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AU-DELA DE LA PLEINE CONSCIENCE - STEPHAN BODIAN

AU-DELÀ DE LA
PLEINE CONSCIENCE
APPROCHE DIRECTE
DE LA PAIX, DU BONHEUR ET DE L’AMOUR DURABLES
STEPHAN BODIAN
Titre anglais : Beyond mindfulness – The direct approach to lasting peace, happiness and love
Stephan Bodian entraîne le lecteur dans l’expérience directe de son sujet : le terrain
paisible et libérateur de la Conscience au sein de laquelle les expériences se succèdent. Sa
propre profondeur de vue et de cœur transparaît à chaque page, où il propose des
descriptions claires de sujets subtils, des suggestions pratiques et des pratiques concrètes.
Ce livre est un véritable trésor."
-
Rick Hanson, PhD, auteur du ‘’Cerveau du Bouddha’’ et du ‘’Cerveau du bonheur’’
"Ce livre provocateur et profond met en lumière la manière dont la pratique de la
méditation peut réifier le pratiquant – à savoir, le moi attentif. Avec beaucoup de lucidité
et de minutie, l'auteur, Stephan Bodian, présente des approches provenant des traditions
de sagesse non duelle, qui nous permettent de nous détendre et de réaliser l'indivisible et
radieuse Conscience, qui est déjà et toujours ici."
-
Tara Brach, PhD, autrice de ‘’L’acceptation radicale’’ et de ‘’Trouver le véritable
refuge’’
"Stephan Bodian nous emmène au-delà des simples mots, des idées et des fabrications du
mental, au cœur même du sujet. Je recommande chaleureusement cet excellent livre."
-
Lama Surya Das, auteur des best-sellers ‘’Eveillez le Bouddha qui est en vous’’ et
‘’Eveillez votre spiritualité’’
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SOMMAIRE
Avant-propos
4
Introduction
6
Chapitre 1 : Les limites de la pleine conscience
10
Chapitre 2 : Des bourriques !
23
Chapitre 3 : Le remède ultime
34
Chapitre 4 : Lorsque la conscience s’éveille à elle-même
48
Chapitre 5 : Pratiquer l’approche directe
60
Chapitre 6 : La Conscience éveillée dans la vie quotidienne
74
Chapitre 7 : La tête dans la gueule du démon
88
Epilogue
104
A propos de l’auteur
106
3
AVANT-PROPOS
Il peut être compliqué d'imaginer ce qui transcende les pratiques et les enseignements de
la pleine conscience, étant donné leur caractère clairement bénéfique et omniprésent. Ne
suffit-il pas de porter une attention ouverte, sans jugement et curieuse à notre expérience
présente et de cultiver la bienveillance ? Oui, pour certains. Mais pour d'autres, qu'ils soient
pratiquants de longue date ou débutants, il se peut qu'ils sentent qu'il existe une voie plus
directe vers la liberté, l'amour et le bonheur. Si vous êtes l'un de ces lecteurs, vous avez
trouvé un livre superbe et un guide digne de ce nom.
Stephan Bodian, un ami et collègue très cher rencontré lors d'une retraite à la fin des
années 1980, a suivi rigoureusement la voie de la pleine conscience en tant que pratiquant
et prêtre zen. Il a ensuite étudié avec des maîtres spirituels non duels issus des traditions
du bouddhisme tibétain et de l'Advaita Vedanta, dont notre maître commun, Jean Klein,
puis il est devenu psychothérapeute agréé. Grâce à ce parcours riche et varié, il offre ce qui
est peut-être une première en son genre : une critique de la méditation et des
enseignements de la pleine conscience par un initié, à la fois appréciative et stimulante.
Plus important encore, il fait éloquemment ressortir la Conscience éveillée inhérente qui
sous-tend la pratique de la pleine conscience - l'enseignement phare de ce livre.
Il y a beaucoup de choses à apprécier dans les enseignements et les pratiques de la pleine
conscience. Pour beaucoup, ils ont été leur première introduction à la méditation et au
dharma - un portail vers leurs profondeurs intérieures et vers une vérité plus profonde. La
pleine conscience développe une relation plus spacieuse avec les pensées et les sentiments,
réduit l'anxiété et la dépression et améliore la concentration et l'ouverture d'esprit. Dans
certains cas, elle a conduit des personnes à réaliser leur véritable nature. Cependant, elle
peut facilement vous faire chercher à vous améliorer. Après tout, nous pouvons toujours
être plus attentifs, n'est-ce pas ? Cette tendance à vouloir nous "améliorer" présente un
énorme piège potentiel. Nous pouvons facilement rester dans un état subtil de manque
plutôt que de reconnaître notre plénitude intrinsèque.
Il s'avère que les qualités essentielles que les pratiquants de la pleine conscience essaient
de cultiver délibérément, comme la sagesse et la compassion, sont des sous-produits
spontanés de l'éveil à notre véritable nature. L'auto-investigation profonde est comme le
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processus de découverte d'une Source pure. Au terme d'une enquête minutieuse, la
distinction entre soi et les autres s'atténue et se dissout. Il en ressort naturellement la
clarté, l'amour et une Conscience profondément éveillée et lumineuse. De prime abord, on
peut avoir l'impression de n'être personne - d'être indéfini et non délimité - un espace
infiniment ouvert et libre. Avec le temps, on découvre également que l’on n’est séparé de
rien, ni de personne. Cette prise de conscience va bien au-delà de la constatation que nous
sommes interconnectés à un niveau phénoménal, c'est-à-dire que nous faisons partie d'un
Tout plus grand. Il s'agit plutôt de l'intuition que le voyant et le vu, le connaisseur et le
connu, ne sont pas deux. Nous nous expérimentons comme étant la pure lumière de la
Conscience, la source et la substance de tous les phénomènes. C'est là le fruit de la sagesse
du cœur. Bien sûr, il faut du temps pour que cette compréhension se transfère au corpsmental conditionné.
Quand nous nous éveillons de la transe du moi séparé, nous accueillons naturellement ce
qui est - la vie telle qu'elle apparaît - et nous trouvons des moyens de répondre de manière
créative qui coupent le cycle de la réactivité. Ce changement affecte à la fois notre
conditionnement psychologique résiduel et nos réponses aux événements et aux personnes
de notre vie quotidienne. Alors qu'auparavant nous abordions nos pensées et nos
sentiments gênants comme quelque chose à changer ou à éliminer (une autre forme de
réaction), nous y faisons face honnêtement et nous les accueillons innocemment, comme ils
sont, à la lumière de la Conscience. Que se passe-t-il, quand vous vous sentez pleinement
considéré et accepté ? Nos parties et nos schémas rejetés réagissent de la même façon.
Quand nous découvrons notre liberté intérieure, nous l'offrons naturellement aux autres. Il
en va de même pour l'acceptation et l'amour. Le bonheur et la paix se propagent sans
effort, comme une bénédiction spontanée inconsciente.
Profitez des propos éclairants d’Au-delà la Pleine Conscience et du Silence, d'où ils
émanent. Grâce aux judicieux conseils de Stephan, puissiez-vous reconnaître et incarner
plus pleinement votre véritable nature.
-
John J. Prendergast, Ph.D., auteur de In Touch : How to Tune In to the Inner
Guidance of Your Body and Trust Yourself
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INTRODUCTION
Pendant de nombreuses années, j'ai pratiqué la méditation de pleine conscience en tant
que moine bouddhiste. Chaque jour, pendant des heures, je prêtais une attention
particulière au va-et-vient de ma respiration et aux sensations de mon corps pendant que
je méditais. Je suis devenu habile à remarquer les pensées et les sentiments au fur et à
mesure qu'ils se manifestaient, et je me suis senti plus calme, plus spacieux et plus détaché
du drame que semblait être ma vie. Avec le temps, mon anxiété coutumière a diminué, et un
sentiment d'aisance et de contentement m'a gagné. Mes relations se sont améliorées, mon
esprit s'est calmé et ma concentration s'est approfondie. Au lieu de m'inquiéter pour
l'avenir ou d'être obsédé par le passé, je vivais de plus en plus dans l'instant présent, en me
concentrant sur l'accomplissement de la tâche suivante avec autant de soin et de
conscience que possible. D'un intellectuel nerveux, je suis devenu un modèle de patience, de
stabilité et d’équanimité. J'étais une personne complètement différente.
Néanmoins, après avoir passé des années à suivre attentivement ma respiration, à étudier
les subtilités de la méditation avec d'excellents maîtres et à enseigner moi-même la pleine
conscience, j'ai atteint ce qui me semblait être les limites de la pleine conscience. J'étais
certainement devenu plus calme et moins réactif, mais je me sentais aussi plus dissocié de
la vie, comme si je la vivais à distance, au lieu d'être plongé dans l'immédiateté du moment.
Mes méditations étaient indiscutablement plus concentrées et exemptes de bavardage
mental, mais elles semblaient en quelque sorte sèches et manquer de vitalité et d'énergie.
Quand j'ai décrit mon expérience à mon maître zen, il m'a simplement dit de méditer
davantage. Après mûre réflexion, j'ai décidé de ranger mes robes bouddhistes et mon
coussin de méditation pour aller étudier la psychologie occidentale. Je savais qu'il existait
d'autres façons de travailler avec l'esprit et le cœur, et je voulais apprendre ce qu’elles
avaient à offrir.
Plusieurs années plus tard, après avoir essayé d'autres formes de méditation bouddhiste,
un ami m'a présenté un maître de sagesse non duelle, extérieur à la tradition bouddhiste,
qui m'a conseillé d'arrêter de pratiquer la pleine conscience et de m'interroger directement
sur la nature de la réalité. J'ai été intrigué par ses paroles et par le silence profond que j'ai
ressenti en sa présence, et j'ai entrepris de suivre ses conseils. Un jour, alors que je
conduisais sur l'autoroute, une phrase qu'il avait souvent répétée — "le chercheur est le
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cherché" — flottait dans ma conscience, et subitement, ma réalité s'est transformée. Au
lieu de m'identifier au petit moi dans ma tête, j'ai réalisé que j'étais la Conscience illimitée,
inconditionnelle et toujours éveillée, au sein de laquelle les pensées et les sentiments pour
lesquels je m'étais pris abusivement se manifestaient et disparaissaient. En dépit du fait
que je ne méditais plus, j'étais tombé sur l'expérience que j'avais recherchée pendant tant
d'années par le biais de la méditation. Mes années de pratique avaient-elles contribué à ce
moment de réussite ? Je n'en doute pas, mais la méditation seule s'était avérée insuffisante
pour révéler le secret que je m'efforçais de découvrir.
Ce livre reflète mon propre parcours de recherche et de découverte, et il s'appuie sur mes
nombreuses années passées à guider les autres dans la découverte de ce qui ne peut pas
vraiment être enseigné, mais seulement évoqué et réalisé. Bien que j'aie trouvé la pleine
conscience extrêmement utile pour vivre le moment présent et pour apaiser mon mental et
mon cœur turbulents, j'ai finalement dû aller au-delà pour découvrir la paix, l'amour et le
bonheur que je recherchais. Le titre se veut provocateur, mais il ne diminue en rien les
bénéfices exceptionnels que confère la pleine conscience. Pour les débutants en méditation,
je recommande toujours de cultiver une pratique de la méditation de pleine conscience,
comme le moyen le plus efficace de gérer le stress, l'anxiété, la dépression, le chagrin, la
colère et d'autres émotions et états d'esprit difficiles, de percevoir les causes de la
souffrance et d'atteindre une paix et une équanimité relatives. Mais pour diverses raisons
dont je discute longuement dans ce livre, il est possible que la plénitude durable vous
échappe, à moins que vous n'alliez au-delà de la pleine conscience pour reposer dans ce que
j'appelle la Conscience éveillée.
Parmi les enseignants de la pleine conscience les plus connus en Occident, beaucoup
apprécient cette perspective. Influencés par les maîtres non duels et les enseignements de
la tradition bouddhiste et d'autres traditions, ils mettent en garde contre une pratique
instrumentale de la pleine conscience, c'est-à-dire une méthode visant juste à atteindre un
état futur plus désirable.
Au lieu de cela, ils mettent en avant une perspective non instrumentale, où la pleine
conscience vous ouvre à une dimension de sagesse intérieure que vous possédez déjà, mais
à laquelle vous devez simplement accéder. Certains utilisent même les termes "pleine
conscience", comme synonyme de la Conscience elle-même. Ils enseignent que la pratique
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de la pleine conscience vous conduit finalement au-delà de la pleine conscience au sens
conventionnel du terme, jusqu'à la réalisation de la Conscience éveillée. Pour la plupart,
néanmoins, ces enseignants ne formulent aucune critique de la pleine conscience. Et ils ne
proposent pas l'approche plus directe que je décris dans ce livre.
COMMENT UTILISER CE LIVRE
J'ai structuré ce livre de manière à refléter les retraites que je dirige : chaque chapitre
comprend des enseignements, des méditations guidées et un dialogue. Les enseignements
utilisent des mots pour indiquer au-delà des mots notre état naturel de Conscience
éveillée. Les méditations, qui sont intercalées tout au long du chapitre, vous invitent à
dépasser votre esprit conditionné pour faire l'expérience d'un aperçu direct de la
Conscience éveillée par vous-même. Et les sections questions-réponses, qui sont placées à
la fin de chaque chapitre, abordent les sujets qui nécessitent un approfondissement. Si
vous voulez bénéficier au maximum du temps que vous passez dans ces pages, je vous
suggère de résister à la tendance habituelle à accumuler de nouvelles idées et de nouveaux
concepts et de laisser au contraire les mots contourner votre esprit conceptuel, tout en
laissant s'épanouir une véritable intuition. Immergez-vous dans les enseignements,
arrêtez-vous de temps en temps pour pratiquer les méditations, et tournez-vous vers les
dialogues pour obtenir des réponses à certaines des questions qui peuvent se poser en
cours de lecture. Puisse la vérité qui est décrite dans ces pages prendre vie pour vous, et
puisse ce livre vous guider sur la voie directe du retour à la paix et au bonheur de la
Conscience éveillée.
QUELQUES REMARQUES SUR LA PLEINE CONSCIENCE
Dans le cadre de ce livre, j'ai choisi de critiquer la forme progressive de la pleine conscience,
qui est largement pratiquée de nos jours dans les milieux laïques et dans de nombreux
centres de retraite du monde entier, et de l'opposer à l'approche directe décrite dans ces
pages. Mais pour certains enseignants, la pratique délibérée de la pleine conscience est un
tremplin naturel vers un niveau de conscience plus spontané, sans effort et automatique,
qui est essentiellement identique à celui que je présente dans ce livre. Finalement, la pleine
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conscience elle-même, lorsqu'elle est pratiquée sous la direction d'un maître qui connaît la
voie directe pour rentrer chez soi, peut vous amener au-delà de la pleine conscience jusqu'à
votre état naturel de Conscience éveillée.
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CHAPITRE 1 : LES LIMITES DE LA PLEINE CONSCIENCE
Une fois que vous reconnaissez le soleil radieux de la Conscience éveillée, la pratique de la
pleine conscience peut ressembler à l'utilisation d'une lampe de poche en plein midi dans
l'espoir de rendre les choses plus claires.
Dans le contexte dans lequel je l'ai apprise et pratiquée, la pleine conscience a toujours été
un tremplin, et non une fin en soi : une méthode habile pour aller au-delà de la pleine
conscience et reconnaître le fondement d'où elle émane. Selon cette tradition - qui peut
prendre plusieurs formes différentes, mais qui, dans mon cas, s'est exprimée dans le cadre
du bouddhisme zen - la pleine conscience est un portail vers une Conscience plus profonde
et permanente qui ne peut ni être produite, ni être pratiquée. Cette Conscience plus
profonde opère toujours, que nous le sachions ou non. En fait, il s'agit de notre état naturel
de Présence spontanée, sans laquelle il n'y aurait pas d'expérience du tout. Au lieu de la
cultiver comme un talent ou de la renforcer comme un muscle, nous devons simplement la
reconnaître et y revenir.
Dans ce contexte, la pleine conscience n'est pas conçue pour maximiser les performances,
améliorer la santé, remonter le moral ou conférer tout autre avantage que les études
scientifiques des dernières décennies ont identifié. Même le bonheur relatif et d'autres
émotions positives, qui sont un résultat inévitable de la pratique régulière de la pleine
conscience, que les enseignements traditionnels reconnaissent et estiment, sont euxmêmes considérés comme un moyen d'atteindre une fin absolument plus satisfaisante : la
reconnaissance de notre vraie nature et la libération de la souffrance, les autres bénéfices
n'étant que de simples effets secondaires, des bonus sur la voie de la réalisation du Soi.
L'attention portée à l'apparition et à la disparition de l'expérience peut donner lieu à un
aperçu pénétrant de la nature impermanente et insubstantielle du monde dit matériel et de
la collection de pensées, de sentiments, de souvenirs et d'images que nous prenons pour un
moi distinct. Dans certaines approches de la pleine conscience, cet aperçu n'est
généralement obtenu qu'après des années de pratique concentrée de la méditation, mais il
existe une approche plus immédiate qui cible directement ce niveau plus profond et invite à
une reconnaissance instantanée, au-delà du mental. Cette approche plus directe du
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bonheur durable et de la paix mentale est la spécificité de ce livre. La pleine conscience
peut préparer le terrain, mais à un moment donné, il est nécessaire d’aller au-delà.
LA PLEINE CONSCIENCE EN OCCIDENT
Telle qu'elle est actuellement pratiquée en Occident, la pleine conscience provient
essentiellement de la tradition bouddhiste theravada d'Asie du sud-est. À l'origine, le
terme pali sati (généralement traduit par "pleine conscience") comprenait le sens de se
souvenir (être présent) et de distinguer les états mentaux et émotionnels désirables et
indésirables, une connotation qu'il conserve dans de nombreuses traditions. La pleine
conscience en tant qu'"attention nue, sans jugement, à l'expérience du moment présent",
qui est enseignée dans les retraites vipassana, les cours de diminution du stress par la
pleine conscience (MBSR) et la plupart des formations profanes à la pleine conscience, de
nos jours, est devenue l'approche principale en Occident grâce à l'influence de plusieurs
maîtres bouddhistes et des enseignants occidentaux de leur lignée, qui l'ont ramenée
d'Asie au milieu des années 1970. À peu près à la même époque, le moine bouddhiste zen
vietnamien et candidat au prix Nobel de la paix, Thich Nhat Hanh, entreprit d’enseigner une
approche similaire de la pleine conscience en Europe et aux États-Unis.
Même si ces approches diffèrent légèrement, elles ont en commun de vouloir mettre
l'accent sur la pratique et la culture de certains états d'esprit afin de devenir plus sage et
plus compatissant et, dans les versions profanes, de réduire le stress, améliorer la santé,
soulager la dépression, maximiser les performances et obtenir les autres avantages de la
pratique de la pleine conscience.
Les enseignements directs qui sont présentés dans ce livre adoptent une approche
différente : vous êtes déjà l'amour, la compassion, la plénitude, la santé et le bonheur que
vous recherchez — vous n'avez pas besoin de vous entraîner pour devenir cela ; il vous
suffit de le reconnaître et de l'être. Bien sûr, c'est plus facile à dire qu'à faire, et je consacre
les chapitres suivants à vous guider dans ce retour direct vers ce que vous avez toujours
été. Mais l'approche directe est sensiblement différente de la voie progressive
généralement enseignée dans la tradition de la pleine conscience et a un effet très
différent.
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La différence entre les approches directe et progressive peut se résumer à la façon dont
elles comprennent la conscience. Pour les traditions de la pleine conscience, la conscience
est généralement considérée comme un moyen d'arriver à une fin, une faculté que l'on
apprend à cultiver pour atteindre un état d'esprit plus calme, plus compatissant, plus
concentré - et finalement pour développer une vision de la nature impermanente et
insubstantielle de la réalité. Pour l'approche directe, qui peut être enseignée en conjonction
ou en complément de la pleine conscience, la Conscience n'est pas seulement une fonction
ou une faculté, c'est la fin de toute recherche, car c'est ce que vous êtes, et ce qu'est la
réalité, fondamentalement. Quand la conscience s'éveille à elle-même, par votre
intermédiaire, en tant que nature essentielle de l'Être même, vous êtes parvenu à
l'aboutissement de votre recherche et vous demeurez en tant que Conscience éveillée. La
faculté de la pleine conscience, comme rappel de ce que vous êtes peut continuer à opérer,
mais non pas comme une pratique que vous faites, mais comme un retour à soi spontané.
Soyez simplement ce que vous êtes déjà - voilà ce que préconise l'approche directe. La
pratique de la pleine conscience n'est pas un prérequis. Tout ce dont vous avez besoin,
c'est d'une saine curiosité et de la volonté de découvrir la vérité par vous-même.
LES BIENFAITS DE LA PLEINE CONSCIENCE
De nos jours, la pleine conscience est vendue comme un remède efficace contre le stress et
le malaise qui accablent les citoyens de l'ère numérique. Et ce n'est pas sans raison : de
nombreuses études démontrent que la pratique régulière de la pleine conscience peut
enrichir notre vie d'innombrables façons. A côté des aspects subjectifs les plus évidents,
comme une plus grande joie de vivre, des relations plus harmonieuses, une réduction du
stress et de l'anxiété et un soulagement de la dépression, la recherche démontre qu’elle
modifie le cerveau de manière positive. Il suffit de prêter régulièrement attention à votre
expérience sans la juger pour que votre vie s'améliore complètement.
L'effet le plus significatif et le plus profond de la pratique de la pleine conscience, qui ne
peut pas être mesuré par les EEG, ni par les IRMf, est peut-être la tendance croissante à
voir vos pensées et vos sentiments pour ce qu'ils sont et à ne plus les prendre au sérieux ou
personnellement. D'ordinaire, nous sommes complètement séduits et captivés par nos
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pensées et par nos sentiments, et nous les confondons avec la réalité ; avec la pleine
conscience, vous apprenez à développer un certain espace ou une certaine distance saine
par rapport à eux. Ce léger espace vous permet d'être présent aux idées, aux images, aux
fantasmes, aux souvenirs et aux émotions qui traversent votre conscience avant d'y
répondre, plutôt que de vous laisser immédiatement emporter par eux et de les laisser vous
contrôler.
Par exemple, un ami ou un membre de la famille vous dit quelque chose de brusque et
d'inconsidéré, et votre réaction immédiate pourrait être de vous sentir choqué, blessé,
honteux ou furieux. Au lieu de marquer une pause pour prendre conscience de vos
sentiments et des pensées qui les accompagnent, vous pouvez vous mettre en colère et
vous disputer jusqu'au bout de la nuit. Ou vous vous retirez, vous vous éloignez de l'autre
personne et vous boudez, pendant que votre esprit se remplit de jugements et de critiques
négatives. La pleine conscience vous permet de capter les sentiments, alors qu’ils se
manifestent, sans y réagir, puis d'y réfléchir calmement avant de répondre de manière plus
appropriée. Plutôt que de vous égarer dans vos sentiments, vous apprenez à développer
une relation saine avec eux. Qualifiée d'intelligence émotionnelle par le psychologue Daniel
Goleman, cette capacité à établir un rapport spacieux et équilibré avec vos sentiments et à
les communiquer clairement sans réaction est une compétence très prisée dans les salles
de réunion, les lieux de travail et les familles du monde entier.
En plus de sa valeur en matière d'intelligence émotionnelle, la conscience spacieuse cultivée
dans la pratique de la pleine conscience a une valeur inestimable dans d'autres domaines
pratiques : elle aide les personnes souffrant de douleurs chroniques à prendre de la
distance par rapport à leur douleur ; elle permet aux innovateurs et aux penseurs créatifs
de sortir du cadre de la pensée habituelle ; et elle permet aux personnes souffrant de stress
de prendre du recul par rapport aux situations et aux pensées difficiles et d'explorer des
façons plus fructueuses de réagir. Mais même la pleine conscience a ses limites.
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MÉDITATION : ÊTRE CONSCIENT DE LA CONSCIENCE
La Conscience est au cœur de la pleine conscience et de l'approche directe. Dans cette
méditation, il est possible de réfléchir la lumière de la Conscience sur elle-même, d'observer
comment la Conscience opère et de réfléchir à ce qui est conscient.
Trouvez un endroit calme et confortable où vous asseoir pendant une dizaine de minutes.
Prenez quelques respirations profondes et permettez à votre attention de passer des
pensées et des sentiments aux sensations de flux et de reflux de votre respiration. Si votre
esprit s'égare dans des pensées, ramenez-le doucement à la respiration.
Remarquez comment votre attention ne cesse de vagabonder et de revenir. Soyez
conscient du mouvement de l'attention, lorsqu’elle passe d'une chose à l'autre, des pensées
aux sentiments et aux sensations et vice-versa. En d'autres termes, soyez conscient de la
Conscience elle-même. Ce faisant, vous accédez à un niveau de conscience qui est antérieur
à votre conscience habituelle.
Maintenant, demandez-vous : si je suis celui qui est conscient de mes pensées, qui est celui
qui est conscient du mouvement de la Conscience ? En étant conscient de la pensée, ne
suis-je pas totalement extérieur au processus de pensée lui-même ? Puis-je localiser celui
qui est conscient ? Penchez-vous simplement sur cette question et voyez ce qui en ressort.
LES LIMITES DE LA PLEINE CONSCIENCE
Au début, réorienter consciemment votre attention, encore et encore, des pensées et des
sentiments aux sensations de la respiration vous aide à contrecarrer une vieille habitude
par une nouvelle. Habitué à faire une fixation sur les histoires, les fantasmes, les rêveries et
les souvenirs qui se déroulent dans votre tête, vous vous concentrez maintenant sur
l'expérience sensorielle, qui est plus immédiate et plus directement liée au moment
présent. Avec le temps, ce changement d'attention vous amène à une relation plus
harmonieuse avec votre corps et votre expérience corporelle ressentie, et vous entraîne à
prêter attention à ce qui se passe en ce moment, plutôt qu'à votre interprétation de ce qui
se passe.
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Contrairement à la pensée, la sensation directe est un portail vers le présent, alors que la
pensée vous transporte généralement vers un passé ou vers un avenir imaginaire. Avec la
maturité de votre pratique, vous devenez capable d'élargir votre conscience aux sensations,
tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de votre corps, pour y inclure également les pensées et les
sentiments, sans vous y laisser prendre. C'est la conscience spacieuse dont nous avons
parlé auparavant.
À un certain moment, cependant, la pratique de la pleine conscience, en tant qu'état
d'esprit particulier qu’il faut s’efforcer de maintenir, peut commencer à sembler laborieuse
et mécanique, et on peut se retrouver à désirer une façon plus spontanée et moins
manipulatrice d'être présent. Lorsque j'étais moine, je me suis tellement focalisé sur le
maintien d'une attention délibérée à mon expérience du moment présent que j'ai perdu
mon aisance naturelle pour devenir une sorte d'automate de la pleine conscience. Ce n'est
qu’après avoir abandonné la pleine conscience que j'ai pu découvrir une qualité de présence
plus détendue et sans effort. Si bénéfiques soient-elles, les techniques ne peuvent vous
amener qu'à un certain point, et l'objectif de la pleine conscience n'est pas une pleine
conscience supérieure et plus concentrée, mais une plus grande ouverture, une plus grande
spontanéité et une plus grande authenticité. Bouddha a comparé la technique à un radeau
conçu pour vous emmener jusqu’à l'autre rive. Une fois arrivé, inutile de transporter le
radeau sur votre tête, on peut le laisser sur la rive.
Correctement enseignée et pratiquée, la pleine conscience peut être souple, légère,
spacieuse et compatissante, ainsi que je l'ai décrit précédemment, et un bon enseignant
vous guidera dans un relâchement graduel de votre effort, au moins jusqu'à un certain
degré. Seul notre conditionnement axé sur la réussite tend à transformer la pratique en
quelque chose d'obsessionnel. L'habitude de se focaliser sur un objectif futur et de
considérer la méditation, non pas comme une opportunité d'être paisible, présent et ouvert
au moment présent, mais plutôt comme une méthodologie orientée vers une tâche à
accomplir pour atteindre un but lointain, est profondément ancrée dans les esprits. Cette
orientation vers un objectif va à l'encontre du dessein même de la pleine conscience, qui est
de vous inviter à être présent à votre expérience, sans jugement, interprétation ou
programme. L'engouement croissant pour les avantages de la pleine conscience et les
résultats impressionnants de la recherche risquent de transformer la pleine conscience en
un nouveau programme d'amélioration personnelle, une tâche supplémentaire sur la liste
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interminable des choses à faire, plutôt qu'en une opportunité de passer du faire et de
l'accomplissement à simplement être.
À un niveau plus subtil, l'accent mis sur l'application délibérée de l'attention, quoique utile
au début, présente un certain nombre de pièges et de limites potentiels. Tout d'abord, elle
peut renforcer progressivement une nouvelle identité d'observateur détaché. Plutôt que de
faire tomber les barrières apparentes qui vous séparent des autres et du monde qui vous
entoure, la pleine conscience peut effectivement les renforcer, en vous donnant le
sentiment d'être un ego observateur distinct, localisé dans la tête, qui regarde
attentivement son expérience et ses actions depuis une certaine hauteur. Au lieu de vous
inviter à être plus intime avec la vie et les autres, la pleine conscience peut devenir une
sorte de distanciation délibérée et habituelle qui vous prive de la chaleur et de la
spontanéité. Comme le dit un maître zen : "Si vous êtes attentif, vous créez déjà une
séparation. Lorsque vous marchez, marchez simplement. Laissez la marche se produire.
Permettez à la communication, au repas, à l'assise et au travail de se produire.’’
