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Les techniques dobservation en sciences humaines -

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Table des Matières
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Table des Matières
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Collection Cursus • PSYCHOLOGIE
Liste des auteurs
Avant-propos
Première Partie - Initiation aux techniques d’observation
Chapitre I - Historique, différentes méthodes et étapes de l’observation
Chapitre II - Construction des grilles de codage du comportement
Chapitre III - Validité, fiabilité et traitements des données
Seconde Partie - Illustration par des recherches fondamentales et appliquées
Chapitre IV - Observation centrée sur un individu
Chapitre V - Observation centrée sur une dyade
Chapitre VI - Observation centrée sur un groupe
Chapitre VII - « Actogram Kronos » : un outil d’aide à l’analyse de l’activité
– Index –
© Armand Colin, 2008.
978-2-200-25682-1
Conception de couverture : Dominique Chapon et Emma Drieu
Internet : http://www.armand-colin.com
Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous
pays. Toute reproduction ou représentation intégrale ou partielle, par quelque procédé que ce soit,
des pages publiées dans le présent ouvrage, faite sans l’autorisation de l’éditeur, est illicite et
constitue une contrefaçon. Seules sont autorisées, d’une part, les reproductions strictement
réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, les
courtes citations justifiées par le caractère scientifique ou d’information de l’œuvre dans laquelle
elles sont incorporées (art. L. 122-4, L. 122-5 et L. 335-2 du Code de la propriété intellectuelle).
ARMAND COLIN ÉDITEUR • 21, RUE DU MONTPARNASSE • 75006 PARIS
Collection Cursus • PSYCHOLOGIE
ouvrage sous la direction d’Ewa Drozda-Senkowska
J.-C. ABRIC
M.-M. BOURRAT, R. GAROUX
J.-F. BRAUNSTEIN, É.
PEWZNER
A. CARTRON, F.
WINNYKAMEN
D. CORROYER, M. WOLF
P.G. COSLIN
P.G. COSLIN
Psychologie de la communication, 2 e éd., 2008.
Les relations parents-enfants. De la naissance à la puberté, 2003.
Histoire de la psychologie, 2005, 2 e édition.
Les relations sociales chez l’enfant, 1999, 2 e édition.
L'Analyse Stastistique des Données en Psychologie, 2003.
Les conduites à risque à l’adolescence, 2003.
La psychologie de l’adolescent, 2 e éd., 2006.
P.G. COSLIN
M. DESPINOY
E. DROZDA-SENKOWSKA
La socialisation de l’adolescent, 2007.
Psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent, 1999.
Psychologie sociale expérimentale, 2006, 2 e édition.
N. FIORI
M. GUIDETTI, C. TOURRETTE
Les neurosciences cognitives, 2006.
Handicaps et développement psychologique de l’enfant, 1999, 2 e édition.
M. GUIDETTI, S. LALLEMAND, Enfances d’ailleurs, d’hier et d’aujourd’hui, 2000, 2 e édition.
M.-F. MOREL
C. LOUCHE
C. LOUCHE
T. LUBART
S. NICOLAS
F. PAHLAVAN
É. PEWZNER
E. SIEROFF
E. SPINELLI, L. FERRAND
C. TOURRETTE, M. GUIDETTI
H. WALLON
Introduction à la psychologie du travail et des organisations, 2007.
Psychologie sociale des organisations, 2007, 2 e édition.
Psychologie de la créativité, 2003.
Mémoire et conscience, 2003.
Les conduites agressives, 2002.
Introduction à la psychopathologie de l’adulte, 2000, 2 e édition.
La neuropsychologie. Approche cognitive des syndromes cliniques, 2004.
Psychologie du langage, 2005.
Introduction à la psychologie du développement. Du bébé à l’adolescent, 2008, 3 e
édition.
L'évolution psychologique de l’enfant, 2002, 11 e édition.
Liste des auteurs
Béatrice BARTHE, Dr en ergonomie, maître de conférences en ergonomie à l’université de
Toulouse II, Laboratoire Cognition, Langues, Langage et Ergonomie - Laboratoire Travail et
Cognition (CLLE-LTC), UMR 5263, UTM, EPHE, CNRS.
Jean-François BOUVILLE, Dr en psychologie clinique, chargé de cours à l’Institut de
psychologie, université René Descartes (Paris V), psychologue clinicien à l’hôpital de jour pour
adolescents de Ville d’Avray.
Pascal CAZENAVE-TAPIE, Dr en psychologie du développement, chargé de cours à l’UFR de
psychologie, université de Toulouse II.
Catherine DELGOULET, Dr en ergonomie, maître de conférences en ergonomie à l’université
Paris Descartes, Laboratoire « Ergonomie, Comportement et Interactions », EA 4070.
Alain KERGUELEN, ingénieur ergonomiste CNAM, ingénieur de recherche au CNRS,
Laboratoire Cognition, Langues, Langage et Ergonomie - Laboratoire Travail et Cognition
(CLLE-LTC), UMR 5263, UTM, EPHE, CNRS.
Hideki KOZIMA, Ph. D in Information Engineering, Senior Research Scientist, National Institute
of Information and Communications Technology (Kyôto, Japan).
Annick LEDEBT, Dr en physiologie et biomécanique du mouvement, Assistant Professor,
Faculty of Human Movement Sciences, Vrije University, Amsterdam.
Hiroko NORIMATSU, Dr en psychologie, maître de conférences en psychologie du
développement à l’université de Toulouse II, Laboratoire Cognition, Langues, Langage et
Ergonomie - Laboratoire Travail et Cognition (CLLE–LTC), UMR 5263, UTM, EPHE, CNRS.
Nathalie PIGEM, Dr en psychologie, maître de conférences associé (PAST) à l’UFR de
psychologie, université de Toulouse II, psychologue clinicienne auprès d’enfants et adolescents en
Institut Thérapeutique, Educatif et Pédagogique (ITEP) et Institut Médico-Educatif (IME).
Takeshi SHIMIZU, Dr in Human Sciences, Post-doctoral research fellow, Japan Society for the
Promotion of Sciences (JSDP) – Meiji University (Tôkyô, Japan).
Akira TAKADA, Dr in Human and Environmental Studies, Assistant professor in Graduate
School of Asian and African Area Studies, Kyôto University (Japan).
Avant-propos
Dans de nombreux domaines en sciences humaines, l’observation directe du comportement est
l’une des techniques de recueil de données les plus utilisées, que ce soit à des fins scientifiques ou
professionnelles. Dans certains cas, les données ainsi recueillies peuvent être combinées à celles
obtenues par d’autres techniques, dont les observations indirectes comme le questionnaire,
l’entretien, etc. Mais lorsque le sujet ne peut être interrogé (bébés, animaux, etc.), l’observation
directe est un des seuls outils possibles.
L'observation directe ne s’improvise pas. Elle exige de connaître les différents types
d’observations et de maîtriser un certain nombre de techniques pour être menée à bien. Il faut aussi
savoir organiser une observation, préparer les grilles d’analyse, etc. Les nouveaux supports
d’enregistrement et d’analyse des données permettent d’améliorer sensiblement les performances
mais demandent à leur tour d’être maîtrisés.
Le présent ouvrage fait suite aux demandes de nombreux étudiants et chercheurs désireux de
maîtriser les bases théoriques mais aussi de connaître les domaines d’applications des techniques
d’observation directe.
L'ouvrage s’adresse avant tout à un public universitaire, essentiellement les étudiants en sciences
humaines par son aspect pédagogique, mais également aux enseignants et professionnels de terrain,
en leur apportant des témoignages et des analyses critiques à propos de l’application de ces
techniques. Nous espérons qu’il pourra motiver, inspirer et guider de nombreuses études
observationnelles.
L'ouvrage est organisé en deux parties. La première partie présente de façon générale les
différentes étapes d’une observation directe du comportement, de la phase préparatoire jusqu’à
l’étape du traitement des données. À chaque étape correspondent des techniques et des notions à
bien maîtriser. Dans la seconde partie, nous présentons des cas concrets d’observations au travers
de recherches empiriques contemporaines en psychologie, ergonomie, éthologie, anthropologie,
robotique…
Tout au long de ce travail d’écriture, nous avons eu le grand plaisir de collaborer avec nos
collègues ayant participé à ce projet en illustrant par l’une de leurs études les différentes techniques
d’observation. Grâce à leurs exposés, cet ouvrage est devenu un document original et unique.
Par ailleurs, de nombreuses personnes nous ont aidées et soutenues tout au long de ce projet.
Nous tenons à remercier particulièrement Raoul Blin et Pascal Cazenave-Tapie pour leur relecture
attentive et leurs précieux conseils. Nos remerciements vont également à Jean-Philippe Cottenceau
pour son soutien amical tout au long du projet. Enfin, nous tenons à remercier Mme Sophie
Griveaud, responsable de la rédaction chez Armand Colin, pour l’attention accordée à notre projet
et son soutien chaleureux, ainsi que Mme Ewa Drozda-Senkowska pour sa relecture du manuscrit
en tant que directrice de la collection.
Hiroko Norimatsu & Nathalie Pigem
mai 2008.
Première Partie
Initiation aux techniques d’observation
Hiroko Norimatsu
Chapitre I
Historique, différentes méthodes et étapes de l’observation
1. Bref historique
Depuis leurs débuts au XIXe siècle, les sciences du comportement et la psychologie ont eu
recours à différentes techniques d’observation, en oscillant entre plusieurs approches.
À la fin du XIXe siècle, lorsque Wundt ouvrit un des premiers laboratoires de psychologie au
monde, la technique la plus courante était la méthode réflexive d’observation sur l’état
psychologique interne. Dans les années 1910, des critiques se sont élevées pour dénoncer la
subjectivité de cette technique et des approches plus objectives fondées sur l’observation du
comportement externe se sont imposées.
Dans les années 1930, des nouvelles méthodes d’échantillonnages sont apparues (par exemple
Olson & Cunningham, 1934) pour étudier quantitativement les comportements.
À partir de cette période, l’observation qualitative s’est développée notamment en anthropologie
et en sociologie, devenant la principale méthode de travail du terrain. Elle a été introduite en
psychologie sous le terme « d’observation participante » pour décrire et analyser le comportement.
Dans les années 1960-70, l’observation a fini par céder du terrain en psychologie devant le
développement d’autres techniques comme les tests psychologiques ou le questionnaire.
Le travail de terrain n’a pas pour autant disparu et il est resté largement majoritaire en éthologie
(science du comportement animal). Cette discipline s’est développée dans les années 30 et a connu
sa consécration scientifique avec l’attribution de trois prix Nobel en 1973 à von Frisch, Tinbergen
et Lorenz. Elle repose depuis le départ sur l’observation directe du comportement. Ce sont les
travaux de Tinbergen et Lorenz qui ont contribué, par la rigueur méthodologique de leur approche
expérimentale et par l’utilisation de statistiques, à conférer un statut scientifique à la discipline.
Depuis les années 80, le « travail de terrain » à l’aide de la méthode d’observation directe est
revenu sur le devant de la scène en psychologie. Ce retour peut se justifier selon Nakazawa et al.
(1997, p. 3) ainsi :
a la « validité écologique » des travaux expérimentaux était devenue l’objet de critiques
croissantes ;
b en plus de l’approche quantitative, l’apport de l’approche qualitative a été revalorisé ;
c les nourrissons et les enfants en bas âge ne peuvent pas répondre aux questionnaires, ni
comprendre les consignes d’une expérience. La technique d’observation directe du
comportement permet d’étudier cette population difficile à aborder autrement ;
d les technologies ont évolué et facilitent une observation scientifique de terrain ainsi que
les micro-analyses qui y sont associées : vidéo légère, ordinateur portable de petite
taille, logiciel d’analyse de données, etc. (nous verrons cet aspect technologique plus en
détail dans la section 3).
2. Définitions et objectifs
2.1. Terme « observation »
Il faut ici lever l’ambiguïté du terme « observation ». De nombreux manuels de méthodologie
évoquent l’« observation » pour désigner une « démarche de recherche », au sens d’induction ou
déduction. Dans le présent ouvrage, le terme « observation » est entendu au sens de « technique de
recueil de données ». Le recueil de données par observation peut se faire dans les deux démarches,
inductive et déductive.
2.2. Observation directe et indirecte
L'objet de cet ouvrage est la présentation des « techniques d’observation directe du
comportement ». Cette technique s’oppose à l’observationindirecte du comportement, qui implique
l’usage d’outils intermédiaires pour récolter des données sur les comportements. Par exemple,
poser des questions aux participants sur leur propre comportement via un questionnaire ou lors
d’un entretien est une technique d’observation indirecte du comportement. On parle aussi
d’observation indirecte lorsque l’observation recourt à la mesure d’une activité non visible via un
instrument (rythme cardiaque, activité cérébrale, etc.).
2.3. Le comportement comme objet de l’observation
Qu’est-ce que le comportement ?
Dans cet ouvrage, nous utilisons la définition de Beaugrand (1998, p. 278) selon qui le «
comportement » désigne « toute activité d’un organisme vivant qui entraîne des modifications
spatio-temporelles observables ». Le dictionnaire commun rend lui aussi compte de l’observabilité
des comportements puisqu’il les définit comme des « ensembles de phénomènes observables de
façon externe » (Dictionnaire Larousse).
Autrefois, la psychologie confondait les phénomènes observables de façon externe et les
activités internes (comme les processus cognitifs, affectifs ou mentaux). Cependant, avec
l’apparition du behaviorisme, la séparation s’est faite plus nettement. « Observable de façon
externe » équivaut désormais à « publiquement observable ».
2.4. Pourquoi observer le comportement ?
Différents types de questions peuvent être posées à propos des comportements et trouvent leurs
réponses grâce aux données apportées par l’observation.
Pour l’étude du comportement d’un organisme vivant, Niko Tinbergen (1963) en éthologie a
distingué quatre questions fondamentales.
• Quelles sont les causes (immédiates) d’un comportement ?
Cette cause immédiate peut être un élément de l’environnement ou encore un mécanisme interne
du corps. L'objectif est d’identifier le déclencheur du comportement. Les recherches sur les
relations S-R (stimulus-réponse) sont tout à fait de cet ordre.
• Quelle est la fonction d’un comportement ?
Tinbergen a utilisé le terme de « valeur de survie d’un comportement ». Il s’agit de comprendre
la fonction d’un comportement, à quoi il sert aujourd’hui dans la vie de l’individu et dans son
environnement. Cettequestion renvoie aux fonctions biologiques liées à la survie et à la
reproduction des individus. Par exemple, le degré de pression des prédateurs permet d’observer
différents comportements et de déterminer la fonction d’un comportement dans différents
environnements.
• Comment un comportement se met en place au cours de l’ontogenèse ?
Cette question aborde l’apparition et le changement des comportements au cours de la vie d’un
individu. Par exemple, certains comportements ne s’expriment qu’à la maturité sexuelle, tandis que
d’autres présents dès la naissance disparaissent à un âge donné. Le chercheur s’interroge sur le
mécanisme d’apparition et de disparition d’un comportement au cours de la vie d’un individu. Ce
type d’investigation constitue une part importante des études en psychologie du développement.
L'apparition et les modifications des comportements au cours du temps peuvent être abordées
uniquement par l’observation directe.
• Comment un comportement s’est-il mis en place au cours de la phylogenèse ?
La question concerne l’origine d’un comportement dans l’histoire évolutive d’une espèce ou
d’un groupe d’espèces. On essaie de comprendre pourquoi un comportement donné a été
sélectionné et s’est maintenu dans le temps chez l’espèce étudiée. Le comportement ne laissant pas
de trace au niveau des fossiles, un des principaux moyens d’étudier cette question est la
comparaison des comportements des espèces proches vivant actuellement. La comparaison interespèces sur la relation entre le comportement et l’environnement actuel permet de comprendre
quels types d’environnements favorisent la présence et le maintien de tel ou tel type de
comportement.
Les quatre questions ci-dessus relèvent d’une vision éthologique qui prend en compte la fonction
biologique de certains comportements, souvent négligée par la psychologie et d’autres sciences
humaines. On peut toujours garder ces quatre questions en tête lors de l’étude d’un comportement
chez l’humain. Cela donne du recul et une vision plus large par rapport au comportement étudié.
3. Les différents types d’observation
L'observation directe peut être définie selon quatre critères : 1) l’environnement de
l’observation, 2) la spontanéité du comportement, 3) le matériel utilisé et 4) le type de relation
entre observateur et observé.
3.1. Environnement de l’observation
On oppose essentiellement deux environnements d’observation : le milieu naturel ou non.
• Observation dans une situation naturelle (Observation naturaliste)
L'observation en milieu naturel ou encore « observation naturaliste » a lieu dans le cadre naturel
dans lequel se manifestent les comportements à observer. L'observateur peut être participant ou non
(voir la section 3-4). L'observation naturaliste est utilisée en particulier pour étudier la relation
entre le comportement et les éléments de son environnement. Dans cette approche, en principe, le
comportement étudié n’est pas provoqué, et il faut parfois attendre longtemps son apparition
spontanée.
• Observation en laboratoire
L'observation s’effectue ailleurs que là où le comportement a naturellement lieu. Il s’agit souvent
d’un laboratoire. L'intérêt est de mieux maîtriser les paramètres environnementaux. Le
comportement est alors le plus souvent provoqué.
3.2. Spontanéité du comportement
Le comportement est provoqué ou spontané.
• Observation du comportement spontané
L'observation du comportement spontané est privilégiée pour certaines problématiques comme
par exemple les études par l’approche écologique qui s’intéressent aux comportements spontanés
dans un contexte naturel. Elle est d’autant plus facile à réaliser que le comportement est fréquent.
La nature du comportement à observer ne laisse pas toujours le choix entre les deux types de
comportements, spontané ou provoqué. Les comportements sont nécessairement spontanés
lorsqu’ils ne sont pas maîtrisables ou bien lorsque les sujets observés ne peuvent être « dirigés ». Il
est aussi possible que la déontologie interdise de les provoquer. C'est par exemple le cas des
comportements en cas d’accident de véhicule ou alors ceux de querelle chez des grands primates.
La difficulté de ce type d’observation est bien sûr le temps qu’il faudra avant que le
comportement étudié n’ait lieu. Il n’est pas garanti par ailleurs que, lorsque le comportement a lieu,
l’observateur maîtrise aumieux les paramètres de l’observation (par exemple au moment où a lieu
le comportement, l’observateur n’a pas un angle d’observation adéquat).
Ce type d’observation a lieu en général sur le terrain, dans le cadre naturel du comportement.
• Observation du comportement provoqué
Pour pallier ces difficultés et lorsque c’est possible, il peut être intéressant de provoquer le
comportement. Par exemple, organiser un jeu donné avec un enfant et sa mère plutôt que d’attendre
que la mère joue spontanément avec l’enfant au jeu qui intéresse l’observateur.
Cette approche peut avoir lieu en laboratoire (par exemple, expériences sur le phénomène
d’imitation entre enfants jeunes, Nadel, 1986) ou en milieu naturel. En milieu naturel, InoueNakamura & Matsuzawa (1997), par exemple, ont provoqué le comportement de cassage des noix
chez les chimpanzés, très difficile à observer à cause de la végétation dense de la forêt. Pour cela
ils ont mis à disposition très ostensiblement les outils nécessaires (noix et pierres de différentes
tailles) dans un endroit bien dégagé, facile à observer.
3.3. Supports matériels
En contexte naturel comme en situation expérimentale, différents supports de recueil des
données d’observation existent. Nous en présentons les avantages et les inconvénients.
• Observation sans support d’enregistrement
Aucun relevé des données n’a lieu durant l’observation. C'est souvent le cas pour l’observation
participante où l’observateur ne peut pas être à la fois acteur et enregistrer les données. La notation
des données a alors souvent lieu durant les pauses ou après l’observation.
Cette méthode peut suffire dans le cadre de la phase préparatoire d’une observation avec support.
• Avantages
+ Les participants se sentent moins observés. De ce fait, on peut s’attendre à un comportement
plus spontané et naturel.
• Limites
– La fiabilité des données est assez faible car elle repose exclusivement sur la mémorisation de
l’observateur, qui peut être sélective et très subjective.
– Il n’y a pas de possibilité de revenir en arrière en cas d’oubli ou pour vérifier un détail qui
n’aurait pas été remarqué lors de l’observation.• Observation papier-crayon
Dans le cas d’observations avec papier-crayon, une liste des comportements et une grille de
codage sont élaborées au préalable.
• Avantages
+ L'investissement financier est modeste.
+ Les risques de problèmes matériels (pannes) sont nuls.
+ Les participants tendent à accepter plus facilement une observation avec crayon-papier qu’avec
des enregistrements vidéo par exemple.
+ La fiabilité des données est nettement meilleure comparée à celle sans support.
• Limites
– Le nombre de comportements observables lors d’une observation est matériellement limité.
– En fonction de la complexité de chaque variable et de la fréquence du comportement, le
nombre de comportements codables simultanément change. Une solution est de multiplier les
observateurs mais leur nombre peut gêner les observés.
– Au moment d’écrire, l’observateur est certainement contraint de quitter la scène des yeux et
peut manquer des données.
– Il n’y a pas de moyen de reprendre les observations après et de vérifier les données.
– Il faut prendre en compte la retranscription des données manuscrites en données informatiques
exploitables par les logiciels. En plus du temps nécessaire, des erreurs peuvent avoir lieu à ce
moment-là.
• Observation avec un Palm OS (ordinateur de poche)
Il s’agit d’une version améliorée de la technique crayon papier, remplacé par un ordinateur de
poche. Les codes du comportement ainsi qu’une grille de codage étant préétablis dans un fichier, il
suffit de cliquer avec un stylet dans des zones préparées (pour plus de détails, voir par exemple le
site de Kerguelen dans la liste des bibliographies).
Pour le reste, les avantages et inconvénients restent les mêmes que pour la technique crayon
papier si ce n’est que s’ajoute le risque de panne matérielle et que l’investissement de base est plus
important. En contrepartie, la phase de transcription des données manuscrites vers les données
numériques disparaît.
• Observation par enregistrement audio
Il s’agit là d’enregistrer à l’aide d’un magnétophone ou d’un dictaphone les codages des
comportements et non pas d’enregistrer les comportements (sonores) eux-mêmes.
• Avantages
+ L'observateur peut garder l’œil en permanence sur la scène à observer tout en codant les
comportements.
• Limites
– Suppose que la voix de l’observateur ne perturbe pas le bon déroulement de l’observation.
– L'enchaînement des comportements peut être parfois trop rapide par rapport à leur description
verbale et générer des erreurs dans leur relevé. Ce problème peut être limité par la mémorisation
des codes chiffrés correspondant aux comportements étudiés.
– Pannes matérielles possibles.
• Observation par enregistrement vidéo
Cette fois-ci, les comportements sont filmés. Cela suppose la disponibilité d’un matériel de prise
de vue. Cette technique est devenue beaucoup plus accessible grâce à la baisse du prix et à
l’amélioration de la maniabilité des matériels. Les avantages de l’outil sont considérables.
Certaines observations nécessitent plusieurs caméras, notamment pour les prises en trois
dimensions. Une analyse du mouvement en trois dimensions avec un système vidéo est présentée
dans l’étude 3 de Ledebt dans la partie II.
• Avantages
+ Possibilité de micro-analyses du comportement, grâce au ralenti de l’image. Ainsi, l’analyse
des comportements invisibles à l’œil nu devient possible.
+ Enregistrement des scènes et disponibilité des données même après observations : possibilité
de vérifications et de corrections après coup des codages en cas de problèmes avec la grille
d’analyse ou avec les comportements préalablement déterminés.
+ Possibilité de mutualisation des données (et donc des coûts).
Cependant, même avec la vidéo, les contraintes existent et il est important de les connaître.
• Limites
– Limitation du champ de vision d’un caméscope. La technique de filmage (gros plan ou plan
élargi) est décisive et doit être mûrement réfléchie durant la phase d’essais. Autrement, il est
possible de multiplier les caméras.
– Investissement financier à prendre en considération, en particulier dans le cas de l’utilisation
de plusieurs caméras.
– Risques de problèmes techniques.
– Éventuelles réticences des observés à être enregistrés par vidéo.
– Il ne faut pas négliger le temps de codage des données vidéo, qui n’a pas lieu au terrain
directement.
1. « Field notes » ou carnet de bord (voir l’étude 9)
Il s’agit des notes d’observations réalisées durant le travail de terrain. Ces
notes incluent les éléments d’observation sur les comportements et sur le
contexte ainsi que les interprétations de l’observateur. Le carnet de bord
comprend non seulement des notes sur papier mais aussi des dessins, des
photos, des enregistrements audio ou vidéo, etc. Il est très utilisé pour les
travaux en anthropologie ou de type ethnographique, et également dans les
études qualitatives dans des disciplines comme la sociologie.
3.4. Relation entre observateur et observés
Quelle que soit l’observation menée, se pose la question de la place occupée par l’observateur et
de son influence sur le comportement observé.
• Observation participante
Dans le cadre d’une observation participante, le chercheur s’intègre dans le groupe observé et
fait les mêmes activités pendant un certain temps (quelques semaines, quelques mois ou plus). Par
cette approche, le chercheur peut créer une relation étroite avec les acteurs observés afin d’avoir
des échanges et des interactions spontanés et approfondis.
Deux niveaux de participation sont possibles.
– Le premier est la « participation périphérique ou partielle » lorsque les règles légales ou
déontologiques interdisent au chercheur de participer pleinement à l’activité. C'est le cas pour les
actes médicaux si l’observateur n’a pas de certificats, les actes traditionnels interdits à un «
étranger » ou encore les actes de violence ou de délinquance, etc.
– Le second niveau de participation est la « participation active ». Le chercheur participe
entièrement à l’activité du groupe et partage lesmêmes tâches, les objectifs et les sensations qui
l’accompagnent. Dans ce cas, il sera considéré comme un membre à part entière.
Inspirée par la méthode du travail du terrain en anthropologie ou en sociologie, l’observation
participante est souvent utilisée pour les études qualitatives ou ethnographiques.
L'observation participante est très utile pour une étude pilote dans un nouveau domaine où
l’organisation de l’activité, son sens, ne sont pas encore suffisamment connus du chercheur.
2. École de Chicago : son impact méthodologique en sciences sociales
La technique d’observation participante a été marquée par le courant de
pensée de l’École de Chicago aux États-Unis qui mettait en avant la
démarche qualitative et ethnographique de recherche. Cette approche
mettait en valeur le sens des actes en contexte réel en sociologie. Les
fondateurs de cette école dans le domaine de la sociologie urbaine durant
les années 1920, Robert Park et Wiliam Thomas, défendaient la méthode
qualitative de recherche basée sur l’étude de cas, en accordant une priorité
à l’immersion des observateurs au terrain. Cette approche écologique
contrastait avec l’approche statistique développée jusqu’alors en
sociologie. Elle était justifiée comme complément aux méthodes
quantitatives ou expérimentales. Ce courant a ensuite gagné d’autres
disciplines des sciences sociales (psychologie interculturelle,
criminologie…).
Cependant, cette approche met l’observateur dans une double position parfois difficile à gérer.
En s’intégrant au groupe observé il bénéficie de l’accès à de nombreuses informations et à une
compréhension du fonctionnement du groupe de l’intérieur. Mais en même temps, il doit prendre
du recul pour avoir un œil impartial.
En général, ce type d’observation nécessite plus de temps.
Takada (étude 9 de la deuxième partie) présente une étude à base d’observation participante.
• Observation non participante (ou non interventionniste)
C'est la technique la plus utilisée en psychologie. L'observateur essaie de ne pas intervenir dans
la situation observée, dans le souci de ne pas modifier l’organisation habituelle de la situation. Le
but est de prendre du recul par rapport à la situation ou par rapport aux individus observés, afin de
privilégier l’objectivation des faits.
Selon le type de comportement à observer et les conditions matérielles, l’observateur pourra
être visible ou non pour les individus observés.
– Observateur invisible. L'observateur est soit caché (derrière une vitre sans tain par exemple),
soit travaille à l’aide d’enregistrements vidéos. Dans ce cas, il faut s’assurer préalablement que les
comportements à observer seront bien enregistrés, ce qui n’est pas toujours facile si les sujets sont
libres de leurs mouvements et peuvent se déplacer ou tourner le dos à la caméra. Cela oblige
parfois à installer plusieurs caméras.
– Observateur visible. Dans beaucoup de cas, l’observateur est visible aux yeux des participants.
Pour limiter les effets perturbateurs de sa présence, différentes stratégies sont possibles.
La première est pour l’observateur de se faire aussi discret que possible physiquement : se tenir
le plus à l’écart possible, éviter de regarder trop ostensiblement les personnes observées ou encore
éviter de regarder le viseur du caméscope tout le temps (car en général cet acte attire l’attention des
personnes observées). Tout ceci dépend bien sûr des conditions du terrain.
Une autre stratégie consiste à familiariser les participants à la présence de l’observateur avec une
visite préalable des lieux et des séances supplémentaires au début, qui ne seront pas prises en
compte dans les analyses. Une discussion préalable peut aussi être organisée pour expliquer aux
participants comment se déroulent l’observation et l’objectif. Il faut toutefois veiller à ne pas
influencer les participants.
Enfin, pour une observation avec observateur visible, il est important de choisir un observateur
adapté à la situation en prêtant attention à ses caractéristiques (sexe, âge, culture, etc.).
4. Les quatre étapes de l’observation
Une observation ne démarre pas immédiatement. Elle doit être précédée d’une préparation
sérieuse. Cette préparation et l’observation à proprement parler constituent un projet
d’observation, que l’on peut décomposer en quatre étapes.
4.1. Observation spontanée ou informelle
Cette première observation, informelle, a pour but d’élaborer une problématique. Elle n’obéit à
aucune contrainte et peut se faire dans la vie quotidienne.
4.2. Observation exploratoire
Quelles que soient les méthodes, expérimentation ou observation, pour le chercheur qui ne
dispose pas des connaissances suffisantes sur lesphénomènes étudiés, il est essentiel de mener des
pré-enquêtes ou des observations exploratoires (pas nécessairement bien structurées).
Cette étape consiste à construire un plan d’observation, incluant les éléments suivants :
1. Définir l’objet d’étude.
2. Déterminer les situations, le lieu et la durée de l’observation.
3. Choisir les personnes à observer.
4. Élaborer une liste des comportements à étudier.
La liste des comportements comprend les éléments suivants :
- les noms des classes de comportements deviennent des variables (ex. Posture) ;
- les modalités de cette variable (catégories du comportement) à définir (voir plus bas).
5. Choisir la technique d’observation :
- choix entre observation participante ou non participante, choix du type de support
(papier-crayon ou enregistrement vidéo, etc.) adaptés à la recherche, en fonction du
nombre de comportements à observer, des contraintes matérielles, du type d’analyse des
données, etc. ;
- le choix d’une technique d’observation comprend aussi le choix de l’emplacement pour
l’observateur et de la caméra, la nature de la prise de vue (grand angle ou non, hauteur
qui est à déterminer en fonction du but de l’étude), la réaction des participants, etc.
6. Construire des grilles de codage du comportement :
- préparer la grille de codage en tenant compte de l’organisation temporelle et de la
simultanéité des comportements ;
- choisir les types de mesure du comportement ou les méthodes d’échantillonnage (voir
plus bas).
4.3. Essai d’observation systématique
À ce stade, nous avons déjà choisi la question de recherche, les comportements et les situations à
observer, le lieu d’observation et les personnes à observer.
Quelle que soit la méthode d’observation, il est indispensable de faire des essais dans les mêmes
conditions que celles décidées pour l’observation finale, surtout dans le cas d’études en milieu
naturel.
L'observation papier-crayon est effectuée avec des grilles préétablies d’analyse du
comportement. Dans cette phase, il s’agit de testerles grilles pour vérifier la faisabilité du codage
(seul ou en équipe). Il faut les modifier en cas de difficultés ou d’ambiguïtés. Il est recommandé de
tester les grilles à plusieurs pour les valider (accord inter-observateurs, voir le chapitre 3).
Dans le cas de l’observation vidéo, une modification des grilles de codage est toujours possible
même après les collectes des données. Cependant, il faut être conscient que certaines données
seront irrécupérables une fois l’observation achevée. Il est donc primordial de savoir avant
l’observation ce qui doit entrer dans le champ de la caméra. Il faut se garder de tout vouloir
inclure. Sur une image en plan élargi, les détails ne sont pas tous visibles. Au contraire, un plan
trop rapproché limite le champ de vision et exclu certaines données. Il faut donc avant de procéder
à une observation finale, faire des essais et visionner l’image en pensant aux grilles de codage du
comportement, pour vérifier qu’il ne manque pas d’élément important.
4.4. Observation systématique
La phase de préparation est terminée. L'observation systématique pour la collecte des données
commence. À partir de cette étape, l’organisation des observations ne doit plus changer, sans quoi
les données entre observations ne seront plus comparables. La seule exception serait la découverte
d’un défaut majeur. Auquel cas il faut revenir à l’étape précédente pour procéder à des ajustements.
