LE ROMAN NATURALISTE
I - AUX SOURCES DU NATURALISME
Les romanciers naturalistes
Il n’y a pas d’école naturaliste. Cependant, sous le fouet de l’activité critique de Zola, qui l’emploie dès
1866, le mot « naturalisme » s’est imposé pour définir l’esthétique de certains auteurs des trente
dernières années du XIXe siècle qui défendent un genre encore méprisé, le roman : à l’ombre de
Flaubert, qu’ils révèrent, Jules et Edmond de Goncourt, Daudet, Huysmans, Tourgueniev, Maupassant,
Céard, Hennique, Alexis se rassemblent sous la même bannière. Certains participent aux Soirées de
Médan dont Zola a voulu faire, après L’Assommoir (1877), l’outil d’une campagne publicitaire contre
le goût dominant.
En dépit de leurs différences et de leurs différends, les naturalistes sont en effet confondus dans la même
réprobation par les critiques bien-pensants de l’époque. Aussi Zola a-t-il beau jeu d’objecter à Flaubert,
qui contestait les « étiquettes et les mots en -isme », que « les écoles se fondent d’elles-mêmes », car il
faut « des mots pour constater les faits ». Les écrivains naturalistes ont « les mêmes haines et les mêmes
tendresses » ; pendant une vingtaine d’années, qui coïncident pratiquement avec la publication des
Rougon-Macquart (1871-1893), ils vont dominer la scène littéraire. Cependant, la parution d’À rebours
de Huysmans (1884), celle du Manifeste des Cinq contre La Terre (1887) marqueront le début de leur
déclin et d’un retour à l’idéalisme.
Un concept hérité des Lumières
Dès 1866, Zola élabore les prémices du système naturaliste. Cette référence à la nature a d’abord une
signification polémique : le romancier exclut l’intervention de l’au-delà dans l’action des hommes.
Diderot le disait d’un mot dans L’Encyclopédie, « naturaliste [...] est synonyme d’athée ». Le
naturalisme est l’héritier du matérialisme des Lumières qui, comme l’écrivait Furetière, explique les
phénomènes « par les lois du mécanisme et sans recourir à des causes surnaturelles ».
Les sciences naturelles seront donc le modèle de la démarche naturaliste : « Nous sommes des
naturalistes qui ramassons simplement des insectes, qui collectionnons les faits », dira Zola avec un
certain goût de la provocation.
Ce refus du spiritualisme va de pair avec des partis pris anticlassique et antiromantique : à l’« abstraction
de l’homme classique pris en dehors de la nature comme un mannequin philosophique » (les
personnages de la tragédie ne sont que l’expression désincarnée des passions humaines), à la dualité
romantique de la chair et de l’esprit (pensons à Quasimodo et aux violentes antithèses hugoliennes), le
naturalisme entend substituer la réalité humaine dans toute sa complexité. Il rétablit l’unité de l’homme,
fouillé jusque dans les ressorts les plus secrets de son corps, avec son époque et avec son milieu. Taine,
qui, le premier, avait tenté de distinguer l’influence respective de ces trois éléments dans la formation
du génie littéraire, est en ce sens le premier naturaliste du XIXe siècle.
Balzac et le modèle sociologique
Forgé sur le modèle des sciences de la nature, le naturalisme est donc un concept physiologique et
sociologique : « L’école naturaliste rétablit les rapports brisés entre l’homme et la nature, écrivait
Castagnary dans Le Salon de 1863, elle est issue des profondeurs du rationalisme moderne, elle jaillit
de notre philosophie, qui, en replaçant l’homme dans la société d’où les psychologues l’avaient tiré, a
fait de la vie sociale l’objet principal de nos recherches désormais. »
C’est dire que le naturalisme s’inscrit dans la continuité du réalisme qui, depuis Balzac (1799-1850) et
Courbet (1819-1877), révolutionne la littérature et la peinture. Comme Balzac brossant « l’histoire des
mœurs » de la Restauration et de la Monarchie de Juillet dans La Comédie humaine, comme Courbet