Covid crise ou catastrophe

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COVID-19 : CRISE OU CATASTROPHE ? UNE QUESTION D’IDENTITÉ
Bernard Ramanantsoa
L'Harmattan | « Marché et organisations »
2021/3 n° 42 | pages 129 à 139
ISSN 1953-6119
ISBN 9782343243634
DOI 10.3917/maorg.042.0129
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-marche-et-organisations-2021-3-page-129.htm
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COVID-19 : CRISE OU CATASTROPHE ? UNE QUESTION
D’IDENTITÉ
Bernard RAMANANTSOA
Hec Paris
RÉSUMÉ
La Covid-19 bouleverse beaucoup de nos habitudes, de nos
rituels, et surtout de nos relations. Aux yeux du collectif et de
l’Histoire, est-ce grave ? Ou peut-on considérer que ce n’est
qu’ennuyeux et que cela laissera peu de traces ? Pour réfléchir
à cette question (avoir l’ambition d’y répondre serait à coup
sûr prétentieux), nous avons mobilisé les concepts de crise et
de catastrophe et nous nous interrogerons sur l’impact de la
Covid-19 sur nos imaginaires et nos identités.
Mots-clés : catastrophe, crise, identité, imaginaire, intime,
symbolique.
ABSTRACT
Covid-19 : crisis or catastrophe ? A question of identity
Covid-19 is disrupting many of our habits, our rituals, and
especially our relationships. In the eyes of the collective and
of history, is it serious ? Or can we consider that it is only an
unfortunate event and that it will leave few marks? To reflect
on this question (having the ambition to answer it would
certainly be pretentious), we have mobilized the concepts of
crisis and catastrophe and we will explore the impact of the
Covid on our imaginary and our identities.
Keywords:. catastrophe, crisis, identity, imaginary, intimate,
symbolic.
JEL Codes: H12, I12, Z13
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1. DE QUOI PARLE-T-ON ? (OU PLUTÔT DE QUOI NE
PARLE-T-ON PAS ?)
« Crise sanitaire », « crise économique », « crise de la gestion hospitalière »,
« communication de crise », « crise de confiance », « sortie de crise »... À lire
les medias, à écouter les commentateurs plus ou moins experts, à entendre
les autorités publiques, tout est crise. Il en est de même dans les universités
et écoles de management où on commence à voir enseigner, dans plusieurs
établissements, des études de cas sur « la gestion de la crise Covid-19 ».
Certains pensent probablement qu’il s’agit là d’une facilité de langage, ou
d’une volonté habituelle de dramatiser la situation pour attirer l’attention,
pour augmenter l’audimat, pour « vendre du papier ». Sûrement dans
beaucoup de cas.
Notre interrogation s’inscrit pourtant en opposition avec ce discours
circulant. On parle de « guerre », on parle de « un monde d’après » qui « ne
sera pas un retour au jour d’avant ». On pourrait donc penser qu’il s’agit
de plus qu’une crise et, si les mots ont un sens, ne faudrait-il pas plutôt
parler de catastrophe ? Au fond n’utilise-t-on pas le mot « crise », au-delà des
commodités de langage, pour minimiser la gravité de ce qui se passe, pour
rassurer et pour nous rassurer, pour « garder le moral » et pour « mobiliser
les troupes » ? Ne parle-t-on pas de crise pour ne pas parler de
catastrophe ?
Quelques rappels rapides pour préciser notre question et nous souvenir
que ces deux mots ne sauraient se penser de manière similaire.
Commençons par nous autoriser un détour par l’étymologie
(Ramanantsoa, Riot, 2020). On rappelle, dans tous les cours de
management et de sociologie, que la crise (krisis) correspond au moment
décisif de la décision par opposition à la confusion du processus (krasis).
On oublie trop souvent de rappeler que la catastrophe, elle, a une dynamique
de volte (strophê) orientée vers le bas (kata). C’est donc une chute
qui « brise le temps humain, ouvre un gouffre entre le passé et le futur, menace de rompre
le lien entre les générations » (Pomian, 1977, 789).
René Thom (Thom, 1976, 34 ; 1979 ; 1988), une des figures tutélaires
de la Théorie des catastrophes, explicitera avec ses références cette différence :
« S'il est vrai qu'une crise se manifeste extérieurement par des atteintes au
comportement, […] ses manifestations proprement morphologiques demeurent
relativement discrètes, voire inexistantes. […] Si, dans une crise, la « fonction » est
fréquemment atteinte, la « structure » elle, demeure intacte ». Il poursuit : « De ce
point de vue, il y a entre crise et catastrophe une différence radicale. La catastrophe […]
est par essence un phénomène bien visible, une discontinuité observable, un « fait » patent
[…] La crise peut être latente, ou sournoise. Assez fréquemment, elle ne se manifeste
que par une perturbation quantitative (et non qualitative) d'un processus de régulation :
tel est le cas de la crise inflationniste en économie, par exemple. Il existe cependant entre
crise et catastrophe un lien évident : la crise est souvent l'annonciatrice de la catastrophe,
qu'elle précède, ou qu'elle provoque. »
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Nous y voilà : ne serions-nous pas face à une catastrophe et non à une
« simple » crise ? Collectivement et individuellement, consciemment ou
moins consciemment, face à ce qui est peut-être « une vraie catastrophe »,
ne cherchons-nous pas à nous rassurer en la considérant comme une
parenthèse (avant le retour à « des Jours Heureux » (Macron, 2020)) plutôt
que comme un avertissement, comme le dit René Thom ?