3. Éthique, déontologie de la recherche et démarches administratives associées au consentement des
participants par N. Pigem & H. Norimatsu
En France, plusieurs codes de déontologie régissent la recherche
scientifique et la pratique auprès des participants. Les codes de conduite
des chercheurs dans les sciences du comportement humain et ceux des
différents corps professionnels visent à assurer la protection des
participants, à guider la démarche du chercheur en lui permettant de
prendre les décisions les plus appropriées. Chaque chercheur ou praticien
doit questionner les valeurs éthiques de son étude et respecter plusieurs
principes déontologiques dès la phase de conception d’une observation. Il
s’agit également d’argumenter la pertinence de la méthodologie choisie
pour traiter la question d’étude. Par exemple, pour une recherche en
psychologie, deux textes de référence permettent de s’assurer et de
réfléchir à la démarche choisie : le Code de conduite des chercheurs dans
les sciences du comportement humain proposé par le Département
Recherche de la Société Française de Psychologie et le code de
déontologie des psychologues (www.sfpsy.org) AEPU, ANOP et SFP
(1996).
Le Code de conduite des chercheurs régit la recherche comportementale
au travers des six titres suivants ; Titre 1 : de la recherche, Titre 2 : des
chercheurs, Titre 3 : de la responsabilité d’une recherche, Titre 4 : de
l’attitude des personnes qui se prêtent à la recherche, Titre 5 : De l’attitude
vis-à-vis du public en général et Titre 6 : de l’attitude envers les pairs et
les personnes en formation à et par la recherche.
Le code de déontologie des psychologues en France régit plutôt la
pratique professionnelle du psychologue mais un chapitre est consacré à la
question de la méthodologie (chapitre 3 sur « les modalités techniques de
l’exercice professionnel »). Par ailleurs en 1983 a été créé en France le
CCNE (Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et
de la santé) qui donne son avis sur les problèmes moraux soulevés par la
recherche en terme d’exigences méthodologiques de rigueur et de
compétences. Ces codes défendent les principes fondamentaux suivants
(Sabourin et Bélanger, 1988, Fernandez & Catteeuw, 2001) :
1 l’absence de risque évident pour les participants (à envisager dès la phase de conception
de l’étude ;
2 le consentement informé ou éclairé des participants ainsi que le respect de leur vie
privée. ;
3 la relation de l’observateur et de l’observé ou les participants observés. Ce qui sera
différent en fonction de la place de l’observateur s’il participe ou non à la situation
étudiée ;
4 la qualité de la recherche, sa pertinence, à partir de sa conception jusqu’à la
communication des résultats de son étude.
Pour être menée à bien, une étude par observation doit inclure dans le
planning la phase de recherche des participants et les démarches
déontologiques et administratives, qui peuvent nécessiter un certain
temps.
Pour toute observation, quelle que soit la méthode et même pour
l’observation exploratoire, il est obligatoire d’obtenir préalablement, par
écrit, l’accord « éclairé » des participants. Dans le cas d’observations
vidéo, en plus de l’accord à participation, il faut porter attention à la
gestion ultérieure des données enregistrées : préciser qui aura le droit
d’utiliser les données, pendant combien de temps, et comment.
Dans le cas d’une observation au sein d’un établissement ou d’un
organisme, il faut impérativement obtenir au préalable l’accord écrit de
l’administration responsable de cette institution et de toutes les personnes
qui seront observées. Au sein de l’institution publique ou semi-publique,
il faut non seulement l’accord (écrit) des responsables de l’établissement,
mais aussi celui de son service gestionnaire. Par exemple, pour mener une
observation dans une crèche collective municipale, il faut une autorisation
de la mairie, de la direction de la crèche, ainsi que celui de toutes les
personnes observées. Lorsque les personnes observées sont mineures,
l’obtention de l’accord écrit parental est obligatoire. Le temps nécessaire à
l’obtention de ces différentes autorisations ne doit pas être sous-estimé.
Chapitre II
Construction des grilles de codage du comportement
Pour la plupart des études avec observation, il n’existe pas de protocoles ou de grilles du
comportement tout prêts. Il faut donc les élaborer soi-même. C'est un travail laborieux mais en
même temps très créatif. Une attention particulière doit être portée à la pertinence de ces grilles,
construites par rapport à la question de recherche posée.
1. Construire la liste des catégories du comportement
1.1. Lister le maximum de comportements liés au thème d’étude
Tout d’abord, il faut lister les comportements et leurs propriétés pertinentes à étudier. À ce stade,
il vaut mieux en lister un maximum. Leur nombre pourra ensuite être réduit.
1.2. Organiser les comportements en différentes variables ou classes
• Terminologie
En sciences du comportement, une « classe » de comportements contient plusieurs « catégories »
de comportements. Ces termes peuvent être mis en parallèle avec « variable » et « modalités », plus
familiers en psychologie ou d’autres disciplines.
Termes utilisés en
Sciences du comportement
Psycholog ie
Classe
≈
Variable
Catégories
≈
Modalités
Par exemple, la variable (classe) du « comportement social » peut comprendre trois modalités
(catégories) : « comportement affiliatif », « agonistique », et « neutre ».
Un maximum de comportements listés dans la première étape doivent ensuite être classés et
organisés en différentes variables. Pour constituer ces variables et pour faciliter le codage des
comportements, il est généralement conseillé d’organiser et dissocier les comportements selon
les différentes modalités sensorielles (comportement visuel, verbal, physique, etc.). Ceci permet
d’éviter que plusieurs paramètres changent en même temps dans une seule variable.
D’autres critères de distinctions sont également possibles. Par exemple lorsque plusieurs aspects
d’une modalité sensorielle sont étudiés comme la durée et l’orientation du regard, il vaut mieux les
dissocier en différentes variables. Ainsi, le comportement visuel peut être étudié au niveau de
l’orientation du regard (vers x, y, z, etc.) et au niveau de la durée de fixation (brève : 0-2 sec.,
moyenne : 2-5 sec., longue : 5 sec. et +, etc.). Il vaut alors mieux dissocier ces deux critères de
mesure (voir la section 1.3 aussi).
• Catégories descriptives et interprétatives
Comme le propose Kerguelen (voir chapitre VII), les catégories d’observation peuvent être
distinguées en deux types : « descriptives » et « interprétatives »1. Il est conseillé de ne pas les
mélanger en une seule variable. Les « catégories descriptives » du comportement s’appuient sur
une description pure des actions (telles que les mouvements du corps, la prise d’objets, etc.) tandis
que les « catégories interprétatives » impliquent une interprétation de la part de l’observateur. C'est
typiquement l’opposition entre respectivement contenant et contenu pour les propos verbaux ou
encore l’opposition entre la catégorie descriptive « rire », basée sur des caractéristiques
physiologiquesobservables, et une catégorie interprétative « être joyeux ». En terme d’objectivité,
les catégories descriptives sont indiscutables et relativement indépendantes de la culture des
observateurs, tandis que les catégories interprétatives sont beaucoup plus difficiles à définir.
Cependant, il ne faut pas moins rester vigilant sur les définitions des catégories. Une catégorie
descriptive mal définie est peu fiable. Au contraire, une catégorie interprétative bien définie ne sera
pas forcément mauvaise en terme de fiabilité (pour la fiabilité des données, voir chapitre III).
À l’intérieur des variables, les modalités du comportement se voient attribuer un nom et un code
(en chiffre ou en lettre) comme dans l’exemple ci-dessous. En général, il faut que les modalités à
l’intérieur d’une variable soient distinctes et s’excluent mutuellement (sauf quelques exceptions).
Exemple 1 : Variable A - Posture de la personne x
d- debout
a- assis
c- couché par terre
aut- autres
Ici, la variable « posture » comprend 4 modalités qui ne se recouvrent pas. Autrement dit, la
personne observée ne peut satisfaire deux modalités en même temps.
1.3. Veiller à l’homogénéité des modalités dans une même variable
Tous les comportements appartenant à une variable doivent partager les mêmes propriétés.
Voyons un exemple.
Exemple 2 : Variable B - Verbalisation de la personne x
0- ne parle pas
1- parle à voix basse,
2- parle normalement
3- parle fort
4- parle au téléphone
Avec la variable B, imaginons que la personne observée a parlé deux fois au téléphone durant un
temps d’observation de 10 minutes. Une fois avec une voix moyennement forte, une autre fois à
voix basse. On peut coder pour la première fois, 4 et 1, et pour la deuxième fois, 4 et 2. Le même
comportement peut être codé selon deux modalités différentes, cequi pose un problème. Le fait que
la personne parle au téléphone ou parle directement à une autre personne relève d’une autre
problématique que celle du « volume de la voix ». Dans ce cas, il est conseillé de constituer deux
variables, d’un côté « volume de la voix » et de l’autre « support de communication verbale »
(téléphone ou en direct, etc.).
1.4. Définir sans ambiguïté chaque modalité – catégorie de comportement
L'exemple 2 précédent comporte un autre problème, au niveau de la modalité (2) car «
normalement » est ambigu et se comprend différemment selon les observateurs. Remplacer ce
terme par un autre plus précis n’est pas aisé car le problème soulevé ici est qu’il est
fondamentalement difficile d’évaluer l’intensité de la voix sans appareil de mesure. D’ailleurs, un
appareil impose le respect de plusieurs conditions pour que l’évaluation soit la même d’une
observation à l’autre : le calibrage, l’éloignement par rapport à la source pour que des variations
de distance ne modifient pas les caractéristiques du son enregistré, etc.
Une solution pour désambiguïser les catégories sans recourir à un appareillage et à des
procédures complexes consiste à regrouper les catégories difficiles à distinguer. Par exemple, si
distinguer voix « moyenne » et voix « forte » est délicat, on peut les regrouper au sein d’une seule
catégorie, par exemple « voix forte ». Il n’y a alors plus que deux catégories « voix faible » et «
voix forte ». Autrement, il faut recourir à des critères plus objectifs. On peut par exemple
distinguer deux niveaux d’intensité selon que le contenu du discours est perceptible ou pas, à une
distance fixe.
Exemple 2bis : Variable B - Verbalisation de la personne x
0- ne parle pas
1- parle à voix faible, (l'observateur ne peut pas comprendre l'ensemble des
propos)
2- parle à voix forte (l'observateur comprend tous les propos tenus)
1.5. Choix de finesse des catégories
Il est conseillé de ne pas créer des modalités trop grossières au départ. Il est en effet impossible
de dissocier certains comportements après codages, une fois qu’ils ont été quantifiés ensemble. Il
vaut mieux créer des modalités détaillées et les fusionner par la suite, si nécessaire.
1.6. Choix du nombre de variables à observer
Ce point peut paraître à première vue contradictoire avec les conseils précédents (supra). En
effet, s’il faut comme indiqué que les modalités soient aussi détaillées et précises que possibles à
l’intérieur de chaque variable, il faut malgré tout en rester à un nombre raisonnable de variables. Il
est important de ne retenir que les variables les plus importantes et pertinentes par rapport à
l’objectif de l’étude. Le critère de faisabilité doit aussi être pris en compte. Dans le cadre de
l’observation papier-crayon en particulier, les contraintes obligent à limiter le nombre des
variables à retenir car on peut difficilement noter un grand nombre de variables à la fois.
2. Différentes mesures du comportement
Maintenant que nous avons précisé quels comportements observer, il faut réfléchir sur comment
les mesurer.
Voyons avec l’exemple ci-dessous une liste de comportements dans une situation donnée.
Exemple 3
Variable A : Orientation du regard de la personne x
1- vers l’objet qu’elle est en train de manipuler
2- vers la personne Y
3- ailleurs
Variable B : Geste de la personne X
0- ne fait rien
1- garde un objet en main sans bouger
2- manipule l’objet
3- autres
Le même comportement « manipuler l’objet » peut être mesuré de différentes manières. On peut
s’intéresser à son occurrence, sa durée, etc. Voyons les différents types de mesures possibles.
2.1. Dénombrement des événements (occurrence)
Pour dénombrer le nombre de fois où apparaît un comportement, on privilégie selon les cas son
occurrence ou sa fréquence.
– Nombre d’occurrences : nombre brut d’apparitions d’un comportement durant le temps de
l’observation. Dans l’exemple ci-dessus,cela consiste à relever le nombre de fois où le sujet X
regarde l’objet manipulé et le nombre de fois où il regarde la personne Y.
– Fréquence : nombre d’occurrences d’un comportement durant le temps d’observation, divisé
par le nombre d’unités de temps. Le calcul de fréquence est utile comme indice de comparaison
lorsque la durée des observations n’est pas la même pour tous les individus. Par exemple, durant 47
minutes d’observation, la personne observée a parlé 17 fois, tandis que durant une autre
observation de 30 minutes, la personne observée a parlé 14 fois. Dans ce cas, les occurrences ne
sont pas comparables puisque la durée d’observation est différente. Il est préférable de convertir en
fréquence pour une unité de temps donnée (10 min par exemple). Cela donne 3,6 verbalisations/10
min pour le premier cas, et 4,6 verbalisations/10 min pour le second cas.
2.2. Relever la durée d’états
« L'état » désigne un comportement ou un événement qui dure dans le temps. C'est alors sa durée
qui est mesurée.
Par exemple, dans une étude en ergonomie, nous observons la posture d’une personne employée
qui se plaint d’une fatigue du dos. Dans ce cas, il est intéressant de relever non seulement la
fréquence des changements de posture dans une journée du travail, mais aussi la durée totale de
chaque posture.
Supposons que nous relevions pour une variable « Posture », l’enchaînement d’états suivants :
état d = debout, durée 7 minutes,
état a = assis, durée 10 minutes,
état d = debout (8 min),
état m = marcher (12 min),
état d = debout (8 min),
… ainsi de suite.
Sur un axe de temps, le changement d’états se schématiserait ainsi :
Par addition on obtiendra la durée totale de chaque posture dans une
journée de travail de 8 h. Il est facile d’en déduire la durée proportionnelle
(temps total de la durée de l’état par rapport au temps total de
l’observation).
2.3. Mesure d’intensité
En général, la notion d’intensité est assez délicate à définir rigoureusement et à observer, car
sans instrument la mesure peut devenir subjective.On a pu le voir dans l’appréciation de la
puissance de la voix : parler très fort, fort, modérément, ou à voix basse (exemple 2). Il en va de
même pour évaluer l’intensité d’un regard (regarder avec attention ou distraitement). Ce type de
donnée est à traiter avec précaution.
On peut toutefois définir avec plus d’objectivité l’intensité de certains comportements. Par
exemple, pour observer le comportement alimentaire, la prise de nourriture peut être mesurée en
nombre d’occurrences du geste de porter un aliment à la bouche. La fréquence par minute de cet
acte peut être utilisée comme un indice de l’intensité de ce comportement.
2.4. Mesure de temps de latence ou d’intervalle
• Temps d’intervalle
Il s’agit de l’intervalle de temps entre des comportements observés, que ce soit la répétition d’un
même comportement ou l’enchaînement de comportements différents. C'est le cas par exemple
dans une analyse de séquences (cf. chap. III, section 3) avec la mesure du temps écoulé entre deux
événements donnés. Ces deux événements peuvent s’observer chez un même individu ou bien chez
deux ou plusieurs individus différents. Par exemple, dans une observation d’interaction dyadique,
lorsqu’un partenaire fait appel à l’autre, on peut mesurer le temps d’intervalle entre l’appel et la
réponse d’un partenaire. Cela permet par exemple de mesurer la rapidité de réponse d’un
partenaire et sa régularité (voir l’étude 6 de Bouville dans la partie II).
• Temps de latence
C'est le temps qui s’écoule entre une date donnée choisie par l’observateur et l’occurrence d’un
comportement. Par exemple, la date de référence étant celle du début de l’observation, on mesure le
temps qui s’écoule entre cette date et l’occurrence du comportement. Si la date de référence est
celle d’un stimulus, on mesure le temps qui s’écoule entre ce stimulus et la réaction du sujet. On
choisira une unité de temps appropriée au temps de latence mesuré : secondes, minutes ou autres.
3. Méthodes d’échantillonnage
Comme tous les comportements ne peuvent être notés en même temps, il faut choisir une
stratégie pour les enregistrer, soit en se focalisant sur certains aspects (personne ou événement),
soit en choisissant des moments ou des périodes à analyser.
Il s’agit là de ce qu’on appelle la méthode d’échantillonnage : décider du moment du recueil des
comportements et des choix de focalisation.
Le but est d’obtenir une mesure précise et représentative des régularités du comportement étudié.
Le choix se fait en fonction de l’objet de l’étude, du type ou de la nature du comportement et de sa
fréquence. Nous présentons ci-dessous quelques méthodes, proposées par Altman (1974) et Martin
& Bateson (1986).
On distingue deux niveaux d’échantillonnages, un portant sur le « point de focalisation » et
l’autre sur le « choix temporel ».
3.1. Règles de focalisation
• Échantillonnage ad libitum ou non systématique (ad libitum sampling)
Aucune contrainte n’est imposée en ce qui concerne les sujets, l’ordre des observations et les
moments d’observation.
L'échantillonnage ad libitum est utilisé dans le cadre de l’observation spontanée et/ou
exploratoire. Toute observation systématique passe par cette méthode. Elle permet de découvrir les
patrons naturels du comportement.
• Échantillonnage par focalisation ou centrations successives (focal sampling)
Par cette méthode, on observe un individu (ou un groupe d’individus considéré comme une
unité) sur une période de temps donnée (trois minutes, par exemple). L'observateur est concentré
sur un individu et note les comportements de cet individu, notamment le moment d’apparition des
comportements. Ces comportements sont préalablement choisis (un ou plusieurs selon leur
fréquence). Un deuxième individu est ensuite observé de la même manière durant le même
intervalle de temps et ainsi de suite pour les autres individus.
Cette méthode procurera entre autres l’occurrence, la fréquence, les enchaînements de
comportements étudiés pour les individus observés. Cet échantillonnage est bien adapté pour
l’étude d’un groupe d’individus.
→ Voir l’étude 8 de Cazenave-Tapie dans la partie II.
Exemple 4 : Exemple de feuille de codage avec une variable : échantillonnage par focalisation (sur
un individu)
Étude du comportement social de l’enfant dans une situation d’interaction avec d’autres enfants.
Variable A : Comportement social
0- pas d’interaction
1- affiliatif
2- agonistique
3- autres (ni 1 ni 2)
Focalisation sur un enfant A.
On coche à chaque fois que le comportement de l’enfant observé change de nature. L'enfant
partenaire est désigné à l’aide d’une lettre (A, B, C…) dans la colonne « Partenaire ».
• Échantillonnage par balayage (scan sampling)
Il s’agit d’une observation du comportement ou de l’activité de tous les membres d’un groupe à
un instant donné, à intervalle régulier préalablement fixé. Cela consiste en quelque sorte à prendre
une photo de tous les membres pour connaître leur situation à ce moment-là. On note dans quel état
chacun d’eux se trouve ou dans quelle activité il est momentanément engagé à la date fixée. Par
exemple, au moment de l’enregistrement, on relève qui était en train de manger ou de ne pas
manger, qui était en train de travailler ou au repos, etc.
Avec cette méthode, le nombre de comportements observables est réduit et se limite à ceux
faciles à repérer car il faut saisir le comportementde l’ensemble des membres du groupe. Pour
cette méthode, on utilise forcément l’échantillonnage par balayage instantané (voir plus bas).
→ Voir l’étude 8 de Cazenave-Tapie dans la partie II.
• Échantillonnage par comportement (behavior sampling)
On note chaque occurrence d’un comportement particulier pour l’ensemble des individus
observés, pour une période donnée. Cette méthode est souvent utilisée pour noter les
comportements rares mais significatifs (par exemple des querelles).
Par exemple, durant trois heures d’observation d’un groupe d’individus en milieu naturel, on se
focalise sur le comportement de querelle. Dès qu’une querelle apparaît quelque part, on note
l’occurrence ainsi que les individus concernés et éventuellement la source de querelle si elle est
identifiable à chaque fois. Au bout de 3 heures d’observation, on obtient l’occurrence des querelles
de ce groupe et la fréquence d’implication de chaque individu dans la querelle, ainsi que la
fréquence des sources de querelles.
Les trois méthodes par focalisation présentées ci-dessus sont très utiles dans le cas
d’observations sur le terrain, sans enregistrement vidéo. En choisissant des patrons de
comportement pertinents, cette méthode peut être plus efficace que l’observation complète et
continue, en particulier si les observations sont effectuées sur des périodes assez longues.
Il ne faut en effet pas négliger la fatigue de l’observateur et ses effets sur la qualité du relevé.
Pour une observation de longue durée (quelques heures par exemple), il faut choisir une stratégie
de codage adaptée et faisable.
3.2. Règles d’échantillonnage du temps
Il s’agit du choix des moments de relevé des comportements.
• Échantillonnage par présence ou absence, codage binaire (One-zero sampling)
Une unité de temps étant préalablement décidée (par exemple toutes les 20 secondes), on note la
présence (1) ou l’absence (0) d’un comportement à l’intérieur de chaque unité de temps. Si le
comportement a eu lieu dans l’intervalle de temps fixé (quelles que soient la durée et la fréquence
de ce comportement), on note 1 pour cet intervalle. Sinon 0. En utilisant un bip sonore, ce codage
est réalisable même sans enregistrement vidéo au terrain. Cependant, cette technique ne fournit pas
d’informations exactes nisur la durée ni sur le nombre d’occurrences des comportements. Elle ne
convient donc toujours pas pour toutes les études. Par contre, elle est utile pour déterminer
l’importance relative des comportements.
Choix d’une unité de temps ou d’intervalle : il doit aboutir à des résultats pertinents. Par exemple,
si les occurrences d’un événement sont espacées dans le temps, par exemple 2-3 fois par demijournée, il est inutile de prendre comme unité de temps ou d’intervalle la seconde ou la minute.
L'unité choisie devra être testée durant la phase d’essais préalable à l’observation.
→ Voir cette technique illustrée dans l’étude 1 de Norimatsu et Shimizu dans la partie II.
Exemple 5 : Exemple de feuille de codage avec deux variables : échantillonnage par présence ou
absence
Dans une situation d’interaction adulte-bébé.
Variable A : Vocalisation du bébé
0- pas de vocalisation
1- vocalisation
Variable B : Verbalisation de la mère
0- pas de verbalisation
1- verbalisation
Unité de temps : 20 sec
Temps
Var. A Vocal du bébé
Var. B Verbal de la mère
0 m 00 s – 0 m 20
0
0
0 m 21 s – 0 m 40
1
1
0 m 41 s – 1 m 00
1
1
1 m 01 s – 1 m 20
0
1
1 m 21 s – 1 m 40
0
0
1 m 41 s – 2 m 00
1
1
2 m 01 s –2 m 20
0
1
2 m 21 s – 2 m 40
1
1
2 m 41 s –3 m 00
1
1
3 m 01 s – 3 m 20
0
0
:
:
:
Cette méthode d’échantillonnage donne les proportions relatives de vocalisations du bébé et de
verbalisations de la mère. Par contre, elle ne fournit pas de données exactes sur la durée ni sur
l’occurrence de ces comportements car à l’intérieur d’une unité de temps de 20 secondes, on note
l’occurrence une seule fois même si par exemple trois vocalisations ont été constatées. On ne sait
pas non plus si l’événement qui a eu lieu sur deux unités de temps contiguës ne forme qu’un seul
événement (continu) ou bien s’il y a eu deux occurrences.
• Échantillonnage par balayage instantané (Instantaneous time sampling)
Cette méthode est assez similaire à la précédente, si ce n’est que l’échantillonnage ne porte pas
sur une période mais sur des instants à intervalles préalablement fixes. À chacun de ces instants,
l’observateur note ce que fait l’individu observé. Là encore, un bip sonore peut être utile pour
marquer l’instant, de sorte qu’il n’est pas nécessaire de quitter la scène des yeux pour consulter un
chronomètre ou une montre. Par exemple, si l’intervalle est de 15 sec (le bip sonne toutes les 15
sec), l’observateur relève l’état de l’individu observé toutes les 15 secondes, au moment du bip (et
non entre les bips). Cette technique ne fournit pas d’informations sur l’occurrence des
comportements. En revanche, elle peut donner une approximation de la durée des comportements
observés. Plus l’intervalle est court, plus les données s’approchent de celles obtenues avec
l’enregistrement de la durée exacte des comportements.
Plusieurs chercheurs utilisant cette technique se sont rendus compte que l’estimation de la durée
des comportements était très satisfaisante, comparée à celle du codage continu qui est beaucoup
plus lourd à effectuer (Martin & Bateson, 1986). L'intérêt de cette technique, si l’estimation de la
durée est bonne, est de pouvoir coder plus d’un comportement, ce qui n’est pas le cas pour le
codage continu.
Ci-dessus, nous avons présenté plusieurs méthodes d’échantillonnage. Leur combinaison est
possible. Par exemple, pour étudier un groupe d’individus, l’échantillonnage par focalisation
(centrations successive–focal sampling) peut être combiné avec l’échantillonnage par balayage
instantané, etc.
Rappelons que les méthodes d’échantillonnage et les supports d’enregistrement (papier-crayon,
enregistrement vidéo (ou audio), ordinateur de poche, etc.) sont étroitement liés.
Il existe des appareils portables pour coder et enregistrer les apparitions des comportements
ainsi que leur durée en temps réel. Ils produisent des codages qui peuvent être transmis directement
sur l’ordinateur. C'est le cas par exemple de « Kronos-Actopalm », outil d’aide au relevé
d’observations (voir le chapitre VIIet le site de Kerguelen : http://w3.ltc.univtlse2.fr/kerguelen/actopalm/actopalm.html).
3.3. Intérêts et limites de l’échantillonnage
L'intérêt majeur de ces méthodes d’échantillonnage réside dans la possibilité de coder plus d’un
comportement portant sur plusieurs individus, notamment dans le cas d’observations sans
enregistrement vidéo. Les échantillonnages sont intéressants pour observer des situations difficiles
à suivre avec un caméscope, notamment lorsqu’il y a beaucoup de déplacements. Par ailleurs, ces
méthodes permettent d’alléger la charge de travail de l’observateur et de minimiser les erreurs
dues à la fatigue.
Les échantillonnages du temps ne permettent pas d’obtenir des informations exactes ni sur la
durée ni sur la fréquence du comportement. On peut seulement obtenir une estimation si l’unité de
temps ou d’intervalle est assez courte.
Les échantillonnages du temps ne sont pas adaptés à l’analyse de séquence des comportements.
En effet, un changement du comportement peut avoir lieu entre deux relevés et donc ne pas être
saisi. Le relevé de ces changements est pourtant indispensable pour l’analyse de séquence.
3.4. Codage complet et continu
(all occurrences and continuous recording )
Enfin nous présentons un type de codage différent de ceux utilisant les échantillonnages de
temps. Ce codage est le plus complet. Ici, on ne fait pas d’échantillonnage mais on code les
informations exactes du comportement de façon continue. On note l’occurrence exacte du
comportement avec le relevé du début et éventuellement de la fin du comportement. On obtient
alors l’occurrence, la fréquence et la durée des comportements.
La précision des données relevées dépendra du support matériel. Pour un relevé papier-crayon,
le comportement étudié ne doit pas être trop fréquent. Il est par ailleurs difficile de coder plus d’un
comportement à la fois. Ces contraintes disparaissent avec l’enregistrement vidéo.
Exemple 6 : Exemple de feuille d’encodage avec deux variables : codage complet et continu
Variable A : Vocalisation du bébé
0- pas de vocalisation
1- vocalisation
Variable B : Verbalisation de la mère
0- pas de verbalisation
1- verbalisation
Temps
Var. A Vocal du bébé
Var. B Verbal de la mère
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0
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1
↓
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↓
1
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↓
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↓
0
1 m 21 s
0
1
:
:
:
Ce codage donne des informations plus détaillées puisque est noté le nombre exact
d’occurrences de vocalisations ou de verbalisations et leur durée en secondes.
Une analyse de séquences entre les deux partenaires est alors possible. (Le symbole « ↓ » signifie
que l’état précédent se poursuit jusqu’au moment où un autre code (état) apparaît dans la même
variable.)
Par contre, la réalisation de ce type de codage est difficile sans enregistrement des scènes.
4. Quelques techniques particulières d’observation
Dans cette section, nous présentons deux techniques particulières d’observation en plus de celles
présentées précédemment.
4.1. Méthode de Magicien d’Oz
La méthode de Magicien d’Oz a été conçue dans le domaine de l’interaction
homme-machine. Le principe est que les usagers-participants
interagissent avec une machine (système informatique) qu’ils croient
autonome alors qu’en réalité un opérateur/observateur humain invisible
manipule au moins une partie du système.
Cet opérateur (magicien) se trouve en général dans une pièce séparée d’où il voit les réactions
des usagers-participants et contrôle la réaction du système en direct. Le participant interagit donc
en réalité avec l’opérateur caché derrière le système, au moins pour une partie des échanges.
Cette technique permet de saisir des informations détaillées sur la réaction des usagers, dont
leurs préférences par rapport au système par exemple. Ces données permettent d’adapter le
système.
Cette technique est utilisée dans divers domaines comme la psychologie, l’ingénierie,
l’ergonomie, le développement du système d’apprentissage interactif, etc.
→ Kozima illustre l’usage concret de cette technique dans le cadre d’interaction enfants-robot
(l’étude 2 de la partie II).
4.2. Technique d’observation des nourrissons d’Esther Bick (par Nathalie Pigem)
Esther Bick a été à l’initiative d’une technique d’observation psychanalytique du bébé menée
dans le contexte familial du nourrisson : « Infant Observation » (IO) ou « Observation des
Nourrissons selon Esther Bick » (ONB). Il s’agit pour l’observateur de faire table rase d’idées
préconçues sur ce qu’est une mère et son enfant. Ainsi pour apprendre à observer, aucune
hypothèse de travail, aucune catégorie de faits ne doit guider l’observateur en formation (Bick,
1964). Il s’agit de comprendre l’expérience physique et émotionnelle du nourrisson par
l’observation de son corps, de décrire avant tout des phénomènes (comme celui de l’adhésivité) et
non pas de chercher d’emblée à théoriser ou intervenir y compris dans une visée thérapeutique
(Meltzer, 1995). Pour Esther Bick, l’observation des premiers moments de la vie dans ce
contexteprivilégié permet de considérer précocement le rôle des émotions dans les premières
relations du nourrisson. Dans la tradition freudienne, Esther Bick a accordé un rôle fondamental à
l’observation pour l’étude des processus inconscients. Elle concevait l’observation d’une mère et
son enfant comme celle d’un « monde à part entière ». Psychanalyste d’origine polonaise, elle a
travaillé avec Melanie Klein et John Bowlby et a exercé jusqu’en 1983 à la Tavistock Clinic de
Londres. Dès 1948, elle y a formé des psychothérapeutes d’enfants à l’observation du nourrisson
pour la British Psychoanalytic Society.
Le protocole d’observation qu’elle propose comprend trois étapes.
1) L'observation au domicile : l’observateur a rencontré les parents avant la naissance de l’enfant
et s’est accordé avec eux sur les principes de la visite hebdomadaire au domicile : régularité des
visites, aucune intervention de l’observateur et prise de notes. L'objectif étant pour lui d’acquérir
dans le cadre de sa formation une certaine expérience d’observation auprès des nourrissons.
Quelques jours après la naissance de l’enfant, il se rend chaque semaine pendant une heure au
domicile des familles généralement pendant les deux premières années de vie du bébé. Au cours de
ces visites, l’observateur évite donc d’intervenir par des commentaires ou des conseils. Aucune
prise de notes, aucun enregistrement ne sont autorisés. L'observateur fait partie intégrante de
l’interaction, se montre disponible psychiquement, attentif et bienveillant à l’égard des parents et de
leur nourrisson. Sont pris en compte pour l’analyse ultérieure l’attitude manifeste de chacun des
sujets mais également les ressentis de l’observateur dans cette situation d’observation. Dans ce
contexte d’observation à visée thérapeutique, les parents bénéficient d’un cadre où ils peuvent avoir
le sentiment que quoi qu’ils feront ou diront cela sera bien perçu par l’observateur. Ce cadre
permet également aux parents de développer leur capacité d’attention au comportement de leur
bébé et à sa vie psychique.
2) La rédaction d’un compte rendu d’observation détaillé : suite à chaque visite, l’observateur
rédige un compte rendu des observations du comportement du bébé, de ses ressentis, de ses
impressions et des associations qui émergent en rapport avec son vécu personnel.
3) La lecture de chaque compte rendu au groupe (supervision) : l’observateur lit son compte
rendu d’observation au groupe d’observateurs en formation et au formateur qui supervise celui-ci.
Chaque élément est commenté, le groupe participe ainsi à l’émergence du sens, assume une
position de tiers et permet une distance nécessaire à l’élaborationpsychique. Il soutient
l’observateur sur la conduite à tenir dans l’intérêt du nourrisson et de ses parents (par exemple :
mieux adapter l’heure de la visite au mode de vie familial). En définitive, cette technique
d’observation permet de mieux connaître le développement du nourrisson dans son contexte
familial, de porter une attention et un regard thérapeutique et d’analyser les ressentis de
l’observateur (contre-transfert) dans ce contexte d’interaction parent-enfant. Ainsi l’Infant
Observation participe depuis plus de cinquante ans à une fine compréhension des premières
interactions mère-enfant et de leurs impacts sur le développement précoce du bébé (par exemple
description et compréhension des angoisses archaïques, illustrations de modification des positions
parentales, moi corporel…).