Ce piège est subtil, et même les méditants les plus expérimentés (surtout eux, d'ailleurs)
ont du mal à le reconnaître. Le mot clé ici, c'est l'ego : la Conscience spacieuse et sans
fixation se transforme, en quelque sorte, en une position fixe (l'ego), qui entretient la
séparation. Les personnes qui se laissent prendre à cette fixation peuvent s'identifier à leur
détachement et être difficiles à atteindre, même dans les relations intimes, où elles ont
tendance à se retirer de toute interaction authentique et spontanée. Pendant mes années
de moine, je me sentais fier de mon statut de méditant confirmé et je me cachais derrière le
détachement que j'avais cultivé pour éviter d'être vulnérable. La différence entre la
Conscience spacieuse et l'observation détachée est essentielle ici, mais elle peut être
difficile à discerner : la Conscience spacieuse apaise le sentiment de séparation et favorise
une plus grande chaleur et une plus grande intimité avec ce qui est ; l'observation détachée
crée une distance, une réserve et une aversion subtile (ou pas si subtile que ça) à l'égard de
ce qui est.
Associée à cette fixation sur le détachement, il y a la tendance à utiliser la pleine conscience
pour éviter ou pour réprimer activement les émotions que vous trouvez inconfortables ou
menaçantes. Plutôt que d'y faire face et de les accueillir, comme la pleine conscience est
censée l'encourager, vous développez un niveau de conscience concentré qui vous permet
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de vous élever au-dessus d'elles et de les transcender, en apparence, alors qu'en fait elles
continuent de bouillonner sous la surface et s'expriment finalement de manière
inconsciente. Vous avez peut-être déjà rencontré des méditants de ce genre : la collègue de
travail qui exsude la tristesse et le chagrin qu'elle a refoulés, et qui prétend que la pleine
conscience l'a élevée au-delà de ces petites faiblesses humaines, ou l'ami proche qui
prétend n’avoir aucune colère, mais qui pète parfois un câble avant d’en revenir rapidement
à un calme forcé, comme si rien ne s'était passé. Lorsque j'ai finalement réalisé que la
méditation ne m'aidait pas à gérer certaines émotions difficiles, j'ai quitté la vie
monastique pour étudier la psychologie et explorer d'autres options. L’aptitude à
manipuler l'attention, que la pleine conscience enseigne, peut devenir un moyen pour
contrôler sa vie intérieure et aboutir à une forme de dérive spirituelle, c'est-à-dire à
l'utilisation de techniques méditatives pour éluder des préoccupations plus quotidiennes et
plus humaines.
En tant que moine bouddhiste, j'ai rencontré beaucoup de personnes qui, comme moi,
recouraient à la méditation comme à un refuge contre les défis de la vie, en se retirant sur
leur siège de méditation, si la situation devenait ardue dans l’idée de suivre leur respiration
et de calmer leur mental turbulent et leur cœur. Malheureusement, elles n'ont jamais
franchi l'étape suivante, elles n'ont jamais utilisé la lucidité pénétrante que procure la
méditation pour rechercher les causes profondes de leur malaise et de leur angoisse. En
fait, certaines personnes deviennent dépendantes de la méditation - il est vrai qu'en
matière de dépendance, il y a pire - et croient qu'elles ne peuvent pas fonctionner sans leur
dose quotidienne de pleine conscience. Dès qu'elles ressentent une émotion ou un état
d'esprit qu'elles trouvent inconfortable ou indésirable, elles pensent devoir y remédier en
méditant.
Si vous pratiquez régulièrement la méditation de pleine conscience depuis des mois et des
années, vous pouvez prendre l'habitude d’activer un mode de pilotage automatique de la
pleine conscience, une observation routinière qui prive la Conscience de son ouverture
naturelle non conditionnée et de sa spontanéité. Utilisée ainsi, la pleine conscience ne fait
que perpétuer votre dépendance à l'égard d'un état modifié qui doit être constamment
maintenu, et elle ne vous permet jamais vraiment de faire l'expérience d'une paix, d'une
liberté et d'une authenticité durables, qui sont après tout la promesse ultime de la pleine
conscience.
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Évidemment, lorsqu'elle est utilisée comme il se doit, la pratique régulière de la pleine
conscience peut être extraordinairement utile pour voir à travers le filtre des pensées, des
sentiments et des histoires qui vous séparent des autres. Mais ces pièges — la tendance à
s'identifier à l'observateur séparé, distant et attentif, la tendance à faire de la méditation
une tâche orientée vers un objectif, la tendance à réprimer les pensées et les sentiments
difficiles pour préserver une tranquillité forcée, et la tendance à glisser dans un genre
d'attention habituelle et conditionnée — peuvent être profondément ancrés et difficiles à
reconnaître ou à démanteler. L’appellation même de la "pleine conscience" peut alimenter
ces méprises en semblant localiser le processus dans la tête. Vous pouvez être en mesure
de maintenir votre observation calme et détachée par le biais d’une vigilance constante,
mais si votre énergie faiblit et si vous relâchez votre effort, la qualité de l'observation et le
calme qu'elle génère commencent à faiblir également - jusqu'à ce que vous fassiez à
nouveau un effort pour être attentif.
PASSAGE À L’APPROCHE DIRECTE
De nombreuses personnes se contentent de pratiquer régulièrement la méditation de
pleine conscience et ne voient pas la nécessité d'aller plus loin en participant à des
retraites, ou d'élargir ou d'approfondir leur pratique. D'autres peuvent participer à une
retraite occasionnelle et devenir habiles à maintenir une conscience spacieuse, mais
continuent à se sentir tout à fait à l'aise dans le cadre habituel de la pleine conscience.
D'autres encore peuvent se sentir amenés à poursuivre la pleine conscience dans l’une de
ses versions en tant que voie de compréhension de la nature de la réalité.
Mais si vous lisez ce livre, vous faites peut-être partie de ceux qui ont atteint les limites
supérieures de la pleine conscience. Peut-être vous sentez-vous coincé dans l'un de ces
pièges, et peu importe vos efforts, vous ne parvenez pas à vous en libérer en utilisant les
techniques de pleine conscience à votre disposition. Il est possible que vous vous sentiez
comme un chien qui court après sa propre queue, en recourant à la pleine conscience pour
vous libérer des pièges de la pleine conscience, mais sans jamais y parvenir. L'un de mes
étudiants a décrit ainsi la situation :
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Je méditais depuis des années et j'étais capable de rester attentivement présent pendant
des heures sur mon coussin de méditation. Dans la vie de tous les jours, je me sentais lucide
et calme, mais quelque peu détaché. Je ne pouvais pas vraiment ressentir ma propre
vitalité, ni la chaleur de la connexion avec les autres. J'avais l'impression de me retrouver
dans une impasse, et j’ignorais comment procéder. Mon instructeur m'a juste dit de
continuer à méditer, mais je savais que ce n'était pas ce dont j'avais besoin.
Ou bien peut-être appréciez-vous la conscience spacieuse que vous avez découverte, mais
las de l'action constante et de la dépendance au maintien d'un certain état, vous vous
demandez s'il n'y a pas moyen de dépasser, de transcender la pleine conscience pour
atteindre un niveau de conscience plus profond, plus naturel et plus durable. Ou alors, vous
pouvez connaître des moments où votre pleine conscience disparaît spontanément, où
vous perdez totalement le contact avec l'observateur et où vous vous retrouvez sans effort
hors de la conscience spacieuse dans une sorte de no man's land sans point de référence.
Ces moments peuvent être désorientants et déstabilisants, et vous pouvez finir par
chercher à retrouver votre pleine conscience.
MÉDITATION : REPOSER DANS L’ESPACE
Habituellement, l'esprit est rempli d'un flux ininterrompu de pensées et de sentiments qui
peuvent paraître écrasants ou oppressants. En pratiquant la pleine conscience, vous pouvez
progressivement développer un espace intérieur qui vous permet de respirer profondément
et de négocier ce flux. Dans l'approche directe, vous pouvez découvrir spontanément des
espaces naturels ou des pauses entre les pensées, où un silence intérieur et un calme se
révèlent sans effort.
Prenez quelques minutes pour vous asseoir tranquillement et portez une attention
particulière à votre respiration. Orientez ensuite votre attention vers la cascade des
pensées et des sentiments. Même si celle-ci peut paraître incessante, vous remarquerez de
temps en temps un minuscule espace entre les pensées, qui est ouvert, silencieux et vacant.
Une pensée jaillit et disparaît, et avant que la pensée suivante ne jaillisse, il y a un vide.
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Permettez-vous de respirer dans cet espace ; ressentez-le pleinement, et prolongez-le
doucement. Pendant les dix prochaines minutes environ, continuez à remarquer, sentir et
prolonger les espaces ou pauses entre les pensées, d'une manière détendue et paisible, et
ressentez le silence et la quiétude que révèlent ces espaces.
Vous remarquerez peut-être que le sentiment d'un moi disparaît dans cet espace ; c'est-àdire que, contrairement aux pensées, cet espace n'est pas autoréférentiel, il est simplement
ouvert et conscient. C'est un aperçu de votre état naturel. Continuez à explorer ces espaces
de temps en temps, au fil de votre journée.
Si vous vous approchez de cette limite supérieure, vous êtes sur le point de passer de la
pleine conscience à une nouvelle phase de la pratique. C'est l'objet du livre, qui se veut un
guide dans votre transition de la pleine conscience vers un niveau de conscience plus
naturel, plus spontané et plus durable. J'appelle ce niveau —en réalité un niveau au-delà
des niveaux - la Conscience éveillée, et je consacre le reste du livre à l'explorer et à vous
proposer des méditations et d'autres moyens habiles pour vous aider à en faire
l'expérience par vous-même. La Conscience éveillée n'est pas un nouvel état spécial d'esprit
et de cœur qu’il faut cultiver ou créer, elle est réellement intrinsèque à ce que vous êtes en
tant qu'être humain, votre condition naturelle, que des années de conditionnement ont
concouru à obscurcir.
Dans le bouddhisme et dans d'autres traditions spirituelles, cette condition ou cet état
naturel est comparé au soleil, qui brille constamment, peu importe si le ciel est nuageux. Si
vous voulez la lumière du soleil, il ne sert à rien de vous exercer à l'ensoleillement, ni à
cultiver la clarté ; en fait, un tel effort aurait l’air ridicule. Il suffit plutôt de disperser les
nuages qui bloquent la lumière - ou d’attendre qu'ils se dispersent d'eux-mêmes.
Pareillement, une fois que vous reconnaissez le soleil radieux de la Conscience éveillée, la
pratique de la pleine conscience peut ressembler à l'utilisation d'une lampe de poche en
plein midi dans la perspective de rendre les choses plus claires.
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EN CONCLUSION
La méditation de pleine conscience présente des avantages considérables et bien
documentés. Elle peut améliorer votre humeur, soulager votre stress, améliorer votre
concentration et accroître votre intelligence émotionnelle. Mais elle peut aussi renforcer un
sentiment subtil de séparation entre celui qui est attentif et les objets de l'attention, dont il
peut être très difficile de se défaire. Si vous aspirez à surmonter l'illusion d'un moi séparé,
vous risquez de trouver la pleine conscience contre-productive. Au lieu de cela, vous pouvez
pratiquer l'approche directe décrite dans ce livre, qui, comme son nom l'indique, pointe
directement vers votre éveil inhérent, votre état naturel de Conscience éveillée.
Je n'ai jamais pratiqué la pleine conscience. Dois-je y revenir et la pratiquer d'abord avant
de suivre l'approche que vous décrivez dans ce livre ?
Absolument pas. J'ai conçu ce livre comme une critique de la pleine conscience et comme
un guide vers une approche plus directe pour ceux qui ont l'impression d'avoir atteint les
limites de la pleine conscience, mais vous pouvez aussi vous y engager directement, sans
préparation. Comme je le mentionne dans ce chapitre, la pleine conscience présente de
nombreux avantages et peut vous apprendre à être présent et attentif, mais elle a aussi des
limites importantes qui peuvent s'avérer être des obstacles à une réalisation plus profonde.
Profitez des indications et des méditations guidées de ces chapitres et découvrez ce
qu'elles révèlent pour vous.
Vous mettez en garde contre l'utilisation de la pleine conscience comme moyen de
distanciation et de refoulement, mais franchement, j'ai le problème inverse : je me sens
souvent submergé par un flot d'émotions puissantes et j'arrive à peine à garder la tête hors
de l'eau. Je pratique la pleine conscience précisément parce qu'elle me procure plus de
distance.
Oui, il semble que la pleine conscience vous permette d'entrer en relation avec vos
émotions sans vous laisser dominer par elles. Soyez simplement conscient du piège que
représente le fait de devenir dépendant de votre pratique de la méditation comme d'un
refuge contre les émotions difficiles, plutôt que d'utiliser la pleine conscience pour les
accueillir lorsqu'elles se présentent. (Au chapitre 7, je décris comment entrer en relation
21
avec les émotions de manière spontanée du point de vue de la Conscience éveillée). Si la
pleine conscience fonctionne bien pour vous et vous procure la facilité et la distance que
vous recherchez, alors bien sûr, continuez à la pratiquer et profitez-en !
Vous parlez abondamment des limites de la pleine conscience. Quelles sont les limites de
l'approche directe ?
Chaque approche a ses pièges et ses limites. Étant donné que l'approche directe tend à
s'appuyer sur des mots comme indicateurs, l'un des risques est de se laisser captiver par
les mots et d'ignorer la réalité vers laquelle ils pointent. Je connais de nombreuses
personnes qui semblent sages, parce qu'elles peuvent débiter le jargon non duel, mais qui
n'ont aucune expérience directe de leur état naturel de Conscience éveillée. En l'absence
d'une pratique régulière de la méditation pour ancrer votre attention dans le moment
présent, vous pouvez facilement vous perdre dans le domaine conceptuel.
De même, vous pouvez confondre l'accent mis sur la facilité et l'absence d'effort avec de la
paresse et de la passivité et vous contenter de l'idée commode que la Conscience éveillée
est votre état naturel, sans faire le moindre effort pour le réaliser par vous-même. Oui,
votre état naturel de Présence inconditionnelle est toujours accessible, mais tant que vous
ne le reconnaissez pas directement, vous êtes toujours coincé, comme aimait à le rappeler
l’un de mes maîtres, et votre souffrance n'a pas changé du tout.
Vous dites qu'il est facile pour l'ego de s'immiscer dans nos pratiques pour devenir celui qui
les accomplit. Mais même dans la pratique consistant à simplement permettre à toute
chose d'être telle qu'elle est, l'ego n’a-t-il pas toute latitude de s'immiscer en tant que celui
qui permet ?
Oui, l'esprit peut récupérer à peu près n'importe quelle pratique et l'utiliser au service de
son propre besoin de contrôle. Tout comme il peut faire une très bonne imitation de la
pleine conscience, il peut tout aussi bien imiter le fait de permettre, sans vraiment
permettre. C'est l'un des pièges les plus subtils de l'approche directe, puisqu’il peut être
particulièrement élusif et difficile à détecter. Finalement, l'esprit s’épuise à tenter de
permettre, et retombe dans l'ouverture sans limite qui permet déjà toujours.
22
CHAPITRE 2 : DES BOURRIQUES !
Pendant des années, Nasruddin conduisit des bourriques transportant des paniers remplis
d'objets divers de part et d'autre de la frontière avec le royaume voisin. Les gardesfrontières le soupçonnaient de faire de la contrebande, mais en dépit de toutes leurs
recherches concertées, ils ne purent jamais rien trouver. Après son départ à la retraite,
Nasruddin partit s'installer dans une ville éloignée et il tomba un jour par hasard sur l’un
des gardes-frontières dans un café routier. "Holà Nasruddin !", le salua le garde, "quelle
surprise !" Après quelques minutes de causette, le garde ne put s'empêcher de poser la
question qui le taraudait depuis tant d'années. "Maintenant, tu peux me le dire, quel genre
de contrebande faisais-tu ?" "Aaahh !", répondit Nasruddin en sirotant son thé. "Eh bien, je
passais des bourriques."
Comme les gardes-frontières, vous avez un cerveau humain qui est configuré pour ignorer
le cadre et pour se focaliser sur le contenu, pour prêter attention à la forme, mais négliger
le fond. Tout au long de la journée, votre attention est inévitablement attirée par des
objets et par des personnes, par vos enfants, par vos amis, ou votre liste de tâches à
accomplir, ou vos collègues de travail...Mais vous arrêtez-vous jamais pour remarquer
l'espace qui entoure et imprègne ces objets, sans lequel ils ne pourraient pas être
fonctionnels ? Ou considérez-vous l'espace comme allant de soi, comme le fond invisible où
apparaissent des objets ?
Bien sûr, l'espace est difficile à appréhender, n’ayant ni emplacement, ni taille, ni forme, ni
substance ; il s'agit plutôt du potentiel qui rend les objets possibles, plutôt que d'une chose
distincte qui peut être connue de manière indépendante. Néanmoins, vous faites
l'expérience de l'espace, lorsque vous vous trouvez dans un endroit où il est bien présent,
comme au sommet d'une montagne ou sur une plage déserte, ou bien lorsque vous
ressentez son absence, comme dans une foule ou dans une pièce encombrée de meubles.
De la même manière, vous considérez l'écran de votre ordinateur ou de votre smartphone
comme allant de soi, et vous vous absorbez dans les images qui défilent sur l'écran.
Pourtant, sans cet écran, qui constitue le fond sur lequel sont projetées les images et
d'autres informations, vous ne seriez pas en mesure de rester en contact avec le monde et
les personnes que vous aimez. De même, vous considérez l'air comme une évidence, à
23
moins que vous ne remarquiez son absence parce que vous êtes enfermé dans une pièce
étouffante (ou que vous plongez sous la surface de l'océan), alors que sans air vous ne
pourriez pas respirer. Le plus important peut-être (et le point essentiel du sujet de ce livre)
c’est que vous ne prêtez pas attention à la Conscience, alors que sans elle vous n'auriez
aucune expérience et que le monde cesserait d'exister pour vous. La Conscience est la
bourrique négligée à laquelle renvoie la parabole de Nasruddin.
Lorsque vous pratiquez la pleine conscience, vous découvrez que la conscience est une
fonction que vous avez le pouvoir de manipuler et de contrôler. Au lieu de la laisser
vagabonder sans but et inconsciemment d'un objet ou d'un sujet à l'autre, vous pouvez la
concentrer délibérément, comme un faisceau lumineux, en passant de vos pensées à vos
sensations physiques, puis aux mouvements de votre respiration, et inversement. Au fur et
à mesure que votre pratique de la pleine conscience progresse, votre conscience s'affermit
comme un muscle (ou, pour prolonger la métaphore, comme une lumière qui devient
progressivement plus brillante), votre esprit pensant se tranquillise, et vous récoltez tous
les merveilleux avantages que confère l'entraînement à la conscience. Néanmoins, il est
rare de rencontrer un enseignant qui vous guide dans l'exploration de la nature de la
Conscience elle-même et qui vous invite à accomplir le "pas en arrière" - lorsque vous
retournez la lumière de la Conscience sur elle-même.
SE DÉSIDENTIFIER DES PENSÉES ET DES SENTIMENTS
Grâce à votre pratique de la pleine conscience, vous réalisez que votre Conscience est
distincte de votre pensée ; sinon, vous ne pourriez pas être conscient de vos pensées. En
fait, la capacité de prêter attention à vos pensées sans s'y identifier est un avantage
essentiel de la pratique de la pleine conscience qui vous libère progressivement de la
tyrannie de votre mental. Plus vous passez de temps à observer vos pensées, plus vous
avez de l'espace ou de la distance par rapport à elles, et plus il est facile d'y réfléchir et d'y
répondre de manière équilibrée et appropriée, plutôt que d'y réagir de façon impulsive et
d'en récolter les conséquences.
Vous finissez par développer ce que moi-même (et d'autres), nous appelons la conscience
spacieuse, une sorte d'ouverture intérieure qui accueille les pensées et les sentiments sans
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s'y identifier directement. La capacité de maintenir une conscience spacieuse au cours de
longues périodes est l'une des étapes ou l'un des niveaux les plus significatifs de la pratique
de la pleine conscience. Vous n'êtes plus constamment contrôlé par votre mental - vous
êtes désormais plus libre de ses diktats.
Mais lorsque vous pratiquez la pleine conscience, on vous enseigne généralement que la
conscience spacieuse est une fonction que vous devez maintenir par une pratique assidue.
Si vous relâchez votre pratique, la fenêtre ouverte de la conscience se referme
progressivement. Et si, au lieu de cela, vous réalisiez que l'ouverture n'est pas un état
spécial qui doit être maintenu, mais votre état naturel de Conscience qui est toujours
présent, mais généralement obscurci par les nuages de la pensée discursive ? Lorsque vous
ouvrez les yeux le matin, devez-vous faire un effort pour être conscient de votre
environnement ? Ou bien la Conscience est-elle immédiatement présente et fonctionnelle,
dès que vous ouvrez les yeux ?
MÉDITATION : ENTRER DANS LA ZONE LIMINALE
L'intervalle entre le sommeil et l'état de veille peut être un portail naturel ouvrant sur une
conscience plus vaste.
Quand vous vous réveillez le matin, vous pouvez remarquer une brève période, où vous
vous situez entre le sommeil et l'état de veille, où vous avez quitté les rêves nocturnes,
mais sans être encore entré dans les identités et les projets de la journée. Cet intervalle
peut être extrêmement bref, mais si vous êtes attentif, vous pouvez le capter et le
prolonger.
Cet entre-deux recèle une qualité inconnue, peut-être un sentiment d'ouverture et de
nudité ; c'est une sorte de zone liminale, où vous ne savez pas encore exactement qui ou ce
que vous êtes. Vous pourriez avoir peur de cette ouverture et avoir tendance à vous
précipiter dans le connu pour consulter votre smartphone ou pour ouvrir votre ordinateur
afin de vous rappeler qui vous êtes. Restez plutôt simplement tranquillement allongé, et
soyez ouvert à l'inconnu.
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Résistez à la tentation d'être à nouveau quelqu'un. Permettez-vous de n'être personne ;
permettez à votre esprit d'être vide de pensées, non meublé, jusqu'à ce que les identités se
réinstallent progressivement. Remarquez l'espace entre vos identités et la conscience que
vous en avez. Remarquez si un espace similaire apparaît à d'autres moments de la journée,
un espace vide que vous avez peut-être ignoré auparavant, mais dans lequel vous pouvez
maintenant vous plonger et que vous pouvez prolonger. Continuez à vous ouvrir à
l'ouverture.
INTRODUCTION À LA CONSCIENCE ÉVEILLÉE
Cette distinction peut sembler subtile, mais elle a des implications considérables. Si vous
n'avez pas besoin de maintenir une conscience spacieuse, vous pouvez vous détendre et la
laisser survenir d'elle-même, plutôt que de la pratiquer comme s'il s'agissait d'une
compétence. Si elle existe et se maintient d'elle-même, vous pouvez commencer à explorer
votre relation avec elle. L'un des principaux problèmes de la pratique de la pleine
conscience est que l'esprit peut la récupérer et la transformer en un exercice d'observation
mentale, une sorte de fausse pleine conscience. En fin de compte, cette "pleine conscience"
devient laborieuse et mécanique et sape votre tendance innée à être authentiquement et
spontanément présent, ce qui est le but réel de la méditation.
MÉDITATION : PERMETTRE AUX CHOSES D’ ÊTRE COMME ELLES SONT #1
Votre état naturel d'éveil inhérent, la Conscience éveillée, accueille la réalité telle qu'elle
est, sans résistance ni saisie. Vous ne pouvez pas "pratiquer" la Conscience éveillée, mais si
vous suivez cette méditation guidée, vous serez peut-être en mesure de vous détendre
pour la retrouver.
Prenez quelques minutes pour vous asseoir à votre aise et déplacez votre attention de
votre esprit pensant vers le va-et-vient de votre respiration. Maintenant, au lieu de
pratiquer votre technique de méditation habituelle, j'aimerais que vous vous asseyiez
tranquillement et que vous laissiez tout être comme il est. Ne concentrez pas ou ne
manipulez pas votre attention de quelque manière que ce soit, ne suivez plus votre
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respiration, ne faites rien en particulier ; permettez simplement que tout soit, sans essayer
de changer, d'éviter ou de supprimer quoi que ce soit.
Au début, vous pourrez trouver ces instructions déconcertantes, puisque vous êtes
tellement habitué à travailler avec votre attention. En méditation, comme dans la vie, vous
êtes adepte du faire, mais peu habitué au non-agir. Considérez le ciel - il n'a rien à faire
pour inclure les oiseaux, les avions et les autres objets qui le traversent. Par nature, le ciel
est ouvert et inclusif.
Il en va de même pour votre état naturel de Conscience éveillée. Tout effort pour pratiquer
l'ouverture ne fait que vous éloigner de l'ouverture innée de votre état naturel. Lorsque je
dis "Laissez tout être, comme cela est", votre esprit le prend comme une injonction à faire
quelque chose de spécial. Au lieu de cela, considérez-le comme une invitation à vous
reposer dans l'ouverture qui existe déjà en permanence.
Au lieu de pratiquer l'attention vigilante, vous pouvez laisser tomber tout effort ou toute
manipulation et permettre à la Conscience de survenir d'elle-même. Au lieu de perpétuer
l'ego observateur, vous pouvez vous détendre dans l'observation naturelle qui a toujours
lieu. Comme le soleil caché derrière les nuages, la Conscience brille constamment ; il vous
suffit de voir à travers les couches de pensées, de croyances, d'identités et d'émotions qui
l'obscurcissent. Tant que vous ne vous accrochez pas à l'ancienne version, votre pratique
de la pleine conscience vous est d’un grand secours pour passer à la phase suivante de
l'entraînement à la conscience. La capacité à rester présent durant de longues périodes,
que vous avez développée grâce à la pleine conscience, peut maintenant être utilisée pour
aider à pénétrer les couches.
Mais pourquoi voudriez-vous changer la pleine conscience que vous pratiquez depuis des
mois ou des années et expérimenter cette approche radicalement différente ? Eh bien, si
vous appréciez toujours la pleine conscience conventionnelle et ses nombreux avantages,
vous ne le ferez peut-être pas. Mais si vous êtes prêt à aller au-delà de la pleine conscience
et à expérimenter une nouvelle façon d'être qui procure une paix, un bonheur et un bienêtre durables, alors vous serez peut-être enclin à découvrir la Conscience éveillée.
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La Conscience éveillée n'est ni mon invention ni ma découverte ; elle est transmise et
enseignée depuis des milliers d'années comme la prochaine étape naturelle après la pleine
conscience, et même, comme l'aboutissement ultime de la pleine conscience. Dans la
tradition bouddhiste, dont sont issues la plupart des formations laïques à la pleine
conscience, on l'appelle "esprit vaste", "vrai Soi", "claire Lumière" ou "nature de l'esprit", et
elle est considérée comme la réalisation ultime et la seule source d'épanouissement
permanente. Comme je l'ai déjà suggéré, elle diffère de l'attention vigilante de plusieurs
manières significatives. La plus importante est peut-être le fait que la Conscience éveillée
n'est pas un état d'esprit. Alors que les états mentaux, aussi exaltés soient-ils, fluctuent, la
Conscience éveillée préexiste avant tous les états temporaires, comme fondement de l'Être
dans lequel toutes les expériences se produisent et disparaissent. Comme je l'ai suggéré
précédemment, c'est comme l'espace ou l'air à cet égard ; sans lui, les expériences ne se
produiraient pas. La base de la Conscience est la condition sine qua non en l'absence de
laquelle rien ne pourrait exister. (Si vous n'en êtes pas persuadé, imaginez une expérience
se produisant sans conscience ; la notion même d'expérience présuppose l'existence de la
Conscience).
J'utilise ici deux formulations distinctes, à savoir la base de la Conscience et la Conscience
éveillée, pour une bonne raison. Au niveau le plus profond de la réalité, la Conscience est le
champ libre où tout se produit. Que vous le reconnaissiez ou non, c'est toujours déjà le cas.
Cependant, au niveau de l'expérience, la Conscience éveillée n'apparaît pas dans votre vie
avant que vous ne réalisiez que cette base de la Conscience est votre état naturel, en fait,
ce que vous êtes vraiment. Ce passage de la reconnaissance de la conscience en tant que
fonction à la reconnaissance de la Conscience en tant que base, puis à la réalisation qu'elle
est votre nature et votre identité fondamentales, est l'Eveil qui est décrit par les grands
maîtres spirituels. Seul ce changement peut apporter l'épanouissement ultime, puisqu’il
brise l'illusion d'être une personne distinct(iv)e en désaccord avec une réalité extérieure/
étrangère qui menace constamment d'attaquer, de refuser ou de décevoir. Comme l'a
enseigné le Bouddha il y a plusieurs millénaires, l'illusion d'un moi séparé et l'avidité, la
colère et l'ignorance que cette illusion suscite, sont la racine de toute souffrance. Ce n'est
que si vous voyez à travers l'illusion de la séparation et si vous réalisez la nature non duelle
essentielle de la réalité - ce que le maître zen, Thich Nhat Hanh, appelle notre essence
commune - que vous pouvez enfin parvenir au terme de la souffrance et à la libération d'un
cœur (r)assuré.
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SE RÉVEILLER DE SON ÉTAT SECOND
Les chercheurs qui étudient la conscience ont tendance à considérer les niveaux de
conscience expérimentés pendant la méditation comme des états modifiés, parce qu'ils
nécessitent un certain effort pour être cultivés et maintenus et parce qu'ils diffèrent de
l'état de veille ordinaire des non-méditants. Mais comme je l'ai déjà indiqué, la Conscience
éveillée n'est pas un état dans ce sens, car elle ne nécessite ni maintien ni préparation ; elle
est toujours présente en arrière-plan de chaque expérience. Comme un écran vierge sur
lequel des images défilent en laissant l'écran intact et inaltéré, la Conscience éveillée est
l'espace ouvert et sans effort au sein duquel les états d'esprit apparaissent et disparaissent
sans laisser de trace.
