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TIC, FINALITES DE LA GRH ET CREATION DE VALEUR
Fabien Blanchot, Frédéric Wacheux, Université Paris-Dauphine
Article paru dans la revue Personnel, 2003, n° 437
Avec l’enrichissement des systèmes d’information, toute une littérature a émergé traitant de
l’impact des technologies de l’information et des communications (TIC) sur les différentes
fonctions et processus de la gestion (Bellier et al., 2002 ; dossier « Vers le e-management », dans la
Revue Française de Gestion de 2000, dossier e-management dans The Economist…). La gestion des
ressources humaines (GRH), comme fonction des entreprises et discipline des sciences de gestion
est, au même titre que les autres domaines, pase sous les feux de la rampe (ex : Revue Personnel,
mai 2001).
Évaluer l’impact des TIC sur la maîtrise des finalités stratégiques
Ce qui est toutefois spécifique à cette fonction, c’est une tendance à l’étude de l’impact des
TIC sur son contenu ou ses objets (le recrutement, la formation…) davantage que sur ses finalités.
Une telle approche n’est pas sans limite et sans danger. Outre le fait qu’elle entretient une vision
balkanique de la GRH, elle condamne les acteurs et les chercheurs à une appréhension technicienne
plutôt que stratégique des liens entre TIC et GRH. Or, il n’est pas acquis que la « e-sophistication »
des pratiques RH soit toujours créatrice de valeur. Comment le vérifier sachant la difficulté d’une
mesure directe du lien entre GRH et création de valeur ? Notre proposition (Blanchot et Wacheux,
2002) est de passer par une évaluation de l’impact des TIC sur la maîtrise des finalités stratégiques
de la GRH (figure 1), en postulant que c’est cette maîtrise qui est source de création de valeur. On
distingue sept finalités constitutives de la raison d’être de la GRH (Figure 2). Elles n’ont pas toutes
le même statut (certaines renvoient à l’efficacité de la GRH, d’autres à son efficience ; certaines ont
le statut de contraintes externes et d’autres celui de contraintes internes), sont en situation
d’interdépendance et leur articulation reflète assez bien les enjeux des gestionnaires de ressources
humaines (une gestion paradoxale). Dans quel sens et à quelle(s) condition(s) l’atteinte de ces
finalités est-elle susceptible d’être affectée par les TIC ? Il serait présomptueux de vouloir ici
apporter une réponse définitive à ces questions qui nécessitent un programme de recherches à la fois
théoriques et empiriques. Il s’agit plutôt de montrer la légitimité d’une telle approche en rapportant
des arguments, des expériences, des faits qui suggèrent que l’introduction des TIC dans les
pratiques RH n’est pas une garantie de gains en termes d’attractivité, de développement des
compétences (individuelles ou collectives), de mobilisation, de fidélisation des hommes clés, de
respect des réglementations, de maîtrise des charges liées à l’emploi du personnel et d’image
citoyenne.
Un gain non garanti en termes d’efficience
Les TIC peuvent comporter un coût qui ne garantit pas un gain d’efficience (finalité 6) de la
GRH (à efficacité constante). Il y a d’une part le coût direct de développement d’un SIRH (système
d’informations ressources humaines) qui peut être très élevé (un million d’euros selon une étude du
groupe CEDAR, 2001). D’autre part, des effets positifs locaux ne signifient pas cessairement des
effets positifs globaux (cf., notamment, l’analyse de Greenan et al., 1999, pour ce qui concerne les
TI). Par exemple, si le coût du recours à un site d’emploi dans le cadre du recrutement s’avère
moins onéreux que les petites annonces dans la presse écrite, il n’est pas évident que le e-
recrutement, lorsqu’il consiste pour l’entreprise à créer son propre site n’engendre pas des coût de
développement et de maintenance qui compensent voire dépassent les économies générées par
ailleurs.
