1. Introduction
Les tests de volatilité excessive de Shiller [1981] et de LeRoy et Porter
[1981], puis les tests de prévisibilité des rendements de Fama et French
[1988] et Poterba et Summers [1988], ont jeté un doute sur la validité de
l’hypothèse d’efficience des marchés. Ces tests, qui ont par la suite été
appliqués à un grand nombre de marchés et de pays, confirmant le plus
souvent ces premières études, ont conduit certains auteurs à attribuer la
volatilité observée des prix d’actifs à la propension des investisseurs à réagir
à des informations déconnectées des fondamentaux (voir, entre autres,
Summers [1986], Poterba et Summers [1988], Shiller [1989]). Cette influence
autonome de la volatilité des anticipations des investisseurs sur celle des
prix semble confirmée par les études expérimentales (Marimon et al. [1993],
Duffy et Fisher [2002]), et fait directement écho au jugement émis par Key-
nes [1936], selon lequel la valorisation des actifs par les investisseurs peut
fluctuer sans réel rapport avec les déterminants de la valeur fondamentale.
L’interprétation la plus courante de ces croyances arbitraires est qu’elles
résulteraient de l’irrationalité de certains groupes d’investisseurs, qualifiés
de manière un peu péjorative de « non sophistiqués » ou de « bruyants »
(noise traders), et susceptibles de rendre les marchés inefficients malgré la
présence en leur sein de spéculateurs rationnels en grand nombre (DeLong
et al. [1990]). Cette interprétation, qui est au coeur de la « finance compor-
tementale », fait ainsi reposer la volatilité élevée des prix d’actifs sur des
erreurs d’évaluation, erreurs persistantes parce que difficiles à détecter ou à
exploiter par les spéculateurs rationnels (Summers [1986], DeLong et al.
[1990], Shleifer [2000]).
Une interprétation alternative de l’instabilité des prix d’actifs, ne reposant
pas sur l’irrationalité des acteurs, consiste à expliquer celle-ci non par des
erreurs d’évaluation mais par la multiplicité d’équilibres susceptible d’appa-
raître dans les modèles dynamiques à anticipations rationnelles. De ce point
de vue, la forme de multiplicité d’équilibres qui a retenu le plus l’attention
dans la littérature relative aux « anomalies financières » est celle qui est liée
à la présence de bulles rationnelles. Selon cette théorie, la croissance expo-
nentielle des prix peut constituer un processus auto-réalisateur, parce qu’il
est soutenu par les anticipations des investisseurs quant aux gains en capi-
tal associés à la détention des actifs (cf. Blanchard [1979], Blanchard et
Watson [1984]). En dépit de sa cohérence logique et de son apparent attrait
empirique, la théorie des bulles rationnelles a été critiquée par de nombreux
auteurs. D’un point de vue théorique, la nature explosive des bulles spécu-
latives rend leur existence ténue dès lors que l’on raisonne en équilibre
général, et n’est garantie qu’au prix de certaines conditions très restrictives
sur la distribution des dotations et la participation des agents au marché
(Tirole [1985], Santos et Woodford [1997]). De manière peut-être plus pro-
blématique, les processus de prix engendrés par une bulle rationnelle s’ac-
cordent mal avec ceux qui sont révélés par les études économétriques. En
effet, ces dernières mettent en évidence non pas des trajectoires de prix
divergentes suivies de « krachs », comme le prévoit la théorie des bulles
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Edouard Challe
REP 115 (1) janvier-février 2005
© Dalloz | Téléchargé le 09/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.82.162.73)
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