Cours Histoire de l’Art LA RENAISSANCE LES ARTS LIBERAUX

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Histoire de l’Art - LA RENAISSANCE - LES ARTS LIBERAUX
Sandro Botticelli, Jeune homme (Lorenzo Tornabuoni ?) devant l’assemblée des Arts libéraux,
vers 1683, Louvre.
Illustration page de titre : Le Pinturicchio, L’Arithmétique, palais du Vatican, v. 1495.
I. Les Arts libéraux :
Représentation allégorique: sous les traits de 7 femmes d’allure vertueuse munies de leurs attributs
particuliers. Allusion aux 7 branches du Savoir mais aussi aux qualités créatrices de l’Homme.
Rapport étroit avec l’Humanisme naissant.
Leur iconographie s’inspire de celles des Muses antiques classiques, divinités qui personnifiaient les
différentes disciplines artistiques et intellectuelles chez les Grecs et les Romains. On pensait que les
arts libéraux, comme les signes du zodiaque et les éléments, exerçaient une influence de type
astrologique sur le caractère de l’homme, et la pratique de tel ou tel d’entre eux était donc prescrite à
titre de thérapie dans le traitement de certaines maladies. L’établissement de rapports entre les arts et
les planètes remonte à Pythagore, qui avait élaboré un système complexe de correspondances
harmoniques entre les Muses et les sphères célestes. (Ne pas oublier que la Renaissance est encore un
monde de superstitions, et il en sera ainsi jusqu’au XVIIe siècle, au moins, en ce qui concerne
l’astrologie).
Au Moyen Age, saint Thomas d’Aquin reprend la philosophie classique en termes religieux et moraux,
et il fait correspondre un sacrement et une vertu à chaque art libéral (ex : Saturne et l’Astronomie).
Cette conception, reprise par Dante dans son Banquet (Il Convivio), constitue le modèle de
l’iconographie des arts libéraux tout au long du Moyen Age, et elle est illustrée par des artistes
majeurs du XIVe siècle comme Giotto, Andrea Pisano ou Andrea da Firenze (Andrea Bonaiuti). La
représentation personnifiée des arts donne souvent lieu au portrait de leurs inventeurs légendaires ou
historiques (Orphée, Hermès Trismégite, Pythagore, Platon, Aristote…). Souvent des philosophes et
savants de l’Antiquité grecque.
Andrea da Firenze (Andrea Bonaiuti), Les sept arts libéraux, Santa Maria Novella,
Chapelle des Espagnols, vers 1365-67.
De gauche à droite :
La figure de l’Arithmétique, tenant une plaquette avec des figures, et devant laquelle siège Pythagore.
La Géométrie : équerre et Euclide, son principal représentant.
L’Astronomie : sphère armillaire : les cercles représentent les cercles de chaque planète, selon le
système géocentrique - Terre au centre de l’Univers - de Ptolémée, le géographe et astronome du IIe
siècle ap. JC, que l’on coiffe souvent d’une couronne (comme ici) car on le confondait avec les rois
lagides d’Alexandrie : les Ptolémées hellénistiques du IIIe av JC.
La Musique, avec un instrument genre harpe - en forme d’Eglise (réf. aux chants de la liturgie, aux
anges musiciens…) et une figure biblique : Tubalcaïn un forgeron (rapport à un épisode de la Genèse,
IV, 21-22) inventeur légendaire de la musique.
La Logique/Dialectique (tient un rameau) et Aristote, considéré comme son inventeur.
La Rhétorique déroulant un phylactère et Cicéron.
Enfin la Grammaire, mère des autres arts, enseignant à des enfants (et un grammairien ; soit Prisciano
soit Donato).
Biagio d’Antonio ( ?), Allégorie des Arts libéraux, dernier ¼ du XVe, Chantilly, Musée
Condé.
