude, et si la proximité peut être considérée comme une telle source d’information.
Il est en effet plus facile pour un capital-risqueur d’évaluer des capital-risqueurs proches de
lui que lointains. Pour apporter des réponses à ces questions nous étudions trois proximités
différentes, la proximité géographique, la proximité industrielle et la proximité dans le réseau.
Nous montrons tout d’abord par l’analyse statique du réseau de co-investissement que ses
caractéristiques principales le différencie clairement d’un réseau aléatoire. Cela confirme que
les capital-risqueurs choisissent leur partenaire de façon stratégique.
Chapitre 5. Proximités et structure du réseau de co-investissement
288
Nous montrons ensuite que les capital-risqueurs les plus expérimentés sont aussi les plus
influents dans le réseau, ce qui indique une volonté des capital-risqueurs d’occuper une position
centrale dans le réseau. Nous montrons aussi l’existence de communautés par pays dans le
réseau de co-investissement européen, ce qui indique l’importance de la proximité culturelle
dans le choix du partenaire de co-investissement.
Nous montrons enfin par l’étude de la formation des liens dans le réseau que les capitalrisqueurs investissent préférentiellement avec des capital-risqueurs proches, et ce quelle que
soit la mesure de proximité testée. Cette effet de la proximité disparaît une fois le lien crée,
ce qui confirme le rôle de la proximité comme source d’information lorsque le partenaire est
inconnu.
Ce chapitre reprend et étend les résultats présentés dans l’article de Mas, Vignes & Weisbuch
(2008). Il est organisé comme suit. La section 2 motive cette étude et la positionne par rapport
à la littérature. La section 3 présente l’analyse des principales caractéristiques du réseau de coinvestissement. La section 4 présente l’analyse économétrique des déterminants de la formation
d’un lien entre deux capital-risqueurs.
5.2
Un tour d’horizon de la littérature
La littérature empirique sur le capital-risque fournit des explications à la pratique du coinvestissement26 mais peu de travaux se sont intéressés à la structure de l’organisation engendrée par le co-investissement, et à l’impact de cette structure sur le fonctionnement du marché.
Hochberg, Ljungqvist & Lu (2007) montrent dans une étude réalisée à partir des données
Venture Economics sur les investissements en capital-risque réalisés aux Etats-Unis entre 1980
et 2005 que les capital-risqueurs les plus centraux dans le réseau de co-investissement sont
aussi les plus performants. Cela indique qu’une position favorable dans le réseau constitue un
avantage pour le capital-risqueur. Cela montre aussi que le réseau de co-investissement joue un
rôle influent dans le fonctionnement du capital-risque.
Sorenson & Stuart (2001) montrent à partir d’une étude sur les investissements réalisés aux
Etats-Unis entre 1986 et 1998 que les capital-risqueurs ont tendance à investir localement et
26 Voir la section 1.7.5 qui présente les modalités et les justifications du co-investissement entre capital-risqueurs.
5.2. Un tour d’horizon de la littérature
289
dans les industries qu’ils connaissent le mieux. Cependant par le biais du co-investissement
les capital-risqueurs peuvent étendre leur champ d’investissement à celui de leur partenaire. Ils
montrent que les capital-risqueurs les plus centraux et ceux qui ont des partenaires habituels
proches de la start-up cible ont plus de chance d’investir loin, spatialement ou industriellement.
Ils montrent aussi une corrélation entre l’expérience du capital-risqueur et la centralité dans le
réseau, cependant ils montrent aussi que l’effet de la centralité domine celui de l’expérience.
En effet, lorsqu’elles sont prises en compte séparement l’expérience et la centralité influent
positivement sur la probabilité d’investir dans une start-up lointaine. Mais si elles sont prises en
compte toutes les deux, seul l’effet de la centralité reste significatif. Cela suggère d’une part, à
l’instar de Hochberg et al. (2007), qu’une position centrale dans le réseau offre un avantage au
capital-risqueur et d’autre part que le capital-risqueur est intéressé par avoir des partenaires qui
soient distants de lui afin de pouvoir dépasser son champ d’investissement usuel.
Enfin, Powell, White, Koput & Owen-Simth (2005) étudient les stratégies de formation des
liens employés par les acteurs des biotechnologies, start-ups, universités, capital-risqueurs et
grandes firmes pharmaceutiques. Ils montrent à partir de l’étude de 482 start-ups de biotechnologies entre 1988 et 1999, que celles-ci adoptent successivement différentes stratégies. Dans
l’ordre, (1) l’attachement préférentiel, qui consiste à choisir comme partenaire celui le plus
central dans le réseau, puis (2) l’homophilie, qui consiste à s’associer à ses semblables, (3)
l’imitation ou suivi de tendance, qui consiste à vouloir former les mêmes liens que ceux crées
par les autres, et enfin (4) la multi-connectivité, qui consiste à diversifier au maximum ses liens.
Ces résultats suggèrent que les acteurs souhaitent accéder au centre du réseau (attachement
préférentiel), que la proximité joue un rôle important dans la formation des liens (homophilie)
et que finalement ils préfèrent diversifier leurs liens, ce qui génère au final un réseau avec un
coeur très interconnecté caractérisé par de multiples chemins entre chaque paire d’acteur majeur.
De cette littérature empirique spécifique au capital-risque, on peut donc tirer deux faits
stylisés majeurs que nous chercherons à vérifier sur notre réseau. En premier lieu, une position
centrale dans le réseau apporte un avantage au capital-risqueur qui se traduit par une meilleure
performance. En second lieu, la proximité semble jouer un rôle important pour les capitalrisqueurs. Le sens de l’influence de la proximité est par contre ambigu, l’étude de Sorenson
290
Chapitre 5. Proximités et structure du réseau de co-investissement
& Stuart (2001) semble indiquer une préférence pour des partenaires éloignés afin de pouvoir
étendre le champ d’investissement, alors que Powell et al. (2005) indiquent une préférence pour
des partenaires proches (homophilie).
Casamata & Haritchabalet (2007) proposent un modèle théorique de la décision de coinvestir qui donne un rôle de premier plan à la compétence de sélection des capital-risqueurs.
Elles supposent que la décision de recourir au co-investissement dépend d’une part de l’amélioration de la sélection des start-ups obtenue en faisant appel à un second capital-risqueur, et
d’autre part de la possibilité de hold-up si le deuxième capital-risqueur décide de faire une offre pour investir seul dans la start-up. Elles déterminent alors en fonction des compétences des
deux capital-risqueurs les zones où le co-investissement est optimale en terme de collecte de
l’information puis en terme de profit pour le premier capital-risqueur. Elles montrent que, par
rapport à la décision optimale en terme de collecte de l’information, seuls les capital-risqueurs
les moins compétents décident d’avoir recours à la syndication et toujours avec des capitalrisqueurs beaucoup plus compétents qu’eux. Leur modèle permet aussi de déterminer l’incitation pour le premier capital-risqueur, considéré comme meneur de l’investissement, à s’investir personnellement dans la gestion de la start-up pour augmenter ses probabilités de succès.
Ce modèle montre donc l’importance de la compétence de sélection dans la décision de recourir au co-investissement mais considère la compétence des deux capital-risqueurs comme
une connaissance commune. Nos résultats tendent à montrer que c’est justement l’incertitude
sur compétence du partenaire potentiel qui contraint la décision de co-investir.
On peut distinguer deux courants principaux dans la littérature théorique sur la formation
des réseaux économiques27 . Le premier courant considère la formation des réseaux comme le
résultat d’une interaction stratégique entre les agents et mobilise donc les outils de la théorie des
jeux pour déterminer la structure des réseaux. Le second courant s’inspire de l’étude des réseaux
sociaux par les modèles stochastiques issus de la physique théorique. Ces modèles s’intéressent
surtout à caractériser les régimes de croissance des réseaux sociaux.
27 Nous
ne nous intéressons pas dans ce chapitre à littérature, abondante, sur les externalités de réseaux, mais
uniquement à celle consacrée à la formation et à la structure des réseaux économiques.
5.2. Un tour d’horizon de la littérature
291
L’approche stratégique de la formation des réseaux suppose que les agents économiques
peuvent choisir de former ou de supprimer des liens entre eux. Ils tirent leur utilité de leur accès
au réseau, c’est-à-dire des liens directs qu’ils forment avec les autres agents et aussi des liens
indirects avec les autres agents connectés au réseau, mais chaque lien a un coût. L’objectif est
de déterminer le réseau stable, au sens où plus aucun agent ne souhaite ni former ni supprimer
de lien, et souvent de le comparer au réseau efficace, c’est-à-dire celui qui maximise la somme
des utilités des agents.
Dans certains modèles, les réseaux sont des réseaux de connexion pure, ou de communication, où seul l’accès au réseau et l’accès à l’information qui y circule est importante. Par
exemple Jackson & Wolinsky (1996) considèrent un réseau collaboratif de connexion pure où
les deux agents doivent être d’accord pour former un lien. Le réseau efficace est alors soit vide
(pas de liens)28 , soit complet (tous les agents sont connectés entre eux)28 , soit une étoile (tous
les agents sont connectés à un même agent central)28 mais il n’est pas nécessairement stable.
Bala & Goyal (2000) considèrent des réseaux de communication non collaboratifs, c’est-à-dire
que les liens peuvent être formés à l’initiative d’un seul agent. Ils montrent que le réseau stable
est à la forme d’une roue (chaque agent reçoit un lien et émet un lien)28 dans le cas où l’information ne circule que dans un sens (vers l’initiateur du lien), et une étoile lorsque l’information
circule dans les deux sens. Ces réseaux sont aussi souvent efficaces.
Les autres types de réseaux considérés dans le cadre stratégique sont des réseaux qui servent
de support à des activités économiques. C’est le cas du modèle de collaboration scientifique
de Jackson & Wolinsky (1996), pour lequel le réseau stable est un ensemble de cliques (une
clique est un ensemble de noeuds complètement connectés)28 alors que le réseau efficace est
uniquement constitué de paires. Goyal & Moraga-Gonzalez (2001) considèrent eux un réseau
de collaboration de recherche et développement entre des firmes par ailleurs en compétition à la
Cournot. Ils montrent que le réseau symétrique stable est le réseau complet alors que le réseau
efficace est un réseau partiellement connecté (il y a un nombre optimal de liens par firmes qui est
inférieur au nombre de firmes sur le marché)28 . Enfin Goyal & Joshi (2003) étendent le travail
précédent à des cas asymétriques. Ils montrent que les réseaux stables sont soit des étoiles, soit
28 Voir
ture.
la Figure 5.20 à la fin du chapitre qui représente les formes de réseaux typiques évoquées dans la littéra-
Chapitre 5. Proximités et structure du réseau de co-investissement
292
des étoiles interconnectées (des étoiles dont les centres sont complètement connectés)28 soit ont
une architecture de groupe dominant (un groupe complètement connecté et les autres agents
isolés)28 .
Tous ces réseaux issus de l’analyse stratégique29 ont des structures stylisées, très éloignées
de la complexité des réseaux observés. Ils en possèdent cependant certaines caractéristiques.
Une étoile, l’une des formes de réseaux qui revient le plus souvent comme intermédiaire entre
le réseau complet et le réseau vide, est par exemple une version très stylisée d’une distribution
inégale des liens entre les agents. Goyal, Van der Leij & Moraga-Gonzalez (2006) ont montré
que le réseau de collaboration scientifique des économistes a une structure d’étoiles interconnectées. Cependant ces réseaux sont des réseaux statiques, alors que les réseaux ont aussi une
dimension dynamique non négligeable. Dans l’approche stratégique, les études dynamiques
s’intéressent surtout à vérifier la convergence vers les réseaux stables issus de l’analyse statique
(Watts 2001, Bala & Goyal 2000).
Le deuxième courant au contraire s’intéresse à la dynamique de croissance des réseaux sociaux. Le fait stylisé central de cette littérature est l’observation dans de nombreux réseaux de
distributions de degré (nombre de liens d’un noeud) suivant une loi de puissance (ou distribution de Pareto). Le modèle central est celui de Barabasi, Albert & Jeong (1999), il explique
l’émergence d’une distribution de degré en loi de puissance par une dynamique d’attachement
préférentiel dans un réseau en croissance : à chaque période de nouveaux noeuds sont ajoutés
au réseau ; ils créent des liens avec les anciens noeuds avec une probabilité proportionnelle au
degré de ceux-ci. Ce modèle a engendré une importante littérature 30 .
Parmi toutes ces études on peut signaler le travail de Vazquez (2003) qui montre que de
nombreux processus locaux de formation de liens (avec des voisins de voisins par exemple)
couplés à une dynamique de croissance induisent une dynamique d’attachement préférentiel à
la Barabasi et al. (1999). Il suggère donc qu’une logique de développement local, où la proximité joue un rôle prépondérant, permet de justifier l’attachement préférentiel qui est seulement
supposé chez Barabasi et al. (1999).
29 Voir
30 voir
aussi Jackson (2003) pour une revue de littérature plus complète.
Barabasi & Albert (2002) et Newman (2003) pour des revues très complètes
5.2. Un tour d’horizon de la littérature
293
Jackson & Rogers (2007) proposent un lien entre cette littérature et les réseaux observés en
économie, en proposant un modèle inspiré de Vazquez (2003), qui permet de reproduire certains
faits stylisés essentiels des réseaux sociaux en économie : (i) faible diamètre (tous les noeuds
sont proches les uns des autres), (ii) forte transitivité (les voisins d’un même noeud tendent à être
connectés entre eux), (iii) une distribution des degrés avec une queue lourde, (iv) un assortativité
positive (les noeuds bien connectés sont connectés entre eux, par ex : étoiles interconnectées),
(v) la transitivité est moins forte pour les liens les plus connectés. Leur modèle est basé sur une
dynamique de croissance en deux temps. Les nouveaux noeuds forment tout d’abord des liens
au hasard avec les anciens noeuds, puis ils forment des liens avec certains voisins de ces noeuds.
En faisant varier la proportion de liens formés au hasard et de liens formés par voisinage, ils
peuvent ajuster leur modèle à de nombreux réseaux déjà connus.
Afin de positionner le réseau de co-investissement par rapport à cette littérature théorique,
nous allons en caractériser la structure à l’aide des outils d’analyse des réseaux sociaux et la
comparer aux prédictions de ces modèles.
Plus récemment, Cowan, Jonard & Zimmermann (2006) ont proposé une analyse de la formation des réseaux de collaboration par la simulation. Ils étudient le réseau de collaboration en
recherche et développement entre des firmes qui font évoluer leur stock de connaissance. Le
choix du partenaire se fait par un mécanisme d’appariement bilatéral en fonction de l’apport
potentiel de chaque collaboration. Cet apport potentiel dépend de la fonction de production de
connaissance qui détermine un compromis entre proximité et complémentarité des stocks de
connaissance. Ce compromis représente l’idée qu’une collaboration est plus profitable lorsque
les deux partenaires possèdent une base de connaissance commune mais qu’ils ont aussi des
choses à s’apprendre mutuellement. Comme de plus la productivité d’une collaboration augmente avec chaque succès commun et que le stock de connaissance des deux partenaires tend
à se rapprocher, l’apport potentiel de chaque paire évolue dynamiquement au cours du temps
et modifie les collaborations qui se réalisent. En fonction des paramètres de la fonction de production de connaissance, ils montrent que la structure du réseau passe du réseau vide, chaque
firme innove séparement, à un réseau aléatoire en passant par une phase plus structurée où ils
observent des communautés de firmes.
294
Chapitre 5. Proximités et structure du réseau de co-investissement
La simulation offre donc une alternative pour étudier la formation des réseaux sociaux qui
présente l’avantage de permettre la modélisation de comportements complexes.
