Table des Matières Page de Titre Table des Matières Page de Copyright Collection Cursus • PSYCHOLOGIE Liste des auteurs Avant-propos Première Partie - Initiation aux techniques d’observation Chapitre I - Historique, différentes méthodes et étapes de l’observation Chapitre II - Construction des grilles de codage du comportement Chapitre III - Validité, fiabilité et traitements des données Seconde Partie - Illustration par des recherches fondamentales et appliquées Chapitre IV - Observation centrée sur un individu Chapitre V - Observation centrée sur une dyade Chapitre VI - Observation centrée sur un groupe Chapitre VII - « Actogram Kronos » : un outil d’aide à l’analyse de l’activité – Index – © Armand Colin, 2008. 978-2-200-25682-1 Conception de couverture : Dominique Chapon et Emma Drieu Internet : http://www.armand-colin.com Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous pays. Toute reproduction ou représentation intégrale ou partielle, par quelque procédé que ce soit, des pages publiées dans le présent ouvrage, faite sans l’autorisation de l’éditeur, est illicite et constitue une contrefaçon. Seules sont autorisées, d’une part, les reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, les courtes citations justifiées par le caractère scientifique ou d’information de l’œuvre dans laquelle elles sont incorporées (art. L. 122-4, L. 122-5 et L. 335-2 du Code de la propriété intellectuelle). ARMAND COLIN ÉDITEUR • 21, RUE DU MONTPARNASSE • 75006 PARIS Collection Cursus • PSYCHOLOGIE ouvrage sous la direction d’Ewa Drozda-Senkowska J.-C. ABRIC M.-M. BOURRAT, R. GAROUX J.-F. BRAUNSTEIN, É. PEWZNER A. CARTRON, F. WINNYKAMEN D. CORROYER, M. WOLF P.G. COSLIN P.G. COSLIN Psychologie de la communication, 2 e éd., 2008. Les relations parents-enfants. De la naissance à la puberté, 2003. Histoire de la psychologie, 2005, 2 e édition. Les relations sociales chez l’enfant, 1999, 2 e édition. L'Analyse Stastistique des Données en Psychologie, 2003. Les conduites à risque à l’adolescence, 2003. La psychologie de l’adolescent, 2 e éd., 2006. P.G. COSLIN M. DESPINOY E. DROZDA-SENKOWSKA La socialisation de l’adolescent, 2007. Psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent, 1999. Psychologie sociale expérimentale, 2006, 2 e édition. N. FIORI M. GUIDETTI, C. TOURRETTE Les neurosciences cognitives, 2006. Handicaps et développement psychologique de l’enfant, 1999, 2 e édition. M. GUIDETTI, S. LALLEMAND, Enfances d’ailleurs, d’hier et d’aujourd’hui, 2000, 2 e édition. M.-F. MOREL C. LOUCHE C. LOUCHE T. LUBART S. NICOLAS F. PAHLAVAN É. PEWZNER E. SIEROFF E. SPINELLI, L. FERRAND C. TOURRETTE, M. GUIDETTI H. WALLON Introduction à la psychologie du travail et des organisations, 2007. Psychologie sociale des organisations, 2007, 2 e édition. Psychologie de la créativité, 2003. Mémoire et conscience, 2003. Les conduites agressives, 2002. Introduction à la psychopathologie de l’adulte, 2000, 2 e édition. La neuropsychologie. Approche cognitive des syndromes cliniques, 2004. Psychologie du langage, 2005. Introduction à la psychologie du développement. Du bébé à l’adolescent, 2008, 3 e édition. L'évolution psychologique de l’enfant, 2002, 11 e édition. Liste des auteurs Béatrice BARTHE, Dr en ergonomie, maître de conférences en ergonomie à l’université de Toulouse II, Laboratoire Cognition, Langues, Langage et Ergonomie - Laboratoire Travail et Cognition (CLLE-LTC), UMR 5263, UTM, EPHE, CNRS. Jean-François BOUVILLE, Dr en psychologie clinique, chargé de cours à l’Institut de psychologie, université René Descartes (Paris V), psychologue clinicien à l’hôpital de jour pour adolescents de Ville d’Avray. Pascal CAZENAVE-TAPIE, Dr en psychologie du développement, chargé de cours à l’UFR de psychologie, université de Toulouse II. Catherine DELGOULET, Dr en ergonomie, maître de conférences en ergonomie à l’université Paris Descartes, Laboratoire « Ergonomie, Comportement et Interactions », EA 4070. Alain KERGUELEN, ingénieur ergonomiste CNAM, ingénieur de recherche au CNRS, Laboratoire Cognition, Langues, Langage et Ergonomie - Laboratoire Travail et Cognition (CLLE-LTC), UMR 5263, UTM, EPHE, CNRS. Hideki KOZIMA, Ph. D in Information Engineering, Senior Research Scientist, National Institute of Information and Communications Technology (Kyôto, Japan). Annick LEDEBT, Dr en physiologie et biomécanique du mouvement, Assistant Professor, Faculty of Human Movement Sciences, Vrije University, Amsterdam. Hiroko NORIMATSU, Dr en psychologie, maître de conférences en psychologie du développement à l’université de Toulouse II, Laboratoire Cognition, Langues, Langage et Ergonomie - Laboratoire Travail et Cognition (CLLE–LTC), UMR 5263, UTM, EPHE, CNRS. Nathalie PIGEM, Dr en psychologie, maître de conférences associé (PAST) à l’UFR de psychologie, université de Toulouse II, psychologue clinicienne auprès d’enfants et adolescents en Institut Thérapeutique, Educatif et Pédagogique (ITEP) et Institut Médico-Educatif (IME). Takeshi SHIMIZU, Dr in Human Sciences, Post-doctoral research fellow, Japan Society for the Promotion of Sciences (JSDP) – Meiji University (Tôkyô, Japan). Akira TAKADA, Dr in Human and Environmental Studies, Assistant professor in Graduate School of Asian and African Area Studies, Kyôto University (Japan). Avant-propos Dans de nombreux domaines en sciences humaines, l’observation directe du comportement est l’une des techniques de recueil de données les plus utilisées, que ce soit à des fins scientifiques ou professionnelles. Dans certains cas, les données ainsi recueillies peuvent être combinées à celles obtenues par d’autres techniques, dont les observations indirectes comme le questionnaire, l’entretien, etc. Mais lorsque le sujet ne peut être interrogé (bébés, animaux, etc.), l’observation directe est un des seuls outils possibles. L'observation directe ne s’improvise pas. Elle exige de connaître les différents types d’observations et de maîtriser un certain nombre de techniques pour être menée à bien. Il faut aussi savoir organiser une observation, préparer les grilles d’analyse, etc. Les nouveaux supports d’enregistrement et d’analyse des données permettent d’améliorer sensiblement les performances mais demandent à leur tour d’être maîtrisés. Le présent ouvrage fait suite aux demandes de nombreux étudiants et chercheurs désireux de maîtriser les bases théoriques mais aussi de connaître les domaines d’applications des techniques d’observation directe. L'ouvrage s’adresse avant tout à un public universitaire, essentiellement les étudiants en sciences humaines par son aspect pédagogique, mais également aux enseignants et professionnels de terrain, en leur apportant des témoignages et des analyses critiques à propos de l’application de ces techniques. Nous espérons qu’il pourra motiver, inspirer et guider de nombreuses études observationnelles. L'ouvrage est organisé en deux parties. La première partie présente de façon générale les différentes étapes d’une observation directe du comportement, de la phase préparatoire jusqu’à l’étape du traitement des données. À chaque étape correspondent des techniques et des notions à bien maîtriser. Dans la seconde partie, nous présentons des cas concrets d’observations au travers de recherches empiriques contemporaines en psychologie, ergonomie, éthologie, anthropologie, robotique… Tout au long de ce travail d’écriture, nous avons eu le grand plaisir de collaborer avec nos collègues ayant participé à ce projet en illustrant par l’une de leurs études les différentes techniques d’observation. Grâce à leurs exposés, cet ouvrage est devenu un document original et unique. Par ailleurs, de nombreuses personnes nous ont aidées et soutenues tout au long de ce projet. Nous tenons à remercier particulièrement Raoul Blin et Pascal Cazenave-Tapie pour leur relecture attentive et leurs précieux conseils. Nos remerciements vont également à Jean-Philippe Cottenceau pour son soutien amical tout au long du projet. Enfin, nous tenons à remercier Mme Sophie Griveaud, responsable de la rédaction chez Armand Colin, pour l’attention accordée à notre projet et son soutien chaleureux, ainsi que Mme Ewa Drozda-Senkowska pour sa relecture du manuscrit en tant que directrice de la collection. Hiroko Norimatsu & Nathalie Pigem mai 2008. Première Partie Initiation aux techniques d’observation Hiroko Norimatsu Chapitre I Historique, différentes méthodes et étapes de l’observation 1. Bref historique Depuis leurs débuts au XIXe siècle, les sciences du comportement et la psychologie ont eu recours à différentes techniques d’observation, en oscillant entre plusieurs approches. À la fin du XIXe siècle, lorsque Wundt ouvrit un des premiers laboratoires de psychologie au monde, la technique la plus courante était la méthode réflexive d’observation sur l’état psychologique interne. Dans les années 1910, des critiques se sont élevées pour dénoncer la subjectivité de cette technique et des approches plus objectives fondées sur l’observation du comportement externe se sont imposées. Dans les années 1930, des nouvelles méthodes d’échantillonnages sont apparues (par exemple Olson & Cunningham, 1934) pour étudier quantitativement les comportements. À partir de cette période, l’observation qualitative s’est développée notamment en anthropologie et en sociologie, devenant la principale méthode de travail du terrain. Elle a été introduite en psychologie sous le terme « d’observation participante » pour décrire et analyser le comportement. Dans les années 1960-70, l’observation a fini par céder du terrain en psychologie devant le développement d’autres techniques comme les tests psychologiques ou le questionnaire. Le travail de terrain n’a pas pour autant disparu et il est resté largement majoritaire en éthologie (science du comportement animal). Cette discipline s’est développée dans les années 30 et a connu sa consécration scientifique avec l’attribution de trois prix Nobel en 1973 à von Frisch, Tinbergen et Lorenz. Elle repose depuis le départ sur l’observation directe du comportement. Ce sont les travaux de Tinbergen et Lorenz qui ont contribué, par la rigueur méthodologique de leur approche expérimentale et par l’utilisation de statistiques, à conférer un statut scientifique à la discipline. Depuis les années 80, le « travail de terrain » à l’aide de la méthode d’observation directe est revenu sur le devant de la scène en psychologie. Ce retour peut se justifier selon Nakazawa et al. (1997, p. 3) ainsi : a la « validité écologique » des travaux expérimentaux était devenue l’objet de critiques croissantes ; b en plus de l’approche quantitative, l’apport de l’approche qualitative a été revalorisé ; c les nourrissons et les enfants en bas âge ne peuvent pas répondre aux questionnaires, ni comprendre les consignes d’une expérience. La technique d’observation directe du comportement permet d’étudier cette population difficile à aborder autrement ; d les technologies ont évolué et facilitent une observation scientifique de terrain ainsi que les micro-analyses qui y sont associées : vidéo légère, ordinateur portable de petite taille, logiciel d’analyse de données, etc. (nous verrons cet aspect technologique plus en détail dans la section 3). 2. Définitions et objectifs 2.1. Terme « observation » Il faut ici lever l’ambiguïté du terme « observation ». De nombreux manuels de méthodologie évoquent l’« observation » pour désigner une « démarche de recherche », au sens d’induction ou déduction. Dans le présent ouvrage, le terme « observation » est entendu au sens de « technique de recueil de données ». Le recueil de données par observation peut se faire dans les deux démarches, inductive et déductive. 2.2. Observation directe et indirecte L'objet de cet ouvrage est la présentation des « techniques d’observation directe du comportement ». Cette technique s’oppose à l’observationindirecte du comportement, qui implique l’usage d’outils intermédiaires pour récolter des données sur les comportements. Par exemple, poser des questions aux participants sur leur propre comportement via un questionnaire ou lors d’un entretien est une technique d’observation indirecte du comportement. On parle aussi d’observation indirecte lorsque l’observation recourt à la mesure d’une activité non visible via un instrument (rythme cardiaque, activité cérébrale, etc.). 2.3. Le comportement comme objet de l’observation Qu’est-ce que le comportement ? Dans cet ouvrage, nous utilisons la définition de Beaugrand (1998, p. 278) selon qui le « comportement » désigne « toute activité d’un organisme vivant qui entraîne des modifications spatio-temporelles observables ». Le dictionnaire commun rend lui aussi compte de l’observabilité des comportements puisqu’il les définit comme des « ensembles de phénomènes observables de façon externe » (Dictionnaire Larousse). Autrefois, la psychologie confondait les phénomènes observables de façon externe et les activités internes (comme les processus cognitifs, affectifs ou mentaux). Cependant, avec l’apparition du behaviorisme, la séparation s’est faite plus nettement. « Observable de façon externe » équivaut désormais à « publiquement observable ». 2.4. Pourquoi observer le comportement ? Différents types de questions peuvent être posées à propos des comportements et trouvent leurs réponses grâce aux données apportées par l’observation. Pour l’étude du comportement d’un organisme vivant, Niko Tinbergen (1963) en éthologie a distingué quatre questions fondamentales. • Quelles sont les causes (immédiates) d’un comportement ? Cette cause immédiate peut être un élément de l’environnement ou encore un mécanisme interne du corps. L'objectif est d’identifier le déclencheur du comportement. Les recherches sur les relations S-R (stimulus-réponse) sont tout à fait de cet ordre. • Quelle est la fonction d’un comportement ? Tinbergen a utilisé le terme de « valeur de survie d’un comportement ». Il s’agit de comprendre la fonction d’un comportement, à quoi il sert aujourd’hui dans la vie de l’individu et dans son environnement. Cettequestion renvoie aux fonctions biologiques liées à la survie et à la reproduction des individus. Par exemple, le degré de pression des prédateurs permet d’observer différents comportements et de déterminer la fonction d’un comportement dans différents environnements. • Comment un comportement se met en place au cours de l’ontogenèse ? Cette question aborde l’apparition et le changement des comportements au cours de la vie d’un individu. Par exemple, certains comportements ne s’expriment qu’à la maturité sexuelle, tandis que d’autres présents dès la naissance disparaissent à un âge donné. Le chercheur s’interroge sur le mécanisme d’apparition et de disparition d’un comportement au cours de la vie d’un individu. Ce type d’investigation constitue une part importante des études en psychologie du développement. L'apparition et les modifications des comportements au cours du temps peuvent être abordées uniquement par l’observation directe. • Comment un comportement s’est-il mis en place au cours de la phylogenèse ? La question concerne l’origine d’un comportement dans l’histoire évolutive d’une espèce ou d’un groupe d’espèces. On essaie de comprendre pourquoi un comportement donné a été sélectionné et s’est maintenu dans le temps chez l’espèce étudiée. Le comportement ne laissant pas de trace au niveau des fossiles, un des principaux moyens d’étudier cette question est la comparaison des comportements des espèces proches vivant actuellement. La comparaison interespèces sur la relation entre le comportement et l’environnement actuel permet de comprendre quels types d’environnements favorisent la présence et le maintien de tel ou tel type de comportement. Les quatre questions ci-dessus relèvent d’une vision éthologique qui prend en compte la fonction biologique de certains comportements, souvent négligée par la psychologie et d’autres sciences humaines. On peut toujours garder ces quatre questions en tête lors de l’étude d’un comportement chez l’humain. Cela donne du recul et une vision plus large par rapport au comportement étudié. 3. Les différents types d’observation L'observation directe peut être définie selon quatre critères : 1) l’environnement de l’observation, 2) la spontanéité du comportement, 3) le matériel utilisé et 4) le type de relation entre observateur et observé. 3.1. Environnement de l’observation On oppose essentiellement deux environnements d’observation : le milieu naturel ou non. • Observation dans une situation naturelle (Observation naturaliste) L'observation en milieu naturel ou encore « observation naturaliste » a lieu dans le cadre naturel dans lequel se manifestent les comportements à observer. L'observateur peut être participant ou non (voir la section 3-4). L'observation naturaliste est utilisée en particulier pour étudier la relation entre le comportement et les éléments de son environnement. Dans cette approche, en principe, le comportement étudié n’est pas provoqué, et il faut parfois attendre longtemps son apparition spontanée. • Observation en laboratoire L'observation s’effectue ailleurs que là où le comportement a naturellement lieu. Il s’agit souvent d’un laboratoire. L'intérêt est de mieux maîtriser les paramètres environnementaux. Le comportement est alors le plus souvent provoqué. 3.2. Spontanéité du comportement Le comportement est provoqué ou spontané. • Observation du comportement spontané L'observation du comportement spontané est privilégiée pour certaines problématiques comme par exemple les études par l’approche écologique qui s’intéressent aux comportements spontanés dans un contexte naturel. Elle est d’autant plus facile à réaliser que le comportement est fréquent. La nature du comportement à observer ne laisse pas toujours le choix entre les deux types de comportements, spontané ou provoqué. Les comportements sont nécessairement spontanés lorsqu’ils ne sont pas maîtrisables ou bien lorsque les sujets observés ne peuvent être « dirigés ». Il est aussi possible que la déontologie interdise de les provoquer. C'est par exemple le cas des comportements en cas d’accident de véhicule ou alors ceux de querelle chez des grands primates. La difficulté de ce type d’observation est bien sûr le temps qu’il faudra avant que le comportement étudié n’ait lieu. Il n’est pas garanti par ailleurs que, lorsque le comportement a lieu, l’observateur maîtrise aumieux les paramètres de l’observation (par exemple au moment où a lieu le comportement, l’observateur n’a pas un angle d’observation adéquat). Ce type d’observation a lieu en général sur le terrain, dans le cadre naturel du comportement. • Observation du comportement provoqué Pour pallier ces difficultés et lorsque c’est possible, il peut être intéressant de provoquer le comportement. Par exemple, organiser un jeu donné avec un enfant et sa mère plutôt que d’attendre que la mère joue spontanément avec l’enfant au jeu qui intéresse l’observateur. Cette approche peut avoir lieu en laboratoire (par exemple, expériences sur le phénomène d’imitation entre enfants jeunes, Nadel, 1986) ou en milieu naturel. En milieu naturel, InoueNakamura & Matsuzawa (1997), par exemple, ont provoqué le comportement de cassage des noix chez les chimpanzés, très difficile à observer à cause de la végétation dense de la forêt. Pour cela ils ont mis à disposition très ostensiblement les outils nécessaires (noix et pierres de différentes tailles) dans un endroit bien dégagé, facile à observer. 3.3. Supports matériels En contexte naturel comme en situation expérimentale, différents supports de recueil des données d’observation existent. Nous en présentons les avantages et les inconvénients. • Observation sans support d’enregistrement Aucun relevé des données n’a lieu durant l’observation. C'est souvent le cas pour l’observation participante où l’observateur ne peut pas être à la fois acteur et enregistrer les données. La notation des données a alors souvent lieu durant les pauses ou après l’observation. Cette méthode peut suffire dans le cadre de la phase préparatoire d’une observation avec support. • Avantages + Les participants se sentent moins observés. De ce fait, on peut s’attendre à un comportement plus spontané et naturel. • Limites – La fiabilité des données est assez faible car elle repose exclusivement sur la mémorisation de l’observateur, qui peut être sélective et très subjective. – Il n’y a pas de possibilité de revenir en arrière en cas d’oubli ou pour vérifier un détail qui n’aurait pas été remarqué lors de l’observation.• Observation papier-crayon Dans le cas d’observations avec papier-crayon, une liste des comportements et une grille de codage sont élaborées au préalable. • Avantages + L'investissement financier est modeste. + Les risques de problèmes matériels (pannes) sont nuls. + Les participants tendent à accepter plus facilement une observation avec crayon-papier qu’avec des enregistrements vidéo par exemple. + La fiabilité des données est nettement meilleure comparée à celle sans support. • Limites – Le nombre de comportements observables lors d’une observation est matériellement limité. – En fonction de la complexité de chaque variable et de la fréquence du comportement, le nombre de comportements codables simultanément change. Une solution est de multiplier les observateurs mais leur nombre peut gêner les observés. – Au moment d’écrire, l’observateur est certainement contraint de quitter la scène des yeux et peut manquer des données. – Il n’y a pas de moyen de reprendre les observations après et de vérifier les données. – Il faut prendre en compte la retranscription des données manuscrites en données informatiques exploitables par les logiciels. En plus du temps nécessaire, des erreurs peuvent avoir lieu à ce moment-là. • Observation avec un Palm OS (ordinateur de poche) Il s’agit d’une version améliorée de la technique crayon papier, remplacé par un ordinateur de poche. Les codes du comportement ainsi qu’une grille de codage étant préétablis dans un fichier, il suffit de cliquer avec un stylet dans des zones préparées (pour plus de détails, voir par exemple le site de Kerguelen dans la liste des bibliographies). Pour le reste, les avantages et inconvénients restent les mêmes que pour la technique crayon papier si ce n’est que s’ajoute le risque de panne matérielle et que l’investissement de base est plus important. En contrepartie, la phase de transcription des données manuscrites vers les données numériques disparaît. • Observation par enregistrement audio Il s’agit là d’enregistrer à l’aide d’un magnétophone ou d’un dictaphone les codages des comportements et non pas d’enregistrer les comportements (sonores) eux-mêmes. • Avantages + L'observateur peut garder l’œil en permanence sur la scène à observer tout en codant les comportements. • Limites – Suppose que la voix de l’observateur ne perturbe pas le bon déroulement de l’observation. – L'enchaînement des comportements peut être parfois trop rapide par rapport à leur description verbale et générer des erreurs dans leur relevé. Ce problème peut être limité par la mémorisation des codes chiffrés correspondant aux comportements étudiés. – Pannes matérielles possibles. • Observation par enregistrement vidéo Cette fois-ci, les comportements sont filmés. Cela suppose la disponibilité d’un matériel de prise de vue. Cette technique est devenue beaucoup plus accessible grâce à la baisse du prix et à l’amélioration de la maniabilité des matériels. Les avantages de l’outil sont considérables. Certaines observations nécessitent plusieurs caméras, notamment pour les prises en trois dimensions. Une analyse du mouvement en trois dimensions avec un système vidéo est présentée dans l’étude 3 de Ledebt dans la partie II. • Avantages + Possibilité de micro-analyses du comportement, grâce au ralenti de l’image. Ainsi, l’analyse des comportements invisibles à l’œil nu devient possible. + Enregistrement des scènes et disponibilité des données même après observations : possibilité de vérifications et de corrections après coup des codages en cas de problèmes avec la grille d’analyse ou avec les comportements préalablement déterminés. + Possibilité de mutualisation des données (et donc des coûts). Cependant, même avec la vidéo, les contraintes existent et il est important de les connaître. • Limites – Limitation du champ de vision d’un caméscope. La technique de filmage (gros plan ou plan élargi) est décisive et doit être mûrement réfléchie durant la phase d’essais. Autrement, il est possible de multiplier les caméras. – Investissement financier à prendre en considération, en particulier dans le cas de l’utilisation de plusieurs caméras. – Risques de problèmes techniques. – Éventuelles réticences des observés à être enregistrés par vidéo. – Il ne faut pas négliger le temps de codage des données vidéo, qui n’a pas lieu au terrain directement. 1. « Field notes » ou carnet de bord (voir l’étude 9) Il s’agit des notes d’observations réalisées durant le travail de terrain. Ces notes incluent les éléments d’observation sur les comportements et sur le contexte ainsi que les interprétations de l’observateur. Le carnet de bord comprend non seulement des notes sur papier mais aussi des dessins, des photos, des enregistrements audio ou vidéo, etc. Il est très utilisé pour les travaux en anthropologie ou de type ethnographique, et également dans les études qualitatives dans des disciplines comme la sociologie. 