On sait depuis Girin (1990) que la crise peut, le plus souvent, être réduite
à une série de « situations de gestion », pouvant dès lors être « agies » par
des acteurs sociaux qui vont chercher à lui faire perdre son caractère inédit,
à la réduire aux prismes plus familiers des instruments de gestion et de
leurs mesures. La crise apparaît alors, comme un moment, douloureux et
difficile à piloter certes, mais essentiellement comme un épisode d’une
histoire commune appelée à se poursuivre. C’est sur ces thèmes que sont
alors fondées les communications de crise.
Dans le cas de la catastrophe, il est en soi beaucoup plus difficile, voire
impossible, d’avoir prise sur le phénomène par un ensemble de mesures
raisonnées qui permettrait de l’appréhender dans toutes ses dimensions,
de la réguler et d'en reprendre le contrôle collectivement (Weick, 1988).
Difficile de proposer dans ce cas une réponse « managériale ». Peut-être
peut-on, tout juste, avoir recours à l’Histoire et aux récits mythologiques ?
Il semble que la « solution » passe par une capacité à redéfinir les règles
sociales, voire à les transgresser : on comprend qu’on ait beaucoup de mal
à se penser ex-ante en termes de catastrophe. Il est clair d’ailleurs qu’on ne
peut affirmer qu’un phénomène est une catastrophe qu’après coup. Notre
propos n’est donc pas de qualifier définitivement la période actuelle, mais
plutôt de chercher à repérer des signaux faibles, des symptômes
d'instabilité profonde, pour, comme le disait Lénine, que l’on « entende
pousser l’herbe » d’une catastrophe.
2. POURQUOI L’HYPOTHÈSE D’UNE CATASTROPHE
N’EST-ELLE PAS ABSURDE ?
Sans être « collapsologue » (Servigne, 2015), il est possible de voir, dans
les évènements que nous vivons, les prémices d’une catastrophe. Tout le
monde s’accorde à penser qu’il s’agit d’une crise systémique : les causes,
comme les conséquences, sont écologiques, industrielles avec notamment
la désindustrialisation de nos pays européens ; elles sont liées à la
mondialisation et à la financiarisation de nos économies, et on voit tous
les jours qu’elles sont imbriquées avec des remises en cause des systèmes
politiques dans de nombreux pays : les modes de représentativité des
peuples sont questionnés, quand ce n’est pas la démocratie elle-même1
1 On pense, bien sûr, au Bsil, à la Hongrie et à la Turquie. Plus « quantitativement », on
rappellera que selon l’Economist Intelligence Unit, seulement 8 % de la population mondiale
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Sans être catastrophiste, on voit bien que tout peut s’enchaîner et conduire
à un effondrement généralisé, même si aujourd’hui les accès vitaux aux
besoins de base (alimentation, eau, logement, santé, etc.) semblent
préservés. Et nous savons que d’autres pandémies nous attendent, que
nous allons subir d’autres coups de butoir.
On peut, bien sûr, être frappé par ce sursaut collectif vécu il y a
quelques mois, en 2020 : nous voulions, responsables politiques en tête,
un « monde d’après ». Il devait être « résolument écologique », des
« décisions de rupture » s’imposaient et nous devions nous « réinventer ».
Aurions-nous alors pris notre destin en mains ? Voit-on aujourd’hui
quelques signaux, quelques symboles d’un « nouveau monde » que nous
construirions ou, au moins, dont nous aurions élaboré l’architecture ?
Sans vouloir jouer les Cassandre, on ne peut que constater, un an plus
tard, que cette formule d’« un monde d’après » a disparu, quand on ne
l’utilise pas pour se moquer. Il faut dire que les trains circulant bondés
d’un côté et les entreprises du CAC 40 continuant à verser des dividendes
importants de l’autre, ne laissent pas augurer d’un monde nouveau, à court
terme.
Les études sociologiques, comme l’observation la plus objective
possible, nous décrivent plutôt comme en train de « glisser » vers l’idée
d’un « monde comme avant », même si nous sentons bien qu’il faudra
probablement travailler autrement, enseigner autrement, se soigner
autrement, bref vivre autrement. Houellebecq (2020) va, jusqu’à nous
dire : « Nous ne nous réveillerons pas, après le confinement, dans un nouveau monde ;
ce sera le même, en un peu pire ». Il nous décrit, avec le talent qu’on lui connaît
(certains diront le cynisme), notre « glissade » (son propos date de mai
2020 !) : « Déjà, je ne crois pas une demi-seconde aux déclarations du genre « rien ne
sera plus jamais comme avant ». Au contraire, tout restera exactement pareil. Le
déroulement de cette épidémie est même remarquablement normal. L’Occident n’est pas
pour l’éternité, de droit divin, la zone la plus riche et la plus développée du monde ; c’est
fini, tout ça, depuis quelque temps déjà, ça n’a rien d’un scoop. Si on examine, même
dans le détail, la France s’en sort un peu mieux que l’Espagne et que l’Italie, mais
moins bien que l’Allemagne ; là non plus, ça n’a rien d’une grosse surprise. Le
coronavirus, au contraire, devrait avoir pour principal résultat d’accélérer certaines
mutations en cours. Depuis pas mal d’années, l’ensemble des évolutions technologiques,
qu’elles soient mineures (la vidéo à la demande, le paiement sans contact) ou majeures
(le télétravail, les achats par Internet, les réseaux sociaux) ont eu pour principale
conséquence (pour principal objectif ?) de diminuer les contacts matériels, et surtout
humains ».
Nous n’épiloguerons pas pour savoir si une « glissade » peut être le
signe avant-coureur d’une catastrophe. Plus intéressant à nos yeux est de
chercher à répondre à « notre » question – catastrophe or not catastrophe ? –,
vit dans une démocratie dite « complète » et plus « grave », le score mondial de
démocratie atteint son plus bas niveau depuis 2006.
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