Enfin, Fafchamps, Goyal & Van der Leij (2008) proposent une étude économétrique de la
formation des liens dans le réseau de collaboration scientifique des économistes proche de la
nôtre. Ils étudient la formation des liens dans ce réseau avec une étude de panel en contrôlant
pour l’hétérogénéité de chaque paire. Ils estiment la variation de la probabilité de formation de
chaque paire avec l’évolution de réseau et l’expérience de chaque scientifique. Ils montrent que
la formation d’une collaboration est plus probable lorsque les scientifiques sont plus proches
dans le réseau de collaboration, et lorsque qu’ils ont une expertise dans des domaines scientifiques semblables. L’effet de ces variables disparaît une fois la paire est formée, ce qui indique
que la proximité dans le réseau et celle des expertises est essentiellement utile pour évaluer la
qualité potentielle de la collaboration lorsque le partenaire est inconnu. Ces résultats, réalisés
avec une autre méthode économetrique et d’autres données mais avec une approche identique à
la nôtre sont comparables à ceux que nous obtenons.
Dans ce chapitre nous étudions donc d’une part les caractéristiques du réseau de co-investissement et d’autre part les déterminants de la formation de ce réseau. En particulier, nous
étudierons le rôle de différentes proximités, géographique, industrielle et proximité dans le
réseau, sur la formation d’un lien entre deux capital-risqueurs. On a vu que l’influence de la
proximité entre les capital-risqueurs est a priori ambiguë. Dans la logique de Sorenson & Stuart
(2001), le réseau de co-investissement permet au capital-risqueur d’investir hors de son champ
habituel. Dans ces conditions le capital-risqueur doit plutôt rechercher des partenaires qui lui
sont complémentaires plutôt que similaires. Mais la prise en compte de la compétence des
capital-risqueurs mène à une conclusion opposée qui penche plutôt du côté de Powell et al.
(2005). En effet, Casamata & Haritchabalet (2007) ont montré l’importance de la compétence
de sélection des capital-risqueurs dans la décision de recourir au co-investissement. Or cette
compétence n’est pas forcément une connaissance commune. Dans ce cas, le choix d’un partenaire se fera plutôt en faveur d’un partenaire proche, que l’on connaît déjà ou dont on peut
plus facilement estimer la compétence. La mise en évidence d’un effet positif ou négatif de la
5.3. Analyse empirique de la structure du réseau de co-investissement
295
proximité sur la formation du réseau de co-investissement permettra donc de trancher entre ces
deux hypothèses.
5.3 Analyse empirique de la structure du réseau de co-investissement
Dans cette section, nous analysons le réseau de co-investissement obtenu à partir de nos
données avec différents outils d’analyse des réseaux sociaux. Ces analyses permettent de caractériser l’organisation du réseau, et de donner des intuitions sur son mécanisme de formation.
Nous montrons tout d’abord que les statistiques structurelles du réseau de co-investissement
le différencient clairement d’un réseau aléatoire, ce qui indique un comportement stratégique
des capital-risqueurs dans le choix de leur partenaire.
Nous montrons ensuite que les capital-risqueurs les plus expérimentés sont aussi les plus
influents dans le réseau, ce qui indique une volonté des capital-risqueurs d’occuper une place
centrale dans le réseau de co-investissement.
Nous montrons enfin que les seules communautés détectables dans le réseau sont des communautés par pays dans le réseau d’Europe de l’ouest, ce qui indique l’importance de la proximité culturelle dans la formation des liens de co-investissement.
5.3.1 Définition du réseau
Le réseau que nous considérons dans ce chapitre est le réseau formé par les co-investissements
entre capital-risqueurs. Nous considérons donc un réseau homogène dont les noeuds sont les
capital-risqueurs et les liens les relations de co-investissement.
L’interaction entre deux capital-risqueurs qui investissent ensemble est bi-directionnelle,
pour cette raison nous considérons que les liens résultant d’un co-investissement ne sont pas
orientés. Cela implique aussi que l’existence d’un lien résulte d’un agrément mutuel, on ne peut
pas forcer un capital-risqueur à prendre part à un investissement contre son gré.
Un co-investissement peut impliquer plus de deux capital-risqueurs, cependant nous ne considérons que des liens par paires. Un même co-investissement peut donc générer plusieurs liens,
Chapitre 5. Proximités et structure du réseau de co-investissement
296
autant que de paires pouvant être constituées entre les capital-risqueurs qui participent au tour
de table.
Enfin, afin de mesurer l’intensité de la relation entre les capital-risqueurs, nous attribuons
un poids à chaque lien. La mesure la plus naturelle pour l’intensité de la relation serait le montant investi par chacun dans les investissements réalisés en commun. Cependant puisque les
capital-risqueurs réalisent leurs investissements dans les start-ups par étapes, et généralement
participent à tous les tours de tables suivant leur premier investissement, un investissement initial dans une start-up peut donc générer mécaniquement plusieurs co-investissement successifs
et ainsi gonfler le poids du lien. Or nous souhaitons mesurer la volonté d’investir ensemble des
deux capital-risqueurs. Cette volonté se traduit par la décision de co-investir à nouveau dans une
nouvelle start-up. Nous mesurons donc l’intensité de la relation entre deux capital-risqueurs par
le nombre de start-ups différentes financées en commun31 .
Nous obtenons ainsi un réseau homogène de capital-risqueurs, reliés par des liens di-adiques
non orientés et pondérés par le nombre de start-ups différentes financées en commun.
Pour la suite, nous définissons les notations suivantes pour représenter un réseau r :
– N(r) est le nombre de noeuds du réseau
– les noeuds sont indexés par un entier entre 1 et N(r)
– R = {ri j } est la matrice d’adjacence du réseau r, ri j est une indicatrice qui vaut 1 si il y a
un lien entre le noeud i et le noeud j et 0 sinon
– W = {wi j } est la matrice des poids du réseau r, wi j est le poids du lien ri j
– L(r) = ∑i j ri j = ||R||| est donc le nombre de liens dans le réseau
– rii = 0, on ne considère que des liens entre des noeuds différents
5.3.2
Caractérisation du réseau de co-investissement
Dans cette première étape de l’analyse du réseau de co-investissement, nous allons caractériser sa structure par des statistiques représentatives. Pour chaque statistique utilisée, nous
commençons par en donner une définition et l’interprétation des valeurs qu’elle peut prendre.
Puis nous mesurons cette statistique sur notre réseau et nous interprétons la valeur mesurée.
31 Cependant le poids relatif des liens n’est pas trop modifié si l’on utilise le nombre ou le montant des investisse-
ments réalisés en commun.
5.3. Analyse empirique de la structure du réseau de co-investissement
297
Le réseau que nous étudions est construit avec toutes les données à notre disposition dans
la base, soit tous les investissements réalisés aux Etats-Unis, en Europe et en Israel entre 1990
et 2005. Afin de vérifier la robustesse des statistiques calculées sur le réseau complet, nous les
avons aussi calculées sur des sous-réseaux limités à une des trois régions du monde et/ou à
une industrie particulière ("Nouvelles technologies de l’information" (NTIC), "Santé" et "Commerce et Services").
Nous montrons tout d’abord que la distribution des degrés est log-normale, ce qui indique
que le mécanisme de formation des liens n’est pas aléatoire, mais qu’il ne suit pas non plus une
pure logique d’attachement préférentiel. Cependant une telle distribution indique tout de même
une forte hétérogénéité entre les agents dans le réseau.
Nous montrons ensuite que le réseau est assortatif, c’est-à-dire que les capital-risqueurs
ont tendance à co-investir avec des capital-risqueurs ayant autant de partenaires qu’eux. Le
réseau est de plus transitif, ce indique que les capital-risqueurs qui ont le même partenaire
de co-investissement sont souvent partenaires aussi, ce qui traduit une tendance à former des
communautés.
Enfin nous montrons que le diamètre du réseau de capital-risque est faible et presque constant pour tous les sous-réseaux, indépendamment de leur taille. Cela signifie que le capitalrisque est un ultra petit monde, dans lequel deux capital-risqueurs ne sont jamais séparés par
beaucoup de partenaires intermédiaires.
Distribution des degrés des noeuds
Degré Le degré d’un noeud dans un réseau est défini comme le nombre de liens du réseau ayant
ce noeud comme extrémité.
degre(i) = di = ∑ ri j
(5.1)
j
L’analyse de la distribution des degrés des noeuds du réseau permet de mesurer l’hétérogénéité
des noeuds dans le réseau et de donner une première intuition sur le mécanisme de formation
du réseau.
Chapitre 5. Proximités et structure du réseau de co-investissement
400
300
0
100
200
fréquence
500
600
700
298
0
100
200
300
400
500
degré
50
40
30
20
ajustement loi de poisson
60
F IG . 5.1: Histogramme de la distribution des degrés du réseau complet
0
100
200
300
400
500
distribution empirique
F IG . 5.2: Graphique quantile-quantile de la distribution empirique des degrés contre un ajustement par une loi de poisson.
299
5e−02
5e−04
5e−03
probabilité
5e−01
5.3. Analyse empirique de la structure du réseau de co-investissement
1
2
5
10
20
50 100
500
degré
F IG . 5.3: Fonction de répartition complémentaire de la distribution des degrés du réseau com-
0.15
0.00
0.05
0.10
densité
0.20
0.25
0.30
plet en double échelle logarithmique.
0
1
2
3
4
5
6
7
log(degré)
F IG . 5.4: Histogramme de la distribution du logarithme des degrés du réseau complet avec un
ajustement par une distribution log-normale.
300
Chapitre 5. Proximités et structure du réseau de co-investissement
En effet dans le cas d’un réseau purement aléatoire, où la probabilité d’observer un lien entre deux noeuds est constante et indépendante des noeuds considérés, la distribution des degrés
suit une loi de Poisson. A l’autre extrême, les réseaux libres d’échelle sont caractérisés par une
distribution des degrés qui suit une loi de puissance (distribution de Pareto). Une telle distribution signifie que la moyenne représente mal la population des agents, car ce sont surtout les
agents les plus extrêmes qui ont le plus d’influence. Cette absence de valeur typique (moyenne
ou médiane) implique qu’il n’y a pas d’échelle de valeur adéquate (1, 10−3 , 103 , ou autre...)
pour observer tous les agents influents, d’où le nom de ces réseaux.
Ces réseaux libres d’échelle sont typiquement des petits mondes, dans lequel quelques
noeuds très bien connectés font le lien entre tous les autres. Ces réseaux sont souvent le résultat d’un mécanisme d’attachement préférentiel, où la probabilité de former un nouveau lien
avec un noeud est proportionelle au degré de ce noeud. L’Internet est un exemple typique de
réseau libre d’échelle.
L’analyse de la distribution des degrés permet donc de discriminer entre une hétérogénéité
normale, issue d’un processus aléatoire de formation des liens, et une hétérogénéité atypique,
résultant d’un processus plus complexe.
La Figure 5.1 montre la distribution des degrés dans le réseau complet. Cette distribution
montre une forte hétérogénéité des noeuds, certains ont plus de 200 liens alors que le capitalrisqueur médian n’en a que 17. Cette distribution ne suit donc pas une loi de Poisson, ainsi
que le confirme le graphique quantile-quantile de la Figure 5.2. Cela nous indique déjà que le
processus de formation du réseau n’est pas aléatoire.
Les distributions en loi de puissance se détectent à l’aide du tracé de la fonction de répartition complémentaire en double échelle logarithmique. En effet la fonction de répartition de la
loi de puissance est F(x) = 1 − x−α , α > 0. En échelle double logarithmique on observe donc la
droite suivante :
log(1 − F(x)) = −α log(x)
(5.2)
La Figure 5.3 montre ce tracé pour la distribution des degrés du réseau de co-investissement
complet. Malgré la largeur de la distribution, la courbure du tracé indique que celle-ci ne suit
5.3. Analyse empirique de la structure du réseau de co-investissement
301
pas une loi de puissance. Il semblerait plutôt que la distribution des degrés suive une loi lognormale, comme le montre l’ajustement de la Figure 5.4.
Les résultats sont les mêmes si l’on considère la distribution des degrés des différents sousréseaux. Nous pouvons donc établir le résultat suivant.
Résultat 5.1. La distribution des degrés du réseau de co-investissement est log-normale. Ce
réseau n’est donc ni purement aléatoire, ni libre d’échelle. Les capital-risqueurs choisissent
donc leur partenaire de co-investissement de façon stratégique. Cette stratégie n’est cependant
pas une stratégie d’attachement préférentiel pure.
Distribution des poids des liens
Dans notre réseau, nous avons attribué des poids aux liens en fonction du nombre de startups différentes co-financées par les capital-risqueurs. Nous pouvons donc aussi caractériser la
distribution de ces poids. La Figure 5.5 montre l’histogramme de la distribution empirique, on
observe une grande disparité dans la distribution, qui semble plus marquée que pour les degrés
des noeuds.
La Figure 5.6 confirme cette impression en indiquant une distribution proche d’une loi de
puissance pour cette distribution des poids des liens, alors que celle des degrés était plutôt lognormale.
Ce type de distribution indique une dynamique auto-catalytique pour les poids des noeuds,
c’est-à-dire que les capital-risqueurs ont tendance à réinvestir d’autant plus avec un partenaire qu’ils ont déjà beaucoup investi avec lui. Il semblerait donc que la logique d’attachement
préférentiel soit plus pertinente au niveau du poids des liens que du nombre des liens (degré).
Résultat 5.2. La distribution des poids des liens suit une loi proche d’une loi de puissance. Les
capital-risqueurs ont donc tendance à investir d’autant plus souvent avec un partenaire qu’ils
ont déjà beaucoup co-investi avec lui.
Chapitre 5. Proximités et structure du réseau de co-investissement
10000
0
5000
fréquence
15000
20000
302
0
20
40
60
80
100
120
poids
5e−03
5e−05
5e−04
probabilité
5e−02
5e−01
F IG . 5.5: Histogramme de la distribution des poids des liens du réseau complet
1
2
5
10
20
50
100
poids
F IG . 5.6: Fonction de répartition complémentaire de la distribution des poids des liens du
réseau complet en double échelle logarithmique.
5.3. Analyse empirique de la structure du réseau de co-investissement
303
Densité, assortativité et transitivité
Au delà de la distribution des degrés et des poids des liens, la structure du réseau peut être
caractérisée par les statistiques suivantes : sa densité, son assortativité et sa transitivité.
Densité La densité mesure le rapport entre le nombre de liens dans le réseau et le nombre de
liens possibles.
densite(r) =
∑i j ri j
2 ∗ L(r)
=
N(r) (N(r) − 1)
∑i j 1
(5.3)
La densité donne la probabilité a priori qu’il y ait un lien entre deux noeuds du réseau
pris au hasard. La densité est une mesure du remplissage du réseau, un réseau complet où
tout le monde est connecté avec tout le monde a une densité de 1, un réseau sans aucun
lien a une densité nulle. (c.f. Figure 5.7)
Assortativité L’assortativité mesure la propension des noeuds à posséder des liens avec des
noeuds de même degré. Elle se mesure comme un coefficient de corrélation entre les
degrés des noeuds.
∑ r d ∑ r d
ij ij i ij ij j
∑i j ri j di d j −
L(r)
assortativite(r) = √
)2 √
)
(
(
∑i j ri j di
∑ i j ri j d j 2
2
2
∑i j ri j di − L(r)
∑i j ri j d j −
L(r)
(5.4)
L’assortativité est nulle si les degrés des deux noeuds à l’extrémité d’un même lien sont
indépendants, positive si les noeuds de même degré tendent à avoir des liens entre eux, et
négative si au contraire les noeuds très connectés tendent à avoir des liens avec des noeuds
peu connectés. En particulier les réseaux libres d’échelle issus de l’attachement préférentiel tendent à avoir une assortativité négative, car la logique d’attachement préférentiel
amène les noeuds peu connectés à n’avoir des liens qu’avec les noeuds les plus connectés. (c.f. Figure 5.8)
Transitivité La transitivité du réseau mesure la tendance du réseau à créer des communautés.