3.4. Relation entre observateur et observés Quelle que soit l’observation menée, se pose la question de la place occupée par l’observateur et de son influence sur le comportement observé. • Observation participante Dans le cadre d’une observation participante, le chercheur s’intègre dans le groupe observé et fait les mêmes activités pendant un certain temps (quelques semaines, quelques mois ou plus). Par cette approche, le chercheur peut créer une relation étroite avec les acteurs observés afin d’avoir des échanges et des interactions spontanés et approfondis. Deux niveaux de participation sont possibles. – Le premier est la « participation périphérique ou partielle » lorsque les règles légales ou déontologiques interdisent au chercheur de participer pleinement à l’activité. C'est le cas pour les actes médicaux si l’observateur n’a pas de certificats, les actes traditionnels interdits à un « étranger » ou encore les actes de violence ou de délinquance, etc. – Le second niveau de participation est la « participation active ». Le chercheur participe entièrement à l’activité du groupe et partage lesmêmes tâches, les objectifs et les sensations qui l’accompagnent. Dans ce cas, il sera considéré comme un membre à part entière. Inspirée par la méthode du travail du terrain en anthropologie ou en sociologie, l’observation participante est souvent utilisée pour les études qualitatives ou ethnographiques. L'observation participante est très utile pour une étude pilote dans un nouveau domaine où l’organisation de l’activité, son sens, ne sont pas encore suffisamment connus du chercheur. 2. École de Chicago : son impact méthodologique en sciences sociales La technique d’observation participante a été marquée par le courant de pensée de l’École de Chicago aux États-Unis qui mettait en avant la démarche qualitative et ethnographique de recherche. Cette approche mettait en valeur le sens des actes en contexte réel en sociologie. Les fondateurs de cette école dans le domaine de la sociologie urbaine durant les années 1920, Robert Park et Wiliam Thomas, défendaient la méthode qualitative de recherche basée sur l’étude de cas, en accordant une priorité à l’immersion des observateurs au terrain. Cette approche écologique contrastait avec l’approche statistique développée jusqu’alors en sociologie. Elle était justifiée comme complément aux méthodes quantitatives ou expérimentales. Ce courant a ensuite gagné d’autres disciplines des sciences sociales (psychologie interculturelle, criminologie…). Cependant, cette approche met l’observateur dans une double position parfois difficile à gérer. En s’intégrant au groupe observé il bénéficie de l’accès à de nombreuses informations et à une compréhension du fonctionnement du groupe de l’intérieur. Mais en même temps, il doit prendre du recul pour avoir un œil impartial. En général, ce type d’observation nécessite plus de temps. Takada (étude 9 de la deuxième partie) présente une étude à base d’observation participante. • Observation non participante (ou non interventionniste) C'est la technique la plus utilisée en psychologie. L'observateur essaie de ne pas intervenir dans la situation observée, dans le souci de ne pas modifier l’organisation habituelle de la situation. Le but est de prendre du recul par rapport à la situation ou par rapport aux individus observés, afin de privilégier l’objectivation des faits. Selon le type de comportement à observer et les conditions matérielles, l’observateur pourra être visible ou non pour les individus observés. – Observateur invisible. L'observateur est soit caché (derrière une vitre sans tain par exemple), soit travaille à l’aide d’enregistrements vidéos. Dans ce cas, il faut s’assurer préalablement que les comportements à observer seront bien enregistrés, ce qui n’est pas toujours facile si les sujets sont libres de leurs mouvements et peuvent se déplacer ou tourner le dos à la caméra. Cela oblige parfois à installer plusieurs caméras. – Observateur visible. Dans beaucoup de cas, l’observateur est visible aux yeux des participants. Pour limiter les effets perturbateurs de sa présence, différentes stratégies sont possibles. La première est pour l’observateur de se faire aussi discret que possible physiquement : se tenir le plus à l’écart possible, éviter de regarder trop ostensiblement les personnes observées ou encore éviter de regarder le viseur du caméscope tout le temps (car en général cet acte attire l’attention des personnes observées). Tout ceci dépend bien sûr des conditions du terrain. Une autre stratégie consiste à familiariser les participants à la présence de l’observateur avec une visite préalable des lieux et des séances supplémentaires au début, qui ne seront pas prises en compte dans les analyses. Une discussion préalable peut aussi être organisée pour expliquer aux participants comment se déroulent l’observation et l’objectif. Il faut toutefois veiller à ne pas influencer les participants. Enfin, pour une observation avec observateur visible, il est important de choisir un observateur adapté à la situation en prêtant attention à ses caractéristiques (sexe, âge, culture, etc.). 4. Les quatre étapes de l’observation Une observation ne démarre pas immédiatement. Elle doit être précédée d’une préparation sérieuse. Cette préparation et l’observation à proprement parler constituent un projet d’observation, que l’on peut décomposer en quatre étapes. 4.1. Observation spontanée ou informelle Cette première observation, informelle, a pour but d’élaborer une problématique. Elle n’obéit à aucune contrainte et peut se faire dans la vie quotidienne. 4.2. Observation exploratoire Quelles que soient les méthodes, expérimentation ou observation, pour le chercheur qui ne dispose pas des connaissances suffisantes sur lesphénomènes étudiés, il est essentiel de mener des pré-enquêtes ou des observations exploratoires (pas nécessairement bien structurées). Cette étape consiste à construire un plan d’observation, incluant les éléments suivants : 1. Définir l’objet d’étude. 2. Déterminer les situations, le lieu et la durée de l’observation. 3. Choisir les personnes à observer. 4. Élaborer une liste des comportements à étudier. La liste des comportements comprend les éléments suivants : - les noms des classes de comportements deviennent des variables (ex. Posture) ; - les modalités de cette variable (catégories du comportement) à définir (voir plus bas). 5. Choisir la technique d’observation : - choix entre observation participante ou non participante, choix du type de support (papier-crayon ou enregistrement vidéo, etc.) adaptés à la recherche, en fonction du nombre de comportements à observer, des contraintes matérielles, du type d’analyse des données, etc. ; - le choix d’une technique d’observation comprend aussi le choix de l’emplacement pour l’observateur et de la caméra, la nature de la prise de vue (grand angle ou non, hauteur qui est à déterminer en fonction du but de l’étude), la réaction des participants, etc. 6. Construire des grilles de codage du comportement : - préparer la grille de codage en tenant compte de l’organisation temporelle et de la simultanéité des comportements ; - choisir les types de mesure du comportement ou les méthodes d’échantillonnage (voir plus bas). 4.3. Essai d’observation systématique À ce stade, nous avons déjà choisi la question de recherche, les comportements et les situations à observer, le lieu d’observation et les personnes à observer. Quelle que soit la méthode d’observation, il est indispensable de faire des essais dans les mêmes conditions que celles décidées pour l’observation finale, surtout dans le cas d’études en milieu naturel. L'observation papier-crayon est effectuée avec des grilles préétablies d’analyse du comportement. Dans cette phase, il s’agit de testerles grilles pour vérifier la faisabilité du codage (seul ou en équipe). Il faut les modifier en cas de difficultés ou d’ambiguïtés. Il est recommandé de tester les grilles à plusieurs pour les valider (accord inter-observateurs, voir le chapitre 3). Dans le cas de l’observation vidéo, une modification des grilles de codage est toujours possible même après les collectes des données. Cependant, il faut être conscient que certaines données seront irrécupérables une fois l’observation achevée. Il est donc primordial de savoir avant l’observation ce qui doit entrer dans le champ de la caméra. Il faut se garder de tout vouloir inclure. Sur une image en plan élargi, les détails ne sont pas tous visibles. Au contraire, un plan trop rapproché limite le champ de vision et exclu certaines données. Il faut donc avant de procéder à une observation finale, faire des essais et visionner l’image en pensant aux grilles de codage du comportement, pour vérifier qu’il ne manque pas d’élément important. 4.4. Observation systématique La phase de préparation est terminée. L'observation systématique pour la collecte des données commence. À partir de cette étape, l’organisation des observations ne doit plus changer, sans quoi les données entre observations ne seront plus comparables. La seule exception serait la découverte d’un défaut majeur. Auquel cas il faut revenir à l’étape précédente pour procéder à des ajustements. 3. Éthique, déontologie de la recherche et démarches administratives associées au consentement des participants par N. Pigem & H. Norimatsu En France, plusieurs codes de déontologie régissent la recherche scientifique et la pratique auprès des participants. Les codes de conduite des chercheurs dans les sciences du comportement humain et ceux des différents corps professionnels visent à assurer la protection des participants, à guider la démarche du chercheur en lui permettant de prendre les décisions les plus appropriées. Chaque chercheur ou praticien doit questionner les valeurs éthiques de son étude et respecter plusieurs principes déontologiques dès la phase de conception d’une observation. Il s’agit également d’argumenter la pertinence de la méthodologie choisie pour traiter la question d’étude. Par exemple, pour une recherche en psychologie, deux textes de référence permettent de s’assurer et de réfléchir à la démarche choisie : le Code de conduite des chercheurs dans les sciences du comportement humain proposé par le Département Recherche de la Société Française de Psychologie et le code de déontologie des psychologues (www.sfpsy.org) AEPU, ANOP et SFP (1996). Le Code de conduite des chercheurs régit la recherche comportementale au travers des six titres suivants ; Titre 1 : de la recherche, Titre 2 : des chercheurs, Titre 3 : de la responsabilité d’une recherche, Titre 4 : de l’attitude des personnes qui se prêtent à la recherche, Titre 5 : De l’attitude vis-à-vis du public en général et Titre 6 : de l’attitude envers les pairs et les personnes en formation à et par la recherche. Le code de déontologie des psychologues en France régit plutôt la pratique professionnelle du psychologue mais un chapitre est consacré à la question de la méthodologie (chapitre 3 sur « les modalités techniques de l’exercice professionnel »). Par ailleurs en 1983 a été créé en France le CCNE (Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé) qui donne son avis sur les problèmes moraux soulevés par la recherche en terme d’exigences méthodologiques de rigueur et de compétences. Ces codes défendent les principes fondamentaux suivants (Sabourin et Bélanger, 1988, Fernandez & Catteeuw, 2001) : 1 l’absence de risque évident pour les participants (à envisager dès la phase de conception de l’étude ; 2 le consentement informé ou éclairé des participants ainsi que le respect de leur vie privée. ; 3 la relation de l’observateur et de l’observé ou les participants observés. Ce qui sera différent en fonction de la place de l’observateur s’il participe ou non à la situation étudiée ; 4 la qualité de la recherche, sa pertinence, à partir de sa conception jusqu’à la communication des résultats de son étude. Pour être menée à bien, une étude par observation doit inclure dans le planning la phase de recherche des participants et les démarches déontologiques et administratives, qui peuvent nécessiter un certain temps. Pour toute observation, quelle que soit la méthode et même pour l’observation exploratoire, il est obligatoire d’obtenir préalablement, par écrit, l’accord « éclairé » des participants. Dans le cas d’observations vidéo, en plus de l’accord à participation, il faut porter attention à la gestion ultérieure des données enregistrées : préciser qui aura le droit d’utiliser les données, pendant combien de temps, et comment. Dans le cas d’une observation au sein d’un établissement ou d’un organisme, il faut impérativement obtenir au préalable l’accord écrit de l’administration responsable de cette institution et de toutes les personnes qui seront observées. Au sein de l’institution publique ou semi-publique, il faut non seulement l’accord (écrit) des responsables de l’établissement, mais aussi celui de son service gestionnaire. Par exemple, pour mener une observation dans une crèche collective municipale, il faut une autorisation de la mairie, de la direction de la crèche, ainsi que celui de toutes les personnes observées. Lorsque les personnes observées sont mineures, l’obtention de l’accord écrit parental est obligatoire. Le temps nécessaire à l’obtention de ces différentes autorisations ne doit pas être sous-estimé. Chapitre II Construction des grilles de codage du comportement Pour la plupart des études avec observation, il n’existe pas de protocoles ou de grilles du comportement tout prêts. Il faut donc les élaborer soi-même. C'est un travail laborieux mais en même temps très créatif. Une attention particulière doit être portée à la pertinence de ces grilles, construites par rapport à la question de recherche posée. 1. Construire la liste des catégories du comportement 1.1. Lister le maximum de comportements liés au thème d’étude Tout d’abord, il faut lister les comportements et leurs propriétés pertinentes à étudier. À ce stade, il vaut mieux en lister un maximum. Leur nombre pourra ensuite être réduit. 1.2. Organiser les comportements en différentes variables ou classes • Terminologie En sciences du comportement, une « classe » de comportements contient plusieurs « catégories » de comportements. Ces termes peuvent être mis en parallèle avec « variable » et « modalités », plus familiers en psychologie ou d’autres disciplines. Termes utilisés en Sciences du comportement Psycholog ie Classe ≈ Variable Catégories ≈ Modalités Par exemple, la variable (classe) du « comportement social » peut comprendre trois modalités (catégories) : « comportement affiliatif », « agonistique », et « neutre ». Un maximum de comportements listés dans la première étape doivent ensuite être classés et organisés en différentes variables. Pour constituer ces variables et pour faciliter le codage des comportements, il est généralement conseillé d’organiser et dissocier les comportements selon les différentes modalités sensorielles (comportement visuel, verbal, physique, etc.). Ceci permet d’éviter que plusieurs paramètres changent en même temps dans une seule variable. D’autres critères de distinctions sont également possibles. Par exemple lorsque plusieurs aspects d’une modalité sensorielle sont étudiés comme la durée et l’orientation du regard, il vaut mieux les dissocier en différentes variables. Ainsi, le comportement visuel peut être étudié au niveau de l’orientation du regard (vers x, y, z, etc.) et au niveau de la durée de fixation (brève : 0-2 sec., moyenne : 2-5 sec., longue : 5 sec. et +, etc.). Il vaut alors mieux dissocier ces deux critères de mesure (voir la section 1.3 aussi). • Catégories descriptives et interprétatives Comme le propose Kerguelen (voir chapitre VII), les catégories d’observation peuvent être distinguées en deux types : « descriptives » et « interprétatives »1. Il est conseillé de ne pas les mélanger en une seule variable. Les « catégories descriptives » du comportement s’appuient sur une description pure des actions (telles que les mouvements du corps, la prise d’objets, etc.) tandis que les « catégories interprétatives » impliquent une interprétation de la part de l’observateur. C'est typiquement l’opposition entre respectivement contenant et contenu pour les propos verbaux ou encore l’opposition entre la catégorie descriptive « rire », basée sur des caractéristiques physiologiquesobservables, et une catégorie interprétative « être joyeux ». En terme d’objectivité, les catégories descriptives sont indiscutables et relativement indépendantes de la culture des observateurs, tandis que les catégories interprétatives sont beaucoup plus difficiles à définir. Cependant, il ne faut pas moins rester vigilant sur les définitions des catégories. Une catégorie descriptive mal définie est peu fiable. Au contraire, une catégorie interprétative bien définie ne sera pas forcément mauvaise en terme de fiabilité (pour la fiabilité des données, voir chapitre III). À l’intérieur des variables, les modalités du comportement se voient attribuer un nom et un code (en chiffre ou en lettre) comme dans l’exemple ci-dessous. En général, il faut que les modalités à l’intérieur d’une variable soient distinctes et s’excluent mutuellement (sauf quelques exceptions). Exemple 1 : Variable A - Posture de la personne x d- debout a- assis c- couché par terre aut- autres Ici, la variable « posture » comprend 4 modalités qui ne se recouvrent pas. Autrement dit, la personne observée ne peut satisfaire deux modalités en même temps. 1.3. Veiller à l’homogénéité des modalités dans une même variable Tous les comportements appartenant à une variable doivent partager les mêmes propriétés. Voyons un exemple. Exemple 2 : Variable B - Verbalisation de la personne x 0- ne parle pas 1- parle à voix basse, 2- parle normalement 3- parle fort 4- parle au téléphone Avec la variable B, imaginons que la personne observée a parlé deux fois au téléphone durant un temps d’observation de 10 minutes. Une fois avec une voix moyennement forte, une autre fois à voix basse. On peut coder pour la première fois, 4 et 1, et pour la deuxième fois, 4 et 2. Le même comportement peut être codé selon deux modalités différentes, cequi pose un problème. Le fait que la personne parle au téléphone ou parle directement à une autre personne relève d’une autre problématique que celle du « volume de la voix ». Dans ce cas, il est conseillé de constituer deux variables, d’un côté « volume de la voix » et de l’autre « support de communication verbale » (téléphone ou en direct, etc.). 1.4. Définir sans ambiguïté chaque modalité – catégorie de comportement L'exemple 2 précédent comporte un autre problème, au niveau de la modalité (2) car « normalement » est ambigu et se comprend différemment selon les observateurs. Remplacer ce terme par un autre plus précis n’est pas aisé car le problème soulevé ici est qu’il est fondamentalement difficile d’évaluer l’intensité de la voix sans appareil de mesure. D’ailleurs, un appareil impose le respect de plusieurs conditions pour que l’évaluation soit la même d’une observation à l’autre : le calibrage, l’éloignement par rapport à la source pour que des variations de distance ne modifient pas les caractéristiques du son enregistré, etc. Une solution pour désambiguïser les catégories sans recourir à un appareillage et à des procédures complexes consiste à regrouper les catégories difficiles à distinguer. Par exemple, si distinguer voix « moyenne » et voix « forte » est délicat, on peut les regrouper au sein d’une seule catégorie, par exemple « voix forte ». Il n’y a alors plus que deux catégories « voix faible » et « voix forte ». Autrement, il faut recourir à des critères plus objectifs. On peut par exemple distinguer deux niveaux d’intensité selon que le contenu du discours est perceptible ou pas, à une distance fixe. Exemple 2bis : Variable B - Verbalisation de la personne x 0- ne parle pas 1- parle à voix faible, (l'observateur ne peut pas comprendre l'ensemble des propos) 2- parle à voix forte (l'observateur comprend tous les propos tenus) 1.5. Choix de finesse des catégories Il est conseillé de ne pas créer des modalités trop grossières au départ. Il est en effet impossible de dissocier certains comportements après codages, une fois qu’ils ont été quantifiés ensemble. Il vaut mieux créer des modalités détaillées et les fusionner par la suite, si nécessaire. 1.6. Choix du nombre de variables à observer Ce point peut paraître à première vue contradictoire avec les conseils précédents (supra). En effet, s’il faut comme indiqué que les modalités soient aussi détaillées et précises que possibles à l’intérieur de chaque variable, il faut malgré tout en rester à un nombre raisonnable de variables. Il est important de ne retenir que les variables les plus importantes et pertinentes par rapport à l’objectif de l’étude. Le critère de faisabilité doit aussi être pris en compte. Dans le cadre de l’observation papier-crayon en particulier, les contraintes obligent à limiter le nombre des variables à retenir car on peut difficilement noter un grand nombre de variables à la fois. 2. Différentes mesures du comportement Maintenant que nous avons précisé quels comportements observer, il faut réfléchir sur comment les mesurer. Voyons avec l’exemple ci-dessous une liste de comportements dans une situation donnée. Exemple 3 Variable A : Orientation du regard de la personne x 1- vers l’objet qu’elle est en train de manipuler 2- vers la personne Y 3- ailleurs Variable B : Geste de la personne X 0- ne fait rien 1- garde un objet en main sans bouger 2- manipule l’objet 3- autres Le même comportement « manipuler l’objet » peut être mesuré de différentes manières. On peut s’intéresser à son occurrence, sa durée, etc. Voyons les différents types de mesures possibles. 2.1. Dénombrement des événements (occurrence) Pour dénombrer le nombre de fois où apparaît un comportement, on privilégie selon les cas son occurrence ou sa fréquence. – Nombre d’occurrences : nombre brut d’apparitions d’un comportement durant le temps de l’observation. Dans l’exemple ci-dessus,cela consiste à relever le nombre de fois où le sujet X regarde l’objet manipulé et le nombre de fois où il regarde la personne Y. – Fréquence : nombre d’occurrences d’un comportement durant le temps d’observation, divisé par le nombre d’unités de temps. Le calcul de fréquence est utile comme indice de comparaison lorsque la durée des observations n’est pas la même pour tous les individus. Par exemple, durant 47 minutes d’observation, la personne observée a parlé 17 fois, tandis que durant une autre observation de 30 minutes, la personne observée a parlé 14 fois. Dans ce cas, les occurrences ne sont pas comparables puisque la durée d’observation est différente. Il est préférable de convertir en fréquence pour une unité de temps donnée (10 min par exemple). Cela donne 3,6 verbalisations/10 min pour le premier cas, et 4,6 verbalisations/10 min pour le second cas. 2.2. Relever la durée d’états « L'état » désigne un comportement ou un événement qui dure dans le temps. C'est alors sa durée qui est mesurée. Par exemple, dans une étude en ergonomie, nous observons la posture d’une personne employée qui se plaint d’une fatigue du dos. Dans ce cas, il est intéressant de relever non seulement la fréquence des changements de posture dans une journée du travail, mais aussi la durée totale de chaque posture. Supposons que nous relevions pour une variable « Posture », l’enchaînement d’états suivants : état d = debout, durée 7 minutes, état a = assis, durée 10 minutes, état d = debout (8 min), état m = marcher (12 min), état d = debout (8 min), … ainsi de suite. Sur un axe de temps, le changement d’états se schématiserait ainsi : Par addition on obtiendra la durée totale de chaque posture dans une journée de travail de 8 h. Il est facile d’en déduire la durée proportionnelle (temps total de la durée de l’état par rapport au temps total de l’observation). 2.3. Mesure d’intensité En général, la notion d’intensité est assez délicate à définir rigoureusement et à observer, car sans instrument la mesure peut devenir subjective.On a pu le voir dans l’appréciation de la puissance de la voix : parler très fort, fort, modérément, ou à voix basse (exemple 2). Il en va de même pour évaluer l’intensité d’un regard (regarder avec attention ou distraitement). Ce type de donnée est à traiter avec précaution. On peut toutefois définir avec plus d’objectivité l’intensité de certains comportements. Par exemple, pour observer le comportement alimentaire, la prise de nourriture peut être mesurée en nombre d’occurrences du geste de porter un aliment à la bouche. La fréquence par minute de cet acte peut être utilisée comme un indice de l’intensité de ce comportement. 2.4. Mesure de temps de latence ou d’intervalle • Temps d’intervalle Il s’agit de l’intervalle de temps entre des comportements observés, que ce soit la répétition d’un même comportement ou l’enchaînement de comportements différents. C'est le cas par exemple dans une analyse de séquences (cf. chap. III, section 3) avec la mesure du temps écoulé entre deux événements donnés. Ces deux événements peuvent s’observer chez un même individu ou bien chez deux ou plusieurs individus différents. Par exemple, dans une observation d’interaction dyadique, lorsqu’un partenaire fait appel à l’autre, on peut mesurer le temps d’intervalle entre l’appel et la réponse d’un partenaire. Cela permet par exemple de mesurer la rapidité de réponse d’un partenaire et sa régularité (voir l’étude 6 de Bouville dans la partie II). • Temps de latence C'est le temps qui s’écoule entre une date donnée choisie par l’observateur et l’occurrence d’un comportement. Par exemple, la date de référence étant celle du début de l’observation, on mesure le temps qui s’écoule entre cette date et l’occurrence du comportement. Si la date de référence est celle d’un stimulus, on mesure le temps qui s’écoule entre ce stimulus et la réaction du sujet. On choisira une unité de temps appropriée au temps de latence mesuré : secondes, minutes ou autres. 