Durkheim (Émile), Leçons de sociologie (1890-1900) 5
En 1947, j'ai publié dans la Revue de la Faculté de Droit d'Istanbul une traduction turque de six
leçons de morale civique dont je disposais. Mais, bien que je ne l'aie rencontrée nulle pari, j'avais
voulu savoir auparavant avec certitude si la publication projetée par Marcel Mauss avait eu lieu. Je lui
écrivis donc, le priant de m'en informer. Comme je n'avais pas de réponse, je fis appel, grâce à
l'information obtenue par M. C. Bergeaud, conseiller culturel près l'Ambassade de France en Turquie,
à Mme Jacques Halphen, fille d'Émile Durkheim. Mme Jacques Halphen eut l'obligeance de me faire
savoir que Marcel Mauss, très éprouvé par les souffrances qu'il avait subies personnellement pendant
l'occupation, n'était pas en état de pouvoir donner le moindre renseignement. Elle m'apprit par la suite
que les manuscrits en question, qu'elle avait pu identifier à l'aide de la copie que je lui avais envoyée,
se trouvaient au Musée de l'Homme avec tous les ouvrages et documents constituant la bibliothèque
de Marcel Mauss. Ces manuscrite comprenaient, précisait-elle, outre les trois leçons de morale
professionnelle déjà publiées, quinze leçons de morale civique qui n'ont pas encore été publiées en
France.
Quelques mois plus lard, j'envisageai la possibilité d'assurer la publication de l'ensemble de ces
leçons par les soins de la Faculté de Droit d'Istanbul. Mme Jacques Halphen, consultée, voulut bien
donner son accord à ce projet, que la Faculté de Droit approuva volontiers.
Telles sont les circonstances dans lesquelles furent découverts les manuscrits qui constituent,
d'après le témoignage de Marcel Mauss, dans la Revue de Métaphysique et de Morale, le seul texte
écrit d'une façon définitive de novembre 1898 à juin 1900, et qui sont publiés à présent dans cet
ouvrage. Telles sont aussi les circonstances grâce auxquelles fui assuré le succès de l'initiative qui me
tenait à cœur.
Je dois donc, en premier lieu, exprimer ici à Mme Jacques Halphen la profonde gratitude de la
Faculté de Droit d'Istanbul ainsi que la mienne propre, pour la bienveillante autorisation qu'elle nous
accorda de publier celle œuvre inédite de son illustre père. Je dois ensuite remercier vivement mon
très distingué collègue M. le doyen Georges Davy d'avoir bien voulu se charger de la tâche difficile
de mettre la dernière main aux manuscrits et d'avoir rédigé une introduction. En tant que disciple et
ami d'Émile Durkheim, personne n'était plus autorisé que l'éminent sociologue qu'est M. Georges
Davy pour nous apporter ce précieux concours. Je liens aussi à remercier tout particulièrement M.
Charles Crozat, professeur à noire Faculté, ainsi que M. Rabi Korat, docent à la même Faculté, pour
avoir contribué à la correction des épreuves et apporté tous leurs soins à l'impression de l'ouvrage.
La parution en Turquie de cette œuvre posthume du grand sociologue français ne relève
nullement du hasard. Elle est bien plutôt, peut-on dire, l'effet d'une sorte de déterminisme culturel.
Car, en Turquie, la sociologie d'Émile Durkheim, à côté de celle de Le Play, de Gabriel Tarde,
d'Espinas et autres, est la seule qui ail acquis droit de cité, surtout depuis les travaux de Ziya Gökalp,
le sociologue turc bien connu. Nombreux sont, en effet, chez nous ceux qui, comme moi-même,
portent plus ou moins l'empreinte de l'École durkheimienne. Il n'est donc pas étonnant que la Turquie
se considère, si j'ose dire, comme l'un des ayants droit à l'héritage de celle sociologie. À ce titre, elle
saluera avec une légitime satisfaction la publication de cet ouvrage et appréciera, certes, à sa juste
valeur le fait, sans précédent dans son histoire, de voir paraître chez elle, par les soins de l'une de ses
institutions scientifiques, l'oeuvre inédite d'un savant européen d'une réputation mondiale.
De son côté, la Faculté de Droit de l'Université d'Istanbul est justement fière d'avoir contribué
ainsi au resserrement des liens traditionnels de culture et d'amitié existant entre la Turquie et la
France. Elle est non moins fière d'avoir aidé, en assurant la publication d'une œuvre de celle