L’auteur fut certainement inspiré de l’œuvre précédente d’Andrea da Firenze
Petit panneau : 20 x 10 cm : une miniature collée sur bois. Mauvais état de conservation. Une « tour de
la Sagesse » ponctuée d’arts libéraux. Une montagne à 7 paliers qui est une référence directe à la
montagne du Purgatoire de Dante. Les arts libéraux illustrés aux différents niveaux sont une allégorie
de la connaissance parfaite représentée au sommet de la montagne par une femme tenant un triangle,
symbole de la Trinité ; elle montre le Père éternel dans une mandorle.
De bas en haut : d’abord le trivium avec la Grammaire enseignant à des enfants devant la Porte de la
Sagesse et un grammairien (toujours l’1 ou l’autre : soit Prisciano soit Donato). De l’autre côté de la
porte, la Rhétorique argumente, à ses pieds Cicéron. Au-dessus la Dialectique tient d’une main un
rameau et de l’autre un scorpion, symboles des aspects positifs et négatifs de toute chose (et Aristote).
Puis le quadrivium : la Musique avec une sorte de harpe, avec Tubalcaïn (forgeron et inventeur de la
Musique dans la Bible). Puis l’Astronomie et son astrolabe (instrument pour mesurer des
distances/positions par rapport aux étoiles) avec Ptolémée. Puis vient la Géométrie tenant un compas
(et Euclide à ses pieds) tandis que l’Arithmétique tient une tablette (et Pythagore).
Cette association iconographique de Dante et de l’Antiquité est caractéristique du goût nouveau d’une
clientèle cultivée florentine dans le dernier quart du XVe siècle.
***
II. Sandro Botticelli, Jeune homme (Lorenzo Tornabuoni ?) devant l’assemblée des Arts libéraux,
vers 1683, Louvre (acquis en 1882).
- Fiche technique
Peinture murale : fresque (avec retouches à sec), 237 x 269 cm : selon site Joconde (les dimensions
varient selon les études, peut-être en raison des lacunes par rapport à l’original puisque la fresque a été
déposée).
Auteur : Botticelli, en totalité ou en partie.
Destination d’origine : pièce de l’étage supérieur de la Villa Lemmi (nom des propriétaires de la villa
vers 1870) à Chiasso Macerelli, près de Florence. Au XVe : villa ayant appartenu aux Tornabuoni de
1469 à 1541, famille parente par alliance (et alliée) des Médicis avec qui elle avait des intérêts
politiques et financiers communs.
Les sujets des deux fresques (aujourd’hui au Louvre) de la villa Lemmi sont des allégories célébrant, a
priori, de nouveaux époux. Appartenaient à un ensemble de 3 fresques (ou 4 ?) recouvrant chaque mur
de la pièce. Découvertes sous des couches de badigeon en 1873 et vendues par les Lemmi à un
antiquaire/marchand nommé Bardini qui se hâta des les récupérer avant que la famille ne se rende
compte de leur valeur (dégradations dues à la dépose dans la hâte). La dépose est une technique pour
détacher une fresque/peinture murale du mur, en emportant l’enduit de la fresque et son support de
mortier afin de la déplacer dans un autre lieu. Elles furent ensuite marouflées (collées) sur toile
La 3e fresque (portrait en pied de Giovanni Tornabuoni ?), complètement dégradée, est restée en place
tandis que les 2 autres furent achetées par la France en 1882 et conservées au Louvre.
Fresques en mauvais état de conservation et lacunaires (mais restaurées).
Malgré leur état, les fresques témoignent de l’art délicat des meilleures compositions de Botticelli.
Sinuosité des lignes, fraîcheur et harmonie des couleurs, drapés aériens, grâce des attitudes.
Commanditaire : famille Tornabuoni. Giovanni Tornabuoni, père de Lorenzo est aussi l’oncle de
Laurent le Magnifique (dont la mère est Lucrezia Tornabuoni, sœur de Giovanni et épouse, donc, de
Pierre de Médicis). Tornabuoni : une des + grandes familles de négociants florentins du XVe siècle.
En bon florentin du Quattrocento, Giovanni alliait le goût de l’ostentation et l’orgueil familial à une
piété fervente (il commande en 1485 à Ghirlandaio, son artiste préféré, les célèbres fresques de la vie
de la Vierge pour le chœur de Santa Maria Novella).