3. Méthodes d’échantillonnage Comme tous les comportements ne peuvent être notés en même temps, il faut choisir une stratégie pour les enregistrer, soit en se focalisant sur certains aspects (personne ou événement), soit en choisissant des moments ou des périodes à analyser. Il s’agit là de ce qu’on appelle la méthode d’échantillonnage : décider du moment du recueil des comportements et des choix de focalisation. Le but est d’obtenir une mesure précise et représentative des régularités du comportement étudié. Le choix se fait en fonction de l’objet de l’étude, du type ou de la nature du comportement et de sa fréquence. Nous présentons ci-dessous quelques méthodes, proposées par Altman (1974) et Martin & Bateson (1986). On distingue deux niveaux d’échantillonnages, un portant sur le « point de focalisation » et l’autre sur le « choix temporel ». 3.1. Règles de focalisation • Échantillonnage ad libitum ou non systématique (ad libitum sampling) Aucune contrainte n’est imposée en ce qui concerne les sujets, l’ordre des observations et les moments d’observation. L'échantillonnage ad libitum est utilisé dans le cadre de l’observation spontanée et/ou exploratoire. Toute observation systématique passe par cette méthode. Elle permet de découvrir les patrons naturels du comportement. • Échantillonnage par focalisation ou centrations successives (focal sampling) Par cette méthode, on observe un individu (ou un groupe d’individus considéré comme une unité) sur une période de temps donnée (trois minutes, par exemple). L'observateur est concentré sur un individu et note les comportements de cet individu, notamment le moment d’apparition des comportements. Ces comportements sont préalablement choisis (un ou plusieurs selon leur fréquence). Un deuxième individu est ensuite observé de la même manière durant le même intervalle de temps et ainsi de suite pour les autres individus. Cette méthode procurera entre autres l’occurrence, la fréquence, les enchaînements de comportements étudiés pour les individus observés. Cet échantillonnage est bien adapté pour l’étude d’un groupe d’individus. → Voir l’étude 8 de Cazenave-Tapie dans la partie II. Exemple 4 : Exemple de feuille de codage avec une variable : échantillonnage par focalisation (sur un individu) Étude du comportement social de l’enfant dans une situation d’interaction avec d’autres enfants. Variable A : Comportement social 0- pas d’interaction 1- affiliatif 2- agonistique 3- autres (ni 1 ni 2) Focalisation sur un enfant A. On coche à chaque fois que le comportement de l’enfant observé change de nature. L'enfant partenaire est désigné à l’aide d’une lettre (A, B, C…) dans la colonne « Partenaire ». • Échantillonnage par balayage (scan sampling) Il s’agit d’une observation du comportement ou de l’activité de tous les membres d’un groupe à un instant donné, à intervalle régulier préalablement fixé. Cela consiste en quelque sorte à prendre une photo de tous les membres pour connaître leur situation à ce moment-là. On note dans quel état chacun d’eux se trouve ou dans quelle activité il est momentanément engagé à la date fixée. Par exemple, au moment de l’enregistrement, on relève qui était en train de manger ou de ne pas manger, qui était en train de travailler ou au repos, etc. Avec cette méthode, le nombre de comportements observables est réduit et se limite à ceux faciles à repérer car il faut saisir le comportementde l’ensemble des membres du groupe. Pour cette méthode, on utilise forcément l’échantillonnage par balayage instantané (voir plus bas). → Voir l’étude 8 de Cazenave-Tapie dans la partie II. • Échantillonnage par comportement (behavior sampling) On note chaque occurrence d’un comportement particulier pour l’ensemble des individus observés, pour une période donnée. Cette méthode est souvent utilisée pour noter les comportements rares mais significatifs (par exemple des querelles). Par exemple, durant trois heures d’observation d’un groupe d’individus en milieu naturel, on se focalise sur le comportement de querelle. Dès qu’une querelle apparaît quelque part, on note l’occurrence ainsi que les individus concernés et éventuellement la source de querelle si elle est identifiable à chaque fois. Au bout de 3 heures d’observation, on obtient l’occurrence des querelles de ce groupe et la fréquence d’implication de chaque individu dans la querelle, ainsi que la fréquence des sources de querelles. Les trois méthodes par focalisation présentées ci-dessus sont très utiles dans le cas d’observations sur le terrain, sans enregistrement vidéo. En choisissant des patrons de comportement pertinents, cette méthode peut être plus efficace que l’observation complète et continue, en particulier si les observations sont effectuées sur des périodes assez longues. Il ne faut en effet pas négliger la fatigue de l’observateur et ses effets sur la qualité du relevé. Pour une observation de longue durée (quelques heures par exemple), il faut choisir une stratégie de codage adaptée et faisable. 3.2. Règles d’échantillonnage du temps Il s’agit du choix des moments de relevé des comportements. • Échantillonnage par présence ou absence, codage binaire (One-zero sampling) Une unité de temps étant préalablement décidée (par exemple toutes les 20 secondes), on note la présence (1) ou l’absence (0) d’un comportement à l’intérieur de chaque unité de temps. Si le comportement a eu lieu dans l’intervalle de temps fixé (quelles que soient la durée et la fréquence de ce comportement), on note 1 pour cet intervalle. Sinon 0. En utilisant un bip sonore, ce codage est réalisable même sans enregistrement vidéo au terrain. Cependant, cette technique ne fournit pas d’informations exactes nisur la durée ni sur le nombre d’occurrences des comportements. Elle ne convient donc toujours pas pour toutes les études. Par contre, elle est utile pour déterminer l’importance relative des comportements. Choix d’une unité de temps ou d’intervalle : il doit aboutir à des résultats pertinents. Par exemple, si les occurrences d’un événement sont espacées dans le temps, par exemple 2-3 fois par demijournée, il est inutile de prendre comme unité de temps ou d’intervalle la seconde ou la minute. L'unité choisie devra être testée durant la phase d’essais préalable à l’observation. → Voir cette technique illustrée dans l’étude 1 de Norimatsu et Shimizu dans la partie II. Exemple 5 : Exemple de feuille de codage avec deux variables : échantillonnage par présence ou absence Dans une situation d’interaction adulte-bébé. Variable A : Vocalisation du bébé 0- pas de vocalisation 1- vocalisation Variable B : Verbalisation de la mère 0- pas de verbalisation 1- verbalisation Unité de temps : 20 sec Temps Var. A Vocal du bébé Var. B Verbal de la mère 0 m 00 s – 0 m 20 0 0 0 m 21 s – 0 m 40 1 1 0 m 41 s – 1 m 00 1 1 1 m 01 s – 1 m 20 0 1 1 m 21 s – 1 m 40 0 0 1 m 41 s – 2 m 00 1 1 2 m 01 s –2 m 20 0 1 2 m 21 s – 2 m 40 1 1 2 m 41 s –3 m 00 1 1 3 m 01 s – 3 m 20 0 0 : : : Cette méthode d’échantillonnage donne les proportions relatives de vocalisations du bébé et de verbalisations de la mère. Par contre, elle ne fournit pas de données exactes sur la durée ni sur l’occurrence de ces comportements car à l’intérieur d’une unité de temps de 20 secondes, on note l’occurrence une seule fois même si par exemple trois vocalisations ont été constatées. On ne sait pas non plus si l’événement qui a eu lieu sur deux unités de temps contiguës ne forme qu’un seul événement (continu) ou bien s’il y a eu deux occurrences. • Échantillonnage par balayage instantané (Instantaneous time sampling) Cette méthode est assez similaire à la précédente, si ce n’est que l’échantillonnage ne porte pas sur une période mais sur des instants à intervalles préalablement fixes. À chacun de ces instants, l’observateur note ce que fait l’individu observé. Là encore, un bip sonore peut être utile pour marquer l’instant, de sorte qu’il n’est pas nécessaire de quitter la scène des yeux pour consulter un chronomètre ou une montre. Par exemple, si l’intervalle est de 15 sec (le bip sonne toutes les 15 sec), l’observateur relève l’état de l’individu observé toutes les 15 secondes, au moment du bip (et non entre les bips). Cette technique ne fournit pas d’informations sur l’occurrence des comportements. En revanche, elle peut donner une approximation de la durée des comportements observés. Plus l’intervalle est court, plus les données s’approchent de celles obtenues avec l’enregistrement de la durée exacte des comportements. Plusieurs chercheurs utilisant cette technique se sont rendus compte que l’estimation de la durée des comportements était très satisfaisante, comparée à celle du codage continu qui est beaucoup plus lourd à effectuer (Martin & Bateson, 1986). L'intérêt de cette technique, si l’estimation de la durée est bonne, est de pouvoir coder plus d’un comportement, ce qui n’est pas le cas pour le codage continu. Ci-dessus, nous avons présenté plusieurs méthodes d’échantillonnage. Leur combinaison est possible. Par exemple, pour étudier un groupe d’individus, l’échantillonnage par focalisation (centrations successive–focal sampling) peut être combiné avec l’échantillonnage par balayage instantané, etc. Rappelons que les méthodes d’échantillonnage et les supports d’enregistrement (papier-crayon, enregistrement vidéo (ou audio), ordinateur de poche, etc.) sont étroitement liés. Il existe des appareils portables pour coder et enregistrer les apparitions des comportements ainsi que leur durée en temps réel. Ils produisent des codages qui peuvent être transmis directement sur l’ordinateur. C'est le cas par exemple de « Kronos-Actopalm », outil d’aide au relevé d’observations (voir le chapitre VIIet le site de Kerguelen : http://w3.ltc.univtlse2.fr/kerguelen/actopalm/actopalm.html). 3.3. Intérêts et limites de l’échantillonnage L'intérêt majeur de ces méthodes d’échantillonnage réside dans la possibilité de coder plus d’un comportement portant sur plusieurs individus, notamment dans le cas d’observations sans enregistrement vidéo. Les échantillonnages sont intéressants pour observer des situations difficiles à suivre avec un caméscope, notamment lorsqu’il y a beaucoup de déplacements. Par ailleurs, ces méthodes permettent d’alléger la charge de travail de l’observateur et de minimiser les erreurs dues à la fatigue. Les échantillonnages du temps ne permettent pas d’obtenir des informations exactes ni sur la durée ni sur la fréquence du comportement. On peut seulement obtenir une estimation si l’unité de temps ou d’intervalle est assez courte. Les échantillonnages du temps ne sont pas adaptés à l’analyse de séquence des comportements. En effet, un changement du comportement peut avoir lieu entre deux relevés et donc ne pas être saisi. Le relevé de ces changements est pourtant indispensable pour l’analyse de séquence. 3.4. Codage complet et continu (all occurrences and continuous recording ) Enfin nous présentons un type de codage différent de ceux utilisant les échantillonnages de temps. Ce codage est le plus complet. Ici, on ne fait pas d’échantillonnage mais on code les informations exactes du comportement de façon continue. On note l’occurrence exacte du comportement avec le relevé du début et éventuellement de la fin du comportement. On obtient alors l’occurrence, la fréquence et la durée des comportements. La précision des données relevées dépendra du support matériel. Pour un relevé papier-crayon, le comportement étudié ne doit pas être trop fréquent. Il est par ailleurs difficile de coder plus d’un comportement à la fois. Ces contraintes disparaissent avec l’enregistrement vidéo. Exemple 6 : Exemple de feuille d’encodage avec deux variables : codage complet et continu Variable A : Vocalisation du bébé 0- pas de vocalisation 1- vocalisation Variable B : Verbalisation de la mère 0- pas de verbalisation 1- verbalisation Temps Var. A Vocal du bébé Var. B Verbal de la mère 0 m 00 s 0 0 0 m 07 s 1 ↓ 0 m 10 s 0 ↓ 1 m 03 s ↓ 1 1 m 09 s 1 0 1 m 11 s 0 ↓ 1 m 13 s ↓ 1 1 m 15 s 1 ↓ 1 m 19 s ↓ 0 1 m 21 s 0 1 : : : Ce codage donne des informations plus détaillées puisque est noté le nombre exact d’occurrences de vocalisations ou de verbalisations et leur durée en secondes. Une analyse de séquences entre les deux partenaires est alors possible. (Le symbole « ↓ » signifie que l’état précédent se poursuit jusqu’au moment où un autre code (état) apparaît dans la même variable.) Par contre, la réalisation de ce type de codage est difficile sans enregistrement des scènes. 4. Quelques techniques particulières d’observation Dans cette section, nous présentons deux techniques particulières d’observation en plus de celles présentées précédemment. 4.1. Méthode de Magicien d’Oz La méthode de Magicien d’Oz a été conçue dans le domaine de l’interaction homme-machine. Le principe est que les usagers-participants interagissent avec une machine (système informatique) qu’ils croient autonome alors qu’en réalité un opérateur/observateur humain invisible manipule au moins une partie du système. Cet opérateur (magicien) se trouve en général dans une pièce séparée d’où il voit les réactions des usagers-participants et contrôle la réaction du système en direct. Le participant interagit donc en réalité avec l’opérateur caché derrière le système, au moins pour une partie des échanges. Cette technique permet de saisir des informations détaillées sur la réaction des usagers, dont leurs préférences par rapport au système par exemple. Ces données permettent d’adapter le système. Cette technique est utilisée dans divers domaines comme la psychologie, l’ingénierie, l’ergonomie, le développement du système d’apprentissage interactif, etc. → Kozima illustre l’usage concret de cette technique dans le cadre d’interaction enfants-robot (l’étude 2 de la partie II). 4.2. Technique d’observation des nourrissons d’Esther Bick (par Nathalie Pigem) Esther Bick a été à l’initiative d’une technique d’observation psychanalytique du bébé menée dans le contexte familial du nourrisson : « Infant Observation » (IO) ou « Observation des Nourrissons selon Esther Bick » (ONB). Il s’agit pour l’observateur de faire table rase d’idées préconçues sur ce qu’est une mère et son enfant. Ainsi pour apprendre à observer, aucune hypothèse de travail, aucune catégorie de faits ne doit guider l’observateur en formation (Bick, 1964). Il s’agit de comprendre l’expérience physique et émotionnelle du nourrisson par l’observation de son corps, de décrire avant tout des phénomènes (comme celui de l’adhésivité) et non pas de chercher d’emblée à théoriser ou intervenir y compris dans une visée thérapeutique (Meltzer, 1995). Pour Esther Bick, l’observation des premiers moments de la vie dans ce contexteprivilégié permet de considérer précocement le rôle des émotions dans les premières relations du nourrisson. Dans la tradition freudienne, Esther Bick a accordé un rôle fondamental à l’observation pour l’étude des processus inconscients. Elle concevait l’observation d’une mère et son enfant comme celle d’un « monde à part entière ». Psychanalyste d’origine polonaise, elle a travaillé avec Melanie Klein et John Bowlby et a exercé jusqu’en 1983 à la Tavistock Clinic de Londres. Dès 1948, elle y a formé des psychothérapeutes d’enfants à l’observation du nourrisson pour la British Psychoanalytic Society. Le protocole d’observation qu’elle propose comprend trois étapes. 1) L'observation au domicile : l’observateur a rencontré les parents avant la naissance de l’enfant et s’est accordé avec eux sur les principes de la visite hebdomadaire au domicile : régularité des visites, aucune intervention de l’observateur et prise de notes. L'objectif étant pour lui d’acquérir dans le cadre de sa formation une certaine expérience d’observation auprès des nourrissons. Quelques jours après la naissance de l’enfant, il se rend chaque semaine pendant une heure au domicile des familles généralement pendant les deux premières années de vie du bébé. Au cours de ces visites, l’observateur évite donc d’intervenir par des commentaires ou des conseils. Aucune prise de notes, aucun enregistrement ne sont autorisés. L'observateur fait partie intégrante de l’interaction, se montre disponible psychiquement, attentif et bienveillant à l’égard des parents et de leur nourrisson. Sont pris en compte pour l’analyse ultérieure l’attitude manifeste de chacun des sujets mais également les ressentis de l’observateur dans cette situation d’observation. Dans ce contexte d’observation à visée thérapeutique, les parents bénéficient d’un cadre où ils peuvent avoir le sentiment que quoi qu’ils feront ou diront cela sera bien perçu par l’observateur. Ce cadre permet également aux parents de développer leur capacité d’attention au comportement de leur bébé et à sa vie psychique. 2) La rédaction d’un compte rendu d’observation détaillé : suite à chaque visite, l’observateur rédige un compte rendu des observations du comportement du bébé, de ses ressentis, de ses impressions et des associations qui émergent en rapport avec son vécu personnel. 3) La lecture de chaque compte rendu au groupe (supervision) : l’observateur lit son compte rendu d’observation au groupe d’observateurs en formation et au formateur qui supervise celui-ci. Chaque élément est commenté, le groupe participe ainsi à l’émergence du sens, assume une position de tiers et permet une distance nécessaire à l’élaborationpsychique. Il soutient l’observateur sur la conduite à tenir dans l’intérêt du nourrisson et de ses parents (par exemple : mieux adapter l’heure de la visite au mode de vie familial). En définitive, cette technique d’observation permet de mieux connaître le développement du nourrisson dans son contexte familial, de porter une attention et un regard thérapeutique et d’analyser les ressentis de l’observateur (contre-transfert) dans ce contexte d’interaction parent-enfant. Ainsi l’Infant Observation participe depuis plus de cinquante ans à une fine compréhension des premières interactions mère-enfant et de leurs impacts sur le développement précoce du bébé (par exemple description et compréhension des angoisses archaïques, illustrations de modification des positions parentales, moi corporel…). De nombreux travaux et projets de soins utilisent actuellement l’Infant Observation pour une meilleure compréhension des processus psychiques du bébé en interaction avec ceux de son entourage, citons tout particulièrement le secteur de la périnatalité (par exemple : en tant qu’outil de dépistage et de contenance de la dépression post-partum, Pochette et al., 2005), celui de la pédiatrie ambulatoire (Lainé, 2001), les consultations psychologiques et pédopsychiatriques (pour une synthèse voir Delion, 2004). L'IO est également utilisée depuis de nombreuses années en crèche (Jardin, 2007) mais aussi en éducation (par exemple en didactique des mathématiques pour une analyse des éléments psychiques instaurés par les enseignants, Chaussecourte, 2003). Pour des exemples de compte rendu d’observation, le lecteur pourra se référer à l’ouvrage collectif dirigé par Marie-Blanche Lacroix et Maguy Monmayrant (1995), Les liens d’émerveillement : l’observation des nourrissons selon Esther Bick et ses applications. 1 Il existe une distinction équivalente en éthologie proposée par Hawkins (1982) en deux modes de description des comportements : d’une part la « description topographique » ou encore « description par opération » et d’autre part la « description fonctionnelle » ou « description par les conséquences ». Chapitre III Validité, fiabilité et traitements des données La qualité d’un travail d’observation se juge au niveau de la validité et de la fiabilité des données obtenues. 1. Validité des données La validité des données se pose dans les termes suivants : « est-ce que le choix des comportements observés est approprié pour répondre aux questions de la recherche ? ». Le choix des patrons d’un comportement ainsi que le choix des méthodes d’échantillonnage doivent être bien réfléchis en fonction du but de l’étude. La question sur les types de données à quantifier doit se poser avant d’effectuer le codage final des comportements. 2. Fiabilité des données Les données sont considérées comme fiables si elles sont obtenues par des méthodes de mesure reproductibles par n’importe qui. La grille de codage par exemple ne doit pas reposer sur l’arbitrage de l’observateur. Pour s’en assurer, on testera une grille en la soumettant à plusieurs observateurs/codeurs, sur un même échantillon d’observations. La grille et les résultats produits seront d’autant plus fiables que les résultats des différents observateurs/ codeurs seront proches. Il existe deux niveaux de contrôle de la fiabilité d’un codage. • Contrôle intra-observateur Un même observateur effectue le codage d’une même scène à deux reprises avec les mêmes grilles de codage (possible uniquement avec des données enregistrées). Si de nombreux décalages apparaissent, c’est qu’il y a un défaut soit au niveau des catégories du comportement (ambiguïté, etc.), soit au niveau de la méthode d’enregistrement ou de l’échantillonnage. Dans ce cas, il faut revoir les grilles d’analyse. • Contrôle inter-observateurs Une même scène avec un même protocole est analysée par au moins deux observateurs. Dans le cas d’un travail sans enregistrement, les observateurs doivent effectuer simultanément le codage avec la même grille sur la même scène. Les résultats doivent être très similaires. 3. Contrôle de la fiabilité des données Une évaluation chiffrée est possible à partir de la comparaison des résultats de deux ou plusieurs codages. Ce contrôle se fait sur différents échantillons de résultats (par exemple sur 15 % aléatoirement choisis dans l’ensemble des données). Il existe plusieurs indices statistiques de fiabilité des données. Les données d’observation étant très souvent catégorielles, la fiabilité est en général contrôlée grâce au coefficient de kappa de Cohen (Cohen, 1960) qui permet une mesure de concordance entre deux observateurs. Le kappa de Fleiss (1971) sert à mesurer la concordance pour plus de deux observateurs. Voyons ici un exemple de contrôle de fiabilité entre deux observateurs – cas le plus fréquent. Le calcul du coefficient de kappa de Cohen est précédé par le calcul du taux d’accord en pourcentage. 3.1. Taux d’accord en pourcentage Prenons un exemple avec deux observateurs. Exemple : Variable A : Verbalisation 1- Sollicitation des gestes du partenaire 2- Évaluation positive de geste du partenaire 3- Évaluation négative de geste du partenaire 4- Autres Il faut tout d’abord faire une matrice avec les deux codages effectués par les 2 observateurs, pour chaque variable. Exemple 7 : Matrice de codages effectués par 2 observateurs pour la variable « verbalisation » Ensuite, on calcule la proportion d'accord (Po) , Nombre d’accords (chiffres en gras dans le tableau) = 26 Nombre de désaccords (chiffres en maigre dans le tableau) = 6 (* Pour obtenir le pourcentage d’accord, il suffit de multiplier ce chiffre par 100.) Insuffisance du pourcentage d’accord Le pourcentage d’accord ne prend pas en compte la probabilité de tomber sur le même codage par hasard. 3.2. Kappa de Cohen Cohen (1960) a proposé un calcul du coefficient de Kappa qui prend en compte le taux de hasard. Le coefficient de kappa vaut : Po : Proportion d’accord observée Pc : Proportion théorique du hasard (by chance) Pc : On croise l’occurrence codée par deux observateurs pour chaque modalité (ici A1 x B1) et on additionne les mêmes croisements pour chaque modalité. Ensuite ce total est divisé par le carré du nombre total d’événements codés (322 dans l’exemple). Au niveau de l’interprétation de cette valeur de Kappa, il n’y a pas de seuil d’acceptation en terme de théorie statistique, mais un consensus existe dans le monde académique pour considérer qu’au-delà de 0.70, les données sont suffisamment fiables et acceptables. Une valeur de Kappa plus faible entraîne la révision des catégories du comportement. Cependant, la nature du comportement influe sur la fiabilité. Certains sont intrinsèquement difficiles à observer et il faut alors accepter un seuil modéré. Par exemple, le comportement visuel est souvent plus difficile à déterminer avec un enregistrement vidéo standard ou à l’œil nu, comparé à d’autres types de comportement. Dans la phase d’essai, il est conseillé de tester les grilles de codage du comportement et de déterminer le taux d’accord inter-observateurs. La matrice est très utile pour retrouver les points de désaccord, parfois concentrés sur une des catégories du comportement. 4. Analyses de données 4.1. Analyse de fréquence La fréquence d’un comportement renvoie au nombre d’occurrences du comportement étudié, divisé par le nombre d’unités de temps. Il s’agit donc non pas d’obtenir un nombre brut mais un taux. Il est utile pour effectuer des comparaisons lorsque la durée de l’observation diffère d’un individu à l’autre. L'occurrence et la fréquence sont basées sur une quantification numérique qui autorise l’application d’une statistique inférentielle de type paramétrique. 