Elle se calcule comme la probabilité que deux noeuds ayant un lien avec un même noeud
ait aussi un lien entre eux : "les amis de mes amis sont mes amis". Formellement :
transitivite(r) =
∑ jk ri j rik r jk
1
∑
N(r) i ∑ jk ri j rik
(5.5)
304
Chapitre 5. Proximités et structure du réseau de co-investissement
La transitivité se compare à la densité du réseau. Si la transitivité est égale à la densité,
cela signifie que le fait d’avoir un voisin en commun n’influe pas sur la probabilité d’avoir
un lien entre deux noeuds. Si la transitivité est plus grande que la densité, cela signifie
que les noeuds ont tendance a former des communautés, en complétant le réseau dans
leur voisinage. Une transitivité de 1 correspond à un réseau composé de cliques, au sein
desquelles tout le monde est connecté à tout le monde mais sans contact avec les autres
cliques. (c.f. Figure 5.9)
Le Tableau 5.1 montrent les statistiques obtenues pour les sous-réseaux par région et/ou par
industrie et pour le réseau complet. Les statistiques sont très robustes à ces restrictions.
On constate premièrement que le réseau de co-investissement est très peu dense. La densité
moyenne est de l’ordre de 2%, avec un minimum à 0.82% et un maximum à 3.9%. On est
donc très loin d’un réseau complet. C’est un résultat logique si l’on considère que chaque lien
représente un investissement dans au moins une start-up. Les liens sont donc très coûteux pour
les capital-risqueurs, ils ne peuvent par conséquent pas investir avec tout le monde.
Contrairement aux réseaux issus d’une logique d’attachement préférentiel, l’assortativité
des réseaux est très nettement positive. Si l’on exclu le réseau ’Israel/Commerce’, seule exception à la règle mais aussi le plus petit réseau de l’échantillon, l’assortativité moyenne est de
l’ordre de 0.3, avec un minimum à 0.19 et un maximum à 0.42. Les capital-risqueurs ont donc
plutôt tendance à investir avec des capital-risqueurs de même poids dans le réseau.
Enfin la transitivité est nettement plus grande que la densité des réseaux, de l’ordre de dix
fois plus importante. La moyenne est de l’ordre de 0.3, avec un minimum à 0.2 et un maximum
à 0.4. Cela indique que les capital-risqueurs ont tendance a former des petites communautés de
capital-risqueurs qui investissent entre eux. Cependant la transitivité reste bien en dessous de 1,
ce qui indique aussi que ces communautés sont plutôt ouvertes.
Résultat 5.3. Le réseau de co-investissement est peu dense, assortatif et transitif. Les capitalrisqueurs n’investissent donc qu’avec un petit nombre de partenaires comparé au nombre de
capital-risqueurs en activité. Ils investissent plutôt avec des capital-risqueurs ayant autant de
partenaires qu’eux. Ils ont enfin tendance à former des communautés, deux capital-risqueurs
ayant un partenaire commun ont de forte chance d’être aussi partenaires.
5.3. Analyse empirique de la structure du réseau de co-investissement
Densite = 1
Densite = 0.5
Densite = 0.5
305
Densite = 0
F IG . 5.7: Exemple de réseaux de différentes densités. Avec 5 noeuds le nombre de liens maximum est de 10. Le réseau de gauche est complet, les deux réseaux du milieu n’ont que la moitié
des noeuds possible, et le dernier est vide.
Assortativite = −0.95
Assortativite = 0
Assortativite = 1
F IG . 5.8: Exemple de réseaux de différentes assortativités. Le réseau de gauche est antiassortatif, les noeuds de degré faible (1 ou 2) sont reliés aux noeuds de degré fort (4). Le
réseau du milieu est neutre vis à vis de l’assortativité, chaque noeud périphérique, de degré 2,
est relié à un autre noeud périphérique et à un noeud central, chaque noeud central, de degré
4, est relié à deux noeuds centraux et à deux noeuds périphériques. Enfin le réseau de droite est
purement assortatif, les deux groupes qui le composent sont homogènes en degré.
Chapitre 5. Proximités et structure du réseau de co-investissement
306
Région
Industrie
Noeuds
Liens
Densité
Israel
Assortativité Transitivité
Commerce
22
19
0.0822
-0.195
0.409
Israel
Santé
52
179
0.135
0.262
0.398
Israel
NTIC
67
330
0.149
0.246
0.401
Israel
Toutes les ind.
78
464
0.154
0.210
0.389
Europe
Commerce
252
410
0.0130
0.340
0.296
Europe
Santé
239
865
0.0304
0.275
0.294
Europe
NTIC
413
1178
0.0138
0.409
0.208
Europe
Toutes les ind.
518
2262
0.0169
0.424
0.222
Etats-Unis Commerce
779
4998
0.0165
0.280
0.209
Etats-Unis Santé
692
8355
0.0349
0.190
0.295
Etats-Unis NTIC
1049
18292
0.0333
0.276
0.289
Etats-Unis Toutes les ind.
1198
27796
0.0388
0.276
0.285
Monde
Commerce
1104
5899
0.00969
0.303
0.199
Monde
Santé
1018
10652
0.0205
0.254
0.278
Monde
NTIC
1570
22370
0.0182
0.328
0.268
Monde
Toutes les ind.
1825
34565
0.0207
0.330
0.263
TAB . 5.1: Statistiques caractéristiques pour les sous-réseaux de co-investissement par région
et/ou par industrie.
5.3. Analyse empirique de la structure du réseau de co-investissement
307
Ces statistiques sont très robustes puisqu’elles restent valables quel que soit sous-réseau
sélectionné. Elles constituent donc des caractéristiques essentielles du réseau de co-investissement.
Diamètre
Le diamètre d’un réseau mesure l’éloignement maximum entre deux noeuds du réseau. Il se
définit comme la longueur maximum du plus court chemin entre deux noeuds du réseau. (c.f.
Figure 5.10)
Le diamètre du réseau mesure donc la connectivité globale du réseau. Un petit diamètre est
la caractéristique des petits mondes, un réseau dans lequel chaque noeud est séparé de n’importe
quel autre noeud par peu d’intermédiaires. Un grand diamètre est au contraire caractéristique
d’un réseau très étendu dans lequel les noeuds peuvent être très éloignés les uns des autres.
La Figure 5.11 montre les diamètres des sous-réseaux de co-investissement en fonction de
leur taille (en nombre de capital-risqueurs). Quelle que soit la taille du réseau le diamètre est
petit. Il est de 8 pour à peu près tous les réseaux à part ceux d’Israel, qui sont les plus petits, et
ceux de l’industrie du commerce, qui sont parfois un peu plus étendus.
Généralement on considère comme des petits mondes des réseaux où le diamètre croît avec
le logarithme du nombre de noeuds, et comme des ultra-petits mondes ceux dont le diamètre
croît avec le logarithme du logarithme du nombre de noeuds. L’ajustement de ces points par
une fonction double logarithme (diametre ∼ log(log(nb.noeuds))) montre que le capital-risque
appartient plutôt à cette deuxième catégorie.
Dans cette perspective, le diamètre des réseaux israéliens apparaît donc comme normal. Les
autres réseaux suivent assez bien la fonction trouvée, seuls les réseaux européen et mondial de
l’industrie du commerce sont clairement des valeurs atypiques.
Le diamètre plus important des réseaux restreint à l’industrie du commerce semble donc
essentiellement lié à l’Europe. Sachant que l’industrie du commerce comprend essentiellement
des start-ups fondées pendant la bulle Internet, cela indique donc que durant la bulle les capitalrisqueurs européens on moins investi avec des capital-risqueurs distants.
Mis à part ces deux points, le diamètre de tous les autres réseaux est petit compatible avec
une augmentation faible du diamètre avec la taille des réseaux caractéristique des ultra petits
mondes.
Chapitre 5. Proximités et structure du réseau de co-investissement
308
Transitivite = 0
Transitivite = 0.5
Transitivite = 1
F IG . 5.9: Exemple de réseaux de différentes transitivités. Le réseau de gauche n’est pas transitif
du tout, deux voisins d’un même noeud ne sont jamais reliés. Le réseau central a une transitivité
intermédiaire. Par rapport au réseau de gauche on a relié entre eux les voisins qui désormais se
connaissent, mais les voisins de voisins eux ne se connaissent pas. Enfin le réseau de droite est
totalement transitif, tout réseau complet ou constitué de sous-réseaux complets (cliques) comme
c’est le cas ici est transitif.
Diametre = 7
Diametre = 4
Diametre = 2
Diametre = 2
F IG . 5.10: Exemple de réseaux de différentes diamètres. Le réseau de gauche est de diamètre
maximum (pour un réseau ne comprenant qu’un seul composant). Le deuxième réseau est un
roue, dont le diamètre est déjà nettement inférieur, enfin les deux derniers réseaux sont de
diamètre minimal (exception faite du diamètre 1, qui correspond au réseau complet).
16
Monde
Etats−Unis
Europe
Israel
309
10
8
diamètre
12
Région
14
5.3. Analyse empirique de la structure du réseau de co-investissement
6
Industries
4
Toutes
NTIC
Santé
Commerce
0
500
1000
1500
nombre de noeuds
F IG . 5.11: Diamètres des réseaux de co-investissement par Région et/ou par Industrie en fonction de leur taille mesurée par le nombre de noeuds du réseau. La forme des points indique
la région, la couleur des points l’industrie. La courbe correspond à un ajustement par une
fonction double logarithme (diametre ∼ log(log(nb.noeuds)))
Chapitre 5. Proximités et structure du réseau de co-investissement
310
Résultat 5.4. Le capital est un ultra-petit monde. Les capital-risqueurs ne sont jamais séparés
par beaucoup d’intermédiaires dans le réseau de co-investissement.
Fait remarquable de cette analyse, le diamètre du réseau reste faible au niveau international.
Il semble donc que les frontières n’empêchent pas les capital-risqueurs de former un réseau très
bien connecté au niveau mondial.
5.3.3
Centralité et expérience
Nous avons donc caractérisé la structure globale du réseau de co-investissement. Une autre
question clé dans l’analyse des réseaux sociaux est celle de savoir qui sont les agents les plus
influents dans le réseau. La centralité est la mesure qui permet de répondre à cette question.
Il existe plusieurs définitions de la centralité qui capturent différents aspects de l’influence
d’un noeud dans le réseau. Les deux premières d’entre elles, la centralité en degré et la centralité
de Bonacich, sont basés sur le nombre de connexions du noeud, et mesurent donc le poids du
noeud dans le réseau. Les deux autres, la centralité de proximité et la centralité d’intermédiation,
sont basées sur la notion de distance dans le réseau, et mesurent plutôt la qualité de la position
du noeud dans le réseau.
Nous montrons que dans le cas du réseau de co-investissement la centralité est très bien
corrélée à l’expérience du capital-risqueur. Cela indique que les capital-risqueurs tendent à atteindre une position de plus en plus influente dans le réseau avec l’expérience.
Centralité en degré Le degré est le nombre de liens dont une extrémité est le noeud considéré. C’est une mesure d’influence strictement locale, elle considère qu’un noeud avec
beaucoup de liens est un noeud influent dans le réseau.
degre(i) = ∑ ri j
(5.6)
j
Centralité de Bonacich Afin de prendre en compte la structure globale du réseau, Bonacich
(1987) a proposé une mesure alternative au degré brut. Le principe est qu’un noeud
est d’autant plus influent qu’il est connecté a d’autres noeuds influents. La centralité de
5.3. Analyse empirique de la structure du réseau de co-investissement
311
Bonacich est donc définie de façon récursive par l’expression suivante :
bonacich(i) = ei | ei = ∑ ri j e j
(5.7)
j
Soit sous forme matricielle, R = {ri j } :
λe=Re
(5.8)
La centralité de Bonacich se calcule donc à partir des composantes du premier vecteur
propre de la matrice d’adjacence R.
Centralité de proximité La centralité de proximité mesure avec quelle vitesse un noeud peut
contacter un autre noeud. Elle se calcule comme l’inverse de la distance moyenne entre
le noeud i et les autres noeuds du réseau. La distance dist(i, j) entre deux noeuds étant
définie comme la longueur du plus court chemin entre les deux noeuds.
proximite(i) =
N −1
∑ j dist(i, j)
(5.9)
Centralité d’intermédiation La centralité d’intermédiation mesure l’influence du noeud en
tant qu’intermédiaire entre les autres noeuds. Un noeud est d’autant plus influent qu’il est
un point de passage obligé pour de nombreux autres. Cette mesure est complémentaire
aux précédentes, car un noeud avec simplement deux liens mais qui relie deux communautés autrement séparées, joue un rôle essentiel dans le réseau qui n’est pas capturé par
les autres mesures. Soit geod( j, k) le nombre de chemins de longueur minimale reliant j à
k dans le réseau (géodésiques), et geod( j, i, k) le sous ensemble de ces chemins minimaux
qui passent par i :
intermediation(i) =
geod( j, i, k)
geod( j, k)
j6=i,k6=i,k6= j
∑
(5.10)
Ces différentes mesures sont illustrées par la Figure 5.12, où un exemple simple met en
relief les différentes notions de centralité couvertes par chacune.
Dans le réseau de co-investissement que nous avons construit, la centralité des capitalrisqueurs est très corrélée à leur expérience. Pour le mettre en évidence nous calculons la cor-
Chapitre 5. Proximités et structure du réseau de co-investissement
312
Degre
Bonacich
6
9
2
0
3
6
5
4
5
4
0
3
8
1
9
2
8
1
7
7
Intermediation
Proximite
6
9
2
0
3
1
6
5
4
9
2
0
3
8
1
7
5
4
8
7
F IG . 5.12: Illustrations des différentes mesures de centralité. La taille des cercles représentant les noeuds du réseau est proportionnelle à leur centralité. Pour la centralité en degré, les
noeuds de degré 3 ou plus ressortent. Pour la centralité de Bonacich, c’est la clique de gauche,
qui comprend un ensemble de noeuds bien connectés qui est le centre du réseau. Pour la centralité d’intermédiation, les points centraux sont les noeuds 0, 4 et 5, qui sont des points de
passage obligé lorsque l’on passe d’une extrémité du réseau à l’autre. Enfin pour la centralité
de proximité, les noeuds centraux sont ceux situés à mi-chemin des extrémités, ce qui inclut
notamment les noeuds 8 et 9, peu influents pour les autres mesures.
5.3. Analyse empirique de la structure du réseau de co-investissement
313
rélation entre l’expérience des capital-risqueurs et leur centralité sur des réseaux construits sur
des fenêtres temporelles de 5 années.
Si l’on observe des capital-risqueurs lors de l’année t. Leur expérience est mesurée comme
le nombre de start-up financées jusqu’à l’année t − 1. Les différentes mesures de centralité
sont mesurées sur des réseaux construits à partir des co-investissements réalisés entre t − 5 et
t − 1. Une telle construction se justifie car c’est à partir de ce type de données que l’on pourrait
estimer l’influence de l’expérience et de la centralité du capital-risqueur sur sa performance
pour l’année t.
La Figure 5.13 montre la corrélation obtenue entre les différentes mesures de centralité et
l’expérience des capital-risqueurs en fonction de la fenêtre temporelle utilisée.
On constate tout d’abord que le degré et la centralité de Bonacich sont presque parfaitement
corrélées à l’expérience du capital-risqueur (la corrélation est supérieure à 0.9), et ce quelles
que soient les années considérées. Cela montre que les capital-risqueurs tendent à occuper des
positions de plus en plus influentes avec l’expérience. Cette influence n’est pas seulement locale
comme on pouvait s’y attendre, mais aussi globale. En effet une grande expérience correspond
mécaniquement à un grand nombre de co-investissements et donc à un degré élevé. Mais de
plus les capital-risqueurs les plus expérimentés sont aussi très bien connectés entre eux.
La centralité de proximité est la moins corrélée avec l’expérience, on observe cependant
une remontée dans les années 2000. La moindre importance de la proximité est liée au faible
diamètre des réseaux de co-investissements. Comme tout les capital-risqueurs sont relativement
proche des autres, cette notion de centralité perd de son intérêt. Quant aux années 2000, le
regain de la proximité vient du grand nombre d’entrées de capital-risqueurs sur le marché, ce
qui allonge mécaniquement la distance entre les nouveaux entrants et les plus anciens. Il semble
que seuls les nouveaux entrants souffrent d’un trop grande distance aux autres capital-risqueurs.
Enfin la centralité d’intermédiation est elle légèrement moins corrélée à l’expérience que le
degré ou la centralité de Bonacich bien que le niveau de la corrélation reste élevé (supérieur à
0.7). On peut donc en déduire que la position d’intermédiaire n’est peut être pas recherchée en
tant que telle, mais qu’elle reste une caractéristique des capital-risqueurs les plus expérimentés.