De nombreux travaux et projets de soins utilisent actuellement l’Infant Observation pour une
meilleure compréhension des processus psychiques du bébé en interaction avec ceux de son
entourage, citons tout particulièrement le secteur de la périnatalité (par exemple : en tant qu’outil de
dépistage et de contenance de la dépression post-partum, Pochette et al., 2005), celui de la pédiatrie
ambulatoire (Lainé, 2001), les consultations psychologiques et pédopsychiatriques (pour une
synthèse voir Delion, 2004). L'IO est également utilisée depuis de nombreuses années en crèche
(Jardin, 2007) mais aussi en éducation (par exemple en didactique des mathématiques pour une
analyse des éléments psychiques instaurés par les enseignants, Chaussecourte, 2003). Pour des
exemples de compte rendu d’observation, le lecteur pourra se référer à l’ouvrage collectif dirigé
par Marie-Blanche Lacroix et Maguy Monmayrant (1995), Les liens d’émerveillement :
l’observation des nourrissons selon Esther Bick et ses applications.
1 Il existe une distinction équivalente en éthologie proposée par Hawkins (1982) en deux modes de description des comportements :
d’une part la « description topographique » ou encore « description par opération » et d’autre part la « description fonctionnelle » ou «
description par les conséquences ».
Chapitre III
Validité, fiabilité et traitements des données
La qualité d’un travail d’observation se juge au niveau de la validité et de la fiabilité des données
obtenues.
1. Validité des données
La validité des données se pose dans les termes suivants : « est-ce que le choix des
comportements observés est approprié pour répondre aux questions de la recherche ? ». Le choix
des patrons d’un comportement ainsi que le choix des méthodes d’échantillonnage doivent être
bien réfléchis en fonction du but de l’étude. La question sur les types de données à quantifier doit se
poser avant d’effectuer le codage final des comportements.
2. Fiabilité des données
Les données sont considérées comme fiables si elles sont obtenues par des méthodes de mesure
reproductibles par n’importe qui.
La grille de codage par exemple ne doit pas reposer sur l’arbitrage de l’observateur. Pour s’en
assurer, on testera une grille en la soumettant à plusieurs observateurs/codeurs, sur un même
échantillon d’observations. La grille et les résultats produits seront d’autant plus fiables que les
résultats des différents observateurs/ codeurs seront proches.
Il existe deux niveaux de contrôle de la fiabilité d’un codage.
• Contrôle intra-observateur
Un même observateur effectue le codage d’une même scène à deux reprises avec les mêmes
grilles de codage (possible uniquement avec des données enregistrées). Si de nombreux décalages
apparaissent, c’est qu’il y a un défaut soit au niveau des catégories du comportement (ambiguïté,
etc.), soit au niveau de la méthode d’enregistrement ou de l’échantillonnage. Dans ce cas, il faut
revoir les grilles d’analyse.
• Contrôle inter-observateurs
Une même scène avec un même protocole est analysée par au moins deux observateurs. Dans le
cas d’un travail sans enregistrement, les observateurs doivent effectuer simultanément le codage
avec la même grille sur la même scène. Les résultats doivent être très similaires.
3. Contrôle de la fiabilité des données
Une évaluation chiffrée est possible à partir de la comparaison des résultats de deux ou plusieurs
codages. Ce contrôle se fait sur différents échantillons de résultats (par exemple sur 15 %
aléatoirement choisis dans l’ensemble des données).
Il existe plusieurs indices statistiques de fiabilité des données. Les données d’observation étant
très souvent catégorielles, la fiabilité est en général contrôlée grâce au coefficient de kappa de
Cohen (Cohen, 1960) qui permet une mesure de concordance entre deux observateurs. Le kappa de
Fleiss (1971) sert à mesurer la concordance pour plus de deux observateurs. Voyons ici un exemple
de contrôle de fiabilité entre deux observateurs – cas le plus fréquent.
Le calcul du coefficient de kappa de Cohen est précédé par le calcul du taux d’accord en
pourcentage.
3.1. Taux d’accord en pourcentage
Prenons un exemple avec deux observateurs.
Exemple :
Variable A : Verbalisation
1- Sollicitation des gestes du partenaire
2- Évaluation positive de geste du partenaire
3- Évaluation négative de geste du partenaire
4- Autres
Il faut tout d’abord faire une matrice avec les deux codages effectués par les 2 observateurs,
pour chaque variable.
Exemple 7 : Matrice de codages effectués par 2 observateurs pour la variable «
verbalisation »
Ensuite, on calcule la proportion d'accord (Po) ,
Nombre d’accords (chiffres en gras dans le tableau) = 26
Nombre de désaccords (chiffres en maigre dans le tableau) = 6
(* Pour obtenir le pourcentage d’accord, il suffit de multiplier ce chiffre par 100.)
Insuffisance du pourcentage d’accord
Le pourcentage d’accord ne prend pas en compte la probabilité de tomber sur le même codage
par hasard.
3.2. Kappa de Cohen
Cohen (1960) a proposé un calcul du coefficient de Kappa qui prend en compte le taux de hasard.
Le coefficient de kappa vaut :
Po : Proportion d’accord observée
Pc : Proportion théorique du hasard (by chance)
Pc : On croise l’occurrence codée par deux observateurs pour chaque modalité (ici A1 x B1) et
on additionne les mêmes croisements pour chaque modalité. Ensuite ce total est divisé par le carré
du nombre total d’événements codés (322 dans l’exemple).
Au niveau de l’interprétation de cette valeur de Kappa, il n’y a pas de seuil d’acceptation en
terme de théorie statistique, mais un consensus existe dans le monde académique pour considérer
qu’au-delà de 0.70, les données sont suffisamment fiables et acceptables.
Une valeur de Kappa plus faible entraîne la révision des catégories du comportement. Cependant,
la nature du comportement influe sur la fiabilité. Certains sont intrinsèquement difficiles à observer
et il faut alors accepter un seuil modéré. Par exemple, le comportement visuel est souvent plus
difficile à déterminer avec un enregistrement vidéo standard ou à l’œil nu, comparé à d’autres
types de comportement.
Dans la phase d’essai, il est conseillé de tester les grilles de codage du comportement et de
déterminer le taux d’accord inter-observateurs. La matrice est très utile pour retrouver les points de
désaccord, parfois concentrés sur une des catégories du comportement.
4. Analyses de données
4.1. Analyse de fréquence
La fréquence d’un comportement renvoie au nombre d’occurrences du
comportement étudié, divisé par le nombre d’unités de temps. Il s’agit
donc non pas d’obtenir un nombre brut mais un taux. Il est utile pour
effectuer des comparaisons lorsque la durée de l’observation diffère
d’un individu à l’autre.
L'occurrence et la fréquence sont basées sur une quantification numérique qui autorise
l’application d’une statistique inférentielle de type paramétrique.
4.2. Analyse de durée
Le relevé de la durée des états ou des comportements permet de calculer la durée totale de
chaque catégorie sur le temps total de l’observation. Par exemple, sur 2 heures d’observation, l’état
A a été observé pour une durée dotale de 30 minutes, l’état B a duré 20 minutes, et ainsi de suite
pour toutes les modalités. Dans un deuxième temps, la prise en compte des autres états permet
d’obtenir un % de temps. Par exemple, l’état A dure 25 % du temps total, etc.
4.3. Analyse de séquence
On s’intéresse ici à l’enchaînement des différents états ou événements
pour éventuellement dégager des schémas de séquences. On recourt à
ce type d’analyse pour l’étude des interactions entre différents individus,
ou pour l’étude de l’enchaînement des comportements chez un
même individu.
Dans certains cas, on peut s’intéresser à relever uniquement un enchaînement de deux
événements, qui sera étudié en relation avec d’autres variables. Prenons comme exemple l’étude de
Bouville (étude 6 dans la partie II). L'auteur a analysé l’enchaînement des « signes de détresse de
l’enfant » et des « réactions de son entourage » dans le cadre de l’interaction adulte-bébé. Durant
une observation d’une journée, il a quantifié le nombre d’occurrences de cette séquence ainsi que
le temps d’intervalle entre le début des pleurs du bébé et la réaction de l’entourage. L'auteur a
étudié ces données en relation avec la variable « état nutritionnel de l’enfant » afin d’étudier le rôle
du facteur relationnel dans le cas de malnutrition modérée (voir l’étude 6).
On peut également analyser l’enchaînement des activités chez un même individu observé. Par
exemple, l’étude de l’efficacité de différentesstratégies dans l’accomplissement d’une tâche peut
s’appuyer sur l’observation des enchaînements de sous-tâches, avec entre autres le calcul de la
probabilité d’enchaînement des sous-tâches deux à deux. Considérons un cas fictif. Durant la
réalisation d’une tâche d’une heure, on observe les fréquences d’enchaînements de quatre soustâches A, B, C, D. Supposons que les combinaisons aient été celles indiquées dans le tableau cidessous. Si on ne prend pas en compte l’enchaînement de deux sous-tâches identiques, 12
enchaînements sont possibles (AB, AC, AD, AE, BA, BC, BD, BE, ainsi de suite). Le tableau suivant
résume les fréquences observées.
Exemple 8 : Matrice de transitions des différentes sous-tâches
À partir de ces quantifications, on calcule la probabilité de chaque enchaînement. Par exemple,
l’enchaînement DA a été observé 7 fois sur un total de 37 enchaînements observés. Sa probabilité
est alors 0.1892 (= 7/37). Les probabilités des tâches après D sont 7/12 (58 %) pour A, 2/12 (17 %)
pour B et 3/12 (25 %) pour C.
L'efficacité dans l’accomplissement de la tâche (en terme de productivité ou qualité par exemple)
pourra ensuite être corrélée à la probabilité des enchaînements des sous-tâches.
Pour plus de détails sur l’analyse de séquences, voir par exemple Bakeman & Gottman (1986).
4.4. Analyse de simultanéité
L'analyse de simultanéité s’intéresse à l’apparition simultanée d’au moins deux comportements
chez un même individu ou chez des personnes différentes. On choisira, en fonction de l’intérêt de
l’étude, de relever le nombre d’occurrences ou la durée des comportements simultanés.
Par exemple, pour étudier l’attention visuelle partagée entre parent-enfant, on peut quantifier le
temps d’attention visuelle de deux partenairessimultanément portée vers la même cible. Le résultat
correspond au temps de regard simultané pour différentes dyades. Un logiciel comme ActogramKronos (voir le chapitre VIIde Kerguelen) fait le calcul de simultanéité de deux variables.
4.5. Traitements statistiques
Dans cet ouvrage d’initiation, nous ne mentionnons que brièvement les traitements statistiques
des données d’observation accessibles aux débutants. Le choix des tests statistiques se fait en
fonction des variables étudiées.
Les données d’observation sont très souvent celles d’une variable nominale ou ordinale. De ce
fait, les tests non paramétriques sont les plus fréquents.
Une erreur fréquente de traitement des données d’observation est la confusion entre les codes en
chiffres et les vraies valeurs numériques quantifiés. Même si les modalités à l’intérieur d’une
variable ont été codées avec des chiffres (1, 2, 3, etc.), ceux-ci n’ont pas de valeurs numériques.
Cela aurait tout aussi bien pu être des lettres ou tout autre symbole.
La comparaison des occurrences ou des fréquences d’un comportement se fait souvent avec un
test de χ2. Cependant ce n’est pas très adapté pour des données ayant un faible effectif (inférieur à 5)
dans une des catégories. La comparaison des moyennes des fréquences entre N groupes fait en
général l’objet d’un t de student (pour la comparaison de deux groupes) ou d’une analyse de
variance (celle de plus de 2 groupes). Une analyse de corrélation est possible pour étudier une
relation entre deux séries de données numériques associées à deux comportements distincts.
4.6. Logiciels disponibles pour analyser les données temporelles d’observation
Plusieurs logiciels permettent l’analyse des données d’observation en séries temporelles et une
visualisation graphique de ces données, que ce soit avec statistiques (Actogram-Kronos, Transana,
Observer, Interact…) ou sans traitement statistique (Anvil, Wavesurfer, Mivurix…).
Pour plus d’information sur « Actogram Kronos » voir le chapitre VIIde Kerguelen. Pour les
autres produits (Anvil, Observer…) les informations sont disponibles sur le Web (voir la
bibliographie).
5. Interprétation des comportements
5.1. Diversité d’interprétation selon la culture des investigateurs
L'interprétation des comportements doit être faite avec précaution en tenant compte des «
préjugés » culturels du chercheur.
Pour illustrer les décalages d’interprétation des résultats entre des chercheurs de différentes
cultures, citons les remarques de Kashiwagi (1988) à partir des problèmes qu’elle a rencontrés
avec ses collaborateurs. Ils ont observé les interactions mère-enfants âgés de 4-6 ans au Japon et
aux États-Unis. La séance d’observation dure une dizaine de minutes durant laquelle l’enfant a une
tâche cognitive à effectuer. La mère peut intervenir comme elle le souhaite. Dans les deux pays
apparaît une séquence où l’enfant n’arrive pas à effectuer une tâche et où sa mère donne plusieurs
explications verbales parfois accompagnées de gestes pour aider. Au bout de quelques minutes,
alors que l’enfant montre qu’il est en difficulté, la mère cesse de donner des indications à son
enfant. Les chercheurs américains et japonais qui visionnaient ensemble cette séquence ont
interprété le phénomène de façon très différente.
Pour les chercheurs américains, « ne pas ajouter d’autres explications quand l’enfant n’arrive
pas à exécuter une tâche » témoigne de l’assurance et de la confiance que la mère éprouve par
rapport à l’explication qu’elle a donnée précédemment. Les chercheurs japonais ont au contraire
interprété cette même séquence comme la démonstration de « l’incapacité de la mère à varier ses
explications pour mieux expliquer ».
Cet exemple montre combien l’interprétation peut différer. En bref, un même comportement
physique ou verbal n’a pas le même sens selon la situation, le milieu ou la culture.
Pour résoudre ce type de problèmes, il est préférable de collaborer avec un chercheur ou un
informateur issu du même milieu culturel que les participants. Il est en plus intéressant de combiner
l’observation avec d’autres méthodes d’investigation. Par exemple, l’entretien permet de disposer
de l’interprétation des participants eux-mêmes sur leur propre comportement observé.
5.2. Rôle du contexte pour la compréhension du comportement
Dans toute interprétation du comportement, nous devons tenir compte des éléments du contexte.
Ceci est vrai pour l’observation en milieu naturelle comme pour l’observation en situation
expérimentale.
De nombreuses études se donnent comme variables dès le départ des éléments du contexte. Par
exemple, pour étudier le conflit interpersonnel, en plus du relevé des occurrences des
comportements conflictuels de chaque individu, les éléments du contexte pris en compte sont
l’horaire (matin, après-midi, soir), le lieu (extérieur ou intérieur du bâtiment), toutes les personnes
présentes, la présence de tel ou tel objet, etc. Des éléments du contexte non choisis comme
variables étudiées peuvent également aider à l’interprétation des faits quantifiés. Par exemple dans
un « conflit interpersonnel », si la fréquence des comportements conflictuels chez une personne
augmente subitement, il est intéressant de s’attarder sur les éléments du contexte : brimade,
contrariété, etc.
5.3. Usage simultané d’autres techniques et leur utilité pour l’interprétation
Nous avons présenté les techniques d’observation directe du comportement et l’importance de
l’objectivation des faits. En plus de cela, pour certaines études, il est très utile de combiner
l’observation directe avec d’autres techniques indirectes (entretien, questionnaire, etc.). Ces
dernières permettent d’avoir des informations sur l’appréhension des faits de la part des acteurs
eux-mêmes. Par exemple, nous pouvons étudier simultanément l’interaction parent-enfant par
observation directe et interroger les parents sur leur perception de cette interaction par un
questionnaire ou un entretien. Les données obtenues par les techniques indirectes (ici, les
appréciations des parents) surprennent parfois et remettent en cause l’interprétation établie
seulement sur la base des données de l’observation directe. Une autre technique consiste à faire
visionner et commenter les scènes filmées, par les acteurs observés afin d’obtenir leurs propres
remarques ou interprétations (voir aussi le chapitre VII). Cette combinaison des techniques
d’observation directe et indirecte est bien sûr limitée à des populations disposant du langage.
Conclusion
Pour une étude utilisant des techniques d’observation, il est important d’avoir un esprit ouvert et
une curiosité pour les nouveautés. Un des intérêts principaux des techniques d’observation directe
est la richesse des éléments observables susceptibles d’apparaître en plus des données visées au
départ.
Au niveau de la construction de la grille d’analyse du comportement, il ne faut pas oublier
l’objectivation des faits. Le but n’est pas de construire les outils qui produisent les résultats
conformes aux attentes de l’observateur. Au cours d’une étude, lorsque les données ne vont pas
dans le sens de l’hypothèse ou lorsqu’apparaissent des phénomènes inattendus, il faut les
considérer comme une bonne occasion de poser de nouvelles questions. Contrairement à ce que
font parfois les débutants, il ne faut surtout pas négliger ou modifier les faits observés ou les
interpréter de façon forcée dans le sens attendu.
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Code de déontologie des psychologues (1996). SFP, ANOP, et AEPU. http://
www.ecpa.fr/upoaded/code_deon.pdf
Commission Nationale Consultative de Déontologie des Pscychologues : site de la Société
Française de Psychologie. www.sfpsy/org
Et pour d’autres approches de l’observation…
BERNAUD, J-L. (1998) Les Méthodes d’évaluation de la personnalité. Dunod (Topos). Chap. 3.
L'observation et l’évaluation du comportement par un expert.
CICCONE, A. (1998). L'observation clinique. Dunod.
GAUTHIER, J-M. (2002). L'observation. un outil didactique, diagnostique et thérapeutique. In JM. Gauthier et al. (eds.)(2002), L'observation en psychothérapie d’enfants. Paris : (chapitre 9 pp.
219-242.).
LEBOVICI, S., DIATKINE, R. & SOULÉ, M. (1985, 2e édition 2004). Nouveau traité de
psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent 1. (chapitres 14, 32, 33, 34).
Seconde Partie
Illustration par des recherches fondamentales
et appliquées
Chapitre IV
Observation centrée sur un individu
ÉTUDE 1
Rôle du toucher dynamique dans la perception des propriétés physiques des objets : exemple
de codage binaire dans une étude expérimentale
Hiroko Norimatsu & Takeshi Shimizu
Mots clefs : Situation expérimentale, Observation filmée, Codage binaire (1-0 sampling),
Analyse d'occurrence, Comportement exploratoire par le toucher dynamique
Introduction
Dans cette section, nous présentons un exemple d’analyse de manipulation d’objet par un
individu humain en situation expérimentale. Ce chapitre illustre le cas d’une observation directe
systématique, filmée. Le comportement observé est provoqué.
Objectifs
De nombreuses informations sur les propriétés des objets peuvent être perçues sans
informations visuelles, par le « toucher dynamique »1. La psychologie écologique (Ecological
psychology)2 attribue au mouvement un rôle des plus importants dans la perception chez l’humain.
Cette théorie considère que « la perception vient de l’extraction des invariants dans
l’environnement ». L'objectif ici est d’étudier la relation entre les différents mouvements
exploratoires (toucher dynamique) et la perception des propriétés physiques des objets (notamment
les invariants). L'aspect développemental est aussi pris en compte (4 groupes d’âges, de 6 à 83 ans).
L'expérimentation est la suivante : les participants sont invités à estimer la longueur d’un bâton
qu’ils tiennent en main mais qu’ils ne voient pas. Ils peuvent bouger le bâton comme ils le
souhaitent. Les différents mouvements exploratoires spontanés exécutés par le participant sont
analysés en relation avec la perception de la longueur du bâton.
Méthodologie
• Participants
Les participants sont 34 personnes âgées de 6 à 83 ans, répartis en 4 groupes d’âges : Enfants (612 ans), Jeunes adultes (21-25 ans), Adultes d’âge moyen (31-56 ans) et Adultes d’âge avancé (6583 ans). Tous sont droitiers sauf un homme de 65 ans.
• Procédure et matériel
La passation était individuelle et d’une durée d’environ 10-15 minutes. Chaque participant a
effectué 12 essais d’estimation de la longueur, avec pour chaque essai un bâton différent (4
longueurs × 3 matières). Jusqu’à la fin de l’expérience, il ne voit pas les bâtons. Les 4 longueurs
sont respectivement de 30, 50, 70 et 90 cm. Les trois matières sont du bois balsa (densité de 0,17
g/cm3), du bois ramin (0,66 g/cm3 ) et del’aluminium (2,70 g/cm33. Chaque bâton est mis dans la
main droite du participant. Un écran est situé en face de lui pour qu’il ne voit pas son bras (voir
figure 1). Pour estimer la longueur du bâton, le participant est libre d’effectuer des mouvements
exploratoires sauf taper quelque part avec le bâton. Une fois l’estimation faite, le participant
indique non verbalement la longueur estimée en positionnant de la main gauche un curseur installé
sur une table à sa gauche (voir figure 1).
Figure 1
. Dispositif expérimental (vue aérienne)
Procédure d’observation
• Type d’observation
Observation systématique filmée durant la séance d’expérience. Le bâton étant tenu de la main
droite, chaque participant est filmé du côté droit, de plein pied.
• Catégories du comportement
Les comportements exploratoires ont été analysés en fonction de 4 catégories de mouvements du
bâton (horizontal, vertical, rotation, autres).
Tableau 1
. Catégories du comportement
Code
Nom
Définition
H
Horizontal
Mouvement horizontal du bâton par rapport au poignet.
V
Vertical
Mouvement vertical du bâton par rapport au poignet.
R
Rotation
Rotation du bout du bâton par rapport au poignet.
A
Autres
Autres mouvements du bâton.
• Type de codage
Codage binaire (1 : présence – 0 : absence) pour chaque essai d’estimation (12 essais par
participant), quelle que soit la durée de l’essai.
• Exemple de grille d’observation
Ici, nous nous intéressons à l’utilisation ou non de différents mouvements exploratoires pour
chaque essai d’estimation (à chaque fois avec un bâton différent). Ainsi, durant un essai
d’estimation de la longueur, nous avons noté la présence (1) ou l’absence (0) de chaque type de
mouvement. Avec ce codage, nous n’avons pas d’information sur le nombre exact d’occurrences,
ni sur la durée des mouvements, ni sur leur ordre d’apparition. Pour une analyse plus fine avec ces
informations, d’autres codages et des grilles d’observation sont possibles, comme par exemple
dans le tableau 3.
Tableau 2
. Grille d’observation utilisée
L'exemple du tableau 3ci-dessous fournit plus d’informations que le tableau 2puisque y apparaît
l’ordre d’apparition des différents mouvements ainsi que leur fréquence. Nous pouvions ajouter
l’information du temps (durée de chaque mouvement en secondes, par exemple) qui peut être en
relation avec l’estimation de la longueur.
Tableau 3
. Un autre type de codage possible
Sujet
No d’essai
Mouvements
V
H
S1
E1
V
A
V
V
E2
H
V
H
E3
A
V
R
…
… ainsi de suite
Traitement des données
Dans un premier temps, le taux d’occurrences des catégories du comportement sur 12 essais a
été calculé pour chaque participant, et ensuite regroupé par groupe d’âges. Nous avons intégré le
mouvement vertical à l’analyse suivante car les trois autres mouvements ont été rarement observés.
Une analyse de covariance (ANCOVA) a été effectuée avec le mouvement vertical comme variable
indépendante et la longueur perçue (réponse donnée par les participants pour chaque bâton) comme
variable dépendante. Les facteurs sont : le groupe d’âge (4 groupes), le sujet (34 personnes, avec le
modèle hiérarchique à partir du groupe d’âge et effet aléatoire), et l’utilisation ou non du
mouvement vertical du bâton. Les covariables sont la « valeur propre maximale » (maximum
eigenvalue : un des composants de moment de tenseur (I1)) et le « moment statique » (M) car il a été
démontré que la perception de la longueur par le toucher dynamique est dépendante de ces deux
éléments (Kingma et al., 2004). Pour les détails de l’analyse et du modèle, voir Shimizu &
Norimatsu (2005).
Résultats principaux
• Les résultats sur la perception des longueurs selon l’âge
Pour chaque matière, le bâton le plus long est perçu comme tel. Il en va de même pour le plus
court. Cependant, comme le montre le tableau 4, selonla matière, les longueurs perçues sont
différentes des longueurs réelles. Ceci montre que lorsqu’un humain essaie de percevoir la
longueur en utilisant le toucher dynamique, en fait, il détecte le moment physique. Selon les
résultats d’ANCOVA à partir des moyennes des coefficients de régression et des ordonnées à
l’origine pour chaque groupe d’âge, le modèle psychophysique de la perception de la longueur
devient le suivant :
Longueur perçue = exp(0.38) log I1^(0.46) M^(-0.21).
La comparaison des quatre groupes d’âge indique que la détection des invariants dynamiques est
meilleure chez les jeunes adultes (effet d’interaction Groupe d’âge × I1 : F(3,333) = 9.15,
p<0.001, Groupe d’âge × M : F(3,30) = 6.33, p<0.01).
Tableau 4
. Longueur perçue des trois types de bâtons : balsa, ramin et aluminium
(moyenne et écart-type de chaque groupe d’âge)
• Taux d’occurrence de chaque catégorie du comportement selon l’âge
Lorsque les participants estiment la longueur des bâtons, quels comportements exploratoires
utilisent-ils ? D’après les résultats de l’analyseavec 4 catégories de comportements exploratoires,
pour tous les groupes d’âges, le mouvement vertical du bâton a été le plus fréquemment utilisé. Les
autres types de mouvement l’étaient rarement (voir les figures 2-a, 2-b, 2-c, et 2-d). Par ailleurs, les
résultats indiquent une évolution du comportement exploratoire avec l’âge.
Figure 2
. Taux d’occurrences de chaque type de mouvement du bâton selon le groupe
d’âge.
(Nombre de participants pour chaque taux d’occurrences).
• Les mouvements exploratoires et la détection des invariants dans la perception de la longueur
L'analyse de covariance a montré que les différences inter-individuelles au niveau de la
perception de la longueur sont associées aux mouvements utilisés. Ce point est important car un
individu qui utilise une stratégie de mouvement exploratoire durant un essai ne l’utilise pas
systématiquement dans d’autres essais d’estimation, et en fonction de la présence d’une stratégie ou
non, la perception des propriétés des objets change. Ici, le taux d’occurrences du « mouvement
vertical » a une relation forte avec la détection des invariants (pour les détails, voir l’étude de
Shimizu & Norimatsu, 2005).
Conclusion
Selon les concepts de la psychologie écologique, l’organisme vivant ne perçoit pas les éléments
de son environnement sans bouger ni rien faire. En effet, un organisme vivant est rarement dans un
état statique, mais plutôt agit sur les éléments de son environnement. L'objectif de la présente étude
était d’étudier le rôle du mouvement exploratoire dans la perception des propriétés d’objets. Pour
cela, l’observation directe du comportement est indispensable.
Afin de mettre en relation la perception des longueurs des objets et les différents mouvements
exploratoires, nous avons fait le choix de la méthode d’analyse du comportement. La fréquence de
chaque comportement est intéressante mais en soi ne peut pas révéler cette relation. Ce qui est
unique dans cette étude est la démonstration que « lorsque le comportement exploratoire change, le
moment physique détectable change quantitativement ». Cette conception justifie notre choix
technique. En effet, la question dépendait plus de l’utilisation ou non d’un certain mouvement
exploratoire. Il suffisait donc de noter la présence ou l’absence des différents mouvements durant
chaque essai d’estimation. C'est pourquoi le nombre exact d’occurrences des mouvements, leur
ordre d’apparition ou encore la durée de chaque mouvement n’ont pas été retenus dans cette étude.
Leur prise en compte n’aurait bien sûr pas nuit à l’étude mais le piège est de passer énormément de
temps sur une analyse très détaillée qui apporte en définitive peu d’informations pertinentes à la
question de recherche. Pour cette raison, il est conseillé de déterminer clairement ce qui est
cherché, et de trouver un moyen à la fois économique et efficace d’obtenir les informations
pertinentes, et elles seulement.
Références
GIBSON, J. J. (1966). The senses considered as perceptual systems. Boston, MA : Houghton
Mifflin.
GIBSON, J. J. (1979). The ecological approach to visual perception. Hillsdale, NJ : Lawrence
Erlbaum Associates.
KINGMA, I., VAN DE LANGENBERG, R., & BEEK, P. (2004). Which mechanical invariants are
associated with the perception of length and heaviness of non visible handheld rod ? Testing the
inertia tensor hypothesis. Journal of Experimental Psychology : Human Perception and
Performance, 30, 346-354.
SHIMIZU, T. & NORIMATSU, H. (2005). Detection of invariants by haptic touch across age
groups : rod length perception. Perceptual and Motor Skills, 100, 543-553. TURVEY, M. T. (1996).
Dynamic touch. American Psychologist, 51, 1134-1152.
ÉTUDE 2
Un robot interactif comme média pour l’observation d’enfants : technique du « Magicien
d’Oz » dans le cadre de la thérapie de l’autisme
Hideki Kozima4
Mots clefs : Magicien d'Oz, Robots interactifs, Robots comme média, Observation participante,
Étude longitudinale, Thérapie de l'autisme
Introduction
La communication préverbale des enfants est l’une des activités humaines des plus difficiles à
étudier dans la mesure où elle ne peut être facilement retranscrite dans un format symbolique.
L'enregistrement vidéo nous aide beaucoup, cependant la présence de la caméra (et naturellement
d’une personne qui l’actionne) affecte souvent le climat détendu des interactions habituelles entre
un enfant et son parent. Si nous positionnons la caméra loin des interactants, nous perdons
l’intensité et la richesse émotionnelle et attentionnelle des échanges. Alors comment pouvons-nous
observer et décrire la richesse des échanges dans les interactions inter-corporelles et
intersubjectives ?
Nous proposons dans la présente étude d’utiliser un robot « interactif » pour observer la
communication préverbale des enfants,ce qui constitue une manière innovante d’observer le
comportement communicatif humain dans des situations de la vie quotidienne. Les fonctions du «
robot » sont double : tout d’abord comme équipement pour l’observation (par exemple, en étant
équipé d’une caméra vidéo) et en tant que partenaire d’interaction pour des enfants. Ceci signifie
que (1) le robot « observe » un enfant et que (2) le robot « interagit » de façon dyadique avec
l’enfant. Ici nous pouvons accorder au robot un statut équivalent à celui d’un « observateur » et
aussi d’un « interactant ». La seconde section présente le robot interactif, qui nous permet de
participer à l’interaction avec un enfant et qui enregistre l’interaction de sa propre perspective. La
troisième section présente notre recherche réalisée dans un service de garderie pour des enfants
présentant des troubles du développement. Nous présentons deux études de cas d’interaction avec
des enfants autistes. En conclusion, la quatrième section discute le sens phénoménologique de
l’observation participante avec des robots comme média dans les situations de la vie quotidienne
d’enfants.
Robots interactifs pour des enfants
Récemment, un certain nombre de chercheurs en psychologie clinique et développementale ont
employé les robots interactifs pour observer le comportement communicatif des enfants. Un des
projets pionniers en la matière est celui d'AuRoRa” (Dautenhahn, 1999), qui a montré que même
les robots mobiles simples offrent aux enfants autistes un environnement relativement répétable et
prévisible encourageant des interactions spontanées telles que les jeux de poursuites avec les
robots. Billard (2002) a conçu le robot qui ressemble à une poupée, Robota, pour le jeu d’imitation
mutuelle avec les enfants autistes. Robins (2004) a intensivement analysé deux enfants jouant ainsi
avec « Robota » et a observé le contrôle mutuel et le comportement coopératif pour en déduire des
actions souhaitables. Michaud (2002), quant à lui, a conçu un certain nombre de robots mobiles et
interactifs, comme « Roball » et « Tito », dans le but d’explorer le rôle des interactions enfantrobot qui pourraient favoriser l’estime de soi des enfants autistes. Par ailleurs, Okada (2005) a
développé un robot qui ressemble à un animal « Muu », pour observer des interactions avec des
enfants autistes dans l’activité partagée d’arrangement de légos colorés.
Figure 1
. Keepon, le robot qui ressemble à un animal.
Il est capable d’établir un contact par le regard et une “attention conjointe” avec un
être humain interactant.
Keepon , le robot
Dans le but de solliciter des interactions quotidiennes avec des enfants de la façon la moins
intrusive possible dans une perspective longitudinale, nous avons construit un robot simple qui
ressemble à un « animal » “Keepon” (figure 1), conçu pour engager des échanges émotionnels et
attentionnels avec les enfants de manière la plus simple et la plus compréhensive possible (Kozima,
Nakagawa & Yano, 2004). Keepon a une apparence d’un bonhomme de neige jaune dont le corps
qui mesure 120 mm est fait en caoutchouc de silicone mou. La partie supérieure (la « tête ») a deux
yeux, qui sont des caméras CCD de couleur avec des objectifs à grand angle (120 degrés,
horizontalement), et un nez, qui est en fait un microphone. La partie basse (le « ventre ») contient
les petits cardans et quatre fils avec lesquels le corps est manœuvré comme une marionnette par
quatre moteurs électriques et des circuits imprimés dans le cylindre noir. Comme le corps est fait
de caoutchouc de silicone et que son intérieur est relativement creux, la tête et le ventre de Keepon
se déforment à chaque fois qu’il change de posture ou que quelqu’un le touche.
Figure 2
. La fonction de Keepon.
Expression de l’attention en bougeant ou tournant sa tête (gauche) et expression de
l’émotion par des petits mouvements latéraux comme « dodeliner », et verticaux comme
« sautiller » (droite).