4.2. Analyse de durée Le relevé de la durée des états ou des comportements permet de calculer la durée totale de chaque catégorie sur le temps total de l’observation. Par exemple, sur 2 heures d’observation, l’état A a été observé pour une durée dotale de 30 minutes, l’état B a duré 20 minutes, et ainsi de suite pour toutes les modalités. Dans un deuxième temps, la prise en compte des autres états permet d’obtenir un % de temps. Par exemple, l’état A dure 25 % du temps total, etc. 4.3. Analyse de séquence On s’intéresse ici à l’enchaînement des différents états ou événements pour éventuellement dégager des schémas de séquences. On recourt à ce type d’analyse pour l’étude des interactions entre différents individus, ou pour l’étude de l’enchaînement des comportements chez un même individu. Dans certains cas, on peut s’intéresser à relever uniquement un enchaînement de deux événements, qui sera étudié en relation avec d’autres variables. Prenons comme exemple l’étude de Bouville (étude 6 dans la partie II). L'auteur a analysé l’enchaînement des « signes de détresse de l’enfant » et des « réactions de son entourage » dans le cadre de l’interaction adulte-bébé. Durant une observation d’une journée, il a quantifié le nombre d’occurrences de cette séquence ainsi que le temps d’intervalle entre le début des pleurs du bébé et la réaction de l’entourage. L'auteur a étudié ces données en relation avec la variable « état nutritionnel de l’enfant » afin d’étudier le rôle du facteur relationnel dans le cas de malnutrition modérée (voir l’étude 6). On peut également analyser l’enchaînement des activités chez un même individu observé. Par exemple, l’étude de l’efficacité de différentesstratégies dans l’accomplissement d’une tâche peut s’appuyer sur l’observation des enchaînements de sous-tâches, avec entre autres le calcul de la probabilité d’enchaînement des sous-tâches deux à deux. Considérons un cas fictif. Durant la réalisation d’une tâche d’une heure, on observe les fréquences d’enchaînements de quatre soustâches A, B, C, D. Supposons que les combinaisons aient été celles indiquées dans le tableau cidessous. Si on ne prend pas en compte l’enchaînement de deux sous-tâches identiques, 12 enchaînements sont possibles (AB, AC, AD, AE, BA, BC, BD, BE, ainsi de suite). Le tableau suivant résume les fréquences observées. Exemple 8 : Matrice de transitions des différentes sous-tâches À partir de ces quantifications, on calcule la probabilité de chaque enchaînement. Par exemple, l’enchaînement DA a été observé 7 fois sur un total de 37 enchaînements observés. Sa probabilité est alors 0.1892 (= 7/37). Les probabilités des tâches après D sont 7/12 (58 %) pour A, 2/12 (17 %) pour B et 3/12 (25 %) pour C. L'efficacité dans l’accomplissement de la tâche (en terme de productivité ou qualité par exemple) pourra ensuite être corrélée à la probabilité des enchaînements des sous-tâches. Pour plus de détails sur l’analyse de séquences, voir par exemple Bakeman & Gottman (1986). 4.4. Analyse de simultanéité L'analyse de simultanéité s’intéresse à l’apparition simultanée d’au moins deux comportements chez un même individu ou chez des personnes différentes. On choisira, en fonction de l’intérêt de l’étude, de relever le nombre d’occurrences ou la durée des comportements simultanés. Par exemple, pour étudier l’attention visuelle partagée entre parent-enfant, on peut quantifier le temps d’attention visuelle de deux partenairessimultanément portée vers la même cible. Le résultat correspond au temps de regard simultané pour différentes dyades. Un logiciel comme ActogramKronos (voir le chapitre VIIde Kerguelen) fait le calcul de simultanéité de deux variables. 4.5. Traitements statistiques Dans cet ouvrage d’initiation, nous ne mentionnons que brièvement les traitements statistiques des données d’observation accessibles aux débutants. Le choix des tests statistiques se fait en fonction des variables étudiées. Les données d’observation sont très souvent celles d’une variable nominale ou ordinale. De ce fait, les tests non paramétriques sont les plus fréquents. Une erreur fréquente de traitement des données d’observation est la confusion entre les codes en chiffres et les vraies valeurs numériques quantifiés. Même si les modalités à l’intérieur d’une variable ont été codées avec des chiffres (1, 2, 3, etc.), ceux-ci n’ont pas de valeurs numériques. Cela aurait tout aussi bien pu être des lettres ou tout autre symbole. La comparaison des occurrences ou des fréquences d’un comportement se fait souvent avec un test de χ2. Cependant ce n’est pas très adapté pour des données ayant un faible effectif (inférieur à 5) dans une des catégories. La comparaison des moyennes des fréquences entre N groupes fait en général l’objet d’un t de student (pour la comparaison de deux groupes) ou d’une analyse de variance (celle de plus de 2 groupes). Une analyse de corrélation est possible pour étudier une relation entre deux séries de données numériques associées à deux comportements distincts. 4.6. Logiciels disponibles pour analyser les données temporelles d’observation Plusieurs logiciels permettent l’analyse des données d’observation en séries temporelles et une visualisation graphique de ces données, que ce soit avec statistiques (Actogram-Kronos, Transana, Observer, Interact…) ou sans traitement statistique (Anvil, Wavesurfer, Mivurix…). Pour plus d’information sur « Actogram Kronos » voir le chapitre VIIde Kerguelen. Pour les autres produits (Anvil, Observer…) les informations sont disponibles sur le Web (voir la bibliographie). 5. Interprétation des comportements 5.1. Diversité d’interprétation selon la culture des investigateurs L'interprétation des comportements doit être faite avec précaution en tenant compte des « préjugés » culturels du chercheur. Pour illustrer les décalages d’interprétation des résultats entre des chercheurs de différentes cultures, citons les remarques de Kashiwagi (1988) à partir des problèmes qu’elle a rencontrés avec ses collaborateurs. Ils ont observé les interactions mère-enfants âgés de 4-6 ans au Japon et aux États-Unis. La séance d’observation dure une dizaine de minutes durant laquelle l’enfant a une tâche cognitive à effectuer. La mère peut intervenir comme elle le souhaite. Dans les deux pays apparaît une séquence où l’enfant n’arrive pas à effectuer une tâche et où sa mère donne plusieurs explications verbales parfois accompagnées de gestes pour aider. Au bout de quelques minutes, alors que l’enfant montre qu’il est en difficulté, la mère cesse de donner des indications à son enfant. Les chercheurs américains et japonais qui visionnaient ensemble cette séquence ont interprété le phénomène de façon très différente. Pour les chercheurs américains, « ne pas ajouter d’autres explications quand l’enfant n’arrive pas à exécuter une tâche » témoigne de l’assurance et de la confiance que la mère éprouve par rapport à l’explication qu’elle a donnée précédemment. Les chercheurs japonais ont au contraire interprété cette même séquence comme la démonstration de « l’incapacité de la mère à varier ses explications pour mieux expliquer ». Cet exemple montre combien l’interprétation peut différer. En bref, un même comportement physique ou verbal n’a pas le même sens selon la situation, le milieu ou la culture. Pour résoudre ce type de problèmes, il est préférable de collaborer avec un chercheur ou un informateur issu du même milieu culturel que les participants. Il est en plus intéressant de combiner l’observation avec d’autres méthodes d’investigation. Par exemple, l’entretien permet de disposer de l’interprétation des participants eux-mêmes sur leur propre comportement observé. 5.2. Rôle du contexte pour la compréhension du comportement Dans toute interprétation du comportement, nous devons tenir compte des éléments du contexte. Ceci est vrai pour l’observation en milieu naturelle comme pour l’observation en situation expérimentale. De nombreuses études se donnent comme variables dès le départ des éléments du contexte. Par exemple, pour étudier le conflit interpersonnel, en plus du relevé des occurrences des comportements conflictuels de chaque individu, les éléments du contexte pris en compte sont l’horaire (matin, après-midi, soir), le lieu (extérieur ou intérieur du bâtiment), toutes les personnes présentes, la présence de tel ou tel objet, etc. Des éléments du contexte non choisis comme variables étudiées peuvent également aider à l’interprétation des faits quantifiés. Par exemple dans un « conflit interpersonnel », si la fréquence des comportements conflictuels chez une personne augmente subitement, il est intéressant de s’attarder sur les éléments du contexte : brimade, contrariété, etc. 5.3. Usage simultané d’autres techniques et leur utilité pour l’interprétation Nous avons présenté les techniques d’observation directe du comportement et l’importance de l’objectivation des faits. En plus de cela, pour certaines études, il est très utile de combiner l’observation directe avec d’autres techniques indirectes (entretien, questionnaire, etc.). Ces dernières permettent d’avoir des informations sur l’appréhension des faits de la part des acteurs eux-mêmes. Par exemple, nous pouvons étudier simultanément l’interaction parent-enfant par observation directe et interroger les parents sur leur perception de cette interaction par un questionnaire ou un entretien. Les données obtenues par les techniques indirectes (ici, les appréciations des parents) surprennent parfois et remettent en cause l’interprétation établie seulement sur la base des données de l’observation directe. Une autre technique consiste à faire visionner et commenter les scènes filmées, par les acteurs observés afin d’obtenir leurs propres remarques ou interprétations (voir aussi le chapitre VII). Cette combinaison des techniques d’observation directe et indirecte est bien sûr limitée à des populations disposant du langage. Conclusion Pour une étude utilisant des techniques d’observation, il est important d’avoir un esprit ouvert et une curiosité pour les nouveautés. Un des intérêts principaux des techniques d’observation directe est la richesse des éléments observables susceptibles d’apparaître en plus des données visées au départ. Au niveau de la construction de la grille d’analyse du comportement, il ne faut pas oublier l’objectivation des faits. Le but n’est pas de construire les outils qui produisent les résultats conformes aux attentes de l’observateur. Au cours d’une étude, lorsque les données ne vont pas dans le sens de l’hypothèse ou lorsqu’apparaissent des phénomènes inattendus, il faut les considérer comme une bonne occasion de poser de nouvelles questions. Contrairement à ce que font parfois les débutants, il ne faut surtout pas négliger ou modifier les faits observés ou les interpréter de façon forcée dans le sens attendu. Bibliographie ALTMANN, J. (1974). Observational study of behavior : sampling methods. Behavior, 49, 227267. ARBORIO, A.-M. & FOURNIER, P. (2005). L'observation directe : l’enquête et ses méthodes, 2e éd. Armand Colin, coll. « 128 ». BAKEMAN, R. & GOTTMAN, J. M. (1997). Observing interaction : an introduction to sequential analysis, 2nd ed. Cambridge University Press. BEAUGRAND, J. P. (1988) Observation directe du comportement (chap. 10). In M. Robert (ed.) 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Seconde Partie Illustration par des recherches fondamentales et appliquées Chapitre IV Observation centrée sur un individu ÉTUDE 1 Rôle du toucher dynamique dans la perception des propriétés physiques des objets : exemple de codage binaire dans une étude expérimentale Hiroko Norimatsu & Takeshi Shimizu Mots clefs : Situation expérimentale, Observation filmée, Codage binaire (1-0 sampling), Analyse d'occurrence, Comportement exploratoire par le toucher dynamique Introduction Dans cette section, nous présentons un exemple d’analyse de manipulation d’objet par un individu humain en situation expérimentale. Ce chapitre illustre le cas d’une observation directe systématique, filmée. Le comportement observé est provoqué. Objectifs De nombreuses informations sur les propriétés des objets peuvent être perçues sans informations visuelles, par le « toucher dynamique »1. La psychologie écologique (Ecological psychology)2 attribue au mouvement un rôle des plus importants dans la perception chez l’humain. Cette théorie considère que « la perception vient de l’extraction des invariants dans l’environnement ». L'objectif ici est d’étudier la relation entre les différents mouvements exploratoires (toucher dynamique) et la perception des propriétés physiques des objets (notamment les invariants). L'aspect développemental est aussi pris en compte (4 groupes d’âges, de 6 à 83 ans). L'expérimentation est la suivante : les participants sont invités à estimer la longueur d’un bâton qu’ils tiennent en main mais qu’ils ne voient pas. Ils peuvent bouger le bâton comme ils le souhaitent. Les différents mouvements exploratoires spontanés exécutés par le participant sont analysés en relation avec la perception de la longueur du bâton. Méthodologie • Participants Les participants sont 34 personnes âgées de 6 à 83 ans, répartis en 4 groupes d’âges : Enfants (612 ans), Jeunes adultes (21-25 ans), Adultes d’âge moyen (31-56 ans) et Adultes d’âge avancé (6583 ans). Tous sont droitiers sauf un homme de 65 ans. • Procédure et matériel La passation était individuelle et d’une durée d’environ 10-15 minutes. Chaque participant a effectué 12 essais d’estimation de la longueur, avec pour chaque essai un bâton différent (4 longueurs × 3 matières). Jusqu’à la fin de l’expérience, il ne voit pas les bâtons. Les 4 longueurs sont respectivement de 30, 50, 70 et 90 cm. Les trois matières sont du bois balsa (densité de 0,17 g/cm3), du bois ramin (0,66 g/cm3 ) et del’aluminium (2,70 g/cm33. Chaque bâton est mis dans la main droite du participant. Un écran est situé en face de lui pour qu’il ne voit pas son bras (voir figure 1). Pour estimer la longueur du bâton, le participant est libre d’effectuer des mouvements exploratoires sauf taper quelque part avec le bâton. Une fois l’estimation faite, le participant indique non verbalement la longueur estimée en positionnant de la main gauche un curseur installé sur une table à sa gauche (voir figure 1). Figure 1 . Dispositif expérimental (vue aérienne) Procédure d’observation • Type d’observation Observation systématique filmée durant la séance d’expérience. Le bâton étant tenu de la main droite, chaque participant est filmé du côté droit, de plein pied. • Catégories du comportement Les comportements exploratoires ont été analysés en fonction de 4 catégories de mouvements du bâton (horizontal, vertical, rotation, autres). Tableau 1 . Catégories du comportement Code Nom Définition H Horizontal Mouvement horizontal du bâton par rapport au poignet. V Vertical Mouvement vertical du bâton par rapport au poignet. R Rotation Rotation du bout du bâton par rapport au poignet. A Autres Autres mouvements du bâton. • Type de codage Codage binaire (1 : présence – 0 : absence) pour chaque essai d’estimation (12 essais par participant), quelle que soit la durée de l’essai. • Exemple de grille d’observation Ici, nous nous intéressons à l’utilisation ou non de différents mouvements exploratoires pour chaque essai d’estimation (à chaque fois avec un bâton différent). Ainsi, durant un essai d’estimation de la longueur, nous avons noté la présence (1) ou l’absence (0) de chaque type de mouvement. Avec ce codage, nous n’avons pas d’information sur le nombre exact d’occurrences, ni sur la durée des mouvements, ni sur leur ordre d’apparition. Pour une analyse plus fine avec ces informations, d’autres codages et des grilles d’observation sont possibles, comme par exemple dans le tableau 3. Tableau 2 . Grille d’observation utilisée L'exemple du tableau 3ci-dessous fournit plus d’informations que le tableau 2puisque y apparaît l’ordre d’apparition des différents mouvements ainsi que leur fréquence. Nous pouvions ajouter l’information du temps (durée de chaque mouvement en secondes, par exemple) qui peut être en relation avec l’estimation de la longueur. Tableau 3 . Un autre type de codage possible Sujet No d’essai Mouvements V H S1 E1 V A V V E2 H V H E3 A V R … … ainsi de suite Traitement des données Dans un premier temps, le taux d’occurrences des catégories du comportement sur 12 essais a été calculé pour chaque participant, et ensuite regroupé par groupe d’âges. Nous avons intégré le mouvement vertical à l’analyse suivante car les trois autres mouvements ont été rarement observés. Une analyse de covariance (ANCOVA) a été effectuée avec le mouvement vertical comme variable indépendante et la longueur perçue (réponse donnée par les participants pour chaque bâton) comme variable dépendante. Les facteurs sont : le groupe d’âge (4 groupes), le sujet (34 personnes, avec le modèle hiérarchique à partir du groupe d’âge et effet aléatoire), et l’utilisation ou non du mouvement vertical du bâton. Les covariables sont la « valeur propre maximale » (maximum eigenvalue : un des composants de moment de tenseur (I1)) et le « moment statique » (M) car il a été démontré que la perception de la longueur par le toucher dynamique est dépendante de ces deux éléments (Kingma et al., 2004). Pour les détails de l’analyse et du modèle, voir Shimizu & Norimatsu (2005). Résultats principaux • Les résultats sur la perception des longueurs selon l’âge Pour chaque matière, le bâton le plus long est perçu comme tel. Il en va de même pour le plus court. Cependant, comme le montre le tableau 4, selonla matière, les longueurs perçues sont différentes des longueurs réelles. Ceci montre que lorsqu’un humain essaie de percevoir la longueur en utilisant le toucher dynamique, en fait, il détecte le moment physique. Selon les résultats d’ANCOVA à partir des moyennes des coefficients de régression et des ordonnées à l’origine pour chaque groupe d’âge, le modèle psychophysique de la perception de la longueur devient le suivant : Longueur perçue = exp(0.38) log I1^(0.46) M^(-0.21). La comparaison des quatre groupes d’âge indique que la détection des invariants dynamiques est meilleure chez les jeunes adultes (effet d’interaction Groupe d’âge × I1 : F(3,333) = 9.15, p<0.001, Groupe d’âge × M : F(3,30) = 6.33, p<0.01). Tableau 4 . Longueur perçue des trois types de bâtons : balsa, ramin et aluminium (moyenne et écart-type de chaque groupe d’âge) • Taux d’occurrence de chaque catégorie du comportement selon l’âge Lorsque les participants estiment la longueur des bâtons, quels comportements exploratoires utilisent-ils ? D’après les résultats de l’analyseavec 4 catégories de comportements exploratoires, pour tous les groupes d’âges, le mouvement vertical du bâton a été le plus fréquemment utilisé. Les autres types de mouvement l’étaient rarement (voir les figures 2-a, 2-b, 2-c, et 2-d). Par ailleurs, les résultats indiquent une évolution du comportement exploratoire avec l’âge. Figure 2 . Taux d’occurrences de chaque type de mouvement du bâton selon le groupe d’âge. (Nombre de participants pour chaque taux d’occurrences). • Les mouvements exploratoires et la détection des invariants dans la perception de la longueur L'analyse de covariance a montré que les différences inter-individuelles au niveau de la perception de la longueur sont associées aux mouvements utilisés. Ce point est important car un individu qui utilise une stratégie de mouvement exploratoire durant un essai ne l’utilise pas systématiquement dans d’autres essais d’estimation, et en fonction de la présence d’une stratégie ou non, la perception des propriétés des objets change. Ici, le taux d’occurrences du « mouvement vertical » a une relation forte avec la détection des invariants (pour les détails, voir l’étude de Shimizu & Norimatsu, 2005). Conclusion Selon les concepts de la psychologie écologique, l’organisme vivant ne perçoit pas les éléments de son environnement sans bouger ni rien faire. En effet, un organisme vivant est rarement dans un état statique, mais plutôt agit sur les éléments de son environnement. L'objectif de la présente étude était d’étudier le rôle du mouvement exploratoire dans la perception des propriétés d’objets. Pour cela, l’observation directe du comportement est indispensable. Afin de mettre en relation la perception des longueurs des objets et les différents mouvements exploratoires, nous avons fait le choix de la méthode d’analyse du comportement. La fréquence de chaque comportement est intéressante mais en soi ne peut pas révéler cette relation. Ce qui est unique dans cette étude est la démonstration que « lorsque le comportement exploratoire change, le moment physique détectable change quantitativement ». Cette conception justifie notre choix technique. En effet, la question dépendait plus de l’utilisation ou non d’un certain mouvement exploratoire. Il suffisait donc de noter la présence ou l’absence des différents mouvements durant chaque essai d’estimation. C'est pourquoi le nombre exact d’occurrences des mouvements, leur ordre d’apparition ou encore la durée de chaque mouvement n’ont pas été retenus dans cette étude. Leur prise en compte n’aurait bien sûr pas nuit à l’étude mais le piège est de passer énormément de temps sur une analyse très détaillée qui apporte en définitive peu d’informations pertinentes à la question de recherche. Pour cette raison, il est conseillé de déterminer clairement ce qui est cherché, et de trouver un moyen à la fois économique et efficace d’obtenir les informations pertinentes, et elles seulement. Références GIBSON, J. J. (1966). The senses considered as perceptual systems. Boston, MA : Houghton Mifflin. GIBSON, J. J. (1979). The ecological approach to visual perception. Hillsdale, NJ : Lawrence Erlbaum Associates. KINGMA, I., VAN DE LANGENBERG, R., & BEEK, P. (2004). Which mechanical invariants are associated with the perception of length and heaviness of non visible handheld rod ? Testing the inertia tensor hypothesis. Journal of Experimental Psychology : Human Perception and Performance, 30, 346-354. SHIMIZU, T. & NORIMATSU, H. (2005). Detection of invariants by haptic touch across age groups : rod length perception. Perceptual and Motor Skills, 100, 543-553. TURVEY, M. T. (1996). Dynamic touch. American Psychologist, 51, 1134-1152. ÉTUDE 2 Un robot interactif comme média pour l’observation d’enfants : technique du « Magicien d’Oz » dans le cadre de la thérapie de l’autisme Hideki Kozima4 Mots clefs : Magicien d'Oz, Robots interactifs, Robots comme média, Observation participante, Étude longitudinale, Thérapie de l'autisme Introduction La communication préverbale des enfants est l’une des activités humaines des plus difficiles à étudier dans la mesure où elle ne peut être facilement retranscrite dans un format symbolique. L'enregistrement vidéo nous aide beaucoup, cependant la présence de la caméra (et naturellement d’une personne qui l’actionne) affecte souvent le climat détendu des interactions habituelles entre un enfant et son parent. Si nous positionnons la caméra loin des interactants, nous perdons l’intensité et la richesse émotionnelle et attentionnelle des échanges. Alors comment pouvons-nous observer et décrire la richesse des échanges dans les interactions inter-corporelles et intersubjectives ? Nous proposons dans la présente étude d’utiliser un robot « interactif » pour observer la communication préverbale des enfants,ce qui constitue une manière innovante d’observer le comportement communicatif humain dans des situations de la vie quotidienne. Les fonctions du « robot » sont double : tout d’abord comme équipement pour l’observation (par exemple, en étant équipé d’une caméra vidéo) et en tant que partenaire d’interaction pour des enfants. Ceci signifie que (1) le robot « observe » un enfant et que (2) le robot « interagit » de façon dyadique avec l’enfant. Ici nous pouvons accorder au robot un statut équivalent à celui d’un « observateur » et aussi d’un « interactant ». La seconde section présente le robot interactif, qui nous permet de participer à l’interaction avec un enfant et qui enregistre l’interaction de sa propre perspective. La troisième section présente notre recherche réalisée dans un service de garderie pour des enfants présentant des troubles du développement. Nous présentons deux études de cas d’interaction avec des enfants autistes. En conclusion, la quatrième section discute le sens phénoménologique de l’observation participante avec des robots comme média dans les situations de la vie quotidienne d’enfants. Robots interactifs pour des enfants Récemment, un certain nombre de chercheurs en psychologie clinique et développementale ont employé les robots interactifs pour observer le comportement communicatif des enfants. Un des projets pionniers en la matière est celui d'AuRoRa” (Dautenhahn, 1999), qui a montré que même les robots mobiles simples offrent aux enfants autistes un environnement relativement répétable et prévisible encourageant des interactions spontanées telles que les jeux de poursuites avec les robots. Billard (2002) a conçu le robot qui ressemble à une poupée, Robota, pour le jeu d’imitation mutuelle avec les enfants autistes. Robins (2004) a intensivement analysé deux enfants jouant ainsi avec « Robota » et a observé le contrôle mutuel et le comportement coopératif pour en déduire des actions souhaitables. Michaud (2002), quant à lui, a conçu un certain nombre de robots mobiles et interactifs, comme « Roball » et « Tito », dans le but d’explorer le rôle des interactions enfantrobot qui pourraient favoriser l’estime de soi des enfants autistes. Par ailleurs, Okada (2005) a développé un robot qui ressemble à un animal « Muu », pour observer des interactions avec des enfants autistes dans l’activité partagée d’arrangement de légos colorés. Figure 1 . Keepon, le robot qui ressemble à un animal. Il est capable d’établir un contact par le regard et une “attention conjointe” avec un être humain interactant. Keepon , le robot Dans le but de solliciter des interactions quotidiennes avec des enfants de la façon la moins intrusive possible dans une perspective longitudinale, nous avons construit un robot simple qui ressemble à un « animal » “Keepon” (figure 1), conçu pour engager des échanges