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28 ergothérapies n°
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ergothérapies n° 76 janvier 2020
INTRODUCTION
L’ataxie récessive spastique de Charlevoix-Saguenay
(ARSCS) est une maladie évolutive héréditaire se
re
trouvant principalement dans les régions de Char-
levoix et du Saguenay/Lac-Saint-Jean (Québec, Ca-
nada), mais qui est maintenant diagnostiquée dans
plusieurs pays (Anheim et al., 2008 ; Bouchard et al.,
1978 ; Criscuolo et al., 2004 ; El Euch-Fayache et al.,
2003 ; Grieco et al., 2004 ; Gucuyener et al., 2001 ;
Krygier et al., 2017 ; Ogawa et al., 2004 ; Ouyang et
al., 2008 ; Vermeer et al., 2008). Les atteintes liées à
la maladie progressent de façon variable selon un
rythme encore peu décrit. L’ARSCS se manifeste
par des atteintes cérébelleuses (incoordination et
co-contraction), névritiques (perte de force) et pyra-
midales (spasticité) touchant plus particulièrement les
membres inférieurs (Bouchard, 1991). L’incoordina-
tion, la raideur progressive, la faiblesse et des défor-
mations variables aux membres inférieurs interfèrent
avec la réalisation de certaines habitudes de vie, dont
les déplacements (Gagnon et al., 2018). Les difcul-
tés à la marche se présentent dès son apprentis-
sage et progressent en menant à l’utilisation d’une
marchette entre 20 et 35 ans et d’un fauteuil roulant
généralement vers la n de la trentaine (Bouchard,
1991 ; Gagnon et al., 2018). La maladie est aussi ca-
ractérisée par une incoordination aux membres su-
périeurs (Gagnon et al., 2004) et un ralentissement
des mouvements ns, rapides et alternés (Bouchard
et al., 1978). Les personnes présentent aussi des
problèmes sur le plan du langage qui se manifestent
par une difculté de prononciation à l’adolescence
jusqu’à une dysarthrie de plus en plus marquée avec
le temps (Bouchard, 1991). Au niveau cognitif, on
rapporte un quotient intellectuel (QI) à l’intérieur des
limites de la normale (Bouchard et al., 1978 ; Drolet,
2002). En revanche, le QI non verbal est signicative-
ment inférieur au QI verbal (Bouchard et al., 1978) et
o
n peut retrouver des problèmes de mémoire visuelle
,
d’attention ou une sensibilité à l’interférence (Drolet,
2002). Certains traits de personnalité pathologique
ont aussi été identiés, tels que la rigidité mentale et
le faible niveau d’ouverture à l’expérience (Forgues,
2019). L’âge moyen au décès, documenté dans une
seule étude, est de 51ans, avec une étendue de 21
à 72ans (Bouchard, 1991). Bien que la recherche soit
très active, aucun traitement curatif n’est disponible.
Le suivi des personnes atteintes est effectué dans le
cadre des cliniques des maladies neuromusculaires
par une équipe médicale et de réadaptation
multi-
disciplinaire (neurologue, inrmier, ergothérapeute
,
physiothérapeute, etc.) selon les besoins (Choui nard
et al., 2015). La réadaptation vise la diminution des
impacts de la maladie sur la participation sociale et la
qualité de vie (Gagnon et al., 2007). Dans le cadre du
suivi multidisciplinaire, les interventions en ergothéra-
pie
ont pour but d’optimiser l’ensemble des activités
courantes et des rôles sociaux incluant le travail. Ce
dernier fait partie des facteurs importants liés à la
qualité de vie en raison de son impact sur l’épanouis-
sement personnel et sur l’intégration à la société. En
revanche, l’expérience clinique démontre que l’ob-
tention et le maintien d’un emploi se révèlent problé-
matiques pour les personnes atteintes d’ARSCS.
Les facteurs spéciques permettant d’expliquer ces
difcultés ainsi que les caractéristiques du parcours
d’emploi des personnes atteintes sont méconnus.
Dans ce contexte, les rôles spéciques des acteurs
concernés par la réadaptation au travail, dont les er-
gothérapeutes, sont difciles à cerner. C’est donc
dans l’optique de pallier ces lacunes qu’une étude
décrivant les trajectoires d’emploi des personnes at-
teintes d’ARSCS et les facteurs de l’environnement
physique et social facilitants ou faisant obstacle à
l’exercice d’un emploi a été réalisée. À la lumière des
informations recueillies, cet article présentera les
particularités liées à l’intégration et au maintien en
emploi des personnes atteintes d’ARSCS et les rôles
de l’ergothérapeute dans leur parcours.
MÉTHODE
Cette étude s’inscrit dans un devis qualitatif descriptif.
Pour répondre aux objectifs, des personnes atteintes
d’ARSCS suivies à la Clinique des maladies neuro-
musculaires (CMNM) du Centre intégré universitaire
de santé et de services sociaux du Saguenay – Lac-
Saint-Jean (Canada) ont été recrutées selon les cri-
tères suivants : 1) avoir une conrmation moléculaire
du diagnostic d’ARSCS par analyse génétique ;
2)être âgé entre 18 à 45 ans ; 3) occuper ou avoir
occupé un emploi (i.e., occuper un emploi rémunéré
au moment de l’étude ou avoir quitté le marché du
travail au cours des 24 derniers mois précédent
l’étude) ; 4) être en mesure de donner un consente-
ment éclairé ; et 5) ne pas présenter une autre condi-
tion médicale pouvant nuire à la participation sociale
ou à la participation au marché du travail. Les inr-
mières de la CMNM ont été invitées à sélectionner
des clients répondant aux critères parmi leur clien-
tèle atteinte d’ARSCS (n =175) et les ont contactés
pour connaître leur intérêt à participer au projet. Les
personnes intéressées ont été contactées par une
professionnelle de recherche et elles ont été invitées
à mentionner un proche et un employeur (si possible).
Une entrevue semi-dirigée individuelle avec le parti
ci-
pant (personne atteinte, proche et employeur) a en-
suite
eu lieu à un endroit de son choix. Ces entrevues
ont été enregistrées de façon audio et transcrites.
L’analyse de ces entrevues selon une méthode
d’analyse de contenu a permis de faire ressortir des
facilitateurs et obstacles à l’emploi. Au terme de ces
analyses, deux demi-journées d’échange et un ate-
lier lors d’un congrès national (Montréal, Canada)
réunissant des professionnels des milieux scolaire,
vocationnel et de la réadaptation ont été organisées.
Ces activités avaient pour but de dénir des pistes
d’action et des moyens concrets pour mieux soute-
nir les personnes atteintes tout au long de leur par-