Le corps de Keepon a quatre degrés de liberté : mouvement de la tête de haut en bas (40 degrés),
la tête qui tourne (gauche-droite, 180 degrés), dodelinement (sorte de balancement) du corps vers
les deux côtés (25 degrés), et « petits sauts » (15 mm de hauteur).
Ces quatre degrés de liberté (ou direction) donnent deux types d’actions qualitativement
différentes :
– action attentive : Keepon s’oriente vers une certaine cible de
l’environnement en bougeant sa tête (haut/bas et droite/gauche). Il semble
percevoir la cible. Cette action inclut un contact par le regard et l’attention
conjointe. (figure de Keepon à gauche) ;
– action émotionnelle : Keepon dodeline (sorte de balancement de gauche
à droite) et/ou sautille ( haut/bas) en gardant son attention sur une cible.
Cela donne l’impression d’exprimer des émotions, telles que le plaisir et
l’excitation, au sujet de la cible de son attention (figure de Keepon à
droite).
Notez que Keepon peut exprimer « ce qu’il » perçoit et « comment » il évalue la cible au travers
de ces deux actions. Ces deux fonctions communicatives de Keepon peuvent facilement être
comprises par les interactants humains, y compris les bébés et les enfants en bas âge.
Figure 3
. Interaction entre Keepon et des enfants sans troubles de développement : un
enfant de 2 ans montrant un jouet à Keepon (à gauche) et un enfant de 5 ans
montrant une direction à Keepon par pointage (à droite).
Pour une expérience préliminaire, nous avons observé 25 enfants en bas âge sans troubles de
développement de trois groupes d’âge différents, ayant moins d’un an, âgés d’une année, et de plus
de 2 ans, interagissant spontanément avec Keepon en présence d’un parent (figure 3). Les
nourrissons de moins d’un an ont essentiellement exploré de façon tactile avec leurs mains et
bouche. Cela peut suggérer qu’ils reconnaissent le robot comme « quelque chose qui bouge ». Les
enfants âgésd’une année ont étendu cette étape par l’exploration des réactions du robot à différents
bruits de l’environnement, identifiant le robot comme un « système réactif ». Les enfants âgés de
deux années sont passés par ces étapes et sont capables d’attribuer des émotions de désir, de plaisir/
mécontentement, et d’aimer/ne pas aimer le robot, identifiant le robot comme « un agent proactif »
pour interagir avec lui socialement.
« Le Magicien d’Oz » comme méthode d’observation
Quand nous observons les interactions des enfants avec Keepon, qui seront décrites plus en détail
dans la prochaine section, un opérateur humain (magicien) télé-actionne Keepon à distance et
observe comment les enfants interagissent avec lui. Cette méthode d’observation où les sujets
interagissent avec un système qu’ils pensent être autonome mais qui est en réalité piloté par un
opérateur invisible s’appelle le « magicien d’Oz ». Le « magicien d’Oz » est l’une des méthodes
d’observation des plus puissantes et satisfaisantes pour observer les interactions sociales humaines,
durant lesquelles les personnes échangent des informations sociales, souvent trop riches pour être
traitées par des technologies informatiques actuelles.
Figure 4
. Un enfant vu du point de vue subjectif de Keepon en tant qu’acteur principal de
l’interaction
L'opérateur humain télé-contrôle l’expression attentionelle, émotionnelle et vocalisations (de
simples sons) de Keepon à l’aide de l’image-vidéo ainsi que du son venant de microphones
intégrés, pris (ou enregistrés) dans la perspective de Keepon (figure 4). En d’autres termes nous
avons enregistré toute information du point de vue subjectif de Keepon en tant qu’acteur principal
de l’interaction. À proprement parler, cette subjectivité appartient à l’opérateur, cependant,
l’interaction estmédiatisée par les actions simples que Keepon réalise, et chaque action réalisée par
Keepon peut être reproduite sur la base des données enregistrées. À ce titre, nous pouvons dire que
Keepon est à la fois un média subjectif (interaction directe avec des enfants) et objectif (par ce que
n’importe qui peut re-expérimenter les interactions), permettant une analyse des interactions
sociales humaines dans un contexte riche.
Observation de terrain
Notre terrain de recherche comprend un service de garderie pour des enfants présentant des
troubles développementaux, particulièrement des enfants manifestant des troubles du spectre
autistique (TSA). La plupart d’entre eux sont âgés entre deux et quatre ans. Leurs parents
(habituellement les mères) et les thérapeutes interagissent avec eux, parfois d’une façon non
structurée (individuellement ou dans une relation enfant/mère/ thérapeute), et parfois dans des
activités plus organisées de groupe (comme des jeux de rythmes ou des lectures d’histoire). Au
travers de ces activités interactives dynamiques et diverses, les actions des enfants sont observées et
saisies dans le contexte social de la vie quotidienne.
Au service de garderie, pendant les quatre dernières années (au travers de plus de 120 sessions
ou au total 850 sessions enfantines), nous avons observé de façon longitudinale un groupe
d’enfants présentant des troubles envahissants du développement, le syndrome d’Asperger, le
syndrome de Down, et autres troubles développementaux. Nous avons observé 35 enfants au total.
Certains d’entre eux sont partis du centre et d’autres y sont nouvellement arrivés pendant cette
période.
Méthodologie
Dans la salle de jeux de ce service de garderie, nous avons mis une version sans fil de Keepon
juste en tant que jouet parmi d’autres au sol. Sept à huit « combinaisons » d’enfant/de mère/de
thérapeutes se sont engagées en sessions thérapeutiques (de trois heures chacune) dans la salle de
jeux, pendant laquelle elles ont sporadiquement interagit avec Keepon. Pendant le jeu libre (durant
la première heure), les enfants pouvaient jouer avec Keepon à tout moment. Pendant les activités de
groupe (durant les deux heures suivantes), Keepon a été déplacé dans un coin de la salle de jeu de
sorte qu’il ne gêne pas les activités. Cependant, si un enfant s’ennuyait ou devenait stressé par les
activités de groupe, il lui était permis de jouer avec Keepon.
Figure 5
. Le système de transcription pour l’annotation manuelle des actions des enfants,
des parents, et des thérapeutes, ainsi que le contexte environnant.
Nous avons enregistré l’interaction de la perspective de Keepon et avons analysé les données
vidéo en utilisant un système de transcription (cf. figure 5) que nous avions développé pour cette
étude. Le système enregistre une séquence d’images immobiles (une image/seconde des données
vidéo). Pour chaque enfant, nous avions annoté manuellement les informations suivantes pour
chaque image :
- Distance à l’enfant : estimée à partir de la taille du corps ou de la tête de l’enfant sur
l’écran informatique. Une fois que la longueur est annotée manuellement avec la souris,
le système calcule automatiquement la distance de Keepon à l’enfant ;
- État attentif : sélectionné manuellement parmi (1) à rien, (2) se mettre en face de Keepon,
(3) fixer Keepon, (4) attention en direction (ou vers) des jouets, (5) attention en direction
de la mère, (6) attention en direction du thérapeute, et (7) autre ;
- Action de Keepon : sélectionnée manuellement parmi (1) rien (2) toucher, (3) essayer de
toucher (4) pointer vers et (5) autre. Également, a été notée la partie du corps utilisée
dans l’action ;
- Descriptions qualitatives : décrit manuellement dans les fenêtres jaunes au-dessous de
l’image vidéo. Nous avons utilisé, dans cette étude,la gauche pour décrire l’état interne
de l’enfant que l’observateur a inter-subjectivement ressenti, et la droite pour décrire ce
que l’opérateur (magicien) avait subjectivement remarqué pendant l’interaction.
Nous sommes intéressés à la compréhension qualitative des états internes de chaque enfant par
rapport au contexte environnant et également à l’analyse quantitative du comportement de chaque
enfant qui soutient la compréhension qualitative. La partie suivante présente des descriptions
qualitatives et, si nécessaire, des données quantitatives, pour deux études de cas représentatives.
Étude de cas 1 : émergence d’interaction dyadique
La première étude de cas concerne « M », une enfant âgée de trois ans présentant des troubles
autistiques. À l’âge chronologique de 1 an et de 11 mois, son âge mental a été estimé à 10 mois. À 3
ans et 5 mois d’âge chronologique, elle a été diagnostiquée comme une enfant autiste avec le retard
mental modéré. Nous décrivons ici comment l’interaction entre l’enfant (M) et Keepon s’est
déroulé en 15 sessions pendant plus de cinq mois (de 3 ans et 9 mois à 4 ans et 1 mois d’âge
chronologique).
– De la session 1 (ci-après désignée comme S1), M a montré un vif intérêt
dans Keepon, mais ne s’est pas approchée près de lui. Par S1 à S7, M a
évité d’être directement regardée par Keepon (aversion de regard fixe) ;
cependant, M l’a progressivement approché de côté et l’a regardé de
profil.
– À la S5, après l’observation d’un garçon mettant un cylindre en papier
sur la tête de Keepon, M est allée voir son thérapeute et l’a tirée par la
manche vers Keepon, lui demandant de façon non-verbale de faire la
même chose. Quand le thérapeute a rempli sa requête, M quitte ou
s’éloigne de Keepon avec une expression de satisfaction sur son visage.
De S5 à S10, sa distance par rapport à Keepon a progressivement diminué
à moins de 50 cm.
– Dans le jeu libre à la S11, M a touché la tête de Keepon à l’aide d’un
xylophone. Pendant l’activité de groupe, M a essayé de toucher Keepon
avec sa main mais ne l’a pas réellement touché. Au moment de la pause de
l’activité de groupe, M s’est assise devant Keepon et a touché son ventre
avec sa main gauche, comme si elle examinait sa texture ou sa
température.
– Après ce premier contact effectué lors de la S11, M a commencé à agir
de façon exploratoire avec Keepon, comme regarder dans son œil, bouger
sa main devant lui, et écouter le son émis par Keepon. Pendant la S12, M
vocalise des « non-mots » à Keepon, comme si elle s’attendait à une
certaine réaction vocale de sa part. Durant la S13, M a mis un capuchon
tricoté sur la tête de Keepon, puis demandé à sa mère de faire la même
chose. A la S14, M a embrassé (réellement) le robot.
Figure 6
. Distance des contacts visuels entre Keepon et l’enfant « M » pour les 15 sessions
ayant eu lieu en 5 mois
Notons que nous n’avons pas pu obtenir les données de la session 1 en raison d’un
problème technique et que nous n’avons pu également observer aucun contact visuel en
raison d’un adieu spécial au service de garderie.
Nous pouvons voir que la curiosité persistante de M a progressivement réduit sa crainte de
Keepon, comme cela est illustré par la diminution régulière du contact visuel sur la figure 6. Nous
observons également ici l’apparition d’interactions dyadiques spontanées (Baron-Cohen, 1995 ;
Tomasello, 1999), comme toucher Keepon avec un xylophone et des interactions dyadiques
interpersonnellement provoquées, telles que mettre un cylindre en papier sur la tête de Keepon. Ce
dernier comportement suggère notamment que M ait été une bonne observatrice des
comportements d’autres, bien qu’elle ait rarement imité d’autres personnes même lorsqu’elle était
guidée pour. Comme l’action du garçon était médiatisée par Keepon et un objet (par exemple le
cylindre en papier) suscitant l’intérêt de M, il sera relativement facile pour elle de faire la même
action et d’obtenir les résultats (Tomasello, 1999).
Étude de cas 2 : émergence d’interaction triadique
La deuxième étude de cas concerne « N », une enfant autiste âgée de trois avec un retard mental
modéré (un an et sept mois d’âge mentalpour un âge chronologique de 3 ans et un mois sans
langage apparent). Nous avons observé ses interactions avec Keepon durant 39 sessions, sur une
période d’environ 17 mois (de 3 ans et 4 mois à 4 ans et 8 mois d’âge chronologique).
- Durant la session 1, N a fixé Keepon pendant longtemps. Après avoir observé un autre
enfant jouer avec Keepon à l’aide d’un jouet, N a été encouragée à faire la même chose,
mais n’a montré aucun intérêt à le faire.
- De la session 2 à la session 14, N n’a pas prêté beaucoup d’attention à Keepon, même
lorsqu’elle s’est assise à côté de lui. Cependant, N a souvent jeté un coup d’œil sur le
robot, quand elle a entendu des sons émis par lui. Le premier contact par le toucher s’est
effectué au cours de la session 10.
- À la S15, après avoir observé un autre enfant mettre un capuchon sur la tête de Keepon, N
a touché Keepon avec son doigt.
- Durant la S16 (après un intervalle de trois mois avec la Session 15), N est venue près de
Keepon et a observé ses mouvements. Pendant le temps du goûter, N est revenue vers
Keepon et a touché son nez, ce à quoi Keepon a répondu par un « sursaut ». N a ensuite
exprimé un état de surprise et un sourire. Les mères et les thérapeutes présents dans la
salle de jeu ont éclaté de rire. Pendant ce jeu, N souvent a regardé de façon référencée et
a souri à sa mère ainsi qu’au thérapeute.
- À la Session 17, N s’est souvent assise devant Keepon avec sa mère ; parfois elle a touché
Keepon pour susciter une réaction. À partir de la Session 20, N a commencé à explorer
les capacités de Keepon par la marche autour de lui pour voir s’il pouvait la suivre.
- Pendant le goûter à la Session 33, N est venue vers Keepon et a commencé « un jeu
d’imitation ». Quand N a effectué un mouvement (d’oscillation comme une sorte de
balancement), tout de suite Keepon l’a « imitée » ; alors N en a fait un autre, et Keepon l’a
imitée à nouveau. De la Session 33 à la Session 39, N a souvent joué ce « jeu d’imitation
» avec Keepon, pendant lequel elle a souvent regardé de façon référencée sa mère et son
thérapeute.
Durant les cinq premiers mois (au cours des 15 sessions), N n’a pas exprimé de curiosité intense
au sujet de Keepon ; même lorsque N était portée dans les bras de sa mère devant Keepon, elle a
juste regardé Keepon mais n’a pas agi. Trois mois plus tard, particulièrement lors de la Session 16
et de la session 33, nous avons été témoins de l’apparition d’interactions triadiques (Tomasello,
1999, Trevarthen, 2001), oùKeepon (ou son action) a fonctionné comme sujet partagé pour des
interactions interpersonnelles entre N et sa mère ou son thérapeute. Au cours de ces interactions
triadiques, qui ont été spontanément réalisées dans une ambiance espiègle et détendue, il a semblé
que N a voulu partager avec les adultes la « merveille » qu’elle avait expérimentée avec Keepon.
Dans ce contexte, la « merveille » était une chose qui a induit des sourires, le rire, ou d’autres
réactions émotives chez elle et son partenaire d’interaction. C'est également à noter que « le jeu
d’imitation » observé la première fois dans la session 33 était unidirectionnel, le jeu au cours
duquel Keepon était l’imitateur et N était le modèle et probablement l’arbitre ; cependant, ceci
impliquait un « tour de rôle » réciproque qui est l’un des composants importants de l’interaction
sociale.
Discussion et conclusion
Nous avons rendu compte dans cette étude de nos observations longitudinales sur la
communication préverbale d’enfants présentant des troubles autistiques. Ces observations ont eu
lieu dans la salle de jeu d’un service de garderie. Les observations ont été faites auprès d’un robot
interactif, Keepon, qui peut largement simuler une attention et des états émotifs au travers d’actions
corporelles. L'analyse qualitative et quantitative de l’approche spontanée des enfants avec le robot
et de l’interaction avec Keepon propose ce qui suit :
- Les enfants, même ceux avec des troubles du spectre autistique, ont été aptes à approcher
spontanément Keepon avec curiosité et sécurité. Probablement parce que le robot
semblait pour eux être ni un humain complexe et imprévisible, ni un jouet simple et
ennuyeux.
- Certains enfants présentant des troubles du spectre autistique ont étendu leurs interactions
dyadiques avec Keepon à celles triadiques et interpersonnelle. Dans ces interactions, ils
ont essayé de partager le plaisir et la surprise qu’ils ont éprouvés auprès de Keepon, avec
d’autres, tels que leurs « parents ».
- Chaque enfant a manifesté un style différent d’interaction qui a changé avec le temps, qui
nous indiquerait une « histoire » au sujet de sa personnalité et de son profil
développemental. Ces tendances uniques ne peuvent pas être complètement expliquées
par une étiquette diagnostique telle que celle de « l’autisme ».
Nous avons utilisé dans cette étude une « observation participante », où Keepon a fonctionné non
seulement comme une caméra mais égalementen tant qu’agent qui a interagi réellement avec les
enfants. L'opérateur humain de Keepon télépilotait et enregistrait les interactions dans la
perspective de Keepon en tant qu’acteur principal des interactions (figure 4). En d’autres termes,
l’opérateur a transféré son point de vue à Keepon, et il (ou elle) pouvait interagir ainsi avec les
enfants au moyen d’une apparence simple de petit robot aux actions compréhensives. À ce titre, les
données vidéos contiennent une des expériences subjectives que Keepon (et ainsi l’opérateur) a
eues dans l’interaction, qui peut alors être re-expérimentées et réinterprétées par n’importe qui y
compris les parents des enfants. Pour récapituler, Keepon fournit à l’opérateur à la fois une
expérience subjective et une évaluation de l’interaction. Il permet également une observation
objective communicable et disponible pour la re-expérience et la réinterprétation.
• Remerciements
L'auteur adresse ses remerciements à Cocoro Nakagawa (NICT) et à Yuriko Yasuda (Service de
garderie de ville d’Omihachiman pour des enfants aux besoins spéciaux) pour leur collaboration et
leur soutien infini lors de l’étude de terrain.
Références
BARON-COHEN, S. (1995). Mindblindness : An Essay on Autism and Theory of Mind.
Cambridge, MA, USA : MIT Press.
BILLARD, A. (2002). Play, dreams and imitation in Robota. In K. Dautenhahn et al. (eds.).
Socially Intelligent Agent. pp. 165-173. Dordrecht, The Netherlands : Kluwer Academic Publishers.
DAUTENHAHN, K. (1999). Robots as social actors : Aurora and the case of autism. Proceedings
of the International Cognitive Technology Conference. pp. 359-374.
KOZIMA, H., NAKAGAWA, C. & YANO, H. (2004). Can a robot empathize with people ?
International Journal of Artificial Life and Robotics, vol. 8, pp. 83-88.
MICHAUD, F. & THÉBERGE-TURMEL, C. (2002). Mobile robotic toys and autism. In K.
Dautenhahn et al. (eds.). Socially Intelligent Agen. pp. 125-132, Dordrecht, The Netherlands :
Kluwer Academic Publishers.
OKADA, M. & GOAN, M. (2005). Modeling sociable artificial creatures : Findings from the
Muu project. Proceedings of the 13th International Conference on Perception and Action.
ROBINS, B., DICKERSON, P., STRIBLING, P. & DAUTENHAHN, K. (2004). Robot-mediated
joint attention in children with autism : A case study in robot-human interaction. Interaction
Studies, vol. 5, pp. 161-198.
TOMASELLO, M. (1999). The Cultural Origins of Human Cognition. Cambridge, MA, USA :
Harvard University Press.
TREVARTHEN, C. (2001). Intrinsic motives for companionship in understanding : Their origin,
development, and significance for infant mental health. Infant Mental Health Journal, vol. 22, pp.
95-131.
ÉTUDE 3
Acquisition de la marche chez le jeune enfant : exemple d’analyse quantitative du
mouvement en trois dimensions
Annick Ledebt
Mots clefs : Cinématique du mouvement, Déplacements en 3 dimensions, Vidéo, Étude
longitudinale.
Introduction
L'analyse du mouvement de la marche que l’on rencontre dans la littérature est basée sur la
quantification de phénomènes directement observables, tels que le déplacement du corps, et non
directement observables telles que les forces et l’activité musculaire qui sous-tendent ces
déplacements. Ce chapitre présente l’analyse quantitative des déplacements corporels directement
observables tels que ceux mesurés par des caméras vidéo (étude de la cinématique).
Objectifs
Analyser le développement du positionnement de la tête et du tronc au cours des premiers mois
d’acquisition de la marche. Les débuts de la marche représentent une expérience totalement
nouvelle pour l’enfant : il lui faut être capable de produire et de contrôler l’alternance des phases
d’appuis sur un pied et sur deux pieds, c’est-à-dire unesuccession de phases de déséquilibres et de
rattrapage d’équilibre, qui permettent une progression vers l’avant. La situation nouvelle à laquelle
le tout jeune marcheur est confronté est la situation de déséquilibre qu’il doit créer et apprendre à
maîtriser afin d’éviter les chutes. Apprendre à marcher peut ainsi être décrit comme le processus
d’intégration de nécessités posturales (stabiliser le corps de manière à éviter une perte d’équilibre
et donc une chute) et de nécessités dynamiques (créer les conditions dynamiques permettant de
déplacer le corps vers l’avant). Apprendre à marcher c’est aussi apprendre à intégrer, c’est-à-dire à
interpréter et à utiliser, les informations sensorielles disponibles pour le contrôle de l’équilibre et
aussi de manière à adapter rapidement la locomotion aux modifications de l’environnement
(Ledebt, 1997). La stabilisation de la tête dans l’espace, qui facilite notamment la stabilisation du
regard et du système vestibulaire, est un moyen d’utiliser le segment céphalique comme un cadre
de référence à partir duquel se ferait le contrôle de la marche (Bril & Ledebt, 1998). La
stabilisation du regard semble par ailleurs être contrôlée de manière fine grâce à la coordination
entre translation et rotation de la tête dans le plan sagittal (Ledebt & Wiener-Vacher, 1996). Ces
deux stratégies font-elles parties des solutions motrices adoptées par l’enfant pour résoudre le
problème de cette nouvelle situation d’équilibre dynamique qu’est la marche ?
Protocole d’observation
Un groupe de sept enfants a été étudié de manière longitudinale afin de suivre au plus près le
développement. Une étude transversale peu en effet masquer certaines évolutions car elle implique
de moyenner les résultats de différents enfants groupés selon leur âge. Chaque enfant fut suivi à
partir du moment de ces premiers pas jusqu’à pour certains 18 mois après les débuts de la marche.
Les mesures de la marche furent effectuées toutes les deux semaines durant les trois premiers mois
puis ensuite une fois toutes les quatre semaines au cours des mois suivants.
Figure 1
. Position des caméras vidéo autour de l’aire de marche (vue aérienne).
Traitement de données et analyse
L'étude du développement de la marche a été appréhendée par l’analyse des rotations de la tête et
du tronc calculés à partir des données cinématiques obtenues par quatre caméras vidéo (Ledebt,
Bril & Wiener-Vacher, 1995). Les données cinématiques correspondent à l’évolution temporelle de
données de position, de vitesse, et d’accélération de points définis sur le corps. Dans ce chapitre
seules sont présentées les données de déplacements.
Dispositif expérimental
Les caméras vidéo (Sony CCD-V800E) sont situées dans une salle mesurant 10 m x 6 m. La
disposition des caméras vidéo autour de l’aire de marche est présentée sur la figure 1. Chaque
caméra est placée à environ 2,5 m du centre d’une surface au sol de 3 m de long et 1 m de large. Un
boîtier servant de support à six diodes émettrices de lumière (petites lampes utilisées ici car elles
s’allument et s’éteignent en un temps très court) est accroché au plafond de manière à être visible
par chacune des caméras. L'allumage des diodes est commandé manuellement par
l’expérimentateur est permet d’obtenir un repère temporel visible sur les quatre enregistrements
vidéo. Ce repère est utilisé afin de synchroniser l’analyse ultérieure des films vidéo. L'étude de
lacinématique de la marche est réalisée à partir de l’enregistrement des positions de marqueurs
corporels par les caméras. Les marqueurs sont constitués de demi-sphères (pâte de bois) ayant
entre 5 à 15 mm de diamètre, entièrement recouvertes d’une matière réfléchissant la lumière
(Scotchlight). Les marqueurs sont collés sur des supports autocollants d’électrodes de surface pour
enfant et placés sur l’enfant qui est complètement déshabillé, au niveau :
- de la tête ; 4 marqueurs placés aux angles externes des yeux et aux tragus des oreilles du
côté gauche et droit ;
- du dos ; 3 marqueurs sont placés le long de la colonne vertébrale (C7, D9-D10, L5).
Un spot lumineux (40 W) est fixé sur chaque caméra, au-dessus de l’objectif et dirigé selon l’axe
optique de la caméra. Ainsi, lorsqu’un marqueur est placé dans le champ de la caméra sa surface
réfléchissante renvoie la lumière incidente du spot vers l’objectif. Le contraste entre les marqueurs
est le reste de l’image est augmentée par une vitesse d’obturation élevée (1/2000). Cette vitesse
d’obturation permet de garder toutes les informations visuelles de la vidéo en évitant les reflets
gênant des murs, du sol et de la peau.
Au début de chaque séance, le champ visuel de chaque caméra est calibré par le filmage d’une
structure de calibration qui est alors placée sur le sol, dans l’aire de marche, selon l’axe de marche
de l’enfant. Cette structure de calibration comprend un volume de 40 cm de largeur, 120 cm de
longueur et de 80 cm de hauteur, constitué de tiges d’aluminium rigide. 24 marqueurs, séparés les
uns des autres par une distance de 40 cm, sont disposés sur les tiges. Cette étape de calibration est
indispensable est nécessite une attention particulière puisque d’elle va dépendre la qualité et la
précision de la mesure en trois dimensions des positions des marqueurs. La mise au point des
caméras est fixée en mode manuel après avoir fait le réglage sur la structure de calibration afin
d’éviter les moments de flou lorsque l’enfant se déplace.
La position des marqueurs est analysée image par image (donc ici 50 par seconde) pour chacun
des quatre films par un logiciel d’analyse de forme (3Dvision, G. Dietrich, Biometrics, Orsay,
France). L'image vidéo est numérisée par une carte (PC+, SECAD) avec une résolution de 768 X
512 pixels. Les 4 matrices de points (en 2 dimensions) obtenues sont transformées en fonction du
calibrage de l’espace calculé à partir des images de la structure de calibration et synchronisées
temporellement grâce à l’allumage des diodes suspendues. Pour chaqueséquence de pas analysée,
on obtient ainsi un fichier en trois dimensions qui permet de localiser les marqueurs dans l’espace
(figure 2). Pour cela il est nécessaire que chaque marqueur soit à chaque instant vu par au moins
deux caméras. Les trajectoires des marqueurs permettent de calculer des variations angulaires de
différentes articulations et de la position des segments.
Ce système d’analyse du mouvement par la vidéo est peu coûteux mais demande beaucoup de
temps d’analyse des images vidéo. De plus, avec des caméras dites « grand publique » la fréquence
d’échantillonnage est limitée à 50 Hz (des caméras à grande vitesse permettent toutefois d’au moins
doubler cette fréquence). Il existe actuellement d’autres systèmes d’analyse du mouvement qui
permettent de réduire considérablement le temps d’analyse mais qui sont aussi beaucoup plus
coûteux. Parmi ceux-là il faut distinguer les systèmes à marqueurs passifs et à marqueurs actifs. Les
premiers utilisent le même type de marqueurs réfléchissants que ceux présentés ci-dessus et des
caméras vidéo infrarouges (tel que le système Vicon). Les seconds utilisent des marqueurs actifs
qui sont des diodes luminescentes reliées par des fils à un boîtier d’alimentation (systèmes
Optotrak et Selspot).
Figure 2
. Déplacements des marqueurs lors d’une séquence de pas effectuée par un jeune
enfant (vue latérale pour un déplacement de gauche à droite ; l’intervalle entre
deux images est de 40 ms).
Les marqueurs de la tête, du dos et des jambes sont reliés afin de faire apparaître ces
différents segments corporels (bien que non analysées ici les jambes sont montrées pour
plus de clarté).
Déroulement d’une séance d’observation
L'enfant est entièrement déshabillé et équipé de petits marqueurs réfléchissant. L'enfant est placé
debout à une extrémité de l’aire de marche, il est ensuite appelé par l’expérimentateur, ou le parent,
situé de l’autre côté à environ 3 mètres. La personne qui appelle l’enfant lui présente un jouet à la
hauteur des yeux et tente d’attirer son attention sur l’objet.
L'enfant effectue au total une quarantaine de séquences de pas afin d’obtenir 15 à 20 séquences
effectuées avec une vitesse constante (sans arrêt au milieu de la traversée). Les caméras vidéo
filment la séance en continue. À chaque traversée l’allumage des diodes est actionné une à deux
fois.
Analyse des données
La stabilisation de la tête et du tronc a été étudiée à partir des variations angulaires dans les
plans sagittal et frontal des angles définis de la manière suivante :
• Pour la tête :
– dans le plan sagittal (terminologie anatomique ; plan qui sépare le corps en une partie gauche
et une partie droite) ; les marqueurs placés respectivement sur le tragus de l’oreille et l’angle
externe de l’orbite définissent le plan orbito-méatal (un peu différent mais proche du plan de
Francfort). La rotation de la tête dans ce plan est appelée le tangage de la tête, et est définie par la
projection de l’angle délimité par le plan orbito méatal et l’horizontale terrestre sur le plan
sagittal ;
– dans le plan frontal (plan qui sépare le corps en une partie avant et une partie arrière) ; le
roulis de la tête est défini par la projection, sur le plan frontal, de l’angle que fait le plan reliant les
deux yeux (droites reliant les deux marqueurs situées aux bords externes des yeux) par rapport à
l’horizontale.
• Pour le tronc :
– dans le plan sagittal ; le tangage du tronc est défini par la projection, dans le plan sagittal, de
l’angle délimité par la droite passant par le marqueur situé en haut du dos et celui situé en bas et la
verticale terrestre ;
– dans le plan frontal ; le roulis du tronc est défini par la projection, dans le plan frontal, de
l’angle délimité par la droite passant par le marqueur situé en haut du dos et celui situé en bas et la
verticale terrestre.
La stabilisation de la tête et du tronc dans l’espace est quantifiée par l’amplitude pic à pic des
variations angulaires calculée à chaque pas. Pour chaque pas, on mesure la valeur de l’angle
correspondant au pic maximum de la distribution. L'amplitude de l’oscillation est égale à la valeur
absolue de la différence des valeurs maximum de deux pas successifs.
La coordination des mouvements de la tête dans le plan sagittal (voir figure 3) est étudiée à
partir des relations entre d’une part, les translations verticales de la tête (déplacement du marqueur
placé au niveau du méat auditif) selon l’axe vertical et d’autre part, les rotations de la tête dans le
plan sagittal (défini ci-dessus). La coordination des mouvements de la tête est mesurée en
représentant les courbes du tangage de la tête et de sa translation selon l’axe vertical en fonction de
la même échelle de temps (figure 3). La quantification du phénomène est faite selon des catégories
définissant des types de relation entre translation et rotation.
Figure 3
. Coordination entre les déplacements verticaux de la tête et les rotations dans le
plan sagittal.
La coordination est analysée pour chaque pic de la translation verticale de la tête, et ceci pour
toutes les séquences de pas analysées et à chaque séance. Au cours de chaque pas, la tête effectue un
déplacementvers le haut puis vers le bas. Chaque pas comprend donc un pic minimum et un pic
maximum de translation verticale. Nous avons considéré que la coordination des mouvements de la
tête était présente lorsque les deux critères suivants étaient présents :
- un pic de rotation en tangage de la tête, et seulement un, apparaît soit, au même instant
qu’un pic de translation verticale, soit à l’intérieur d’une fenêtre temporelle. Cette fenêtre
commence à la moitié du temps qui sépare le pic de translation considéré du pic
précédent et se termine à la moitié du temps qui sépare le pic de translation considéré du
pic suivant ;
- la rotation de la tête était considérée compensatoire de la translation lorsque sa direction
était opposée à celle du pic de translation : quand la tête monte, il y a une rotation vers le
bas et vice versa.
Pour chaque séance, nous avons calculé un indice de coordination des mouvements de la tête
égal au nombre de rotations compensatoires de la tête divisé par le nombre total de pic et exprimé
en pourcentage. Un indice de 100 % à une séance correspond donc à une parfaite coordination des
mouvements de la tête apparaissant pour tous les pics de translation verticale de toutes les
séquences de pas analysées.
Résultats principaux
Les résultats indiquent que l’amplitude des rotations de la tête et du tronc diminue
significativement au cours des vingt premières semaines de marche indépendante (statistiques
détaillées dans les différents articles écrits par l’auteur) selon un développement caractéristique en
deux phases (figure 4). Une première phase correspond aux premières semaines de marche où
l’amplitude des rotations de la tête et du tronc, dans les plans frontal et sagittal, diminue fortement.
La période au cours de laquelle se produit cette rapide diminution des rotations correspond à une
première phase d’évolution rapide d’autres paramètres de la marche tels que la vitesse et la
longueur du pas. Les amplitudes des rotations du tronc et de la tête ne semblent plus évoluer au
cours des semaines suivant la première phase et qui correspond à une période où la progression de
la vitesse et de la longueur du pas est aussi moins rapide.
L'augmentation du pourcentage de coordination ne se fait pas de manière linéaire (figure 5) :
pour un enfant donné, un taux élevé de
Figure 4
. Développement de l’amplitude des rotations (degrés) de la tête et du tronc le plan
frontal pour chacun des sept enfants en fonction des semaines de marche indépendante.
coordination à une séance peut être suivi par un taux moins élevé à la séance suivante.