émotionnels et attentionnels avec les enfants de manière la plus simple et la plus compréhensive possible (Kozima, Nakagawa & Yano, 2004). Keepon a une apparence d’un bonhomme de neige jaune dont le corps qui mesure 120 mm est fait en caoutchouc de silicone mou. La partie supérieure (la « tête ») a deux yeux, qui sont des caméras CCD de couleur avec des objectifs à grand angle (120 degrés, horizontalement), et un nez, qui est en fait un microphone. La partie basse (le « ventre ») contient les petits cardans et quatre fils avec lesquels le corps est manœuvré comme une marionnette par quatre moteurs électriques et des circuits imprimés dans le cylindre noir. Comme le corps est fait de caoutchouc de silicone et que son intérieur est relativement creux, la tête et le ventre de Keepon se déforment à chaque fois qu’il change de posture ou que quelqu’un le touche. Figure 2 . La fonction de Keepon. Expression de l’attention en bougeant ou tournant sa tête (gauche) et expression de l’émotion par des petits mouvements latéraux comme « dodeliner », et verticaux comme « sautiller » (droite). Le corps de Keepon a quatre degrés de liberté : mouvement de la tête de haut en bas (40 degrés), la tête qui tourne (gauche-droite, 180 degrés), dodelinement (sorte de balancement) du corps vers les deux côtés (25 degrés), et « petits sauts » (15 mm de hauteur). Ces quatre degrés de liberté (ou direction) donnent deux types d’actions qualitativement différentes : – action attentive : Keepon s’oriente vers une certaine cible de l’environnement en bougeant sa tête (haut/bas et droite/gauche). Il semble percevoir la cible. Cette action inclut un contact par le regard et l’attention conjointe. (figure de Keepon à gauche) ; – action émotionnelle : Keepon dodeline (sorte de balancement de gauche à droite) et/ou sautille ( haut/bas) en gardant son attention sur une cible. Cela donne l’impression d’exprimer des émotions, telles que le plaisir et l’excitation, au sujet de la cible de son attention (figure de Keepon à droite). Notez que Keepon peut exprimer « ce qu’il » perçoit et « comment » il évalue la cible au travers de ces deux actions. Ces deux fonctions communicatives de Keepon peuvent facilement être comprises par les interactants humains, y compris les bébés et les enfants en bas âge. Figure 3 . Interaction entre Keepon et des enfants sans troubles de développement : un enfant de 2 ans montrant un jouet à Keepon (à gauche) et un enfant de 5 ans montrant une direction à Keepon par pointage (à droite). Pour une expérience préliminaire, nous avons observé 25 enfants en bas âge sans troubles de développement de trois groupes d’âge différents, ayant moins d’un an, âgés d’une année, et de plus de 2 ans, interagissant spontanément avec Keepon en présence d’un parent (figure 3). Les nourrissons de moins d’un an ont essentiellement exploré de façon tactile avec leurs mains et bouche. Cela peut suggérer qu’ils reconnaissent le robot comme « quelque chose qui bouge ». Les enfants âgésd’une année ont étendu cette étape par l’exploration des réactions du robot à différents bruits de l’environnement, identifiant le robot comme un « système réactif ». Les enfants âgés de deux années sont passés par ces étapes et sont capables d’attribuer des émotions de désir, de plaisir/ mécontentement, et d’aimer/ne pas aimer le robot, identifiant le robot comme « un agent proactif » pour interagir avec lui socialement. « Le Magicien d’Oz » comme méthode d’observation Quand nous observons les interactions des enfants avec Keepon, qui seront décrites plus en détail dans la prochaine section, un opérateur humain (magicien) télé-actionne Keepon à distance et observe comment les enfants interagissent avec lui. Cette méthode d’observation où les sujets interagissent avec un système qu’ils pensent être autonome mais qui est en réalité piloté par un opérateur invisible s’appelle le « magicien d’Oz ». Le « magicien d’Oz » est l’une des méthodes d’observation des plus puissantes et satisfaisantes pour observer les interactions sociales humaines, durant lesquelles les personnes échangent des informations sociales, souvent trop riches pour être traitées par des technologies informatiques actuelles. Figure 4 . Un enfant vu du point de vue subjectif de Keepon en tant qu’acteur principal de l’interaction L'opérateur humain télé-contrôle l’expression attentionelle, émotionnelle et vocalisations (de simples sons) de Keepon à l’aide de l’image-vidéo ainsi que du son venant de microphones intégrés, pris (ou enregistrés) dans la perspective de Keepon (figure 4). En d’autres termes nous avons enregistré toute information du point de vue subjectif de Keepon en tant qu’acteur principal de l’interaction. À proprement parler, cette subjectivité appartient à l’opérateur, cependant, l’interaction estmédiatisée par les actions simples que Keepon réalise, et chaque action réalisée par Keepon peut être reproduite sur la base des données enregistrées. À ce titre, nous pouvons dire que Keepon est à la fois un média subjectif (interaction directe avec des enfants) et objectif (par ce que n’importe qui peut re-expérimenter les interactions), permettant une analyse des interactions sociales humaines dans un contexte riche. Observation de terrain Notre terrain de recherche comprend un service de garderie pour des enfants présentant des troubles développementaux, particulièrement des enfants manifestant des troubles du spectre autistique (TSA). La plupart d’entre eux sont âgés entre deux et quatre ans. Leurs parents (habituellement les mères) et les thérapeutes interagissent avec eux, parfois d’une façon non structurée (individuellement ou dans une relation enfant/mère/ thérapeute), et parfois dans des activités plus organisées de groupe (comme des jeux de rythmes ou des lectures d’histoire). Au travers de ces activités interactives dynamiques et diverses, les actions des enfants sont observées et saisies dans le contexte social de la vie quotidienne. Au service de garderie, pendant les quatre dernières années (au travers de plus de 120 sessions ou au total 850 sessions enfantines), nous avons observé de façon longitudinale un groupe d’enfants présentant des troubles envahissants du développement, le syndrome d’Asperger, le syndrome de Down, et autres troubles développementaux. Nous avons observé 35 enfants au total. Certains d’entre eux sont partis du centre et d’autres y sont nouvellement arrivés pendant cette période. Méthodologie Dans la salle de jeux de ce service de garderie, nous avons mis une version sans fil de Keepon juste en tant que jouet parmi d’autres au sol. Sept à huit « combinaisons » d’enfant/de mère/de thérapeutes se sont engagées en sessions thérapeutiques (de trois heures chacune) dans la salle de jeux, pendant laquelle elles ont sporadiquement interagit avec Keepon. Pendant le jeu libre (durant la première heure), les enfants pouvaient jouer avec Keepon à tout moment. Pendant les activités de groupe (durant les deux heures suivantes), Keepon a été déplacé dans un coin de la salle de jeu de sorte qu’il ne gêne pas les activités. Cependant, si un enfant s’ennuyait ou devenait stressé par les activités de groupe, il lui était permis de jouer avec Keepon. Figure 5 . Le système de transcription pour l’annotation manuelle des actions des enfants, des parents, et des thérapeutes, ainsi que le contexte environnant. Nous avons enregistré l’interaction de la perspective de Keepon et avons analysé les données vidéo en utilisant un système de transcription (cf. figure 5) que nous avions développé pour cette étude. Le système enregistre une séquence d’images immobiles (une image/seconde des données vidéo). Pour chaque enfant, nous avions annoté manuellement les informations suivantes pour chaque image : - Distance à l’enfant : estimée à partir de la taille du corps ou de la tête de l’enfant sur l’écran informatique. Une fois que la longueur est annotée manuellement avec la souris, le système calcule automatiquement la distance de Keepon à l’enfant ; - État attentif : sélectionné manuellement parmi (1) à rien, (2) se mettre en face de Keepon, (3) fixer Keepon, (4) attention en direction (ou vers) des jouets, (5) attention en direction de la mère, (6) attention en direction du thérapeute, et (7) autre ; - Action de Keepon : sélectionnée manuellement parmi (1) rien (2) toucher, (3) essayer de toucher (4) pointer vers et (5) autre. Également, a été notée la partie du corps utilisée dans l’action ; - Descriptions qualitatives : décrit manuellement dans les fenêtres jaunes au-dessous de l’image vidéo. Nous avons utilisé, dans cette étude,la gauche pour décrire l’état interne de l’enfant que l’observateur a inter-subjectivement ressenti, et la droite pour décrire ce que l’opérateur (magicien) avait subjectivement remarqué pendant l’interaction. Nous sommes intéressés à la compréhension qualitative des états internes de chaque enfant par rapport au contexte environnant et également à l’analyse quantitative du comportement de chaque enfant qui soutient la compréhension qualitative. La partie suivante présente des descriptions qualitatives et, si nécessaire, des données quantitatives, pour deux études de cas représentatives. Étude de cas 1 : émergence d’interaction dyadique La première étude de cas concerne « M », une enfant âgée de trois ans présentant des troubles autistiques. À l’âge chronologique de 1 an et de 11 mois, son âge mental a été estimé à 10 mois. À 3 ans et 5 mois d’âge chronologique, elle a été diagnostiquée comme une enfant autiste avec le retard mental modéré. Nous décrivons ici comment l’interaction entre l’enfant (M) et Keepon s’est déroulé en 15 sessions pendant plus de cinq mois (de 3 ans et 9 mois à 4 ans et 1 mois d’âge chronologique). – De la session 1 (ci-après désignée comme S1), M a montré un vif intérêt dans Keepon, mais ne s’est pas approchée près de lui. Par S1 à S7, M a évité d’être directement regardée par Keepon (aversion de regard fixe) ; cependant, M l’a progressivement approché de côté et l’a regardé de profil. – À la S5, après l’observation d’un garçon mettant un cylindre en papier sur la tête de Keepon, M est allée voir son thérapeute et l’a tirée par la manche vers Keepon, lui demandant de façon non-verbale de faire la même chose. Quand le thérapeute a rempli sa requête, M quitte ou s’éloigne de Keepon avec une expression de satisfaction sur son visage. De S5 à S10, sa distance par rapport à Keepon a progressivement diminué à moins de 50 cm. – Dans le jeu libre à la S11, M a touché la tête de Keepon à l’aide d’un xylophone. Pendant l’activité de groupe, M a essayé de toucher Keepon avec sa main mais ne l’a pas réellement touché. Au moment de la pause de l’activité de groupe, M s’est assise devant Keepon et a touché son ventre avec sa main gauche, comme si elle examinait sa texture ou sa température. – Après ce premier contact effectué lors de la S11, M a commencé à agir de façon exploratoire avec Keepon, comme regarder dans son œil, bouger sa main devant lui, et écouter le son émis par Keepon. Pendant la S12, M vocalise des « non-mots » à Keepon, comme si elle s’attendait à une certaine réaction vocale de sa part. Durant la S13, M a mis un capuchon tricoté sur la tête de Keepon, puis demandé à sa mère de faire la même chose. A la S14, M a embrassé (réellement) le robot. Figure 6 . Distance des contacts visuels entre Keepon et l’enfant « M » pour les 15 sessions ayant eu lieu en 5 mois Notons que nous n’avons pas pu obtenir les données de la session 1 en raison d’un problème technique et que nous n’avons pu également observer aucun contact visuel en raison d’un adieu spécial au service de garderie. Nous pouvons voir que la curiosité persistante de M a progressivement réduit sa crainte de Keepon, comme cela est illustré par la diminution régulière du contact visuel sur la figure 6. Nous observons également ici l’apparition d’interactions dyadiques spontanées (Baron-Cohen, 1995 ; Tomasello, 1999), comme toucher Keepon avec un xylophone et des interactions dyadiques interpersonnellement provoquées, telles que mettre un cylindre en papier sur la tête de Keepon. Ce dernier comportement suggère notamment que M ait été une bonne observatrice des comportements d’autres, bien qu’elle ait rarement imité d’autres personnes même lorsqu’elle était guidée pour. Comme l’action du garçon était médiatisée par Keepon et un objet (par exemple le cylindre en papier) suscitant l’intérêt de M, il sera relativement facile pour elle de faire la même action et d’obtenir les résultats (Tomasello, 1999). Étude de cas 2 : émergence d’interaction triadique La deuxième étude de cas concerne « N », une enfant autiste âgée de trois avec un retard mental modéré (un an et sept mois d’âge mentalpour un âge chronologique de 3 ans et un mois sans langage apparent). Nous avons observé ses interactions avec Keepon durant 39 sessions, sur une période d’environ 17 mois (de 3 ans et 4 mois à 4 ans et 8 mois d’âge chronologique). - Durant la session 1, N a fixé Keepon pendant longtemps. Après avoir observé un autre enfant jouer avec Keepon à l’aide d’un jouet, N a été encouragée à faire la même chose, mais n’a montré aucun intérêt à le faire. - De la session 2 à la session 14, N n’a pas prêté beaucoup d’attention à Keepon, même lorsqu’elle s’est assise à côté de lui. Cependant, N a souvent jeté un coup d’œil sur le robot, quand elle a entendu des sons émis par lui. Le premier contact par le toucher s’est effectué au cours de la session 10. - À la S15, après avoir observé un autre enfant mettre un capuchon sur la tête de Keepon, N a touché Keepon avec son doigt. - Durant la S16 (après un intervalle de trois mois avec la Session 15), N est venue près de Keepon et a observé ses mouvements. Pendant le temps du goûter, N est revenue vers Keepon et a touché son nez, ce à quoi Keepon a répondu par un « sursaut ». N a ensuite exprimé un état de surprise et un sourire. Les mères et les thérapeutes présents dans la salle de jeu ont éclaté de rire. Pendant ce jeu, N souvent a regardé de façon référencée et a souri à sa mère ainsi qu’au thérapeute. - À la Session 17, N s’est souvent assise devant Keepon avec sa mère ; parfois elle a touché Keepon pour susciter une réaction. À partir de la Session 20, N a commencé à explorer les capacités de Keepon par la marche autour de lui pour voir s’il pouvait la suivre. - Pendant le goûter à la Session 33, N est venue vers Keepon et a commencé « un jeu d’imitation ». Quand N a effectué un mouvement (d’oscillation comme une sorte de balancement), tout de suite Keepon l’a « imitée » ; alors N en a fait un autre, et Keepon l’a imitée à nouveau. De la Session 33 à la Session 39, N a souvent joué ce « jeu d’imitation » avec Keepon, pendant lequel elle a souvent regardé de façon référencée sa mère et son thérapeute. Durant les cinq premiers mois (au cours des 15 sessions), N n’a pas exprimé de curiosité intense au sujet de Keepon ; même lorsque N était portée dans les bras de sa mère devant Keepon, elle a juste regardé Keepon mais n’a pas agi. Trois mois plus tard, particulièrement lors de la Session 16 et de la session 33, nous avons été témoins de l’apparition d’interactions triadiques (Tomasello, 1999, Trevarthen, 2001), oùKeepon (ou son action) a fonctionné comme sujet partagé pour des interactions interpersonnelles entre N et sa mère ou son thérapeute. Au cours de ces interactions triadiques, qui ont été spontanément réalisées dans une ambiance espiègle et détendue, il a semblé que N a voulu partager avec les adultes la « merveille » qu’elle avait expérimentée avec Keepon. Dans ce contexte, la « merveille » était une chose qui a induit des sourires, le rire, ou d’autres réactions émotives chez elle et son partenaire d’interaction. C'est également à noter que « le jeu d’imitation » observé la première fois dans la session 33 était unidirectionnel, le jeu au cours duquel Keepon était l’imitateur et N était le modèle et probablement l’arbitre ; cependant, ceci impliquait un « tour de rôle » réciproque qui est l’un des composants importants de l’interaction sociale. Discussion et conclusion Nous avons rendu compte dans cette étude de nos observations longitudinales sur la communication préverbale d’enfants présentant des troubles autistiques. Ces observations ont eu lieu dans la salle de jeu d’un service de garderie. Les observations ont été faites auprès d’un robot interactif, Keepon, qui peut largement simuler une attention et des états émotifs au travers d’actions corporelles. L'analyse qualitative et quantitative de l’approche spontanée des enfants avec le robot et de l’interaction avec Keepon propose ce qui suit : - Les enfants, même ceux avec des troubles du spectre autistique, ont été aptes à approcher spontanément Keepon avec curiosité et sécurité. Probablement parce que le robot semblait pour eux être ni un humain complexe et imprévisible, ni un jouet simple et ennuyeux. - Certains enfants présentant des troubles du spectre autistique ont étendu leurs interactions dyadiques avec Keepon à celles triadiques et interpersonnelle. Dans ces interactions, ils ont essayé de partager le plaisir et la surprise qu’ils ont éprouvés auprès de Keepon, avec d’autres, tels que leurs « parents ». - Chaque enfant a manifesté un style différent d’interaction qui a changé avec le temps, qui nous indiquerait une « histoire » au sujet de sa personnalité et de son profil développemental. Ces tendances uniques ne peuvent pas être complètement expliquées par une étiquette diagnostique telle que celle de « l’autisme ». Nous avons utilisé dans cette étude une « observation participante », où Keepon a fonctionné non seulement comme une caméra mais égalementen tant qu’agent qui a interagi réellement avec les enfants. L'opérateur humain de Keepon télépilotait et enregistrait les interactions dans la perspective de Keepon en tant qu’acteur principal des interactions (figure 4). En d’autres termes, l’opérateur a transféré son point de vue à Keepon, et il (ou elle) pouvait interagir ainsi avec les enfants au moyen d’une apparence simple de petit robot aux actions compréhensives. À ce titre, les données vidéos contiennent une des expériences subjectives que Keepon (et ainsi l’opérateur) a eues dans l’interaction, qui peut alors être re-expérimentées et réinterprétées par n’importe qui y compris les parents des enfants. Pour récapituler, Keepon fournit à l’opérateur à la fois une expérience subjective et une évaluation de l’interaction. Il permet également une observation objective communicable et disponible pour la re-expérience et la réinterprétation. • Remerciements L'auteur adresse ses remerciements à Cocoro Nakagawa (NICT) et à Yuriko Yasuda (Service de garderie de ville d’Omihachiman pour des enfants aux besoins spéciaux) pour leur collaboration et leur soutien infini lors de l’étude de terrain. Références BARON-COHEN, S. (1995). Mindblindness : An Essay on Autism and Theory of Mind. Cambridge, MA, USA : MIT Press. BILLARD, A. (2002). Play, dreams and imitation in Robota. In K. Dautenhahn et al. (eds.). Socially Intelligent Agent. pp. 165-173. Dordrecht, The Netherlands : Kluwer Academic Publishers. DAUTENHAHN, K. (1999). Robots as social actors : Aurora and the case of autism. Proceedings of the International Cognitive Technology Conference. pp. 359-374. KOZIMA, H., NAKAGAWA, C. & YANO, H. 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Infant Mental Health Journal, vol. 22, pp. 95-131. ÉTUDE 3 Acquisition de la marche chez le jeune enfant : exemple d’analyse quantitative du mouvement en trois dimensions Annick Ledebt Mots clefs : Cinématique du mouvement, Déplacements en 3 dimensions, Vidéo, Étude longitudinale. Introduction L'analyse du mouvement de la marche que l’on rencontre dans la littérature est basée sur la quantification de phénomènes directement observables, tels que le déplacement du corps, et non directement observables telles que les forces et l’activité musculaire qui sous-tendent ces déplacements. Ce chapitre présente l’analyse quantitative des déplacements corporels directement observables tels que ceux mesurés par des caméras vidéo (étude de la cinématique). Objectifs Analyser le développement du positionnement de la tête et du tronc au cours des premiers mois d’acquisition de la marche. Les débuts de la marche représentent une expérience totalement nouvelle pour l’enfant : il lui faut être capable de produire et de contrôler l’alternance des phases d’appuis sur un pied et sur deux pieds, c’est-à-dire unesuccession de phases de déséquilibres et de rattrapage d’équilibre, qui permettent une progression vers l’avant. La situation nouvelle à laquelle le tout jeune marcheur est confronté est la situation de déséquilibre qu’il doit créer et apprendre à maîtriser afin d’éviter les chutes. Apprendre à marcher peut ainsi être décrit comme le processus d’intégration de nécessités posturales (stabiliser le corps de manière à éviter une perte d’équilibre et donc une chute) et de nécessités dynamiques (créer les conditions dynamiques permettant de déplacer le corps vers l’avant). Apprendre à marcher c’est aussi apprendre à intégrer, c’est-à-dire à interpréter et à utiliser, les informations sensorielles disponibles pour le contrôle de l’équilibre et aussi de manière à adapter rapidement la locomotion aux modifications de l’environnement (Ledebt, 1997). La stabilisation de la tête dans l’espace, qui facilite notamment la stabilisation du regard et du système vestibulaire, est un moyen d’utiliser le segment céphalique comme un cadre de référence à partir duquel se ferait le contrôle de la marche (Bril & Ledebt, 1998). La stabilisation du regard semble par ailleurs être contrôlée de manière fine grâce à la coordination entre translation et rotation de la tête dans le plan sagittal (Ledebt & Wiener-Vacher, 1996). Ces deux stratégies font-elles parties des solutions motrices adoptées par l’enfant pour résoudre le problème de cette nouvelle situation d’équilibre dynamique qu’est la marche ? Protocole d’observation Un groupe de sept enfants a été étudié de manière longitudinale afin de suivre au plus près le développement. Une étude transversale peu en effet masquer certaines évolutions car elle implique de moyenner les résultats de différents enfants groupés selon leur âge. Chaque enfant fut suivi à partir du moment de ces premiers pas jusqu’à pour certains 18 mois après les débuts de la marche. Les mesures de la marche furent effectuées toutes les deux semaines durant les trois premiers mois puis ensuite une fois toutes les quatre semaines au cours des mois suivants. Figure 1 . Position des caméras vidéo autour de l’aire de marche (vue aérienne). Traitement de données et analyse L'étude du développement de la marche a été appréhendée par l’analyse des rotations de la tête et du tronc calculés à partir des données cinématiques obtenues par quatre caméras vidéo (Ledebt, Bril & Wiener-Vacher, 1995). Les données cinématiques correspondent à l’évolution temporelle de données de position, de vitesse, et d’accélération de points définis sur le corps. Dans ce chapitre seules sont présentées les données de déplacements. Dispositif expérimental Les caméras vidéo (Sony CCD-V800E) sont situées dans une salle mesurant 10 m x 6 m. La disposition des caméras vidéo autour de l’aire de marche est présentée sur la figure 1. Chaque caméra est placée à environ 2,5 m du centre d’une surface au sol de 3 m de long et 1 m de large. Un boîtier servant de support à six diodes émettrices de lumière (petites lampes utilisées ici car elles s’allument et s’éteignent en un temps très court) est accroché au plafond de manière à être visible par chacune des caméras. L'allumage des diodes est commandé manuellement par l’expérimentateur est permet d’obtenir un repère temporel visible sur les quatre enregistrements vidéo. Ce repère est utilisé afin de synchroniser l’analyse ultérieure des films vidéo. L'étude de lacinématique de la marche est réalisée à partir de l’enregistrement des positions de marqueurs corporels par les caméras. Les marqueurs sont constitués de demi-sphères (pâte de bois) ayant entre 5 à 15 mm de diamètre, entièrement recouvertes d’une matière réfléchissant la lumière (Scotchlight). Les marqueurs sont collés sur des supports autocollants d’électrodes de surface pour enfant et placés sur l’enfant qui est complètement déshabillé, au niveau : - de la tête ; 4 marqueurs placés aux angles externes des yeux et aux tragus des oreilles du côté gauche et droit ; - du dos ; 3 marqueurs sont placés le long de la colonne vertébrale (C7, D9-D10, L5). Un spot lumineux (40 W) est fixé sur chaque caméra, au-dessus de l’objectif et dirigé selon l’axe optique de la caméra. Ainsi, lorsqu’un marqueur est placé dans le champ de la caméra sa surface réfléchissante renvoie la lumière incidente du spot vers l’objectif. Le contraste entre les marqueurs est le reste de l’image est augmentée par une vitesse d’obturation élevée (1/2000). Cette vitesse d’obturation permet de garder toutes les informations visuelles de la vidéo en évitant les reflets gênant des murs, du sol et de la peau. Au début de chaque séance, le champ visuel de chaque caméra est calibré par le filmage d’une structure de calibration qui est alors placée sur le sol, dans l’aire de marche, selon l’axe de marche de l’enfant. Cette structure de calibration comprend un volume de 40 cm de largeur, 120 cm de longueur et de 80 cm de hauteur, constitué de tiges d’aluminium rigide. 