Chapitre 5. Proximités et structure du réseau de co-investissement
0.5
1.0
degré
Bonacich
proximité
intermédiation
0.0
corrélation avec expérience
1.5
314
1990−1995
1995−2000
2000−2005
années
F IG . 5.13: Evolution de la corrélation entre les différentes mesures de centralité et l’expérience des capital-risqueurs. L’expérience comme la centralité sont des propriétés cumulatives
des capital-risqueurs. L’expérience est mesurée à partir des investissements réalisés dans les
années précédant l’année courante. De même la centralité des capital-risqueurs est calculé sur
des réseaux construits à partir des investissements réalisés dans les 5 années précédant l’année
courante.
5.3. Analyse empirique de la structure du réseau de co-investissement
315
Ces résultats restent qualitativement identiques si l’on change la fenêtre temporelle utilisé, et notamment si on utilise tous les investissements passés pour construire le réseau de coinvestissement plutôt que seulement les 5 dernières années.
Résultat 5.5. Les capital-risqueurs tendent à acquérir une position centrale avec l’expérience.
Cette position est à la fois centrale en terme de connectivité, les capital-risqueurs les plus
expérimentés sont bien connectés entre eux, et en terme d’intermédiation, les capital-risqueurs
les plus expérimentés servent de liens entre les autres capital-risqueurs.
Du fait de la corrélation importante entre centralité et expérience, et sachant que l’expérience
a un impact positif avéré sur la performance, nous ne pouvons étudier l’apport spécifique du
réseau à la performance des capital-risqueurs. Notre étude diffère donc de celle de Hochberg
et al. (2007) réalisée à partir de la base Venture Economics qui contient pourtant des données
similaires aux nôtres : les investissements en capital-risque aux Etats-Unis réalisés entre 1980
et 2005. Ils utilisent eux aussi une fenêtre temporelle de 5 années pour construire leurs réseaux,
et la même définition de l’expérience des capital-risqueurs. Ils ne rapportent cependant qu’une
corrélation modérée (de l’ordre de 0.4) entre expérience et centralité dans les réseaux de coinvestissement. Ils montrent alors qu’une position centrale dans le réseau à un impact positif sur
sa performance. Nous n’avons pas été capable d’identifier la source de cette divergence sur la
mesure de la corrélation entre centralité et expérience.
5.3.4 Proximités et communautés
Un dernier aspect important de l’analyse des réseaux sociaux est la recherche de communautés dans le réseau. Une communauté est définie comme un sous-réseau au sein duquel les
agents sont mieux connectés entre eux qu’avec les agents hors de la communauté. La communauté prototypique est la clique, au sein de laquelle tous les agents sont connectés entre eux.
La transitivité importante des réseaux de co-investissement trouvée précédemment, indique
une tendance au regroupement en communautés des capital-risqueurs. Nous allons donc essayer
de détecter ces communautés et de les caractériser.
Une tendance forte des réseaux sociaux est de se constituer par homophilie, c’est-à-dire que
les agents ont tendance à se lier avec ceux qui leur sont proches. Dans le cas du capital-risque la
316
Chapitre 5. Proximités et structure du réseau de co-investissement
proximité peut s’envisager suivant deux dimensions essentielles : géographique et industrielle.
Sorenson & Stuart (2001) ont notamment montré que les capital-risqueurs investissent plutôt
localement, c’est-à-dire dans des start-ups proches au sens de la distance géographique ou dans
des industries qu’ils connaissent bien. Ils montrent aussi que le co-investissement est un moyen
de dépasser la barrière de la distance dans les deux dimensions. Nous allons ici voir si les
proximités industrielles et géographiques ont un impact sur la structuration des réseaux de coinvestissement.
Pour identifier la tendance des capital-risqueurs à se structurer en communauté suivant leur
proximité, nous utilisons deux méthodes. La première s’appuie sur les algorithmes de visualisation des réseaux sociaux, qui disposent les noeuds dans un plan en fonction de leur proximité
dans le réseau. Plus deux noeuds sont bien connectés, plus ils sont proches. En identifiant le pays
d’origine ou l’industrie de spécialité du capital-risqueur par une couleur, on peut voir apparaître
des regroupements par proximité.
La seconde méthode s’appuie sur des algorithmes de détection de communautés dans les
réseaux sociaux. Une fois les communautés identifiées par ces algorithmes, nous mesurons la
similarité entre le découpage en communautés et la répartition par pays ou par industrie.
Nous montrons que les seules communautés détectées dans le réseau de co-investissement
sont des communautés par pays en Europe de l’ouest, ce qui indique l’importance de la proximité culturelle plutôt que géographique pour la formation de communautés. La proximité industrielle n’a qu’une influence faible et seulement dans le réseau des Etats-Unis.
Visualisation des communautés par proximité géographique et industrielle
L’algorithme utilisé pour visualiser le réseau est l’algorithme de Fruchterman & Reingold
(1991). C’est un algorithme basé sur un équilibre de forces. Les noeuds du réseau sont écartés
par une force répulsive, mais chaque lien entre deux noeuds crée une force d’attraction entre
eux. De cette manière les noeuds bien connectés entre eux se retrouvent proches dans le plan.
Pour étudier l’influence de la proximité nous travaillons sur deux sous-réseaux régionaux,
celui des Etats-Unis et celui de l’Europe de l’ouest. Bien qu’ayant des statistiques de réseau
proches, les deux ensembles régionaux se distinguent par deux caractéristiques importantes.
La première est que le capital-risque s’est développé aux Etats-Unis avant de se propager en
5.3. Analyse empirique de la structure du réseau de co-investissement
317
Europe. Nous avons donc un réseau de co-investissement ancien bien établi et un réseau relativement récent. La deuxième est que les Etats-Unis sont un état fédéral, partageant la même
langue et pour l’essentiel les mêmes lois, alors que l’Europe de l’ouest reste encore un ensemble
d’états nations, avec des langues, des cultures et des lois distinctes, même si elles sont en cours
de rapprochement.
La Figure 5.14 montre le réseau obtenu pour les capital-risqueurs localisés aux Etats-Unis.
A part la prédominance de la Californie, où est localisée l’essentiel des capital-risqueurs, il
est difficile de repérer une quelconque agglomération des capital-risqueurs des autres Etats.
En particulier les capital-risqueurs des deux autres Etats importants, ceux de New-York et du
Massassuchets, ne semblent pas former une communauté dans ce réseau.
En Europe de l’ouest par contre (Figure 5.15), on voit clairement se détacher les différents
pays. Les capital-risqueurs des quatre pays dominants, le Royaume-Uni, L’Allemagne, la France
et la Suède, forment des communautés bien distinctes dans le réseau de co-investissement.
On peut déduire de cette première analyse que plus que la distance géographique, ce sont
les frontières nationales qui influent sur la formation du réseau des capital-risqueurs. En effet les Etats-Unis et l’Europe sont des espaces géographiques de tailles comparables. Mais la
diversité culturelle en Europe semble créer des barrières à l’intégration du réseau du capitalrisque. Cependant ces barrières ne sont pas infranchissables. Bien que l’on puisse distinguer
des communautés par pays en Europe, ces communautés sont également très bien connectées
entre elles.
Les deux figures suivantes montrent les mêmes réseaux de co-investissement aux EtatsUnis mais avec les noeuds coloriés en fonction de la composition du portefeuille de start-up
du capital-risqueur. Le code couleur employé est le suivant. A chacune des trois industries
majeures, les nouvelles technologies de l’information et de la communication (IT), la santé
(HEALTH), le commerce et les services (RETAIL) est associée une composante du code couleur
rouge-vert-bleu. L’intensité de la couleur dépend de la proportion des start-ups du portefeuille
investi dans l’industrie. Un capital-risqueur spécialisé dans la santé sera donc représenté par
un noeud colorié en vert. Un capital-risqueur qui investit à moitié en NTIC et à moitié dans le
commerce et les services sera représenté par un noeud colorié en violet.
Chapitre 5. Proximités et structure du réseau de co-investissement
318
CA
NY
MA
TX
IL
PA
CT
WA
NJ
MD
GA
CO
MN
NC
VA
DC
OH
FL
TN
MI
AL
IN
AZ
LA
MO
NH
OK
OR
ME
NM
SC
UT
HI
KY
NE
NV
RI
WI
AR
DE
IA
ID
MS
VT
WV
WY
F IG . 5.14: Réseau de co-investissement des capital-risqueurs aux Etats-Unis. Les noeuds sont
coloriés en fonction de l’Etat dans lequel est situé le siège du capital-risqueur.
5.3. Analyse empirique de la structure du réseau de co-investissement
United Kingdom
Germany
France
Sweden
Switzerland
Belgium
Denmark
Finland
Ireland
Norway
Netherlands
Austria
Italy
Spain
Luxembourg
319
Greece
Iceland
Portugal
F IG . 5.15: Réseau de co-investissement des capital-risqueurs en Europe. Les noeuds sont coloriés en fonction du pays dans lequel est situé le siège du capital-risqueur.
Chapitre 5. Proximités et structure du réseau de co-investissement
320
IT
HEALTH
RETAIL
F IG . 5.16: Réseau de co-investissement des capital-risqueurs aux Etats-Unis. Les noeuds sont coloriés
en fonction de la répartition du portefeuille de start-ups entre les trois principales industries.
5.3. Analyse empirique de la structure du réseau de co-investissement
IT
HEALTH
321
RETAIL
F IG . 5.17: Réseau de co-investissement des capital-risqueurs en Europe. Les noeuds sont coloriés en
fonction de la répartition du portefeuille de start-ups entre les trois principales industries.
322
Chapitre 5. Proximités et structure du réseau de co-investissement
Sur la Figure 5.16, on voit clairement apparaître une masse verte correspondant à une communauté des capital-risqueurs spécialisés dans la santé. Par contre les capital-risqueurs investissant dans les NTIC et dans le commerce et les services sont plus mélangés. Cela s’explique
par la plus grande proximité entre ces deux industries. A la frontière entre la communauté
des capital-risqueurs spécialisés dans la santé et les autres, les capital-risqueurs sont plutôt des
généralistes. Cela semble indiquer que la proximité industrielle joue aussi un rôle dans la structuration du réseau de co-investissement.
En Europe (Figure 5.17), les choses sont moins claires, bien que l’on puisse distinguer
une relative agglomération des capital-risqueurs spécialistes de la santé. Ce résultat moins net
s’explique par la prédominance en Europe du rôle des pays, qui est la première force structurante
du réseau. Si la proximité industrielle joue un rôle, il est en partie masqué par la proximité
culturelle. Aux Etats-Unis où la proximité nationale ne joue pas, la proximité industrielle est
plus facilement repérable.
Résultat 5.6. La proximité culturelle a plus d’impact sur la formation de communautés au sein
du réseau de co-investissement que la proximité spatiale. La proximité industrielle joue aussi
un rôle mais moins marqué.
De cette première analyse basée sur la visualisation des réseaux de co-investissement on peut
déjà déduire que la proximité spatiale ne semble pas si importante, ce qui va dans le sens de
Sorenson & Stuart (2001) qui indiquent que le co-investissement permet de dépasser la limite
imposée par la distance. Cependant en Europe la proximité culturelle induit la formation de
communautés de capital-risqueurs par pays. Enfin la proximité industrielle semble aussi jouer
un rôle quoique moins marqué dans la structuration du réseau de co-investissement.
Détection des communautés par maximisation de la modularité
Afin de mesurer l’influence des proximités, nous allons maintenant utiliser un algorithme
de détection de communauté. Cet algorithme est basé sur la notion de modularité définie par
Newman & Girvan (2004). La modularité est une mesure de la qualité de la partition d’un
réseau en communautés qui exprime l’idée qu’une partition en communauté est bonne si les
5.3. Analyse empirique de la structure du réseau de co-investissement
323
liens entre noeuds de la même communauté sont plus probables qu’entre noeuds d’un réseau
aléatoire de référence qui posséderait le même nombre de noeuds.
modularité Soit pi j la probabilité qu’il existe un lien entre les noeuds i et j avec le modèle de
référence. Soit C = {ci } un vecteur indiquant la communauté du noeud i, et δ(ci , c j ) le
delta de Kroenecker qui vaut 1 lorsque ci = c j et 0 sinon. Alors la modularité s’écrit :
modularite(C) =
1
(ri j − pi j ) δ(ci , c j )
2 ∗ L(r) ∑
ij
(5.11)
La modularité est comprise entre 0 et 1. Une structure en communauté est considérée
comme pertinente pour des valeurs de la modularité supérieures à 0.3.
Les modèles de référence utilisés sont soit un réseau purement aléatoire de même densité
que le réseau testé pi j = densite(r), soit un modèle structurel qui conserve le degré de chaque
noeud en plus de la densité globale du réseau pi j =
di d j
2 L(r) .
Ici nous utiliserons le modèle struc-
turel comme modèle de référence.
L’algorithme utilisé pour détecter les communautés est un algorithme de classification hiérarchique basé sur la modularité. Partant d’une partition simple où chaque noeud est dans une seule
communauté, l’algorithme réalise à chaque étape la fusion des deux communautés qui apporte
le plus grand gain de modularité. L’algorithme s’arrête lorsque aucune fusion n’apporte une
amélioration de la modularité. Cet algorithme est une heuristique, qui ne garantit donc pas que
l’on atteigne ainsi le maximum absolu de la modularité, mais il permet de s’en approcher.
Pour les Etats-Unis l’algorithme détecte 7 communautés avec un modularité de 0.2 (Figure
5.18), et pour l’Europe l’algorithme en détecte 8 pour une modularité de 0.47 (Figure 5.19). On
peut donc dire que le découpage en communauté pour les Etats-Unis n’est pas très pertinent. Par
contre en Europe les communautés trouvées méritent l’attention. D’ailleurs, une comparaison
visuelle avec la Figure 5.15, montre une nette similarité entre les communautés détectées et les
regroupements par pays.
324
Chapitre 5. Proximités et structure du réseau de co-investissement
community 0
community 1
community 2
community 3
community 4
community 5
community 6
F IG . 5.18: Réseau de co-investissement des capital-risqueurs aux Etats-Unis. Les noeuds sont coloriés
en fonction des communautés détectées par maximisation de la modularité.
5.3. Analyse empirique de la structure du réseau de co-investissement
community 0
community 1
community 2
community 3
community 4
community 5
325
community 6
community 7
F IG . 5.19: Réseau de co-investissement des capital-risqueurs en Europe. Les noeuds sont coloriés en
fonction des communautés détectées par maximisation de la modularité.
326
Chapitre 5. Proximités et structure du réseau de co-investissement
Analyse des communautés détectées par des matrices de confusion
Maintenant que des communautés ont été détectées, nous allons analyser la correspondance
entre ces communautés et les proximités géographiques et industrielle étudiées ci-dessus.
Notre analyse se base sur la comparaison entre les différentes partitions proposées à partir
de leur matrice de confusion.
matrice de confusion A partir de deux partitions d’un même ensemble on peut construire une
matrice de confusion K, où ki j est le nombre d’éléments de la classe i de la première
partition qui appartiennent à la classe j de la deuxième partition.
Les termes diagonaux dans la matrice de confusion, c’est-à-dire des valeurs dominantes en
ligne et en colonne, indiquent une correspondance entre deux classes des partitions comparées.
C’est donc ces termes que nous recherchons dans les matrices de confusions générées.
Nous construisons tout d’abord les matrices de confusions suivantes : états et communautés
aux Etats-Unis, pays et communautés en Europe.
La matrice de confusion entre états et communautés aux Etats-Unis (Table 5.2) ne nous
permet pas de caractériser les communautés obtenues : La communauté 0 contient l’essentiel
des capital-risqueurs, la communauté 1 est dominée par la Californie sans en être spécifique,
la communauté 2 ne regroupe que des capital-risqueurs des états les plus importants et les
communautés suivantes semblent opérer des regroupements aléatoires en terme d’états.