De ce point de vue, la plupart des gens errent dans un état modifié, c'est-à-dire un état de
conscience qui est fortement altéré et déformé par les histoires, les croyances, les
souvenirs et les expériences accumulés au cours d'une vie. Pour reprendre les mots de
l'apôtre Paul, nous voyons la vie "à travers un verre sombre", obscurci par le
conditionnement qu’impose le mental. Ce conditionnement filtre chaque expérience et
chaque situation à travers le prisme des traumatismes et des blessures du passé, des
succès et des performances, des pertes et des amours, et nous réagissons à la vie actuelle
non pas comme elle est vraiment, mais comme nous l'imaginons sur la base de nos
expériences passées. En conséquence, nous ne vivons jamais réellement dans le présent nous errons dans un monde imaginaire de notre propre cru, en joutant comme Don
Quichotte contre des moulins à vent que nous prenons pour des géants.
Par exemple, vous vous réveillez le matin et commencez immédiatement à vous inquiéter
de la réunion que vous devez avoir avec votre patron plus tard dans la journée. Au lieu de
profiter du chant des oiseaux à l'aube ou de l'odeur du café, vous vous projetez dans le
futur en anticipant ce que vous allez dire. Sur la base de vos expériences passées avec des
figures d'autorité, vous supposez que vous allez être réprimandé ou critiqué d'une manière
ou d'une autre, et vous ressentez déjà de la peur, de la honte et de la colère, avant même de
sortir de chez vous. Lorsque vous arrivez au travail, vous êtes très perturbé et vous avez du
mal à vous concentrer sur les projets en cours. Rien ne s'est encore produit - vous vivez
dans un monde imaginaire, dans un état modifié fabriqué par votre mental, et vous voyez la
vie à travers le voile épais des conditionnements du passé.
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Lorsque vous percez ce voile sombre du conditionnement et que vous percevez la vie
clairement, vous quittez l'état modifié que votre mental a créé pour en revenir à votre état
naturel d'ouverture et de clarté, qui est votre droit de naissance en tant qu'être humain. Au
lieu de réagir constamment à des menaces et à des humiliations imaginaires, vous répondez
à la vie instantanément en vous basant sur une évaluation réaliste de ce qui se passe
réellement. Et contrairement à la conscience spacieuse que vous cultivez dans la pleine
conscience, cette ouverture n'a pas besoin d'être "pratiquée" mais elle est toujours
accessible et à portée de main. Dans le zen, cette ouverture naturelle et inconditionnée est
appelée ‘’l'esprit du débutant’’, et elle est assimilée à la conscience pleinement éveillée des
grands maîtres zen. Au lieu de la cultiver, vous devez simplement la découvrir et la
reconnaître.
Attention, il ne s'agit pas ici de naïveté ou d'ignorance ; vous pouvez tirer des leçons des
expériences de la vie et les appliquer consciemment à votre situation actuelle, mais sans
laisser ces expériences limiter et déformer votre capacité à être pleinement présent et
ouvert. La différence réside dans le fait d'être contrôlé par votre conditionnement
psychologique ou d'utiliser délibérément ce que vous avez appris pour augmenter vos
possibilités. Comme le dit un vieux dicton, le mental est un grand serviteur, mais un piètre
maître.
La question essentielle est la suivante : souffrez-vous ou pas ? La souffrance psychologique
et le stress, quels qu'ils soient (par opposition à la douleur physique), sont uniquement le
fait du mental et ne sont jamais causés par d'autres personnes, ni des événements, ni des
situations extérieurs. Si vous luttez toujours contre la vie telle qu'elle est, c'est que le
mental conditionné est devenu votre maître, et la solution la plus aboutie et la plus durable
consiste à vous éveiller et à dépasser le mental pour trouver votre foyer dans la Conscience
éveillée.
EN CONCLUSION
Comme l'air ou l'espace, nous considérons la Conscience comme allant de soi, alors que
sans elle, le monde tel que nous le connaissons n'existerait tout simplement pas. La
Conscience est l'arrière-plan de toute expérience, l'ouverture à partir de laquelle les
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pensées, les sentiments et les sensations apparaissent et disparaissent. La première étape
de l'approche directe consiste à reconnaître que la Conscience est constamment là, sans
aucun effort de votre part. En vous reposant sciemment dans la Conscience, au lieu de vous
efforcer d'être attentif, vous permettez la transition de la pleine conscience à la Conscience
éveillée.
Dans le chapitre suivant, je décrirai plus en détail la Conscience éveillée, j'énumérerai ses
caractéristiques inhérentes et je démontrerai comment elle offre une solution durable à
toutes vos souffrances et insatisfactions — le remède ultime à tous vos maux. Dans
certaines traditions, la Conscience éveillée est connue comme étant le joyau qui exauce
tous les souhaits, la perle de grand prix, qui confère une dimension de paix et de joie, que
les hauts et les bas de la vie ne peuvent tout simplement pas détruire. Ces revendications
sont peut-être audacieuses, mais tels sont le pouvoir et la promesse de l'approche directe.
Dans la tradition bouddhiste, telle que je la comprends, la pleine conscience peut être
utilisée comme une méthode pour atteindre les niveaux les plus profonds de la sagesse et
de la compassion. Pourquoi devons-nous aller au-delà ?
Dans la plupart des traditions qui indiquent la voie de l'Eveil spirituel, la pleine conscience
est un tremplin, une pratique préliminaire qui mène soit à des pratiques plus avancées, soit
à une approche plus directe, qui invite à une réalisation directe de notre nature non duelle
par le biais d'indications verbales et d'une investigation guidée. Par exemple, l'auteur de
Mindfulness in Plain English, le moine sri-lankais Bhante Gunaratana, a écrit un autre livre
intitulé Beyond Mindfulness in Plain English décrivant les jhanas, des niveaux de
concentration et d'absorption méditative de plus en plus profonds.
Dans la tradition Vipassana d'Asie du Sud-Est, la pleine conscience est une base pour des
niveaux d'investigation plus profonds et l'expérience de l'intuition de la nature
impermanente et insubstantielle du monde phénoménal. Dans la tradition tibétaine, la
pleine conscience peut être suivie de pratiques de visualisation, d'instructions ponctuelles
(transmises directement par un maître) et/ou de méditations destinées à déconstruire
l'illusion d'un moi séparé. Les exercices et les indications proposés dans ce livre ne
nécessitent pas d'expérience en matière de pleine conscience, mais une pratique régulière
31
de la méditation peut constituer une excellente base, puisque vous savez déjà comment
rester présent et être attentif.
Si vous voulez atteindre les niveaux les plus profonds de la sagesse et de la compassion,
vous devrez peut-être aller au-delà de la pleine conscience à un moment donné. Mais si
vous appréciez les bienfaits de la pleine conscience et si vous ne voyez aucune raison d'aller
au-delà, n'hésitez pas à poursuivre cette pratique aussi longtemps que vous le souhaitez.
Soyez simplement conscient des pièges qui sont décrits au chapitre 1, et rappelez-vous que
vous disposez d'autres options, si vous vous sentez prêt à explorer plus en profondeur.
Vous suggérez que la Conscience éveillée n'est pas un état, mais l'arrière-plan immuable de
tous les états. En même temps, vous dites que nous pouvons la quitter puis y revenir. S'il ne
s'agit pas d'un état d'esprit, pourquoi change-t-il constamment ? Cela me semble être une
question de sémantique.
Revenons-en à l'analogie du soleil. Certains jours à Seattle, vous ne pourriez pas dire qu'il y
a du soleil, mais vous savez bien que le soleil continue de briller, même si les nuages
l'obscurcissent. Similairement, la Conscience éveillée est toujours présente et immuable, en
tant qu'arrière-plan silencieux de toute expérience, mais elle peut être obscurcie par les
nuages de la pensée discursive. Une fois que vous en avez un aperçu, vous êtes confiant et
vous savez qu'elle est toujours accessible, si vous laissez les nuages se disperser. À la
longue, vous parvenez à vous reposer de manière plus constante dans l'ouverture et la
Présence inconditionnelles. La Conscience éveillée elle-même reste imperturbable et
immuable ; la seule chose qui peut varier, c'est la clarté de votre reconnaissance, de même
que la vue du soleil change avec le mouvement des nuages.
Vous semblez sous-entendre que la méditation n'est pas nécessaire pour réaliser la vérité
la plus profonde. Mais les grands maîtres de toutes les traditions soulignent l'importance
de pratiques telles que la méditation, la prière et l'auto-investigation. Sinon, ne feronsnous pas les mêmes erreurs, encore et encore ?
Les pratiques ne sont pas obligatoires, mais elles peuvent certainement être utiles, même
dans l'approche directe décrite dans ce livre, tant que vous vous y engagez comme des
expériences ou des explorations destinées à révéler une dimension plus profonde de l'Être
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qui est déjà présente, mais pas encore pleinement reconnue. Tout au long de ces chapitres,
je propose des indications directes et des méditations guidées, qui invitent à une
réalisation immédiate et instantanée de cette dimension plus profonde, votre état naturel
de Conscience éveillée. Si, toutefois, vous pratiquez dans le but de cultiver certains états
d'esprit et d'atteindre un objectif futur d'Illumination ou de Libération, qui ne vous est pas
déjà accessible, vous ne faites que vous éloigner de la radiance et de la complétude
inhérentes à votre Être propre.
Si vous avez déjà une compréhension intuitive de la Conscience éveillée, vous trouverez
peut-être que des indications directes suffisent à déclencher une réalisation complète. Un
maître bien connu a dit que ceux qui sont déjà bien sur la voie n'ont qu'à entendre
l'instruction "Sois simplement qui tu es" pour réaliser leur véritable nature qui est par
essence éveillée. Pour ceux qui ont besoin de plus de directives, il suggérait l'autoinvestigation et la prière. Vous seul pouvez savoir quelles pratiques et autres méthodes
habiles sont appropriées pour vous. Expérimentez par vous-même et travaillez avec celles
qui vous correspondent le mieux.
33
CHAPITRE 3 : LE REMÈDE ULTIME
Reposer dans la Conscience inébranlable est le plus grand remède, puisqu'il permet de se
détendre dans une paix sans faille, immaculée, non conditionnée et non née, libre de tout
effort et de toute tentative, un équilibre continu et ininterrompu, où les yeux perçoivent
sans analyser, et où le mental apparaît sans se réifier en tant que sujet séparé.
-
Le maître tibétain, Longchen Rabjam
On considère généralement le Bouddha comme un maître spirituel pionnier et comme le
fondateur de l'une des principales religions du monde. Mais dans sa propre tradition, on
l’appelle le Grand Médecin, qui a su diagnostiquer la cause des maux de l'humanité et
apporter une solution, un remède, un traitement. Il n'est pas nécessaire d'être bouddhiste
ou de s'intéresser au bouddhisme pour apprécier sa critique de la condition humaine.
Bien qu'il ait mené une vie protégée en tant que prince, le futur Bouddha était
profondément troublé par la maladie, par la vieillesse et par la mort qu’il observait autour
de lui, et il se résolut à découvrir une solution. Après des années d'austérité et de
méditation profonde, il conclut que nous souffrons, parce que nous désirons ardemment ce
que nous ne pouvons pas avoir et que nous refusons ce que nous avons - les impulsions
jumelles de l'attachement et de l'aversion. En fait, nous sommes constamment en guerre
contre la façon dont les choses sont. De plus, il réalisa que l'attachement, l'aversion et
l'ignorance reposent sur une illusion fondamentale, à savoir que nous sommes des êtres
solides, séparés, et isolés vivant dans un monde matériel, qui menace constamment de nous
spolier ou de nous détruire. Il découvrit que l’unique moyen de sortir de cette souffrance, et
la voie sûre qui mène au bonheur, c’était de s'éveiller de l'illusion de la séparation et
réaliser notre interdépendance - notre unité, en fait - avec la totalité de la vie.
Une des approches pour parvenir à cette réalisation consiste à utiliser la méditation de
pleine conscience comme un outil puissant pour pénétrer les couches de l'illusion et révéler
l'impermanence et l'interdépendance au cœur de l'existence. Une autre approche
développée plusieurs siècles après la mort du Bouddha consiste à s'éveiller directement,
non seulement à l'interdépendance et à l'impermanence, mais également à un principe
existentiel permanent et global, qui est à la fois vide et éternel, non localisé et omniprésent,
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infiniment spacieux et profondément compatissant. Lorsque cette base de la conscience se
révèle à un niveau humain individuel, elle est connue sous le nom de Soi véritable, Nature
de Bouddha ou Conscience éveillée.
Même si cette approche peut paraître abstraite et amorphe, elle est en fait éminemment
pratique et pragmatique. En d'autres termes, elle fonctionne comme indiqué pour procurer
un épanouissement durable, et la Conscience éveillée à laquelle elle renvoie est facilement
accessible, si nous sommes prêts à la réaliser. Dans ce chapitre, je vais rendre la Conscience
éveillée plus concrète et décrire ses principales caractéristiques, et je vous proposerai
quelques exercices qui vous permettront de l'entrevoir par vous-même. Le but n'est pas de
vous remplir la tête de jargon spirituel, mais de vous offrir des indications directes pour
dépasser la souffrance et pour atteindre votre état naturel de bonheur et d'aisance.
MÉDITATION : REPOSER DANS LA CONSCIENCE
C'est une nouvelle invitation à vous reposer dans la Conscience éveillée qui est toujours et
déjà présente.
Prenez quelques minutes pour vous asseoir à votre aise, et déplacez votre attention de
votre esprit pensant vers le va-et-vient de votre respiration. Maintenant, au lieu de
pratiquer votre technique de méditation habituelle, j'aimerais que vous vous asseyiez
tranquillement et que vous laissiez tout être, comme il est. Ne concentrez pas ou ne
manipulez pas votre attention de quelque manière que ce soit, ne suivez plus votre
respiration, ne faites rien en particulier ; permettez simplement que tout soit, sans essayer
de changer, d'éviter ou de supprimer quoi que ce soit.
D'ordinaire, notre attention se focalise sur les objets et les interprète, ce qui crée un monde
intérieur chargé de sens qui n'a pas grand-chose à voir avec la façon dont les choses sont
réellement. Au lieu de cela, laissez tomber cette fixation sur les objets et la tendance à
juger et à interpréter, et détendez-vous dans la Conscience elle-même. Reposez-vous dans
la Conscience ouverte et inconditionnelle dans laquelle les expériences se succèdent. Cette
Conscience est par nature silencieuse, présente et immobile ; elle ne fait rien, elle accueille
simplement ce qui est, comme tel.
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Laissez-vous reposer dans cette Conscience ou cette Présence silencieuse, ouverte et
inconditionnelle. Pas d’effort, de manipulation, de pratique, ni d’action, reposez-vous
simplement dans la Conscience, et laissez tout être, tel quel.
QU’EST-CE QUE LA CONSCIENCE ÉVEILLÉE ?
Ainsi que je l'ai déjà mentionné, la Conscience éveillée, en tant qu'arrière-plan permanent
de toute expérience, est autonome et toujours accessible. Puisque c'est votre état naturel,
votre droit de naissance en tant qu'être humain, vous n'avez pas besoin de la cultiver ni de
la maintenir, comme vous le faites avec la pleine conscience ; vous devez juste vous
détendre en elle et la reconnaître. En fait, elle observe toujours par le biais de vos yeux et
elle écoute par le biais de vos oreilles, mais vous ne la reconnaissez pas — comme l'espace
que vous habitez ou l'air que vous respirez.
Si vous vous reposez dans la Conscience éveillée (et en tant que telle), votre façon
habituelle et conditionnée de voir les choses devient caduque, et vous expérimentez la vie
avec acuité et clarté, sans filtre, et avec un regard et une écoute neufs. Cette nouvelle
perspective peut être non seulement excitante et exaltante, mais aussi un peu
déstabilisante et désorientante, du moins au départ. Après tout, vous avez passé toute une
vie à vous connaître, vous et les autres, de la même façon banale et prévisible. Maintenant,
les voiles ont été arrachés, et vous rencontrez la vie directement, brute et non filtrée. Il est
rare que cette nouvelle perspective s'enracine immédiatement. Mais plus vous demeurez
dans cette Conscience ou dans cette Présence ouverte et inconditionnelle, et plus vous
faites l'expérience de certaines des qualités suivantes, que je présenterai brièvement ici,
avant de les explorer en détail dans les chapitres suivants. Bien que j'en parle séparément,
ces qualités ou ces caractéristiques ressemblent davantage aux facettes d'un diamant qu'à
une liste de traits distincts. Une fois que vous découvrez la Conscience éveillée, elles se
révèlent sans effort comme différents aspects d'une seule et même réalité.
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MÉDITATION : EXPANSION DE LA CONSCIENCE AU-DELÀ DU CORPS
Cette méditation utilise l'expérience sensorielle directe pour vous libérer de votre
identification aux limites du corps physique et pour vous ouvrir à l'infini de la Conscience
éveillée.
Trouvez un endroit calme et confortable où vous asseoir pendant une dizaine de minutes.
Prenez quelques respirations profondes et laissez votre attention se déplacer des pensées
et des sentiments vers les sensations de votre corps dans l'espace : le contact de vos pieds
avec le sol, de votre dos et de vos fesses avec la chaise, le flux et le reflux de votre
respiration.
Explorez plus particulièrement les sensations à la périphérie de votre corps, là où il
rencontre votre environnement. Remarquez les contours, le poids, la chaleur. En explorant,
remarquez si vous pouvez trouver une démarcation ou une frontière claire, où l'intérieur de
votre corps se termine et où le monde extérieur commence.
Les sensations tactiles se produisent-elles à l'intérieur de votre corps et les sons à
l'extérieur ? Ou se produisent-ils tous dans le même espace fluide et continu ? Êtes-''vous''
quelque part à l'intérieur de votre corps, ou l'expérience de votre corps se passe-t-elle en
vous ?
Permettez maintenant à toutes les limites résiduelles de votre corps de se dissoudre dans
l'espace qui vous entoure. Permettez à cet espace de continuer à s'ouvrir et à s'étendre loin
au-delà des limites du corps pour inclure les sons, les odeurs, les objets et les autres
personnes. Tout se passe dans cet espace sans limites, sans contours, ni centre.
Si vous vous autorisez à vous dissoudre dans cet espace, qu'advient-il du sentiment localisé
d'être une personne distincte ? Où vous situez-vous ? Où vous arrêtez-vous et où
commence le monde extérieur ? Reposez dans cet espace sans limites, sans contours ni
centre.
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PAS DE SÉPARATION ENTRE SOI ET L’AUTRE, ENTRE LE DEDANS ET LE
DEHORS
Avez-vous déjà exploré les limites de votre corps par l'entremise de votre expérience
sensorielle directe pour déterminer où vous vous arrêtez et où le monde extérieur
commence ? Si oui, vous avez réalisé que les contours sont, au mieux, diffus. Sans le
recours à la pensée et à l'interprétation, il est souvent difficile de distinguer ce qui se passe
à l'intérieur de ce qui se passe à l'extérieur. Dans la Conscience éveillée, vous réalisez que
vous êtes l'ouverture sans limites, l'espace éveillé et conscient, dans lequel tout advient. En
d'autres termes, tout se passe en vous, plutôt qu'en dehors ! Pour autant, vous ne perdez
pas de vue le fait que vous êtes aussi un être humain, avec un corps enveloppé de peau, et
que vous devez éviter les objets brûlants et faire attention lorsque vous traversez la rue.
Les deux dimensions sont vraies simultanément.
Alors que le sens ordinaire et quotidien de l'individualité vous sécurise à un niveau relatif,
la Conscience éveillée révèle que vous êtes intimement interconnecté avec tout le reste de
l'univers - ou plus exactement, que vous êtes l'espace dans lequel tout est un et
inséparable. Croyez-le ou non, il est possible de fonctionner avec cette perspective sans
limites. En fait, le fonctionnement devient tellement plus fluide, plus harmonieux et plus
satisfaisant, lorsque vous ne luttez pas constamment contre le monde "extérieur". Au lieu
de la peur, de la méfiance, de la colère et du conflit, vous vous déplacez maintenant dans le
monde avec un sentiment de confort, d'aisance, de confiance et d'appartenance. Au lieu de
l'aliénation ou de la séparation, vous ressentez maintenant une profonde intimité et
familiarité avec tout et tous ceux que vous rencontrez, pas seulement sur le plan des idées
ou de la philosophie, mais dans votre expérience immédiate.
NI CENTRE, NI PÉRIPHÉRIE, NI MOI
Au fur et à mesure que les frontières apparentes entre l'intérieur et l'extérieur
s'estompent, il en va de même pour la perspective habituelle d'être une personne distincte,
un petit moi limité, centré dans un endroit particulier. Un examen attentif et une
investigation minutieuse permettent de découvrir que le moi distinct et solide pour lequel
vous vous preniez n'est qu'un ensemble fluctuant de pensées, de sentiments, de souvenirs,
d'histoires et de croyances librement amalgamés et soudés par la colle de l'autoréférence.
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Mais où est celui à qui appartiennent toutes ces pensées ? Où est le centre auquel tout se
réfère, apparemment ?
La Conscience éveillée répond à cette question en offrant une perspective globale, vaste et
inclusive, où le centre apparent s'efface et où tout est accueilli pour ce qu'il est, sans être
interprété en termes de bénéfice ou de menace pour le moi séparé. Non seulement cela,
mais la Conscience éveillée confère la réalisation que ce qui regarde avec ces yeux et ce qui
est regardé, le sujet apparent et l'objet apparent, ne sont en fait que des expressions du
même champ illimité, ininterrompu et indivis, intrinsèquement éveillé, lumineux et rempli
d'amour.
MÉDITATION : INVESTIGUER LA NATURE DES PENSÉES
Vous croyez peut-être savoir ce que sont les pensées, mais le savez-vous vraiment ? On
vous a peut-être dit qu'elles sont le résultat d'impulsions nerveuses dans le cerveau, mais
quelle est votre expérience directe ?
Asseyez-vous tranquillement, installez-vous confortablement et passez quelques minutes à
prendre conscience du flux et du reflux de votre respiration.
Déplacez ensuite votre attention vers vos pensées pendant quelques instants. Commencez
par remarquer si elles sont surtout visuelles ou auditives. En d'autres termes, avez-vous
tendance à entendre vos pensées, à les voir, ou un peu des deux ? Vos pensées ont-elles
une couleur ? Une forme ? Une taille ? Une densité ? Où sont-elles localisées ? Semblentelles se produire à l'intérieur de votre tête, à l'extérieur, ou ailleurs dans votre corps ? D'où
viennent vos pensées ? Où vont-elles, quand elles ne sont plus là ?
Remarquez maintenant que chaque pensée fait référence à une autre pensée, qu'il s'agisse
d'une pensée concernant le passé ou d'une pensée concernant l'avenir, d'une pensée
concernant les autres ou d'une pensée vous concernant. Les pensées se réfèrent
constamment les unes aux autres dans un réseau vaste et complexe de pensées
interreliées. Les sentiments forment un réseau autoréférentiel similaire. Mais où se trouve
à l'intérieur cette personne soi-disant solide et distincte, à laquelle ces pensées et ces
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sentiments font référence ? Pouvez-vous la localiser ? Ou bien cette personne en
apparence distincte n'est-elle qu'un amalgame de pensées et de sentiments en constante
évolution ? Quelle est votre expérience directe ?
Demandez-vous ensuite : "Qui ou qu'est-ce qui est conscient de ces pensées et de ces
sentiments ?" Vous êtes capable de parler de vos croyances, de vos sentiments, de vos
souvenirs et de vos idées, puisqu’ils sont les objets de votre expérience. De fait, la personne
pour laquelle vous vous prenez généralement est un amalgame de ces objets. Mais pouvezvous trouver celui qui en est conscient, le sujet ultime ? Le sujet peut-il jamais devenir un
objet de votre expérience ?
TOUT EST PARFAIT ET SIGNIFICATIF, COMME TEL, ET IL N’Y A QUE CELA
Un corollaire inévitable de la reconnaissance que l'intérieur et l'extérieur ne sont que des
aspects d'une réalité indivise est le constat que seul ce moment existe. Le passé n'est qu'un
souvenir et le futur qu’une pensée qui surgit en ce moment même. Si vous tentez de
désigner quelque chose qui existe en dehors du moment, vous verrez que tout ce que vous
pouvez identifier s’actualise en fait maintenant, même vos accomplissements les plus
significatifs et vos identités les plus chères. Bien sûr, vous pouvez les lister sur votre CV ou
les poster sur les réseaux sociaux. Mais où existent-ils réellement, si ce n'est sous la forme
d'une histoire, d'une pensée ou d'une image, en ce moment même ? Même le moment
présent, si vous tentez de le capturer, ne peut être saisi et il vous glisse entre les doigts.
Une fois que vous êtes pleinement conscient du caractère unique et précieux de ce moment
éphémère, vous reconnaissez, d'une manière mystérieuse qui dépasse votre compréhension
rationnelle habituelle, que tout ce qui se révèle en ce moment n'est pas seulement unique,
mais aussi intrinsèquement abouti, significatif et parfait, même avec toutes ses
imperfections évidentes. (Suivant les termes d`une célèbre expression, c`est l`Un sans
second, et donc incomparable).
Ces qualités n'ont absolument rien à voir avec les polarités duelles, comme completincomplet, parfait-imparfait, ou significatif-non significatif. Mais plutôt, chaque personne
et chaque chose, aussi imparfaite ou problématique qu'elle puisse paraître, est parfaite en
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ce sens qu'elle est simplement telle qu'elle est, qu'il ne pourrait en être autrement et
qu'elle diffuse la perfection essentielle de l'Être lui-même. La réponse naturelle à cette
reconnaissance est un mélange subtil d'amour, d'émerveillement, de gratitude et de joie.
Dans la tradition judéo-chrétienne, ce sentiment d'émerveillement face à la perfection de la
création divine est généralement réservé aux anges, mais il est en fait accessible aux
humains en vertu d'une Conscience éveillée.
MÉDITATION : QUELQUE CHOSE MANQUE-T-IL EN CE MOMENT PRÉCIS ?
Cette méditation offre la possibilité de voir le monde avec un regard neuf, libre de toute
superposition conceptuelle, et d'entrevoir la perfection inhérente.
Consacrez cinq minutes à l'exercice suivant. Tout d'abord, asseyez-vous tranquillement et
concentrez-vous sur le flux et le reflux de votre respiration. Sentez le soulèvement et
l'affaissement de votre poitrine et de votre ventre pendant que vous respirez. Remarquez
les sensations de votre dos et de vos jambes contre la chaise, et de vos pieds sur le sol.
Soyez conscient des sons ambiants ainsi que des sensations à l'intérieur de votre corps.
Reposez dans l’instant présent, sans effort, ni préoccupation.
Maintenant, posez-vous cette question : "Sans consulter le mental - c'est-à-dire mes
pensées, mes souvenirs, mes croyances, mes sentiments ou mes projets - est-ce qu'il
manque quelque chose, en ce moment précis ?" Ecartez toute pensée qui pourrait surgir, et
reposez-vous la question. Pouvez-vous trouver quelque chose qui manque ou qui fait
défaut, et qui n'implique pas la pensée ? Que découvrez-vous ?
NI EFFORT, NI LUTTE : LA VIE SE VIT PAR VOTRE ENTREMISE
Lorsque vous cessez de traverser la vie comme si tout tournait autour de vous et que vous
accueillez plutôt chaque instant à partir de la perspective globale de la Conscience éveillée,
comme une parfaite expression de l'Être lui-même, vous mettez fin à votre lutte constante
pour faire en sorte que la réalité réponde à vos attentes en matière de sécurité et de
confort pour passer plutôt au sentiment intuitif de couler avec le courant continu de la vie.
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Au lieu de vous imaginer comme le chorégraphe, vous réalisez que vous êtes à la fois un des
danseurs et, à un niveau plus profond, un avec la danse elle-même. Votre rôle n'est pas
d'imposer vos mouvements à tous les autres, mais de trouver votre place unique et
appropriée dans la danse.
Au lieu de faire une fixation sur ce que vous voulez et de vous efforcer de faire en sorte que
la réalité accède à vos désirs, comme on nous l'apprend dès le plus jeune âge dans notre
culture axée sur la réussite, vous écoutez avec attention le cours de la vie qui se diffuse à
travers vous et vous lui permettez de vous porter là où il le souhaite. A la longue, vous
réalisez que vous ne contrôlez pas du tout votre vie : c'est elle-même qui vous vit. Mais
sans vous sentir "hors de contrôle", parce que vous savez que vous et la vie êtes
indissociables, et vous avez confiance dans le fait qu'elle a son propre sens et son propre
dessein plus profonds que votre esprit rationnel ne peut pas comprendre.
ÊTRE PERSONNE ET QUELQU’UN, RIEN ET TOUT
Du point de vue global de la Conscience éveillée, vous réalisez que vous êtes à la fois
indissociable de tout et de tous, et en même temps, vous êtes ce corps et cet esprit uniques
qui progressent dans le temps et l'espace, avec vos propres préférences, capacités et
particularités. Vous vivez sur le fil du rasoir paradoxal de la pure Présence, où l'Essence
jaillit dans la manifestation, où le Rien s'épanouit dans la totalité, et où l'impersonnel
s'exprime sous la forme de quelqu'un.