24 marqueurs, séparés les uns des autres par une distance de 40 cm, sont disposés sur les tiges. Cette étape de calibration est indispensable est nécessite une attention particulière puisque d’elle va dépendre la qualité et la précision de la mesure en trois dimensions des positions des marqueurs. La mise au point des caméras est fixée en mode manuel après avoir fait le réglage sur la structure de calibration afin d’éviter les moments de flou lorsque l’enfant se déplace. La position des marqueurs est analysée image par image (donc ici 50 par seconde) pour chacun des quatre films par un logiciel d’analyse de forme (3Dvision, G. Dietrich, Biometrics, Orsay, France). L'image vidéo est numérisée par une carte (PC+, SECAD) avec une résolution de 768 X 512 pixels. Les 4 matrices de points (en 2 dimensions) obtenues sont transformées en fonction du calibrage de l’espace calculé à partir des images de la structure de calibration et synchronisées temporellement grâce à l’allumage des diodes suspendues. Pour chaqueséquence de pas analysée, on obtient ainsi un fichier en trois dimensions qui permet de localiser les marqueurs dans l’espace (figure 2). Pour cela il est nécessaire que chaque marqueur soit à chaque instant vu par au moins deux caméras. Les trajectoires des marqueurs permettent de calculer des variations angulaires de différentes articulations et de la position des segments. Ce système d’analyse du mouvement par la vidéo est peu coûteux mais demande beaucoup de temps d’analyse des images vidéo. De plus, avec des caméras dites « grand publique » la fréquence d’échantillonnage est limitée à 50 Hz (des caméras à grande vitesse permettent toutefois d’au moins doubler cette fréquence). Il existe actuellement d’autres systèmes d’analyse du mouvement qui permettent de réduire considérablement le temps d’analyse mais qui sont aussi beaucoup plus coûteux. Parmi ceux-là il faut distinguer les systèmes à marqueurs passifs et à marqueurs actifs. Les premiers utilisent le même type de marqueurs réfléchissants que ceux présentés ci-dessus et des caméras vidéo infrarouges (tel que le système Vicon). Les seconds utilisent des marqueurs actifs qui sont des diodes luminescentes reliées par des fils à un boîtier d’alimentation (systèmes Optotrak et Selspot). Figure 2 . Déplacements des marqueurs lors d’une séquence de pas effectuée par un jeune enfant (vue latérale pour un déplacement de gauche à droite ; l’intervalle entre deux images est de 40 ms). Les marqueurs de la tête, du dos et des jambes sont reliés afin de faire apparaître ces différents segments corporels (bien que non analysées ici les jambes sont montrées pour plus de clarté). Déroulement d’une séance d’observation L'enfant est entièrement déshabillé et équipé de petits marqueurs réfléchissant. L'enfant est placé debout à une extrémité de l’aire de marche, il est ensuite appelé par l’expérimentateur, ou le parent, situé de l’autre côté à environ 3 mètres. La personne qui appelle l’enfant lui présente un jouet à la hauteur des yeux et tente d’attirer son attention sur l’objet. L'enfant effectue au total une quarantaine de séquences de pas afin d’obtenir 15 à 20 séquences effectuées avec une vitesse constante (sans arrêt au milieu de la traversée). Les caméras vidéo filment la séance en continue. À chaque traversée l’allumage des diodes est actionné une à deux fois. Analyse des données La stabilisation de la tête et du tronc a été étudiée à partir des variations angulaires dans les plans sagittal et frontal des angles définis de la manière suivante : • Pour la tête : – dans le plan sagittal (terminologie anatomique ; plan qui sépare le corps en une partie gauche et une partie droite) ; les marqueurs placés respectivement sur le tragus de l’oreille et l’angle externe de l’orbite définissent le plan orbito-méatal (un peu différent mais proche du plan de Francfort). La rotation de la tête dans ce plan est appelée le tangage de la tête, et est définie par la projection de l’angle délimité par le plan orbito méatal et l’horizontale terrestre sur le plan sagittal ; – dans le plan frontal (plan qui sépare le corps en une partie avant et une partie arrière) ; le roulis de la tête est défini par la projection, sur le plan frontal, de l’angle que fait le plan reliant les deux yeux (droites reliant les deux marqueurs situées aux bords externes des yeux) par rapport à l’horizontale. • Pour le tronc : – dans le plan sagittal ; le tangage du tronc est défini par la projection, dans le plan sagittal, de l’angle délimité par la droite passant par le marqueur situé en haut du dos et celui situé en bas et la verticale terrestre ; – dans le plan frontal ; le roulis du tronc est défini par la projection, dans le plan frontal, de l’angle délimité par la droite passant par le marqueur situé en haut du dos et celui situé en bas et la verticale terrestre. La stabilisation de la tête et du tronc dans l’espace est quantifiée par l’amplitude pic à pic des variations angulaires calculée à chaque pas. Pour chaque pas, on mesure la valeur de l’angle correspondant au pic maximum de la distribution. L'amplitude de l’oscillation est égale à la valeur absolue de la différence des valeurs maximum de deux pas successifs. La coordination des mouvements de la tête dans le plan sagittal (voir figure 3) est étudiée à partir des relations entre d’une part, les translations verticales de la tête (déplacement du marqueur placé au niveau du méat auditif) selon l’axe vertical et d’autre part, les rotations de la tête dans le plan sagittal (défini ci-dessus). La coordination des mouvements de la tête est mesurée en représentant les courbes du tangage de la tête et de sa translation selon l’axe vertical en fonction de la même échelle de temps (figure 3). La quantification du phénomène est faite selon des catégories définissant des types de relation entre translation et rotation. Figure 3 . Coordination entre les déplacements verticaux de la tête et les rotations dans le plan sagittal. La coordination est analysée pour chaque pic de la translation verticale de la tête, et ceci pour toutes les séquences de pas analysées et à chaque séance. Au cours de chaque pas, la tête effectue un déplacementvers le haut puis vers le bas. Chaque pas comprend donc un pic minimum et un pic maximum de translation verticale. Nous avons considéré que la coordination des mouvements de la tête était présente lorsque les deux critères suivants étaient présents : - un pic de rotation en tangage de la tête, et seulement un, apparaît soit, au même instant qu’un pic de translation verticale, soit à l’intérieur d’une fenêtre temporelle. Cette fenêtre commence à la moitié du temps qui sépare le pic de translation considéré du pic précédent et se termine à la moitié du temps qui sépare le pic de translation considéré du pic suivant ; - la rotation de la tête était considérée compensatoire de la translation lorsque sa direction était opposée à celle du pic de translation : quand la tête monte, il y a une rotation vers le bas et vice versa. Pour chaque séance, nous avons calculé un indice de coordination des mouvements de la tête égal au nombre de rotations compensatoires de la tête divisé par le nombre total de pic et exprimé en pourcentage. Un indice de 100 % à une séance correspond donc à une parfaite coordination des mouvements de la tête apparaissant pour tous les pics de translation verticale de toutes les séquences de pas analysées. Résultats principaux Les résultats indiquent que l’amplitude des rotations de la tête et du tronc diminue significativement au cours des vingt premières semaines de marche indépendante (statistiques détaillées dans les différents articles écrits par l’auteur) selon un développement caractéristique en deux phases (figure 4). Une première phase correspond aux premières semaines de marche où l’amplitude des rotations de la tête et du tronc, dans les plans frontal et sagittal, diminue fortement. La période au cours de laquelle se produit cette rapide diminution des rotations correspond à une première phase d’évolution rapide d’autres paramètres de la marche tels que la vitesse et la longueur du pas. Les amplitudes des rotations du tronc et de la tête ne semblent plus évoluer au cours des semaines suivant la première phase et qui correspond à une période où la progression de la vitesse et de la longueur du pas est aussi moins rapide. L'augmentation du pourcentage de coordination ne se fait pas de manière linéaire (figure 5) : pour un enfant donné, un taux élevé de Figure 4 . Développement de l’amplitude des rotations (degrés) de la tête et du tronc le plan frontal pour chacun des sept enfants en fonction des semaines de marche indépendante. coordination à une séance peut être suivi par un taux moins élevé à la séance suivante. Néanmoins, malgré l’augmentation irrégulière, le taux de coordination est significativement corrélé avec l’expérience de marche exprimée en semaine (r = .68, n = 66, p < .01), pour l’ensemble des moyennes tous enfants confondus. Le taux de coordination au cours de la première séance de marche est nul chez deux enfants (5 et 6) alors que pour quatre autres enfants (1, 2, 3 et 7) il est compris entre 8 et 19 %. Le taux de coordination le plus élevé observé au début de la marche est de 30 % chez l’enfant 4. C'est d’ailleurs chez cet enfant que l’on observe les taux de coordination les plus élevés au cours des séances suivantes. Chez les enfants qui ont pu être observés après un an de marche, les taux de coordination calculés alors sont compris entre 40 et 60 %. Figure 5 . Développement du pourcentage de coordination des mouvements de la tête dans le plan sagittal pour chacun des sept enfants en fonction des semaines de marche indépendante. Conclusion Par l’analyse des rotations du tronc et de la tête nous avons pu mettre en évidence que ces deux segments sont rapidement stabilisés dans l’espace au cours des premières semaines de marche indépendante. Les résultats laissent aussi apparaître que les rotations de la tête dans le plan sagittal deviennent dans le même temps de plus en plus coordonnées avec le mouvement cyclique des jambes indiqués par la translation verticale au niveau de la tête. Ce développement des mouvements observables va dans le sens de précédentes études qui ont analysé les caractéristiques non directement observables telles que les forces (Ledebt & Bril, 2000). Pris dans leur ensemble ces résultats suggèrent que le processus d’acquisition de la marche relève d’un véritable apprentissage d’un équilibre dynamique : apprentissage d’une coordination entre posture (stabilisé le corps en position debout) et mouvement (déplacer le corps vers l’avant en une succession de pas). L'analyse cinématique du mouvement permet de calculer des déplacements ainsi que la vitesse et l’accélération de certains endroits du corps identifiés par des marqueurs. Avec une reconstruction en trois dimensions de la position des marqueurs, telle qu’effectuée dans cette étude, ces calculs peuvent être faits selon les trois axes de l’espace(Schleihauf, 2004). Ce moyen d’analyse du mouvement permet de récolter des données très précises si certaines conditions techniques sont respectées. La calibration de l’espace doit être précise afin d’obtenir une reconstruction 3D fiable. Le degré de précision est toutefois dépendant de l’échelle à laquelle le mouvement est analysé : de l’ordre du millimètre dans le cas de l’analyse de rotations de petites amplitudes (présente étude) ou du centimètre dans le cas de déplacements de plusieurs mètres. La fréquence d’échantillonnage (ici 50 Hz) doit soigneusement être choisie en fonction de la vitesse du mouvement à analyser : plus le mouvement est rapide plus cette fréquence doit augmenter. L'apparente objectivité des données ainsi obtenues est toutefois dépendante du choix de l’expérimentateur quant au placement des marqueurs sur la peau : ce positionnement doit se faire à l’aide de repères anatomiques précis afin de pouvoir comparer les données obtenues pour différents participants. Références Pour l’abondante littérature internationale nous renvoyons le lecteur aux références bibliographiques incluses dans les différents articles ci-dessous. BRIL, B., & LEDEBT, A. (1998). Head coordination as a means to assist sensory integration in learning to walk. Neuroscience and Biobehavioral Reviews, 22, 555-563. LEDEBT, A., BRIL, B., & WIENER-VACHER, S. (1995). Trunk and head stabilization during the first months of independent walking. NeuroReport, 6, 1737-1740. LEDEBT, A., & WIENER-VACHER, S. (1996). Head coordination in the sagittal plane in toddlers during walking : preliminary results. Brain Research Bulletin, 40, 371-373. LEDEBT, A. (1997). L'acquisition de la station debout et de la marche : contribution des informations sensorielles. Évolutions Psychomotrices, 38, 183-190. LEDEBT, A., & BRIL, B. (2000). The acquisition of upper body stability during walking in infant. Developmental Psychobiology, 36, 311-324. SCHLEIHAUF, R.E. (2004). Biomechanics of Human Movement. Bloomington, IN : AuthorHouse. 1 L'exploration par les efforts musculaires et ses conséquences sensorielles sont appelés « toucher dynamique ». Voir les détails dans Gibson (1966) et Turvey (1996). 2 Gibson (1966, 1979). 3 Si l’on utilise une seule matière de bâton, les deux variables, « la longueur » et « le moment physique », auront les valeurs de régression linaire. De ce fait, il sera difficile de démontrer le fait que la longueur perçue par le toucher dynamique corresponde, non à la longueur réelle, mais au moment physique détecté. Pour résoudre ce problème, trois différentes matières ont été utilisées pour les mêmes longueurs des bâtons, afin de dissocier les valeurs de ces deux variables. 4 Traduit de l’anglais par Nathalie Pigem & Hiroko Norimatsu. Chapitre V Observation centrée sur une dyade ÉTUDE 4 Les styles de participation d’enfants âgés de cinq-six ans au cours d’une lecture d’album avec leur mère : exemple de codage continu de l’interaction mère-enfant Nathalie Pigem Mots clefs : Observation mère-enfant en milieu naturel, Observation systématique du comportement, Catégories comportementales, Codage continu, Syntaxe alternée, Fréquences relatives. Introduction Dans cette section, l’exemple d’une observation systématique du comportement dans un contexte de lecture à haute voix entre des mères etleur enfant de 5-6 ans est présenté. 36 dyades mère-enfant ont été filmées à leur domicile pendant cette activité de lecture d’album. À partir des enregistrements vidéos, cette étude examine les comportements utilisés par les enfants pré-lecteurs au cours d’une lecture d’album non familier. Cette étude vise à identifier une diversité de styles de participation enfantine à la lecture d’album. La situation de lecture à haute voix entre des mères et leur enfant a suscité de nombreuses études dans le cadre du développement des habiletés précoces en lecture. Si le rôle de l’adulte dans ce contexte a été bien documenté en revanche la diversité des attitudes des enfants l’est moins (Sénéchal, LeFevre, Thomas et Daley, 1998). À cette fin, nous avons proposé une méthodologie d’observation systématique permettant de dégager les unités d’analyse du comportement enfantin en interaction avec son parent. L'objet d’analyse se centre sur la diversité des styles de participation des enfants en utilisant une « syntaxe alternée ». Cette « syntaxe alternée » permet de tenir compte également du comportement maternel émis en parallèle à celui de l’enfant (c’est-à-dire que le comportement de l’enfant est codé ainsi que celui émis en parallèle par sa mère à ce moment précis). Ainsi l’alternance des comportements est prise en compte de façon continue jusqu’à la fin de la lecture. L'objectif méthodologique vise à présenter une grille d’observation qui puisse tenir compte des comportements verbaux et non verbaux utilisés par les enfants et les mères dans une situation de lecture en se basant sur : le courant pragmatique (théorie des actes du langage de Searle et Vanderveken, 1985), des travaux éthologiques (comportement non verbal) et des théories sur l’apprentissage de la lecture. Cette méthode nous amène à tester la validation de notre objectif de recherche : une diversité des styles de participation enfantine peut être mise en évidence à partir d’une observation mère-enfant de lecture d’album en milieu naturel. Méthodologie Les 36 enfants observés partagent régulièrement l’activité de lecture avec leur mère (2 à 3 lectures hebdomadaires en moyenne). La moitié de notre échantillon est scolarisée en moyenne section maternelle (7 filles et 11 garçons dont l’âge moyen est de 57 mois) tandis que l’autre moitié est en grande section maternelle (10 filles et 8 garçons dont l’âge moyen est de 68 mois). Les enfants fréquentent l’une des deux écoles maternelles qui participent à notre étude. Procédure d’observation Au cours d’une visite au domicile, les familles sont filmées au cours d’une séance où il leur était demandé de lire l’album qui leur était proposé et inconnu de tous. Tous les participants ont lu le même album (Ernest et Célestine ont perdu Siméon de Gabrielle Vincent, L'école des Loisirs). Celui-ci comprend onze doubles pages avec une à trois lignes de texte ou parfois aucun texte sous l’illustration. L'unique consigne adressée aux familles était d’effectuer cette lecture comme elles avaient l’habitude de le faire, en prenant le temps souhaité. Grille d’observation Nous avons adapté une grille d’observation initialement conçue pour étudier les actes de langage dans une situation de jeu mère-enfant (Feider, Blicharski, Darjan et Strayer, 1990) à la situation de lecture d’album (Pigem, 1999). Nous avons pris en compte les comportements observés et spécifiques à cette situation de lecture (pour une illustration complète de la grille d’observation utilisée voir Pigem, 1999 et Pigem et Blicharski, 2002). Nous avons codé tous les comportements verbaux et non verbaux identifiables au cours des échanges entre les mères et les enfants. Tableau 1 . Exemple de variables verbales de la grille d’observation La grille d’observation prend en compte les comportements verbaux, les gestes socialement dirigés vers l’interlocuteur ou l’objet de lecture ainsi que certains comportements nuançant qualitativement la participation à l’activité (comme la distraction, les demandes d’attention …). Au final, six variables permettent d’indexer les actions verbales ou non verbales orientées soit vers l’interlocuteur, soit vers l’objet « livre » (pour exemple voir tableau 1). Codage des variables Tous les énoncés et comportements sont retranscrits à partir des enregistrements vidéos. Le codage commence à partir du moment où l’album est remis à la dyade et il est interrompu quand l’un des partenaires signifie la fin de la lecture. Le codage s’est effectué en continu (tous les comportements observables sont codés en fonction de leur apparition, Altmann, 1974, Martin et Bateson, 1986) pour les comportements des enfants et des adultes au moyen d’une syntaxe alternée (c’est-à-dire que le comportement de l’adulte est codé ainsi que celui émis en parallèle par l’enfant à ce moment précis). Cette alternance permet de coder tous les comportements du début à la fin de la lecture d’album. Ainsi, chaque action (ou unité d’analyse) de l’enfant et de l’adulte est retranscrite au moyen des six variables. L'action ou l’unité d’analyse peut être soit un comportement verbal, soit un comportement non verbal (pointer, tourner la page…) soit le maintien de l’attention quand le sujet est concentré sur son partenaire ou l’album sans expression verbale ou non verbale particulière. Ainsi est codé le comportement de la mère puis celui de l’enfant. Cette alternance est respectée jusqu’à la fin de la séance de lecture. Si des comportements se présentent simultanément les comportements sont codés les uns après les autres en respectant la syntaxe alternée (cf. tableau 2). Enfin si le locuteur répète une action ou un énoncé émis (par lui ou son interlocuteur) le comportement est retranscrit deux fois. Tableau 2 . Exemple de codage Fiabilité Le calcul de l’indice de Kappa de Cohen a été réalisé sur la base de 300 comportements (moyenne de .75 variant de .73 à .90). Traitement des données Dans un premier temps, des indices de la fréquence relative d’utilisation de chacune des six variables sont calculés pour l’ensemble de l’échantillon des enfants. Ainsi nous pouvons connaître l’usage différentiel de chacune des six catégories par les 36 enfants. Il apparaît que la catégorie « maintien de l’attention » représente à elle seule 49,30 %de la participation des enfants dans cette situation de lecture d’album. C'est-à-dire que pendant près de la moitié du temps de la séance, les enfants maintiennent leur attention sur l’activité de leur mère ou sur l’album. Afin de faciliter l’interprétation des résultats des cinq autres variables, les mesures sont exprimées en pourcentages (type de variable/total des cinq variables*100). Les moyennes ainsi obtenues nous indiquent alors quelles sont les variables les plus utilisées par les enfants. La sixième variable « Maintien d’attention » sera utilisée dans les analyses subséquentes pour différencier les styles de participation des enfants. Dans un second temps, il s’agit de réaliser une classification des 36 enfants à partir des six variables de participation enfantine. Une analyse en regroupements hiérarchiques (méthode complète) permet d’identifier les enfants ayant obtenu les scores les plus similaires concernant ces six variables. Dans un troisième temps, des analyses de variance univariées permettent de différencier les styles de participation sur la base des scores obtenus par les sujets sur les six variables (pour les détails de l’analyse : voir Pigem, 1999). Résultats principaux Nous avons procédé au calcul de la fréquence d’utilisation des six variables par l’ensemble des enfants. Les indices de fréquence relative mettent en évidence l’usage différentiel des variables par les sujets (ce qui nous renseigne sur la diversité d’utilisation de ces dernières). L'examen des moyennes indique que ce sont les variables : « Coordination sociale » (31,44 %), « Désynchronie sociale » (31,04 %) et « Traitement de l’information » (27,33 %) qui sont les plus utilisées par les enfants. Les variables « Gestion de la lecture » et « Complément d’information » sont nettement moins fréquentes (respectivement 8,64 % et 1,55 %). L'analyse en regroupements hiérarchiques effectuée sur les fréquences relatives d’utilisation des variables regroupe les sujets en trois profils distincts composés respectivement de 16, 9 et 11 enfants. Des analyses de variance simple précisent les différences entre les trois profils à partir des pourcentages d’utilisation des variables. Parmi les six variables de la grille d’observation, seule « Gestion de la lecture » ne permet pas de différencier les trois styles de participation de façon significative. Ces analyses ont permis d’illustrer trois styles de participation bien distincts : « Style Centré sur l’information », « Style centré sur l’échange » et « Style Désynchrone ». Le style nommé « Centré surl’information » (n = 16) regroupe les enfants qui utilisent le plus souvent le « Traitement de l’information » (38,54 %) et « Complément d’information » (3,20 %). Ces enfants sont moyennement « distraits » (12,64 %) par rapport au « style désynchrone » : 43,02 % et au style « centré sur l’échange » : 8,33 % et sont ceux font le moins référence à des comportements de « coordination sociale » comme des affects positifs, des demandes d’action à l’égard de leur mère (23,68 %). Quant au « maintien de l’attention », ce sont ces enfants qui ont le score le plus élevé (59,06 %) Le style nommé « Centré sur l’échange » (n = 9) regroupe les enfants qui utilisent le plus la « coordination sociale » (51,55 %). Ils sont les moins « distraits » (8,33 %) et sont ceux qui ont des scores les plus faibles sur la variable « désynchronie sociale » (11,05 %). Enfin, comme leur appellation l’indique les enfants du style « désynchrone » (n = 11) regroupe les enfants qui le score le plus élevé en « désynchronie sociale » (57,35 %) et n’utilisent à aucun moment le « complément d’information » (0,00 %) et le moins souvent par rapport à leurs pairs la catégorie « Traitement d’information » (13,31 %). Ces enfants font preuve d’une très grande « distraction » (59,06 %) durant la séance de la lecture et sont ceux qui maintiennent le moins leur attention en réponse aux actions de leur mère (38,45 %). L'objectif méthodologique visait à présenter une grille d’observation qui puisse tenir compte à la fois des comportements verbaux et non verbaux utilisés par les enfants pré-lecteurs dans une situation de lecture partagée. Cette méthode nous amène tester la validation de notre objectif de recherche : une diversité des styles de participation enfantine peut être mise en évidence à partir d’une observation mère-enfant de lecture d’album en milieu naturel. Conclusion L'observation permet de rendre compte de la qualité des interactions au-delà de la fréquence des activités de lecture proposées par les parents à leur enfant. Cela rend compte de l’utilité de cette méthode d’observation systématique du comportement pour des champs de recherche où la désirabilité sociale est forte. L'intérêt majeur de cette étude a consisté à illustrer la contribution de l’enfant dans l’interaction adulte/enfant et la diversité des participations enfantines dans le contexte de lecture partagée avec leur mère. Au travers de ces styles de participation, on peut émettre l’hypothèsede certaines régularités interactives. Il convient alors de vérifier la stabilité de ces styles de participation enfantine en lien avec le développement des compétences orales et écrites des enfants. Elle peut ainsi être utilisée en complément de méthodes indirectes telles que des questionnaires (par exemple, pour notre étude : un questionnaire à propos des pratiques de lecture des