Par contre la matrice de confusion entre pays et communautés pour l’Europe (Table 5.3) est
très instructive. A partir de cette matrice on peut caractériser les communautés obtenues ainsi :
communauté 0 regroupe l’essentiel des allemands, la Suisse et la moitié des danois.
communauté 1 regroupe la Suède, la Finlande, le Norvège et l’autre moitié des danois.
communauté 2 regroupe le Royaume-Uni et l’Irelande
communauté 3 regroupe la France
communauté 4 regroupe l’Autriche
communauté 5 regroupe le reste des allemands
communauté 6 regroupe la Belgique
communauté 7 regroupe le reste
5.3. Analyse empirique de la structure du réseau de co-investissement
Communauté
0
327
1
2
3
4
5
6
Comm.
0
1
2
3
4 5
6
Californie (CA)
67 259
52
4
1
0
1
LA
4
0
0
0
0 0
0
New-York (NY)
57
53
29
4
2
0
0
MO
3
0
1
0
0 0
0
Massachusetts (MA)
91
33
13
2
0
0
0
NH
3
0
1
0
0 0
0
Texas (TX)
13
31
12
6
0
0
0
OK
1
2
1
0
0 0
0
Illinois (IL)
19
13
7
0
0
0
0
OR
1
2
1
0
0 0
0
Pennsylvanie (PA)
24
7
3
2
0
3
0
ME
1
0
2
0
0 0
0
Connecticut (CT)
10
13
10
1
0
0
3
NM
0
0
1
2
0 0
0
Washington (WA)
7
27
3
0
0
0
0
SC
2
1
0
0
0 0
0
New-Jersey (NJ)
15
10
4
0
0
0
0
UT
1
2
0
0
0 0
0
Matyland (MD)
19
3
4
0
0
0
0
HI
0
2
0
0
0 0
0
Géorgie (GA)
21
3
1
0
0
0
0
KY
1
1
0
0
0 0
0
Colorado (CO)
4
5
8
6
0
0
0
NE
2
0
0
0
0 0
0
Minnesota (MN)
14
2
6
0
0
0
0
NV
2
0
0
0
0 0
0
Caroline du nord (NC)
18
3
1
0
0
0
0
RI
1
1
0
0
0 0
0
Virginie (VA)
19
3
0
0
0
0
0
WI
1
0
1
0
0 0
0
Washington DC (DC)
14
3
0
0
0
0
0
AR
1
0
0
0
0 0
0
Ohio (OH)
11
3
2
0
0
0
0
DE
1
0
0
0
0 0
0
Floride (FL)
8
3
1
0
3
0
0
IA
0
0
1
0
0 0
0
Tennessee (TN)
12
1
0
0
0
0
0
ID
1
0
0
0
0 0
0
Michigan (MI)
8
0
1
1
0
0
0
MS
1
0
0
0
0 0
0
Alabama (AL)
7
0
0
0
0
0
0
VT
1
0
0
0
0 0
0
Indiana (IN)
6
1
0
0
0
0
0
WV
1
0
0
0
0 0
0
Arizona (AZ)
2
0
4
0
0
0
0
WY
1
0
0
0
0 0
0
TAB . 5.2: Matrice de confusion entre les communautés détectées par maximisation de la modularité et état aux Etats-Unis (les états sont classés par ordre décroissants d’importance en
nombre de capital-risqueurs).
Chapitre 5. Proximités et structure du réseau de co-investissement
328
Communauté
0
1
2
3
4
5
6
7
Autiche
0
0
0
0 10
0
0
0
Belgique
6
0
2
2
1
0
14
0
12 11
0
0
0
0
0
0
Danemark
Finlande
1
15
1
0
0
0
0
0
France
9
2
0
57
0
0
1
2
Allemagne
79
2
2
2
1
17
0
0
Grèce
0
1
0
0
0
0
0
0
Islande
0
1
0
0
0
0
0
0
Irelande
1
0
13
0
2
0
0
0
Italie
0
0
5
2
0
0
0
0
Luxembourg
0
1
0
2
0
0
1
0
Hollande
3
3
1
0
1
0
5
0
Norvège
0
12
1
1
0
0
0
0
Portugal
1
0
0
0
0
0
0
0
Espagne
1
0
3
1
0
0
0
2
Suède
4
54
2
0
0
5
1
0
Suisse
17
0
2
4
1
2
0
0
Royaume-Uni
4
6
89
4
2
0
0
0
TAB . 5.3: Matrice de confusion entre les communautés détectées par maximisation de la modularité et pays en Europe.
5.3. Analyse empirique de la structure du réseau de co-investissement
329
Les communautés détectées en Europe sont donc clairement liées aux liens culturels entre
les pays. Les pays sont soit isolés (France, Autriche, Belgique), soit regroupés par ensemble
géographiques (Royaume-Uni et Irelande, Scandinavie, Allemagne, Danemark et Suisse). La
division du Danemark entre la Scandinavie et l’Allemagne est parfaitement cohérente avec son
positionnement géographique particulier.
Pour analyser le lien entre communautés et proximité industrielle, il faut déterminer des
classes d’investisseurs en fonction de la composition de leur portefeuille. Nous avons choisi
une classification basée sur la proportion d’investissement réalisés dans chaque industrie. Un
investisseur est dit spécialisé dans une industrie si il y investit plus d’un tiers de son portefeuille.
Avec cette définition un investisseur peut donc être spécialisé dans une ou deux industries, voire
aucune, ce qui nous donne 7 classes.
Les Tableaux 5.4 et 5.5, montrent les deux matrices de confusion obtenues entres les communautés détectées et la répartition des capital-risqueurs par industrie de spécialité. Aucun
schéma clair ne se dégage de ces tables. La déception vient surtout des Etats-Unis où l’on
aurait souhaité voir se dégager une communauté des capital-risqueurs spécialisés dans la santé.
Enfin, afin de quantifier la similarité entre les différentes partitions, nous proposons la
mesure suivante, bâtie sur la matrice de confusion. Le principe sous-jacent est de considérer
chaque partition comme un ensemble de liens : deux éléments sont liés si ils sont dans la même
classe. La mesure proposée est alors le rapport entre le nombre de liens en commun dans les
deux partitions, et le nombre de liens total. Si L2 est l’ensemble des liens de la partition P1 , et
L2 l’ensemble des liens de la partition P2 :
similarite(P1 , P2 ) =
Card(L1 ∩ L2 )
Card(L1 ∩ L2 )
=
Card(L1 ∪ L2 ) Card(L1 ) +Card(L2 ) −Card(L1 ∩ L2 )
(5.12)
330
Chapitre 5. Proximités et structure du réseau de co-investissement
Communauté
0
1
2
3
4
5
6
112 15
5
3
0
NTIC
190 361
Santé
188
14
11
1
0
0
0
Commerce
25
41
6
5
1
0
3
NTIC-Commerce
22
59
7
7
0
0
0
NTIC-Santé
64
11
30
0
0
0
0
Santé-Commerce
6
0
4
0
0
0
1
généraliste
1
1
0
0
0
0
0
TAB . 5.4: Matrice de confusion entre les communautés détectées par maximisation de la modularité et les spécialités industrielles aux Etats-Unis
Communauté
0
1
2
3
4
5
6
7
NTIC
41 53
63
38
8
9
13
3
Santé
71 23
14
5
6
5
4
0
Commerce
8 14
14
13
2
6
3
0
NTIC-Commerce
2 11
14
11
1
3
2
0
NTIC-Santé
11
5
14
8
0
1
0
1
Santé-Commerce
1
0
0
0
1
0
0
0
généraliste
4
2
2
0
0
0
0
0
TAB . 5.5: Matrice de confusion entre les communautés détectées par maximisation de la modularité et les spécialités industrielles en Europe
5.3. Analyse empirique de la structure du réseau de co-investissement
Région
Proximité
Etats-Unis
Europe
similarité
référence
géographique
0.17
0.22 (0.0018)
industrielle
0.27
0.23 (0.0066)
géographique
0.34
0.11 (0.0019)
industrielle
0.15
0.14 (0.0043)
331
TAB . 5.6: Similarité entre les communautés détectées et les différentes proximités
Cette expression se calcule facilement à partir de la matrice de confusion K. Soit NL(n) =
n (n−1)
2
le nombre de liens dans une classe de taille n.
Card(L1 ) =
∑ NL(∑ ki j )
(5.13)
∑ NL(∑ ki j )
(5.14)
∑ NL(ki j )
(5.15)
i
Card(L2 ) =
j
Card(L1 ∩ L2 ) =
j
i
ij
Cette mesure de similarité varie entre 0 et 1. Elle vaut 0 lorsque l’une des partitions est
l’ensemble des singletons, et 1 lorsque les deux partitions sont identiques.
La Table 5.6 confirme les observations faites à partir des matrices de confusion. La similarité mesurée entre les classes dérivées de la proximité testée et les communautés détectées
est comparée à la similarité obtenue par une affectation aléatoire des capital-risqueurs dans les
communautés. L’affectation aléatoire est obtenue en permutant aléatoirement le vecteur indiquant la communauté de chaque noeud. Cette procédure conserve la taille des communautés
et permet donc une comparaison honnête. La procédure est itérée cent fois, ce qui permet de
rapporter la similarité moyenne et l’écart-type obtenu par une affectation aléatoire.
On observe bien une similarité significativement supérieure au hasard entre la proximité
géographique en Europe et les communautés détectées. On observe aussi une similarité légèrement supérieure à la moyenne pour la proximité industrielle aux Etats-Unis. Les autres scores
ne sont pas significatifs.
332
Chapitre 5. Proximités et structure du réseau de co-investissement
Résultat 5.7. Les communautés détectées par maximisation de la modularité font ressortir
notamment la proximité culturelle entre les capital-risqueurs européens, et plus légèrement la
proximité industrielle entre les capital-risqueurs des Etats-Unis.
Cette analyse du lien entre communautés et proximité a surtout fait ressortir l’importance
de la proximité géographique en Europe. L’absence de proximité géographique au Etats-Unis
indique que cette proximité est plutôt lié à des barrières culturelles entre les pays qu’à la distance
géographique. L’analyse du réseau des Etats-Unis laisse aussi entrevoir une faible influence de
la proximité industrielle. Cependant la faible modularité obtenue pour le réseau des Etats-Unis
indique surtout que le réseau de co-investissement est très cohésif outre-atlantique. Puisqu’il
s’agit du réseau le plus ancien, il est certainement représentatif du réseau de co-investissement
à long terme. Le réseau de co-investissement entre capital-risqueurs a donc la particularité d’être
à la fois peu dense et très cohésif.
Principaux Résultats
L’analyse du réseau de co-investissement a permis de décrire et de caractériser sa structure. Les principales caractéristiques de ce réseau sont : une distribution des degrés des noeuds
log-normale, une distribution des poids des liens en loi de puissance, une densité faible, une
assortativité positive et une transitivité largement supérieure à la densité, un diamètre très petit,
une forte corrélation entre centralité des noeuds et expérience des capital-risqueurs, un réseau
globalement très cohésif mais où l’on peut détecter des communautés nationales.
Cette analyse a tout d’abord mis en évidence le caractère stratégique de la formation des
liens, la structure observée pour le réseau diffère en effet significativement de celle d’un réseau
aléatoire.
Le réseau est de plus peu dense tout en étant un ultra-petit monde, ce qui signifie que l’information y circule très vite et ce pour un moindre coût en terme de nombre de liens. C’est donc
un réseau très efficace.
L’analyse de la centralité montre que les capital-risqueurs les plus expérimentés occupent
les positions les plus influentes dans le réseau, notamment en terme de connectivité et de po-
5.4. Modèle économétrique de la formation des liens
333
sition d’intermédiation. Cela indique une volonté des capital-risqueurs d’acquérir une position
centrale dans le réseau.
Enfin le réseau est marqué par une forte transitivité ce qui suggère l’existence de communautés. Cependant seule la proximité culturelle en Europe crée des communautés bien identifiables. Le réseau des Etats-Unis, plus ancien, montre par contraste une très grande cohésion.
5.4 Modèle économétrique de la formation des liens
Dans cette section nous présentons un modèle économétrique de la formation des liens de
co-investissement. Ce modèle a pour objectif de mesurer l’influence des différents déterminants
mis en évidence lors de l’analyse précédente et notamment celle des différentes proximités :
industrielle, géographique, et proximité dans le réseau.
Le résultat principal est que toutes les proximités ont un impact positif sur la probabilité
de formation d’un lien entre deux capital-risqueurs. Cependant chaque proximité apporte une
nuance particulière à ce résultat. La proximité géographique est en effet plus une proximité
culturelle que spatiale, ainsi que nous l’avons déjà vu dans l’analyse précédente. Le rôle de la
proximité industrielle souligne l’importance de la compétence technique dans le choix du partenaire. Enfin l’influence de la proximité dans le réseau montre que le réseau de co-investissement
est aussi un vecteur d’information sur la compétence des partenaires potentiels.
5.4.1 Le modèle
La variable que nous cherchons à expliquer est la formation d’un lien entre deux capitalrisqueurs. Un lien est défini comme le premier investissement conjoint dans une start-up. Ce lien
peut s’établir entre deux capital-risqueurs ayant déjà investi ensemble dans une autre start-up,
auquel cas son effet est de renforcer la force de leur lien dans le réseau de co-investissement,
ou entre deux capital-risqueurs n’ayant jamais investi ensemble, auquel cas un nouveau lien
est formé dans le réseau de co-investissement. Nous ne considérons que le premier investissement conjoint dans une start-up car il relève d’un choix rationnel de leur part. A contrario, les
éventuels co-investissement suivants dans la même start-up ne sont que la conséquence de la
Chapitre 5. Proximités et structure du réseau de co-investissement
334
décision initiale32 . Ne nous les prenons donc pas en compte car seule la décision d’investir à
nouveau ensemble dans une nouvelle start-up est porteuse d’information.
Nous avons vu que le réseau de co-investissement est peu dense (la densité est de l’ordre de
2%), ce qui signifie que le nombre de liens existants est faible par rapport au nombre de liens
possibles entre tous les capital-risqueurs. Pour donner une idée des ordres de grandeurs en jeu,
voici quelques chiffres. Dans le réseau complet il y a près de deux mille capital-risqueurs, soit
un nombre de liens possible de l’ordre de deux millions. Le nombre de liens existant est de
l’ordre de quarante mille.
Or pour expliquer la probabilité de formation d’un lien il faut comparer les quarante mille
liens existants aux presque deux millions de liens contre-factuels (exactement deux millions
moins quarante mille). Cela fait beaucoup de données à traiter alors qu’on ne s’intéresse vraiment qu’aux quarante mille liens existants.
Nous utilisons donc à l’instar de Sorenson & Stuart (2001) le modèle logit pour les évènements rares proposé par King & Zeng (2001). Ce modèle permet de n’utiliser qu’un échantillon des évènements contre-factuels pour estimer le modèle logit, en corrigeant ensuite pour le
biais de sélection induit par la sur-représentation des évènements réels par rapport aux contrefactuels. Cette correction ne nécessite que de connaître le taux effectif τ entre évènements réels
et contre-factuels.
Cette correction de biais mis à part, le modèle estimé est un modèle logit standard.


Yitj ∼ B(nti j , pti j )
t
 log( pi j t ) = β0 + β X t + εt , εt ∼ N(0, σ)
ij
ij ij
1−p
(5.16)
ij
La variable expliquée Yitj est la formation d’un lien entre deux capital-risqueurs i et j lors
de l’année t. Les variables explicatives Xitj sont les caractéristiques du lien potentiel entre i et j.
Nous contrôlons aussi pour l’année de création lien t.
32 Les
capital-risqueurs investissent par étape, ce qui leur permet de limiter les risques en conditionnant les in-
vestissements ultérieurs à une bonne performance de la start-up. Une fois qu’ils ont choisi d’investir dans une startup, les capital-risqueurs y conservent leur position en participant aux tours de table suivants. Mécaniquement un
co-investissement lors des premiers rounds d’un start-up qui marche bien mène donc à d’autres co-investissements
lors des tours de tables ultérieurs.
5.4. Modèle économétrique de la formation des liens
335
Pour estimer le modèle nous devons donc tout d’abord définir l’ensemble des évènements
possibles puis en extraire un échantillon d’éléments contre-factuels. Pour cela nous utilisons la
procédure suivante.