Parce que vous savez que vous êtes l'espace dans lequel tout se déploie, vous ne pouvez
plus tout à fait vous identifier à ce petit moi, mais vous considérez avec tendresse et
compassion cette personne que vous pensiez être dans la Présence spacieuse et universelle
que vous êtes vraiment. Être quelqu'un, être rien, et être la totalité sont parfaitement
indissociables et complémentaires (l’un des grands mystères de la Conscience éveillée). En
fait, cette identification plus profonde avec le plan de l'Être façonne et infuse vos pensées
et vos actions à tous les niveaux, en vous permettant de vous couler dans le courant de la
vie et en vous conférant une empathie et une intimité profondes avec les expériences de
tous ceux que vous rencontrez.
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LA VÉRITÉ À TOUS LES NIVEAUX : UNE RÉPONSE APPROPRIÉE BASÉE
SUR LA SITUATION EN COURS
Si vous avancez dans la vie avec la clarté et la compassion de la Conscience éveillée, vous
constatez que votre engagement envers la façon dont les choses sont est beaucoup plus
fort que tout engagement tenace à défendre d'anciennes positions et d’anciens points de
vue. Ainsi, vous abandonnez progressivement toute tendance à vous tromper vous-même
et les autres, même de manière subtile, et vous avez plutôt confiance dans le fait que dire la
vérité vous aligne avec le cours de la vie, plutôt que de vous mettre en porte-à-faux avec ce
qui est. Lorsque vous n'êtes plus égocentré dans la posture contractée du moi imaginaire,
mais ouvert à l'étendue illimitée de la Conscience éveillée, vous voulez naturellement ce qui
est le mieux pour la totalité, plutôt que ce qui est uniquement le mieux pour une minorité.
Dire la vérité à tous les niveaux n'est plus un choix que vous devez faire, mais devient
inévitable, comme ouvrir les yeux le matin.
Du point de vue de la Conscience éveillée, vous répondez aux gens et aux situations avec
franchise, facilité, en toute liberté, et vos réponses sont appropriées au moment présent,
car elles découlent spontanément d'une pleine appréciation du moment lui-même, plutôt
que des stratégies égocentriques du moi individualiste. Au lieu de vous battre pour obtenir
ce que vous pensez vouloir, vous aimez ce que la vie vous apporte, parce que vous savez
que c'est exactement ce dont vous avez besoin. En conséquence, le stress, la lutte, la
frustration et la dépression auxquels vous étiez habitué se transforment progressivement
en détente, en aisance, en reconnaissance et en joie.
UN MYSTÈRE AU-DELÀ DE TOUTE DESCRIPTION
Au-delà des mots que je (ou qui que ce soit d’autre) puisse utiliser dans une vaine tentative
d'exprimer l'inexprimable se trouvent la pureté et l'inviolabilité de la Conscience éveillée,
notre condition naturelle et l'essence de ce qui est. Quelle que soit la portée de vos
recherches, vous ne pourrez jamais sonder ses profondeurs, car elle ne peut jamais devenir
un objet de connaissance. Elle-même est plutôt le Connaisseur suprême, le Sujet ultime de
tous les objets, sans limites, non localisable et insaisissable. On ne peut jamais le connaître,
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puisque vous êtes lui ; on ne peut l'être que consciemment, c'est-à-dire demeurer conscient
en tant que Conscience éveillée.
En même temps, parce que c'est un mystère si profond, vous ne pouvez jamais revendiquer
la Conscience éveillée comme étant votre propriété, vous ne pouvez jamais la posséder
comme les autres acquis que vous ajoutez à votre curriculum vitae, comme certains
s'imaginent parfois pouvoir le faire, lorsqu'ils sont dans l'excitation de la découvrir. Par
exemple, vous ne pouvez pas dire "Je suis éveillé" et avoir l'air sensé, car l'Eveil implique la
reconnaissance que la personne séparée qui le revendique n'est qu'une illusion. Au
contraire, vous en arrivez à réaliser que la personne pour laquelle vous vous prenez, et qui
pense pouvoir tout posséder, n'est en fait qu'une expression de la Conscience éveillée, de
même que la vague n'est qu'une expression de (et indissociable de) l'océan. Au lieu de
l'orgueil de l'accomplissement, la découverte de la Conscience éveillée conduit à une
humilité et à un émerveillement croissants face au mystère.
DEMEURER EN TANT QUE CONSCIENCE ÉVEILLÉE
Paradoxalement, la Conscience éveillée est donc votre état naturel, celle qui regarde
toujours avec vos yeux et qui écoute avec vos oreilles, et en même temps, elle est l'essence
illimitée, mystérieuse et insaisissable de ce qui est. En réalité, cette essence illimitée est ce
que vous êtes fondamentalement, le socle de votre être, sous tous les drames, rôles et
identités.
Bien sûr, ces mots ne signifient pas grand-chose, si vous ne réalisez pas par vous-même la
vérité à laquelle ils font référence. Lire que la Conscience éveillée est votre état naturel ne
vous apporte ni le bonheur, ni la paix de l'esprit, ni aucune facilité d'être, de même que les
repas succulents qui sont représentés sur les sites de cuisine ne sauraient pas vous
rassasier. Il convient d'apprendre à s'en approcher et à y demeurer consciemment. Il faut
une porte, une pratique, une voie qui vous permette de la manifester dans votre vie et de la
laisser vous transformer et vous apporter la paix et le contentement que vous recherchez.
Mais, contrairement à la pleine conscience, vous ne pouvez pas cultiver ou développer la
Conscience éveillée, car elle est toujours là ; vous pouvez seulement la reconnaître, vous en
rapprocher et vous y détendre.
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EN CONCLUSION
Dans ce chapitre, j'ai proposé une description détaillée de ce qui ne peut jamais réellement
être décrit, non pas comme un catalogage à classer dans vos banques mémorielles, mais
plutôt sous la forme d'une série d'indications orientant vers la lune de la Conscience
éveillée. Notre espoir est que ces mots puissent vous en apporter le goût ou un aperçu
direct — ou vous rappeler ce que vous savez déjà. Contrairement à la pleine conscience, qui
doit être cultivée et soutenue, la Conscience éveillée est accessible sans effort à chaque
instant. Dans le chapitre suivant, je continue à le montrer et à proposer des méthodes pour
y accéder - en fait, ce livre n'est qu'une série d'indications de formes et de nuances diverses
qui vous invitent à ramener votre attention sur elle-même et à vous réveiller du rêve de la
séparation, une fois pour toutes.
Je ne comprends pas cette idée de s'éveiller de l'illusion du moi séparé. Je veux dire que je
me sens tout à fait réel et solide, tout comme les personnes de mon entourage. En quoi cela
me fait-il souffrir ?
Si vous êtes convaincu d'être une personne solide et distincte, limitée à votre esprit et à
votre corps physique, entourée d'autres personnes tout aussi solides et distinctes, votre
bonheur et votre tranquillité d'esprit dépendent du maintien de la survie de ce moi distinct
et de l'accumulation du plus grand bien-être matériel et psychologique possible pour vous
et votre famille. Par conséquent, vous êtes constamment en compétition avec les autres et
vous luttez avec le monde matériel pour ce que vous percevez comme des ressources
limitées. Vous pouvez vous sentir satisfait pendant un certain temps, mais vous retombez
toujours dans l'insatisfaction et la souffrance, lorsque vous n'obtenez pas ce que vous
voulez ou ce dont vous croyez avoir besoin.
Si, en revanche, vous réalisez que le moi séparé est une construction arbitraire, que ce que
vous êtes vraiment ne s'arrête pas à votre peau, et que vous êtes intimement interconnecté
avec tout le monde et tout le reste, plutôt que d'être en compétition avec les autres, alors
vous vivez dans un monde d'amour, d'empathie, de partage, de coopération et de bénéfice
mutuel. Votre bonheur et votre tranquillité d'esprit sont inébranlables, parce que vous
vous réjouissez du bonheur des autres, que vous avez confiance dans le déroulement des
choses et que vous vous sentez satisfait avec ce que l’instant vous apporte.
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Il y a une histoire merveilleuse qui illustre cette distinction. Imaginez que vous êtes assis à
une longue table avec une douzaine d'autres personnes. On vous sert un repas somptueux,
mais vos seuls ustensiles sont des baguettes d'un mètre de long. Vous avez beau essayer,
mais vous n'arrivez pas à porter la nourriture en bouche et vous n'avez pas la possibilité de
manger avec vos mains. Alors, que faites-vous ? Dans un scénario, vous mijotez dans un
état constant de frustration et d'insatisfaction, car vous essayez vainement de trouver le
moyen de vous nourrir. Dans un autre scénario, vous coopérez avec vos vis-à-vis à table et
vous vous nourrissez mutuellement. Lorsque les distances entre soi et les autres ont
disparu, prendre soin des autres signifie prendre soin de soi.
J'ai eu des périodes où j'étais très en phase avec la perfection inhérente que vous décrivez,
et où je pouvais ressentir l'émerveillement et la joie. Mais lorsque mon mari a fait de la
chimio et qu'il pouvait à peine garder sa nourriture, ou quand nous avons perdu nos
économies dans la débâcle du marché boursier, je luttais juste pour rester à flot. Il n'y avait
là aucune joie.
Si la vie se déroule relativement bien, avec les petites vicissitudes habituelles, il est
beaucoup plus facile d'apprécier la perfection du moment. Mais lorsque vous êtes
confrontée à des circonstances extrêmes qui semblent remettre en question votre survie
même et que les vieux conditionnements entrent en jeu, ou que vous êtes trop éreintée
pour vous reconnecter, le rêve peut brusquement sembler de nouveau bien réel. La vie peut
s'avérer implacable. Rappelez-vous simplement que votre foyer de Conscience éveillée est
toujours paisible et imperturbable, quelle que soit l'agitation de votre mental. Il ne s’agit
pas d’un état qui fluctue comme les émotions, c'est ce qui subsiste comme le fondement de
tous les états, ce qui reste quand tout le reste a été balayé - le confort, la foi, l'espoir,
l'énergie, la patience, et l'optimisme. Même si elle peut paraître lointaine, elle est toujours
accessible – car après tout, c'est elle qui observe à travers vos yeux en ce moment - et elle
affleure souvent au premier plan pour être reconnue au cœur d'une crise. Quoi qu'il en soit,
reconnectez-vous si possible ; sinon, soyez indulgente envers tout ce qui passe, y compris la
frustration, la colère, la tristesse, le désespoir et la peur. En fin de compte, rien n'est exclu
du champ non duel de la Conscience éveillée. (Pour davantage de détails sur la connexion et
la reconnexion, voir le chapitre 4. Pour davantage de détails sur la relation avec les
émotions puissantes, voir le chapitre 7).
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La réalisation de la Conscience éveillée est-elle la même chose que ce que les maîtres zen
appellent l'Illumination ?
Le terme anglais "Illumination" est tellement imprégné de connotations culturelles et
chargé de bagages historiques que je préfère l'éviter. Par exemple, il peut véhiculer un
sentiment erroné de détachement surnaturel ou de perfection sainte qui la fait paraître
distante et inaccessible. Dans de nombreuses écoles bouddhistes, le terme "Illumination"
est réservé au Bouddha et aux autres personnes qui demeurent dans la Conscience éveillée
en permanence, sans interruption. En revanche, le zen a tendance à utiliser le mot plus
librement, tout en reconnaissant une série d'éveils avant la percée finale qui signale la fin
de toute recherche. Je préfère des termes plus ordinaires et accessibles, tels que
"réalisation" ou "éveil" pour désigner la reconnaissance de la Conscience éveillée. Un de
mes maîtres zen avait coutume de dire qu'il n'y a pas de personnes éveillées, mais
seulement des moments éveillés. Quoi qu'il en soit, vous ne pouvez pas revendiquer
l'Illumination pour vous-même, puisqu’elle implique la réalisation qu'il n'y a pas de moi
distinct(if) pour la revendiquer.
Existe-t-il des étapes ou des niveaux au-delà de la Conscience éveillée, tout comme la
Conscience éveillée est un niveau au-delà de la pleine conscience ?
En fait, la Conscience éveillée n'est pas un niveau, c'est votre nature essentielle, votre
visage originel avant la naissance de vos parents, l'ouverture inconditionnelle et infinie qui
contemple continûment avec vos yeux et qui expérimente la vie par l’entremise de ce corps
et de ce mental. La réalisation de la Conscience éveillée peut s'approfondir, et votre
capacité à vous dégager de l'identification et à vous reposer en elle peut devenir plus stable
et durable, mais la Conscience éveillée elle-même ne change jamais et ne se prête pas à des
classifications de niveau supérieur ou inférieur. Au-delà de la pleine conscience se trouve
l'étendue sans limites, stades et niveaux de la pure Conscience, de l'Être pur, sans
qualification.
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CHAPITRE 4 : LORSQUE LA CONSCIENCE S’ÉVEILLE À
ELLE-MÊME
J’ai vécu à la limite de la folie, voulant connaître des raisons, frapper à une porte, qui
s’ouvre, en frappant à l’intérieur.
-
Jelalludin Rumi
La pratique régulière de la pleine conscience vous apprend à accueillir les pensées, les
sentiments et les autres expériences, sans nécessairement s’y identifier ni agir en
conséquence. En cultivant une sorte de conscience spacieuse, qui ne s'attache pas aux
objets ou aux expériences, vous vous libérez progressivement du conditionnement de
l'esprit. Même si des schémas habituels de pensées et de sentiments continuent de se
manifester, vous n'êtes pas nécessairement séduit par eux.
Mais à elle seule, la pleine conscience ne peut pas offrir une paix et un bien-être stables et
durables, parce qu’il s'agit d'un état d'esprit que l'on croit devoir cultiver, entretenir et
protéger. C'est pourquoi de nombreux pratiquants de la pleine conscience deviennent
dépendants de leur méditation et ressentent le besoin d'y revenir sans cesse pour calmer
leur esprit, chaque fois qu’il s’agite. Comme n’importe quel autre état d'esprit, la pleine
conscience est impermanente, et elle apparaît et disparaît en fonction de la force et de la
constance de votre pratique. Si vous vous relâchez, votre état de pleine conscience faiblit et
vous retombez dans le chaudron de la négativité.
En fait, le principe même selon lequel votre esprit a besoin d'être stabilisé et calmé ou
selon lequel les émotions négatives doivent être éliminées, sur la base d'une norme
prédéterminée de l'apparence que devrait avoir votre esprit, marque une distinction
majeure entre la voie de la pleine conscience et l'approche directe de la Conscience éveillée.
Dans la perspective de l'ouverture inconditionnelle, chaque pensée et chaque sentiment qui
surgit, aussi négatif ou discordant qu'il puisse paraître, est accueilli tel qu'il est, et cet
accueil même révèle une équanimité qui ne peut guère être perturbée, même par les
expériences les plus turbulentes. En ne privilégiant aucun état d'esprit par rapport à un
autre, le prétendument positif par rapport au prétendument négatif, la Conscience éveillée
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dépasse la pensée dualiste pour englober pleinement la vie dans toute sa richesse et sa
complexité. Pour autant, la Conscience éveillée n'est pas un état que vous pouvez cultiver,
mais votre état naturel qui est toujours et déjà accessible, et qui ne demande qu’à être
reconnu.
SORTIR DU PIÈGE DU TÉMOIN
Si elle offre de merveilleux avantages, la pratique de la pleine conscience présente un autre
inconvénient : elle tend à maintenir la division sujet-objet, c'est-à-dire le clivage entre celui
qui est attentif, l'acte d'être attentif et l'objet de l'attention vigilante. En d'autres termes,
aussi attentif que vous soyez, il y a toujours un "vous" qui doit faire un effort pour être
attentif à un objet distinct de vous. Par conséquent, la pleine conscience perpétue le
sentiment même de séparation qu'elle est censée surmonter. Ce point peut être subtil et ne
pas être particulièrement pertinent dans les premiers stades de la pratique, mais au fur et à
mesure que votre pratique mûrit, vous pourriez éventuellement constater que vous êtes
piégé dans la position du témoin détaché, sans savoir comment vous libérer ; plus vous
pratiquez la pleine conscience, plus le piège se referme. Le témoin est devenu une autre
identité ou un autre point de vue qu'il vous faut finalement abandonner.
Ce n'est que lorsque vous aurez pris conscience de la Conscience éveillée qui ne varie pas et
qui demeure comme l’arrière-plan et l’essence de chaque expérience, que vous pourrez
enfin vous sortir du piège du témoin et obtenir la paix et le bonheur durables que vous
recherchez. La Conscience éveillée - également connue sous les noms de pure Présence, de
véritable nature, de Je suis, etc. - ne nourrit pas la division, n'étant pas séparée de ce dont
elle est consciente et ne préférant pas une expérience à une autre. Puisqu'elle existe avant
toute pensée ou toute activité, elle ne peut pas être créée, manipulée, produite ou
maintenue ; on peut seulement la reconnaître, s’y plonger pour finalement réaliser qu'elle
est ce que vous êtes. Paradoxalement, si vous voulez accéder à la liberté et au bonheur
visés par la pleine conscience, il vous faut renoncer à la pratique qu'elle impose et vous
plonger dans la Conscience éveillée.
Cela dit, contrairement à la culture de la pleine conscience, que l'on peut apprendre et
pratiquer méthodiquement, le chemin de la découverte de la Conscience éveillée tend à être
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plus tortueux, aléatoire et particulier. En d'autres termes, il diffère généralement d'un
individu à l'autre et il ne comporte pas de repères ni d'étapes universellement applicables.
Paradoxalement de nouveau, on la qualifie souvent d'approche directe, par contraste avec
l'approche progressive de la pratique et du perfectionnement - et elle est certainement
directe dans le sens où elle indique clairement et sans hésitation la nature de l'esprit, notre
état naturel de Conscience éveillée, et invite à une réalisation instantanée qui ne nécessite
ni préambule, ni préparation.
En même temps, le chemin de la découverte peut être plus indirect et hasardeux du point
de vue du chercheur, qui peut ne pas avoir le sentiment confortable de progression qu'offre
la pleine conscience. Vous pouvez vous asseoir tranquillement, écouter les enseignements,
réfléchir et investiguer, mais sans avoir le sentiment d'avancer, ni de faire le moindre
progrès, jusqu'à ce que vous entrevoyiez soudainement la Conscience éveillée. L'auteur,
Stephen Levine parle d'un "sentier escarpé et sans garde-fou", parce que vous n'avez
aucun repère, ni aucune structure pour vous soutenir en chemin. Traditionnellement, la
réalisation de la Conscience éveillée se transmet en personne, de l'enseignant à l'étudiant,
dans le cadre d'un dialogue et d'une investigation intimistes. Pour ceux que cela intéresse,
je propose des séances et des retraites individuelles et collectives qui permettent ce type
d'opportunité intimiste. Mais pour ceux qui ne peuvent pas disposer d'un enseignant
vivant, l'approche directe comprend des pratiques avec lesquelles vous pouvez jouer et des
portails ou des portes que vous pouvez approcher et qui, une fois ouverts, donnent accès à
une toute nouvelle façon d'être.
L’EXPÉRIENCE D’UN TRANSFERT FIGURE-FOND
La réalisation de la Conscience éveillée implique généralement un transfert figure-fond
soudain, souvent surprenant, et parfois même choquant. A un moment donné, vous vaquez
à vos occupations quotidiennes en vous prenant pour une personne distincte, avec un foyer
identitaire centré dans la tête, et l'instant d’après, vous reconnaissez être la vaste
ouverture dans laquelle cette personne apparemment distincte et tout autre objet
d'expérience apparaissent. Au lieu de vous considérer comme un corps-esprit avec une
histoire personnelle et un futur imaginaire localisé là, vous réalisez que vous êtes cette
Conscience insubstantielle, mais omniprésente dans laquelle la vie se déploie d'une manière
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mystérieuse et insaisissable. Le centre de votre univers s'est spectaculairement déplacé en fait, il se pourrait que vous ayez entièrement perdu votre centre - et vous ne pourrez
plus jamais tout à fait revenir à votre ancienne façon d'expérimenter la vie.
Quoique ce transfert puisse ressembler à une expérience mystique, à un aperçu d'une autre
dimension plus spirituelle de la réalité, il s'agit en fait d'un aperçu profond de la nature
même de la réalité, au-delà du voile. De même que les scientifiques ont, au fil des siècles,
utilisé la méthode scientifique de l'expérimentation objective pour percer progressivement
les secrets de l'univers physique, les méditants, les pratiquants du yoga et les sages ont
utilisé une méthode scientifique similaire d'investigation subjective pour découvrir le
fondement métaphysique de l'existence. Comme les expériences de physique et de chimie,
ces exercices et ces méditations ont des résultats reproductibles, même si certains peuvent
s'avérer plus efficaces que d'autres pour un individu particulier. Choisissez ceux qui vous
semblent les plus efficaces, poursuivez-les scrupuleusement et sincèrement, et vous finirez
par réaliser ce que les grands maîtres ont réalisé avant vous. Dans ce chapitre, je vous
propose quelques expériences et des directives que vous pouvez tester par vous-même.
PASSER PAR LA PORTE SANS PORTE
Au cœur de l'approche directe se trouve un paradoxe : comment peut-on devenir ce que
l’on est déjà ? Si la Conscience éveillée existe déjà en tant qu'état naturel et qu'elle ne peut
pas être cultivée ni pratiquée, pourquoi faudrait-il s’en approcher ou la devenir, de quelque
manière que ce soit ? Pourquoi ne pas simplement l'être ? Eh bien, le fait est que vous
l'êtes déjà, du moins intrinsèquement, et pourtant vous continuez à souffrir, parce que vous
ne reconnaissez pas consciemment ce que vous êtes. Il est clair que vous devez faire
quelque chose, changer votre point de vue, d'une certaine manière, pour pouvoir vous
aligner sur ce qui est déjà là. C'est-à-dire que vous devez l'être en toute connaissance de
cause - la conscience doit s'éveiller à elle-même.
Dans le zen, ce paradoxe d'être cela, mais sans le reconnaître, est connu sous l'appellation
de la porte sans porte. Vous vous trouvez devant une porte qui semble vous séparer de la
vérité fondamentale au cœur de la réalité, et vous essayez toutes les méthodes possibles
pour la franchir. Lorsque vous atteignez finalement l'autre côté et que vous découvrez ce
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que vous avez essayé d'atteindre si péniblement, vous constatez que la porte n'était qu'une
invention de votre imagination, et que vous n'avez jamais été devant cette porte, même
pendant un instant. Mais sans l’exploration et l’investigation, l’assise et la recherche, vous
n'auriez peut-être jamais reconnu que la porte n'existait pas.
Aucune des descriptions et explications que je vous propose ne peut résoudre ce paradoxe
pour vous ; seule l'expérience directe et immédiate fera l'affaire. Les exercices de ce
chapitre vous invitent à franchir vous-même la porte sans porte.
ACCUEILLIR CE QUI EST
Puisque la Conscience éveillée n'a aucune opinion pour ou contre quoi que ce soit et
accueille tout, tel quel, sans jugement ni interprétation, on peut l'approcher en s’asseyant
tranquillement et en s’ouvrant à la réalité d'une manière accueillante et dépourvue de
jugement. Le risque de cette approche est que l'esprit, qui est un parfait simulateur, puisse
produire une excellente imitation de l'accueil et donner l'impression d'être
inconditionnellement ouvert, tout en portant en réalité des jugements et en conservant un
point de vue limité. Le secret consiste à cesser de contrôler son attention et à lui permettre
de fonctionner sans effort, sans l'intervention de l'esprit. En un sens, on doit échouer en
tant que méditant attentif pour aller au-delà de la pleine conscience ; c'est-à-dire que votre
pleine conscience doit céder et s'ouvrir spontanément pour révéler l'ouverture
inconditionnelle qui précède la pleine conscience. Toute tentative de "pratiquer l'accueil"
est condamnée à être une impasse qui vous laisse coincé dans l'effort et qui n'a rien à voir
avec l'ouverture inconditionnelle et illimitée.
Si cette entreprise vous paraît délicate, subtile et (une fois de plus) paradoxale, vous êtes
sur la bonne voie. Comme le conseille Lao Tzu, le grand sage du Tao Te King, il faut
apprendre à "pratiquer le non-agir" pour que la Conscience éveillée s'épanouisse. Et
s'asseoir tranquillement peut favoriser ce passage au non-agir, pour autant que vous
renonciez à vos tentatives habituelles d'arriver quelque part ou d'accomplir quelque chose
en cultivant un état particulier, s’agirait-il d'une plus grande présence et d'une plus grande
paix de l'esprit. (Comme vous l'avez peut-être remarqué, lorsque vous faites des efforts
pour que votre esprit se calme, vous ne faites qu'agiter les eaux et provoquer davantage de
52
turbulences). Laissez tomber la pleine conscience et contentez-vous d'être. (Pour des
instructions sur la façon de simplement être, voir le chapitre 3).
UN ESPRIT COMME LE CIEL
Comme je l'ai signalé dans un chapitre précédent, votre état naturel de Conscience ouverte,
éveillée et inconditionnelle est semblable au ciel — celui-ci n'a pas besoin de faire d'effort
ou d'essayer de quelque manière que ce soit pour tout accueillir, sans jugement, ni
discrimination dans son embrassement illimité. Accueillir est la nature spontanée et sans
effort du ciel. Les avions, les oiseaux, les parachutistes et les ballons n'ont pas besoin de
demander au ciel de s'ouvrir pour les laisser passer. La permission a toujours été accordée,
et le ciel les reçoit sans être aucunement troublé.
De même, en laissant tomber vos efforts pour être attentif, vous pouvez vous asseoir
tranquillement et imaginer que vous êtes le ciel, sans centre, ni limites. Les pensées, les
sentiments, les images, les souvenirs et les jugements vont et viennent dans la présence
illimitée de la Conscience éveillée - qui est ce que vous êtes fondamentalement. Tout se
passe en vous ! Au fur et à mesure que votre compréhension s'approfondit, vous passez de
la pratique de la pleine conscience à la culture de la conscience spacieuse, au repos dans
l'ouverture et à la réalisation que cette ouverture semblable au ciel est votre véritable
nature. La réalisation finale que vous êtes l'ouverture, l'espace sans limites, et qu'en même
temps vous êtes inséparable de ce qui survient dans cet espace, marque la pleine floraison
de la Conscience éveillée.
MÉDITATION : REPOSER DANS LA CONSCIENCE GLOBALE
La plupart du temps, notre conscience est contractée et fixée sur des objets particuliers,
mais la Conscience éveillée est totalement inclusive, comme le ciel.
Prenez quelques minutes pour vous asseoir à votre aise et déplacez votre attention de
votre esprit pensant vers le va-et-vient de votre respiration. Maintenant, au lieu de
pratiquer votre technique de méditation habituelle, j'aimerais que vous vous asseyiez
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tranquillement et que vous laissiez tout être comme il est. Ne concentrez pas ou ne
manipulez pas votre attention de quelque manière que ce soit, ne suivez plus votre
respiration, ne faites rien en particulier ; permettez simplement que tout soit, sans essayer
de changer, d'éviter ou de supprimer quoi que ce soit.
Laissez-vous reposer dans cette Conscience ou Présence silencieuse, ouverte et
inconditionnelle pendant environ cinq minutes. Sans effort, manipulation, développement,
ni action, reposez-vous simplement dans la Conscience et laissez tout être, comme tel.
Maintenant imaginez l'espace directement devant votre corps. Les objets situés devant
n'interfèrent nullement avec cet espace. Ressentez cet espace ; en respirant, permettez à
votre conscience de s'étendre pour inclure cet espace.
Imaginez maintenant l'espace situé directement derrière votre corps. Les objets situés
derrière n'interfèrent en aucune façon. Ressentez cet espace ; en respirant, permettez à
votre conscience de s'étendre pour inclure cet espace.
Faites maintenant de même avec l'espace à droite de votre corps, l'espace à gauche de
votre corps, l'espace au-dessus de votre corps et l'espace en-dessous de votre corps.
Ressentez cette ouverture globale et spacieuse dans toutes les directions. Est-elle
consciente ou inconsciente ? A-t-elle des limites ou des frontières ? A-t-elle un centre ? Où
commence-t-elle et où s'arrête-t-elle ? Rejette-t-elle ou s'accroche-t-elle à quelque chose ?
Demeurez dans cette ouverture globale - sans limites, sans attaches, toute inclusive,
comme le ciel.
CONSIDÉRER DES INDICATIONS DIRECTES
Un autre moyen puissant pour accéder à la Conscience éveillée consiste à considérer les
enseignements directs des grands sages de toutes les traditions qui l'ont intimement
comprise et vécue. Ces enseignements sont parfois qualifiés d'instructions de rappel, car ils
renvoient la conscience à elle-même pour découvrir qui ou ce qui est conscient, c'est-à-dire
la Conscience éveillée. Si vous avez beaucoup de chance, vous entendrez peut-être ces
54
mots de la bouche d'un enseignant vivant. Sinon, vous pouvez trouver ces instructions dans
des livres et commencer à répondre spontanément à leur invitation.
Dans mon propre cas, j'ai rencontré un maître qui m'a dit : "Le chercheur est le cherché.
Celui qui cherche est ce qu'il cherche". Ces paroles ont résonné profondément en moi et
elles ont initié un genre de questionnement spontané, comme le font souvent les
instructions de rappel. Mais il a fallu des mois avant que cela ne porte ses fruits dans un
moment soudain et éclairant de compréhension de leur sens profond.