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Figure 1 Une reformulation du lien entre TIC, GRH et création de valeur
Figure 2 - Principales finalités stratégiques de la GRH
Technologies de
l’information et des
communications
Les activités et outils de
GRH
La performance de
l’entreprise et la création de
valeur
La performance de
l’entreprise et la création de
valeur
Une meilleure maîtrise des
finalités stratégiques de la
GRH
Les activités et outils de
GRH
Technologies de
l’information et des
communications
transforment
contribuent à
L’approche traditionnelle
L’approche renouvelée
contribue à
sont susceptibles de contribuer à
transforment
3. mobiliser les
compétences disponibles
4. Conserver les (seules)
compétences requises
5. Respecter les
contraintes juridiques
6. Maîtriser les coûts de
GRH
7. Être socialement
responsable
1. Attirer les
compétences requises
3
De même, les suppressions de postes ou de tâches à faible valeur ajoutée qui résultent des
applications collaboratives (Business to Employee) et/ou de l’automatisation des tâches routinières,
peuvent s’accompagner d’embauches d’experts et de managers aux salaires élevés ou conduire ces
experts et managers chèrement payés à effectuer des tâches à faible valeur ajoutée. En suivant le
Prix Nobel d’économie Paul Samuelson qui aimait à rappeler que « même si je suis plus efficace
que ma secrétaire, il vaut mieux quand même qu’elle assure mon secrétariat et que je consacre mon
temps à l’économie », on ne peut que souligner les dangers d’un transfert de tâches à faible valeur
ajoutée vers ceux dont la rémunération justifierait uniquement des tâches à haute valeur ajoutée (1).
Le risque d’une dérive des coûts est d’autant plus élevé que (1) le coût des TIC s’accroît avec leur
sophistication, tant du fait des supports eux-mêmes que des moyens de formation à mettre en œuvre
et des ressources humaines à mobiliser (coût d’opportunité) ; (2) le volet progiciel des TIC connaît
un taux d’obsolescence rapide ; (3) le rapide renouvellement des outils TIC génère des problèmes
de compatibilité. Le danger existe donc d’un engagement dans une sophistication inutile et même
préjudiciable des outils de gestion. D’autant que l’impératif catégorique kantien2 sur les nouvelles
technologies peut créer un effet de halo. Seules seraient modernes les entreprises à la pointe des
technologies. En matière de RH, il faut se garder de céder à des effets de mode ou d’une vision
strictement technoïde de la modernité.
Un gain non garanti en termes d’efficacité
L’impact positif des TIC en termes d’efficacité n’est pas davantage garanti. Ainsi, il n’est
pas évident que l’e-recrutement ait un impact positif systématique sur le pouvoir d’attraction des
compétences requises (finalité 1). Certes, le site internet d’une entreprise peut permettre, s’il est
bien conçu, d’améliorer la visibilité de l’entreprise au niveau international et de mieux mettre en
avant ses atouts et valeurs pour les futurs collaborateurs, facilitant, par là-même l’attraction des
meilleurs candidats (ou ceux qui se retrouvent le mieux dans les valeurs affichées) au niveau
international. En même temps, la mise en concurrence des entreprises s’en trouve renforcée et
seules celles dont les politiques RH ou le métier sont réellement les plus attrayantes sont
susceptibles de bénéficier de cet accroissement de visibilité et de transparence. De fait, les TIC
n’ont pas toujours les résultats escomptés. Ainsi, Dassault Systèmes qui consacrait en 2000 60% de
son budget recrutement à la chasse sur internet a réduit la voilure à 36%. Si attraction il y a, elle ne
concerne en outre pas toujours les compétences requises. D’autant que si les profils recherchés
sortent des « sentiers électroniques » et/ou concernent les non-cadres, l’internet perd de son intérêt.
Les incertitudes sur l’impact des TIC en termes d’efficacité ne concernent pas que le pouvoir
d’attraction. Par exemple, si l’intranet améliore en interne la disponibilité de l’information sur les
formations accessibles, les postes à pourvoir et les ressources mobiles, cela ne garantit ni une
meilleure allocation des ressources humaines (finalité 3, au sens de capacité à disposer en temps
utile des compétences requises), ni un développement des compétences (finalité 2, voire finalité 7).
L’intranet, par exemple, ne résout pas la tendance à la rétention des meilleurs éléments de leur
service par les managers. Par ailleurs, l’obsolescence rapide des outils TIC peut contrarier le
processus d’apprentissage en incitant les utilisateurs à limiter leurs efforts pour maîtriser la version
en place, puisque tout change fréquemment (Greenan et al., 1999). Leur efficacité suppose donc
tout un ensemble de problèmes résolus. En outre, avec les TIC, il n’est pas évident que l’on puisse
répondre de façon satisfaisante aux besoins de transfert de savoir tacite qui, par définition, est un
savoir non codifiable (Polanyi, 1962) ou aux besoins de gestion de l’ambiguïté3 qui peut requérir
1 Dans les années quatre-vingt, le développement de la micro-informatique a conduit à supprimer des postes de
secrétariat pour donner des ordinateurs portables aux cadres. Il a fallu plusieurs années avant de se rendre compte du
temps perdu et du coût de cette pratique. Lorsque l’on frappe avec deux doigts son courrier, l’indice de productivité
s’effondre.