Nous considérons les données par année. Chaque année t, un certain nombre de capitalrisqueurs sont actifs et forment un ou plusieurs liens avec d’autres. Pour éviter les redondances
nous ne prenons en compte qu’un lien par paire de capital-risqueurs et par année. L’ensemble
des liens possibles est donc l’ensemble des couples de capital-risqueurs actifs durant l’année t.
Les liens effectivement formés constituent les évènements réels de l’année t. Les liens contrefactuels sont l’ensemble complémentaire des liens réels dans l’ensemble des liens possibles.
Pour l’estimation, nous associons aux liens réels un échantillon de taille équivalente de liens
contre-factuels tirés au hasard.
Pour corriger le biais de sélection, il nous faut ensuite mesurer le taux effectif d’occurrence
des évènements réels. Vu que nous avons défini un ensemble de liens possibles par année, nous
obtenons un taux d’évènements réels annuel τt . Soit Lt le nombre de liens observés, CRt le
nombre de capital-risqueurs actifs et Nt le nombre de liens possibles pour l’année t :
CRt (CRt − 1)
2
Lt
=
Nt
Nt =
(5.17)
τt
(5.18)
Pour obtenir un taux unique τ pour toute la régression, il faut combiner tous les taux annuels.
Nous avons choisi comme combinaison le taux effectif agrégé, qui correspond à la moyenne des
taux annuels pondérée par le nombre de liens possible chaque année.
Nt Lt
∑ Lt
(5.19)
= t
∑t Nt
t ∑t Nt Nt
La valeur obtenue avec cette formule est τ = 0.012. Cette valeur est inférieure à la densité
τ=∑
du réseau (2%) car tous les liens du réseau ne sont pas réactivés chaque année. Il y a donc
plus de liens dans le réseau complet que de co-investissement chaque année. Nous avons aussi
lancé les estimations avec d’autres valeurs pour τ, y compris 2%, et les résultats n’en sont que
légèrement affectés.
Maintenant que nous avons défini un ensemble de liens réels, que nous leur avons associé un
ensemble de liens contre-factuels, et que nous connaissons le taux réel d’occurrence des liens
Chapitre 5. Proximités et structure du réseau de co-investissement
336
dans les données, nous pouvons lancer les estimations du modèle logit pour les évènements
rares.
5.4.2
Les données
Nous utilisons l’ensemble des données Venture Source, c’est-à-dire tous les investissements
réalisés aux Etats-Unis en Europe et en Israel entre 1990 et 2005. Les données historiques
disponibles pour les années antérieures à 1990 sont aussi utilisées pour construire les réseaux
de co-investissement.
Pour expliquer la formation d’un lien nous utilisons des variables liées à chaque proximité.
Proximité géographique
Pour la proximité géographique nous utilisons simplement une indicatrice ’même pays’ qui
vaut 1 si les deux capital-risqueurs sont localisés dans le même pays et 0 sinon. Pour l’étude des
Etats-Unis seuls, cette variable est remplacée par une indicatrice ’même état’.
Proximité industrielle
La proximité industrielle est plus délicate à définir. Pour l’analyse des communautés nous
avions défini des classes basées sur la répartition du portefeuille entre les principales industries.
Pour cette analyse économétrique nous proposons une mesure plus fine, basée sur la classification hiérarchique des start-ups par industrie.
Les start-ups sont classées dans une hiérarchie à trois niveaux : groupe > segment > code. Sur
la base de cette hiérarchie, nous définissons une distance entre les codes industriels, c’est-à-dire
entre les niveaux les plus fins de la classification. La distance di j entre deux codes industriels
i et j est définie comme la hauteur du plus proche parent des deux codes dans la hiérarchie.
C’est-à-dire que si les deux codes sont identiques, leur distance est nulle, s’ils appartiennent au
même segment leur distance est de 1, si ils appartiennent au même groupe leur distance est de
2 et sinon leur distance est de 3.
Soit p = {pi } et q = {qi } les portefeuilles des investissements réalisés par le passé de deux
capital-risqueurs. pi et qi représentent le nombre de start-ups financées par chaque capital-
5.4. Modèle économétrique de la formation des liens
337
risqueur dans le code industriel i. Nous pouvons alors définir la proximité industrielle entre
les deux portefeuilles par :
recouvrement(p, q) = r(p, q) = ∑ δdi j pi q j , δ < 1
(5.20)
ij
proximite(p, q) = √
r(p, q)
√
r(p, p) r(q, q)
(5.21)
Cette expression représente l’idée que deux investisseurs sont d’autant plus proches qu’ils
investissent souvent dans des industries proches. Le coefficient δ est facteur clé de cette mesure.
Il représente le facteur d’affaiblissement du poids des investissements dans des industries éloignées.
Lorsque δ = 0, seuls les investissements réalisés par les deux industriels dans les mêmes industries sont pris en compte. Notre mesure de proximité devient alors une simple distance euclidienne entre les deux vecteurs représentant les portefeuilles des capital-risqueurs. Lorsque δ
augmente, les investissements réalisés dans des industries proches mais différentes sont progressivement pris en compte dans la mesure de proximité. Lorsque δ = 1, cela revient a considérer
que toutes les industries sont identiques. La mesure de proximité dégénère alors et vaut 1 quel
que soit le couple considéré. Nous utilisons une valeur intermédiaire, δ = 0.5.
L’intérêt de cette mesure est donc de prendre en compte les proximités existant entre les
différentes industries, tout en exploitant l’information la plus fine possible. L’alternative aurait
été de regrouper les industries par segment et d’utiliser une simple distance euclidienne, ce qui
donne une mesure moins précise.
Proximité dans le réseau
La proximité dans le réseau indique l’impact du réseau lui même sur la formation des liens
de co-investissement. Elle se mesure de différente manières. Les réseaux utilisés pour les calculer sont les réseaux de co-investissement obtenus à partir des investissements réalisés les
années précédant l’année de formation du lien étudié.
La première mesure de la proximité dans le réseau est l’existence d’un lien entre les capitalrisqueurs. Il s’agit donc d’une proximité forte puisque les deux capital-risqueurs se connaissent
déjà bien pour avoir investi une ou plusieurs fois ensemble. Cette proximité se traduit par une
Chapitre 5. Proximités et structure du réseau de co-investissement
338
indicatrice ’répétition’ qui indique que les capital-risqueurs ont choisi de réitérer leur coopération.
La seconde mesure de proximité est la distance dans le réseau entre les capital-risqueurs.
Plus la distance entre deux capital-risqueur est faible plus ils sont proches. Cette proximité
mesure le phénomène de recommandation par le réseau et indique donc qu’un capital-risqueur
a plus de chance de co-investir avec quelqu’un qui lui a été recommandé par son réseau de
relation.
La troisième mesure est un raffinement local de la seconde, il s’agit du nombre de voisins
en commun dans le réseau. Lorsque le co-investisseur potentiel est à distance deux, un grand
nombre de voisins en communs indique l’appartenance à une même communauté qui devrait se
concrétiser par la formation d’un lien.
Enfin pour que chaque mesure de proximité soit bien définie, nous éliminons les liens entre capital-risqueurs n’appartenant pas au composant principal du réseau (il n’existe pas de
chemin entre les deux et donc la distance n’est pas définie) et les capital-risqueurs n’ayant aucune expérience (sans portefeuille d’investissements passés on ne peut calculer la proximité
industrielle).
Statistiques descriptives
Liens
tous
réels
contre-factuels
2.0367 (0.85044)
1.6997 (0.69376)
2.4717 (0.83646)
voisins communs
16.972 (27.502)
25.161 (32.354)
6.4036 (13.539)
prox. industrielle
0.71335 (0.19676)
0.77387 (0.16506)
0.63524 (0.20663)
répétition
26.577%
41.643%
7.1326%
même pays
78.089%
88.405%
64.775%
71712
40405
31307
distance
N=
TAB . 5.7: Statistiques descriptives des liens réels et contre-factuels étudiés
5.4. Modèle économétrique de la formation des liens
339
La table 5.7 présente les statistiques descriptives pour ces données. En comparant les statistiques des liens réel et des contre-factuels, on voit déjà apparaître le résultat essentiel de cette
étude : toute les mesures de proximité ont un impact positif significatif sur la formation de lien.
Il faut noter en particulier le taux de répétition des liens extrêmement important : 44.6%
des co-investissements se font avec un ancien partenaire contre seulement 7.1% pour les liens
contre-factuels.
5.4.3 Estimations
Les premières estimations sont faites sur l’ensemble des données disponibles (Tableau 5.8).
Comme les différentes mesures de proximité dans le réseau se recouvrent partiellement nous
les introduisons une à une avant d’estimer le modèle complet. Ces premiers modèles confirment que toutes les proximités ont une influence significative sur la formation de lien dans le
réseau. Elles gardent toutes leur signe et leur significativité dans le modèle complet. Cependant
on observe des interactions entre les différentes proximités qui se traduisent par un affaiblissement de leur coefficient à chaque introduction d’une nouvelle mesure. L’interaction entre les
différentes mesures de proximité dans le réseau se comprend aisément. Celle entre les mesures
de proximité externes, proximité géographique et industrielle, et celles de réseau est moins directe. Comme ces proximités influent sur la formation de lien, un partie de la proximité dans le
réseau reflète la proximité géographique ou industrielle qui a présidé à la formation des liens
existants. On comprend donc que l’introduction des mesures de proximité dans le réseau affaiblisse les mesures de proximité externes.
A partir de l’estimation du modèle complet, on d’une part calculer les effets marginaux qui
sont rapportés dans le Tableau 5.9. On peut aussi calculer l’impact de chaque proximité en terme
d’augmentation de la probabilité d’observer un lien entre deux capital-risqueurs moyens qui ne
diffèrent que par la proximité envisagée. La valeur de ces effets est donnée dans le Tableau
5.10. La proximité la plus influente semble être la proximité géographique. Le fait d’être dans
le même pays multiplie la probabilité de co-investissement par 2.44. Viennent ensuite les deux
proximités de réseau distance et répétition, avec une multiplication par 1.87 de la probabilité de
co-investissement pour des anciens partenaires et par 2 pour des partenaires à distance 2 plutôt
Chapitre 5. Proximités et structure du réseau de co-investissement
340
répétition
distance
constante
-7.181
***
répétition
1.7921
***
-5.1337
voisins communs toutes
***
-6.9886
***
-5.1633
***
0.65188 ***
distance
-1.078 ***
voisins communs
-0.74549 ***
0.032247
***
0.014128
***
même pays
1.2864
***
0.99327
***
1.2018
***
0.90989
***
prox. industrielle
2.7921
***
2.4233
***
2.5429
***
1.6857
***
années
indicatrices
N
71712
10000
71712
71712
null deviance
98257
13696
98257
98257
deviance
77400
10621
79469
75091
pseudo R2
0.21227
0.22451
0.19121
0.23577
Signif. : *** < 0.1% ; ** < 1% ; * < 5% ; . < 10%
TAB . 5.8: Modèle logit pour les évènements rares estimé sur l’ensemble des données (19902005), avec l’introduction progressive des mesures de proximité dans le réseau
Coefficient
ey/ex
Std. Err.
distance
-0.76243
0.020056
-38.016
0
1.0367
voisins communs
0.23654
0.01136
20.823
0
16.972
prox. industrielle
1.1863
0.03925
30.223
0
0.71335
Coefficient
∆y
Std. Err.
z P > |z|
X
répétition
0.010232
0.00050616
20.215
0
0.26577
même pays 0.0097505
0.00033465
29.137
0
0.78089
Y
z P > |z|
X
0.013501
TAB . 5.9: Effets marginaux pour le modèle complet du Tableau 5.8. Tableau du haut : élasticité
des effets pour les variables quantitatives. Tableau du bas : effet direct des variables indicatrices
sur la probabilité de formation d’un lien.
5.4. Modèle économétrique de la formation des liens
341
proximité
x0 ⇒ x1
P(y=1|x1)
P(y=1|x0)
répétition
0 ⇒ 1
1.877
distance
3 ⇒ 2
2.077
voisins communs
2 ⇒ 13
1.164
même pays
0 ⇒ 1
2.444
0.59 ⇒ 0.87
1.59
prox. industrielle
TAB . 5.10: Magnitude des effets des variables de proximité dans le modèle complet.
Rapport des probabilités de formation de lien lorsque la proximité varie. Pour les variables quantitatives
les valeurs choisies correspondent au premier quartile et au troisième quartile de la distribution pertinente (toutes les données pour la distance et la proximité industrielle, seulement lorsque la distance est
égale à 2 pour le nombre de voisins communs.)
que 3. Enfin la proximité industrielle arrive en troisième position avec un facteur multiplicatif
de 1.59 lorsque l’on passe du troisième au premier quartile de la distribution (de 0.59 à 0.87).
Tous ces effets sont forts, largement supérieurs à 1. Ces différentes notions de proximité jouent
donc un rôle essentiel dans la constitution du réseau de co-investissement. Par contre le nombre
de voisins en commun n’a qu’un rôle modeste, avec une multiplication par seulement 1.164
lorsque l’on passe de 2 voisins pour le troisième quartile de la distribution à 13 voisins pour le
premier quartile.
Nouveaux liens et répétitions
Une deuxième série d’estimations (Table 5.11) permet de comparer l’influence des différentes proximités pour la formation d’un nouveau lien et pour la répétition d’une ancienne
collaboration. Les estimations montrent que les proximités géographiques et industrielles perdent de leur influence dans le cas d’une répétition. Au contraire le nombre de voisins en commun, la seule mesure de proximité de réseau qui garde un sens pour les anciens liens, reste
elle fortement significative. On peut donc déduire de ces estimations que les proximités géographiques et industrielle sont essentiellement mobilisées lorsque les deux capital-risqueurs ne
se connaissent pas.
342
Chapitre 5. Proximités et structure du réseau de co-investissement
référence
nouveaux liens
constante
-5.1633
***
-4.9247
***
répétition
0.65188
***
distance
-0.74549
***
-0.6521
***
voisins communs 0.014128
***
0.028401
anciens liens
-4.2268
***
***
0.009599
***
même pays
0.90989
***
0.9628
***
0.035277
prox. industrielle
1.6857
***
1.6615
***
0.30382
années
indicatrices
N
71712
52653
19059
null deviance
98257
72418
13769
deviance
75091
61272
13148
pseudo R2
0.23577
0.15391
0.045157
Signif. : *** < 0.1% ; ** < 1% ; * < 5% ; . < 10%
TAB . 5.11: Modèle logit pour les évènements rares estimé sur l’ensemble des données (19902005) sur les nouveaux liens ou les anciens liens seulement.
5.4. Modèle économétrique de la formation des liens
343
Ce résultat peut s’interpréter en terme d’information. Il est en effet plus simple d’évaluer la
compétence d’un capital-risqueur proche que distant. Lors de la formation d’un nouveau lien
toutes les sources d’informations (culturelles, industrielles et référence par le réseau) sont mises
à contribution. Pour la reconduite du lien l’information privée est suffisante.
Cependant la mesure de proximité dans le réseau qui reste pertinente pour les liens répétés,
le nombre de voisins en commun, a toujours un impact positif significatif. L’explication est un
peu différente. En effet le co-investissement se fait souvent à plus de deux capital-risqueurs. Si
un capital-risqueur essaie de monter un tour de table avec ses partenaires habituels, ses voisins
ont donc de grandes chances de co-investir ensemble. Cette situation est d’autant plus probable
que le nombre de voisins en commun est grand, ce qui explique le résultat trouvé. Cet effet
est toutefois faible, le coefficient est en effet moins grand que celui trouvé dans la régression
complète pour laquelle cette distance était déjà la moins influente de toutes (Tableau 5.10).
A la suite de ces deux estimations, nous pouvons donc établir le résultat suivant.
