De même, les suppressions de postes ou de tâches à faible valeur ajoutée qui résultent des
applications collaboratives (Business to Employee) et/ou de l’automatisation des tâches routinières,
peuvent s’accompagner d’embauches d’experts et de managers aux salaires élevés ou conduire ces
experts et managers chèrement payés à effectuer des tâches à faible valeur ajoutée. En suivant le
Prix Nobel d’économie Paul Samuelson qui aimait à rappeler que « même si je suis plus efficace
que ma secrétaire, il vaut mieux quand même qu’elle assure mon secrétariat et que je consacre mon
temps à l’économie », on ne peut que souligner les dangers d’un transfert de tâches à faible valeur
ajoutée vers ceux dont la rémunération justifierait uniquement des tâches à haute valeur ajoutée (1).
Le risque d’une dérive des coûts est d’autant plus élevé que (1) le coût des TIC s’accroît avec leur
sophistication, tant du fait des supports eux-mêmes que des moyens de formation à mettre en œuvre
et des ressources humaines à mobiliser (coût d’opportunité) ; (2) le volet progiciel des TIC connaît
un taux d’obsolescence rapide ; (3) le rapide renouvellement des outils TIC génère des problèmes
de compatibilité. Le danger existe donc d’un engagement dans une sophistication inutile et même
préjudiciable des outils de gestion. D’autant que l’impératif catégorique kantien2 sur les nouvelles
technologies peut créer un effet de halo. Seules seraient modernes les entreprises à la pointe des
technologies. En matière de RH, il faut se garder de céder à des effets de mode ou d’une vision
strictement technoïde de la modernité.
Un gain non garanti en termes d’efficacité
L’impact positif des TIC en termes d’efficacité n’est pas davantage garanti. Ainsi, il n’est
pas évident que l’e-recrutement ait un impact positif systématique sur le pouvoir d’attraction des
compétences requises (finalité 1). Certes, le site internet d’une entreprise peut permettre, s’il est
bien conçu, d’améliorer la visibilité de l’entreprise au niveau international et de mieux mettre en
avant ses atouts et valeurs pour les futurs collaborateurs, facilitant, par là-même l’attraction des
meilleurs candidats (ou ceux qui se retrouvent le mieux dans les valeurs affichées) au niveau
international. En même temps, la mise en concurrence des entreprises s’en trouve renforcée et
seules celles dont les politiques RH ou le métier sont réellement les plus attrayantes sont
susceptibles de bénéficier de cet accroissement de visibilité et de transparence. De fait, les TIC
n’ont pas toujours les résultats escomptés. Ainsi, Dassault Systèmes qui consacrait en 2000 60% de
son budget recrutement à la chasse sur internet a réduit la voilure à 36%. Si attraction il y a, elle ne
concerne en outre pas toujours les compétences requises. D’autant que si les profils recherchés
sortent des « sentiers électroniques » et/ou concernent les non-cadres, l’internet perd de son intérêt.
Les incertitudes sur l’impact des TIC en termes d’efficacité ne concernent pas que le pouvoir
d’attraction. Par exemple, si l’intranet améliore en interne la disponibilité de l’information sur les
formations accessibles, les postes à pourvoir et les ressources mobiles, cela ne garantit ni une
meilleure allocation des ressources humaines (finalité 3, au sens de capacité à disposer en temps
utile des compétences requises), ni un développement des compétences (finalité 2, voire finalité 7).
L’intranet, par exemple, ne résout pas la tendance à la rétention des meilleurs éléments de leur
service par les managers. Par ailleurs, l’obsolescence rapide des outils TIC peut contrarier le
processus d’apprentissage en incitant les utilisateurs à limiter leurs efforts pour maîtriser la version
en place, puisque tout change fréquemment (Greenan et al., 1999). Leur efficacité suppose donc
tout un ensemble de problèmes résolus. En outre, avec les TIC, il n’est pas évident que l’on puisse
répondre de façon satisfaisante aux besoins de transfert de savoir tacite qui, par définition, est un
savoir non codifiable (Polanyi, 1962) ou aux besoins de gestion de l’ambiguïté3 qui peut requérir
1 Dans les années quatre-vingt, le développement de la micro-informatique a conduit à supprimer des postes de
secrétariat pour donner des ordinateurs portables aux cadres. Il a fallu plusieurs années avant de se rendre compte du
temps perdu et du coût de cette pratique. Lorsque l’on frappe avec deux doigts son courrier, l’indice de productivité
s’effondre.
2 « L’impératif est un jugement normatif, une proposition qui énonce un devoir, une nécessité pratique », il est
catégorique lorsqu’il « s’accorde avec le but final de l’individu ou de la société » (Eilser, 1994).
3 L’ambiguïté reflète le fait que des acteurs (décideurs) comprennent et interprètent différemment l’information, ces
interprétations étant guidées par des différences dans les théories et schémas implicites de chacun, par des intérêts