1ère hypothèse : on suppose le plus fréquemment que le somptueux mariage de Lorenzo Tornabuoni et
Giovanna degli Albizzi en 1486 fut l’occasion de la commande. D’après Horne (1908), Lightbown
(1978) et Giulio Carlo Argan, elles auraient été exécutées pour ces noces: les fresques portaient
autrefois les blasons de ces 2 familles. L’importance de l’évènement avait été célébré aussi par 2
médailles portant, à l’avers, le profil des jeunes gens et, au revers, Mercure pour Lorenzo (Dieu du
Commerce) et les Grâces (avec inscription latine : chasteté, beauté, amour) pour Giovanna.
2ème hypothèse : Caterina Caneva (1992) rappelle les études de Salvini (1955) et dEttinger (1976)
pour proposer un autre mariage, 3 années plus tôt, occasion éventuelle de cette commande : celui de
Matteo Albizzi et de Nanna Tornabuoni, en 1483. Cette hypothèse, basée sur une analyse stylistique,
placerait l’exécution entre le séjour romain de Botticelli et La naissance de Vénus condition que sa
datation, non unanime, soit de 1484).
Enin, Alexandra Grömling et Tilman Lingesleben penchent pour la 2e hypothèse, arguant que le visage
de Giovanna, connu par une médaille, n’est pas celui de la fresque (mais argument contestable, me
semble-t-il, pour une allégorie louangeuse).
Description des 2 fresques :
Lorenzo Tornabuoni ( ?) devant les Arts libéraux :
Botticelli a situé la scène de nuit, peut-être selon la convention littéraire médiévale qui assimilait à un
rêve toute rencontre entre des personnages réels et des personnages allégoriques. Les jeunes femmes
accueillant le tout jeune adulte, Lorenzo ?, ont été identifiées comme la personnification des Arts
libéraux, d’après les attributs de certaines d’entre elles : un rouleau de parchemin, une tablette portant
des figures pythagoriciennes, une équerre, (en iconographie, il arrive que leurs attributs fluctuent
cependant). La Grammaire en robe blanche et manteau rouge, qui porte un fichu sur ses cheveux
blonds, le conduit dans une clairière. Lui porte une robe et un bonnet rouge, selon la mode
contemporaine. La Grammaire le présente à la Prudence (pas un art libéral mais vertu « reine » qui
préside, qui régit le comportement idéal de l’homme sage. Son attribut : le serpent ici mais parfois
c’est un miroir) qui trône sur une estrade surélevée, et tend la main pour le bénir. Les Arts libéraux
sont assis de part et d’autre en demi-cercle. A sa droite l’Arithmétique (tient tables de calculs
pythagoriciens dans sa main gauche) fait un signe, comme pour signifier la bienvenue. A sa gauche, la
Géométrie (équerre sur l’épaule). A coté de la Géométrie, l’Astronomie (sphère armillaire = univers
céleste « devant son nez ») et la Musique (instrument genre tambourin) devisent ensemble. En face, la
Rhétorique (rouleau) tourne son regard vers le jeune homme, tandis que la Dialectique, qui tient un
scorpion (voir plus haut Biagio d’Antonio), baisse les yeux.
La Grammaire (qui est à la base de toutes les autres disciplines) forme avec la Dialectique et la
Rhétorique les arts du trivium. L’Arithmétique, la Musique, la Géométrie et l’Astrologie ( =
Astronomie, pas de distinction avant le XVIIe), forment les arts du quadrivium : il s’agit donc des 7
disciplines qui sont à la base de l’enseignement médiéval jusqu’à l’époque moderne. On sait que les
études humanistes étaient le principal intérêt du jeune Lorenzo.
Outre ces figures, la fresque comprend les traces d’un paysage boisé et un putto portant un blason
désormais illisible (les armoiries familiales selon le rapport rédigé lors de la découverte).