Résultat 5.8 (Proximité et formation des liens). Lorsqu’ils ne connaissent par leur partenaire,
les capital-risqueurs préfèrent investir avec des partenaires proches. Ils préfèrent investir avec
des partenaires qui partagent la même culture, qui ont une expérience dans des industries
proches de celles dans lesquelles ils sont eux mêmes spécialistes, et qui leur sont recommandés
par leur propre réseau de co-investissement. Cet effet disparaît lorsque les deux partenaires
ont déjà investi ensemble. La proximité est donc surtout une source d’information utile pour
évaluer la compétence des partenaires inconnus.
Ce résultat est donc contradictoire à celui de Sorenson & Stuart (2001) qui montrent que le
réseau de co-investissement sert à dépasser son champ d’investissement habituel. Notre résultat
suggère que le réseau se construit plutôt localement.
On retrouve cependant un résultat similaire à Fafchamps et al. (2008) qui montrent que, dans
le réseau de collaboration scientifique des économistes, une nouvelle collaboration est d’autant
plus probable que les auteurs sont proches dans le réseau. Ces deux réseaux fonctionnent donc
suivant le même principe de recherche d’un partenaire à partir de l’information fournie par
le réseau social crée par les interactions précédentes. Notre étude montre cependant que la
344
Chapitre 5. Proximités et structure du réseau de co-investissement
proximité dans le réseau n’est pas la seule source d’information exploitée dans le cas du capitalrisque.
Estimations par année
Puisque nous avons des réseaux annuels et suffisamment de données, nous pouvons aussi
estimer un modèle pour chaque année afin d’étudier la stabilité de ces estimations au cours du
temps (Tables 5.12, 5.13, 5.14 et 5.15). Globalement les coefficients sont très stables à partir
de 1996. Dans les premières années 1990-1995, les proximités industrielles et géographiques
sont moins influentes. Pour la proximité industrielle ce résultat s’explique par le faible nombre
de données disponible alors pour constituer le portefeuille d’investissement passé du capitalrisqueur et donc pour mesurer avec pertinence la proximité industrielle. Pour la proximité géographique le problème est différent, cette proximité est surtout valable pour le capital-risque
européen et les données disponibles pour l’Europe commencent seulement en 1995. Globalement, ces régressions annuelles permettent de vérifier que les estimations rapportées plus haut
sont robustes.
Proximité géographique en Europe et aux Etats-Unis
Un des résultats de l’analyse des réseaux était que la proximité géographique était surtout
valable pour l’Europe. Afin de le vérifier, nous avons estimé des modèles séparés pour chaque
région, en remplaçant le pays par l’état dans les données pour les Etats-Unis (Table 5.16). Les
estimations confirment le résultat de l’analyse des réseaux, le fait d’être dans le même pays en
Europe a bien un impact significatif, alors qu’aux Etats-Unis le fait d’être dans le même état ne
joue pas. La proximité géographique observée est donc bien plus une proximité culturelle que
spatiale.
Co-investissement et intégration européenne
Enfin une des interrogations auquel notre modèle permet de répondre est celle de l’efficacité
de l’intégration européenne sur la formation du réseau de capital-risque. En effet si les mesures
de renforcement du marché intérieur, comme l’introduction de l’euro par exemple, permettent
5.4. Modèle économétrique de la formation des liens
1990
345
1991
1992
1993
constante
-5.6119
***
-5.2243
***
-5.6708
***
-4.8478
***
répétition
1.6469
***
0.772
**
1.1234
***
0.76236
**
distance
-0.60222
***
-0.93532
***
-0.17925
voisins communs 0.026832
***
0.029292
***
0.019589
*
-0.26128
***
0.019979
***
0.29018
-0.74914
*
*
même pays
0.29474
0.62982
prox. industrielle
0.27875
-0.083815
0.38502
0.81427
N
3840
3121
2520
2123
null deviance
5316.2
4321.5
3480
2924.4
deviance
3639.4
3233.5
2928.1
2450
pseudo R2
0.31541
0.25175
0.1586
0.16222
Signif. : *** < 0.1% ; ** < 1% ; * < 5% ; . < 10%
TAB . 5.12: Modèle logit pour les évènements rares estimé pour chaque année (1990-1993).
1994
constante
-4.4331
répétition
0.42871
distance
-0.67592
voisins communs
0.023514
même pays -0.056239
1995
***
1996
1997
-5.4134
***
-6.7605
***
-6.139
***
0.4758
*
0.62706
**
0.87127
***
**
-0.37412
*
-0.44592
**
-0.5031
***
***
0.020693
***
0.0058166
*
0.0069325
*
0.40065
*
1.1508
***
0.97034
***
1.9741 ***
1.5483
***
prox. industrielle
-0.24028
0.39466
N
1813
2353
2415
2962
null deviance
2495.6
3219.7
3217.3
4026.1
deviance
2084.9
2781.8
2683.9
3261.3
pseudo R2
0.16458
0.13598
0.16581
0.18996
Signif. : *** < 0.1% ; ** < 1% ; * < 5% ; . < 10%
TAB . 5.13: Modèle logit pour les évènements rares estimé pour chaque année (1994-1997).
Chapitre 5. Proximités et structure du réseau de co-investissement
346
1998
1999
2000
2001
constante
-6.4432
***
-5.7507
***
-6.1228
***
-5.5477
***
répétition
0.64008
***
0.46705
***
0.5782
***
0.75736
***
distance
-0.69192
***
-0.6703
***
-0.69506
***
-0.71338
***
voisins communs 0.0051543
.
0.016667
*** 0.017093
***
0.013559
***
même pays
1.0405
***
1.0059
***
0.80925
***
1.0636
***
prox. industrielle
2.4701
***
1.7276
***
2.6846
***
1.6177
***
N
3903
7196
9877
7621
null deviance
5144.8
9494.8
12991
10497
deviance
3933.8
7332.7
9500
7887.4
pseudo R2
0.23537
0.22772
0.2687
0.24858
Signif. : *** < 0.1% ; ** < 1% ; * < 5% ; . < 10%
TAB . 5.14: Modèle logit pour les évènements rares estimé pour chaque année (1998-2001).
2002
2003
2004
2005
constante
-5.546
***
-5.9242
***
-6.0107
***
-5.7826
***
répétition
0.59309
***
0.6923
***
0.49468
***
0.078939
distance
-0.8549
***
-0.70388
***
-0.8421
***
-1.1544
***
voisins communs 0.016081
***
0.012569
***
0.014156
***
0.012283
***
même pays
0.89384
***
1.1539
***
0.8811
***
0.86021
***
prox. industrielle
1.8284
***
1.7792
***
2.3158
***
2.3158
***
N
5427
5474
6393
4674
null deviance
7509.5
7576.4
8861.6
6478.5
deviance
5644.4
5683.2
6614
4784.1
pseudo R2
0.24837
0.24988
0.25364
0.26154
Signif. : *** < 0.1% ; ** < 1% ; * < 5% ; . < 10%
TAB . 5.15: Modèle logit pour les évènements rares estimé pour chaque année (2002-205).
5.4. Modèle économétrique de la formation des liens
référence
347
Etats-Unis
Europe
constante
-5.2108
***
-4.7347
***
-4.6737
***
répétition
0.64823
***
0.65027
***
0.37819
.
distance
-0.67996
***
-0.64347
***
-0.60069
***
voisins communs 0.013286
***
0.015273
***
0.14281
***
2.0164
***
1.6258
***
même pays
0.90737
***
même état
prox. industrielle
0.030277
1.5834
années
***
1.6299
***
indicatrices
N
10000
53872
3261
null deviance
13722
71153
4134.5
deviance
10694
57959
2870.5
pseudo R2
0.22066
0.18542
0.30572
Signif. : *** < 0.1% ; ** < 1% ; * < 5% ; . < 10%
TAB . 5.16: Modèle logit pour les évènements rares estimé sur l’ensemble des données (19902005) et pour chaque région, Etats-Unis ou Europe, séparément.
Chapitre 5. Proximités et structure du réseau de co-investissement
348
Europe
1995-2000
constante
-4.6737
***
-5.9961
répétition
0.37819
.
0.24855
distance -0.60069
***
-0.44487
2001-2005
***
-4.9611
***
0.21302
***
-0.67002
***
voisins communs
0.14281
***
0.1665
même pays
2.0164
***
2.0715
***
1.9942
***
prox. industrielle
1.6258
***
2.7449
***
1.1596
***
années
0.13731 ***
indicatrices
N
3261
827
2428
null deviance
4134.5
981.57
3134.2
deviance
2870.5
679.22
2177.8
pseudo R2
0.30572
0.30803
0.30515
Signif. : *** < 0.1% ; ** < 1% ; * < 5% ; . < 10%
TAB . 5.17: Modèle logit pour les évènements rares estimé sur liens entre européens pour les
périodes 1995-2000 et 2001-2005.
5.5. Conclusion
349
de rapprocher les européens ainsi que leur économie, l’influence des pays devrait se réduire
jusqu’à perdre toute son influence comme les états aux Etats-Unis. Les estimations de la Table
5.17 faites sur le réseau européen seul sur deux périodes successives, 1995-2000 et 2001-2005,
ne vont pas dans ce sens. Le coefficient associé aux pays reste stable sur ces deux périodes. On
peut noter aussi la faiblesse surprenante des proximités de réseau pour la première période due
au faible développement du réseau européen dans les premières années.
Principaux Résultats
L’étude économétrique aura donc permis de mettre notamment en évidence le rôle des différentes proximités dans la dynamique de formation du réseau de co-investissement. Elle complète l’analyse du réseau en montrant un rôle positif de la proximité industrielle qui avait été
suggéré par la visualisation des réseau mais n’avait pas été confirmé par l’analyse des communautés. Elle confirme le rôle de la proximité géographique comme une proximité culturelle
surtout influente en Europe plutôt que comme une proximité spatiale.
Ces deux proximités, géographique et industrielle, sont surtout influentes lors de la formation d’un nouveau lien. Elle perdent leur influence lorsque les deux capital-risqueurs se connaissent déjà. Ces proximités sont donc des sources d’informations qui permettent aux capitalrisqueurs de se jauger mutuellement lorsqu’ils ne se connaissent pas déjà.
Enfin les estimations montrent que le réseau lui même influence sa propre évolution par un
mécanisme de recommandation, complémentaire des deux autres proximités et qui transite par
le réseau déjà établi.
5.5 Conclusion
Ces deux études du réseau de co-investissement, la caractérisation de sa structure et l’étude
de la formation des liens, ont donc permis de dégager les propriétés essentielles de ce réseau.
Le résultat central de ces études est la mise en évidence du rôle des différentes proximités,
géographique, industrielle et dans le réseau.
Le fait que ces proximités perdent leur influence une fois qu’un lien existe entre deux
capital-risqueurs soutient l’idée que la proximité permet de réduire l’incertitude sur la com-
350
Chapitre 5. Proximités et structure du réseau de co-investissement
pétence du futur partenaire. Il est en effet plus facile d’évaluer la compétence d’un capitalrisqueur proche que celle d’un capital-risqueur lointain. Cependant une fois que les deux capitalrisqueurs ont co-investi ensemble ils ont une bonne évaluation de leur compétence respective.
L’incertitude disparaît et le besoin d’une source d’information extérieure disparaît avec elle, ce
qui explique la perte d’influence des proximités.
Chaque proximité apporte un nuance particulière à ce résultat. L’impact de la proximité géographique est surtout liée aux frontières nationales et non à la distance spatiale comme l’indique
le contraste entre le réseau européen et celui des Etats-Unis. L’existence de communautés nationales dans le réseau européen montre la force de cet effet. Cela indique l’importance de la
culture et des normes sociales pour le choix d’un partenaire de co-investissement. Ce premier
résultat va dans le sens de Sorenson & Stuart (2001), au sens où l’absence d’influence de la
distance spatiale est cohérent avec l’idée que le réseau de co-investissement permet de dépasser
cette contrainte. Mais notre étude montre que cela n’est pas vrai pour la proximité industrielle.
L’impact de la proximité industrielle illustre plus particulièrement l’importance de la compétence spécifique des capital-risqueurs. Son influence suggère en effet que les capital-risqueurs
sont plus capables d’évaluer la compétence des capital-risqueurs qui investissent dans des industries proches de celles où ils investissent. La compétence des capital-risqueurs leur permet
donc à la fois de bien choisir leurs investissements et de bien choisir leurs partenaires. Ce
second résultat est donc contradictoire à celui de Sorenson & Stuart (2001) car le réseau de
co-investissement semble rester local dans le domaine industriel.
Enfin, l’influence de la proximité de réseau désigne le réseau de co-investissement lui-même
comme une source essentielle d’information sur la compétence des capital-risqueurs. Le réseau
de co-investissement joue donc un rôle important dans le fonctionnement du capital-risque. On
retrouve ici un résultat similaire à Fafchamps et al. (2008) mais nous montrons de plus que la
proximité dans le réseau n’est pas la seule source d’information utilisée par les capital-risqueurs.
Les caractéristiques du réseau de co-investissement que nous avons mis en évidence nous
permettent de le comparer avec les réseaux prédits par les modèles théoriques et de suggérer
des piste pour sa modélisation.
5.5. Conclusion
351
Les propriétés essentielles du réseau que nous avons mis en évidence ne peuvent pas être
traduites dans le cadre d’analyse de la formation stratégique des réseaux. En effet, le rôle des
proximités que nous avons établi est essentiellement dynamique, alors que l’objectif de l’analyse stratégique est de déterminer la forme statique du réseau d’équilibre. En particulier, la proximité de réseau ne peut tout simplement être prise en compte dans ce type de modèle puisque
le seul réseau existant est le réseau d’équilibre, qui par définition ne peut donc pas influencer
sa propre évolution. Enfin notre justification du rôle des proximités dans le réseau en terme
d’incertitude sur la compétence du partenaire potentiel ne peut pas non plus être modélisée
dans ce cadre puisque cette incertitude n’existe qu’avant la création du lien, alors que l’analyse
stratégique s’intéresse plutôt aux profits attendus une fois que le lien est formé.
Les modèles de croissance des réseaux semblent donc proposer une approche plus prometteuse. Ces modèles permettent déjà de prendre en compte le rôle dynamique de la proximité
et la forte transitivité des réseau, comme l’ont montré Vazquez (2003), et plus particulièrement
Jackson & Rogers (2007) pour ce qui est de la proximité de réseau. Cependant ces modèles
supposent des comportements probabilistes très basiques pour les agents et se focalisent essentiellement sur la logique d’attachement préférentiel et les distributions de degré en loi de
puissance. Or nous trouvons une distribution de degré qui bien que large est plutôt log-normale
qu’en loi de puissance, et on pourrait souhaiter une modélisation plus riche du comportement
des agents.
Les deux pistes possibles pour modéliser la formation du réseau de co-investissement seraient
donc soit d’étendre les modèles de croissance des réseaux soit de recourir à la simulation en
suivant Cowan et al. (2006). L’intérêt des modèles de croissance réside dans leur capacité à produire des résultats analytiques. Il faudrait notamment ajouter aux modèles existants la possibilité
de co-investir de nouveau avec un capital-risqueur déjà connu, ce qui induirait une dynamique
couplée du degré des noeuds et du poids des liens. L’intérêt de la simulation serait de permettre
une modélisation plus riche du comportement des agents. Il faudrait alors notamment prendre
en compte la tension entre l’incertitude sur la compétence des capital-risqueurs inconnus et la
recherche de nouvelles opportunités d’investissements.
Chapitre 5. Proximités et structure du réseau de co-investissement
352
5.6 Annexe : Réseaux types
Reseau symetrique
Reseau vide
Reseau complet
partiellement connecte
Etoile
Etoiles interconnectees
6−clique
Roue
4−clique
Cliques
Groupe dominant
F IG . 5.20: Formes de réseaux types évoquées dans la littérature sur la formation stratégique
des réseaux.