familles afin d’appréhender le rôle des expériences de lecture et l’importance des facteurs individuels). Pour des études futures, certaines précautions sont à envisager : Cette méthode a l’inconvénient de demander un temps conséquent, le coût est assez élevé. Il faut envisager cet aspect dès le début d’une recherche. • Remerciements Nous remercions la revue Enfance pour avoir accepté de faire référence à notre étude publiée en 2002. Références ALTMANN, J. (1974). Observational study of behavior : sampling methods. Behaviour, 49, 227265. FEIDER, H., BLICHARSKI, T., DARJAN D., et STRAYER, F.F. (1990). Observer la communication mère-enfant en milieu naturel, étude exploratoire étholinguistique. In C. Garnier (ed.), L'observation et le développement, Montréal, Presses de l’Université du Québec à Montréal. MARTIN, P. et BATESON, P. (1986). Measuring behaviour, An introductory guide, Cambridge University Press. PIGEM, N. (1999). Styles de lecture mère-enfant et émergence de la littéracie, thèse de doctorat en psychologie, sous la direction du Pr F.F. Strayer, Université Toulouse Le Mirail. PIGEM, N. et BLICHARSKI, T. (2002). Les styles de participation des enfants de cinq-six ans au cours d’une lecture d’album, Enfance, 2, 169-186, PUF. SEARLE, J.R. et VANDERVEKEN, D. (1985). Foundations of illocutionary logic, Cambridge : Cambridge University Press. SÉNÉCHAL, M., LEFEVRE, J. A, THOMAS, E. M., et DALEY, K.E. (1998). Differential effects of home literacy experiences on the development of oral and written language. Reading Research Quaterly, vol. 33, n° 1, 96-116. ÉTUDE 5 Apprentissage professionnel en binôme : exemple de codage et d’analyse d’une série temporelle d’activité auprès d’agents de maintenance ferroviaire en formation Catherine Delgoulet Mots clefs : Situation de formation professionnelle, Observation filmée, Codage descriptif et interprétatif de l'activité, Analyses temporelles (chronologie, occurrence, durée), Stratégies opératoires. Introduction Une recherche en situation réelle de formation professionnelle nous permet d’illustrer l’étude de l’activité d’apprentissage dans le cadre de la réalisation en binôme d’un exercice technique par des agents de maintenance. L'analyse, par observation systématique filmée, vise à décrire et interpréter les actions et communications déployées par les participants. Objectifs Depuis quelques années, un des enjeux pour les entreprises a été de faire face aux exigences de plus en plus fortes de qualité, tout en maintenantles exigences de production. Elles ont été amenées à s’engager dans la mise en place de démarches « qualité » (ISO1 ou autres) qui se sont souvent traduites par un renforcement de la prescription en vue de rationaliser, d’homogénéiser et de tracer les pratiques de travail. L'hypothèse implicite, mais non vérifiée, étant que l’homogénéisation est un vecteur de qualité. La réponse à cet enjeu passe souvent par la mise en place de formations « à la bonne manière de faire ». Dans le secteur de la maintenance ferroviaire où a été menée l’étude, une formation a été conçue pour accompagner la mise en place des nouvelles normes de travail. Elle vise à apprendre aux agents à pratiquer, selon des règles prescrites de qualité ISO, une technique spécifique de maintenance : les Examens Non Destructifs (END). De manière assez inhabituelle pour l’entreprise, qui forme davantage ses agents jeunes et volontaires, cette formation concerne tous les agents qui utilisent cette technique que ceux-ci soient jeunes ou âgés, expérimentés ou non en la matière. L'arrivée en formation d’une population d’agents faiblement qualifiés et âgés inquiète les responsables. Il s’agit alors pour l’ergonome d’apporter des éléments de connaissances sur les difficultés éventuelles que rencontrent les plus âgés dans cette formation et plus largement des connaissances sur la relation « âge-formation ». Cette contribution ne se propose pas de retracer la totalité de l’étude (Delgoulet & Gonon, 2000 ; Delgoulet, 2001 ; Delgoulet & Marquié, 2002) mais se centre plus particulièrement sur l’analyse des stratégies mises en œuvre par les stagiaires, d’âges et d’expériences différents, dans la réalisation commune d’une tâche d’apprentissage professionnel. Les stagiaires pouvant avoir déjà pratiqué la magnétoscopie avant de suivre la formation, il est notamment important de comprendre quel rôle joue l’expérience dans cette situation de formation. Pour cela nous nous appuyons sur un cadre d’analyse de la dimension collective de l'activité2 de travail qui propose des outils opérationnels pour décrire et interpréter les modalités des interactions dans un collectif de travail ou de formation (Barthe & Quéinnec, 1999). Méthodologie La situation étudiée est une formation à une technique de maintenance faisant partie des END. La magnétoscopie est une technique d’aimantationpar courant électrique permettant de rendre visibles les défauts de pièces métalliques. La formation s’étend sur une semaine et comprend deux parties : l’une consacrée aux cours théoriques et réglementaires ; l’autre à la réalisation d’exercices pratiques. La formation s’adresse à des ouvriers de maintenance ferroviaire ayant déjà une formation technique générale en maintenance. L'enjeu est double : elle permet aux stagiaires d’obtenir la reconnaissance de leur aptitude à pratiquer la magnétoscopie ; mais elle les rend aussi pénalement responsables des contrôles qu’ils effectueront dans les ateliers. Les sessions pratiques, objet d’étude ici, consistent en des exercices de magnétoscopie effectués en atelier de formation sur des pièces défectueuses. La tâche3 d’apprentissage consiste à rechercher la présence de fissures sur ces pièces en suivant la procédure définie à partir de la norme qualité ISO 9002. Ceci signifie qu’il faut installer le système d’aimantation, contrôler les conditions d’aimantation, examiner la pièce, identifier les fissures éventuelles, consigner les informations relatives aux mesures et fissures visualisées, démonter le système d’aimantation et le ranger. La réalisation s’effectue en binôme (librement constitué), dans l’obscurité (pas plus de 10 lux) à l’aide d’un produit révélateur fluorescent. Dans ce cadre, les stagiaires doivent maintenir des postures statiques autour de la pièce à contrôler, lire la procédure, réaliser la tâche dans l’obscurité (exigence perceptive) et maintenir leur attention lors du contrôle afin d’identifier la fissure. Cette tâche nécessite également que les stagiaires transfèrent les connaissances, les notions théoriques vues en cours, ou les connaissances ou savoir-faire pratiques issus de leur expérience, à la situation présente afin d’identifier dans quel sens rechercher les fissures potentielles, dans quel sens aimanter la pièce, comment utiliser les différents appareils de contrôle des conditions d’examen, comment faire les changements d’échelle de mesure, etc. L'apprentissage en binôme suppose qu’il y ait coordination des points de vue sur la façon d’opérer (négociation), coordination des actions ou répartition des tâches au sein du binôme. Sur la base du volontariat et dans le respect de l’anonymat, l’activité de trois binômes de stagiaires a été étudiée. Ils sont composés d’agents de maintenance d’âges, d’anciennetés dans l’entreprise et d’expériences de la magnétoscopie variés (cf. tableau 1). Tableau 1 . Composition des 3 binômes : âge (Â), Ancienneté (A) et expérience de la magnétoscopie (Exp, Inexp). Codag e binômes âg eExp-âg eExp Stag iaire A Stag iaire B 38I-25I  : 38 ans ; A : 14 ans ; Inexp  : 25 ans ; A : 7 mois ; Inexp 40I-38E  : 40 ans ; A : 21 ans ; Inexp  : 38 ans ; A : 16 ans ; Exp 45I-46E  : 45 ans ; A : 20 ans ; Inexp  : 46 ans ; A : 23 ans ; Exp Protocole d’observation • Type d’observation Lors des séances pratiques, nous avons filmé l’activité des stagiaires en binôme sur une pièce particulière, un balancier. Le choix de l’exercice s’est fait en fonction du contexte de formation : la réalisation en binôme, parce que c’est la règle donnée par le formateur ; le balancier, parce que c’est une pièce représentative du travail de magnétoscopie dans les ateliers. Les participants étaient filmés de plain-pied, par une caméra numérique capable de filmer en situation de faible intensité lumineuse. L'observateur, présent en continu durant la réalisation de l’exercice, notait les événements (nature et horaire) survenant hors du champ couvert par la caméra et pertinents pour la compréhension ultérieure du film. Par exemple, les deux stagiaires attendent et l’observateur constate, hors champ, qu’ils attendent la venue du formateur qui est occupé à aider un autre binôme réalisant en parallèle un autre exercice. Cet événement est consigné. • Un codage descriptif Ce codage rend compte de ce qui est directement observable, c’est-à-dire ici : des actions des stagiaires et, au niveau des communications, l’identification des locuteurs et interlocuteurs, des prises de parole et la transcription des verbalisations (cf. tableau 2). Il n’y a pas de chronologie prédéfinie de réalisation de l’exercice qui n’est pas non plus limitée strictement dans le temps. Certains binômes mettent un peu plus d’une demi-heure alors que d’autres ont besoin de plus d’une heure. Vous trouverez un exemple de codage descriptif dans le tableau 3. Tableau 2 . Définition des variables descriptives Variables et leurs modalités Actions Définitions des modalités Procédure Lire la procédure d’actions (selon norme ISO) Matériel Se munir du matériel nécessaire à l’examen Monte SA Monter le système d’aimantation Conditions d’aimantation Contrôler la conformité des conditions d’examen Examine pièce Examiner la pièce Identifie fissure Identifier la fissure Consigne infos Consigner les informations relatives aux conditions d’examen et à la fissure Nettoie Nettoyer le matériel et la pièce Range Ranger le matériel Suit Suivre l’activité de l’autre ou du formateur en tant qu’observateur Attend Attendre l’autre ou le formateur Autre Discussion entre stagiaire ou avec le formateur sans exécution d’action en parallèle. Locuteur A, B, F, autre Stagiaire A ou B, formateur ou autre personne Interlocuteur A, B, F, autre Stagiaire A ou B, formateur, autre personne, la cantonade ou non identifié Communication Parler au partenaire, à un autre stagiaire, Parle au formateur ou se parler Tableau 3 . Grille de codage descriptif des actions et communications Horodatag e Événement 00 min A Consignes 00 min B Monte SA 00 min 5 s A Parle B « Il faut d’abord placer la spire » 02 min 10 s A Monte SA 03 min 40 s A Consignes • Un codage interprétatif Ce codage (une relecture a posteriori des faits observés) vise à définir l’avancée du binôme sur l’exercice (en termes de phases réalisées)et la fonction de « guidage » des verbalisations dans la réalisation de l’exercice. Huit phases de réalisation de l’exercice et 4 fonctions de guidage des communications verbales ont été identifiées et définies à partir de l’analyse de la littérature (Savoyant & Leplat, 1983) et de la tâche mais aussi de la description préalable de l’activité (cf. tableau 4). Tableau 4 . Définition des variables interprétatives Traitement des données Une analyse statistique descriptive de l’activité d’apprentissage des 3 binômes de stagiaires a été réalisée a posteriori à l’aide du logiciel Kronos (Kerguelen, 2001) sur la base des enregistrements vidéo. Lors du codage descriptif, la chronologie, la durée et la fréquence d’apparition des observables sont analysées. L'occurrence est prise en compte dans le cas du codage interprétatif. Résultats principaux Dans cette situation de formation professionnelle, il est possible de représenter l’activité des deux stagiaires lors de la réalisation de l’exercice de magnétoscopie à partir d’un corpus descriptif. Le graphique suivant (cf. figure 1) permet de visualiser l’enchaînement des différentes actions des stagiaires (A Consignes ou B Monte SA…), la présence du formateur (Formateur) et la répartition des verbalisations tout au long de l’exercice (A parle, B parle, F parle). Figure 1 . Graphe du déroulement d’un exercice réalisé par A et B en 37 min. L'analyse de l’activité des 3 binômes montre que globalement, les stagiaires participent à l’ensemble de la tâche de magnétoscopie (chaque stagiaire effectue au minimum 10 actions sur les 12 identifiées). Seules les actions d’enregistrement des conditions d’ambiance et des caractéristiques de la fissure sur une fiche récapitulative (les 3 binômes), d’approvisionnement en appareils (binôme 40I-38E) et de nettoyage de la pièce ou du système d’aimantation (binôme 38I25I) sont prises en charge par un seul stagiaire. Notons que ces spécialisations à l’intérieur des binômes sont réduites en temps (5,6 % du temps) et semblent indépendantes de l’âge et de l’expérience des stagiaires. Si cette première analyse de la répartition des actions montre que les étapes de la magnétoscopie sont réalisées indifféremment par l’un ou l’autre des stagiaires, ce n’est pas pour autant qu’elles sont toujours accomplies au même moment. Les binômes composés des stagiaires les plus âgés et/ou expérimentés (40I-38E et 46I-45E) réalisent leursactions souvent simultanément (respectivement 68 % et 62,7 % du temps). En revanche, les membres inexpérimentés du binôme 38I-25I adoptent un fonctionnement plutôt en différé : pendant que l’un accomplit une action, l’autre en accomplit une autre (52,6 % du temps). De plus, ils ne réalisent pas toujours la tâche à deux : par exemple quand 25I examine la pièce, 38I le regarde agir durant 45,7 % du temps. Ces résultats laisseraient supposer que les stagiaires âgés et/ ou expérimentés parviennent à se coordonner dans la réalisation de l’exercice, ce que les plus jeunes inexpérimentés auraient des difficultés à faire. Pour avancer sur cette hypothèse, nous allons identifier, à partir de la fonction de guidage des verbalisations, qui décide des actions à effectuer et du moment. L'analyse interprétative des données (pour un exemple, cf. figure 2) met en évidence l’existence d’une prise en charge du guidage de l’action par les stagiaires expérimentés. Figure 2 . Visualisation des communications de guidage selon les phases de l’exercice (A agent inexpérimenté ; B agent expérimenté). Dans les binômes 40I-38E et 46I-45E, c’est le stagiaire expérimenté qui déclenche et oriente l’action, mais surtout c’est le seul à évaluer la « qualité » du travail et à conclure une phase avant de passer à une autre. Ceci permet à ces deux binômes d’enchaîner les phases les unes aux autres sans aller-retour sur les différentes phases (sauf 1). Dans le binôme des stagiaires plus jeunes et inexpérimentés (38I-25I),les décisions (en abondance : 51 % des messages, contre 37 % et 32,3 % pour les 2 autres binômes) sont prises par les deux protagonistes. A l’inverse, les phases ne s’enchaînent pas, et 10 aller-retour sont effectués sur différentes phases de l’exercice, ce qui témoigne d’une progression par tâtonnement. Ceci semble confirmer le rôle primordial des stagiaires expérimentés (et anciens dans l’entreprise), notamment dans la coordination des actions de chacun et dans l’accompagnement du déroulement de l’exercice. Conclusion Dans cette situation de formation professionnelle, l’analyse conjointe des actions et des communications permet de pointer le rôle exercé par les stagiaires expérimentés en magnétoscopie, et/ou anciens dans l’entreprise, dans l’organisation de la réalisation de la tâche et dans la transmission de connaissances relatives à la réalité de travail de la magnétoscopie dans les ateliers de maintenance ferroviaire. Les expérimentés racontent leurs conditions de travail, les indices qui leur permettent de savoir si une pièce est suspecte ou non ; les anciens (qui ne sont pas forcément expérimentés dans cette technique de maintenance) racontent les différentes politiques de maintenance qu’ils ont eu à suivre, les spécificités des pièces à contrôler. C'est pourquoi étant donné le temps imparti à l’apprentissage de la pratique en formation (seulement 2 demi-journées) se pose la question de la pertinence d’un apprentissage en commun lorsque les binômes sont composés de stagiaires inexpérimentés (jeunes ou plus âgés). Cette technique d’observation filmée peut s’avérer lourde d’utilisation surtout lorsque les délais d’étude sont courts (parfois quelques jours lors d’interventions en entreprise). Toutefois, elle est également très riche d’enseignement et à l’énorme avantage de permettre de diversifier les types de codage sur une même séquence d’observation en fonction des questions d’étude posées (codage grossier ou très fin ; codage des faits ou de leur interprétation ; codage des actions, des gestes et postures, des communications, des déplacements, des cycles d’activité, etc.). Références BARTHE, B., & QUÉINNEC, Y. (1999). Terminologie et perspectives d’analyse du travail collectif en ergonomie. L'Année psychologique, 99, 663-686. DELGOULET, C. (2001). La construction des liens entre situations de travail et situations d’apprentissage dans la formation professionnelle. PISTES http://www.unites.uqam.ca/pistes/>. 3(2). DELGOULET, C., & GONNON, O. (2000). L'épreuve de l’apprentissage en milieu de carrière : conditions affectives et motivationnelles. Formation-Emploi. 71, 53-65. DELGOULET, C., & MARQUIÉ, J.-C. (2002). Age differences in learning maintenance skills : a field study. Experimental Aging Research, 28, 25-37. FALZON, P. (2004). Nature, objectifs et connaissances de l’ergonomie. Éléments d’une analyse cognitive de la pratique. In P. Falzon (ed.), Ergonomie (pp. 17-35), Paris : PUF. KERGUELEN, A. (2001). Actogram Kronos pour Windows. Toulouse : Octarès Éditions. SAVOYANT, A., & LEPLAT, J. (1983). Statut et fonction des communications dans l’activité des équipes de travail. Psychologie Française, 28, 3/4, 247-253. ÉTUDE 6 Interactions familiales associées à l’apparition et à l’évolution de la malnutrition infantile : exemple d’observation naturaliste systématique longitudinale Jean-François Bouville Mots clefs : Observation naturaliste, Étude longitudinale, Analyse de fréquence, de durée, de séquence, Échantillonnage complet et continu avec unité de temps préétablie. Introduction Dans cette section, nous présentons un exemple d’analyse du comportement chez un enfant de 624 mois avec divers membres de l’entourage familial. L'objet d’analyse concerne les interactions générales et alimentaires enfant-entourage avec observations écrites en temps réel sur des journées entières en milieu naturel. Objectifs De nombreuses études rendent compte d’une participation socio-familiale et psychologique sur la dégradation nutritionnelle de l’enfant en milieu tropical (voir Bouville, 1996, pour une synthèse) sans préciser, toutefois, la nature des mécanismes en jeu. Notre travail vise à mieuxcomprendre comment la relation entre l’enfant et son entourage maternant, au niveau affectif et alimentaire, peut être associée à l’apparition et à l’évolution de ses symptômes nutritionnels. Le lien d’attachement (Bowlby, 1969-1980) est conçu comme besoin social fondamental indépendant du besoin de se nourrir. Certaines circonstances relationnelles peuvent ainsi amener l’enfant à se détourner de l’aliment quelles qu’en soient les conséquences nutritionnelles. Dans cette perspective qui s’apparente, plus globalement, à la psychopathologie développementale et clinique, l’objectif spécifique de l’étude est de cerner, de manière prospective, l’évolution des liens entre les patterns d’attachement enfant-entourage, leurs modes d’interaction alimentaires, et l’état nutritionnel du jeune enfant. Par souci de concision, nous n’évoquerons ici que l’association entre la qualité d’attachement et l’état nutritionnel de l’enfant (voir Bouville, 2003 et 2004, pour plus de détails). Méthodologie Cette problématique exploratoire nécessite une approche écologique du développement de l'enfant4, à la fois contextuelle et longitudinale (espace-temps étendu), mais aussi de rendre compte de comportements précis pouvant être comparés de manière rigoureuse. L'observation naturaliste systématique de type éthologique est la procédure méthodologique la plus pertinente, nous semblet-il, pour traiter l’ensemble des dimensions du problème. Cette méthode d’investigation est détaillée dans la première partie de l’ouvrage. Rappelons seulement qu’elle consiste à relever, sur le lieu de vie de l’enfant, les items préétablis d’une grille d’observation constituée de modalités mutuellement exclusives les unes des autres au sein d’une même variable d’observation (variables codées et retranscrites selon la méthode des séries temporelles permettant de déterminer la durée, la succession et la fréquence d’apparition des comportements observés). Cette démarche nous a permis d’appréhender le contexte relationnel élargi de l’enfant tel qu’il se déroule dans son lieu de vie au cours de la journée ; soit, en l’occurrence, la présence ou l’absence de plusieurs partenaires d’interaction (père, mère, autres adultes, autres enfants) et le relevé chronologique de divers types d’interactions (sociales, desoins, alimentaires). Les observations longitudinales ont rendues compte de l’évolution des phénomènes étudiés, ce qui permet de distinguer les facteurs étiologiques (causes) des caractéristiques de la pathologie (comportements associés au déficit nutritionnel). L'observation naturaliste systématique permet aussi la mise en relation à la fois synchronique et diachronique de variables nécessaire à l’évaluation de concepts cliniques. La qualité d’attachement de l’environnement relationnel et quatre patterns d’attachement naturalistes entre l’enfant et son entourage maternant ont ainsi été évalués de manière comparative sur la base d’une dynamique de facteurs comprenant la sensibilité maternelle5, la disponibilité de l’entourage à l’égard de l'enfant, et ses comportements d’attachement et d'exploration6 (voir Bouville, 2004, pour la constitution des schèmes comportementaux d’attachement). Protocole d’observation Choix et codage des variables Les variables d’observation de l’étude, constituées chacune d’un certain nombre de modalités spécifiques, mutuellement exclusives les unes des autres, sont l’état de veille de l’enfant, l’activité de l’enfant seul, son alimentation, le type d’interaction enfant-entourage, les signaux de l’enfant, les gestes de l’enfant, les signaux de l’entourage et les gestes de l’entourage à l’égard de l’enfant, le partenaire d’interaction de l’enfant, et la présence ou l’absence de divers membres de l’entourage. Chaque changement de comportement est noté avec une précision temporelle invariante : 10 secondes pour les variables d’interaction (signaux et gestes de l’enfant et du partenaire d’interaction), une minute pour les autres comportements. Par conséquent, les comportements ayant une durée inférieure ne sont pas pris en compte. Les variables relationnelles observées correspondent aux principaux comportements d’attachement (approcher, suivre, toucher, appeler,parler, tendre le bras, sourire) et d’exploration (jouer, manger et boire seul) de l’enfant, ainsi que ses manifestations de détresse (pleurer, agripper). Les comportements d’apparition généralement brève et répétée, tels que les comportements d’attachement (y compris l’agrippement), on fait l’objet d’une analyse de fréquence, tandis que les comportements d’exploration et les pleurs de l’enfant ont été comparés sur une base temporelle (analyse de durée). Des analyses de séquence ont aussi été réalisées sur la base de ces comportements. Elles concernent les réponses de l’entourage aux signes et gestes de rapprochement et de détresse de l’enfant, ainsi que la réaction de l’enfant suite à la séparation (après avoir été posé). La fréquence de ces divers types de réponses et de réactions a été principalement prise en compte, mais aussi la durée en ce qui concerne le temps d’intervention pour apaiser les pleurs de l’enfant. Nous allons détailler la constitution, le recueil et l’analyse d’une variable de séquence : la réponse maternelle à la détresse de l’enfant (variable RMD). Cette variable est constituée de sept modalités choisies pour évaluer, de manière comparative entre les enfants de l’échantillon, la sensibilité maternelle à l’égard de l’enfant (les réponses les plus « sociales » – bercer, caresser, jouer, parler, vocaliser, appeler, sourire… – sont les plus sensibles, associées ou non à un contact purement « physique » – toucher, porter, mettre au pot, laver). La question du rôle de l’alimentation comme substitut à une réponse affective plus élaborée à la détresse de l’enfant a aussi été prise en compte dans la constitution de cette variable. Tableau 1 . Catégories du comportement Variable RMD : Réponse maternelle à la détresse de l’enfant Modalité 1 Mise au sein Modalité 2 Contact physique (porter sans autre interaction, soins) Modalité 3 Contact alimentaire (autre que la mise au sein) Modalité 4 Contact physique et alimentaire Modalité 5 Contact social (jouer, parler, sourire, bercer, caresser…) Modalité 6 Contact social et alimentaire Modalité 7 Aucune réponse (ou refus) Tableau 2 . Grille d’observation utilisée Exemple d’une séquence où l’enfant pleure et gesticule en présence de sa mère (partenaire d’interaction). Elle le porte, lui parle, puis le met au sein. Les variables concernées sont : Signal enfant, Geste enfant, Signal adulte, Geste adulte, Type d’interaction, Nourriture. La valeur de la variable RMD est codée pour chaque changement entre les sept modalités de la variable, à partir du début de la réponse de la mère aux pleurs de l’enfant. De 8 h 01-20 s à 8 h 02-40 s, le contact social (modalité 5), et de 8 h 02-40 s à 8 h 07-30 s, la mise au sein (modalité 1). Dans