Si vous voulez bénéficier de la sagesse de ces indications et si vous n'avez pas de maître
vivant à qui vous pouvez rendre visite en personne, vous pouvez trouver de très bonnes
instructions en ligne ou dans des livres. Le secret, c'est d'éviter les enseignements qui
remplissent votre esprit d'informations et d'interprétations, et de privilégier ceux qui
pointent directement vers la Conscience éveillée, la Présence intemporelle au-delà du
mental. Dans le zen, ces indications directes sont reconnues comme des tournants, car elles
retournent l'esprit vers la vérité. Il est également question de paroles vivantes, car elles
sont imprégnées de l'énergie vibrante de leur source, par opposition aux vocables morts
qui ne font que véhiculer des pensées et des concepts. Les koans, ces histoires
énigmatiques auxquelles les étudiants du zen réfléchissent et qu'ils s'efforcent de
décrypter, aboutissent souvent à un tournant, bien que beaucoup utilisent une sorte de
jargon zen qui les rend difficiles à déchiffrer. Ces formules classiques sont élaborées
spontanément, sur le moment, en réponse à la question cruciale d'un étudiant, et sont
adaptées de manière unique à la situation et aux besoins de l'auteur de la question.
CHERCHER QUI EST CONSCIENT
En plus de réfléchir aux indications directes des autres, vous pouvez vous interroger
activement sur la nature de celui qui est conscient. L'approche classique consiste à poser
une variante de la question "Qui suis-je ?", étant entendu que les réponses habituelles - par
exemple, je suis une femme, un danseur, un enseignant, un père, un entrepreneur, un
méditant, un chrétien, un joueur de tennis, un artiste - ne correspondent pas à ce que vous
êtes réellement. Il s'agit de diriger l'attention au-delà de toutes les histoires, de tous les
rôles et de toutes les identités que vous avez accumulés au cours de votre vie pour arriver à
55
ce que vous êtes essentiellement, avant l'histoire de votre vie et votre conditionnement.
Dans le zen, on appelle cette nature fondamentale, essentielle, votre "visage originel avant
la naissance de vos parents". Dans le cadre de ce livre, nous l'appelons la Conscience
éveillée.
Pour de nombreuses personnes, la question "Qui suis-je ?" est trop abstraite et n'a pas de
résonance ou d'attrait. Dans ce cas, vous pouvez utiliser quelque chose de plus concret et
proche de l'expérience, comme "Qui expérimente ce moment actuellement ?" ou "Qui
regarde avec ces yeux maintenant ?" L'objectif n'est pas de faire appel à l'esprit logique et
déductif, mais de poser une question qui va directement au cœur du problème et qui
entraîne une résolution par le biais d'un autre mode de connaissance, plus spontané. Vous
devez poser la question avec tout votre être et la laisser résonner énergétiquement dans
tout votre corps, comme si vous lanciez un caillou dans un étang et que vous laissiez les
ondulations se propager sans résistance. La réponse finit par se révéler d'une manière que
vous n'auriez jamais pu prévoir.
ÊTRE CONSCIENT DE CE QUE VOUS N’ÊTES PAS ;
REPOSER DANS CE QUE VOUS ÊTES
Au lieu de vous demander "Qui suis-je ?" ou l'une de ses alternatives, vous pouvez vous
pencher sur les énigmes ou paradoxes suivants, qui vous mèneront inévitablement dans la
même direction. Encore une fois, ne perdez pas votre temps à essayer de les résoudre avec
votre esprit rationnel et analytique. Laissez-les plutôt résonner profondément et induire
une réponse provenant d'un autre niveau de connaissance, au-delà du mental. Comme pour
le questionnement sur soi, la réponse n'arrive pas sous la forme d'un joli paquet
conceptuel, comme le font les pensées ; elle vous submerge plutôt et se révèle à vous sous
la forme d'une intuition ou d'un aperçu profond, qui change la vie.
•
Tout au long de celle-ci, vous avez utilisé votre nom et le pronom "je" pour vous
désigner, même si vous êtes une personne totalement différente de celle que vous
étiez il y a dix, vingt, trente ou quarante ans. Les cellules de votre corps sont mortes
et elles ont été remplacées plusieurs fois ; votre corps ressemble peu à celui que
vous aviez lorsque vous aviez cinq ou dix ans ; vos pensées et vos sentiments sont
56
complètement nouveaux ; et votre récit intérieur change tout le temps. Vous avez
pourtant le sentiment intuitif de quelque chose qui est resté inchangé au fil des ans,
auquel le mot "je" fait référence. Où se trouve ce "je" immuable et fixe ?
•
Tout ce que vous pouvez expérimenter est un objet de votre conscience. Lorsque
vous dites "je vois un arbre", "j'entends un oiseau" ou "je connais un fait", l'oiseau,
le fait ou l'arbre est un objet, et "je" est le sujet. Pour cette raison, vous ne pouvez
jamais connaître ou expérimenter ce "je", car sitôt que vous pensez l'avoir saisi et
transformé en objet, il vous échappe. "Je" est le sujet ultime de tous les objets, mais
il ne peut jamais lui-même devenir un objet d'expérience ou de connaissance. Il peut
pourtant être connu d'une manière plus directe, qui ne passe pas par le mental et le
processus de la connaissance objective. Qui est ce "Je" ?
•
Tout ce que vous expérimentez n'est pas ce que vous êtes essentiellement. Les
pensées, les sentiments, les sensations, les souvenirs, les croyances, les images et
les histoires avec lesquels vous vous confondez généralement ne sont que des
objets de votre attention, et ils ne peuvent pas être ce que vous êtes réellement.
Mais lorsque vous êtes conscient de ce que vous n'êtes pas - le corps, les sens, le
mental - vous demeurez dans ce que vous êtes. Qu'est-ce que c'est ?
VOUS ÊTES LA VOIE
En définitive, il n'y a pas de voie ni de méthodologie prédéterminée pour découvrir qui vous
êtes fondamentalement, votre foyer de Conscience éveillée, car personne ne peut savoir
quelles questions, quelles méditations et quelles explorations résonneront pour vous et
déverrouilleront votre porte sans porte. Les enseignements traditionnels recommandent
de s'asseoir tranquillement, d'écouter les paroles d'un Maître éveillé, de méditer les
enseignements, de chercher par soi-même et de s'associer à d'autres personnes qui suivent
une voie semblable, mais vous devez trouver ce qui fonctionne pour vous en vous mettant
en phase avec votre propre connaissance intérieure et en ayant le sentiment intuitif de
savoir quand vous vous en rapprochez et quand vous vous en éloignez. Ce genre de
résonance plus profonde est difficile à enseigner et elle ne se produit généralement que
graduellement, dans la mesure où vous vous orientez vers la vérité que ces enseignements
transmettent.
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Dans ce chapitre, j'ai proposé un certain nombre de méditations et d'explorations, mais qui
ne sont pas destinées à constituer une pratique systématique. Trouvez celles qui vous
attirent le plus et entreprenez-les résolument, mais sans vous attendre à des résultats
particuliers, car cela fausserait les découvertes que vous pourriez faire. Gardez la fraîcheur
de "l'esprit du débutant", et vous finirez par réaliser vous-même la Conscience éveillée.
Après tout, l'esprit du débutant et la Conscience éveillée sont une seule et même chose !
De la même manière, les indications et les descriptions présentées dans ce livre ne sont pas
censées constituer des réponses, mais des hypothèses que vous devez prouver ou réfuter.
Par exemple, on vous a dit que la Conscience éveillée est votre état naturel, antérieur à la
pensée, qu'elle est toujours accessible et qu'elle est la source ultime de la paix, du bonheur
et de l'amour durables, mais connaissez-vous réellement par vous-même la vérité de ces
affirmations ? Jusqu'à ce que ce soit bien le cas, tout ce qui est dit dans ce livre n'est que
du blabla.
Avec une pratique régulière comme la pleine conscience, vous avez le réconfort de savoir
que vous faites quelque chose avec des bénéfices bien étudiés qui semblent s'appliquer
plus ou moins également à tout le monde, mais comme je l'ai mentionné précédemment,
l'approche directe est plus singulière. Faites confiance à votre intuition, soyez sincère et
zélé dans votre expérimentation, et soyez une lampe pour vous-même, ainsi que l'a
conseillé le Bouddha.
EN CONCLUSION : SOYEZ SIMPLEMENT QUI VOUS ÊTES
Si vous êtes aventureux, vous pouvez essayer l'approche la plus directe de toutes, qui est
aussi la plus élusive et la plus précaire : soyez simplement qui vous êtes. Ne vous
embarrassez pas des méthodes présentées dans ce chapitre, laissez tomber toute tentative
de manipuler votre attention de quelque manière que ce soit, et demeurez dans l'ouverture
inconditionnelle, sans préambule, préparation ou pratique. La Conscience éveillée est
l'arrière-plan éternel, imperturbable et immuable de toute expérience, la lumière derrière
toutes les perceptions, le sujet ultime de tous les objets, l'écran vide sur lequel se projette
le monde phénoménal apparent, la sphère non duelle dans laquelle la vie se déroule. On ne
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saurait la pratiquer, la créer ou la cultiver de quelque manière que ce soit. Au lieu de cela, il
suffit de l'être.
Lorsque j'essaie de lâcher prise, comme vous le suggérez, je ne fais que me crisper et je finis
par me sentir plus tendu et stressé qu'au départ. Est-ce que je fais quelque chose de mal ?
Le paradoxe, bien sûr, c'est que vous ne pouvez pas accomplir le lâcher-prise, vous pouvez
seulement le permettre. Tant que vous essayez de l'"accomplir", vous ne lâchez pas
vraiment prise, vous vous accrochez à votre tentative. Arrêtez d'essayer, et le lâcher prise
se fait tout seul. C'est comme lâcher une balle que vous serriez si fort : ne la lâchez pas,
arrêtez simplement de la tenir, et la balle tombe de votre main. Parfois, le simple fait de
remarquer que vous vous accrochez déclenche spontanément un lâcher-prise. Après tout,
la détente et l'aisance sont votre condition naturelle, votre mode par défaut, avant qu'une
vie entière de conditionnement ne vous apprenne que vous devez garder le contrôle pour
survivre.
Je ne suis pas certain d'avoir suffisamment confiance en moi pour être une lampe pour
moi-même et voir où je vais, comme vous le suggérez. Après tout, mon jugement n'a pas
été très fiable dans le passé ; c'est pourquoi j'ai commencé à pratiquer la pleine conscience.
Peut-être que l'attention vigilante que vous portez à votre expérience d'un moment à
l'autre vous a permis de mieux vous mettre au diapason de votre propre connaissance
intérieure et intuitive, ce lieu où, au-delà de l'analyse ou du jugement, vous sentez ce qui
est le mieux pour vous. Par exemple, comment avez-vous choisi une carrière ou une
partenaire, quel livre lire ensuite, ou avec qui vous lier d'amitié ? Comment savez-vous
quels aliments manger et à quel moment ? Vous consultez constamment un GPS intérieur
pour vous guider dans la vie, et le processus de reconnaissance de votre vraie nature n'est
pas différent. En fin de compte, vous seul pouvez savoir ce qui est le mieux pour vous ;
personne d'autre, pas même le maître le plus sage, ne peut être une autorité sur votre
chemin vers la Conscience éveillée. Bien sûr, les conseils d'un enseignant expérimenté
peuvent être inestimables, et il existe d'innombrables enseignements disponibles de nos
jours pour vous guider sur votre chemin. Mais en fin de compte, c'est à vous de discerner
quelle orientation suivre.
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CHAPITRE 5 : PRATIQUER L’APPROCHE DIRECTE
Lorsque vous vous permettez de reposer dans l'ouverture inconditionnelle, vous êtes
imprégné et infusé de la plénitude de l'Être, qui s'exprime dans notre cœur par des qualités
telles que l'émerveillement, la gratitude, la joie, la luminosité et l'amour.
Avec la réalisation de la Conscience éveillée, votre expérience de la vie change
radicalement : au lieu de vous imaginer comme un ensemble de pensées, de sentiments, de
souvenirs et d'histoires situés quelque part à l'intérieur de votre corps, généralement la
tête, vous vous reconnaissez comme l'ouverture illimitée dans laquelle le corps-mental et
tout autre objet apparaissent. Comme le changement cognitif qui se produit avec ces
figures-fonds que l'on étudie en classe de psycho, une fois que vous voyez qui vous êtes
vraiment, c'est-à-dire le champ de conscience dans lequel le monde de la réalité objective
se révèle, il est impossible de vous considérer à nouveau de la même manière. Vous vous
êtes réveillé d'un rêve, et vous ne pouvez pas prétendre ne pas voir ce que vous avez déjà
vu.
En même temps, vous pouvez continuer à dévier de la vérité que vous avez découverte et
vous rendormir. L'attraction du mental étriqué, de l'ego, est tellement forte qu'elle ne cesse
de se raviver et de vous ramener dans le vieux schéma qui consiste à vous prendre pour
votre histoire plutôt que pour celui qui est conscient de (et au-delà de) l'histoire. En
d'autres termes, vous vous méprenez pour un objet, même si vous savez que vous êtes le
sujet ultime. Après la réalisation, la pratique ne consiste pas à essayer de voir quelque
chose que vous n'avez pas déjà vu, mais à revenir et à demeurer dans la vérité que vous
savez être. Si vous asseoir tranquillement ou vous interroger, comme vous le faisiez avant,
vous aide à revenir à la Conscience éveillée, alors n'hésitez pas à le faire, pour autant que
vous vous rappeliez que vous n'essayez pas de cultiver un état que vous n'avez pas déjà ou
de parvenir à un endroit que vous n'habitez pas déjà. La Conscience Eveillée est ce qui vous
est le plus proche, aussi proche de vous que la respiration, aussi intime que d'ouvrir les
yeux et de regarder le monde comme si c'était la première fois.
Comme dans la pratique de la pleine conscience, chaque moment de la pratique de la
Conscience éveillée offre un point de choix : est-ce que je me laisse distraire et me laisse à
nouveau séduire par le drame ? Ou est-ce que je choisis l'ouverture, la clarté, la
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désidentification et la liberté que j'ai découvertes, mais que je continue à oublier ? La
différence est qu'avec la pleine conscience, vous continuez à choisir d'être conscient, tandis
qu'avec l'approche directe, vous continuez à vous rappeler que vous êtes la Conscience
elle-même. C'est le sens de la Conscience éveillée - la Conscience qui repose consciemment
et délibérément en elle-même, sans s'attacher aux objets ou aux résultats. À la fois subtile
et profonde, cette distinction marque la limite entre l'approche directe et l'approche
progressive. (Pour plus de détails sur cette distinction, voir le chapitre 1.) Dans la pleine
conscience, on met l'accent sur les objets de la conscience ; dans l'approche directe, on met
l'accent sur le sujet ultime : la Conscience éveillée, elle-même. Après avoir localisé votre
foyer d'origine (qui est paradoxalement sans limites et non localisable), vous y retournez,
encore et encore. Au fond, vous vous exercez à être ce que vous êtes déjà, ce qui est (une
fois de plus) paradoxal et dénué de sens pour l'esprit rationnel.
MÉDITATION : PERMETTRE AUX CHOSES D’ ÊTRE COMME ELLES SONT #2
Une fois que vous avez découvert la Conscience éveillée, vous pouvez continuer à y revenir
directement, lorsque vous vous asseyez en méditation, plutôt que de pratiquer une
technique quelconque pour y parvenir. Certes, il s'agit là d'une pratique avancée, mais à un
certain moment, quand votre compréhension s'approfondit, vous pouvez rentrer
directement chez vous sans détours.
Commencez par vous asseoir tranquillement et prenez conscience du flux et du reflux de
votre respiration pendant quelques minutes. Ensuite, laissez tout être tel quel, sans efforts,
ni manipulations. Même l'idée d'être ouvert est un genre d'effort ou de manipulation, à ce
stade, alors laissez tomber même toute tentative d'être ouvert et permettez à tout d'être
tel quel. C'est l'instruction de base : laisser être. Laisser être est l'ouverture ultime ; il s'agit
de permettre plutôt que de faire quoi que ce soit.
Si des pensées et des sentiments vont et viennent, n'essayez pas de les changer, de les
éviter, de vous y attacher ou de vous en débarrasser. Laissez-les simplement être. En les
laissant être, vous restez dans l'ouverture de la Conscience éveillée. Votre foyer est
toujours ouvert et libre de ce dont il est conscient, et en étant conscient des objets sans
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vous y laisser prendre, vous reposez dans l’Être-Conscience, le sujet ultime de tous les
objets.
Encore une fois, la différence entre la conscience sans choix de la tradition de la pleine
conscience et la Conscience éveillée est subtile, mais cruciale : avec la conscience sans
choix, on met encore l'accent sur les objets de la conscience, en permettant à l'attention de
se déplacer librement et spontanément d'un objet à l'autre. En laissant être, vous reposez
consciemment en tant que sujet, la Conscience elle-même, et vous laissez faire les objets
sans vous focaliser aucunement dessus. A l’instar du ciel, vous êtes libre par rapport à ce
qui le traverse. A l’instar d’un miroir, vous êtes n’êtes pas troublé par ce qui se reflète
dedans. Telle est la nature de la Conscience éveillée.
DEMEURER DANS LA PLÉNITUDE DE L’ÊTRE
À un niveau pratique, la Conscience éveillée a une dimension expérientielle, énergétique. Si
vous vous permettez de reposer dans l'ouverture inconditionnelle, vous êtes imprégné et
infusé par la plénitude de l'Être, qui s'exprime à travers le cœur par certaines des qualités
que j'ai énumérées dans les chapitres précédents : le confort, l'aisance, la confiance, la
complicité, l'émerveillement, la gratitude, la joie, la luminosité et l'amour. Quoique nous
utilisons des mots et des concepts différents pour décrire ce qui semble être des qualités
différentes, elles ne sont en fait que des facettes du joyau de la Conscience éveillée, telle
qu'elle est vécue au niveau physique ou énergétique. A la différence de la pleine conscience,
vous n'avez pas besoin de faire un effort pour cultiver ces qualités, qui se manifestent
naturellement, quand vous reposez dans la plénitude et dans l'ouverture de la Conscience
éveillée.
Pour cette raison, demeurer dans la Conscience est la pratique phare (si on peut appeler
cela une pratique) qui suit la réalisation de la Conscience éveillée. Soyez simplement qui
vous êtes ! En y demeurant, vous permettez à la plénitude de l'Être de s'exprimer à travers
vous sans aucune intervention ou manipulation de votre part. Dans votre corps, vous
expérimentez inévitablement cette plénitude comme une dilatation infinie qui englobe tout
et toutes les possibilités, une sorte de oui passionné et total à la vie, comme elle est.
Certains enseignants utilisent des mots, comme ''inspiration'' (infusion par l'Esprit) ou
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''enthousiasme'' (être rempli de Dieu) pour décrire cet espace ouvert, expansif,
compatissant. C'est comme si vous vous aligniez sur le cours naturel de l'univers et que
vous vous sentiez porté par son énergie. Bien entendu, il ne s’agit là que de concepts
jusqu'à ce que vous arriviez à l'expérience qui en résulte.
Une fois que vous vous êtes familiarisé avec cette dilatation et avec cette plénitude
énergétiques, vous pouvez continuer à y revenir directement, d'instant en instant, sans
utiliser des pratiques intermédiaires. Continuez juste à vous focaliser sur
l'ouverture/plénitude et demeurez là.
MÉDITATION : DEMEURER DANS LA PLÉNITUDE DE L’ÊTRE
Au fur et à mesure que vous vous habituez à lâcher prise et à laisser être, vous commencez
à faire l'expérience de la plénitude de l'Être en tant qu'expérience énergétique, telle qu'elle
est décrite dans la partie précédente. Comme un joyau, cette expérience est extrêmement
riche, lumineuse et pleine de facettes, et elle est en fin de compte dépourvue
d'expérimentateur, puisque quand vous vous trouvez dans la plénitude de l'Être, le
sentiment d'être une personne distincte faisant l'expérience de quelque chose a déjà
disparu.
Tout au long de la journée, il est possible de continuer à revenir à l'expérience de la
plénitude de l'Être en vous focalisant dessus pendant quelques instants, puis de retourner
à ce que vous étiez en train de faire. De nouveau, cela n'a rien à voir avec le fait d'être
attentif. Il s'agit plutôt de se dissoudre dans le courant d'amour, de gratitude et de joie qui
imprègne l'existence, courant qui ne peut ni être enseigné, ni décrit. S’agissant de l'Essence
de ce qui est, on peut juste l’indiquer, mais quand vous tombez dessus, vous le reconnaissez
immédiatement, tout comme le fils prodigue reconnut sa maison abandonnée depuis
longtemps.
Dans certaines traditions, cette Essence indescriptible est connue comme étant le joyau qui
exauce tous les souhaits, le nectar des dieux, ou le remède ultime à tous nos maux.
Demeurez en elle et permettez-lui d'imprégner votre corps et votre esprit, et vous
découvrirez qu'elle est profondément curative à tous les niveaux.
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RENTRER CHEZ SOI, QUAND ON S’ÉGARE
"Tout ça, c'est bien beau", vous demandez-vous peut-être, "mais comment puis-je rentrer
chez moi et y demeurer, quand je me suis éloigné de la vérité de mon Être ? Sitôt que j'ai
l'impression d'avoir perdu le contact, je me démène anxieusement pour le retrouver et je
finis par me fourvoyer de plus en plus loin. À ce stade, la directive d'être simplement qui je
suis et d’y reposer et d’y demeurer ne signifie absolument rien pour moi." La clé ici est de se
rappeler que vous n'avez rien perdu : ce que vous cherchez et ce que vous essayez
d'appréhender si fort est ce qui cherche ; le chercheur est le cherché. Au lieu de chercher à
l'extérieur de vous-même pour tenter de retrouver un état d'esprit particulier, comme s'il
s'agissait d'un objet que vous pourriez récupérer, asseyez-vous simplement tranquillement
une fois encore et permettez à tout d’être tel quel. Via cette permission, par laquelle vous
êtes complètement détaché de tout état d'esprit, y compris au fait d'être le foyer de la
Conscience, vous revenez immédiatement (et paradoxalement) au foyer que vous pensiez
avoir perdu, mais qui était en réalité toujours accessible pour vous. Pour reprendre un
grand maître, "Lâchez prise, et Cela vous comble".
Vous pouvez également vous poser la question "Qui suis-je ?" (ou bien toute autre forme
d'interrogation qui trouve un écho en vous) et vous reconnecter instantanément à votre
foyer d'origine, sans avoir à fouiller dans votre esprit à la recherche de réponses. Ou vous
rappeler une simple indication ou une formule qui vous ramène immédiatement chez vous.
Familiarisez-vous avec ce qui fonctionne pour vous et, si cela ne fonctionne plus,
expérimentez jusqu'à ce que vous trouviez quelque chose qui fonctionne. Plus vous revenez
reposer dans la Conscience, et plus le chemin du retour devient facile et rapide. Finalement,
il vous suffit de claquer des talons et de vous rappeler que rien ne vaut votre foyer, comme
Dorothy dans le Magicien d'Oz ! C'est-à-dire que le retour se produit spontanément et
instantanément, au fur et à mesure, jusqu'à ce que vous ne quittiez plus jamais votre foyer.
Rappelez-vous simplement que ce vers quoi vous retournez n'a pas d’emplacement ni de
substance, ce n'est ni un objet ni une chose, c'est l'ouverture inconditionnelle insaisissable,
où la séparation apparente entre l'intérieur et l'extérieur, le moi et l'autre, a disparu, et où
tout se déploie librement, tel quel.
64
SANS CESSE SE RÉVEILLER
Bien sûr, vivre dans une telle ouverture inconditionnelle et une telle plénitude d'être, libre
d'identités et de programmes fixes, peut sembler ardu et désorientant au début, d'autant
plus que la culture, les gens qui vous entourent et votre propre conditionnement
concourent pour vous convaincre de vous identifier à nouveau à une personne distinctive.
Chacun de nous vit dans un monde de rêves qu'il a lui-même créé et qu'il prend pour la
réalité. L'histoire du moi est un drame jalonné de héros et de vilains, de succès et d'échecs,
de gains et de pertes, généralement marqué par la lutte et par le conflit et qui a pour
centre le moi séparé. Se découvrir en tant que Conscience éveillée signifie s'éveiller de ce
rêve à la plénitude de la vie telle qu'elle est, en ce moment même, dans cet instant
intemporel, libre des limitations que vos idées, interprétations et histoires imposent, mais
le rêve est si familier, et les autres personnages du rêve sont si attachés à votre
investissement dans le rêve, que vous ne cessez de vous y laisser entraîner, encore et
encore.
À ce stade, la clé pour demeurer dans la Conscience éveillée, c’est de clarifier une fois pour
toutes où se situe réellement votre foyer et de vous rappeler sans cesse d'y retourner. Les
schémas habituels de pensées, de sentiments et de réactions, ainsi que l'histoire
confortable et auto-satisfaisante que vous tramez à votre sujet, peuvent sembler aussi
familiers et accueillants qu'une bonne vieille paire de pantoufles, mais est-ce qui vous êtes
vraiment ou là où vous demeurez réellement, au niveau le plus profond ? Si vous optez pour
le confort et la familiarité plutôt que pour la clarté et la liberté de la Conscience éveillée,
vous errerez sans fin par les hauts et les bas de l'existence conditionnée, et les montagnes
russes des naissances et des morts, ce que les bouddhistes appellent le samsara. Vous
devez être convaincu que vous ne pouvez pas trouver là un épanouissement durable.
Par exemple, vous pouvez être très fier de vos accomplissements : les difficultés que vous
avez surmontées, les relations que vous avez cultivées, les endroits que vous avez visités,
l'argent que vous avez gagné, mais les souvenirs des meilleures expériences passées
peuvent encombrer votre esprit et vous empêcher d'être pleinement présent en ce moment
et d'apprécier la joie et la plénitude que cet instant irremplaçable vous offre
potentiellement. Ou bien vous vous retrouvez à repenser avec tristesse et honte à vos
échecs, à vos occasions manquées, à vos erreurs, aux personnes que vous avez blessées,
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aux traumatismes que vous avez subis, mais ce brouillard de pensées et de sentiments
négatifs vous empêche de vivre maintenant des expériences plus positives qui pourraient
vous aider à soulager votre douleur. Vous pouvez aussi continuer à recycler l'histoire de la
façon dont vous avez été lésé, abandonné ou négligé par les autres, et votre ressentiment
vous a rendu amer et coupé de l'amour qui vous est maintenant accessible. Vous souffrez
peut-être, parce que vous comparez défavorablement vos expériences actuelles à celles que
vous avez vécues dans le passé, ou parce que vous vivez dans la crainte constante que les
mêmes traumatismes et les mêmes déceptions qui vous ont frappé auparavant ne se
reproduisent. Et vos relations ne sont jamais vraiment satisfaisantes, étant assombries par
des jugements, par des attentes, par des projections et par l'ombre des peines et des pertes
antérieures. En errant sans fin dans l'histoire de votre vie, vous souffrez, parce que vous
vous êtes dissocié de la vie telle qu'elle est et parce que vous ne pouvez pas
authentiquement vous y raccorder.
MÉDITATION : APPRENDRE À CONNAÎTRE LE RÊVE QUE VOUS VIVEZ
Comme première étape du processus d'éveil, vous pouvez vous familiariser intimement
avec le rêve dont vous souhaitez vous réveiller et reconnaître qu'il n’est pas qui vous êtes.
Pendant une semaine, prêtez une attention particulière au rêve que vous entretenez
constamment à votre sujet. Faites-en l'objet de votre investigation, comme vous le feriez
pour un mystère que vous tentez de résoudre. Remarquez les histoires que vous vous
racontez sur les autres personnes de votre vie et comment elles figurent dans votre récit.
Qui sont les méchants et qui sont les héros ? Avez-vous tendance à vous donner raison et
tort aux autres ? Ou vous culpabilisez-vous pour toutes les erreurs que vous croyez
commettre ?
Remarquez la teneur des sentiments du rêve - la colère, la peur, la douleur, la honte. Quels
sont les thèmes et les problèmes récurrents ? Où avez-vous appris à voir la vie de cette
façon ?
Remarquez que parfois les histoires semblent reléguées à l'arrière-plan et perdre de leur
emprise. Comment vous sentez-vous alors ? Qu'est-il arrivé aux histoires ? Rappelez-vous
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que les histoires que vous vous racontez sur la réalité ont généralement très peu à voir
avec ce qui se passe vraiment. Ce sont des interprétations, des projections sur l'écran
vierge des possibilités, qui ont ensuite un impact puissant sur ce qui se passe réellement.
Qu'est-ce que cela ferait de vivre libéré de vos histoires ? Comment vous sentiriez-vous ? A
quoi ressemblerait votre vie ? Si vous n'êtes pas le rêve ou le personnage du rêve, qui êtesvous ?
PRENDRE REFUGE DANS LA CONSCIENCE ÉVEILLÉE
La reconnaissance du fait que le moi séparé est un format pour la souffrance peut très bien
vous avoir motivé à rechercher l'Eveil en premier lieu. Pour vous rappeler votre
engagement à rester éveillé, il peut être utile de revenir à cette reconnaissance, de temps
en temps, tout comme vous mettez parfois votre doigt sur un poêle brûlant pour confirmer
qu'il a toujours le pouvoir de brûler. Sinon, la vie fait un excellent travail pour vous le
rappeler, en vous confrontant à des situations où votre attachement à une position ou un
programme fixe, une image ou une histoire de vous-même, ou un mode de réaction
habituel, provoque des sentiments douloureux et familiers de colère, de peur, d’être sur la
défensive ou de peine. Si vous vous retrouvez soudainement en train de souffrir à nouveau,
prenez-le comme un avertissement pour vous rappeler votre véritable foyer et y retourner
sur-le-champ.