Conclusion Générale
Dans cette thèse nous avons étudié le rôle de la compétence dans l’organisation du capitalrisque. Nous avons proposé dans la première partie un modèle du fonctionnement du capitalrisque basé sur une double sélection, celle des start-ups par les capital-risqueurs et celle des
capital-risqueurs par les investisseurs institutionnels. Nous avons donc donné aux capital-risqueurs
un rôle central en tant qu’intermédiaires entre les investisseurs institutionnels et les start-ups, et
nous avons justifié ce rôle par leur compétence. C’est l’aspect tacite et dynamique de cette compétence qui justifie l’existence d’intermédiaires financiers entre investisseurs et entrepreneurs,
car il est ainsi possible de faire émerger grâce aux mécanismes de sélection et d’apprentissage
une population de capital-risqueurs suffisamment compétents pour garantir le bon fonctionnement du capital-risque. Dans la seconde partie nous avons étudié l’influence de cette compétence sur les stratégies des capital-risqueurs, plus précisément sur leurs stratégies de gestion
de portefeuille et leurs stratégies de co-investissement. Nous avons montré que la compétence
induisait un arbitrage entre spécialisation industrielle et diversification financière dans les choix
d’investissements du capital-risqueur. Nous avons aussi montré que la recherche de partenaires
compétents influençait la formation du réseau de co-investissement entre capital-risqueurs.
Les principaux résultats de cette thèse peuvent être regroupés suivant cinq grands axes
transversaux. Premièrement, nous apportons un certain nombre de mises en évidence empiriques
de l’existence et de l’influence de la compétence des capital-risqueurs. Deuxièmement, nous
montrons aussi les limites de cette compétence. Troisièmement, notre approche du capitalrisque comme un système permet d’isoler les facteurs clés permettant de favoriser son développement. Quatrièmement, nous nous sommes intéressés aux dynamiques à l’oeuvre dans le fonctionnement du capital-risque et en particulier au rôle de l’apprentissage dans ces dynamiques.
353
354
Conclusion Générale
Finalement, nos résultats apportent aussi un éclairage sur les différences entre le développement
du capital-risque en Europe et aux Etats-Unis.
Dans cette thèse nous avons donc défendu l’idée que les capital-risqueurs sont des intermédiaires compétents. Nos analyses empiriques apportent des résultats qui étayent cette idée.
Dans le chapitre 2, nous montrons que les capital-risqueurs qui prennent plus de risques
sont plus performants que les autres. Cela indique une relation positive entre prise de risque
et compétence et montre que les capital-risqueurs ont bien un avantage comparatif pour faire
des investissements risqués dans les nouvelles technologies. Dans le chapitre 3, nous montrons
que les capital-risqueurs les plus expérimentés sont les plus performants, que la performance
des capital-risqueurs est persistante, et que les capital-risqueurs les plus performants sont sélectionnés sur le marché de la levée de fonds. Cela confirme l’importance de la compétence tout
en mettant en évidence les deux mécanismes évolutionnistes permettant de faire émerger une
population de capital-risqueurs compétents, l’apprentissage et la sélection.
Dans le chapitre 4, nous montrons que les capital-risqueurs sont spécialisés dans différentes
industries, ce qui confirme le rôle de la compétence des capital-risqueurs et indique que cette
compétence est spécifique aux industries où les investissements sont réalisés. Enfin dans le
chapitre 5, nous montrons que le choix des partenaires de co-investissement n’est pas aléatoire mais stratégique, et que la recherche de partenaires compétents rend nécessaire une source
d’information sur la compétence des partenaires potentiels. Nous montrons alors le rôle de la
proximité et notamment de la proximité industrielle et de la proximité dans le réseau de coinvestissement comme source d’information.
Tous ces résultats nous permettent donc de valider notre hypothèse principale, l’importance
de la compétence des capital-risqueurs, et de fonder nos modèles sur une base empirique solide.
Si les résultats précédents mettent en évidence les apports de la compétence, nos modèles
permettent aussi d’en établir les limites.
Dans le chapitre 2, nous montrons que la compétence et l’intensité de sélection sont substituables pour ce qui concerne la rentabilité des investissements, et qu’un niveau de compétence
aussi faible soit-il, mais non nul, peut toujours être compensé par une intensité de sélection
importante. Nous montrons aussi que si l’on considère la capacité à financer l’innovation, un
355
trop grand niveau de compétence peut restreindre cette efficacité. Dans le chapitre 4, nous montrons que la spécificité de la compétence incite les capital-risqueurs à se spécialiser ce qui les
surexpose au risque spécifique de chaque industrie. Enfin dans le chapitre 5, nous montrons
que la recherche d’un partenaire compétent et la difficulté de l’évaluation de cette compétence
restreint le choix de partenaires possibles pour le capital-risqueur.
Nos modèles permettent aussi d’étudier le capital-risque comme un système inséré dans un
environnement et d’en déduire les conditions de son développement optimal.
Dans le chapitre 2, nous montrons que la rentabilité du capital-risque dépend aussi d’autres
facteurs et notamment du nombre et de la qualité des projets de start-ups proposés au capitalrisqueurs ainsi que des possibilités de sorties et surtout du gain potentiel en cas de sortie. Or la
rentabilité du capital-risque détermine aussi son niveau de développement car le capital-risque
n’est viable que s’il est rentable. Pour développer le capital-risque il faut donc aussi agir en
amont et en aval. En amont, il faut alimenter le flux de projets de start-ups, par le développement de la recherche bien sûr mais aussi en assurant le financement de la phase d’amorçage,
aujourd’hui de plus en plus délaissée par les capital-risqueurs. En aval, il faut tout d’abord
développer les marchés de sortie, mais le facteur clé reste le gain potentiel en cas de sortie. Ce
dernier dépend de la taille potentielle du marché ouvert par l’innovation, plus les start-ups ont
accès à un marché important, au niveau régional ou mondial, plus le retour sur investissement
sera grand et plus le nombre d’innovations financées augmentera.
Dans le chapitre 2, nous avons aussi montré que l’organisation optimale du marché du
capital-risque dépendait de la forme de l’incertitude à laquelle les capital-risqueurs sont exposés. Si les capital-risqueurs ne font que des erreurs d’évaluation modérées, suivant une distribution à la queue fine, un marché décentralisé est optimal pour la sélection des start-ups. Si au
contraire les capital-risqueurs font des erreurs d’évaluation extrêmes, suivant une distribution
à la queue lourde, un marché centralisé où tous les investissements sont réalisés par un unique
capital-risqueur est préférable.
Dans le chapitre 3, nous montrons l’importance du partenariat limité comme forme juridique
des fonds pour la sélection de capital-risqueurs compétents. Outre la responsabilité limitée des
investisseurs institutionnels, les deux caractéristiques essentielles de ces partenariats sont leur
356
Conclusion Générale
durée finie et la taille des fonds. La durée finie permet de réaliser une évaluation régulière
des capital-risqueurs. Nous avons montré que le processus de sélection répété permis par ces
évaluations menait à l’élimination complète des capital-risqueurs insuffisamment compétents à
long-terme. La taille des fonds détermine le nombre de capital-risqueurs suffisamment compétents éliminés à tort. Nous avons montré qu’en l’absence de coût de remplacement des capitalrisqueurs éliminés, les investisseurs institutionnels choisissaient toujours une taille minimale.
Inciter à confier des fonds de taille plus importante aux capital-risqueurs peut donc limiter ces
erreurs de sélection.
D’un point de vue théorique nos modèles permettent d’étudier les aspects dynamiques du
fonctionnement du capital-risque, et notamment l’impact de l’apprentissage.
Dans le chapitre 3, nous montrons que le processus de sélection bénéficie toujours de l’apprentissage mais que l’inverse n’est pas toujours vrai. Nous montrons aussi que lorsque la
capacité d’apprentissage des capital-risqueurs est hétérogène, les deux processus sont plutôt
complémentaires. Nous montrons en effet que l’interaction entre les deux processus est avant
tout séquentielle, la sélection élimine d’abord les capital-risqueurs les moins compétents à leur
entrée sur le marché, puis l’apprentissage permet aux autres d’atteindre la performance maximale. Cependant la sélection favorise aussi les capital-risqueurs apprenant plus rapidement,
notamment ceux dont la compétence initiale est proche de la compétence minimale.
Dans le chapitre 4, nous montrons que les capital-risqueurs ont plutôt tendance à augmenter
la diversification de leurs investissements avec l’expérience, mais que l’expérience peut aussi
avoir l’effet opposé. En effet lorsque l’apprentissage n’est pas borné et que les rendements sont
faiblement décroissants le capital-risqueur a tendance à se spécialiser complètement. Lorsque
l’apprentissage est borné mais que la marge de progression du capital-risqueur est encore grande
dans son industrie de spécialité, le capital-risqueur se spécialise à court-terme avant de tendre
vers une diversification complète de son portefeuille à long-terme. L’effet de l’apprentissage sur
la stratégie de diversification est donc ambigu.
Enfin pour ce qui est du développement du capital-risque en Europe, l’étude des réseaux
de co-investissement du chapitre 5 montre un net regroupement des capital-risqueurs par pays
bien que le réseau soit globalement bien interconnecté. Cela suggère donc que l’intégration
357
n’est pas encore aussi complète en Europe et cela pourrait expliquer le moindre développement du capital-risque. En effet si les start-ups se développent sur des bases essentiellement
nationales, le marché auquel elles ont accès est plus petit. Or c’est le marché potentiel ouvert
par la start-up qui fait sa valeur. Si l’accès au marché européen est plus coûteux pour une startup Française ou Allemande que l’accès au marché Texan pour une start-up New-Yorkaise, cela
diminue le gain potentiel en cas de sortie des start-ups et donc, ainsi que nous l’avons déjà vu, le
niveau de développement du capital-risque. Faciliter l’accès au marché européen pour les startups devrait donc être une des façons de rattraper sinon de dépasser le niveau du capital-risque
nord-américain. Nous montrons de plus que l’influence de effet national est similaire entre les
périodes 1995-2000 et les périodes 2000-2005, ce qui suggère que pour l’instant la situation est
plutôt stable, malgré les engagements pris à Lisbonne en 2000.
Finalement, le travail effectué dans cette thèse laisse quelque chantiers ouverts et ouvre de
nouvelles perspectives.
La première perspective serait de proposer un modèle pour la formation du réseau de coinvestissement basé sur les faits stylisés empiriques mis en évidence dans le chapitre 5 et sur
l’interprétation que nous en avons fait, c’est-à-dire que la proximité permet d’obtenir de l’information sur la compétence du partenaire potentiel. Un tel modèle pourrait soit se baser sur une
extension des modèles de croissance de réseau à la Barabasi & Albert (2002), ou bien sur une
simulation du processus d’appariement entre partenaires à la Cowan et al. (2006).
Ensuite il pourrait être intéressant d’effectuer le lien entre la première partie et la seconde en
enrichissant le comportement des capital-risqueurs dans le modèle de la partie 1 avec les stratégies étudiées dans la partie 2. Cela permettrait d’étudier l’effet de ces stratégies de gestion du
risque sur l’efficacité tant du financement des start-ups que de la sélection des capital-risqueurs.
Enfin, il faudrait ensuite mettre en oeuvre un traitement du temps plus réaliste, prenant
en compte les prises de décisions asynchrones des capital-risqueurs, et remplaçant la répétition d’une unique session de sélection des start-ups par un double processus de recherche. Les
projets de start-ups restant disponibles un certain temps avant de quitter le marché s’ils ne trouvent pas de capital-risqueur pour les financer, et les capital-risqueurs pouvant choisir d’attendre
plutôt que de financer une start-up qui ne leur convient pas tout en étant limités par la durée de
358
Conclusion Générale
leur fonds. Cela permettrait l’étude de l’impact des frictions du marché sur le fonctionnement
du capital-risque.
Pour finir, dans un contexte plus macro-économique, il serait intéressant d’étudier la capacité dynamique du capital-risque à accompagner voire à accélérer les cycles de développement
technologique, et notamment les changements de paradigme technologique.
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Glossaire des abréviations
AFIC : Association Française des Investisseurs en Capital, http ://www.afic.asso.fr.
ANVAR : Agence Nationale pour la Valorisation de la Recherche, agence française de financement pour les jeunes entreprises innovantes, sous forme de prêts à taux zéro remboursables uniquement en cas de succès de l’innovation.
ARD : American Research and Development, 1946-1973, firme pionnière du capital-risque.
CAPM : Capital Asset Pricing Model, modèle de valorisation des actifs financier dans une
approche moyenne-variance.
ERISA : Employee Retirement Income Security Act, loi de gestion des fonds de pension américain, réformé en 1979 pour permettre aux fonds de pension d’investir dans le capitalrisque.
EVCA : European Venture Capital Association, association des capital-risqueurs en Europe,
http ://www.evca.com.
NTIC : Nouvelles Technologies de l’Information et des Communications
NVCA : National Venture Capital Association, principale association et lobby de capital-risqueurs
aux Etats-Unis, http ://www.nvca.org.
SBIC : Small Business Investment Companies, entreprise d’investissement subventionnée par
l’état américain, programme d’incitation au financement des jeunes firmes innovantes
par le capital-risque.
SIC : Standard Industrial Classification, classification normalisée des industries par secteur
industriel.
371
372
Glossaire des abréviations
Glossaire du capital-risque
Achat avec effet de levier (LBO : Leveraged Buy-Out) : achat d’entreprise avec des fonds
obtenus par un prêt accordé sur gage des actifs de l’entreprise. En général la part de la
dette dans le montant de l’achat est de l’ordre de 90%. L’effet de levier permet d’espérer
un taux de retour de l’ordre de 20% sur la somme investie.
Business angel : riche investisseur qui gère et investi sa fortune personnelle directement, source
de financement privilegiée pour les premier stade de développement des start-ups.
Capital-investissement (private equity) : Prise de participation en capital dans des entreprises
privées, le capital-investissement intervient à différent stades de développement des entreprises. On peut distinguer : l’amorçage, le capital-risque, le capital-développement,
le capital-transmission et le capital-retournement.
Capital-risqueur (venture capitalist) : investisseur spécialisé en prise de participation dans des
firmes innovantes a fort potentiel de croissance.
Capital-risque d’entreprise (corporate venture capital) : fonds d’investissement en capitalrisque géré par une firme industrielle, souvent pour des motifs stratégiques ou d’externalisation de la production innovation.
Co-investissement (syndicated investment) : investissement impliquant plusieurs investisseurs
dont les apports se complètent pour fournir la somme investie.
Externalités de localisation technologique (knowledge spillovers) : transmission tacite de
savoir et de savoir faire technologique entre des acteurs se trouvant à proximité, par
exemple entre employés de firmes ou entre chercheurs et ingénieurs.
373
Glossaire du capital-risque
374
Filtrage (screening) : sélection parmi un ensemble de candidats suivant des critères ou des
objectifs prédéfinis, dans le cas du capital-risque il s’agit de la sélection des start-ups à
financer.
Fusion-aquisition (M&A : Merger and Acquisition) : cession de part du capital d’une firme par
revente à une autre firme ou fusion avec elle, mode de sortie alternatif à l’introduction
en bourse pour les capital-risqueurs.
Innovation poussée par la technologie (technology-push) : innovation permise par l’avancée
de la technologie, le principal risque est d’ordre commercial, on ignore généralement
la taille du marché ouvert par l’innovation.
Innovation tirée par la demande (demand-pull) : innovation repondant à un besoin identifé
des consomateurs, le principal risque est d’ordre technologique, on ignore généralement si le produit va effectivement être en mesure de répondre à la demande.
Introduction en Bourse (IPO : Initial Public Offering) : ouverture du capital d’une firme par
l’introduction sur un marché financier, la firme devient publique, et généralement le
capital-risqueur en profite pour quitter le capital en revendant ses parts.
Investissement par étapes (staged investment) : pratique des capital-risqueurs qui consiste à
échelonner dans le temps le versemment des sommes nécessaires au développement
complet de la start-up, en conditionnant les versements successifs à la réalisation d’objectifs intérmédiaires.
Investisseur meneur (lead investor) : dans le cas d’un co-investissement dans une start-up, l’un
des investisseur prend le rôle de meneur, les autres lui déléguant notamment les tâches
de suivi de la firme.
Partenariat limité (limited partnership) : forme légale pour un fond d’investissement, créé
pour une durée limité, fondé par des partenaires généraux, responsables de la gestion du
fond, et des partenaires limités, sans droit de contrôle, dont la responsabilité financière
se limite à leur apport.
Start-up : jeune entreprise innovante à fort potentiel de croissance, financée par le capitalrisque.
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