Néanmoins, malgré l’augmentation irrégulière, le taux de coordination est significativement
corrélé avec l’expérience de marche exprimée en semaine (r = .68, n = 66, p < .01), pour
l’ensemble des moyennes tous enfants confondus. Le taux de coordination au cours de la première
séance de marche est nul chez deux enfants (5 et 6) alors que pour quatre autres enfants (1, 2, 3 et 7)
il est compris entre 8 et 19 %. Le taux de coordination le plus élevé observé au début de la marche
est de 30 % chez l’enfant 4. C'est d’ailleurs chez cet enfant que l’on observe les taux de
coordination les plus élevés au cours des séances suivantes. Chez les enfants qui ont pu être
observés après un an de marche, les taux de coordination calculés alors sont compris entre 40 et 60
%.
Figure 5
. Développement du pourcentage de coordination des mouvements de la tête dans
le plan sagittal pour chacun des sept enfants en fonction des semaines de marche
indépendante.
Conclusion
Par l’analyse des rotations du tronc et de la tête nous avons pu mettre en évidence que ces deux
segments sont rapidement stabilisés dans l’espace au cours des premières semaines de marche
indépendante. Les résultats laissent aussi apparaître que les rotations de la tête dans le plan sagittal
deviennent dans le même temps de plus en plus coordonnées avec le mouvement cyclique des
jambes indiqués par la translation verticale au niveau de la tête. Ce développement des mouvements
observables va dans le sens de précédentes études qui ont analysé les caractéristiques non
directement observables telles que les forces (Ledebt & Bril, 2000). Pris dans leur ensemble ces
résultats suggèrent que le processus d’acquisition de la marche relève d’un véritable apprentissage
d’un équilibre dynamique : apprentissage d’une coordination entre posture (stabilisé le corps en
position debout) et mouvement (déplacer le corps vers l’avant en une succession de pas).
L'analyse cinématique du mouvement permet de calculer des déplacements ainsi que la vitesse et
l’accélération de certains endroits du corps identifiés par des marqueurs. Avec une reconstruction
en trois dimensions de la position des marqueurs, telle qu’effectuée dans cette étude, ces calculs
peuvent être faits selon les trois axes de l’espace(Schleihauf, 2004). Ce moyen d’analyse du
mouvement permet de récolter des données très précises si certaines conditions techniques sont
respectées. La calibration de l’espace doit être précise afin d’obtenir une reconstruction 3D fiable.
Le degré de précision est toutefois dépendant de l’échelle à laquelle le mouvement est analysé : de
l’ordre du millimètre dans le cas de l’analyse de rotations de petites amplitudes (présente étude) ou
du centimètre dans le cas de déplacements de plusieurs mètres. La fréquence d’échantillonnage (ici
50 Hz) doit soigneusement être choisie en fonction de la vitesse du mouvement à analyser : plus le
mouvement est rapide plus cette fréquence doit augmenter. L'apparente objectivité des données
ainsi obtenues est toutefois dépendante du choix de l’expérimentateur quant au placement des
marqueurs sur la peau : ce positionnement doit se faire à l’aide de repères anatomiques précis afin
de pouvoir comparer les données obtenues pour différents participants.
Références
Pour l’abondante littérature internationale nous renvoyons le lecteur aux références
bibliographiques incluses dans les différents articles ci-dessous.
BRIL, B., & LEDEBT, A. (1998). Head coordination as a means to assist sensory integration in
learning to walk. Neuroscience and Biobehavioral Reviews, 22, 555-563.
LEDEBT, A., BRIL, B., & WIENER-VACHER, S. (1995). Trunk and head stabilization during the
first months of independent walking. NeuroReport, 6, 1737-1740.
LEDEBT, A., & WIENER-VACHER, S. (1996). Head coordination in the sagittal plane in toddlers
during walking : preliminary results. Brain Research Bulletin, 40, 371-373.
LEDEBT, A. (1997). L'acquisition de la station debout et de la marche : contribution des
informations sensorielles. Évolutions Psychomotrices, 38, 183-190.
LEDEBT, A., & BRIL, B. (2000). The acquisition of upper body stability during walking in
infant. Developmental Psychobiology, 36, 311-324.
SCHLEIHAUF, R.E. (2004). Biomechanics of Human Movement. Bloomington, IN : AuthorHouse.
1 L'exploration par les efforts musculaires et ses conséquences sensorielles sont appelés « toucher dynamique ». Voir les détails
dans Gibson (1966) et Turvey (1996).
2 Gibson (1966, 1979).
3 Si l’on utilise une seule matière de bâton, les deux variables, « la longueur » et « le moment physique », auront les valeurs de
régression linaire. De ce fait, il sera difficile de démontrer le fait que la longueur perçue par le toucher dynamique corresponde, non à
la longueur réelle, mais au moment physique détecté. Pour résoudre ce problème, trois différentes matières ont été utilisées pour les
mêmes longueurs des bâtons, afin de dissocier les valeurs de ces deux variables.
4 Traduit de l’anglais par Nathalie Pigem & Hiroko Norimatsu.
Chapitre V
Observation centrée sur une dyade
ÉTUDE 4
Les styles de participation d’enfants âgés de cinq-six ans au cours d’une lecture d’album
avec leur mère : exemple de codage continu de l’interaction mère-enfant
Nathalie Pigem
Mots clefs : Observation mère-enfant en milieu naturel, Observation systématique du
comportement, Catégories comportementales, Codage continu, Syntaxe alternée, Fréquences
relatives.
Introduction
Dans cette section, l’exemple d’une observation systématique du comportement dans un contexte
de lecture à haute voix entre des mères etleur enfant de 5-6 ans est présenté. 36 dyades mère-enfant
ont été filmées à leur domicile pendant cette activité de lecture d’album. À partir des
enregistrements vidéos, cette étude examine les comportements utilisés par les enfants pré-lecteurs
au cours d’une lecture d’album non familier. Cette étude vise à identifier une diversité de styles de
participation enfantine à la lecture d’album.
La situation de lecture à haute voix entre des mères et leur enfant a suscité de nombreuses études
dans le cadre du développement des habiletés précoces en lecture. Si le rôle de l’adulte dans ce
contexte a été bien documenté en revanche la diversité des attitudes des enfants l’est moins
(Sénéchal, LeFevre, Thomas et Daley, 1998). À cette fin, nous avons proposé une méthodologie
d’observation systématique permettant de dégager les unités d’analyse du comportement enfantin
en interaction avec son parent. L'objet d’analyse se centre sur la diversité des styles de participation
des enfants en utilisant une « syntaxe alternée ». Cette « syntaxe alternée » permet de tenir compte
également du comportement maternel émis en parallèle à celui de l’enfant (c’est-à-dire que le
comportement de l’enfant est codé ainsi que celui émis en parallèle par sa mère à ce moment
précis). Ainsi l’alternance des comportements est prise en compte de façon continue jusqu’à la fin
de la lecture.
L'objectif méthodologique vise à présenter une grille d’observation qui puisse tenir compte des
comportements verbaux et non verbaux utilisés par les enfants et les mères dans une situation de
lecture en se basant sur : le courant pragmatique (théorie des actes du langage de Searle et
Vanderveken, 1985), des travaux éthologiques (comportement non verbal) et des théories sur
l’apprentissage de la lecture. Cette méthode nous amène à tester la validation de notre objectif de
recherche : une diversité des styles de participation enfantine peut être mise en évidence à partir
d’une observation mère-enfant de lecture d’album en milieu naturel.
Méthodologie
Les 36 enfants observés partagent régulièrement l’activité de lecture avec leur mère (2 à 3
lectures hebdomadaires en moyenne). La moitié de notre échantillon est scolarisée en moyenne
section maternelle (7 filles et 11 garçons dont l’âge moyen est de 57 mois) tandis que l’autre moitié
est en grande section maternelle (10 filles et 8 garçons dont l’âge moyen est de 68 mois). Les
enfants fréquentent l’une des deux écoles maternelles qui participent à notre étude.
Procédure d’observation
Au cours d’une visite au domicile, les familles sont filmées au cours d’une séance où il leur était
demandé de lire l’album qui leur était proposé et inconnu de tous. Tous les participants ont lu le
même album (Ernest et Célestine ont perdu Siméon de Gabrielle Vincent, L'école des Loisirs).
Celui-ci comprend onze doubles pages avec une à trois lignes de texte ou parfois aucun texte sous
l’illustration. L'unique consigne adressée aux familles était d’effectuer cette lecture comme elles
avaient l’habitude de le faire, en prenant le temps souhaité.
Grille d’observation
Nous avons adapté une grille d’observation initialement conçue pour étudier les actes de langage
dans une situation de jeu mère-enfant (Feider, Blicharski, Darjan et Strayer, 1990) à la situation de
lecture d’album (Pigem, 1999). Nous avons pris en compte les comportements observés et
spécifiques à cette situation de lecture (pour une illustration complète de la grille d’observation
utilisée voir Pigem, 1999 et Pigem et Blicharski, 2002). Nous avons codé tous les comportements
verbaux et non verbaux identifiables au cours des échanges entre les mères et les enfants.
Tableau 1
. Exemple de variables verbales de la grille d’observation
La grille d’observation prend en compte les comportements verbaux, les gestes socialement
dirigés vers l’interlocuteur ou l’objet de lecture ainsi que certains comportements nuançant
qualitativement la participation à l’activité (comme la distraction, les demandes d’attention …). Au
final, six variables permettent d’indexer les actions verbales ou non verbales orientées soit vers
l’interlocuteur, soit vers l’objet « livre » (pour exemple voir tableau 1).
Codage des variables
Tous les énoncés et comportements sont retranscrits à partir des enregistrements vidéos. Le
codage commence à partir du moment où l’album est remis à la dyade et il est interrompu quand
l’un des partenaires signifie la fin de la lecture. Le codage s’est effectué en continu (tous les
comportements observables sont codés en fonction de leur apparition, Altmann, 1974, Martin et
Bateson, 1986) pour les comportements des enfants et des adultes au moyen d’une syntaxe alternée
(c’est-à-dire que le comportement de l’adulte est codé ainsi que celui émis en parallèle par l’enfant
à ce moment précis). Cette alternance permet de coder tous les comportements du début à la fin de
la lecture d’album. Ainsi, chaque action (ou unité d’analyse) de l’enfant et de l’adulte est
retranscrite au moyen des six variables. L'action ou l’unité d’analyse peut être soit un
comportement verbal, soit un comportement non verbal (pointer, tourner la page…) soit le
maintien de l’attention quand le sujet est concentré sur son partenaire ou l’album sans expression
verbale ou non verbale particulière. Ainsi est codé le comportement de la mère puis celui de
l’enfant. Cette alternance est respectée jusqu’à la fin de la séance de lecture. Si des comportements
se présentent simultanément les comportements sont codés les uns après les autres en respectant la
syntaxe alternée (cf. tableau 2). Enfin si le locuteur répète une action ou un énoncé émis (par lui ou
son interlocuteur) le comportement est retranscrit deux fois.
Tableau 2
. Exemple de codage
Fiabilité
Le calcul de l’indice de Kappa de Cohen a été réalisé sur la base de 300 comportements
(moyenne de .75 variant de .73 à .90).
Traitement des données
Dans un premier temps, des indices de la fréquence relative d’utilisation de chacune des six
variables sont calculés pour l’ensemble de l’échantillon des enfants. Ainsi nous pouvons connaître
l’usage différentiel de chacune des six catégories par les 36 enfants. Il apparaît que la catégorie «
maintien de l’attention » représente à elle seule 49,30 %de la participation des enfants dans cette
situation de lecture d’album. C'est-à-dire que pendant près de la moitié du temps de la séance, les
enfants maintiennent leur attention sur l’activité de leur mère ou sur l’album. Afin de faciliter
l’interprétation des résultats des cinq autres variables, les mesures sont exprimées en pourcentages
(type de variable/total des cinq variables*100). Les moyennes ainsi obtenues nous indiquent alors
quelles sont les variables les plus utilisées par les enfants. La sixième variable « Maintien
d’attention » sera utilisée dans les analyses subséquentes pour différencier les styles de
participation des enfants. Dans un second temps, il s’agit de réaliser une classification des 36
enfants à partir des six variables de participation enfantine. Une analyse en regroupements
hiérarchiques (méthode complète) permet d’identifier les enfants ayant obtenu les scores les plus
similaires concernant ces six variables. Dans un troisième temps, des analyses de variance
univariées permettent de différencier les styles de participation sur la base des scores obtenus par
les sujets sur les six variables (pour les détails de l’analyse : voir Pigem, 1999).
Résultats principaux
Nous avons procédé au calcul de la fréquence d’utilisation des six variables par l’ensemble des
enfants. Les indices de fréquence relative mettent en évidence l’usage différentiel des variables par
les sujets (ce qui nous renseigne sur la diversité d’utilisation de ces dernières).
L'examen des moyennes indique que ce sont les variables : « Coordination sociale » (31,44 %), «
Désynchronie sociale » (31,04 %) et « Traitement de l’information » (27,33 %) qui sont les plus
utilisées par les enfants. Les variables « Gestion de la lecture » et « Complément d’information »
sont nettement moins fréquentes (respectivement 8,64 % et 1,55 %).
L'analyse en regroupements hiérarchiques effectuée sur les fréquences relatives d’utilisation des
variables regroupe les sujets en trois profils distincts composés respectivement de 16, 9 et 11
enfants. Des analyses de variance simple précisent les différences entre les trois profils à partir des
pourcentages d’utilisation des variables. Parmi les six variables de la grille d’observation, seule «
Gestion de la lecture » ne permet pas de différencier les trois styles de participation de façon
significative. Ces analyses ont permis d’illustrer trois styles de participation bien distincts : « Style
Centré sur l’information », « Style centré sur l’échange » et « Style Désynchrone ». Le style
nommé « Centré surl’information » (n = 16) regroupe les enfants qui utilisent le plus souvent le «
Traitement de l’information » (38,54 %) et « Complément d’information » (3,20 %). Ces enfants
sont moyennement « distraits » (12,64 %) par rapport au « style désynchrone » : 43,02 % et au style
« centré sur l’échange » : 8,33 % et sont ceux font le moins référence à des comportements de «
coordination sociale » comme des affects positifs, des demandes d’action à l’égard de leur mère
(23,68 %). Quant au « maintien de l’attention », ce sont ces enfants qui ont le score le plus élevé
(59,06 %) Le style nommé « Centré sur l’échange » (n = 9) regroupe les enfants qui utilisent le plus
la « coordination sociale » (51,55 %). Ils sont les moins « distraits » (8,33 %) et sont ceux qui ont
des scores les plus faibles sur la variable « désynchronie sociale » (11,05 %). Enfin, comme leur
appellation l’indique les enfants du style « désynchrone » (n = 11) regroupe les enfants qui le score
le plus élevé en « désynchronie sociale » (57,35 %) et n’utilisent à aucun moment le « complément
d’information » (0,00 %) et le moins souvent par rapport à leurs pairs la catégorie « Traitement
d’information » (13,31 %). Ces enfants font preuve d’une très grande « distraction » (59,06 %)
durant la séance de la lecture et sont ceux qui maintiennent le moins leur attention en réponse aux
actions de leur mère (38,45 %).
L'objectif méthodologique visait à présenter une grille d’observation qui puisse tenir compte à la
fois des comportements verbaux et non verbaux utilisés par les enfants pré-lecteurs dans une
situation de lecture partagée.
Cette méthode nous amène tester la validation de notre objectif de recherche : une diversité des
styles de participation enfantine peut être mise en évidence à partir d’une observation mère-enfant
de lecture d’album en milieu naturel.
Conclusion
L'observation permet de rendre compte de la qualité des interactions au-delà de la fréquence des
activités de lecture proposées par les parents à leur enfant. Cela rend compte de l’utilité de cette
méthode d’observation systématique du comportement pour des champs de recherche où la
désirabilité sociale est forte.
L'intérêt majeur de cette étude a consisté à illustrer la contribution de l’enfant dans l’interaction
adulte/enfant et la diversité des participations enfantines dans le contexte de lecture partagée avec
leur mère. Au travers de ces styles de participation, on peut émettre l’hypothèsede certaines
régularités interactives. Il convient alors de vérifier la stabilité de ces styles de participation
enfantine en lien avec le développement des compétences orales et écrites des enfants. Elle peut
ainsi être utilisée en complément de méthodes indirectes telles que des questionnaires (par
exemple, pour notre étude : un questionnaire à propos des pratiques de lecture des familles afin
d’appréhender le rôle des expériences de lecture et l’importance des facteurs individuels).
Pour des études futures, certaines précautions sont à envisager : Cette méthode a l’inconvénient
de demander un temps conséquent, le coût est assez élevé. Il faut envisager cet aspect dès le début
d’une recherche.
• Remerciements
Nous remercions la revue Enfance pour avoir accepté de faire référence à notre étude publiée en
2002.
Références
ALTMANN, J. (1974). Observational study of behavior : sampling methods. Behaviour, 49, 227265.
FEIDER, H., BLICHARSKI, T., DARJAN D., et STRAYER, F.F. (1990). Observer la
communication mère-enfant en milieu naturel, étude exploratoire étholinguistique. In C. Garnier
(ed.), L'observation et le développement, Montréal, Presses de l’Université du Québec à Montréal.
MARTIN, P. et BATESON, P. (1986). Measuring behaviour, An introductory guide, Cambridge
University Press.
PIGEM, N. (1999). Styles de lecture mère-enfant et émergence de la littéracie, thèse de doctorat
en psychologie, sous la direction du Pr F.F. Strayer, Université Toulouse Le Mirail.
PIGEM, N. et BLICHARSKI, T. (2002). Les styles de participation des enfants de cinq-six ans au
cours d’une lecture d’album, Enfance, 2, 169-186, PUF.
SEARLE, J.R. et VANDERVEKEN, D. (1985). Foundations of illocutionary logic, Cambridge :
Cambridge University Press.
SÉNÉCHAL, M., LEFEVRE, J. A, THOMAS, E. M., et DALEY, K.E. (1998). Differential effects
of home literacy experiences on the development of oral and written language. Reading Research
Quaterly, vol. 33, n° 1, 96-116.
ÉTUDE 5
Apprentissage professionnel en binôme : exemple de codage et d’analyse d’une série
temporelle d’activité auprès d’agents de maintenance ferroviaire en formation
Catherine Delgoulet
Mots clefs : Situation de formation professionnelle, Observation filmée, Codage descriptif et
interprétatif de l'activité, Analyses temporelles (chronologie, occurrence, durée), Stratégies
opératoires.
Introduction
Une recherche en situation réelle de formation professionnelle nous permet d’illustrer l’étude de
l’activité d’apprentissage dans le cadre de la réalisation en binôme d’un exercice technique par des
agents de maintenance. L'analyse, par observation systématique filmée, vise à décrire et interpréter
les actions et communications déployées par les participants.
Objectifs
Depuis quelques années, un des enjeux pour les entreprises a été de faire face aux exigences de
plus en plus fortes de qualité, tout en maintenantles exigences de production. Elles ont été amenées
à s’engager dans la mise en place de démarches « qualité » (ISO1 ou autres) qui se sont souvent
traduites par un renforcement de la prescription en vue de rationaliser, d’homogénéiser et de tracer
les pratiques de travail. L'hypothèse implicite, mais non vérifiée, étant que l’homogénéisation est
un vecteur de qualité. La réponse à cet enjeu passe souvent par la mise en place de formations « à la
bonne manière de faire ».
Dans le secteur de la maintenance ferroviaire où a été menée l’étude, une formation a été conçue
pour accompagner la mise en place des nouvelles normes de travail. Elle vise à apprendre aux
agents à pratiquer, selon des règles prescrites de qualité ISO, une technique spécifique de
maintenance : les Examens Non Destructifs (END). De manière assez inhabituelle pour l’entreprise,
qui forme davantage ses agents jeunes et volontaires, cette formation concerne tous les agents qui
utilisent cette technique que ceux-ci soient jeunes ou âgés, expérimentés ou non en la matière.
L'arrivée en formation d’une population d’agents faiblement qualifiés et âgés inquiète les
responsables. Il s’agit alors pour l’ergonome d’apporter des éléments de connaissances sur les
difficultés éventuelles que rencontrent les plus âgés dans cette formation et plus largement des
connaissances sur la relation « âge-formation ».
Cette contribution ne se propose pas de retracer la totalité de l’étude (Delgoulet & Gonon, 2000 ;
Delgoulet, 2001 ; Delgoulet & Marquié, 2002) mais se centre plus particulièrement sur l’analyse
des stratégies mises en œuvre par les stagiaires, d’âges et d’expériences différents, dans la
réalisation commune d’une tâche d’apprentissage professionnel. Les stagiaires pouvant avoir déjà
pratiqué la magnétoscopie avant de suivre la formation, il est notamment important de comprendre
quel rôle joue l’expérience dans cette situation de formation. Pour cela nous nous appuyons sur un
cadre d’analyse de la dimension collective de l'activité2 de travail qui propose des outils
opérationnels pour décrire et interpréter les modalités des interactions dans un collectif de travail
ou de formation (Barthe & Quéinnec, 1999).
Méthodologie
La situation étudiée est une formation à une technique de maintenance faisant partie des END. La
magnétoscopie est une technique d’aimantationpar courant électrique permettant de rendre visibles
les défauts de pièces métalliques. La formation s’étend sur une semaine et comprend deux parties :
l’une consacrée aux cours théoriques et réglementaires ; l’autre à la réalisation d’exercices
pratiques. La formation s’adresse à des ouvriers de maintenance ferroviaire ayant déjà une
formation technique générale en maintenance. L'enjeu est double : elle permet aux stagiaires
d’obtenir la reconnaissance de leur aptitude à pratiquer la magnétoscopie ; mais elle les rend aussi
pénalement responsables des contrôles qu’ils effectueront dans les ateliers.
Les sessions pratiques, objet d’étude ici, consistent en des exercices de magnétoscopie effectués
en atelier de formation sur des pièces défectueuses. La tâche3 d’apprentissage consiste à rechercher
la présence de fissures sur ces pièces en suivant la procédure définie à partir de la norme qualité
ISO 9002. Ceci signifie qu’il faut installer le système d’aimantation, contrôler les conditions
d’aimantation, examiner la pièce, identifier les fissures éventuelles, consigner les informations
relatives aux mesures et fissures visualisées, démonter le système d’aimantation et le ranger. La
réalisation s’effectue en binôme (librement constitué), dans l’obscurité (pas plus de 10 lux) à l’aide
d’un produit révélateur fluorescent.
Dans ce cadre, les stagiaires doivent maintenir des postures statiques autour de la pièce à
contrôler, lire la procédure, réaliser la tâche dans l’obscurité (exigence perceptive) et maintenir
leur attention lors du contrôle afin d’identifier la fissure. Cette tâche nécessite également que les
stagiaires transfèrent les connaissances, les notions théoriques vues en cours, ou les connaissances
ou savoir-faire pratiques issus de leur expérience, à la situation présente afin d’identifier dans quel
sens rechercher les fissures potentielles, dans quel sens aimanter la pièce, comment utiliser les
différents appareils de contrôle des conditions d’examen, comment faire les changements d’échelle
de mesure, etc. L'apprentissage en binôme suppose qu’il y ait coordination des points de vue sur la
façon d’opérer (négociation), coordination des actions ou répartition des tâches au sein du binôme.
Sur la base du volontariat et dans le respect de l’anonymat, l’activité de trois binômes de
stagiaires a été étudiée. Ils sont composés d’agents de maintenance d’âges, d’anciennetés dans
l’entreprise et d’expériences de la magnétoscopie variés (cf. tableau 1).
Tableau 1
. Composition des 3 binômes : âge (Â), Ancienneté (A) et expérience de la
magnétoscopie (Exp, Inexp).
Codag e binômes âg eExp-âg eExp
Stag iaire A
Stag iaire B
38I-25I
 : 38 ans ; A : 14 ans ; Inexp
 : 25 ans ; A : 7 mois ; Inexp
40I-38E
 : 40 ans ; A : 21 ans ; Inexp
 : 38 ans ; A : 16 ans ; Exp
45I-46E
 : 45 ans ; A : 20 ans ; Inexp
 : 46 ans ; A : 23 ans ; Exp
Protocole d’observation
• Type d’observation
Lors des séances pratiques, nous avons filmé l’activité des stagiaires en binôme sur une pièce
particulière, un balancier. Le choix de l’exercice s’est fait en fonction du contexte de formation : la
réalisation en binôme, parce que c’est la règle donnée par le formateur ; le balancier, parce que
c’est une pièce représentative du travail de magnétoscopie dans les ateliers. Les participants étaient
filmés de plain-pied, par une caméra numérique capable de filmer en situation de faible intensité
lumineuse. L'observateur, présent en continu durant la réalisation de l’exercice, notait les
événements (nature et horaire) survenant hors du champ couvert par la caméra et pertinents pour la
compréhension ultérieure du film. Par exemple, les deux stagiaires attendent et l’observateur
constate, hors champ, qu’ils attendent la venue du formateur qui est occupé à aider un autre binôme
réalisant en parallèle un autre exercice. Cet événement est consigné.
• Un codage descriptif
Ce codage rend compte de ce qui est directement observable, c’est-à-dire ici : des actions des
stagiaires et, au niveau des communications, l’identification des locuteurs et interlocuteurs, des
prises de parole et la transcription des verbalisations (cf. tableau 2).
Il n’y a pas de chronologie prédéfinie de réalisation de l’exercice qui n’est pas non plus limitée
strictement dans le temps. Certains binômes mettent un peu plus d’une demi-heure alors que
d’autres ont besoin de plus d’une heure.
Vous trouverez un exemple de codage descriptif dans le tableau 3.
Tableau 2
. Définition des variables descriptives
Variables et leurs modalités
Actions
Définitions des modalités
Procédure
Lire la procédure d’actions (selon norme ISO)
Matériel
Se munir du matériel nécessaire à l’examen
Monte SA
Monter le système d’aimantation
Conditions d’aimantation
Contrôler la conformité des conditions d’examen
Examine pièce
Examiner la pièce
Identifie fissure
Identifier la fissure
Consigne infos
Consigner les informations relatives aux conditions d’examen et à la fissure
Nettoie
Nettoyer le matériel et la pièce
Range
Ranger le matériel
Suit
Suivre l’activité de l’autre ou du formateur en tant qu’observateur
Attend
Attendre l’autre ou le formateur
Autre
Discussion entre stagiaire ou avec le formateur sans exécution d’action en parallèle.
Locuteur
A, B, F, autre
Stagiaire A ou B, formateur ou autre personne
Interlocuteur A, B, F, autre
Stagiaire A ou B, formateur, autre personne, la cantonade ou non identifié
Communication
Parler au partenaire, à un autre stagiaire,
Parle
au formateur ou se parler
Tableau 3
. Grille de codage descriptif des actions et communications
Horodatag e
Événement
00 min
A Consignes
00 min
B Monte SA
00 min 5 s
A Parle B « Il faut d’abord placer la spire »
02 min 10 s
A Monte SA
03 min 40 s
A Consignes
• Un codage interprétatif
Ce codage (une relecture a posteriori des faits observés) vise à définir l’avancée du binôme sur
l’exercice (en termes de phases réalisées)et la fonction de « guidage » des verbalisations dans la
réalisation de l’exercice. Huit phases de réalisation de l’exercice et 4 fonctions de guidage des
communications verbales ont été identifiées et définies à partir de l’analyse de la littérature
(Savoyant & Leplat, 1983) et de la tâche mais aussi de la description préalable de l’activité (cf.
tableau 4).
Tableau 4
. Définition des variables interprétatives
Traitement des données
Une analyse statistique descriptive de l’activité d’apprentissage des 3 binômes de stagiaires a été
réalisée a posteriori à l’aide du logiciel Kronos (Kerguelen, 2001) sur la base des enregistrements
vidéo. Lors du codage descriptif, la chronologie, la durée et la fréquence d’apparition des
observables sont analysées. L'occurrence est prise en compte dans le cas du codage interprétatif.
Résultats principaux
Dans cette situation de formation professionnelle, il est possible de représenter l’activité des
deux stagiaires lors de la réalisation de l’exercice de magnétoscopie à partir d’un corpus descriptif.
Le graphique suivant (cf. figure 1) permet de visualiser l’enchaînement des différentes actions des
stagiaires (A Consignes ou B Monte SA…), la présence du formateur (Formateur) et la répartition
des verbalisations tout au long de l’exercice (A parle, B parle, F parle).
Figure 1
. Graphe du déroulement d’un exercice réalisé par A et B en 37 min.
L'analyse de l’activité des 3 binômes montre que globalement, les stagiaires participent à
l’ensemble de la tâche de magnétoscopie (chaque stagiaire effectue au minimum 10 actions sur les
12 identifiées). Seules les actions d’enregistrement des conditions d’ambiance et des
caractéristiques de la fissure sur une fiche récapitulative (les 3 binômes), d’approvisionnement en
appareils (binôme 40I-38E) et de nettoyage de la pièce ou du système d’aimantation (binôme 38I25I) sont prises en charge par un seul stagiaire. Notons que ces spécialisations à l’intérieur des
binômes sont réduites en temps (5,6 % du temps) et semblent indépendantes de l’âge et de
l’expérience des stagiaires.
Si cette première analyse de la répartition des actions montre que les étapes de la magnétoscopie
sont réalisées indifféremment par l’un ou l’autre des stagiaires, ce n’est pas pour autant qu’elles
sont toujours accomplies au même moment. Les binômes composés des stagiaires les plus âgés
et/ou expérimentés (40I-38E et 46I-45E) réalisent leursactions souvent simultanément
(respectivement 68 % et 62,7 % du temps). En revanche, les membres inexpérimentés du binôme
38I-25I adoptent un fonctionnement plutôt en différé : pendant que l’un accomplit une action,
l’autre en accomplit une autre (52,6 % du temps). De plus, ils ne réalisent pas toujours la tâche à
deux : par exemple quand 25I examine la pièce, 38I le regarde agir durant 45,7 % du temps. Ces
résultats laisseraient supposer que les stagiaires âgés et/ ou expérimentés parviennent à se
coordonner dans la réalisation de l’exercice, ce que les plus jeunes inexpérimentés auraient des
difficultés à faire. Pour avancer sur cette hypothèse, nous allons identifier, à partir de la fonction de
guidage des verbalisations, qui décide des actions à effectuer et du moment.
L'analyse interprétative des données (pour un exemple, cf. figure 2) met en évidence l’existence
d’une prise en charge du guidage de l’action par les stagiaires expérimentés.
Figure 2
. Visualisation des communications de guidage selon les phases de l’exercice (A
agent inexpérimenté ; B agent expérimenté).
Dans les binômes 40I-38E et 46I-45E, c’est le stagiaire expérimenté qui déclenche et oriente
l’action, mais surtout c’est le seul à évaluer la « qualité » du travail et à conclure une phase avant de
passer à une autre. Ceci permet à ces deux binômes d’enchaîner les phases les unes aux autres sans
aller-retour sur les différentes phases (sauf 1). Dans le binôme des stagiaires plus jeunes et
inexpérimentés (38I-25I),les décisions (en abondance : 51 % des messages, contre 37 % et 32,3 %
pour les 2 autres binômes) sont prises par les deux protagonistes. A l’inverse, les phases ne
s’enchaînent pas, et 10 aller-retour sont effectués sur différentes phases de l’exercice, ce qui
témoigne d’une progression par tâtonnement. Ceci semble confirmer le rôle primordial des
stagiaires expérimentés (et anciens dans l’entreprise), notamment dans la coordination des actions
de chacun et dans l’accompagnement du déroulement de l’exercice.
Conclusion
Dans cette situation de formation professionnelle, l’analyse conjointe des actions et des
communications permet de pointer le rôle exercé par les stagiaires expérimentés en
magnétoscopie, et/ou anciens dans l’entreprise, dans l’organisation de la réalisation de la tâche et
dans la transmission de connaissances relatives à la réalité de travail de la magnétoscopie dans les
ateliers de maintenance ferroviaire. Les expérimentés racontent leurs conditions de travail, les
indices qui leur permettent de savoir si une pièce est suspecte ou non ; les anciens (qui ne sont pas
forcément expérimentés dans cette technique de maintenance) racontent les différentes politiques de
maintenance qu’ils ont eu à suivre, les spécificités des pièces à contrôler. C'est pourquoi étant
donné le temps imparti à l’apprentissage de la pratique en formation (seulement 2 demi-journées)
se pose la question de la pertinence d’un apprentissage en commun lorsque les binômes sont
composés de stagiaires inexpérimentés (jeunes ou plus âgés).
Cette technique d’observation filmée peut s’avérer lourde d’utilisation surtout lorsque les délais
d’étude sont courts (parfois quelques jours lors d’interventions en entreprise). Toutefois, elle est
également très riche d’enseignement et à l’énorme avantage de permettre de diversifier les types de
codage sur une même séquence d’observation en fonction des questions d’étude posées (codage
grossier ou très fin ; codage des faits ou de leur interprétation ; codage des actions, des gestes et
postures, des communications, des déplacements, des cycles d’activité, etc.).
Références
BARTHE, B., & QUÉINNEC, Y. (1999). Terminologie et perspectives d’analyse du travail
collectif en ergonomie. L'Année psychologique, 99, 663-686.
DELGOULET, C. (2001). La construction des liens entre situations de travail et situations
d’apprentissage dans la formation professionnelle. PISTES http://www.unites.uqam.ca/pistes/>. 3(2).
DELGOULET, C., & GONNON, O. (2000). L'épreuve de l’apprentissage en milieu de carrière :
conditions affectives et motivationnelles. Formation-Emploi. 71, 53-65.