Dans la tradition bouddhiste, ce retour incessant à votre foyer de Conscience éveillée est
connu comme une prise de refuge contre la souffrance de l'existence conditionnée. Une fois
que vous vous êtes éveillé, vous ne pouvez plus vous réfugier dans le rêve ; vous avez été
désillusionné pour de bon. Même si vous pouvez continuer à y retourner pour une visite,
vous ne pouvez plus y établir vos quartiers. En fait, vos séjours dans le rêve peuvent être
encore plus douloureux qu'avant. Dès lors, vous pouvez avoir l'impression que votre
souffrance s'est intensifiée depuis que vous vous êtes rendu compte que vous êtes la
Conscience éveillée, puisque chaque fois que vous vous approchez du poêle, vous vous
brûlez.
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La bonne nouvelle, c'est que votre engagement à réaliser la vérité de votre être a porté ses
fruits et qu'il contribue maintenant à vous ramener chez vous, encore et toujours. En effet,
cet engagement comporte une sorte de renoncement, non pas aux commodités matérielles
ou aux relations intimes auxquelles un moine ou une nonne pourrait renoncer, mais à
l'attachement au monde des rêves que vous avez créé. L'engagement, le refuge et le
renoncement constituent trois aspects du mouvement vers la vérité. En renonçant à la
croyance habituelle selon laquelle vous pouvez trouver le vrai bonheur et l'épanouissement
dans le rêve, vous vous réfugiez dans la Conscience éveillée et vous vous engagez à vivre à
partir de cette compréhension de manière aussi cohérente que possible.
MÉDITATION : GARDER LES CHOSES DEVANT SOI
Votre état naturel de Présence inconditionnelle étant l'arrière-plan de toute expérience,
vous pouvez vous entraîner à permettre aux pensées et aux sentiments de défiler devant
vous, comme un film qui se déroule devant vos yeux. Vous êtes la lumière derrière le film
qui rend les images possibles et qui ne se trouve pas parmi les personnages. Et en même
temps, paradoxalement, le personnage pour lequel vous vous prenez généralement
continue de jouer son rôle dans le film.
Au cours de la méditation assise, vous pouvez vous entraîner à être le ciel dans lequel les
pensées et les sentiments se forment comme des nuages (comme c’est décrit dans le
chapitre précédent). Le ciel accueille sans se mêler à ce qui apparaît.
Au cours de la vie quotidienne, vous pouvez vous arrêter de temps en temps et reposer
dans la Conscience éveillée - c'est-à-dire la Conscience qui repose sciemment en elle-même
– tout en permettant à la vie se dérouler comme un rêve, sans interférer. Cette noninterférence ne signifie pas être passif, mais comprend également le fait de ne pas
interférer avec le cours de vos propres actions. Les taoïstes appellent ça "pratiquer le nonagir", ou l'activité sans effort, centre ni agent. Vous interagissez dans le rêve autant que
vous vous sentez poussé à le faire, mais vous n'êtes pas identifié au drame, ni attaché au
résultat. Vous êtes en équilibre sur le fil du rasoir entre le fait de n'être personne et d'être
quelqu'un, rien et tout.
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Si rien de tout cela n'a du sens pour vous, ne vous tracassez pas. Mettez simplement cela
de côté et expérimentez des pratiques qui vous parlent.
PARTIR EN MIETTES, SANS CRAQUER
Quand votre foyer d'identité passe du personnage du rêve à la Conscience éveillée, vous
pouvez éprouver le sentiment déconcertant que votre vie, telle que vous la connaissiez, est
en train de se déglinguer , et vous retrouver en train de tenter de vous démener pour
rafistoler les morceaux, à l’image des compagnons d’Humpty Dumpty dans la comptine.
Des expressions comme "se ressaisir’’ ou ’’se reprendre" et "mettre toutes les chances de
son côté’’ ou ’’avoir toutes les cartes en main" trahissent le mythe d’après lequel il faut
garder le contrôle de tous les aspects de sa vie, si l'on veut survivre dans un monde difficile.
Mais la réalisation de la Conscience éveillée révèle un ordre plus profond et plus mystérieux
au cœur de l'existence, qui n'est pas centré sur vous en tant que personne distinct(iv)e,
mais qui trouve son expression dans la plénitude/globalité et la perfection inhérentes à la
vie, telle qu'elle est. Suivant les mots d'un maître zen, "Tout est parfaitement géré dans le
Non-né", c'est-à-dire qu'il existe un ordre implicite qui veille à tout et qui vous permet de
vous défaire de l'illusion d'être aux commandes. Car une enquête approfondie montre que
le contrôle n'est que cela, une illusion. Contrôlez-vous les battements de votre cœur, le
fonctionnement de vos organes internes, ou votre respiration, la plupart du temps ?
Pouvez-vous contrôler le flot de vos pensées et de vos sentiments ? Avez-vous même le
contrôle de vos actions ? En fait, les recherches sur le cerveau démontrent que la décision
de bouger le bras ou de manger un morceau intervient une fraction de seconde après que
l'impulsion d'agir se soit réellement produite.
Au quotidien, vous pouvez avoir l'impression que vous pouvez microgérer votre vie jusqu'à ce que vous ne le puissiez plus, parce que les circonstances de la vie, des
événements imprévus ou des limitations physiques, psychologiques ou matérielles vous en
empêchent. Mais lorsque vous réalisez la Conscience éveillée, vous êtes délogé de force du
centre apparent de votre vie et vous passez à l'arrière-plan, ne serait-ce que pour un
instant ou deux, alors que la vie se déploie devant vous et en vous à sa propre manière
mystérieuse. Soudain, vous relâchez votre mainmise sur la vie et découvrez qu'elle était
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complètement inutile. Vous pensiez que vous conduisiez la voiture, alors que vous n'étiez
qu'un petit enfant serrant fermement le volant d'un jouet pendant que maman ou papa Dieu, le mystère, l'ordre implicite - conduisait.
Après avoir perdu l'illusion du contrôle, il se peut que vous n'ayez plus la même volonté
(ou, peut-être plus exactement, que vous ne vous sentiez plus motivé/mobilisé) et que
vous ne trouviez plus le même sens à votre vie. En fait, l'effondrement du rêve a provoqué
un effondrement correspondant du sentiment personnel que le rêve projetait. Le rêve qui
prédomine en Occident est fondé sur le mythe du héros, d’un personnage fort, responsable
de sa vie, qui trouve un sens absolu en surmontant les obstacles et en se battant contre
vents et marées pour remporter le prix, franchir la ligne d'arrivée ou réussir une tâche
herculéenne. On idolâtre les personnes qui vivent une version de ce mythe – tel le nageur
vieillissant qui triomphe des éléments en traversant un plan d'eau infesté de requins, ou
l'enfant défavorisé qui se fraye un chemin jusqu'au sommet d'une grande entreprise, ou la
jeune fille qui fait le tour du monde en solitaire en dépit du mauvais temps et des pannes
d'équipement. (La popularité des films de super-héros témoigne de la fascination exercée
par ce mythe). Inutile de dire que le rêve du héros met l'accent sur la séparation entre
l'individu et le reste de la réalité – c’est un rêve de lutte, de conflit et de triomphe total.
Même si vous ne vous prenez pas pour un héros, vous vous jugez probablement à l'aune
d'une version de ce modèle fondamental. En effet, l'ego se prend inévitablement pour le
héros de sa propre histoire et trouve de la valeur dans la manière dont il réussit - à gagner
sa vie, à trouver un compagnon/une compagne, à gagner l'amour et l'approbation. Mais
lorsque vous réalisez que vous n'êtes plus le centre distinctif autour duquel votre vie
tourne, mais simplement une autre expression du mouvement et du cours plus vastes de la
vie elle-même, le rêve du héros et l’univers de sens personnel que vous avez érigé autour de
lui s'effondrent. Et maintenant ? Si le sens de votre vie n'est pas fondé sur l'importance et
la réussite personnelles, quel est donc l’intérêt ?
Au lieu de vous efforcer de reconstruire le rêve et le sens qu'il contenait, ce qui est de toute
façon voué à l'échec, vous pouvez toujours revenir à votre foyer de Conscience éveillée et y
trouver le sens ultime. Lorsque vous abandonnez l'effort de forcer la vie et que vous
demeurez plutôt dans une ouverture et une Présence inconditionnelles et sans centre, vous
réalisez que rien n'a besoin d'être ajouté à ce moment pour le rendre plus complet – celui70
ci est intrinsèquement parfait et significatif, tel qu'il est. En vous désagrégeant en tant que
moi séparé, vous avez découvert le fondement plus profond de l'indivis, de l'Un sans
second, de la Source éternelle de laquelle provient toute séparation apparente. Une fois
que vous avez réalisé votre identité avec ce niveau plus profond de l'Être, la recherche d'un
sens personnel prend naturellement fin.
EN CONCLUSION
Il n'y a aucun moyen de pratiquer ou de maintenir la Conscience éveillée, comme vous
pourriez le faire avec un état tel que la pleine conscience. Mais une fois que vous
reconnaissez qu'il s'agit de votre essence même, de votre véritable nature, de votre état
naturel, vous pouvez continuer à remarquer votre tendance à vous égarer dans
l'identification et revenir sans cesse à ce que vous savez être. Ainsi que le disait un grand
sage indien, "Il vous suffit de trouver votre source et d'y établir vos quartiers"1. Au fur et à
mesure que l'habitude de s'identifier au mental disparaît, il en va de même du besoin de
contrôler ou de manipuler la vie pour qu'elle réponde à vos attentes, et vous vous ouvrez
naturellement à la complétude et à la perfection inhérentes à chaque instant, tel qu'il est.
J'ai toujours essayé de vivre une "vie orientée vers un but" et de faire ce que je crois avoir
un sens pour moi. Vous suggérez maintenant que la recherche d'un sens personnel est
malavisée. Cela signifie-t-il que j'ai perdu mon temps pendant toutes ces années ?
Je ne dirais pas que vous avez été malavisée, puisque ce que vous avez fait vous a amenée à
remettre en question votre approche et à vous interroger plus profondément. Dans le
contexte du rêve d'être une personne distinctive avec une biographie, un avenir attendu,
certains objectifs et certaines attentes, et le désir d'avoir un impact et d'exercer un certain
contrôle, choisir de poursuivre un but personnel est tout à fait logique. Mais la volonté
d'imposer votre agenda, aussi noble soit-il, vous rend aveugle à ce qui est réellement
nécessaire et vous met en porte-à-faux avec le cours naturel et l'orientation de la vie, qui a
son propre sens inhérent. Plus vous vous délestez de vos objectifs et de vos idées
préconçues et plus vous êtes ouverte à l'écoute de ce que la vie a à vous offrir, plutôt qu'à
vos idées sur la façon dont les choses devraient être, plus la vie prend du sens et plus vous
1
Sri Nisargadatta Maharaj, NDT
71
êtes en mesure de répondre de façon appropriée au moment présent et de vous rendre
véritablement utile. Reposer dans la Conscience éveillée implique une écoute intime et
globale de l'ensemble de la situation telle qu'elle est, et permet à votre objectif d'apparaître
spontanément en adéquation avec la situation en cours - et d'évoluer et de changer avec le
processus.
J'ai difficile à croire que "tout est parfaitement géré dans le Non-né", comme vous le
soutenez. Regardez toute la violence, l'ignorance et la cupidité dans le monde, toutes les
guerres, les attaques terroristes, la déprédation de l'environnement... La réalité ne me
parait pas parfaitement orchestrée !
Comment pouvez-vous savoir que les guerres, les attaques terroristes et la dégradation de
l'environnement ne sont pas absolument ce qui doit arriver selon un ordre mystérieux que
votre esprit ne peut pas comprendre ? Pensez-vous que vous ou que quiconque sur la
planète sache ce qui est le mieux pour l'ensemble ? Rappelez-vous que la perfection à
laquelle je me réfère n'a rien à voir avec les opposés de ‘’parfait’’ ou ‘’imparfait’’, ‘’bon’’ ou
‘’mauvais’’. Elle est plutôt parfaite dans ce sens où il ne pourrait pas en être autrement c'est ce qui est censé se produire. Et comment le savez-vous ? Parce que c'est ainsi ! Sinon,
vous entrez constamment en conflit avec la réalité, ce qui, comme le disait l'un de mes
maîtres, fait de vous une perdante dans tous les cas.
Bien sûr, si vous vous sentez poussée à faire des changements ou à vous joindre à d'autres
pour protester contre le statu quo, n'hésitez pas à le faire - votre réponse à la vie fait
également partie de la perfection. Mais ne vous attachez pas aux résultats, sinon vous
serez sans cesse frustrée et déçue. La réalité évolue à sa manière propre, mystérieuse,
inéluctable et, oserais-je le dire, parfaite, que vous le vouliez ou non. Vous pouvez choisir de
laisser tomber votre lutte et votre séparatisme et vous détendre dans votre état naturel de
Conscience éveillée, qui est intrinsèquement en phase avec le cours des choses. Ou vous
pouvez vous épuiser à résister à la façon dont les choses sont. Là encore, si vous suivez le
cours des choses, vous n'êtes pas nécessairement passive, mais vos réponses sont
adaptées à la situation en cours.
72
Je sais que je ne suis pas mon corps, mon histoire ou ma personnalité, mais je n'ai jamais eu
aucune des expériences énergétiques que vous décrivez. Il s'agit plutôt d'une simple
intuition ou reconnaissance de ce qui est vrai.
La réalisation initiale prendra souvent la forme d'une simple intuition. Au fur et à mesure
qu'elle imprègne votre être et qu’elle touche votre cœur, elle s'épanouira sous la forme
d'expériences énergétiques d'amour, de gratitude et des autres qualités que je décris. Il est
essentiel que vous ayez une reconnaissance claire et incontestable de la trame non duelle
de la réalité avec tout votre être, et pas seulement comme une vision du monde que vous
comprenez avec votre esprit. Dans les traditions religieuses occidentales, on appelle gnose
cette aperception directe, au-delà du mental ; en Orient, elle est connue sous le nom de
jnana ou prajna. Elle est similaire à ce que nous appelons généralement l'intuition, comme
lorsqu’on dit "je sais, mais je ne peux pas expliquer comment", et ce savoir est aussi
indéniable que le nez au milieu de la figure.
73
CHAPITRE 6 : LA CONSCIENCE ÉVEILLÉE DANS LA VIE
QUOTIDIENNE
Si vous êtes concentré, vous créez déjà une séparation. Il n’y a pas lieu d’être concentré. Si
vous marchez, marchez simplement. Laissez la marche s'effectuer. Laissez la parole, les
repas, l'assise et le travail se produire.
-
Le maître zen Muho Noelke
Abandonner votre identification au personnage rêvé et retourner à votre véritable foyer,
l'ouverture inconditionnelle de la Conscience éveillée, aura un impact puissant sur votre vie,
à tous les niveaux. Tout à coup, le fardeau de toute une vie tombe de vos épaules, les filtres
opaques du conditionnement disparaissent de votre regard, et vous expérimentez la vie
avec une fraîcheur, une vitalité et une clarté nouvelles. Chaque instant a un sens et une
valeur inhérentes, resplendissant de la lumière de la Conscience éveillée, et une joie subtile
et tranquille devient votre compagne de tous les instants. En effet, vous réalisez que le
bonheur n'est pas quelque chose que vous devez gagner ou qui va et vient de manière
capricieuse, selon les circonstances – il s’agit de votre état naturel, que le conditionnement
de toute une vie a jusqu'à présent caché.
L’ACCUEIL INCONDITIONNEL DE LA VIE, TELLE QU’ELLE SE DÉROULE
Les frontières entre l'intérieur et l'extérieur ayant disparu à la lumière de la Conscience
éveillée, vous reconnaissez maintenant que tout ce que vous rencontrez est une expression
de ce que vous êtes fondamentalement, votre vraie nature essentielle et la source de tout.
Il en résulte que vous rencontrez chaque situation avec une intimité, une confiance
nouvellement découverte et l'assurance que tout se déroule comme il se doit, selon un
ordre mystérieux que votre esprit ne peut pas comprendre. Parce que vous n'avez plus
besoin de conditions et de personnes "extérieures" pour être heureux, vous êtes libre de
profiter de la vie telle qu'elle est, sans avoir à lui imposer votre programme. En
abandonnant votre dispute permanente avec la réalité - votre lutte, aussi subtile et
insidieuse soit-elle, pour la manipuler afin qu'elle réponde à vos attentes - vous vous
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retrouvez à accueillir ce qui se présente, comme vous le feriez avec un ami proche, sans
jamais savoir qui peut apparaître, mais en restant ouvert, curieux et sans crainte de ce que
le moment suivant peut apporter.
En phase avec le rythme naturel des gens et des situations, vous traversez la vie avec
aisance et avec un minimum d'efforts, plutôt que de vous forcer constamment à aller à
contre-courant pour parvenir à vos fins. Plutôt que de faire l'expérience de la vie à travers
la perspective étroite et égocentrique du moi particulier, vous la voyez à partir de la
perspective globale et spacieuse de la Conscience éveillée, et vous réagissez de manière
appropriée, non pas en fonction de vos désirs et de vos besoins personnels, mais des
exigences de la situation dans son ensemble. A la fin, le sentiment d'être un acteur ou un
décideur distinct disparaît, car vous réalisez que la vie se vit à travers vous, et que cet être
corporel n'est qu'un véhicule ou un récipient pour la sagesse plus profonde et holistique de
la Conscience éveillée. Malgré l'illusion du contrôle, vous n'avez jamais été en charge de
votre vie, de toute façon, vous n'avez jamais dirigé le navire, et maintenant, vous pouvez
faire confiance au mouvement plus vaste de la vie.
Dans le passé, par exemple, vous n'avez peut-être pas profité de la plénitude ni de la
richesse de votre vie, avec ses hauts et ses bas, ses défis et ses cadeaux, étant trop
préoccupé par ce qui vous manquait et par ce que vous pouviez faire pour l'améliorer.
Comment faire pour que les gens m'aiment ? Comment accéder à un certain confort
matériel ? Comment être une meilleure personne ? Comment profiter de la situation, me
démarquer, attirer l'attention, aller de l'avant ? Vous ne pouviez pas non plus apprécier les
personnes les plus proches de vous, puisque vous ne cessiez de leur trouver des défauts et
d'espérer qu'elles changent. A présent, avec la révélation de la Conscience éveillée, vous
êtes ouvert à la perspective d'accepter les autres tels qu'ils sont et de recevoir ce que
l’instant apporte, sans jugement ni manipulation, en appréciant sa parfaite imperfection, la
radieuse indivisibilité de ce qui se présente en ce moment. Dans cette Présence ouverte,
inconditionnelle et à l'écoute, tout se déploie naturellement et gracieusement, sans qu'il
soit toujours nécessaire d'agir, de fignoler, ni d’améliorer.
Bien sûr, les problèmes continuent de surgir comme avant, mais plutôt que d'être
considérés comme problématiques, ils sont pris comme des occasions de demeurer en soi
et reposer dans la Conscience éveillée, plutôt que de s'égarer dans la jungle impénétrable
75
des jugements et de la réactivité. Par exemple, quelqu'un vous coupe la route, et le vieux
réflexe pourrait être de lui faire un doigt d'honneur en lâchant une bordée d'injures. Mais à
la place, vous sentez la vague des émotions monter, vous reposez dans votre propre
bonheur inné et votre ouverture, et vous laissez les émotions vous traverser en
appréhendant la situation, sans réagir. Vous pouvez être à même de reconnaître que vous
avez peut-être déjà agi exactement comme lui/elle, et que son manque de considération ne
fait que refléter le vôtre, puisque nous partageons tous les mêmes pulsions et les mêmes
faiblesses humaines. Les anciennes tendances et réactions peuvent resurgir brièvement,
mais elles se dissolvent ensuite dans la lumière pénétrante de la Conscience éveillée, car
vous les voyez pour ce qu'elles sont, sans y céder, ni les rejeter.
MÉDITATION : MOURIR DANS LE NON-DUEL
En combinant des éléments de plusieurs autres méditations, celle-ci vous guide jusqu’à une
pleine réalisation de la nature illimitée et non duelle de la réalité, de l'inséparabilité entre
soi et l'autre, le sujet et l'objet, l'expérimentateur et l'expérience.
Déplacez votre attention de vos pensées vers vos sensations corporelles. Prenez
conscience des sensations de votre corps contre la chaise, de vos pieds contre le sol, et de
vos mains contre vos cuisses. Prenez conscience des sensations de vos bras et de vos
jambes, de votre poitrine et de votre ventre, et de votre cou et de votre tête. Soyez
conscient du jeu des sensations, de la façon dont elles changent et fluctuent constamment,
et de la façon dont votre conscience vogue de sensation en sensation.
En y regardant de plus près, vous vous rendrez peut-être compte que tout ce que vous
pouvez vraiment connaître de votre corps, ce sont les sensations que vous éprouvez en cet
instant. Tout le reste est une projection, une image que votre esprit utilise pour remplir les
espaces. Par exemple, vous ne faites pas l'expérience de votre bras dans son intégralité,
vous avez juste certaines sensations dans la zone où vous imaginez que se trouve votre
bras, et vous y projetez l'image d'un bras.
C'est comme un tableau impressionniste. Il y a des milliers de points de couleur sur lesquels
nous projetons un nénuphar ou une femme ou un bâtiment. De la même manière, vous
76
projetez le concept "jambe" ou "tête" sur un ensemble de sensations. Laissez tomber ces
projections, ces concepts, et soyez simplement avec les sensations telles qu'elles sont, sans
interprétation.
Remarquez qu'autour de ces sensations se trouve un espace ouvert, où aucune sensation
n'existe. En fait, il y a beaucoup plus d'espace qu'il n'y a de sensations, et les sensations
jouent ou dansent dans cet espace. En remarquant le jeu des sensations dans l'ouverture
illimitée de l'espace, vous pouvez prendre conscience que vous ne pouvez pas vraiment
trouver une ligne de démarcation claire entre l'intérieur et l'extérieur du corps ; il n'y a que
le champ ininterrompu des sensations dans l'espace. Remarquez que les pensées et les
sentiments jouent dans le même espace que les sensations.
Maintenant, déplacez le focus des sensations vers l'espace lui-même. Reposez dans l'espace
éveillé et conscient dans lequel les pensées, les sentiments et les sensations apparaissent
et disparaissent. Soyez l'espace ouvert, non meublé, illimité, insaisissable.
En reposant dans l'espace, examinez les expériences qui se jouent dans l'espace. En dehors
de ces expériences, y a-t-il autre chose que vous puissiez savoir directement sur le monde
extérieur qui ne soit pas simplement une pensée ou un concept ? Le monde extérieur
n'existe-t-il pas simplement comme votre expérience du moment ? Tout le reste est une
projection, une histoire.
En examinant votre expérience, pouvez-vous trouver une distinction ou une différence
entre l'espace conscient et ce qui apparaît dans cet espace ? Puisque le monde n'existe que
sous la forme de votre expérience actuelle, y a-t-il une substance solide qui soit différente
de la Conscience ou de l'espace dans lequel elle apparaît ? Ou bien la Conscience et
l'expérience sont-elles faites de la même Essence insubstantielle ?
Sentez l'indissociabilité de la Conscience et des expériences qui s’y produisent. L'intérieur
et l'extérieur sont une seule et même Essence indivisible. Ce qui observe et ce qui est
observé sont une seule et même chose. Reposez dans l'espace indivis, non duel, de la
Conscience éveillée.
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L’AMOUR INCONDITIONNEL POUR SOI ET POUR LES AUTRES
Il est inutile de dire que les relations avec soi-même et avec les autres se transforment à la
lumière de la Conscience éveillée, en réalisant que vous-même et les personnes que vous
rencontrez sont des expressions d'une seule et même réalité indivise, la source et l'essence
de tout. Si vous reconnaissez cette indissociabilité essentielle, l'unité inhérente entre vous
et les autres, non seulement comme un concept, mais comme une aperception directe, une
expérience immédiate, un amour inconditionnel jaillit naturellement dans votre cœur, non
seulement pour les autres, mais aussi pour vous-même. En fait, vous reconnaissez que
l'amour, comme le bonheur, est votre état naturel que toute une vie de conditionnement a
dissimulé, enfermé, cloisonné dans votre cœur.
Du point de vue de la pleine conscience, telle qu'elle est généralement enseignée, les
sentiments attentionnés, comme l'amour bienveillant et la compassion doivent être
délibérément et laborieusement cultivés par des pratiques de méditation spécifiques - qui
peuvent certainement avoir un effet bénéfique puissant en vous permettant d'accéder à la
dimension de l'amour. Mais du point de vue de l'approche directe, la réalisation de votre
indissociabilité inhérente libère et révèle directement l'amour et la compassion
inconditionnels qui caractérisent déjà votre état naturel de Présence ouverte et à l'écoute.
Rien n'a besoin d'être développé ou cultivé. En revenant sans cesse à la Conscience éveillée,
vous plongez dans un courant d'amour bienveillant, d'appréciation, de gratitude, de joie et
d’autres qualités subtiles d'un cœur ouvert et éveillé.
Il ne fait aucun doute que vous avez déjà eu des aperçus de cette manifestation spontanée
d'amour inconditionnel, lorsque vous êtes "tombé amoureux" — dans cet amour qui est
toujours présent et disponible pour vous. Mais, comme la plupart des gens, vous avez
probablement attribué ce sentiment puissant à l'attrait d'une personne spéciale et vous
n'avez pas reconnu sa vraie nature. Lorsque vous êtes amoureux, vous voyez la personne
aimée, non pas à travers le prisme de vos jugements conditionnés et de votre histoire
personnelle, mais avec un regard neuf qui voit au-delà des imperfections jusqu'à la nature
essentielle qui se trouve au fond de vous. La Conscience éveillée se contemple elle-même à
travers les yeux de l'autre et tombe amoureuse d'elle-même. Généralement, cet amour
inconditionnel pâlit au fur et à mesure que la relation accumule une histoire, que vous vous
78
mettez à vous focaliser sur les imperfections apparentes de l'autre et que le vieux
conditionnement reprend le dessus.
Quand vous reconnaissez et demeurez dans la Conscience éveillée, vous voyez tout et tout
le monde avec un regard neuf et ouvert et, comme Dieu dans la Genèse, vous trouvez le
tout bon, complet et intrinsèquement aimable. Une personne, en particulier, peut susciter
en vous des sentiments d'amour et d'attraction particulièrement forts, mais vous savez que
cette personne n'est pas la cause de votre amour et n'est donc pas responsable de ce que
vous ressentez. Plus exactement, vous savez que l'amour est ce que vous êtes (et ce que
tout est), et que votre relation vous donne la possibilité de partager et d'apprécier cet
amour avec une autre personne. Paradoxalement, vous et votre bien-aimé(e) êtes à la fois
un et deux, distincts et inséparables, et la relation vous offre la possibilité de danser avec
ce paradoxe. Si vous n'étiez pas distincts, il n'y aurait pas de relation, pas de réciprocité,
pas d'échange et d'interaction, pas de danse. Mais si vous n'étiez que distincts, il n'y aurait
pas d'amour, ou du moins l'amour serait conditionnel et caractérisé par des conflits et des
négociations constantes. La beauté d'une relation éveillée réside dans le fait d'apprécier et
de chérir votre altérité à la lumière de votre unicité, votre dualité à la lumière de votre
indissociabilité. En gardant un regard neuf et ouvert et en ne tombant pas dans les vieux
schémas, vous pouvez faire en sorte que la relation reste perpétuellement nouvelle, vivante
et profondément épanouissante. Le secret n'appartient pas à l'autre personne - il réside
dans le maintien d'une Conscience éveillée.
Des différences - de préférences, de prédilections, de points de vue - surgissent
inévitablement, mais sans nécessairement diviser, puisque la Conscience éveillée embrasse
la vie exactement comme elle est et n'a pas d'opinion fixe pour ou contre quoi que ce soit.
Vous aimez la vanille, et j'aime le chocolat ? Mais naturellement ! Vous préférez passer le
week-end à la maison à vous détendre, alors que j'aimerais faire une excursion à la
campagne ? Pas de souci, aucune raison de se chamailler, bien sûr. Écoutons-nous
mutuellement avec une conscience ouverte, en restant sensibles au processus de
l'interaction et à la solution qui se dégage, plutôt que de nous attacher à des positions fixes
et de nous embourber dans un conflit. Vive la différence ! , comme disent les Français.
Bien sûr, les vieux conditionnements se ravivent inévitablement, en particulier dans les
relations amoureuses ou les amitiés proches, ce qui vous donne l'occasion de les accueillir
79
tels qu'ils sont, sans jugement ni rejet. En fait, une fois la conscience éveillée, les relations
intimes offrent un miroir incomparable, qui révèle vos points de blocage, et les zones de
votre cœur et de votre esprit où vous vous identifiez encore à un territoire et à un
programme séparés. Plutôt que de vous retrancher et de défendre votre position en cas de
conflit, votre engagement envers la vérité à tous les niveaux vous invite à investiguer pour
découvrir où vous vous accrochez. Chaque fois que vous vous surprenez à réagir avec l'une
des émotions conflictuelles de base, comme la colère, la peur, la peine, la jalousie ou
l'impatience, vous avez l'opportunité de vous arrêter et de réfléchir à l'origine de la
séparation, d'accueillir ces sentiments sans les traduire en actes et d'examiner les
croyances profondes qui les perpétuent. Lorsque vous vous ancrez dans la compréhension
que le problème ne se situe pas à l'extérieur de vous, mais provient plutôt des limites de
votre propre perspective centrée sur le moi, vous reconnaissez votre partenaire, votre ami
ou le membre de votre famille, non pas comme un adversaire, mais comme un enseignant
impitoyable et compatissant dans le processus continu de retour au bercail et de maintien
dans une Présence inconditionnelle et sans jugement. Les relations vous rendent
profondément humble, dans le meilleur sens du terme, puisqu'elles vous dépouillent de
toute identité ou de toute position à laquelle vous êtes attaché et ne vous laissent rien, si
ce n'est le caractère brut et la richesse de l'instant présent, tel qu'il est.