2 « L’impératif est un jugement normatif, une proposition qui énonce un devoir, une nécessi pratique », il est
catégorique lorsqu’il « s’accorde avec le but final de l’individu ou de la société » (Eilser, 1994).
3 L’ambiguïté reflète le fait que des acteurs (décideurs) comprennent et interprètent différemment l’information, ces
interprétations étant guidées par des différences dans les théories et schémas implicites de chacun, par des intérêts
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l’usage de médias plus riches (Daft et Lengel, 1984 ; Daft, Lengel et Trevenot, 1987; Thomas et
Trevinot, 1993 ; Coat, 1998). Leur sphère de pertinence est donc nécessairement limitée. Par
exemple, si les TIC se substituent aux échanges en face-à-face, en particulier en matière de
formation, alors, il y a un risque d’appauvrissement des compétences individuelles et/ou collectives
et de perte de confiance. De la même façon, le travail au quotidien (selon l’expression de Bouvier)
ne peut pas être encodé dans un dossier informatisé de sorte que les connaissances collectives ne
peuvent être sauvegardées (finalité 4) par le seul usage des bases de données.
On ne saurait conclure que le recours aux TIC pour la gestion des ressources humaines doit
être remis en cause. Ce serait jeter le bébé avec l’eau du bain. Simplement, étant donné que les TIC
ne sont gage ni d’efficience ni d’efficacité, une réflexion est nécessaire sur les conditions leur
usage. Pour un DRH, le premier réflexe devrait être de réfléchir aux modifications requises du
design de l’organisation et aux enjeux individuels et collectifs des changements technologiques,
afin accroître les chances d’un effet positif des TIC.
Bibliographie
Bellier S., Isaac H., Josserand E., Kalika M., Leroy I. (2002), Le e-management : vers l’entreprise
virtuelle ? L’impact des TIC sur l’organisation et la gestion des compétences, Liaisons
Blanchot F. et Wacheux F. (2002), « TIC, Finalités de la GRH et création de valeur », in Kalika M.
(sous la coord. de), « e - GRH : révolution ou évolution ? », Éditions Liaisons
Bouvier P. (1989), Le travail au quotidien, PUF
Coat F. (1998), « Une nouvelle dynamique des groupes : les équipes virtuelles », in : Favier M.
(ed.), Le travail en Groupe à l’Age des Réseaux », Economica
Daft R..L., Lengel R.H. (1984), « Information richness : a new approach to manager information
processing and organization design », in : Staw B. et Cummings L.L. (ed.), Research in
Organizational Behavior, JAI Press
Daft R..L., Lengel R.H.et Trevenot L.K. (1987), « Message Equivocality, Media Selection, and
Manager Performance : Implication for Information Systems », MIS Quaterly, vol 11, n° 2
The Economist (2000), « Survey : e-management », 11 novembre
Eilser R. (1994), Kant – Lexikon, Gallimard
Greenan N., Mangematin V. (1999), « Autour du paradoxe de la productivité », in : Foray D.,
Mairesse J. (1999, sous la dir. de), « Innovations et performances. Approches interdisciplinaires »,
ed. de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Socialess.
Polanyi M. (1962), Personal Knoweldge: Towards a Post-critical Philosophy, Harper&Row, New
York.
Thomas J.B., Trevino L.K. (1993), “Information Processing in Strategic alliance building : a
multiple-case approach”, Journal of Management Studies, vol. 30, n°5
personnels divergents… D’après la théorie de la richesse des médias, la réduction de l’ambiguïté repose sur un
processus intersubjectif consistant en une validation consensuelle d’une situation, autrement dit sur des échanges en
face-à-face et, donc, le recours à des médias riches. A contrario, l’incertitude reflète lincapacité à attribuer des
probabilités aux événements futurs, un manque d’information sur les relations de cause à effet, une incapacité à prévoir
les conséquences d’une décision. La théorie de la richesse des médias avance que la réduction de l’incertitude passe par
un accroissement d’information via, notamment, des rapports écrits et, donc, le recours à des médias pauvres.
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