DELGOULET, C., & MARQUIÉ, J.-C. (2002). Age differences in learning maintenance skills : a
field study. Experimental Aging Research, 28, 25-37.
FALZON, P. (2004). Nature, objectifs et connaissances de l’ergonomie. Éléments d’une analyse
cognitive de la pratique. In P. Falzon (ed.), Ergonomie (pp. 17-35), Paris : PUF.
KERGUELEN, A. (2001). Actogram Kronos pour Windows. Toulouse : Octarès Éditions.
SAVOYANT, A., & LEPLAT, J. (1983). Statut et fonction des communications dans l’activité des
équipes de travail. Psychologie Française, 28, 3/4, 247-253.
ÉTUDE 6
Interactions familiales associées à l’apparition et à l’évolution de la malnutrition infantile :
exemple d’observation naturaliste systématique longitudinale
Jean-François Bouville
Mots clefs : Observation naturaliste, Étude longitudinale, Analyse de fréquence, de durée, de
séquence, Échantillonnage complet et continu avec unité de temps préétablie.
Introduction
Dans cette section, nous présentons un exemple d’analyse du comportement chez un enfant de 624 mois avec divers membres de l’entourage familial. L'objet d’analyse concerne les interactions
générales et alimentaires enfant-entourage avec observations écrites en temps réel sur des journées
entières en milieu naturel.
Objectifs
De nombreuses études rendent compte d’une participation socio-familiale et psychologique sur
la dégradation nutritionnelle de l’enfant en milieu tropical (voir Bouville, 1996, pour une synthèse)
sans préciser, toutefois, la nature des mécanismes en jeu. Notre travail vise à mieuxcomprendre
comment la relation entre l’enfant et son entourage maternant, au niveau affectif et alimentaire,
peut être associée à l’apparition et à l’évolution de ses symptômes nutritionnels. Le lien
d’attachement (Bowlby, 1969-1980) est conçu comme besoin social fondamental indépendant du
besoin de se nourrir. Certaines circonstances relationnelles peuvent ainsi amener l’enfant à se
détourner de l’aliment quelles qu’en soient les conséquences nutritionnelles. Dans cette perspective
qui s’apparente, plus globalement, à la psychopathologie développementale et clinique, l’objectif
spécifique de l’étude est de cerner, de manière prospective, l’évolution des liens entre les patterns
d’attachement enfant-entourage, leurs modes d’interaction alimentaires, et l’état nutritionnel du
jeune enfant. Par souci de concision, nous n’évoquerons ici que l’association entre la qualité
d’attachement et l’état nutritionnel de l’enfant (voir Bouville, 2003 et 2004, pour plus de détails).
Méthodologie
Cette problématique exploratoire nécessite une approche écologique du développement de
l'enfant4, à la fois contextuelle et longitudinale (espace-temps étendu), mais aussi de rendre compte
de comportements précis pouvant être comparés de manière rigoureuse. L'observation naturaliste
systématique de type éthologique est la procédure méthodologique la plus pertinente, nous semblet-il, pour traiter l’ensemble des dimensions du problème. Cette méthode d’investigation est
détaillée dans la première partie de l’ouvrage. Rappelons seulement qu’elle consiste à relever, sur
le lieu de vie de l’enfant, les items préétablis d’une grille d’observation constituée de modalités
mutuellement exclusives les unes des autres au sein d’une même variable d’observation (variables
codées et retranscrites selon la méthode des séries temporelles permettant de déterminer la durée,
la succession et la fréquence d’apparition des comportements observés).
Cette démarche nous a permis d’appréhender le contexte relationnel élargi de l’enfant tel qu’il se
déroule dans son lieu de vie au cours de la journée ; soit, en l’occurrence, la présence ou l’absence
de plusieurs partenaires d’interaction (père, mère, autres adultes, autres enfants) et le relevé
chronologique de divers types d’interactions (sociales, desoins, alimentaires). Les observations
longitudinales ont rendues compte de l’évolution des phénomènes étudiés, ce qui permet de
distinguer les facteurs étiologiques (causes) des caractéristiques de la pathologie (comportements
associés au déficit nutritionnel). L'observation naturaliste systématique permet aussi la mise en
relation à la fois synchronique et diachronique de variables nécessaire à l’évaluation de concepts
cliniques. La qualité d’attachement de l’environnement relationnel et quatre patterns d’attachement
naturalistes entre l’enfant et son entourage maternant ont ainsi été évalués de manière comparative
sur la base d’une dynamique de facteurs comprenant la sensibilité maternelle5, la disponibilité de
l’entourage à l’égard de l'enfant, et ses comportements d’attachement et d'exploration6 (voir
Bouville, 2004, pour la constitution des schèmes comportementaux d’attachement).
Protocole d’observation
Choix et codage des variables
Les variables d’observation de l’étude, constituées chacune d’un certain nombre de modalités
spécifiques, mutuellement exclusives les unes des autres, sont l’état de veille de l’enfant, l’activité
de l’enfant seul, son alimentation, le type d’interaction enfant-entourage, les signaux de l’enfant, les
gestes de l’enfant, les signaux de l’entourage et les gestes de l’entourage à l’égard de l’enfant, le
partenaire d’interaction de l’enfant, et la présence ou l’absence de divers membres de l’entourage.
Chaque changement de comportement est noté avec une précision temporelle invariante : 10
secondes pour les variables d’interaction (signaux et gestes de l’enfant et du partenaire
d’interaction), une minute pour les autres comportements. Par conséquent, les comportements ayant
une durée inférieure ne sont pas pris en compte.
Les variables relationnelles observées correspondent aux principaux comportements
d’attachement (approcher, suivre, toucher, appeler,parler, tendre le bras, sourire) et d’exploration
(jouer, manger et boire seul) de l’enfant, ainsi que ses manifestations de détresse (pleurer,
agripper). Les comportements d’apparition généralement brève et répétée, tels que les
comportements d’attachement (y compris l’agrippement), on fait l’objet d’une analyse de
fréquence, tandis que les comportements d’exploration et les pleurs de l’enfant ont été comparés
sur une base temporelle (analyse de durée). Des analyses de séquence ont aussi été réalisées sur la
base de ces comportements. Elles concernent les réponses de l’entourage aux signes et gestes de
rapprochement et de détresse de l’enfant, ainsi que la réaction de l’enfant suite à la séparation
(après avoir été posé). La fréquence de ces divers types de réponses et de réactions a été
principalement prise en compte, mais aussi la durée en ce qui concerne le temps d’intervention
pour apaiser les pleurs de l’enfant.
Nous allons détailler la constitution, le recueil et l’analyse d’une variable de séquence : la
réponse maternelle à la détresse de l’enfant (variable RMD). Cette variable est constituée de sept
modalités choisies pour évaluer, de manière comparative entre les enfants de l’échantillon, la
sensibilité maternelle à l’égard de l’enfant (les réponses les plus « sociales » – bercer, caresser,
jouer, parler, vocaliser, appeler, sourire… – sont les plus sensibles, associées ou non à un contact
purement « physique » – toucher, porter, mettre au pot, laver). La question du rôle de l’alimentation
comme substitut à une réponse affective plus élaborée à la détresse de l’enfant a aussi été prise en
compte dans la constitution de cette variable.
Tableau 1
. Catégories du comportement Variable RMD : Réponse maternelle à la détresse
de l’enfant
Modalité 1
Mise au sein
Modalité 2
Contact physique (porter sans autre interaction, soins)
Modalité 3
Contact alimentaire (autre que la mise au sein)
Modalité 4
Contact physique et alimentaire
Modalité 5
Contact social (jouer, parler, sourire, bercer, caresser…)
Modalité 6
Contact social et alimentaire
Modalité 7
Aucune réponse (ou refus)
Tableau 2
. Grille d’observation utilisée
Exemple d’une séquence où l’enfant pleure et gesticule en présence de sa mère (partenaire
d’interaction). Elle le porte, lui parle, puis le met au sein. Les variables concernées sont : Signal
enfant, Geste enfant, Signal adulte, Geste adulte, Type d’interaction, Nourriture. La valeur de la
variable RMD est codée pour chaque changement entre les sept modalités de la variable, à partir du
début de la réponse de la mère aux pleurs de l’enfant. De 8 h 01-20 s à 8 h 02-40 s, le contact social
(modalité 5), et de 8 h 02-40 s à 8 h 07-30 s, la mise au sein (modalité 1). Dans l’analyse des
données, deux occurrences ont été prises en compte.
Procédures de terrain
Trente-deux enfants ont été observés à domicile par une équipe formée au protocole de l’étude
sur deux journées consécutives, 10 heures par jour, à 6, 12, 18 et 24 mois (pour la plupart d’entre
eux) dans trois quartiers populaires à incidence élevée de malnutrition infantile à Abidjan, Côted’Ivoire. Vingt-cinq mères d’enfants de 6 mois ont été rencontrées au centre de santé local, et sept
autres mères d’enfants gravement malnutris ont été rencontrées à l’hôpital, puis suivis à domicile
dans leur deuxième année. L'étude a été présentée comme un travail sur le développement de
l’enfant, et la décision de participer a été soumise à l’accord préalable des autres membres de la
famille consultés à domicile. Nous avons veillé à ce que les ressources de la famille soient
suffisantes pour nourrir l’enfant à sa faim (questions relatives aubudget familial quotidien pour la
nourriture). Aucune consigne particulière n’a été donnée aux familles. L'influence potentielle de la
présence d’un observateur sur les personnes observées – et, par conséquent, sur la nature des
données recueillies – nous semble assez minime compte tenu de longues périodes d’observation et
de l’analyse comparée des données.
Analyse des données
Les calculs de durées, de fréquences et de séquences des comportements observés ont été
effectués par le programme d’organisation et d’analyse de données d’observations Kronos 2.3
(Kerguelen, 1998). Une analyse de corrélation a été effectuée entre chaque variable (fréquence ou
durée totale des comportements rapportés au temps d’observation effectif ; soit 20 heures moins le
temps de sommeil et les sorties éventuelles de l’enfant) et l’état nutritionnel de l’enfant à chaque
période d’observation (6, 12, 18 et 24 mois). Une analyse factorielle des variables a aussi permis
de les regrouper en fonction de l’état nutritionnel associé à chaque période d’observation pour
constituer des trajectoires évolutives entre les périodes concernées correspondant à la dégradation,
au maintien, ou à l’amélioration nutritionnelle des enfants de l’échantillon. Ces résultats ont été
analysés à la fois de manière globale, et en fonction de groupes nutritionnels constitués sur la base
de l’état nutritionnel le plus bas au cours des deux premières années de l’enfant (bien portant ;
poids stationnaire pendant au moins trois mois ; malnutrition légère ou modérée ; malnutrition
sévère).
Résultats
Sur les 32 enfants observés au cours des deux années d’investigation, 8 enfants sont demeurés
bien portants d’un point de vue nutritionnel, le poids de 5 enfants est resté stationnaire pendant plus
de trois mois, 10 enfants sont devenus légèrement ou modérément malnutris, et 9 enfants ont
souffert de malnutrition sévère (dont 3 sont décédés). Les résultats, que nous n’allons pas détailler
ici, font état d’un lien précoce et constant, au cours des deux premières années de vie, entre
l’environnement relationnel de l’enfant (qualité et type d’attachement), le mode d’interaction
alimentaire enfant-entourage, et la présence (à divers degrés) ou l’absence de symptômes
nutritionnels. La qualité d’attachementest également impliquée de manière évolutive dans la
dégradation et l’amélioration nutritionnelle de l’enfant : les indices d’attachement insécure sont
associés à l’aggravation ou à la chronicité des symptômes, tandis que les indices d’attachement
sécure accompagnent le maintien d’un bon état nutritionnel ou la résorption de symptômes.
L'environnement relationnel est ainsi porteur de l’évolution nutritionnelle à venir, ou semble à tout
le moins indissociable de la formation des symptômes. Une étiologie relationnelle globale et des
étiologies plus spécifiques à divers degrés de malnutrition infantile ont pu être envisagées (voir
Bouville, 2003 et 2004).
Pour reprendre l’exemple spécifique de la variable RMD, une forte corrélation positive (0,25)
avec l’état nutritionnel a été constatée pour les réponses maternelles les plus sensibles (contact
physique, interaction sociale) à la détresse de l’enfant. Ce résultat est le plus marqué de manière
précoce (à 6 mois : 0,28), avec une très forte corrélation négative (– 0,30) pour les réponses
maternelles les moins sensibles (refus, rejet). La répartition en groupes nutritionnels corrobore ce
résultat, étant donné que les réponses sociales de la mère sont beaucoup plus fréquentes à chaque
période d’observation (6, 12, 18 et 24 mois) pour les enfants demeurés bien portants (12 % des
réponses, en moyenne, tous âges confondus) comparée aux trois autres catégories nutritionnelles
(poids stationnaire, malnutrition légère et modérée, malnutrition sévère), qui sont à peu près
équivalentes de ce point de vue (5 % des réponses).
Conclusion
L'observation naturaliste systématique et le protocole longitudinal de l’étude nous ont permis
d’envisager l’implication de l’environnement relationnel et alimentaire dans la formation de
symptômes nutritionnels chez le jeune enfant. Cette approche méthodologique permet
d’appréhender, de manière à la fois scientifique et clinique, la richesse et la complexité des
échanges de l’enfant tels qu’ils se déroulent dans son cadre de vie habituel. La scientificité de la
démarche provient de l’objectivité des données éthologiques (subjectivité réduite de l’observateur
lors du recueil des données et influence limitée sur les comportements observés), mais également
de la mise à jour de la base d’inférence de l’étude (la production des données de base est à la fois
vérifiable et reproductible). L'interprétation du chercheur porte uniquement sur la mise en relation
des notions théoriques et leur significationau regard de la problématique étudiée. Notons que ce
niveau de scientificité est rarement atteint dans les travaux de psychologie clinique, où les données
d’inférence, lorsqu’elles sont accessibles au lecteur, sont souvent fortement empreintes de la
subjectivité du chercheur.
La portée clinique, enfin, n’est pas seulement limitée au domaine de la psychopathologie
développementale auprès de jeunes enfants (où le comportement reflète une part plus importante de
la psyché), ou à des études d’attachement. Elle peut être utilisée en complément d’entretiens, dans
d’autres populations et contextes théoriques, pour aider à évaluer l’écart, parfois important, entre
le dire (basé sur la perception, le ressenti) et le faire (comportements observables). Cette proximité
avec le vécu et les pratiques réelles peut aider à mieux cibler les démarches de prévention et de
soins auprès des individus concernés.
Références
BOUVILLE J.-F., L'approche relationnelle de la malnutrition infantile en milieu tropical,
Sciences sociales et santé, mars 1996, 14, 1: 103-115.
BOUVILLE J.-F., Étiologies relationnelles de la malnutrition infantile en milieu tropical,
Devenir, 15, 1, 2003 : 27-47.
BOUVILLE J.-F., La malnutrition infantile en milieu urbain africain. Étude des étiologies
relationnelles. Éditions l’Harmattan, Paris, 2004.
BOWLBY J., Attachment, Separation and Loss, Basic Books, Londres, 1969-1980.
HOPKINS J., L'enfant observé de la théorie de l’attachement, Psychiatrie de l’enfant, 1996, 34,
1 : 41-62.
KERGUELEN A., Quels outils concevoir pour aider au relevé d’observation sur le terrain ?
XXXIIIe Congrès de la SELF, "Temps et Travail", Paris, 1998 : 870-813.
REED E.S., Development in Context, Lawrence Erlbaum Associates, Hillsdale NJ, 1993.
1 ISO : Organisation internationale de normalisation regroupant 157 pays.
2 « Ce qui est fait, ce qui est mis en jeu par le sujet pour effectuer la tâche » Falzon, (2004, p. 24).
3 « Ce qui est à faire, ce qui est prescrit par l’organisation » Falzon (2004, p. 24).
4 L'approche écologique du développement de l’enfant intègre la mutualité de l’organisme et de l’environnement ; « l’enfant en
contexte » est l’entité étudiée (Reed, 1993).
5 Réponse rapide et adaptée aux besoins et demandes de l’enfant. Une « réponse adaptée » utilise plusieurs modes relationnels pour
consoler l’enfant : des contacts physiques (donner le sein, porter, bercer) aux échanges à distance (vocaliser, distraire, amuser)
(Hopkins, 1996).
6 Les comportements d’attachement sont des signaux et des gestes d’approche (téter, s’agripper, suivre, pleurer, appeler, crier,
sourire, se rapprocher…) qui visent à maintenir l’enfant à proximité de sa figure d’attachement dans un but de protection (recherche de
sécurité). Ces comportements sont activés en cas de danger réel ou perçu par l’enfant, et désactivés lorsqu’il se sent rassuré,
permettant l’exploration du milieu environnant.
Chapitre VI
Observation centrée sur un groupe
ÉTUDE 7
Le travail de nuit à l’hôpital : comment appréhender la dimension collective du travail à
partir de l’observation ?
Béatrice Barthe
Mots clefs : Observation d'un groupe de travail, Analyse ergonomique de l'activité de travail,
Relevé papier-crayon, Échantillonnage par focalisation, Analyse d'occurrences et d'états.
Objectifs
L'étude présentée se centre sur l’analyse ergonomique de l’activité de travail d’équipes
hospitalières de nuit. Elle a pour objectif de montrer en quoi la dimension collective du travail peut
constituer une ressource dans les équipes qui travaillent de nuit pour permettre aux opérateurs de
pallier les difficultés inhérentes aux variations individuelles de lavigilance. Cette préoccupation
s’inscrit à la fois dans une perspective théorique sur le fonctionnement des équipes de travail,
notamment en horaires de nuit, et dans une réflexion appliquée sur la fiabilité et sur les conditions
de travail de nuit (Barthe, Quéinnec, Verdier, 2004).
Nous n’exposons pas ici l’ensemble des éléments de cette étude1 mais nous nous centrons sur la
méthodologie employée pour appréhender les aspects collectifs du travail.
Le service hospitalier de néonatologie
La situation de travail concernée est un service hospitalier de néonatologie qui accueille des
bébés prématurés ainsi que des bébés nés à terme présentant des pathologies. Il possède une
capacité d’accueil de 30 bébés, répartis dans 5 boxes de 6 emplacements chacun. Lors des postes de
nuit, l’équipe est composée de 3 infirmières et de 2 auxiliaires puéricultrices, chacune est affectée à
un box particulier.
Procédure d’observation
Choix de la conduite d’observation
Les données relatives à la dimension collective de l’activité d’une équipe de travail sont
accessibles selon différentes conduites d’observation.
1) L'observation directe peut s’appliquer à la totalité des membres de l’équipe de travail, ainsi,
dans cette situation, le recueil pourrait concerner l’activité des 5 opératrices de l’équipe de nuit en
simultané. Afin de ne pas rester à un niveau de description superficiel, l’observation de tous les
membres de l’équipe nécessite un enregistrement audio et vidéo ou la présence de plusieurs
observateurs. Certaines difficultés peuvent alors apparaître lorsque par exemple le collectif de
travail impliqué s’agrandit de façon imprévisible, généralement à la suite d’un incident et que les
personnes se déplacent dans des lieux différents. L'enregistrement vidéo pose alors des problèmes
de champs, les activités de recueil par plusieurs observateurs des problèmes de coordination. De
plus, les enregistrements audio et vidéo renvoient à des questions déontologiques ; il est en effet
difficile d’appréhender l’activité de travail par l’observation,dans une situation où la présence de
personnes malades et de leur famille peut donner un caractère voyeur à l’observation du travail.
Ainsi, la technique papier-crayon nous a semblé moins indiscrète que l’enregistrement parce que
transparente (le personnel soignant peut à tout moment prendre connaissance de ce que relève
l’observateur) et uniquement ciblée sur le travail du personnel soignant2.
2) L'observation peut être organisée autour du « produit », en l’occurrence ici du bébé soigné
dans le service de néonatologie. Ainsi, le recueil concerne les actions effectuées autour de cet
enfant par les différents intervenants et les coordinations interindividuelles existantes. Ce procédé
d’observation a déjà été utilisé dans un service de chirurgie cardiaque (Clot, 1995), l’observation
est organisée par le parcours hospitalier du patient, de sa préparation préopératoire jusqu'à son
hospitalisation postopératoire, en passant par l’intervention chirurgicale et l’admission en
réanimation.
3) L'observation peut également se baser sur le suivi d’une opératrice de l’équipe de travail, du
début à la fin de son poste. Le recueil concerne alors ses actions et l’ensemble de ses interactions
avec ses coéquipières. Cette organisation du recueil, comme la précédente, n’autorise qu’un relevé
partiel de la réalité du travail collectif à un moment donné. Cependant, elle permet d’atteindre un
double objectif : analyser finement l’activité de soins et appréhender correctement la dimension
collective du travail, tout en acceptant des conditions de recueil plus modestes. Cette conduite
d’observation, choisie pour cette étude, a également été utilisée dans le secteur hospitalier (Lacoste,
1993).
Analyse préliminaire de l’activité de soins et choix des indicateurs
Le contenu du travail du personnel soignant est rythmé par un ensemble de tâches programmées
toutes les 3 heures, appelées les périodes des soins. La formalisation des différentes phases d’une
période de soins, construite à partir des premières observations sur le terrain, constitue une étape
préliminaire dans l’analyse de l’activité de soins qui vise à orienter la recherche d’indicateurs
pertinents de l’activité de travail. Cette étape est intégralement construite par l’analyste, elle est
primordiale dans la mise en place de la procédure d’observation.
En premier lieu, l’opératrice surveille les constantes biologiques de l’enfant, c’est-à-dire qu’elle
prélève de l’information sur l’enfant ainsi que sur le matériel qui l’assiste (moniteur, tensiomètre,
etc.) pour retranscrire les valeurs des paramètres demandés sur la feuille d’observation personnelle
de l’enfant. Elle consulte ensuite les prescriptions sur la feuille d’observation afin de préparer le
matériel dont elle aura besoin pour donner les soins. Ce travail de préparation induit des
déplacements dans le box et les différents lieux de stockage du matériel du service. Puis vient la
phase de soins proprement dite, comprenant la toilette, l’apport de médicaments et la mise en
œuvre de soins spécifiques selon l’état de l’enfant et les traitements qui lui sont prescrits. Enfin,
l’opératrice alimente l’enfant, après avoir vérifié les résidus gastriques si l’alimentation se fait par
gavage.
En plus des périodes de soins, le personnel soignant accomplit des tâches spécifiques (également
identifiées à ce stade de l’analyse) lors de l’arrivée d’un nouvel enfant dans le service, lors de
l’aggravation de l’état d’un bébé ou lors du décès d’un bébé.
Cette analyse préliminaire de l’activité de travail des opératrices a permis de définir 5 variables,
correspondant aux différentes phases de la période de soins, et 19 modalités d’actions au total
composant ces variables (tableau 1).
Tableau 1
. Description de l’activité de soins selon 19 indicateurs
Phase de soins (variables)
Indicateurs (modalités)
Codes
Surveillance des constantes
– Prise d’information et relevés sur la feuille d'observation
Surv
– Préparation du matériel pour les soins
Prépa
– Recherche de matériel
Rech
– Soin de bouche
Bouche
– Soin d'ombilic
Ombi
– Change de la couche
Chge
– Température
Temp
– Massage abdominal
Mass
– Piqûre et prélèvement
Piqû
– Soins spécifiques
Spéc
– Pompes alimentaires
Pomp
– Gavage
Gava
– Tétée
Tétée
– Bien-être enfant
Calin
Préparation des soins
Soins
Alimentation
Autres
– Amène matériel
Amene
– Rangement, nettoyage
Range
– Lavage des biberons
Lav
– Surveillance stricte (repos)
Rep
– Discussions fonctionnelles hors activité en simultané
Disc
Dimension collective du travail : aspects méthodologiques
L'analyse du travail collectif proposée dans cette étude se situe à plusieurs niveaux, soutenus par
des fondements théoriques que l’on ne peut développer ici (Barthe & Quéinnec, 1999). Un seul de
ces niveaux sera présenté dans ce chapitre, il concerne le partage ou non à un moment donné de
ressources (notamment matérielles, comme le lieu de travail) et le partage ou non de « l’objet de la
tâche », c’est-à-dire ce sur quoi portent les actions des différentes coéquipières. La dimension
collective de l’activité de soins est donc définie par : (1) le lieu de travail dans lequel l’opératrice
suivie effectue ses actions, en tant que partagé par plusieurs opératrices ou non et (2) l’objet de
travail sur lequel porte l’action de l’opératrice, à savoir ici, le bébé qui fait l’objet de soins.
Grille d’observation
Le relevé des observables a été accompli avec une grille d’observation en temps réel. La grille
d’observation combine le relevé d’informations relatives aux actions de l’opératrice suivie et aux
échanges verbaux auxquels elle participe. À chaque minute, l’observateur code le lieu (10
indicateurs ou observables de lieux) dans lequel l’opératrice suivie accomplit ses actions (19
indicateurs, cf. tableau 1) et le bébé dont elle s’occupe (identifié par son box d’appartenance et son
emplacement dans le box : 5 indicateurs de box x 6 indicateurs d’emplacements). Chaque item a été
recueilli en respectant sa durée et sa chronologie (tableau 2).
Le relevé des interactions intervient lorsque le lieu de travail est partagé par plusieurs
opératrices, les actions et l’enfant dont s’occupe la (les) coéquipière(s) sont alors notées (sur la
même ligne du tableau) en plus des actions et de l’enfant pris en charge par l’opératrice suivie. De
même lorsqu’un enfant fait l’objet d’actions simultanées de la part de plusieurs opératrices, cette
information est relevée au niveau de la colonne enfant, même si les autres opératrices ne partagent
pas le lieu de travail de l’opératrice suivie. L'identification des différentes opératrices de l’équipe
ou des autres intervenants est alors réalisée par l’utilisation de couleurs différentes.
Tableau 2
. Structure de la grille d’observation et exemple
Les échanges verbaux impliquant l’opératrice sont retranscrits à la main et les interlocutrices,
concernées par ces échanges, identifiées. Le contenu des messages courts est relevé dans son
intégralité, le contenu des messages longs est résumé, les messages personnels sont codés comme
tels.
Découpage et codage des messages verbaux
Les verbalisations spontanées, dont le contenu a été relevé dans son intégralité, ont été découpées
en message. Un message est émis par une seule opératrice et véhicule des informations dans un
objectif précis (Falzon, 1989). Les discussions résumées et les discussions personnelles sont
chacune considérées comme un seul message.
La liste d’attributs interprétatifs, qui permet de coder les messages verbaux, a été construite a
posteriori, à l’aide du logiciel Kronos (Kerguelen, chapitre 7), à partir du contenu des
communications, et du contexte de travail recueilli simultanément. Elle repose sur les 6 classes
suivantes (figure 1) : interlocuteur, forme & contenu des communications, fonction de ces
communications dans l’action, objet sur lequel portent les communications, caractère plus ou
moins collectif des actions évoquées dans les communications et éléments de contexte précisant la
dimension collective des soins accomplis au moment des communications3.
Figure 1
. Catégorisation des messages verbaux.
Principaux résultats
Les résultats présentés ici porteront sur l’identification de situations de travail collectif, sur les
soins accomplis dans ces situations ainsi que le rôle des communications, et leur évolution en
fonction de la variation de la vigilance.
Identification de la dimension collective du travail
Nous l’avons vu en méthodologie, la dimension collective de l’activité de soins est définie par :
(1) le lieu de travail dans lequel l’opératrice suivie effectue ses actions, en tant que partagé ou non
et (2) l’objet de travail sur lequel porte l’action de l’opératrice, à savoir, le bébé qui fait l’objet de
soins, en tant que « partagé » ou non. C'est le croisement de ces 2 indices qui va définir le caractère
collectif de l’activité mise en œuvre et permettre d’identifier 3 situations. Précisons que cette
distinction de 3 situations plus ou moins « collective » est aussi le résultat du travail de l’analyste.
• Situation individuelle
Une opératrice est seule et accomplit des soins auprès d’un bébé localisé dans le box dont elle a
la charge.
• Situation d’entraide
Deux ou plusieurs opératrices travaillent dans un même lieu sans partager le même « objet de
travail », c’est-à-dire sans travailler auprès du même bébé. Chaque opératrice réalise
individuellement des actions de soins auprès de bébés différents. Un exemple est donné sur la
figure 2où l’opératrice suivie effectue des actions (Actions OS) dans le box d’une collègue (Box
non assigné) auprès d’un enfant dont elle n’est pas responsable (Enfant non responsable). À partir
de 5 h 25, elle est rejointe par sa collègue qui effectue des soins (Actions coéquipière 1) sur un
bébé différent.
Figure 2
. Graphe d’activité illustrant le déroulement de l’activité de soins de l’opératrice
suivie (Actions OS) en situation d’entraide.
• Situation collective
Deux ou plusieurs opératrices prodiguent des soins auprès d’un même bébé (figure 3). C'est la
forme de travail dans laquelle la dimension collective est la plus forte. C'est le cas typique de
l’arrivée d’un entrant dans le service, illustré ici par l’arrivée d’un bébé la nuit 8, en début de nuit.
Deux opératrices sont mobilisées (Actions OS, Actions coéquipière 1) sur un même enfant de 22 h
à 22 h 30 (Même enfant, Coprésence), puis trois opératrices (Actions coéquipière 2), et jusqu’à
quatre opératrices (Actions coéquipière 3) entre 22 h 15 et 22 h 20.
Figure 3
. Graphe d’activité illustrant le déroulement des activités de soins de l’opératrice
suivie (Actions OS) en situation d’activité collective.
Situations de travail collectif et actions
En situation d’entraide (cf. figure 4, premier camembert), c’est-à-dire lorsque les opératrices
prennent en charge un bébé localisé dans le box d’une collègue alors que celle-ci réalise une autre
tâche (c’est-à-dire qu’elle travaille auprès d’un autre bébé), elles accomplissent plutôt des soins qui
concernent la toilette (16 %) et l’alimentation de l’enfant (25 %).
Figure 4
. Proportions des soins (les 19 modalités d’action initiales ont été regroupées ici
en 8 modalités) accomplis en situation d’entraide (Entraide) et en situation
collective (Collective).
En situation collective (cf. figure 4, second camembert), les opératrices accomplissent des soins
de nature différente ; les proportions de ces activités montrent que 13 % du temps de travail sont
consacrés aux soins spécifiques et 37 % aux actions de prélèvements. De plus, les discussions
fonctionnelles non accompagnées d’actions sur l’enfant représentent 11 % du temps de travail, ce
qui témoigne d’une activité d’aide consacrée à des tâches de diagnostic.
Situations de travail individuel et collectif et communication : un exemple
La fonction des messages verbaux échangés dans les trois situations de soins porte le plus
souvent sur de l’exécution de l’action en cours (cf. figure 5). Cependant, les messages verbaux qui
ont cette fonction de réalisation sont beaucoup plus échangés en situation collective que dans les
deux autres situations.
Les messages qui visent le suivi d’actions passées sont le plus souvent émis en situation
d’entraide (45 % des messages d’entraide contre 19 % et 12 %) avec une forte proportion de
message de planification. Ces résultats montrent ainsi la nécessaire coordination que la situation
d’entraide suppose. Enfin notons que, même lorsque les actions de soins sont menées de façon
individuelle, de nombreux messages sont échangés et un tiers d’entre eux visent à planifier l’action
future.
Figure 5
. Pourcentage du nombre de messages et effectifs selon leur fonction dans
l’activité de travail (Planifier, Exécuter et Suivi) dans chacune des 3 situations
identifiées.
Conclusion
Ces résultats sur la dimension collective des soins permettent de décrire et spécifier la
composante collective de l’activité de soins afin de comprendre ensuite sous quel(s) déterminant(s)
elle varie.
• Des compétences variées, des entraides différenciées
Des analyses complémentaires montrent que selon le métier des opératrices, l’implication dans
les 3 situations de travail (individuelle, entraide et collective) sera différenciée. Les auxiliaires
puéricultrices travaillent plus fréquemment avec leurs collègues sans « partage » de l’objet de
travail, c’est-à-dire qu’elle se déplace dans le box d’une collègue pour prodiguer individuellement
des soins à certains de ces bébés. Quant aux infirmières, lorsqu’elles travaillent avec une ou
plusieurs de leurs collègues c’est le plus souvent afin d’effectuer des soins particuliers sur un bébé
qui fait déjà l’objet de soins simultanés de la part d’une autre opératrice (partage du même « objet
»).
En effet, les auxiliaires puéricultrices aident leurs coéquipières en accomplissant des
interventions rapides et "légères", telles que la toilette ou l’alimentation de l’enfant. Les infirmières
apportent à leurs coéquipières une compétence médicale technique, associée à leur fonction, et
participent ainsi à des soins plus médicalisés sur le même enfant, tels que les perfusions, les
transfusions ou l’établissement d’un diagnostic. La nature et les exigences des soins pour lesquels
chaque métier sollicite et/ou apporte une aide sont différentes. Cette différence conditionne en
grande partie les évolutions horaires spécifiques de chaque métier.
• Évolution horaire : des régulations collectives spécifiques selon le métier des opératrices
Les résultats tenant compte de l’évolution horaire de l’activité de soins ne seront pas présentés
ici en détail (voir Barthe, 1999).