MÉDITATION : PLONGER DANS LE REGARD DE LA CONSCIENCE ÉVEILLÉE
C’est la même Conscience qui contemple à travers chaque paire d'yeux.
Invitez votre partenaire ou un( e) ami(e) proche à participer à cette méditation avec vous.
Asseyez-vous l’un en face de l’autre, bien droit mais détendu, avec vos genoux se touchant
presque. Gardez les yeux fermés pendant quelques minutes, tout en déplaçant votre
attention de vos pensées et de vos sentiments vers vos sensations corporelles : le contact
de votre dos et de vos fesses contre le siège, de vos pieds contre le sol, de vos mains sur
vos genoux, et le flux et le reflux de votre respiration.
Ouvrez maintenant les yeux et regardez doucement l'autre dans les yeux. Il ne s'agit pas de
fixer ou de se concentrer, mais de porter un regard détendu, sincère et aimant dans les
80
yeux de l'être aimé. Si votre attention se fixe sur un point particulier ou si vous avez du mal
à rester présent, revenez doucement à un doux regard dans les yeux de l'autre.
Pendant que vous continuez à contempler, remarquez ce qui se passe. Vous sentez-vous
mal à l'aise, tendu, anxieux ou honteux ? Portez-vous des jugements ou des interprétations
sur vous-même ou sur l'autre, comme ‘’je ne fais pas ça bien’’, ‘’il me semble en colère’’, ou
‘’je ne comprends pas le but de cet exercice’’ ?
Remarquez-vous des émotions — des éclairs de colère, des pointes de tristesse ou de
regret, des vagues de joie, de gratitude ou d'amour ? Qu'advient-il des limites entre vous et
l'autre ? Deviennent-elles plus rigides, ou commencent-elles à s'estomper et à se
dissoudre ? Continuez à contempler de la sorte pendant cinq minutes ou plus, en
accueillant tout ce qui se présente, sans jugement ni résistance.
Maintenant, considérez que la Conscience qui contemple à travers les yeux de l'autre est la
même Conscience qui contemple à travers vos yeux. La Conscience se contemple elle-même
sous la forme d'un autre. Si vous vous sentez prêt, permettez à toute trace de séparation
qui subsisterait de se dissoudre dans la lumière de la Conscience éveillée. L'intérieur et
l'extérieur, moi et l'autre, ne forment qu'un seul champ de conscience indivis. Remarquez
tous les sentiments qui jaillissent dans le cœur pendant que vous continuez à reposer dans
le champ non duel aussi longtemps que vous le souhaitez.
Après avoir terminé, prenez le temps de partager vos expériences et vos impressions avec
l'autre, dans la mesure où vous vous sentez à l'aise.
EMBRASSER VOTRE IMPERFECTION PARFAITE
Comme vous pouvez le constater, vivre à partir d'une ouverture et d'une Présence
inconditionnelles ne consiste pas à prétendre être un être spirituel parfait entouré d'une
aura d'amour et de lumière - il s'agit d'accueillir tout ce que vous êtes, avec tout votre
bagage humain et vos imperfections. Toute tentative de vous conformer à une norme de
perfection spirituelle ne fait que vous embourber dans un esprit rempli de comparaisons et
de jugements sur vous-même et vous met en porte-à-faux avec vous-même. Quand vous
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renoncez à essayer d'être parfait en vertu d'une idée prédéterminée et quand vous vous
permettez d'être comme vous êtes, avec tous vos défauts, votre perfection inhérente se
révèle naturellement, tout comme la perfection d'un arbre ou d'un oiseau se révèle à votre
regard ouvert et sans jugement. Cette perfection n'a rien à voir avec les polarités dualistes
du parfait et de l'imparfait, du bon et du mauvais, mais fait plutôt référence à votre
inestimable unicité - au fait qu'aucun être n'exprime le même mélange unique et
incomparable de qualités que vous.
Quand vous reposez dans cette ouverture inconditionnelle, vous ne ressentez plus le besoin
de projeter une image ou de défendre une position ou un point de vue, et les limites
artificielles entre soi et les autres s'estompent et se dissolvent. En conséquence, vous
devenez plus sensible aux moments où vous agissez en désaccord avec la vérité de votre
être, non pas parce que vous essayez de vous conformer à un idéal spirituel, mais parce que
vous pouvez sentir la défensive et la séparation surgir à nouveau. De cette syntonie
naturelle émane une action appropriée, basée non pas sur des préceptes préétablis de bien
et de mal, spirituels ou non, mais sur la vision globale et intégrale de la Conscience éveillée.
Aux yeux de la Conscience éveillée, comme je l'ai mentionné au chapitre 3, "chaque
personne et chaque chose, aussi apparemment imparfaites ou problématiques soient-elles,
sont parfaites dans le sens où elles sont simplement telles qu'elles sont, qu’il ne pourrait en
être autrement, et qu’elles irradient la perfection essentielle de l'Être lui-même. En réponse
naturelle à cette reconnaissance, il en résulte un mélange subtil d'amour, d'émerveillement,
de gratitude et de joie." Mais vous trouverez peut-être qu'il est beaucoup plus facile de
reconnaître la perfection inhérente des plantes et des animaux, du soleil et du ciel, des
êtres chers et des amis, que de reconnaître et d'apprécier la vôtre. En effet, votre relation
avec vous-même peut s'avérer être la relation la plus difficile de toutes - mais également
celle qui importe le plus. La clé, c’est d'éviter de se laisser enfermer dans son propre
jugement et d'accueillir son expérience telle qu'elle est. (Pour en savoir plus sur la relation
avec les émotions et avec les schémas figés de pensée et de réaction, voir le chapitre 7).
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MÉDITATION : ACCUEILLIR VOTRE EXPÉRIENCE SANS JUGEMENT
Plutôt que de rejeter ou de vous attacher subtilement à chaque expérience, comme vous le
faites la plupart du temps, vous pouvez vous entraîner à les accueillir telles qu'elles sont,
comme une nouvelle occasion de reposer dans le cadre inclusif de la Conscience éveillée.
Pendant les deux prochaines heures (ou plus longtemps, si vous le souhaitez), dites oui à
tout ce que vous vivez. Dites oui aux sentiments difficiles, aux pensées négatives, aux
tâches ardues, aux gens, au temps, aux nouvelles, aux bruits, aux odeurs. Par oui, je
n’entends ni la résignation ni la défaite, mais bien une franche reconnaissance.
Au cours de ce processus, vous remarquerez peut-être les nombreuses façons dont votre
esprit continue de dire non à la vie - en réprimant vos sentiments et vos pensées, en
jugeant les autres, en refusant d'accepter la façon dont sont les choses. Vous serez peutêtre étonné de découvrir combien d'énergie votre esprit dépense en refusant d'accepter ce
qui se passe réellement sous vos yeux.
À la place, pendant les deux prochaines heures ou plus, remarquez votre tendance à
résister ou à nier et dites plutôt oui : oui à votre faim et à votre désir, oui à votre colère et à
votre peur, oui à votre partenaire ou à vos enfants, oui à votre corps et à votre apparence,
oui à votre vie. Reposez autant que possible dans l'ouverture inconditionnelle de la
Conscience éveillée. Bien sûr, vous pouvez dire non si nécessaire ou changer ce que vous
n'aimez pas, mais prenez d'abord un moment pour dire oui.
Vous êtes peut-être tellement habitué à dire non que vous ignorez comment dire oui, au
début. N'hésitez donc pas à vous répéter le mot "oui" pour vous lancer, et peut-être finirezvous par apprécier tellement la danse du oui que vous la transposerez à tous les domaines
de votre vie. Oui, oui, oui !
MOURIR AVANT DE MOURIR
Lorsque vous découvrez que vous n'êtes pas le contenu de votre vie — le corps, le mental,
les pensées, les sentiments, la famille, les amis, les accomplissements, les relations et les
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possessions matérielles auxquels vous vous assimiliez — mais l'espace ou le contexte sans
limites dans lequel votre vie se déroule, vous mourez à une ancienne identité limitée dans le
temps et vous vous découvrez comme étant éternel. En reconnaissant que ce que vous êtes
vraiment est le substrat de l'Être — l'Essence insaisissable, immatérielle, indestructible qui
demeure, immuable, lorsque tout le reste est enlevé — vous découvrez une confiance et un
courage dans l'impérissable que la douleur, la maladie, la vieillesse et la mort ne peuvent
pas ébranler. Comme le disent les anciens maîtres zen : "Mourez avant de mourir, et la
mortalité ne pourra plus vous troubler."
Dans le même temps, il se peut que vous ayez encore de fortes préférences pour la santé, la
vitalité et l'absence de douleur, et que vous vous sentiez désappointé, anxieux, frustré ou
accablé par l'apparition d'une maladie ou d'une infirmité grave. La maladie, la vieillesse et la
mort font partie des expériences humaines les plus intenses et implacables. Néanmoins,
sous les vagues des sentiments humains naturels se cachent la paix profonde et le
renoncement de la Conscience éveillée, et une confiance profondément enracinée dans le
mystère sacré de la vie. "Non pas ma volonté, mais que Ta volonté soit faite" n'est pas
qu’une prière d'obéissance totale, c'est une description de la façon dont les choses sont
vraiment. Après tout, vous n'avez jamais été aux commandes, même pendant un instant, et
le renoncement n'est qu'une reconnaissance de ce qui a toujours été le cas.
CRÉER UN ENVIRONNEMENT PROPICE À L’ÉPANOUISSEMENT DE LA
CONSCIENCE ÉVEILLÉE
Plus vous demeurez fermement dans la Conscience éveillée, plus vous revenez
invariablement chez vous lorsque votre attention s'est égarée, et plus vous êtes à même de
faire face aux circonstances les plus difficiles de la vie avec grâce et avec facilité.
Initialement, toutefois, pendant que vous apprenez encore à vivre à partir de cette
perspective radicalement différente, vous pourrez trouver utile de simplifier votre vie
autant que possible et de vous accorder beaucoup de temps pour méditer tranquillement
et approfondir. Comme le disait l’un de mes maîtres, travaillez autant que vous le devez et
passez le reste de votre temps à vivre dans la beauté. Sinon, la complexité des exigences de
la vie peut devenir si pressante qu'il ne vous restera que très peu de temps pour
simplement exister.
84
Voici quelques suggestions pour vous permettre d'avoir plus de temps et d'espace dans
votre vie pour vivre à partir de la Conscience éveillée :
•
Consacrez quotidiennement du temps à vous asseoir tranquillement, à être présent,
à investiguer.
•
Appréciez la beauté que vous offre chaque instant.
•
Profitez du temps avec vos proches et vos amis, plutôt que de jouer avec votre
smartphone ou votre tablette.
•
Prenez le temps, le week-end, d'être dans la nature, sans appareils numériques
d'aucune sorte.
•
Utilisez des téléphones et des adresses électroniques spécifiques pour le travail et
pour les affaires personnelles.
•
N'emportez pas votre travail chez vous et évitez de consulter vos e-mails
professionnels après les heures de travail.
•
Coupez votre téléphone au moins une heure avant d’aller vous coucher.
•
Plutôt que de consulter une fois de plus vos e-mails ou les réseaux sociaux, restez
tranquille et reposez dans l'instant présent.
Bien sûr, vous ne pouvez pas faire en sorte que votre vie soit exactement comme vous le
souhaitez - en fait, vous avez très peu de contrôle sur le déroulement des circonstances.
Mais vous pouvez permettre que la priorité de votre vie passe des objectifs conventionnels
d'accomplissement et de valorisation de soi à celui, plus subtil et plus insubstantiel, de vous
aligner sur la vérité la plus profonde de votre Être. Une telle approche n'a pas de prix, et il
n'est pas facile de l'expliquer à des collègues ou à des membres de la famille qui pourraient
penser que vous devriez mettre davantage l'accent sur le travail et sur la réussite. Mais une
fois que vous aurez goûté à la paix et à la joie de votre état naturel d'ouverture et de
Présence, vous vous sentirez inexorablement attiré vers cet état, encore et encore, et vos
priorités et vos préoccupations changeront en conséquence.
EN CONCLUSION
Si vous reposez et demeurez dans la Conscience éveillée, votre vie se transforme à tous les
niveaux. Au lieu de vous efforcer de la changer ou de l'améliorer, vous l'accueillez telle
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qu'elle est et vous trouvez de la joie dans son mystère, dans sa beauté et dans sa perfection
inhérente. Les relations qui étaient marquées par le conflit et par l'insatisfaction, et cela
inclut la relation avec vous-même, sont maintenant remplies d'appréciation mutuelle, de
gratitude et d'amour. En fait, en l'absence d'un programme, d'une dispute permanente avec
la réalité, vous tombez naturellement amoureux de ce qui est.
Je ne comprends pas comment on peut faire face à la mort avec sérénité sans croire à une
sorte de vie après la mort.
Si vous vous considérez comme un ensemble de pensées, de sentiments, de souvenirs,
d'histoires, de réussites et de croyances, vous ne pouvez pas accepter paisiblement la mort
du corps physique, à moins de croire que le moi distinctif que le corps contient
apparemment se réincarne ou renaît d'une façon ou d'une autre, que ce soit au ciel, au
paradis ou sous une future forme humaine. Soucieuses d'apaiser la peur de la mort, de
nombreuses religions, dont le bouddhisme, proposent une explication réconfortante de ce
qui se passe après la mort. Mais lorsque vous vous réveillez du rêve d'être une personne
distinctive liée au corps-mental et que vous reconnaissez votre identité avec l'Essence
illimitée, sans forme et omniprésente de ce qui est (ce que j'ai appelé la Conscience
éveillée), la mort ne fait plus peur, parce que vous réalisez avec chaque fibre de votre être
que ce que vous êtes vraiment ne peut jamais mourir. Quelle révélation libératrice !
Je me connais trop bien pour croire être intrinsèquement parfaite. Si je ne fais pas un
effort constant pour m'améliorer, je suis sûre que je ne ferai que répéter les mêmes
comportements autodestructeurs, encore et encore.
Le problème avec cette approche, c'est que votre effort constant pour vous conformer à
une certaine idée de ce que devrait être votre vie peut être épuisant et n'a généralement
qu'une efficacité limitée. En outre, vous devriez peut-être vous demander d'où vous vient
cette idée. L'avez-vous formulée à partir de ce que vous avez lu dans un magazine
populaire ou dans un best-seller de développement personnel, ou vu chez Oprah ou chez Dr
Phil ? L'avez-vous puisée dans les enseignements sur l'apparence que doit avoir une
personne spirituelle ? Ou est-ce le résultat d'un conditionnement de l'enfance, enraciné
dans les croyances de vos parents et de leurs parents ? Vous pouvez passer toute une vie
dans une insatisfaction sans fin à essayer d'être quelqu'un que vous n'êtes pas, en vous
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comparant à des normes qui peuvent changer au gré de la culture populaire ou de vos
propres intérêts et expériences de vie. Ou vous pouvez trouver le bonheur et le
contentement dès maintenant en vous acceptant telle que vous êtes, ce que recommandent
les grands sages.
Le fait est que le moi distinctif que vous vous efforcez d'améliorer se sent inévitablement
inadéquat, parce qu'il n'a aucune substance, aucune validité durables. Il s'agit au mieux
d'une ombre fragile de ce que vous êtes vraiment, d’un pâle imposteur qui se fait passer
pour la vérité au cœur de votre être. Vous aurez beau l'améliorer, vous n'en serez jamais
satisfaite, puisqu'il ne peut vous procurer le bonheur et la paix inconditionnels que vous
recherchez. À la place, cessez plutôt d'essayer d'être parfaite et permettez-vous d'être telle
que vous êtes. Paradoxalement, cette profonde acceptation de soi et ce lâcher-prise
constituent la plus grande amélioration de soi, puisqu'ils mettent un terme à votre relation
conflictuelle et divisée avec vous-même. À partir de ce lâcher-prise et de cette liberté
d'être, le bonheur se révèle être votre état naturel, et des actions appropriées aux
circonstances s’ensuivent spontanément.
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CHAPITRE 7 : LA TÊTE DANS LA GUEULE DU DÉMON
Du point de vue de la Conscience éveillée, les émotions ne sont pas des problèmes à
résoudre, mais des expériences à accueillir, sans leur donner libre cours ni les dramatiser.
Dans l'expérience humaine, rien n'est peut-être plus mystérieux et confondant que la
puissante attraction exercée par des émotions troublantes comme la rage, le chagrin, la
terreur, la jalousie ou la concupiscence., qui semblent obéir à leurs propres lois et qui n'ont
qu'un lien ténu avec l'esprit dit rationnel, qui s'efforce depuis longtemps de leur trouver un
sens, car en effet, elles peuvent sembler exister dans un royaume inférieur qui leur est
propre. Elles obscurcissent notre jugement, elles nous poussent à agir de manière étrange
et autodestructrice, et elles peuvent nous empêcher de demeurer dans la paix et dans la
clarté de la Conscience éveillée.
Le Bouddha a qualifié le désir (tanha, "soif") de cause profonde de la souffrance, et il a
enseigné une voie pour s'en libérer. Les ermites, les renonçants, les yogis et les sadhus de
toutes les traditions religieuses ont passé leur vie à essayer de trouver la paix face à des
émotions puissantes, en les éliminant ou en les transcendant. Plus récemment, Freud et ses
successeurs, dans le domaine de la psychologie occidentale, se sont efforcés de découvrir
les causes de ces émotions et la manière dont nous pouvons nous libérer de l'emprise
qu'elles exercent sur nous. Et les entreprises pharmaceutiques ont mis au point des
médicaments qui promettent de les atténuer ou de les supprimer. Cependant, du point de
vue de notre état naturel d'ouverture et de Présence inconditionnelles, les émotions ne
sont pas des problèmes à résoudre ; ce sont simplement des expériences à accueillir, telles
qu'elles sont, sans leur donner libre cours, ni les dramatiser.
LA RELATION AUX ÉMOTIONS D’UN POINT DE VUE CONVENTIONNEL
Si vous êtes comme la majorité des gens, vous avez été conditionné pour aborder les
émotions difficiles de différentes manières. La plus courante consiste peut-être à vous
identifier à elles et à vous absorber dans l'histoire qui les perpétue. Par exemple, si votre
amant vous rejette pour une autre, vous pouvez vous laisser aller à raconter que c'est
quelqu’un d’odieux et vous complaire dans des sentiments de colère, d'amertume et de
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désespoir. Ou si vous perdez votre emploi, vous pouvez blâmer votre patron et le dénigrer
auprès de vos amis, tout en refusant catégoriquement de reconnaître votre propre
comportement inadéquat. Vous êtes submergé par des émotions pénibles et perdu dans le
drame sans fin qui se joue dans votre esprit.
Une autre réaction courante consiste à éluder ces sentiments en recourant à un ou
plusieurs mécanismes de défense, tels que la suppression, la répression, la projection, la
sublimation ou l'identification projective. Généralement inconscients et donc difficiles à
repérer, ces processus psychologiques complexes vous empêchent d'affronter et d'accepter
les émotions difficiles en les occultant ou en les attribuant aux autres. Par exemple, vous
n'avez pas besoin de faire face à votre propre douleur et à votre vulnérabilité, parce que les
autres personnes dans votre vie vous apparaissent comme des victimes impuissantes. Ou
encore, vous réussissez à maintenir votre personnage bien rodé de brave gars qui ne se
laisse jamais démonter en enfouissant votre colère au plus profond de vous-même. Le
problème avec cette approche, c’est que les émotions déplacées et mal comprises peuvent
provoquer des maladies, des tensions, des conflits avec autrui et le sentiment d'être coupé
de votre propre vitalité et de votre propre authenticité.
Finalement, vous pouvez tenter de transcender vos sentiments (un genre de mécanisme de
défense qui est populaire dans les cercles spirituels) en vous retranchant derrière le
détachement et la désaffection, et en prétendant être trop évolué pour éprouver des
émotions "négatives". Si vous êtes engagé dans une relation intime, votre partenaire
pourrait vous reprocher une attitude de sainte nitouche, susceptible d'exclure la possibilité
d'une véritable intimité, jusqu'à ce que la façade s'effrite. Ou encore, vous pouvez passer
votre vie dans une espèce de limbes isolées, pendant que des émotions négatives
continuent de s'exprimer de manière inconsciente. Reconnue comme une dérive spirituelle,
cette approche s'est avérée courante parmi les enseignants spirituels occidentaux, qui
peuvent prétendre être infaillibles, tout en sévissant contre leurs subordonnés, tout en
entretenant des relations sexuelles avec leurs étudiantes et tout en détournant des fonds
de leurs ashrams.
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LA RELATION AUX ÉMOTIONS AVEC LA PLEINE CONSCIENCE
ET AVEC LA CONSCIENCE ÉVEILLÉE
Si vous pratiquez la méditation de pleine conscience, vous pouvez adopter une approche
très différente. A la place de vous défendre contre vos sentiments ou de les extérioriser,
vous pouvez apprendre à devenir ami avec eux en leur accordant une attention légère et
sans jugement. Au fil du temps, vous pouvez développer un espace intérieur qui vous
permet d'être conscient des pensées et des sentiments, sans nécessairement vous laisser
happer par eux. Si des émotions fortes vous tenaillent, vous pouvez les explorer avec une
conscience compatissante et mieux comprendre leurs caractéristiques et les circonstances
qui peuvent les déclencher.
Un examen attentif peut vous permettre de découvrir que les émotions sont composées de
pensées, de souvenirs, d'images et de sensations corporelles, et de comprendre leur nature
éphémère et insubstantielle, ce qui vous libère finalement de leur emprise. Dans le
bouddhisme et dans d'autres traditions, la pleine conscience s'accompagne souvent de
méditations qui visent à cultiver des émotions plus positives et favorables à la vie, comme
l'amour bienveillant, la compassion, la joie et l'équanimité, comme antidotes à des émotions
plus destructrices, comme la colère, la haine, la jalousie et la peur. Au final, avec une
pratique plus avancée, vous serez peut-être en mesure de pénétrer l'insubstantialité du moi
distinctif pour lequel vous vous prenez et au sein duquel ces émotions difficiles se
produisent, apparemment. (Pour une analyse plus détaillée de la pleine conscience des
émotions, consulter mon livre, ‘’La méditation pour les nuls’’).
Dans la pratique, toutefois, la méditation de pleine conscience peut avoir tendance à
perpétuer une position détachée et distante de témoin qui écarte subtilement certains
sentiments jugés trop intenses ou menaçants et qui encourage l'utilisation de la conscience
pour contrôler votre état mental et émotionnel. Plutôt que de laisser votre calme
soigneusement entretenu être perturbé par des émotions difficiles, telles que la colère ou
le chagrin, vous pouvez utiliser la pleine conscience pour les court-circuiter ou pour les
supprimer et instaurer une paix de l'esprit qui dépendra du maintien de votre pleine
conscience par un effort constant, et dès que vous sentez votre équanimité s'effriter, vous
vous précipitez sur votre siège pour une nouvelle dose de méditation.
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En revanche, la Conscience éveillée accueille et embrasse spontanément les émotions
comme elles sont, sans aucun effort délibéré pour les examiner, les gérer, les supprimer ou
les modifier de quelque manière que ce soit. L'accent n'est plus mis sur les émotions ellesmêmes, mais sur l'ouverture inconditionnelle dans laquelle les émotions naissent et
disparaissent. Reposant dans cette ouverture, dans cette Présence pure et intemporelle, et
sachant qu'elle est votre vraie nature, fondamentalement, vous ne vous opposez à aucune
expérience et les laissez être telles qu'elles sont. Vous ne préférez pas les émotions dites
positives comme étant plus désirables que les émotions dites négatives ou destructrices, et
paradoxalement pourtant, cet accueil inconditionnel engendre naturellement une plénitude
du cœur et des sentiments féconds de paix, d'amour, de gratitude et de joie.
De fait, sans aucun effort ni intention délibérée de votre part, ces émotions nourrissantes
et reconstituantes pénètrent et dissipent progressivement les tendances profondes et les
points de blocage, qui peuvent continuer à donner lieu à des émotions conflictuelles et à
obscurcir la Conscience éveillée. Plus vous reposez dans la Conscience éveillée, plus vous
éliminez les obstacles qui vous empêchent de la vivre plus pleinement et continuellement et plus vous libérez leur énergie pour permettre une vie plus éveillée.
MÉDITATION : SE CONNECTER À L’OUVERTURE ET À LA PURETÉ
INCONDITIONNELLES
Adaptée de la tradition tibétaine, cette méditation utilise la visualisation comme un moyen
pour reposer dans votre état naturel.
Prenez quelques minutes pour vous asseoir confortablement, les yeux fermés, et déplacez
votre attention de votre esprit pensant vers le va-et-vient de votre respiration. Imaginez
maintenant, au sommet de votre tête, un être rayonnant de pureté, de lumière et d'amour
infinis. Peut-être prendra-t-il la forme de Jésus, du Bouddha, de Mère Marie, de Kwan Yin,
ou d'un ange, d'un bodhisattva, d'une divinité, d'un saint ou d'un sage particulier. Ou vous
pouvez simplement imaginer une sphère lumineuse. Quelle que soit sa forme, ne vous
concentrez pas sur les détails, mais sur la lumière et l'amour qui émanent de lui. Imaginez
cet être avec tous vos sens.
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Imaginez que cette lumière et que cet amour rayonnent dans toutes les directions, en se
diffusant de plus en plus loin jusqu'à atteindre les confins de l'univers. Imaginez l'univers
entier rempli de l'énergie de la lumière et de l'amour, de la paix et de la joie. Passez
quelques minutes à vous délecter de cette visualisation.
Maintenant, imaginez que cette énergie s'écoule comme une rivière de lumière blanche à
travers votre tête et votre cou, en remplissant votre corps d'amour et de lumière. Imaginez
que cette énergie pure et expansive dissout toutes les contractions et tous les blocages et
vous laisse avec le sentiment d’être nettoyé et purifié.
Imaginez maintenant que cet être de lumière descende le long de votre colonne vertébrale
et vienne reposer dans votre cœur, où vous fusionnez avec lui et devenez lui. Vous êtes un
être d'une pureté, d'une lumière et d'un amour infinis, qui rayonne ces qualités à partir du
cœur, dans toutes les directions. Continuez à demeurer dans cette radiance infinie aussi
longtemps que vous le souhaitez.
Pour terminer, laissez tomber toutes les images et reposez simplement dans votre état
naturel de pureté, de paix, d'amour et de joie intrinsèques. Remarquez comment cette
méditation continue de vous affecter, quand vous vous levez et vivez votre journée.
Si vous vous sentez enclin à explorer vos émotions, vous pouvez écarter toute étiquette,
concept, ou histoire et inviter l'expérience directe, sans intermédiaire, de l'émotion ellemême. Quand vous cessez d'y résister, d'essayer de vous en débarrasser ou même de faire
un effort pour en être conscient, et que vous la laissez simplement être, telle qu'elle est,
dans une Conscience ouverte et inconditionnelle, vous pouvez découvrir qu'il s'agit
simplement d'un mouvement d'énergie, l'un des nombreux mouvements de la danse que
nous appelons la vie. Ce n'est que parce que vous la perpétuez avec une histoire ou parce
que vous luttez pour la contrôler ou la neutraliser qu'elle pose problème. Laissée à son
propre cours naturel, elle finit par se libérer dans un processus que certaines traditions
appellent l'autolibération. Au fil du temps, vous apprenez à reconnaître que ces émotions
ne vous appartiennent pas - ou, plus précisément, qu'il n'y a pas de vous permanent et
durable à qui ces émotions appartiennent - et elles passent naturellement sans pouvoir se
fixer nulle part.
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Même si la Conscience éveillée n'a pas de préférence pour les émotions positives ou
négatives, elle préfère, par sa nature même, la liberté et l'ouverture à la fixation et à la
contraction. Même l'attachement à des sentiments et à des états d'esprit positifs peut
interférer avec l’acceptation totale de l'expérience, telle qu'elle est, ce qui est la marque de
la Conscience non duelle. Si vous vous trouvez dans l'obligation de choisir, vous êtes à
nouveau propulsé dans le domaine de la dualité, où vous préférez le positif au négatif, le
bon au mauvais, le bien au mal, la lumière à l'obscurité, et vous résistez à la réalité qui se
présente maintenant.
La différence entre la pleine conscience et l'approche directe est subtile, mais notable : la
pleine conscience utilise un état spécial d'attention pénétrante pour comprendre les
émotions difficiles dans le but de les libérer et de les remplacer par des alternatives plus
aisées. L'approche directe accueille naturellement et spontanément les émotions sans
programme, ni plan - et sans aucune identification à elles comme m'appartenant - et fait
confiance à leur libération dans l'espace inconditionnel de la Conscience éveillée.
ACCUEILLIR LES ÉMOTIONS, TELLES QU’ELLES SONT
Les émotions fortes peuvent être perçues comme des obstacles ou comme des distractions
qui vous empêchent de vous reposer dans la Conscience. Mais si vous les accueillez telles
qu'elles sont, sans vous laisser entraîner par leur contenu, elles peuvent elles aussi vous
ramener à votre état d'éveil et de paix inhérent.
Prenez quelques minutes pour vous asseoir confortablement, et déplacez votre attention
de votre esprit qui pense vers le flux et le reflux de votre respiration. Contrôlez maintenant
votre corps pour voir si vous pouvez détecter un sentiment résiduel de colère, de tristesse
ou de peur. Si vous ne ressentez rien de précis, vous pouvez vous remémorer un événement
récent difficile et noter les sentiments qu'il évoque.