Giovanna Tornabuoni ( ?) rendant hommage à Vénus et aux Grâces, 211 x 283
cm,Louvre.
Les trois Grâces : autre groupe de figures, de la mythologie grecque, récurrentes dans les sujets
allégoriques. Trois personnifications également : la Joie, la Grâce et la Beauté.
Vêtue comme le présumé Lorenzo, à la mode florentine de son temps, la jeune femme reçoit dans un
linge blanc, posé sur ses mains tendues, des fleurs (retouches à sec de Botticelli abîmées lors de la
dépose : aujourd’hui invisibles mais décrites lors de la mise au jour de la fresque au XIXe). Ces fleurs
lui sont offertes par Vénus (habillée et chaussée comme dans le Printemps), escortée des trois Grâces :
dons symboliques de la déesse de l’Amour à la jeune épouse et attribution, par analogie, des vertus des
Grâces à la jeune femme pour lui rendre hommage.
Cette fresque porte des traces de paysage, sans doute un jardin avec une fontaine, et encore un putto
portant un blason illisible (armoiries ).
Botticelli a bien différencié les couleurs des robes des protagonistes féminines en les harmonisant
(contrairement à Léonard qui conseillera d’unifier les couleurs): comme le conseille Alberti qui
conseille de donner « à chacune [des déesses ou des nymphes] une couleur différente, de sorte que les
couleurs claires soient toujours proches d’une couleur foncée différente » et qui estime que « le rose à
côté du vert et du bleu s’honorent mutuellement ».
Giulio Carlo Argan admire l’aura poétique, la délicatesse, l’ondoiement et le mouvement des formes
de cette fresque et précise, qu’à l’instar d’autres œuvres botticelliennes, ce n’est pas la suavité ou la
sensualité mise en exergue dans les figures féminines de cet artiste, mais « le mouvement alterné et
continu de l’âme : c’est le symbole abstrait de la spiritualité ». Apogée du néo-platonisme de
Botticelli : spiritualisation de l’objet, royaume des « idées pures ». (une décennie plus tard, pour
Botticelli, la Foi primera sur les idées humanistes – cf. fin préparation sur « vices et vertus »).
***
III. Une interprétation du sujet (la majorité des études y adhère)
Nous pouvons interpréter les 2 fresques avec beaucoup de précision grâce à des documents et œuvres
d’art de l’époque (selon Ronald Lightbown). Comme tous les fils de grandes familles florentines
élevés dans un climat humaniste, Lorenzo reçut une formation qui le préparait au métier de la banque
et du commerce, et en même temps à des activités littéraires et d’érudition, 2 domaines souvent jugés
inconciliables de nos jours. Il allait rejoindre son père à la banque Médicis en 1490. A la date
approximative d’exécution des fresques (supposant v. 1484), il se préoccupait surtout de connaître
parfaitement les auteurs classiques. C’est ce que nous apprend une lettre datant de 1485, Politien
(en partie responsable de l’éducation érudite de Lorenzo) lui dédie un poème dans lequel il rappelle le
vif intérêt de Lorenzo pour les lettres, singulièrement les lettres grecques. Dans la fresque, Lorenzo
est présenpar la Grammaire, qui symbolise aussi les langues grecque et latine, aux six autres arts
libéraux et à leur reine la Prudence, autrement dit la sagesse des esprits éclairés. Ce n’est pas un hasard
si l’Arithmétique, l’art le plus utile aux négociants et banquiers, siège à droite de la Prudence et fait un
geste de bienvenue.
Allusion à donc à son ample éducation, dont les sciences mathématiques, auxquelles sa carrière
présumée dans la banque et le commerce devra faire appel.
Les arts libéraux trônant auprès de personnages qui leur doivent leur renom constituaient un thème
privilégié pour les décorations à caractère non religieux en Italie. C’étaient traditionnellement des
images purement historiques, mais dans les années 1470, Juste de Gand peignit pour le duc Federico
III d’Urbino une suite d’Arts libéraux trônant à côté de personnages vivants, dont le duc lui-même.
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