Dans les grandes lignes, les activités de soins des auxiliaires puéricultrices en situation
d’entraide sont maximales en début de poste, durant la période de soins de 20 heures. Avec
l’avancée du poste de nuit et jusqu’à la fin de la période de soins de 02 heures, les auxiliaires
puéricultrices travaillent de plus en plus de façon individuelle. Ces résultats plaident en faveur de la
mise en place d’un référentiel commun en début de nuit afin de visualiser l’état général des enfants
du service et de préparer les actions à effectuer.
Concernant les infirmières, elles travaillent de façon individuelle en début de nuit avec une
diminution jusqu’à la fin de la période de 02 heures, puis une augmentation à 05 heures. Par contre,
l’implication de ces opératrices dans les modalités de travail collectif est maximale à 23 heures
(avec une prédominance d’entraide orientée vers les auxiliaires) et à 02 heures, avec une
équivalence des situations d’entraide et collective(orientée ici vers les autres infirmières). Les
infirmières de l’équipe de néonatologie mettent en place des régulations collectives spécifiques
afin d’anticiper leur baisse de vigilance et d’être en mesure d’accomplir des soins particuliers,
nécessitant une étroite coordination, à partir du moment où commence à se faire sentir une baisse
de vigilance et une accumulation de fatigue. Lors de la période de 23 heures les infirmières se
libèrent par anticipation de l’aide qu’elles apportent aux auxiliaires puéricultrices, en
accomplissant certains soins aux enfants localisés dans les boxes assignés aux auxiliaires. Elles
anticipent leur propre état biologique futur afin de se réserver des marges de manœuvre pour faire
face aux imprévus au moment de leur chute de vigilance (entrant, enfant à reperfuser, aggravation
de l’état d’un enfant, etc.).
Références
BARTHE, B. (1999). Gestion collective de l’activité de travail et variation de la vigilance
nocturne : Le cas d’équipes hospitalières en postes de nuit longs. Thèse de doctorat nouveau
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Benchekroun & A. Weill-Fassina (eds), Le travail collectif. Perspectives actuelles en ergonomie
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BARTHE, B. (2003). La visibilité de l’activité d’autrui, composante de la dimension collective du
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CLOT, Y. (1995). Le travail sans l’homme ? Pour une psychologie des milieux de travail et de vie.
Paris, Éditions La Découverte.
FALZON, P. (1989). Ergonomie cognitive du dialogue. Grenoble : PUG.
LACOSTE, M. (1993). Interaction située et dimension collective du travail. In F. Six, & X.
Vaxevanoglou (eds), Les aspects collectifs du travail (pp. 29-49). Toulouse : Octarès.
ÉTUDE 8
Les stratégies sociales lors de la fusion de deux groupes de macaques de Java : exemple
d’échantillonnage par focalisations successives et d’échantillonnage par balayage dans une
situation naturelle
Pascal Cazenave-Tapie
Mots clefs : Situation naturelle, Enregistrement audio, Échantillonnage par focalisations
successives (focal sampling) et Échantillonnage par balayage (scan sampling).
Objectifs
L'utilisation de différentes techniques de recueil des données observationnelles a permis de
documenter l’évolution des relations sociales entre les membres de deux groupes distincts de
macaques de Java durant le processus de fusion de leurs groupes.
Introduction
Les migrations unisexes chez les primates non humains sont très fréquentes parmi les espèces
vivant en société. Généralement, les stratégiessociales adoptées par ces migrants pour s’intégrer
dans un nouveau groupe sont appréciées à partir de l’évolution de leurs confrontations avec les
résidents. Selon van Noordwijk et van Schaik (1985), chez les macaques de Java, soit le candidat à
l’immigration commence par s’affirmer sur les individus les plus bas de la hiérarchie et tente
ensuite de maximiser progressivement son statut (stratégie discrète), soit il recherche la
confrontation directe avec l’individu occupant le statut le plus élevé qu’il puisse revendiquer
(stratégie engagée). Bernstein (1974) a conclu, à partir de diverses études sur les techniques
d’introduction de nouveaux venus au sein de groupes de singes, qu’il existerait deux phases : une
première au cours de laquelle un groupe bat un autre, et une seconde durant laquelle le groupe des
vaincus se dissout alors que ses membres s’insèrent dans le groupe victorieux. Selon cet auteur, la
dissolution des relations préexistantes entre les migrants d’un même groupe constitue un préalable
à leur intégration. Pour apprécier les stratégies sociales mises en œuvre par les migrants, il nous
faut donc considérer à la fois l’évolution des rapports de dominance et la recomposition des
relations affiliatives, dans les groupes, mais aussi entre les membres des deux groupes.
L'objectif de cette étude était d’analyser les transformations de ces deux structures de l’écologie
sociale comme indicateurs de l’intégration sociale des migrants. Selon les études précédentes, une
intégration réussie dans un groupe devrait procéder d’une dissolution des relations affiliatives
entre migrants, par une atténuation des comportements hostiles à leur encontre et par l’accès à un
statut stable dans la hiérarchie.
Méthode
• Sujets : l’étude a été conduite au sein d’un parc de 6 hectares.
- Groupe A (résidents) : N = 52, Adultes : 18 mâles/14 femelles ; Sub-adultes : 2 mâles/2
femelles ; Juvéniles : 4 mâles/5 femelles ; Bébés : 2 mâles/5 femelles.
- Groupe B (migrants) : N = 6 : 5 mâles et 1 femelle adultes.
• Protocole d’observation : Les observations ont été réalisées entre 7 h et 9 h 30 de mai à
septembre 1993.
Le recueil des comportements agonistiques a été effectué selon la méthode d’échantillonnage par
centrations successives de 5 minutes en continu, pour un total de 45 minutes par individu (focal
sampling)enregistré sur dictaphone, et complété par le recueil quotidien des relations de
dominance dyadiques établies sur la base de l’expression claire d’un comportement de soumission
d’un des deux individus (all occurences of some behaviour). La liste des comportements était basée
sur la taxonomie établie par de Waal, van Hooff et Netto (1976).
Extrait de la liste des comportements
Interactions non agonistiques : Approcher, Orienter, Observer.
Menaces : Fixer, Bouche ouverte, Grogner, Balancement de la tête,
Balancement des épaules, Frapper le sol, Pointer, Chasser, Grognements
en série, Approche rigide, Assaut simulé, Balayer avec les mains,
Déplacer (Approche directe d’un individu, avec ou non contact physique,
incitant l’individu à céder sa place).
Agression physique : Pousser du nez, Pousser de la poitrine, Pousser
bouche ouverte, Tirer, Attraper, Frapper, Attaquer, Mordre.
Intentions de Fuite : Reculer, Fuite bloquée (l’individu affiche une
attitude indiquant son intention de fuite mais reste figé - position inclinée
du buste avec l’arrière-train plus haut que la tête, bras et membres
inférieurs tendus en avant et corps en arrière, associés souvent avec des
expressions de soumission), Se tapir.
Fuites : Fuite, Fuite réorientée (S'éloigner d’un dominant tout en
cherchant à orienter son agressivité vers un individu de statut inférieur).
Soumission : Dents dénudées, Claquer des dents, Claquer des dents en
tirant la langue, Crier, Cris aboyés, Aboiements.
Déplacements : Se déplacer (Se lever et céder sa place à l’arrivée d’un
individu et s’asseoir à nouveau à moins de 2 m) ; Évitement (contourner
un individu).
Terminateurs non agonistiques : Ignorer, Quitter (aller au-delà de 10
m), S'éloigner (Se placer dans un rayon de 2 à 10 m).
Les relations affiliatives ont été appréciées à partir des relations de proximité. À trois reprises
durant chaque observation focale, les noms des individus se trouvant dans un périmètre de 10 m
autour du sujet observé étaient relevés (scan sampling).
Tableau 1
. Exemple de relevés de l’activité comportementale par Focal Sampling et de sa
signification (à droite), de relations de proximité par Scan sampling et des relations
de dominance selon la méthode All occurences of some behaviour
Traitement des données
Hiérarchie dominance
Tableau 2
a. Extrait d’une matrice des relations de dominance ordonnée
Tableau 2
b. Statistiques associées
Relations dyadiques
Total
%
Asymétriques
1 212
94.69
Établies
320
50.79
Observées égales
17
2.7
Assumées égales
293
46.51
Contestées
52
16.25
Total
%
Linéarité
292
91.25
Exceptions
28
8.75
1 175
91.8
105
8.20
Structure de g roupe
Rigidité
Exceptions
Seules les interactions agonistiques impliquant des adultes ou sub-adultes (Groupe A : N = 36, 20
mâles, 16 femelles - Groupe B : N=6, 5 mâles, 1 femelle) et ayant pour issue un comportement de
soumission non ambigu ont été retenues pour analyses (Catégories Fuites, Soumission et
Déplacements). Les données recueillies ontété réparties en 3 périodes, mai-juin, juin-juillet et aoûtseptembre, et tabulées dans des matrices de co-occurrence. Un programme a permis ensuite
l’ordination des individus en maximisant l’asymétrie des relations, leur linéarité et la rigidité de la
structure de groupe.
Dans le tableau 2a, les valeurs représentent le nombre de fois où un individu A a obtenu une
réponse de soumission d’un individu B. Les positions relatives des individus ont été permutées au
sein de la matrice de façon à avoir en haut, l’individu qui soumet tout le monde et ne se soumet
jamais, puis celui qui ne se soumet qu’au mâle dominant, puis celui qui ne se soumet qu’aux deux
précédents et ainsi de suite. Lorsque les pourcentages d’asymétrie et de rigidité ne peuvent plus être
augmentés par les changements de place des individus au sein de la matrice (supérieurs à 90 %),
l’ordination obtenue reflète la hiérarchie de dominance (tableau 2b).
Réseau affiliatif
(ou sociogramme des relations affinitaires)
Tableau 3
. Matrice de co-occurrence des proximités
Les données sur la proximité entre les individus ont été analysées à partir de trois matrices
sociométriques correspondant aux trois périodes d’observation, mai-juin, juin-juillet et aoûtseptembre (nombre de scans réalisés : 540, 180 par session, 5 par individu et par session). Sept
individus ayant un faible niveau d’association sont considérés comme isolés et exclus des analyses
subséquentes.
Tableau 4
. Matrice de similitude
Figure 1
. Dendrogramme des profils d’association des individus.
La matrice de co-occurrence dyadique (tableau 3) est ensuite transformée en matrice de
similitude (tableau 4) permettant la dérivation d’un dendrogramme ou représentation en
arborescence (figure 1) regroupant les individus selon leurs profils d’association.
Un Chi-carré (tableau 5) permet ensuite de discerner les cliques des agrégats, à savoir les
individus qui ont une relation de proxémité préférentielle entre eux de ceux qui ont des profils
comparables sans avoir de relations mutuelles. Ces regroupements représentent le réseau affiliatif
du groupe (Strayer, 1980).
Tableau 5
. Calculs des Chi-carrés sur les regroupements
Principaux résultats
Analyse des interactions agonistiques
L'analyse Chi-carré des relations agonistiques sur les dimensions intra- et intergroupes selon les
3 périodes a permis de documenter le processus de fusion de groupe. Le point culminant de
l’agressivité des résidents envers les migrants se situe à la période juin-juillet et s’atténue par la
suite, même si elle reste très supérieure à la fréquence attendue. L'agressivité des migrants à leur
égard progresse de façon continue, même si la fréquence observée reste inférieure à la fréquence
attendue, reflétant une probable remise en cause des relations de dominance-subordination dans le
groupe des résidents.
Évolution des relations de dominance
Les différents statuts occupés par les migrants dans la hiérarchie de dominance mettent bien en
évidence les deux stratégies sociales identifiées dans des travaux précédents.
Joker a adopté une stratégie engagée, occupant le rang 11 lors de la première période
d’observation. Il sera débouté dès la seconde période et relégué dans les derniers rangs à la
troisième. Ribouldingue a lui aussi adopté ce type de stratégie, mais avec succès, passant du rang
14 au rang 9 en août-septembre. Filochard et Batman ont plutôt opté pour une stratégie discrète,
ayant acquis un statut assez bas dans la hiérarchie et s’y maintenant (rangs 29 à 34 sur 42 possibles).
Par ailleurs, si le statut occupé par Filochard semble instable, la progression rang par rang de
Batman correspond bien à l’adoption d’une stratégie
Tableau 6
. Statut des individus du groupe B dans la hiérarchie de dominance du groupe A des 3
périodes
discrète. Enfin, Joop (le plus jeune des mâles) et Pimprenelle (la femelle) restent aux statuts les
plus bas de la hiérarchie, quelle que soit la période considérée, indiquant un probable échec dans
leur stratégie d’intégration sociale. L'accroissement de l’asymétrie des relations dans le Groupe A
comprenant à présent les membres du Groupe B et de la rigidité de la structure de groupe indique
une plus grande stabilité des relations de subordination-dominance au cours du temps. Toutefois, la
prise en compte de la seule dimension agonistique ne nous renseigne que très partiellement sur
l’intégration sociale des migrants.
Analyse des relations de proximité
L'analyse Chi-carré des relations de proximité sur les dimensions intra- et intergroupes selon les
trois périodes a montré que les migrants se retrouvent de moins en moins à proximité les uns des
autres. Durant les deux premières périodes, les résidents préfèrent rester ensemble, mais cette
tendance semble s’atténuer au cours du temps. Cependant, en août-septembre, les résidents ou
certains d’entre eux sont fréquemment à proximité des migrants. Or, à cette période, certains
migrants occupent des statuts stables dans la hiérarchie du groupe des résidents. Ces premiers
résultats suggèrent que l’intégration sociale dans un nouveau groupe peut ne pas procéder de la
dissolution complète des relations préexistantes. Cependant, il s’agit là d’analyses ne permettant pas
d’apprécier les différences individuelles dans le succès ou l’échec deleur stratégie d’intégration. Il
est donc nécessaire de documenter les changements dans le réseau affiliatif pour évaluer
l’intégration sociale de ces migrants.
Transformation du réseau affiliatif
Le calcul des chi-carré sur les regroupements identifiés à partir des dendrogrammes obtenus
pour les différentes périodes d’observation a montré que : à la Période 1 (mai-juin), 3 migrants du
Groupe B sur 6 (Joker, Filochard et Joop) forment encore une clique, c’est-à-dire un sous-groupe
d’individus ayant des relations préférentielles entre eux (Chi2 = 174.97, p<.001); à la Période 2
(juin-juillet), 2 migrants du Groupe B sur 6 (Batman et Filochard) forment une clique avec deux
mâles du Groupe A des résidents (Chi2 = 45.765, p<.001) et à la Période 3 (août-septembre),
aucun membre du Groupe B des migrants n’appartient à une clique, témoignant ainsi de profils
d’associations dissimilaires et donc d’une dissolution des relations préférentielles entre membres
de ce groupe.
Conclusion
Nos résultats confirment l’existence des deux stratégies d’intégration sociale déjà documentées,
la discrète et l’engagée. Ils suggèrent également l’abandon de relations privilégiées entre migrants
au profit de relations avec des singes résidents. Des observations conduites ultérieurement ont
montré que le soutien accordé par les migrants à certains individus dans le groupe semble être un
gage important d’une intégration réussie. Les études visant la compréhension des processus
conduisant à une intégration réussie doivent donc nécessairement prendre en compte un aspect de
la vie sociale à la fois agonistique et affiliatif : les fréquences de soutien des migrants aux résidents
dans les conflits les opposant à d’autres membres de leur groupe.
Références
BERNSTEIN, I. S. (1974). Agression and social control in rhesus monkeys (Macaca mulatta)
groups revealed in group formations studies. Folia Primatologica, 21, 81-107.
STRAYER, F.F. (1980). Social ecology of the preschool peer group. In W. A. Collins (ed.), The
Minnesota Symposia on Child Psychology, 13, 165-196.
VAN NOORDWIJK, M. A. & VAN SCHAIK, C. P. (1985). Male migration and rank acquisition in
wild long tailed macaques (Macaca fascicularis). Animal Behaviour, 33, 849-865.
WAAL, F.B.M. DE, VAN HOOFF, J.A.R.A.M. & NETTO, W.J. (1976). An ethological analysis of
types of agonistic interaction in a captive group of Java monkeys (Macaca fascicularis). Primates,
7, 257-290.
4. Grille d’observation pour le recueil des données sociales d’un groupe en contexte naturel :
exemple de codage du comportement des enfants d’une classe de maternelle par Pascal CazenaveTapie
L'étude précédente a été la prémisse à l’établissement d’une technique simple et rapide pour
relever conjointement les indices de proximité permettant la dérivation du réseau affiliatif,
l’activité des enfants et les relations agressives conduisant à la construction de la hiérarchie de
dominance dans les groupes stables des enfants (Cazenave-Tapie & Santos, 1999). Par ailleurs il
avait été montré que le réseau affiliatif dérivé à partir des relations de proximité entre enfants dans
une classe scolaire est quasi similaire à celui obtenu à partir de l’observation de leurs interactions
sociales (Burgin, Cazenave-Tapie & Strayer, 1998). La méthode d’échantillonnage adoptée est celle
d’un échantillonnage par centrations successives (scan sampling) associé à un échantillonnage par
comportements (all occurences of behaviour) pour relever les interactions agressives dont la
fréquence est généralement inférieure à 10 %. La procédure est simple : après une période de
familiarisation, il suffit de se munir de la feuille préremplie et de relever les différentes
informations concernant les relations affiliatives en se focalisant successivement sur un enfant,
puis sur un deuxième, puis sur un troisième, et ainsi de suite pour l’ensemble des enfants d’une
classe. Chaque fois qu’un conflit survient dans le champ de vision, on arrête ce relevé et on
recueille les informations relatives au conflit. On fera autant de relevés complets que possible en
alternant l’ordre d’observation des enfants (contrôle de l’effet d’ordre). Les analyses présentées
dans l’étude précédente permettent à partir de ces relevés de dériver les structures sociales des
groupes, hiérarchie de dominance et réseau affiliatif, mais également de caractériser le
comportement habituel des enfants de ce groupe.
Tableau 1
. Grille de recueil des données sociales des enfants en groupe naturel
Selon la colonne, on notera :
Dans la partie Affiliation :
Contexte : Activité libre (AL) - par ex. récréation – ou structurée (AS) – c’est-à-dire supervisée
par l’enseignant ; dans la classe (int) ou dehors (ext). Focal : Code identité de l’enfant observé. 1er :
code(s) de(s) enfant(s) situé(s) à moins de 1 m. ss-grp : codes des enfants situés dans un rayon de
3m. action : Code du comportement de l’enfant observé.
Dans la partie Agression :
Acte : Code du comportement agressif observé. auteur : Code identité de l’agresseur. cible : Code
identité de l’agressé. soum : Code identité de l’individu qui adopte un comportement de
soumission.
Références
BURGIN, J., CAZENAVE-TAPIE, P. et STRAYER, F. F. (1998). « Réseau affiliatif et conflit social
en milieu scolaire ». Communication orale publiée dans les Actes du XVIe Colloque du Groupe
francophone d’études du développement de l’enfant jeune (GroFrED), Genève, Suisse.
CAZENAVE-TAPIE, P. & SANTOS, A. J. (1999). « Direct observation of social dynamics in
natural settings. » Communication par affiche présentée au Congrès de l’European Society for
Developmental Psychology, Spetse, Grèce, septembre.
ÉTUDE 9
Les pratiques de navigation dans le désert du Karahari (Botswana) chez les San : exemple
d’observation participante
Akira Takada4
Mots clefs : Relation entre chercheur et informateurs, Observation participante, Field notes
(carnet de bord), Pratiques de navigation, Analyse de l'organisation séquentielle, Processus de
construction du sens
Introduction
• Extrait 15
G : aa xoa ka kôõ aa qhǒro za
Vas dans cette direction. Par là où c’est dégagé.
Ce propos est extrait d’une conversation durant une excursion dans le désert du Kalahari avec
des |Gui et des ||Gana. La déclaration est faite avec assurance par G qui en même temps pointe dans
la direction à prendre. Le présent chapitre illustre une méthodologie qui permet de comprendre
pourquoi le propos et le geste ont été produits à un moment donné et à un endroit spécifique. Ces
données servent de base pour l’élaboration des théories sur le processus de construction du sens.
Nous étions en déplacement avec des |Gui et des ||Gana, habitants de la partie centrale du désert
de Kalahari. Leur nomadisme exige des compétences sophistiquées de navigation qui ont fait leur
réputation et attiré l’attention des chercheurs. Cette compétence ne fait pas l’objet d’un
enseignement formel mais s’acquiert, se développe et s’entretient dans la vie quotidienne.
Aussi, pour comprendre leurs pratiques de navigations, nous avons effectué l’« observation
participante » qui nous permettait d’assister aux interactions durant leurs activités quotidiennes.
Cette approche d’immersion complète dans l’environnement habituel des personnes observées a été
développée en anthropologie moderne. Elle est largement reconnue et répandue pour se
familiariser avec un groupe d’individus et ses pratiques. Par contre, l’exploitation des données
ainsi acquises diffère d’un chercheur à l’autre. Pour notre part, nous procédons à une analyse de
l’organisation séquentielle des échanges verbaux et gestuels.
Objectifs
La capacité remarquable de navigation chez les San a été attribuée jusqu’à présent à leur capacité
visuelle et à leur sens d’orientation particulier. Cependant, notre étude se focalise sur les échanges
verbaux et non verbaux relatifs à leur navigation qui selon nous joue un rôle non négligeable dans
le développement de cette capacité.
Le but de notre étude était d’explorer le processus de la « construction du sens » chez les
participants (parmi lesquels le chercheur) autour des techniques de navigations chez les |Gui et les
||Gana dans les activités quotidiennes. Puisque |Gui et ||Gana sont semblables dans leurs pratiques
de navigation, les deux groupes ont été considérés ensemble pour cette étude.
La « construction du sens » se comprend comme suit. Dans un enchaînement d’actes (verbaux et
non verbaux) de plusieurs personnesen interaction, un intervenant A agit en fonction de ce qu’il a
perçu des actes précédents effectués par d’autres intervenants. L'action de A dépend donc de celle
d’autres individus dont elle est en définitive la réponse, appelée « sens de l’action qui précède ». «
Construire le sens » désigne l’action, en insistant sur le fait qu’elle dépend des actions menées par
d’autres individus.
Pour ce type d’étude, de la part du chercheur, être observateur neutre ou « personne invisible »
pourrait nuire par son inactivité dans un processus très dynamique, en particulier dans le cadre
d’une observation à long terme. Il est donc préférable que le chercheur interagisse avec les
individus observés et qu’il montre son implication empathique dans leur vie. Il y a à cela deux
justifications, qui sont liées. Premièrement, cette approche constitue une stratégie clef en
anthropologie linguistique où la discussion quotidienne fournit les informations sur la
construction de la réalité sociale (c’est à dire l’ensemble des « sens »), dimension essentielle de la
culture. L'observation participante apporte des données qui permettent de clarifier les rapports
étroits entre le contenu de la conversation, les actions manifestées durant la conversation et les
conditions dans lesquelles la conversation a eu lieu. Deuxièmement, une telle approche réduit les
risques d’erreur d’interprétation occasionnées par les différences culturelles entre observateur et
observé (Marcus et Fischer, 1986:2). Les échanges lors de l’observation au terrain entre
l’observateur participant et les autres participants facilitent l’analyse du processus
d’intercompréhension, ce qui a été largement exclus des textes ethnographiques de référence
(Clifford, 1986:109).
Procédure d’observation
Nous avons procédé comme suit. Le chercheur a contacté un groupe d’individus et a participé
aux activités quotidiennes du groupe pour collecter les données, avec un carnet de bord et des
enregistrements vidéo. Les données sont ensuite analysées avec l’aide d’informateurs pour
l’interprétation.
Les |Gui et ||Gana évoluent dans la région aujourd’hui occupée par la réserve centrale de Game
dans le Kalahari (CKGR). Comme pour les populations San à travers toute l’Afrique du sud, leur
style de vie a connu des changements radicaux. Depuis les années 1970, plusieurs sites d’habitation
ont vu se développer des infrastructures. En 1986, le gouvernement national du Botswana a
encouragé les résidents deCKGR à s’installer en dehors de la réserve. Onze ans après, ceux qui ont
choisi de se déplacer sont allés à Kx’ô ẹ sakéne, un nouveau site d’habitation à l’extérieur du
CKGR. Cette migration a eu un effet boule de neige et la plupart des résidents de CKGR ont suivi.
Le travail de terrain de l’auteur a commencé juste après la relocalisation. Kx’ô ẹ sakéne a servi
de base pour le séjour. D’après un recensement effectué en avril 2000, 1002 |Gui et ||Gana
habitaient dans le Kx’ôẹ sakéne au moment de l’étude. Comme notre équipe avait lancé plusieurs
projets de recherches interdisciplinaires sur les |Gui/||Gana depuis les années soixante (cf. Tanaka,
1987), la population était habituée à la présence des chercheurs. En général les chercheurs ont
besoin de quelques mois pour s’adapter à la vie dans le Kalahari. Pendant cette période, nous avons
acquis un niveau de langue pour la conversation quotidienne dans les langues |Gui/||Gana, et pris
connaissance des réseaux sociaux des résidents, etc.
Nous avons participé aux activités qui exigeaient des déplacements sur de longues distances et
interviewé les gens du camp au sujet de leurs pratiques de navigation. Toutes les communications,
y compris celles avec les informateurs, se passaient dans les langues |Gui / ||Gana. Durant les
activités, les « field notes » ont été enregistrées in situ.
La figure 1est un exemple de « field notes ». Dans notre cas, la page gauche du field notes (16.5 ×
9.5 cm) sert à noter les observations lorsque nous étions engagés dans une activité. Les
observations sur les comportements particuliers ou les expressions verbales remarquables ont été
notées en quelques lignes. En plus, nous avons souvent esquissé les visages humains, les objets
créés, les outils, etc. Les croquis aidaient à mémoriser les situations et rassuraient les personnes
soupçonneuses au sujet de nos activités. La page de droite du field note était laissée vierge et
permettaient des ajouts ultérieurs à partir de nos souvenirs.
Quelques activités et conversations ont été également enregistrées à l’aide d’un caméscope
équipé d’un microphone électrostatique à condensateur. Durant l’enregistrement, nous nous
sommes habituellement abstenus de regarder les participants à travers le viseur de l’appareil, pour
réduire leur conscience de l’enregistrement. Des passages d’enregistrements ont été retranscrits
avec l’aide des informateurs. Même si la retranscription est très coûteuse en temps, elle facilite
grandement l’analyse du discours. Les transcriptions sont examinées ligne par ligne.
Figure 1
. Un exemple de field note (carnet de bord).
Traitement de données et analyse
L'interaction est une procédure dynamique dans laquelle les compétences et les connaissances
sont construites et re-construites continuellement. Un acte (verbal ou non verbal) influe sur l’acte
qui le suit immédiatement.
Nous analysons donc l’organisation séquentielle des interactions, comme dans le cadre d’une
analyse historique, pour étudier l’influence de chaque acte (verbal et non verbal) sur celui de
l’interlocuteur, avec au final la construction du sens.
L'analyse prend aussi en compte les données ethnographiques (documents ethnographiques et
observations de terrain) de sorte à comprendre comment le contexte guide l’enchaînement des
actions. Nous proposons ci-dessous des exemples d’analyses.
Trouver un chemin entre les obstacles
L'information sur l’environnement devient publique lors des échanges qui ont lieu durant le
déplacement.
• Extrait 2
1 G : aa xoa ka kôõ [ aa qhǒro za ]
Vas dans cette direction. Par là où cest dégagé.
2 D :[ah ahm]
[ah ahm]
3 G: qhǒro(-si ka) ?átè cua kôõ, |qhari [ -zì xo ] dâo-sà ?ám
Vers l’espace dégagé. On ne va pas (par là).
[Autour des] arbres |qhari, le chemin est bloqué.
Figure 2
. G (sur le siège arrière) tend sa main droite entre T (au milieu) et D (gauche).
Ligne 1, G (un ||Gana d’une soixantaine d’années) utilise le démonstratif distal « aa » (là-bas)
d’une façon explicative, avec un geste de pointage. Avant que G finisse sa phrase, T (un ||Gana âgé
d’environ 18 ans) tend également sa main droite et pointe dans la direction indiquée par G (figure
2). Simultanément, D (un homme ||Gana d’une soixantaine d’années ) coupe la parole de G, lève la
main droite et pointe dans la même direction que T, tout en prononçant « oh l’ahm, » qui est une
modification du « aa » démonstratif distal(ligne 2). Suite au propos et à ce geste de D, G prononce
une phrase incluant le qualificatif « qhǒro » (dégagé). Noter que même dans le buisson qui paraît
dense, il y a des endroits couverts d’herbes de taille basse, et les |Gui/||Gana sont capables de
localiser ces marques et de les interpréter pour trouver un « chemin » dans le Bushveld. Le mot «
qhǒro » a manifestement indiqué un endroit couvert d’herbe. Ligne 3, après avoir répété le mot «
qhǒro » qui est vu comme une « résolution commune », G utilise des expressions descriptives et
complexes pour indiquer la direction. G baisse ensuite sa main droite, alors que T change
graduellement le sens du pointage vers la gauche.
Les gestes et l’expression sont apparus dans un espace riche en ressources pour la
communication. Une de ces ressources était la configuration des gens dans le véhicule. G était assis
sur le siège arrière et donc était hors de la vue de N, une femme japonaise d’une vingtaine d’années
qui conduisait le véhicule. Comparé aux autres informateurs, G a utilisé des expressions
descriptives mais complexes (en lignes 1 et 3). Cela signifie que le destinataire de ces propos
n’était pas N, mais le jeune informateur T, qui était assis à côté du conducteur et était responsable
de guider N. T indiquait la direction à N en utilisant la plupart du temps des gestes déictiques
qu’elle pouvait voir. Avant ceci, N avait évoqué la difficulté de trouver le chemin en riant (non
indiqué dans l’extrait). Les propos et les gestes étaient contingents avec le déplacement du véhicule.
Par conséquent, le mouvement du véhicule a également fonctionné comme une ressource de
communication. Basé sur les propos et les gestes de G, D, et T, N a orienté le véhicule dans la
direction indiquée. Le rire a cessé. Ensuite, la conduite de N était coordonnée avec les gestes de T.
En bref, G, D, T et N ont graduellement coordonné leurs actions durant cette séquence.
L'ajustement de leurs actions montre qu’une compréhension mutuelle s’installait au sujet du choix
de la direction à prendre.
Arbres comme indices du paysage
Les informations sur l’environnement peuvent être rendues publiques lorsque l’origine de
l’information n’est pas perceptible (ici l’arbre en question non visible sur le moment) pour le
locuteur et l’interlocuteur. Ceci est montré dans l’interaction suivante concernant un arbre. Bien
que le Bushveld soit la plupart du temps couvert par des herbes, quelques arbres et arbustes sont
également présents et servent de points de repères pour les déplacements. Les |Gui/||Gana peuvent
identifier des arbres spécifiques.
L'extrait 3 provient d’une conversation enregistrée dans le Kx’ôẹ sakéne. Cette conversation a eu
lieu lors d’une visite à O (un homme |Gui d’une trentaine d’années) avec nos informateurs G et T.
Nous évoquions un épisode où O et un autre homme s’étaient perdus sur le chemin du retour. Dans
la dernière partie de la conversation, G décrit leur itinéraire. Noter que G est un chasseur
expérimenté et a des bonnes connaissances de la géographie des alentours du Kx’ôẹ sakéne.
• Extrait 3
1 O : [ sii ] sii ?owa ka itsebe sii [ ≠qx’oa ]
[ arriver ], arriver, quand nous arrivons, ((nous allons)) [voir] ((l’arbre
||kâra))
2 G : [ e : ] sii ?owa xa itso ?o
≠qx'o ?a (1.2) [ kua xa itso ]
[eh ] quand ((tu)) arrives, tu verras
((l’arbre ||kâra ))(1.2), [ toi ]
3 O : [ aa ] aa | né__ ca ?ii ||kârasi=
[ là ], cet arbre _kâra comme ça=
4 G : = àe | néẹ ta ?ii ||kârasi
= Oui, arbre ||kâra comme ça
Figure 3
. Durant l’échange, G (au milieu) reprend à chaque fois les phrases/gestes d'O
(droite) presque à l’identique.
À la ligne 1, O paraphrase la description donnée par G concernant l’itinéraire vers le grand
arbre ||kâra (non indiqué dans l’extrait). Ainsi, O montre qu’il a compris le chemin en question.
Ligne 2, G valide le propos de O avec un « e affirmatif, » suivi d’un propos dont le contenu et la
prosodie sont presque identiques à ceux de O de la ligne 1. Avec cette répétition G confirme que O
a correctement compris. La compréhension mutuelle entre G et O augmente quand ils conviennent
de leur accord sur la forme du grand arbre ||kâra (lignes 3 et 4). Au début de la ligne 3, O
mentionne le grand arbre ||kâra en utilisant deux fois le démonstratif distal « aa ». Le deuxième «
aa » est exprimé comme une résolution commune. En utilisant le démonstratif proximal « né~e
»(ceci), il dépeint la forme de l’arbre ||kâra en levant ses deux mains avec les paumes ouvertes.