Choisissez un des sentiments et laissez votre conscience reposer là, non pas avec l'histoire
mais avec les sensations du corps. Laissez tomber les images, les souvenirs ou les pensées
qui peuvent surgir et restez simplement avec les sensations, sans essayer de les changer ou
de vous en débarrasser. Laissez même tomber les étiquettes de "colère", "tristesse" ou
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"peur", qui ont de fortes connotations, et restez simplement avec le sentiment brut luimême. Remarquez toute résistance que vous pourriez avoir à faire face à ce sentiment et
permettez-lui d'être là aussi.
Maintenant, prêtez attention aux histoires qui ressurgissent autour de ce sentiment, non
pas pour vous y complaire, mais simplement pour vous familiariser avec elles. Ces histoires
sont-elles familières ? Vous êtes-vous déjà raconté ces mêmes histoires auparavant ?
Comment réagissez-vous, lorsque vous vous plongez dans ces histoires et que vous les
croyez ? Que se passe-t-il, lorsque vous prenez du recul et que vous les considérez comme
de simples histoires ? Ces histoires sont-elles vraies ? Quel est le prix à payer pour y
croire ?
Revenez maintenant au sentiment nu, sans superposition. A-t-il évolué ou changé, quelque
part ? Qu'il ait changé ou non, laissez-le tel quel, en cessant tout effort pour être présent et
en reposant simplement dans l'étendue ouverte de la Conscience elle-même. Laissez le
sentiment se libérer (ou non) sans aucune autre intervention ou effort de votre part.
Laissez-le juste être tel un autre morceau de bois qui dérive sur l'océan illimité que vous
êtes.
AUX PRISES AVEC DES ÉMOTIONS FORTES
De temps à autre, il se peut que vous soyez pris par des émotions fortes et que vous ayez
l'impression de perdre votre connexion avec la base de la Conscience éveillée, en étant
emporté par le torrent. Plutôt que de s'efforcer de rester présent et attentif, une approche
consiste à se laisser porter, comme vous le feriez, si vous étiez ballotté par les vagues de
l'océan, sans pour autant leur céder ni les exprimer délibérément. Laissez-les suivre leur
cours, sans résistance. Puis, quand le torrent se calme, vous pouvez sortir la tête de l'eau et
évaluer la situation. Peut-être pouvez-vous réfléchir à l'endroit où vous vous êtes laissé
prendre et identifier les histoires ou les croyances profondes qui vous ont à nouveau attiré
dans la séparation et le conflit.
Par exemple, votre patron vous donne un avis critique au cours de de votre évaluation
annuelle au travail, et vous êtes immédiatement pris de panique et d'angoisse, parce que
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vous imaginez que votre emploi est en danger et que votre survie est en jeu. Vous avez
beau essayer de vous raisonner, mais les émotions semblent sur le point de vous
submerger. Si vous pratiquez la pleine conscience, vous trouverez peut-être utile de revenir
sans cesse à votre respiration comme point d'ancrage, tandis que vous vous efforcez de
prendre du recul par rapport à ces sentiments puissants. Ou, comme précédemment, vous
pouvez faire table rase de toute étiquette, de tout concept ou de toute histoire et inviter
l'expérience directe et immédiate des émotions elles-mêmes, en leur permettant de suivre
leur cours avec la certitude que cette acceptation inconditionnelle constitue le terrain
d'accueil de la Conscience éveillée. Puis, quand les émotions s'apaisent, vous pouvez vous
interroger sur les croyances fondamentales qui les ont fait surgir, comme "je n'ai pas ce
qu'il faut pour survivre" ou "je ne suis pas en sécurité dans le monde". Au fur et à mesure
que ces croyances perdent de leur emprise à la lumière d'une connaissance plus profonde,
vous pouvez spontanément revenir résider dans le champ non duel de la Conscience
éveillée.
Le point essentiel ici est que vous ne vous efforcez pas de changer l'expérience de quelque
manière que ce soit, même pas en faisant des efforts pour être attentif. Vous laissez les
émotions être ce qu'elles sont et évoluer comme elles le font, en sachant qu'elles ne
peuvent pas détruire ce que vous êtes vraiment. En fait, plus vous résistez, plus vous
renforcez le sentiment de séparation sur lequel reposent les émotions. Paradoxalement,
plus vous les accueillez, plus elles relâchent leur emprise. Un grand maître de méditation a
rapporté que lorsqu'il résistait aux démons qui habitaient sa grotte, ils devenaient plus
féroces. Mais lorsqu’il les accueillit pour partager la grotte avec lui - en mettant finalement
sa tête dans la gueule du plus féroce - ils disparurent pour ne plus jamais revenir.
Peu importe le nombre de fois où vous vous laissez emporter, résistez à la tentation de
juger certaines expériences comme étant mauvaises et de vous en vouloir de les avoir
vécues. Le jugement ne fait qu'ajouter du stress et des conflits au mélange et finit par
intensifier les émotions au lieu de les tempérer. Reconnaissez que les émotions fluctuent
comme la météo et qu'elles ne peuvent pas être contrôlées, mais le fait de reposer dans la
Conscience change votre relation avec elles. Autant que possible, soyez l'espace chaleureux
et accueillant dans lequel les émotions jouent, mais ne vous laissez pas entraîner dans la
mêlée - et si c'est le cas, remarquez votre réactivité et rentrez chez vous.
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QUE SIGNIFIENT LES ÉMOTIONS ?
La tradition bouddhiste reconnaît deux façons différentes d'appréhender la vie : la
perspective absolue et la perspective relative. Dans la perspective absolue, tout est parfait
et complet tel quel, mais en même temps vide de toute substance durable, comme un rêve
qui semble avoir un sens, mais qui est finalement évanescent et insubstantiel. De ce point
de vue, vous êtes un personnage rêvé, dont la tâche consiste à vous réveiller de votre
sommeil et à réaliser votre véritable nature de Conscience pure et inconditionnelle,
indépendante du rêve. Dans la perspective relative, vous êtes un individu, qui interagit avec
d'autres individus, qui s’engage dans des relations intimes, qui a des préférences
personnelles et un but, qui gagne sa vie, qui assume des responsabilités et qui fait face aux
conséquences de ses actes. Vous répondez à un nom particulier, vous vous réveillez dans ce
corps et pas dans un autre, vous remplissez cette bouche, vous habitez dans cette maison,
vous avez ces amis et cette famille. Les deux perspectives sont simultanément vraies ; en
réalité, elles sont inséparables, comme les deux côtés d'une même pièce ou comme une
boîte et son couvercle, comme le dit un enseignement. Si vous restez bloqué dans le relatif
et si vous oubliez l'absolu, vous ne vous identifiez qu'à votre apparence dans la forme et
vous subissez la fronde et les flèches de la fortune outrageante, sans une compréhension
plus profonde du fondement de l'Être pour vous soutenir. Si vous restez bloqué dans
l'absolu et si vous négligez le relatif, vous finissez par vous sentir détaché et distant de la
vie et des autres, et vous ne manifestez pas l'amour et la compassion qui marquent
l'expression de la Conscience éveillée dans le domaine de la forme.
Dans l'absolu, les émotions n'appartiennent à personne ; elles ne sont qu'un mouvement
d'énergie dans le rêve et n'ont pas de signification personnelle, puisqu'il n'y a aucune
personne permanente à qui elles appartiennent. Mais à un niveau relatif, certaines
émotions ont du sens, car elles traduisent des élans du cœur, qui comptent dans le domaine
de l'amitié, de la famille et des relations intimes. Par exemple, certaines personnes
suscitent naturellement en vous des sentiments, qui ne peuvent être niés et qui deviennent
la base de votre attitude dans le monde. En fait, l'adaptation sensible au jeu des
sentiments, des sensations et des intuitions constitue la base de relations saines et
éveillées et donne une direction et un but à la vie. La clé, c’est de distinguer la différence
entre les émotions réactives et les émotions humaines essentielles - ce que l'un de mes
maîtres a appelé l'émotivité et l'émotion authentique.
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L'émotivité dépend du conditionnement, des histoires et des croyances qui alimentent
votre identification à un point de vue limité égocentrique. Par exemple, si quelqu'un remet
en question l'image de vous-même, que vous avez soigneusement élaborée, vous réagissez
avec de la colère ou avec de la peine et vous créez un conflit et une séparation. Les
émotions réactives ont tendance à être intenses, douloureuses, destructives, dirigées
contre les autres et défensives, comme si vous essayiez de protéger une forteresse
intérieure ou un endroit vulnérable qui se sent assiégé. Bien qu’elles puissent s'estomper
avec le temps, elles ont tendance à s'accumuler et elles ne se libéreront pas toutes seules, à
moins que vous n'examiniez délicatement les croyances profondes qui perpétuent le
sentiment de séparation sur lequel elles se fondent.
Par comparaison, les émotions essentielles et les sentiments ressentis sont plus subtils,
plus sereins, moins marqués ou tranchants, et ne reposent pas sur des histoires et des
croyances quant à la façon dont le monde et les autres personnes devraient être. Plutôt
que d'être pénibles et conflictuels, ils ont tendance à favoriser la complicité et l'intimité,
non seulement avec les autres, mais également avec vous-même. Lorsque vous accueillez
des émotions authentiques et que vous les vivez pleinement, vous vous sentez souvent
apaisé, énergisé, tendre, touché et plus intime avec votre Être propre.
Par exemple, si un ami meurt, vous pouvez ressentir une tristesse et une perte, qui vous
ouvrent à une plus grande appréciation de l'autre personne et à une profonde
reconnaissance pour la vie elle-même. Ou, si vous êtes victime d'un malentendu avec un
proche, votre douleur peut naturellement se transformer en compassion et en
compréhension pour toutes les personnes concernées. Puisque ces émotions et ces
ressentis ont tendance à provenir directement du cœur, plutôt que des zones de conflit et
de tension, ils révèlent souvent une connaissance intérieure qui inspire et qui enrichit votre
vie dans sa forme. (Pour une exploration approfondie de cette harmonisation avec les
émotions et les ressentis, je recommande le livre In Touch , de John Prendergast).
LA GESTION DE MODÈLES DE PENSÉES ET DE SENTIMENTS FIGÉS
Si on laisse les émotions se déployer dans la Conscience sans interférer avec elles ou les
manipuler de quelque façon que ce soit, on peut commencer à constater qu'elles
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retournent sans cesse aux mêmes schémas répétitifs de pensées et de sentiments, vu que
l'esprit se fixe habituellement sur certains problèmes et sur certaines préoccupations. En
fait, la tendance de l'esprit à faire des fixations d’une manière ou d’une autre est la cause
première de la souffrance, d'où naissent les émotions réactives. Une fois que vous vous
êtes familiarisé avec ces schémas répétitifs, les histoires récurrentes qui vous replongent
sans cesse dans l'identification et la lutte, vous pouvez les reconnaître plus rapidement,
lorsqu’ils s'activent et lâcher plus facilement les émotions qu'ils génèrent et les inviter à
passer.
Disons, par exemple, que votre histoire principale est "Personne ne m'aime" et, plus
radicalement encore, "Je ne suis pas digne d'être aimé". Vous filtrez toutes vos relations à
travers le prisme de cette histoire et vous en trouvez la preuve partout. Votre meilleure
amie ne vous appelle pas pendant une semaine, et vous imaginez qu'elle ne se soucie pas de
vous. Vos collègues de travail oublient de vous inviter à déjeuner et vous en concluez qu'ils
n’apprécient guère votre présence. Vous vivez avec un sentiment permanent de souffrance
et de rejet, qui colore vos relations à tous les niveaux - et qui peut même vous rendre
moins aimable aux yeux des autres. Mais une fois que vous identifiez ce schéma et le
reconnaissez comme la distorsion que vous imposez à la réalité, plutôt que ce que les
autres vous font réellement, vous pouvez le détecter, quand il se manifeste à nouveau et
couper court à ces sentiments familiers de rejet et de blessure avant qu'ils ne prolifèrent.
En fait, l’un des moyens les plus efficaces d’en revenir à la Conscience éveillée, c'est de vous
familiariser intimement avec vos histoires profondes et de les rencontrer avec compassion
et perspicacité, lorsqu'elles se présentent. Vous n'avez pas à faire d'effort pour le faire
délibérément ; une fois reconnu, votre état naturel d'ouverture inconditionnelle revient
spontanément vers les histoires et les émotions douloureuses dans une tentative (exempte
d’effort) de les libérer et de les réintégrer en leur insufflant de la conscience. Comme l'eau,
qui s'écoule dans tous les coins et recoins accessibles, la lumière de la Conscience éveillée
semble avoir une tendance innée à pénétrer dans les zones sombres et inconscientes de
notre vie.
Au-delà des histoires de référence individuelles, chaque personne a tendance à faire une
fixation sur des thèmes récurrents particuliers, qui sont comme un fil conducteur dans sa
vie. Au fil des siècles, ces fixations ont été définies de différentes manières dans différentes
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cultures et traditions. Par exemple, le bouddhisme regroupe ces tendances en trois types
principaux : l'avidité, l'aversion et l'illusion, qui correspondent aux trois "poisons" ou
causes traditionnelles de la souffrance. Les individus avides se focalisent sur ce qu'ils
veulent et dont ils n'ont jamais assez - la nourriture, le sexe, l'attention, le plaisir, les
relations, les biens matériels… En conséquence, leurs émotions tournent autour des
permutations du désir, comme la concupiscence, la faim, l'avarice, le chagrin ou la jalousie.
Les personnalités enclines à l'aversion se focalisent sur la défense contre les menaces ou
les attaques perçues de l'extérieur, généralement via une version ou l’autre de la colère ou
de la peur, par exemple, l'anxiété, la crainte, la critique, l'hypervigilance, la haine ou la rage.
Et ceux qui sont en proie à l'illusion vivent généralement dans un brouillard de confusion,
d'ignorance et de désorganisation, avec des émotions qui ont tendance à être plus sourdes,
mêlées, ambivalentes et floues.
La tradition soufie a mis au point une méthode encore plus sophistiquée pour comprendre
les principales façons dont nous fixons notre attention et interprétons la vie en fonction de
cette fixation (qui a ultérieurement été perfectionnée en Occident), l’Ennéagramme, un
système à neuf facettes fondé sur trois types fondamentaux : l'image, la peur et la colère.
Les trois profils associés à l'image se préoccupent de la manière dont ils sont perçus et
reçus par autrui. Ils entretiennent des relations essentiellement cordiales et se soucient
d'aider les autres, de se montrer compétents et de réussir, ou de se distinguer par le biais
de leur créativité unique. Les trois profils associés à la peur se préoccupent de comprendre
les choses par l'esprit dans le but de rester en sécurité dans un monde menaçant ou
incertain, de créer un monde intérieur complexe et protecteur, ou d'éviter les sentiments
désagréables en élaborant des stratégies pour garder la vie intéressante. Et les profils
colériques s'efforcent de gérer leurs propres pulsions agressives en les réprimant, en les
exprimant via la domination sur les autres, ou en les canalisant via le jugement et la
surenchère. (Ce résumé est très simpliste et il a simplement pour but de donner un aperçu
du système. Pour des explications détaillées de chaque profil, je recommande La sagesse de
l’Ennéagramme, de Don Riso et Russ Hudson, et L’Ennéagramme spirituel, d’Eli JaxonBear).
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MÉDITATION : IDENTIFIER VOTRE FIXATION
Vous êtes-vous déjà interrogé sur votre propre fixation, la façon habituelle dont vous
organisez votre attention et filtrez votre expérience de la vie ? Voici une méditation pour
réfléchir aux thèmes et stratégies majeurs au cœur de votre fixation. N'oubliez pas que
votre fixation n'est pas ce que vous êtes, mais ce qui vous empêche d'être pleinement qui
vous êtes.
Prenez quelques minutes pour vous asseoir confortablement, et transférez votre attention
de votre esprit pensant vers le mouvement de votre respiration. Pensez maintenant à trois
ou quatre événements récents qui ont éveillé en vous des sentiments douloureux. Si vous
n'êtes pas enclin à ressentir fortement les choses, repensez simplement à des situations où
vous avez vécu un conflit ou un stress. Prenez le temps de les examiner plus en profondeur
avec le recul et de réfléchir aux problèmes qui ont pu provoquer votre douleur.
Remarquez-vous des émotions ou des thèmes récurrents qui reviennent comme des fils
conducteurs dans chaque situation ? Que vous inspire la vie ? Souhaitez-vous avant tout
que les gens vous aiment et vous approuvent ? Ou essayez-vous de vous protéger des
attaques ou des critiques dans un monde que vous percevez comme étant peu sûr ? Avezvous tendance à répondre aux difficultés en essayant de comprendre les choses, en
réagissant instinctivement ou en vous connectant aux autres ? Quelles sont vos principales
stratégies pour faire face à la vie ? Quelles sont vos émotions récurrentes prédominantes ?
Considérez ce que vous découvrez, et dans le même temps, remarquez comment cette
reconnaissance vous affecte. Vous sentez-vous plus spacieux et moins réactif,
maintenant ? Ou êtes-vous toujours pris dans l'histoire ?
Remarquez maintenant que vos réponses à ces questions, et les questions elles-mêmes, ne
sont que des pensées et des concepts qui apparaissent dans votre Conscience. Remarquez
toute tendance à vous attacher à eux ou à créer des histoires à leur sujet. Laissez-les
passer, comme toute autre pensée qui pourrait surgir dans votre Conscience. Permettezvous de reposer dans la Conscience elle-même. Soyez l'espace dans lequel ces pensées, ces
émotions et ces histoires apparaissent et disparaissent. Rappelez-vous que vous n'êtes pas
l'histoire - l'histoire se déroule en vous.
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Aussi utiles que ces typologies et d'autres puissent être pour reconnaître vos propres
fixations fondamentales et expliquer le comportement apparemment inexplicable des
autres, elles sont trompeuses, si elles vous séduisent en vous faisant croire que votre
fixation est une description de ce que vous êtes vraiment et en utilisant ensuite cette
connaissance pour solidifier votre identification à un moi séparé. Du point de vue de la
Conscience éveillée, l'Ennéagramme et les autres typologies ne sont utiles que pour définir
et clarifier ce que vous n'êtes pas, afin que vous puissiez voir votre fixation pour ce qu'elle
est et revenir immédiatement à votre terrain d'origine, l'ouverture et la Présence
inconditionnelle. Si vous êtes piégé dans une histoire qui vous tient à cœur et si vous ne
parvenez pas à retrouver facilement le chemin de l'ouverture, vous pouvez vous rappeler
votre fixation et voir rapidement l'histoire actuelle comme étant l'expression d'un schéma
plus profond. Sinon, ce n'est qu'un jeu intellectuel, qui n’a pas de signification plus
profonde et qui peut devenir une autre distraction ou préoccupation. En d'autres termes,
vous pouvez finir par faire une fixation sur une fixation.
En fin de compte, toute fixation, même sur des croyances, des intuitions ou des états
spirituels exaltés, peut devenir un obstacle à l'ouverture et à la liberté complètes et
inconditionnelles de la Conscience éveillée. Votre véritable nature ne peut être identifiée, ni
circonscrite en aucune façon, et la tendance du mental à catégoriser et à conceptualiser ne
fait que l'obscurcir. Toute compréhension doit se dissoudre en étant la compréhension,
c'est-à-dire que vous devez renoncer à vos idées et à vos concepts spirituels et simplement
demeurer dans la vacuité et la liberté que vous savez être.
EN CONCLUSION
Avez-vous déjà vu le film Little Buddha, où le maître qui médite et qui va bientôt trouver
l’Illumination est tenté par un assaut d'images et d'émotions puissantes ? Il demeure calme
et imperturbable, et l'Illumination, à l’instar de l'étoile du matin, finit par poindre. Lorsque
vous découvrez votre état naturel d'Eveil et de paix inhérents, vous pouvez avoir
l'impression que tout le conditionnement d'une vie conspire pour vous séduire et vous en
éloigner. La clé pour continuer à demeurer en tant que Conscience éveillée, c’est de résister
à la tentation de lutter et de résister et, au lieu de cela, d'accueillir les expériences telles
qu'elles sont, comme le Bouddha. Au cours du processus, vous pouvez vous familiariser
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avec les schémas particuliers de préoccupation et de fixation qui vous retiennent et
relâcher progressivement leur emprise sur vous.
Vous semblez suggérer que les émotions sont inévitablement causées par des croyances
sous-jacentes, mais j'éprouve parfois des sentiments négatifs puissants qui surgissent sans
aucune raison apparente que je puisse détecter. Est-il possible que certains sentiments
surviennent simplement ?
Oui, c'est certainement possible, en particulier avec les émotions qui résultent d'un
traumatisme survenu en début de vie (ou d'un puissant traumatisme survenu à l'âge
adulte). Par exemple, vous pouvez vous trouver dans la situation la plus anodine qui soit et
vous sentir brusquement terrifié sans savoir pourquoi. Le plus vraisemblable est que vous
êtes perturbé par une association entre les circonstances actuelles et des événements
passés qui furent préjudiciables, dangereux ou abusifs. Par exemple, certaines situations
sexuelles peuvent déclencher de la crainte chez une personne dont on a abusé pendant son
enfance, ou la pétarade d'une voiture peut terrifier un ancien combattant, dont les potes
furent abattus sous ses yeux. Si vous examinez la situation de plus près, vous trouverez
souvent des croyances profondes, comme "Je ne suis pas en sécurité" ou "Le monde veut
ma peau", qui n'étaient pas évidentes au départ. Que vous puissiez identifier les croyances
profondes ou pas, l'essentiel est d'accueillir les sentiments sans essayer de leur résister ou
de les modifier de quelque manière que ce soit.
Je suis rarement perturbé par des émotions difficiles, et je crois que c'est grâce à toute la
méditation que j'ai faite. Mais ma femme pense simplement que je me réfugie dans le
détachement et la désaffection, comme vous le décrivez. Comment puis-je savoir qui de
nous deux a raison ?
Voici quelques questions que vous pouvez honnêtement vous poser : Suis-je
émotionnellement disponible et réceptif, quand la situation l'exige ? Ou suis-je replié sur
moi-même et incapable de ressentir ? Par exemple, mon enfant me décrit des expériences
heureuses qu'il a vécues à l'école. Ou ma femme me parle d'interactions difficiles au travail.
Est-ce que je me sens empathiquement touché et connecté ? Ou est-ce que je considère
cela de loin, comme les Vulcains dans Star Trek ? Le fait de demeurer dans une Conscience
éveillée ne vous soustrait pas au domaine ordinaire des sentiments humains ; au contraire,
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cela permet une intimité et une connexion encore plus grandes, sans la réactivité
instinctive qui découle de la défense d'une position ou d'un point de vue.
Diriez-vous qu'il est possible de faire l'expérience de la Conscience éveillée et d'avoir
simultanément des pensées et des sentiments négatifs, destructeurs ou colériques ?
Certainement. Toutes les pensées et tous les sentiments sont les bienvenus dans la
Conscience éveillée. Souvenez-vous que la Conscience éveillée n'est pas une expérience,
mais l'espace éveillé et conscient dans lequel les expériences se succèdent. Elle ne préfère
pas une expérience à une autre et elle n'essaie pas de modifier, ni de supprimer ce qui se
présente. En réalité, du point de vue de la Conscience éveillée, toutes les pensées et tous les
sentiments, qu'ils soient positifs ou négatifs, sont aussi vides qu’insubstantiels, comme des
nuages qui changent et qui se transforment dans le ciel, mais qui n'ont pas de signification
ni d'essence permanente. Plus vous demeurez dans la Conscience éveillée et plus vous
laissez passer les pensées et les sentiments, sans les saisir ou vous identifier à eux, plus ils
perdent de leur emprise sur vous.
Je ne peux pas vraiment me voir dans aucune des fixations que vous décrivez - ou plus
exactement, je me vois dans toutes. Est-il possible de posséder un petit peu de chaque type
de personnalité ?
Oui, bien sûr, même si un type ou si une fixation prédomine généralement. Inutile de dire
que nous sommes tous animés, poussés par la peur, la colère, l'ignorance et notre propre
image, et que nous voulons tous que les gens nous aiment et nous approuvent, que nous
nous efforçons de comprendre les choses pour nous protéger et que nous réprimons
parfois nos sentiments pour éviter les conflits. Mais si vous regardez attentivement, vous
constaterez probablement qu'une stratégie particulière a tendance à se répéter et à
occuper la première place. Au final, ne faites pas une fixation sur les fixations - elles ne
sont que des descriptions de ce que vous n'êtes pas et n'ont de valeur réelle qu'en tant
qu'indicateurs de ce que vous êtes.
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ÉPILOGUE : DÉCONSTRUIRE ET APPROFONDIR
Dans votre absence, il y a votre Présence.
-
Jean Klein
Au final, votre foyer de Conscience éveillée est un fondement sans fond ; il n'y a pas de lieu,
pas d'emplacement, aucune substance, rien à saisir ou à atteindre, aucun endroit où se
poser. Par sa nature même, l'ouverture inconditionnelle n'est limitée par aucune condition ;
c'est un pur potentiel, un espace illimité, non meublé, sans centre, ni contours. Même cet
espace n'est pas séparé de ce qu'il contient ; la Conscience et ses objets sont un et
indissociables. Il n'y a que cette réalité indivisible et non duelle. Juste Cela !
Bien que nous utilisions une expression pour la décrire, la Conscience éveillée n'est pas un
état ou une chose à part. Sitôt que vous pensez avoir trouvé quelque chose à quoi vous
pouvez vous accrocher et que vous pouvez nommer, vous vous êtes égaré pour vous
empêtrer dans des concepts et des expériences. Vous ne pouvez jamais la saisir comme
vous le feriez d'une pensée, d'une émotion ou de tout autre objet de la Conscience - vous
ne pouvez que l'être sciemment et lui permettre de vous vivre, d'une manière que le mental
ne peut pas comprendre.
En lisant ces mots, vous les trouverez peut-être abstraits, voire inintelligibles pour votre
esprit rationnel. Pourtant, il y a en vous un espace plus profond qui connaît déjà la vérité de
ce qui est dit et qui résonne avec elle comme un diapason résonne avec une cloche frappée
à la même fréquence.
Paradoxalement, le seul moyen d'approfondir la Conscience éveillée, c’est de complètement
lâcher prise par rapport à elle. Vous ne pouvez jamais intentionnellement la développer ou
l'améliorer, car sitôt que vous essayez, elle échappe à votre emprise. Du point de vue
absolu, bien sûr, la Conscience éveillée ne peut pas s'approfondir, car elle est déjà illimitée ;
ce qui s'approfondit, c'est votre capacité à y reposer. Ainsi que mon maître, Jean Klein,
avait l'habitude de le dire, c'est dans votre absence que se trouve votre Présence - plus
vous lâchez prise et laissez être, et plus profond est le maintien en tant que Conscience,
sans que personne ne le fasse ou n'essaie d'être conscient.
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La marque du repos et du maintien dans la Conscience éveillée, c'est que vous ne ressentez
plus aucun manque ou insuffisance, que vous ne ressentez plus le besoin de changer,
d'ajuster, d'ajouter ou de soustraire au moment présent. Vous ne recherchez pas un état
meilleur, plus satisfaisant, plus confortable - vous êtes complet et content de tout, tel quel.
Cela ne signifie pas que vous ne procéderiez pas à des changements dans votre
environnement ou votre situation dans un mouvement naturel vers l'équilibre et l'aisance qu'il s'agisse de mettre un pull ou de faire une promenade, d'acheter une nouvelle voiture
ou de changer de travail - mais vous n'avez pas besoin que les choses soient différentes et
vous êtes en paix, que les choses changent ou non. Quoique les circonstances soient
constamment en train de changer et de se déployer et que vous puissiez aimer ou ne pas
aimer ce qui se produit maintenant, il y a la connaissance plus profonde qu'il y a toujours et
seulement Cela, comme tel. La reconnaissance du fait que vous êtes Cela,
fondamentalement et essentiellement, marque la réalisation de la Conscience éveillée.
Dans la mesure où votre réalisation mûrit, la Conscience éveillée imprègne votre vie, et
toute trace d'une personne séparée disparaît. En définitive, vous ne pouvez même pas dire :
"Je suis la Conscience Eveillée", car il n'y a plus de moi pour s'identifier ou non. Seule la
Conscience éveillée demeure - le continuum non duel et indivisible, l'Un sans second, qui
s'exprime sous une myriade de formes. Juste Cela !
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À PROPOS DE L’AUTEUR
Stephan Bodian enseigne dans la tradition de sagesse non duelle du zen et de l'advaita.
C’est un pionnier de l'intégration de la sagesse orientale et de la psychologie occidentale, et
un expert internationalement reconnu en matière de méditation et de pleine conscience. Il
a notamment publié ‘’Le bouddhisme pour les nuls’’ et ‘’Zen ! La méditation pour les nuls’’.
Psychothérapeute agréé, il anime des cours, des ateliers et des retraites sur l'approche
directe de la réalisation spirituelle, et il propose des conseils et un accompagnement à des
personnes du monde entier. www.stephanbodian.org
John J. Prendergast, PhD, le rédacteur de l’avant-propos est l'auteur d'In Touch, l’éditeur
de The Sacred Mirror et de Listening from the Heart of Silence, et professeur adjoint de
psychologie à la retraite du California Institute of Integral Studies, à San Francisco. C'est
un enseignant spirituel, qui exerce également la profession de psychothérapeute en cabinet
privé. www.listeningfromsilence.com
Partage-pdf.webnode.fr
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