L'objet auquel il est fait référence devient alors « visible » pour les interactants, ce qui les pousse à
utiliser cet objet comme ressource d’interaction. Dans l’échange suivant, après avoir signifié qu’il
a compris (en utilisant l’affirmatif (àe) et en inclinant la tête), G reproduit l’expression/ geste
précédents d'O (figure 3). En outre, G adopte un ton particulier de voix, montrant ainsi sa
satisfaction. On comprend ainsi que G manifeste son accord avec le propos précédent de O et
confirme que O a compris l’itinéraire.
On voit ainsi que les interactants sont parvenus à une compréhension mutuelle à certains
moments de l’interaction. Manifester un accord est un acte clef pour une compréhension mutuelle.
Cette compréhension mutuelle est indispensable et permet de réaliser les navigations qui sont des
activités collectives. Ceci peut prendre la forme d’une démonstration symétrique de la
connaissance ; une telle démonstration a été admirablement réalisée dans l’exemple ci-dessus par la
citation et la description de la forme du grand arbre ||kâra qui était hors de leur vue.
Conclusion
Lorsque les |Gui/||Gana parlent de leurs expériences, ils sont inévitablement impliqués dans la
production de significations sociales. Les éléments linguistiques peuvent être considérées comme
des ressources sémiotiques (Goodwin, 2000:1492) exploitées durant les interactions.
Ici, nous avons analysé les interactions verbales et non verbales. Les diverses facettes des
pratiques culturelles de |Gui/||Gana sontapparues à travers ces interactions. L'observation directe
participante a permis de les observer de l’intérieur.
Fondamentalement, notre stratégie pour conduire l’observation participante ne cherche pas « à
fixer des pratiques objectives et subjectives (Clifford, 1986:109) » mais tente d’aboutir à deux types
de compréhension, à savoir la compréhension mutuelle au cours de l’interaction naturelle et la
compréhension théorique de son organisation séquentielle. L'association de ces deux ensembles de
données permet de comprendre le processus de construction du sens.
Références
CLIFFORD, J. (1986). On ethnographic allegory. In J. Clifford and G. E. Marcus (eds.), Writing
culture : The poetics and politics of ethnography (pp. 98-121). Berkeley, CA : University of
California Press.
GOODWIN, C. (2000). Action and embodiment within situated human interaction. Journal of
Pragmatics, 32, 1489-1522.
GOODWIN, M. H. (1990). He-said-she-said : Talk as social organization among black children.
Bloomington, IN : Indiana University Press.
MARCUS, G., & FISCHER, M. (1986). Anthropology as cultural critique : An experimental
moment in the human sciences. Chicago, IL : University of Chicago Press.
NAKAGAWA, H. (1996). An outline of |Gui phonology. African Study Monographs,
Supplementary Issue, 22, 101-124.
SACKS H., SCHEGLOFF E. A., & JEFFERSON, G. (1974). A simplest systematics for the
organization of turn taking for conversation. Language, 50(4), 696-735.
TAKADA, A. (2006). Explaining pathways in the Central Kalahari. In R. K. Hitchcock, K. Ikeya,
M. Biesele, & R. B. Lee (eds.), Senri Ethnological Studies, No.70, Updating the San : Image and
reality of an African people in the 21st century. Osaka : National Museum of Ethnology (pp. 101127).
TANAKA, J. (1987). The recent changes in the life and society of the Central Kalahari. San.
African Study Monographs, 7, 37-51.
1 Le lecteur intéressé peut se référer à Barthe 1999 ; Barthe, 2000 ; Barthe, 2003 ; Barthe & Quéinnec, 2005.
2 Aujourd’hui, la technique papier-crayon serait à remplacer par l’utilisation d’un ordinateur de poche PDA avec système
d’exploitation Palm OS, qui permet un enregistrement des données temporelles et un transfert direct pour le traitement ultérieur.
3 Pour une définition précise des règles de codage voir Barthe (1999).
4 Traduit de l’anglais par Hiroko Norimatsu & Raoul Blin.
5 Dans les extraits, nous avons adopté l’orthographe proposée par Nakagawa (1996). Des notes libres sont placées immédiatement
sous les expressions de |Gui / |Gana. Les propos sont transcrits selon une version modifiée des conventions développées par recherche
d’analyse de conversation [pour plus de détails, voir Sacks et al. (1974)]. Les informations importantes pour les propos sont indiquées
entre double parenthèses: (( )). Le signe égale (=) indique le propos qui continue ou celui qui a été interrompue par quelqu'un d'autre. La
longueur des pauses est indiquée entre parenthèses en 10 de seconde [par exemple, (0.6)]. Le chevauchement temporel des propos est
indiqué par les parenthèses carrées: [ ]. Soulignée indique les mots accentués. Les parenthèses simples indiquent les propos sur quelque
chose qui était inintelligible ou non identifiée.
Chapitre VII
« Actogram Kronos » : un outil d’aide à l’analyse de l’activité
Alain Kerguelen
Introduction
Actogram Kronos est un logiciel initialement conçu pour répondre aux besoins des ergonomes
et psychologues du travail dans leur démarche d’analyse de l’activité. Les commodités ouvertes par
le développement de la micro-informatique dans les années 80 (notamment l’apparition des
ordinateurs de poche) ont donné la possibilité de recueillir des observations en temps réel dans des
conditions beaucoup plus aisées que dans le passé. Ces facilités permettaient d’obtenir des
observations plus détaillées, mais dont l’exploitation statistique ou graphique pouvait s’avérer en
partie impraticable. Pour rendre plus opérationnels ces relevés, la définition de principes
organisant les codages s’est avéré nécessaire. Ces principes se sont concrétisés dans la réalisation
d’un outil général applicable à une grande variété de situations d’analyse.
La principale caractéristique de l’outil était d’inciter fortement à une planification des
observations en imposant la réalisation préalable d’un « protocole de description ».
Simultanément au développement de la micro-informatique, les technologies de la vidéo ont
rapidement évolué (portabilité, miniaturisation, passage au numérique). L'usage de la vidéo pour
l’observation a aussi modifié la nature des corpus recueillis en leur donnant plus deprécision,
autorisant des dépouillements plus fins en plusieurs étapes et surtout en donnant la possibilité
d’associer analyse descriptive et auto-confrontations.
Dans ce chapitre, nous présenterons tout d’abord la logique des « protocoles de description »,
les facilités que cette structuration des observations a pu induire en termes de production de
statistiques comparatives et de représentation graphique du déroulement de l’activité.
Mais nous soulignerons les limites de telles modalités de description pour rendre compte de
dimensions moins directement observables de l’activité.
1. Les protocoles de description
1.1. Événements et états mutuellement exclusifs
Un protocole de description est un tableau listant les codes des événements que l’observateur a
choisi de relever. Ces codes sont regroupés dans des classes d'observables1. C'est la notion de
classe d’observable qui va permettre d’associer une durée à un événement : Chaque événement est
considéré comme générant un état qui sera interrompu par l’occurrence d’un événement de la
même classe d’observable.
Ainsi, si l’on s’intéresse aux déplacements d’une personne, lors de la définition du protocole de
description, on regroupera dans la même classe « lieu » les codes associés aux lieux où la
personne peut se trouver. Au moment de l’observation proprement dite, l’observateur relèvera les
changements de lieux et leur moment d’occurrence. La durée de séjour dans un lieu sera
déterminée par l’intervalle entre l’événement et le prochain événement appartenant à la même
classe « déplacement ». On peut ainsi relever des types d’observables différents dans une même
chronologie : déplacements, type d’actions, etc.
On notera l’existence d’une colonne « recodage » qui permet de regrouper des codes
d’événement dans une catégorie plus générale. On peut ainsi procéder à une lecture moins détaillée
des données sans modifier les fichiers de relevés d’observation. Les autres colonnes per-mettent
Figure 1
. Exemple de protocole présentant deux classes d’observable « LIEU » et « ACTIVT » :
les codes associés à une même classe définissent des états exclusifs.
notamment de définir des propriétés de présentation graphique des états.
Contrairement à des grilles d’observation où l’on note à un moment prédéterminé l’état en cours
pour chaque variable, on relève ici les changements d’états au moment où ils adviennent. Le fichier
de relevés de données se présente donc sous la forme d’une liste chronologique d’événements
horodatés.
Figure 2
. Exemple de relevé d’observation.
Pour une classe d’observable donnée, la liste des codes doit recouvrir l’ensemble des états
possibles pour cette classe d’observable (on peut pour cela ajouter un état « autre »). En
conséquence, à chaque moment de la période de relevé un état et un seul est défini pour chaque
classe d’observable. Ceci facilite la mise en œuvre de deux fonctionnalités du logiciel : la
réalisation de graphes d’activités et l’obtention de statistiques sur les durées.
1.2. Les graphes d’activités
La visualisation des relevés sous la forme de graphe d’activité est sans doute la première
fonctionnalité recherchée après une observation. Les graphes d’activité sont bien sûr un outil de
vérification de la cohérence des observations et mais ils sont surtout un outil pour repérer
visuellement les caractéristiques pertinentes des situations observées (évolutions, simultanéités
entre catégories de classes d’observables différentes, périodes spécifiques, etc.), caractéristiques
qui pourront être formalisées dans un deuxième temps par les biais d’indicateurs statistiques ou par
l’identification de séquences d’état.
Dans Actogram Kronos, les graphes d’activités sont des représentations chronologiques où le
temps est représenté en abscisses et les états par des lignes ou des surfaces.
Figure 3
a. Observation d’un opérateur chargé d’une ligne d’embouteillage.
Ses déplacements, la direction de ses regards et ses actions ont été relevées par deux
observateurs. Représentation des directions de REGARDS et des LIEUX par des lignes,
des types d’interventions (ACTIVITÉ) par des motifs.
L'utilisateur peut définir la période à afficher et dispose de choix de présentation par classe
d’observable et par état : lignes horizontales (avec ou sans ligne de suivi verticales), surfaces avec
motifs colorés, symboles, intitulé du code. De plus, si une classe est représentée par des surfaces,
elle peut être placée en arrière-plan d’une autre classe, ce qui permet de mettre en relation une
classe par rapport à une autre.
Figure 3
b. Observation d’un opérateur chargé d’une ligne d’embouteillage.
La même période que sur la figure 3a avec représentation des états par des surfaces et
positionnement relatif des classes d’observable. Les déplacements apparaissent en
ordonnée, les directions de regards sont représentées à l’intérieur des rectangles de
déplacements, le type d’action est représenté en arrière-plan des déplacements et les
communications en arrière-plan général.
En fait, les graphes d’activités peuvent rendre compte visuellement de la quasi-totalité des
informations présentes dans un relevé : la fréquence des événements, la durée des états et leur
variabilité, les éventuelles dépendances entre classes d’observables, les évolutions, etc.
Ainsi, au cours d’une intervention ergonomique, ils seront utilisés pour restituer les
observations, mais pourront aussi servir de support à la production d’explicitations et de
commentaires par les acteurs de l’activité observée.
1.3. Statistiques sur les durées d’état
Le temps peut, en premier lieu, être considéré dans sa dimension “durée” : les descriptions
statistiques qui en découlent sont alors classiques : on peut produire des fréquences d’états, des
durées moyennes et procéder à des comparaisons ou à des mises en évidence d’évolutions.
Actogram permet ainsi l’obtention de diverses statistiques usuelles :
– sur les durées d’état en répartition (par exemple : 40 % du temps est
consacré à tel type d’activité) et en distribution (ex : cette activité est
réalisée en peu de fois mais à chaque fois longtemps ou en beaucoup de
fois de courte durée) ;
– sur les simultanéités d’états (ex : que fait-on à tel endroit ?).
Actogram, par le biais de la définition de « conditions », permet de mettre en œuvre et combiner
deux types de comparaisons.
• Le premier type de comparaison est relatif à des relevés correspondant à des situations bien
différenciées selon les périodes d’observation : Par exemple, si l’on veut comparer des situations
selon le moment dans la journée ; ou si l’on veut comparer un travail effectué selon l’utilisation de
tel ou tel outil. Les unités de comparaison correspondront dans ce cas aux différents fichiers de
relevés de données.
• Le second type de comparaison correspond à des variables qui changent pendant les périodes
d’observation. Dans ce cas, l’observateur doit avoir noté ces changements en tant qu’événements
définissant un état de la situation ou des personnes observées, déterminant ainsi des périodes
particulières dans les données d’observation.
Le logiciel permet alors, pour l’élaboration des statistiques, de ne considérer que les portions de
fichiers correspondant par exemple à des circonstances particulières, à une sous-tâche ou à un état
de l’opérateur. Pour cela, l’utilisateur définit une condition sur une ou plusieurs catégories ; cette
option, associée aux possibilités de recodage, autorise toutes les partitions de fichier possibles
pour peu que les événements nécessaires à ces partitions figurent dans les fichiers de données.
1.4. Les limites des protocoles de description
Le découpage en états mutuellement exclusifs opérationnalise le traitement des données
d’observation. Mais le type de description induit par ce découpage permet-il toujours de rendre
compte de la manière la plus appropriée des situations observées ? Dans de nombreux cas, le
découpage en catégories exclusives peut se révéler arbitraire surtout lorsque l’on caractérise des
comportements. Le découpage peut être clair et explicite du point de vue des indices visuels qui
concourent à la catégorisation par l’observateur mais ne pas correspondre à une description
appropriée pour rendre compte des objectifs poursuivis par l’acteur.
Prenons l’exemple d’une opératrice chargée d’une machine fabricant des pièces en plastique.
Elle doit approvisionner la machine, trierles pièces qu’elle produit en le répartissant dans des bacs
différents, nettoyer, opérer des opérations prescrites de contrôle qualité, etc. Le protocole de
description pourra contenir les codes suivants : Approvisionnement, Tri, Nettoyage, Contrôle
Qualité. En fait, les échanges avec l’opératrice font apparaître que l’activité de contrôle de la
qualité des pièces ne se réduit pas à la seule période de contrôle qualité prescrite mais prendra
place aussi notamment pendant le tri ou elle évalue la dérive progressive de certains aspects des
pièces fabriquées. Le danger est, en se fiant à l’intitulé des codes d’observation, de produire une
représentation erronée du travail réel de l’opératrice.
Bien souvent un comportement ou un événement sera plus naturellement décrit par l’observateur
par une combinaison de qualificatifs. Nous verrons plus loin quelles solutions peuvent être
proposées pour combiner un codage exclusif qui permettent de répondre aux exigences d’un
repérage temporel non ambigu et un codage plus apte à rendre compte de dimensions plus
complexes de l’activité.
Cette question de l’objet des codages et de leur forme constitue avec la prise en compte de la
dimension temporelle de l’activité les deux enjeux propres à la description de l’activité.
2. Les enjeux de la description de l’activité
2.1. La prise en compte de la dimension temporelle
La prise en compte de la dimension temporelle se pose à deux niveaux :
– au niveau des relevés où il s’agit pour l’essentiel d’un problème
technique lié à la notation du temps ;
– au niveau de son analyse et de sa restitution.
Avant l’apparition des systèmes disposant d’une horloge interne la prise en compte de la
dimension temporelle ne pouvait s’appuyer que sur des techniques fastidieuses ou difficiles à
mettre en œuvre : cinéma, enregistreurs graphiques, relevés horodatés manuels.
• Les enregistreurs d’événements
L'usage des micro-ordinateurs de poche permettant le relevé du temps au moment de l’encodage
d’un événement et par ailleurs la possibilité d’accéder au repérage temporel interne des vidéos a
permis des relevés en temps réels plus précis et des dépouillements vidéo notablement facilités.
Concernant les relevés en temps réel, l’enregistrement automatique du temps n’a pas réduit à lui
seul les difficultés de relevés chronologiques. La possibilité de recourir à des méthodes
d’encodage réduisant le recours à la mémoire de l’observateur et le délai même de saisie.
Actopalm est un programme pour Assistant Personnel (PDA) sous Palm OS. Il permet de définir
un protocole de description sous la forme d’un dessin constitué de zones sur l’écran tactile du
PDA.
À chaque zone est associé un code lui-même affecté à une classe d’observable. Quatre pages sont
disponibles. L'utilisateur peut profiter d’une structuration spatiale ou logique des observables pour
définir une organisation similaire sur l’Assistant Personnel
Le relevé se fait en « cliquant » sur les zones, l’horodatage et le code associé à la zone sont
enregistrés.
La zone de saisie de caractères alphanumériques peut aussi être utilisée pour entrer un caractère
qui pourra être utilise comme un code dans Actogram où que pourra servir de point de repère pour
des commentaires.
Les relevés et les protocoles de descriptions issus des dessins sont rapatriés sur ordinateur PC
Windows par simple synchronisation.
Figure 4
. En haut : définition de zone avec attribution d’un code et d’une classe
d’observable. En bas : réalisation du relevé en cliquant sur les zones.
• Les dépouillements de vidéo
Les facilités d’encodage et de mise en relation entre les fichiers de dépouillement et les films
dont ils sont issus contribuent aussi à la qualité des données. Le dépouillement de vidéo est réputé
long et fastidieux. Il est maintenant grandement facilité par l’intrication de la vidéo numérique et de
la micro-informatique.
La vidéo numérique transforme profondément le traitement des enregistrements vidéo. Elle
permet bien sûr un archivage simplifié mais surtout elle facilite le dépouillement en permettant un
horodatage automatique et précis (il fallait auparavant disposer d’équipements coûteux et
spécifiques pour obtenir les mêmes fonctionnalités en vidéo analogique). Elle permet aussi une
mise en relation permanente entre les données codées et les images enregistrées.
Figure 5
. Écran de pilotage vidéo.
Actogram Kronos permet le pilotage de films numérisés. La vitesse, le sens de lecture peuvent
être ajustés soit au clavier soit à la souris. Une petite zone de contrôle avec la souris permet l’arrêt
ou la relance du défilement à la vitesse précédant l’arrêt et des positionnements précis sur une
image grâce à des « mouse gesture » (mouvement de la souris).
Un clic avec le bouton droit fait apparaître un menu local affichant les codes du protocole de
description. Les codes sont insérés dans le relevé en respectant la chronologie.
Inversement, un clic sur le numéro dans un événement positionne le film sur le moment
d’occurrence de l’événement.
Un des intérêts de ce type de dépouillement et de permettre des analyses en plusieurs étapes (par
observable par exemple ou encore d’un codage grossier à un codage plus détaillé) la chronologie
des événements étant automatiquement reconstituée par le système. Le fait de pouvoir revenir sur
ce qui précède ou consulter ce qui suit un événement peut contribuer à mieux catégoriser cet
événement.
Un intérêt plus fondamental est de pouvoir obtenir des explicitations des personnes observées en
les confrontant à l’activité filmée et à partir des verbalisations recueillies produire de nouveaux
encodages plus interprétatifs.
• Restituer la dimension temporelle
L'inscription de l’activité dans le temps conduit à de nombreuses dimensions de description qui
ne se réduisent pas à la seule durée : simultanéité, antécédence, enchaînements. Si ces dimensions
peuvent être appréhendées visuellement par les graphes d’activité, elles sont plus difficiles à
synthétiser dans des indicateurs pouvant conduire des comparaisons statistiques standard.
On peut bien sûr établir des matrices de transition qui permettre de répondre à des questions du
type : « que se passe-t-il après tel événement ? ».
Mais la construction d’indicateurs visant à identifier des structures plus complexes dans
l’enchaînement d’événements et d’actions pose des problèmes délicats dus :
- aux effets de la granularité des descriptions : Un degré de finesse élevé ainsi que le niveau
d’exhaustivité dans la description sont susceptibles de générer un « bruit » masquant les
enchaînements significatifs ;
- au choix des classes d’observables à prendre en compte ;
- au risque d’une définition trop stricte des séquences faisant prendre en compte des effets
d’ordre non pertinents pour l’analyse (une séquence A-B-C-D peut être considérée
comme non différente de A-C-B-D).
Ces considérations ont conduit non pas à proposer une procédure complètement automatisée
pour synthétiser des enchaînements, maisplutôt une démarche qui permette à l’analyste de contrôler
la construction de ces séquences :
– ces séquences peuvent présenter des « jokers » (le cas échéant limités à
une classe d’observable). Le système retournant les événements
effectivement trouvés dans le corpus de données ;
– elles peuvent présenter des alternatives permettant de synthétiser dans
un seul graphe différents chemins possibles.
Simultanément, à toutes ces étapes d’analyse, l’utilisateur peut jouer sur le mode de lecture du
corpus de données en sélectionnant les classes d’observables et les items comportementaux à
prendre en compte.
Figure 6
. Exemple de décompte de séquence. Comparaison de modes opératoires de deux
opérateurs sur une chaîne de montage.
À gauche, l’opérateur regroupe les phases d’approvisionnement de petites pièces
(Appro_PP en gras). À droite l’opérateur les répartit dans le cycle de montage. Les
nombres indiquent le nombre de fois ou un « chemin » a été emprunté.
2.2. Catégorisations descriptives et interprétatives
Comme on l’a vu plus haut, la nature des objets codés (comportement élémentaire ou finalités
des comportements) conditionne les modalités d’encodage.
Ainsi certains événements ne font pas appel à l’interprétation pour procéder à un encodage :
l’événement observable en lui-même contient les informations nécessaires au codage. Ainsi des
observables élémentaires relatifs aux comportements comme les déplacements (les localisations),
les postures, la tenue ou non de tel ou tel outil, les directions de regards permettent aisément des
catégorisations exclusives. On remarquera que ces observables élémentaires sont généralement à
référence spatiale.
En revanche, tout encodage relatif à l’activité en termes d’actions, de réalisation de tâches
suppose l’inférence de buts poursuivis par l’acteur observé et donc une part d'interprétation2.
Ceci est particulièrement le cas de l’encodage du contenu de communications verbales qui
nécessite une connaissance du contexte immédiat, de la tâche réalisée, du langage professionnel.
Mais la part de l’interprétation dans l’encodage d’action peut être plus ou moins importante :
Une même action peut être décrite en terme de transformation visible de l’objet sur laquelle elle
porte ou décrite en terme de but poursuivi par l’opérateur ce qui dans ce dernier cas implique une
inférence de la part de l’observateur.
De même, certaines caractéristiques des communications verbales peuvent être encodées sans
recourir à l’interprétation : locuteur, média et parfois objet de la communication.
En fait, la nature interprétative de l’encodage ne dépend pas uniquement de l’événement
considéré mais de la relation entre cet événement et les capacités de l’observateur-encodeur. Cette
relation est de plus affectée par les conditions de l’encodage : un encodage en temps réel relatif à
des événements dont la fréquence est élevée va conduire l’observateur à minimiser la part
d’interprétation. Les mêmes événements enregistrés par la vidéo peuvent être vus en tenant mieux
compte du contexte, de ce qui les précède ou les suit, ils peuvent être soumis à l’opérateur luimême.
Ce moment de l’encodage par rapport au déroulement même de l’activité va jouer sur la forme
des codes utilisés : plutôt des codes nominaux simples pour les relevés direct, plutôt des
combinaisons de codes plus riches pour les encodages a posteriori.
La nature du codage va donc dépendre de trois facteurs en partie interdépendants :
- de la nature de l’observable ;
- du mode de relevé utilisé par l’observateur : relevé direct, relevé différés à partir
d’enregistrements, encodage sur un corpus de données « brutes » préalablement
relevées ;
- de la part d’interprétation nécessaire à l’encodage.
Pour dépasser ces limites nous avons proposé d’établir une distinction entre codages descriptifs
et codages interprétatifs3.
– Les codages descriptifs correspondent à des catégorisations reposant sur des indicateurs
directs et non ambigus. Lorsque la fréquence des événements n’est pas trop élevée, ces codages
peuvent être effectués en temps réel avec un enregistreur d’événement notamment. Ils sont
appropriés pour des observables élémentaires : déplacements, postures, directions des regards, etc.
– Les codages interprétatifs peuvent mettre en jeu des connaissances spécifiques de
l’observateur, faire appel à des éléments du contexte. Ils sont effectués a posteriori à partir de
supports enregistrés ou de relevés descriptifs. Ils sont appropriés pour encoder des comportements
complexes, des communications verbales.
Ces considérations ont conduit à doter le logiciel Kronos4 de deux niveaux d’encodage.
– Le premier niveau (implémenté depuis l’origine du logiciel) est plutôt destiné à accueillir des
encodages peu interprétatifs. Ils peuvent être le produit d’observations directes, de dépouillements
systématiques d’enregistrements, de relevés de mesures (les variables numériques présentées plus
loin) ou de transcription de communications verbales. Ces « événements » doivent être clairement
situés dans le temps. Ce niveau d’encodage peut être qualifié de plutôt descriptif.
– Le second niveau d’encodage permet de « qualifier » par la combinaison de codes intitulés «
attributs interprétatifs » les événementsreportés dans le codage descriptif. Ces attributs sont
organisés hiérarchiquement. Ce point est le plus important car il répond à une des limites des
encodages interprétatifs. En effet, la précision qualitative de ces encodages dépend de deux facteurs
qui peuvent varier au regard des données traitées et au sein d’un même corpus : la disponibilité
d’informations permettant les inférences et le niveau de connaissance de l’encodeur. Une telle
organisation permet d’ajuster la précision de l’encodage au degré de certitude de l’analyste.
Un exemple de codage hiérarchique est donné dans l’étude présentée par B. Barthe dans ce même
ouvrage.
L'affectation d’un codage par attribut peut se faire sur un événement donné ou sur une suite
d’événements (voir infra figure 11).
2.3. Intégration des différentes composantes de l’activité dans un même corpus
Les éléments pouvant rendre compte de l’activité ne se réduisent pas aux comportements
observables visuellement : des mesures physiologiques (la fréquence cardiaque par exemple), les
transcriptions de communications verbales sont autant de composantes de l’activité.
Les mesures sont généralement des variables numériques à l’opposé des relevés
comportementaux qui correspondent à des variables nominales.
Mesures physiologiques ou d’environnement, comportements, échanges verbaux sont souvent
appréhendés les uns indépendamment des autres. Kronos propose d’intégrer ces différents éléments
dans un même relevé chronologique afin de pouvoir les analyser conjointement.
• Les variables numériques
Une mesure (une variable numérique) peut être relevée par un observateur (nombre de
personnes à une file d’attente) ou enregistrée avec un équipement spécifique (ainsi Actogram
Kronos pour Windows lit les fichiers produits par les cardio-fréquencemètres de marque Polar™).
Contrairement aux séries chronologiques où les valeurs présentent des intervalles de temps
régulier, une mesure peut être relevée au moment où sa valeur change (file d’attente, réglage de la
vitesse d’une machine) et doit donc être horodatée comme un événement. Un paramétrage doit de
plus indiquer si sa validité de la mesure porte sur la période qui suit l’événement (le nombre de
personne à une file d’attente) ou le précède (comme les mesures d’un cardio-fréquencemètre) ;
Ainsi par le biais des conditions évoquées plus haut, on peut obtenir des statistiques différenciées
sur une variable numérique en fonction de ce qui est réalisé par un opérateur.
Figure 7
. Relevé de fréquence cardiaque en relation avec une observation systématique.
Le graphique permet d’identifier le type d’activité en cours (Passage papier) et la
posture adoptée (Penché) au moment d’un pic d’augmentation de la fréquence cardiaque
(autour de 2 :05). (Observations réalisées par M. Gautreau et B. Bayle, travaux non
publiés).
• Les communications verbales
La prise en compte des échanges verbaux est essentielle à la compréhension des dimensions
collectives de l’activité et à la description des interactions interpersonnelles. En insérant les
communications verbales dans un relevé chronologique, elles pourront être analysées en fonction
de leur contexte. L'aspect descriptif de la communication consiste alors en l’identification du
locuteur, la transcription de la communication et la durée de la communication. L'encodage du
contenu de la communication va pouvoir se faire par le biais des attributs interprétatifs.
Là aussi les analyses croisées entre les composantes verbales et les autres composantes
comportementales pourront se faire par le biais des conditions.
La possibilité de traiter conjointement des variables relatives à l’activité de nature différente
constitue un enjeu important afin de produire des descriptions qui rendent compte des diverses
dimensions de l’activité et des situations étudiées.
Figure 8
. Affectation des attributs interprétatifs (partie basse de la fenêtre) à un relevé
incluant des transcriptions de communications.
Conclusion
Le développement futur des technologies donnera des facilités encore accrues pour relever,
dépouiller et analyser les données d’observation. Mais ces outils ne peuvent pour autant se
substituer à l’analyste pour constituer des plans d’observation et des indicateurs propres à produire
des descriptions adéquates aux situations observées. L'activité humaine est singulière, elle ne se
prête pas à des catégorisations préétablies et les questions auxquelles on veut répondre en
l’observant doivent s’intégrer dans un cadre méthodologique plus général approprié au but
poursuivi : élaboration de connaissances générales, intervention ergonomique ou psychosociale,
analyse du travail préalable à la formation, etc.
Sites web des logiciels
KERGUELEN A. (2001-2003). Actogram Kronos pour Windows, Édition Octarès, Toulouse.
Actogram Kronos : http://www.actogram.net
KERGUELEN A. (1999). ActoPalm pour PalmOS, Édition de l’ANACT, Montrouge.
http://w3.ltc.univ-tlse2.fr/kerguelen/actopalm/actopalm.html
KERGUELEN A. (1994-2000). Kronos 2.3 pour MacOS, Édition de l’ANACT, Montrouge :
http://w3.ltc.univ-tlse2.fr/kerguelen/kronos/kronos.html
1 La notion de classe d’observable est assimable à la notion de variable nominale, les catégories d’une classe d’observable
constituant les modalités de cette variable.
2 Par interprétation, nous entendrons ici la nécessité de mettre en relation des connaissances générales ou des informations issues du
contexte.
3 Il s’agit ici d’interprétations “locales” relatives à des actions et non d’interprétation à un niveau plus élevé visant à modéliser des
stratégies.
4 Ces fonctionnalités ont été implémentées uniquement dans la version 2 de Kronos pour Macintosh.
– Index –
A
Actogram Kronos, 42, 142
Actopalm, 149
Analyse de l'activité, 142
Analyse de l’organisation séquentielle, 132
Analyse de séquence, 40, 100
Analyse de simultanéité, 41
Analyse du mouvement en 3D, 71
Attributs interprétatifs, 154
C
Calibration, 74
Catégorie de comportement, 19
Catégories descriptives, 20, 153
Catégories interprétatives, 20, 153
Causes d’un comportement, 7
Cinématique du mouvement, 71
Classe de comportement, 19
Codage binaire, 28, 51
Codage complet et continu, 31
Codage continu, 82
Codage descriptif, 93, 154
Codage hiérarchique, 155
Codage interprétatif, 94, 154
Codage par attribut, 155
Comportement, 7
Comportement provoqué, 10
Comportement spontané, 9
Consentement éclairé, 18
Contexte, 43
Contrôle de la fiabilité des données, 37
Contrôle Inter-observateurs, 37
Contrôle Intra-observateur, 37
D
Démarche de recherche, 6
Dénombrement des événements, 23
Déontologie, 17
Dépouillements de vidéo, 150
Dimension temporelle, 148
E
Échantillonnage ad libitum, 26
Échantillonnage complet et continu, 100
Échantillonnage du temps, 28
Échantillonnage par balayage, 27, 120
Échantillonnage par balayage instantané, 30
Échantillonnage par comportement, 28
Échantillonnage par focalisation, 26, 108
Échantillonnage par focalisations successives, 120
Échantillonnage par présence ou absence, 28
École de Chicago, 14
Enregistreurs d’événements, 148
Essai d’observation systématique, 16
États, 143
Éthique, 17
Éthologie, 6-7
Étude ethnographique, 14
Étude qualitative, 14
Événements, 143
F
Fiabilité des données, 36
Field notes (carnet de bord), 13, 132, 136
Fonction d’un comportement, 8
Fréquence, 24
Fréquence relative, 82
G
Graphes d’activités, 145
Grille de codage du comportement, 19
I
Interprétation des comportements, 42
K
Kappa de Cohen, 38
Kappa de Fleiss, 37
Keepon, 61
L
Liste d'attributs interprétatifs, 113
M
Marqueurs actifs, 75
Marqueurs corporels, 74
Marqueurs passifs, 75
Mesure d’intensité, 24
Méthode de Magicien d’Oz, 32, 59
Méthodes d'échantillonnage, 25
Modalités, 19
O
Observateur invisible, 15
Observateur visible, 15
Observation, 6
Observation avec un Palm OS, 11
Observation d'un groupe, 108
Observation directe, 6
Observation en laboratoire, 9
Observation exploratoire, 15
Observation filmée, 51, 90
Observation indirecte, 7
Observation informelle, 15
Observation naturaliste, 9, 100
Observation non participante, 14
Observation papier-crayon, 11, 108
Observation par enregistrement audio, 12, 120
Observation par enregistrement vidéo, 12
Observation participante, 13, 59, 132
Observation sans support d'enregistrement, 10
Observation spontanée ou informelle, 15
Observation systématique, 17
Occurrences, 23
Ontogenèse, 8
P
Palm OS, 149
Participation active, 13
Participation périphérique, 13
Phylogenèse, 8
Pilotage vidéo, 150
Plan d’observation, 16
Protocoles de description, 143
R
Relation entre observateur et observé, 13, 132
Relevé de la durée, 24
S
Séquence, 152
Supports matériels, 10
Synchronisation des vidéos, 73
Syntaxe alternée, 82
T
Taux d'accord en pourcentage, 37
Technique d’observation des nourrissons d’Esther Bick, 33
Technique de recueil de données, 6
Temps d’intervalle, 25
Temps de latence, 25
V
Validité des données, 36
Variable, 19
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