l’analyse des données, deux occurrences ont été prises en compte. Procédures de terrain Trente-deux enfants ont été observés à domicile par une équipe formée au protocole de l’étude sur deux journées consécutives, 10 heures par jour, à 6, 12, 18 et 24 mois (pour la plupart d’entre eux) dans trois quartiers populaires à incidence élevée de malnutrition infantile à Abidjan, Côted’Ivoire. Vingt-cinq mères d’enfants de 6 mois ont été rencontrées au centre de santé local, et sept autres mères d’enfants gravement malnutris ont été rencontrées à l’hôpital, puis suivis à domicile dans leur deuxième année. L'étude a été présentée comme un travail sur le développement de l’enfant, et la décision de participer a été soumise à l’accord préalable des autres membres de la famille consultés à domicile. Nous avons veillé à ce que les ressources de la famille soient suffisantes pour nourrir l’enfant à sa faim (questions relatives aubudget familial quotidien pour la nourriture). Aucune consigne particulière n’a été donnée aux familles. L'influence potentielle de la présence d’un observateur sur les personnes observées – et, par conséquent, sur la nature des données recueillies – nous semble assez minime compte tenu de longues périodes d’observation et de l’analyse comparée des données. Analyse des données Les calculs de durées, de fréquences et de séquences des comportements observés ont été effectués par le programme d’organisation et d’analyse de données d’observations Kronos 2.3 (Kerguelen, 1998). Une analyse de corrélation a été effectuée entre chaque variable (fréquence ou durée totale des comportements rapportés au temps d’observation effectif ; soit 20 heures moins le temps de sommeil et les sorties éventuelles de l’enfant) et l’état nutritionnel de l’enfant à chaque période d’observation (6, 12, 18 et 24 mois). Une analyse factorielle des variables a aussi permis de les regrouper en fonction de l’état nutritionnel associé à chaque période d’observation pour constituer des trajectoires évolutives entre les périodes concernées correspondant à la dégradation, au maintien, ou à l’amélioration nutritionnelle des enfants de l’échantillon. Ces résultats ont été analysés à la fois de manière globale, et en fonction de groupes nutritionnels constitués sur la base de l’état nutritionnel le plus bas au cours des deux premières années de l’enfant (bien portant ; poids stationnaire pendant au moins trois mois ; malnutrition légère ou modérée ; malnutrition sévère). Résultats Sur les 32 enfants observés au cours des deux années d’investigation, 8 enfants sont demeurés bien portants d’un point de vue nutritionnel, le poids de 5 enfants est resté stationnaire pendant plus de trois mois, 10 enfants sont devenus légèrement ou modérément malnutris, et 9 enfants ont souffert de malnutrition sévère (dont 3 sont décédés). Les résultats, que nous n’allons pas détailler ici, font état d’un lien précoce et constant, au cours des deux premières années de vie, entre l’environnement relationnel de l’enfant (qualité et type d’attachement), le mode d’interaction alimentaire enfant-entourage, et la présence (à divers degrés) ou l’absence de symptômes nutritionnels. La qualité d’attachementest également impliquée de manière évolutive dans la dégradation et l’amélioration nutritionnelle de l’enfant : les indices d’attachement insécure sont associés à l’aggravation ou à la chronicité des symptômes, tandis que les indices d’attachement sécure accompagnent le maintien d’un bon état nutritionnel ou la résorption de symptômes. L'environnement relationnel est ainsi porteur de l’évolution nutritionnelle à venir, ou semble à tout le moins indissociable de la formation des symptômes. Une étiologie relationnelle globale et des étiologies plus spécifiques à divers degrés de malnutrition infantile ont pu être envisagées (voir Bouville, 2003 et 2004). Pour reprendre l’exemple spécifique de la variable RMD, une forte corrélation positive (0,25) avec l’état nutritionnel a été constatée pour les réponses maternelles les plus sensibles (contact physique, interaction sociale) à la détresse de l’enfant. Ce résultat est le plus marqué de manière précoce (à 6 mois : 0,28), avec une très forte corrélation négative (– 0,30) pour les réponses maternelles les moins sensibles (refus, rejet). La répartition en groupes nutritionnels corrobore ce résultat, étant donné que les réponses sociales de la mère sont beaucoup plus fréquentes à chaque période d’observation (6, 12, 18 et 24 mois) pour les enfants demeurés bien portants (12 % des réponses, en moyenne, tous âges confondus) comparée aux trois autres catégories nutritionnelles (poids stationnaire, malnutrition légère et modérée, malnutrition sévère), qui sont à peu près équivalentes de ce point de vue (5 % des réponses). Conclusion L'observation naturaliste systématique et le protocole longitudinal de l’étude nous ont permis d’envisager l’implication de l’environnement relationnel et alimentaire dans la formation de symptômes nutritionnels chez le jeune enfant. Cette approche méthodologique permet d’appréhender, de manière à la fois scientifique et clinique, la richesse et la complexité des échanges de l’enfant tels qu’ils se déroulent dans son cadre de vie habituel. La scientificité de la démarche provient de l’objectivité des données éthologiques (subjectivité réduite de l’observateur lors du recueil des données et influence limitée sur les comportements observés), mais également de la mise à jour de la base d’inférence de l’étude (la production des données de base est à la fois vérifiable et reproductible). L'interprétation du chercheur porte uniquement sur la mise en relation des notions théoriques et leur significationau regard de la problématique étudiée. Notons que ce niveau de scientificité est rarement atteint dans les travaux de psychologie clinique, où les données d’inférence, lorsqu’elles sont accessibles au lecteur, sont souvent fortement empreintes de la subjectivité du chercheur. La portée clinique, enfin, n’est pas seulement limitée au domaine de la psychopathologie développementale auprès de jeunes enfants (où le comportement reflète une part plus importante de la psyché), ou à des études d’attachement. Elle peut être utilisée en complément d’entretiens, dans d’autres populations et contextes théoriques, pour aider à évaluer l’écart, parfois important, entre le dire (basé sur la perception, le ressenti) et le faire (comportements observables). Cette proximité avec le vécu et les pratiques réelles peut aider à mieux cibler les démarches de prévention et de soins auprès des individus concernés. Références BOUVILLE J.-F., L'approche relationnelle de la malnutrition infantile en milieu tropical, Sciences sociales et santé, mars 1996, 14, 1: 103-115. BOUVILLE J.-F., Étiologies relationnelles de la malnutrition infantile en milieu tropical, Devenir, 15, 1, 2003 : 27-47. BOUVILLE J.-F., La malnutrition infantile en milieu urbain africain. Étude des étiologies relationnelles. Éditions l’Harmattan, Paris, 2004. BOWLBY J., Attachment, Separation and Loss, Basic Books, Londres, 1969-1980. HOPKINS J., L'enfant observé de la théorie de l’attachement, Psychiatrie de l’enfant, 1996, 34, 1 : 41-62. KERGUELEN A., Quels outils concevoir pour aider au relevé d’observation sur le terrain ? XXXIIIe Congrès de la SELF, "Temps et Travail", Paris, 1998 : 870-813. REED E.S., Development in Context, Lawrence Erlbaum Associates, Hillsdale NJ, 1993. 1 ISO : Organisation internationale de normalisation regroupant 157 pays. 2 « Ce qui est fait, ce qui est mis en jeu par le sujet pour effectuer la tâche » Falzon, (2004, p. 24). 3 « Ce qui est à faire, ce qui est prescrit par l’organisation » Falzon (2004, p. 24). 4 L'approche écologique du développement de l’enfant intègre la mutualité de l’organisme et de l’environnement ; « l’enfant en contexte » est l’entité étudiée (Reed, 1993). 5 Réponse rapide et adaptée aux besoins et demandes de l’enfant. Une « réponse adaptée » utilise plusieurs modes relationnels pour consoler l’enfant : des contacts physiques (donner le sein, porter, bercer) aux échanges à distance (vocaliser, distraire, amuser) (Hopkins, 1996). 6 Les comportements d’attachement sont des signaux et des gestes d’approche (téter, s’agripper, suivre, pleurer, appeler, crier, sourire, se rapprocher…) qui visent à maintenir l’enfant à proximité de sa figure d’attachement dans un but de protection (recherche de sécurité). Ces comportements sont activés en cas de danger réel ou perçu par l’enfant, et désactivés lorsqu’il se sent rassuré, permettant l’exploration du milieu environnant. Chapitre VI Observation centrée sur un groupe ÉTUDE 7 Le travail de nuit à l’hôpital : comment appréhender la dimension collective du travail à partir de l’observation ? Béatrice Barthe Mots clefs : Observation d'un groupe de travail, Analyse ergonomique de l'activité de travail, Relevé papier-crayon, Échantillonnage par focalisation, Analyse d'occurrences et d'états. Objectifs L'étude présentée se centre sur l’analyse ergonomique de l’activité de travail d’équipes hospitalières de nuit. Elle a pour objectif de montrer en quoi la dimension collective du travail peut constituer une ressource dans les équipes qui travaillent de nuit pour permettre aux opérateurs de pallier les difficultés inhérentes aux variations individuelles de lavigilance. Cette préoccupation s’inscrit à la fois dans une perspective théorique sur le fonctionnement des équipes de travail, notamment en horaires de nuit, et dans une réflexion appliquée sur la fiabilité et sur les conditions de travail de nuit (Barthe, Quéinnec, Verdier, 2004). Nous n’exposons pas ici l’ensemble des éléments de cette étude1 mais nous nous centrons sur la méthodologie employée pour appréhender les aspects collectifs du travail. Le service hospitalier de néonatologie La situation de travail concernée est un service hospitalier de néonatologie qui accueille des bébés prématurés ainsi que des bébés nés à terme présentant des pathologies. Il possède une capacité d’accueil de 30 bébés, répartis dans 5 boxes de 6 emplacements chacun. Lors des postes de nuit, l’équipe est composée de 3 infirmières et de 2 auxiliaires puéricultrices, chacune est affectée à un box particulier. Procédure d’observation Choix de la conduite d’observation Les données relatives à la dimension collective de l’activité d’une équipe de travail sont accessibles selon différentes conduites d’observation. 1) L'observation directe peut s’appliquer à la totalité des membres de l’équipe de travail, ainsi, dans cette situation, le recueil pourrait concerner l’activité des 5 opératrices de l’équipe de nuit en simultané. Afin de ne pas rester à un niveau de description superficiel, l’observation de tous les membres de l’équipe nécessite un enregistrement audio et vidéo ou la présence de plusieurs observateurs. Certaines difficultés peuvent alors apparaître lorsque par exemple le collectif de travail impliqué s’agrandit de façon imprévisible, généralement à la suite d’un incident et que les personnes se déplacent dans des lieux différents. L'enregistrement vidéo pose alors des problèmes de champs, les activités de recueil par plusieurs observateurs des problèmes de coordination. De plus, les enregistrements audio et vidéo renvoient à des questions déontologiques ; il est en effet difficile d’appréhender l’activité de travail par l’observation,dans une situation où la présence de personnes malades et de leur famille peut donner un caractère voyeur à l’observation du travail. Ainsi, la technique papier-crayon nous a semblé moins indiscrète que l’enregistrement parce que transparente (le personnel soignant peut à tout moment prendre connaissance de ce que relève l’observateur) et uniquement ciblée sur le travail du personnel soignant2. 2) L'observation peut être organisée autour du « produit », en l’occurrence ici du bébé soigné dans le service de néonatologie. Ainsi, le recueil concerne les actions effectuées autour de cet enfant par les différents intervenants et les coordinations interindividuelles existantes. Ce procédé d’observation a déjà été utilisé dans un service de chirurgie cardiaque (Clot, 1995), l’observation est organisée par le parcours hospitalier du patient, de sa préparation préopératoire jusqu'à son hospitalisation postopératoire, en passant par l’intervention chirurgicale et l’admission en réanimation. 3) L'observation peut également se baser sur le suivi d’une opératrice de l’équipe de travail, du début à la fin de son poste. Le recueil concerne alors ses actions et l’ensemble de ses interactions avec ses coéquipières. Cette organisation du recueil, comme la précédente, n’autorise qu’un relevé partiel de la réalité du travail collectif à un moment donné. Cependant, elle permet d’atteindre un double objectif : analyser finement l’activité de soins et appréhender correctement la dimension collective du travail, tout en acceptant des conditions de recueil plus modestes. Cette conduite d’observation, choisie pour cette étude, a également été utilisée dans le secteur hospitalier (Lacoste, 1993). Analyse préliminaire de l’activité de soins et choix des indicateurs Le contenu du travail du personnel soignant est rythmé par un ensemble de tâches programmées toutes les 3 heures, appelées les périodes des soins. La formalisation des différentes phases d’une période de soins, construite à partir des premières observations sur le terrain, constitue une étape préliminaire dans l’analyse de l’activité de soins qui vise à orienter la recherche d’indicateurs pertinents de l’activité de travail. Cette étape est intégralement construite par l’analyste, elle est primordiale dans la mise en place de la procédure d’observation. En premier lieu, l’opératrice surveille les constantes biologiques de l’enfant, c’est-à-dire qu’elle prélève de l’information sur l’enfant ainsi que sur le matériel qui l’assiste (moniteur, tensiomètre, etc.) pour retranscrire les valeurs des paramètres demandés sur la feuille d’observation personnelle de l’enfant. Elle consulte ensuite les prescriptions sur la feuille d’observation afin de préparer le matériel dont elle aura besoin pour donner les soins. Ce travail de préparation induit des déplacements dans le box et les différents lieux de stockage du matériel du service. Puis vient la phase de soins proprement dite, comprenant la toilette, l’apport de médicaments et la mise en œuvre de soins spécifiques selon l’état de l’enfant et les traitements qui lui sont prescrits. Enfin, l’opératrice alimente l’enfant, après avoir vérifié les résidus gastriques si l’alimentation se fait par gavage. En plus des périodes de soins, le personnel soignant accomplit des tâches spécifiques (également identifiées à ce stade de l’analyse) lors de l’arrivée d’un nouvel enfant dans le service, lors de l’aggravation de l’état d’un bébé ou lors du décès d’un bébé. Cette analyse préliminaire de l’activité de travail des opératrices a permis de définir 5 variables, correspondant aux différentes phases de la période de soins, et 19 modalités d’actions au total composant ces variables (tableau 1). Tableau 1 . Description de l’activité de soins selon 19 indicateurs Phase de soins (variables) Indicateurs (modalités) Codes Surveillance des constantes – Prise d’information et relevés sur la feuille d'observation Surv – Préparation du matériel pour les soins Prépa – Recherche de matériel Rech – Soin de bouche Bouche – Soin d'ombilic Ombi – Change de la couche Chge – Température Temp – Massage abdominal Mass – Piqûre et prélèvement Piqû – Soins spécifiques Spéc – Pompes alimentaires Pomp – Gavage Gava – Tétée Tétée – Bien-être enfant Calin Préparation des soins Soins Alimentation Autres – Amène matériel Amene – Rangement, nettoyage Range – Lavage des biberons Lav – Surveillance stricte (repos) Rep – Discussions fonctionnelles hors activité en simultané Disc Dimension collective du travail : aspects méthodologiques L'analyse du travail collectif proposée dans cette étude se situe à plusieurs niveaux, soutenus par des fondements théoriques que l’on ne peut développer ici (Barthe & Quéinnec, 1999). Un seul de ces niveaux sera présenté dans ce chapitre, il concerne le partage ou non à un moment donné de ressources (notamment matérielles, comme le lieu de travail) et le partage ou non de « l’objet de la tâche », c’est-à-dire ce sur quoi portent les actions des différentes coéquipières. La dimension collective de l’activité de soins est donc définie par : (1) le lieu de travail dans lequel l’opératrice suivie effectue ses actions, en tant que partagé par plusieurs opératrices ou non et (2) l’objet de travail sur lequel porte l’action de l’opératrice, à savoir ici, le bébé qui fait l’objet de soins. Grille d’observation Le relevé des observables a été accompli avec une grille d’observation en temps réel. La grille d’observation combine le relevé d’informations relatives aux actions de l’opératrice suivie et aux échanges verbaux auxquels elle participe. À chaque minute, l’observateur code le lieu (10 indicateurs ou observables de lieux) dans lequel l’opératrice suivie accomplit ses actions (19 indicateurs, cf. tableau 1) et le bébé dont elle s’occupe (identifié par son box d’appartenance et son emplacement dans le box : 5 indicateurs de box x 6 indicateurs d’emplacements). Chaque item a été recueilli en respectant sa durée et sa chronologie (tableau 2). Le relevé des interactions intervient lorsque le lieu de travail est partagé par plusieurs opératrices, les actions et l’enfant dont s’occupe la (les) coéquipière(s) sont alors notées (sur la même ligne du tableau) en plus des actions et de l’enfant pris en charge par l’opératrice suivie. De même lorsqu’un enfant fait l’objet d’actions simultanées de la part de plusieurs opératrices, cette information est relevée au niveau de la colonne enfant, même si les autres opératrices ne partagent pas le lieu de travail de l’opératrice suivie. L'identification des différentes opératrices de l’équipe ou des autres intervenants est alors réalisée par l’utilisation de couleurs différentes. Tableau 2 . Structure de la grille d’observation et exemple Les échanges verbaux impliquant l’opératrice sont retranscrits à la main et les interlocutrices, concernées par ces échanges, identifiées. Le contenu des messages courts est relevé dans son intégralité, le contenu des messages longs est résumé, les messages personnels sont codés comme tels. Découpage et codage des messages verbaux Les verbalisations spontanées, dont le contenu a été relevé dans son intégralité, ont été découpées en message. Un message est émis par une seule opératrice et véhicule des informations dans un objectif précis (Falzon, 1989). Les discussions résumées et les discussions personnelles sont chacune considérées comme un seul message. La liste d’attributs interprétatifs, qui permet de coder les messages verbaux, a été construite a posteriori, à l’aide du logiciel Kronos (Kerguelen, chapitre 7), à partir du contenu des communications, et du contexte de travail recueilli simultanément. Elle repose sur les 6 classes suivantes (figure 1) : interlocuteur, forme & contenu des communications, fonction de ces communications dans l’action, objet sur lequel portent les communications, caractère plus ou moins collectif des actions évoquées dans les communications et éléments de contexte précisant la dimension collective des soins accomplis au moment des communications3. Figure 1 . Catégorisation des messages verbaux. Principaux résultats Les résultats présentés ici porteront sur l’identification de situations de travail collectif, sur les soins accomplis dans ces situations ainsi que le rôle des communications, et leur évolution en fonction de la variation de la vigilance. Identification de la dimension collective du travail Nous l’avons vu en méthodologie, la dimension collective de l’activité de soins est définie par : (1) le lieu de travail dans lequel l’opératrice suivie effectue ses actions, en tant que partagé ou non et (2) l’objet de travail sur lequel porte l’action de l’opératrice, à savoir, le bébé qui fait l’objet de soins, en tant que « partagé » ou non. C'est le croisement de ces 2 indices qui va définir le caractère collectif de l’activité mise en œuvre et permettre d’identifier 3 situations. Précisons que cette distinction de 3 situations plus ou moins « collective » est aussi le résultat du travail de l’analyste. • Situation individuelle Une opératrice est seule et accomplit des soins auprès d’un bébé localisé dans le box dont elle a la charge. • Situation d’entraide Deux ou plusieurs opératrices travaillent dans un même lieu sans partager le même « objet de travail », c’est-à-dire sans travailler auprès du même bébé. Chaque opératrice réalise individuellement des actions de soins auprès de bébés différents. Un exemple est donné sur la figure 2où l’opératrice suivie effectue des actions (Actions OS) dans le box d’une collègue (Box non assigné) auprès d’un enfant dont elle n’est pas responsable (Enfant non responsable). À partir de 5 h 25, elle est rejointe par sa collègue qui effectue des soins (Actions coéquipière 1) sur un bébé différent. Figure 2 . Graphe d’activité illustrant le déroulement de l’activité de soins de l’opératrice suivie (Actions OS) en situation d’entraide. • Situation collective Deux ou plusieurs opératrices prodiguent des soins auprès d’un même bébé (figure 3). C'est la forme de travail dans laquelle la dimension collective est la plus forte. C'est le cas typique de l’arrivée d’un entrant dans le service, illustré ici par l’arrivée d’un bébé la nuit 8, en début de nuit. Deux opératrices sont mobilisées (Actions OS, Actions coéquipière 1) sur un même enfant de 22 h à 22 h 30 (Même enfant, Coprésence), puis trois opératrices (Actions coéquipière 2), et jusqu’à quatre opératrices (Actions coéquipière 3) entre 22 h 15 et 22 h 20. Figure 3 . Graphe d’activité illustrant le déroulement des activités de soins de l’opératrice suivie (Actions OS) en situation d’activité collective. Situations de travail collectif et actions En situation d’entraide (cf. figure 4, premier camembert), c’est-à-dire lorsque les opératrices prennent en charge un bébé localisé dans le box d’une collègue alors que celle-ci réalise une autre tâche (c’est-à-dire qu’elle travaille auprès d’un autre bébé), elles accomplissent plutôt des soins qui concernent la toilette (16 %) et l’alimentation de l’enfant (25 %). Figure 4 . Proportions des soins (les 19 modalités d’action initiales ont été regroupées ici en 8 modalités) accomplis en situation d’entraide (Entraide) et en situation collective (Collective). En situation collective (cf. figure 4, second camembert), les opératrices accomplissent des soins de nature différente ; les proportions de ces activités montrent que 13 % du temps de travail sont consacrés aux soins spécifiques et 37 % aux actions de prélèvements. De plus, les discussions fonctionnelles non accompagnées d’actions sur l’enfant représentent 11 % du temps de travail, ce qui témoigne d’une activité d’aide consacrée à des tâches de diagnostic. Situations de travail individuel et collectif et communication : un exemple La fonction des messages verbaux échangés dans les trois situations de soins porte le plus souvent sur de l’exécution de l’action en cours (cf. figure 5). Cependant, les messages verbaux qui ont cette fonction de réalisation sont beaucoup plus échangés en situation collective que dans les deux autres situations. Les messages qui visent le suivi d’actions passées sont le plus souvent émis en situation d’entraide (45 % des messages d’entraide contre 19 % et 12 %) avec une forte proportion de message de planification. Ces résultats montrent ainsi la nécessaire coordination que la situation d’entraide suppose. Enfin notons que, même lorsque les actions de soins sont menées de façon individuelle, de nombreux messages sont échangés et un tiers d’entre eux visent à planifier l’action future. Figure 5 . Pourcentage du nombre de messages et effectifs selon leur fonction dans l’activité de travail (Planifier, Exécuter et Suivi) dans chacune des 3 situations identifiées. Conclusion Ces résultats sur la dimension collective des soins permettent de décrire et spécifier la composante collective de l’activité de soins afin de comprendre ensuite sous quel(s) déterminant(s) elle varie. • Des compétences variées, des entraides différenciées Des analyses complémentaires montrent que selon le métier des opératrices, l’implication dans les 3 situations de travail (individuelle, entraide et collective) sera différenciée. Les auxiliaires puéricultrices travaillent plus fréquemment avec leurs collègues sans « partage » de l’objet de travail, c’est-à-dire qu’elle se déplace dans le box d’une collègue pour prodiguer individuellement des soins à certains de ces bébés. Quant aux infirmières, lorsqu’elles travaillent avec une ou plusieurs de leurs collègues c’est le plus souvent afin d’effectuer des soins particuliers sur un bébé qui fait déjà l’objet de soins simultanés de la part d’une autre opératrice (partage du même « objet »). En effet, les auxiliaires puéricultrices aident leurs coéquipières en accomplissant des interventions rapides et "légères", telles que la toilette ou l’alimentation de l’enfant. Les infirmières apportent à leurs coéquipières une compétence médicale technique, associée à leur fonction, et participent ainsi à des soins plus médicalisés sur le même enfant, tels que les perfusions, les transfusions ou l’établissement d’un diagnostic. La nature et les exigences des soins pour lesquels chaque métier sollicite et/ou apporte une aide sont différentes. Cette différence conditionne en grande partie les évolutions horaires spécifiques de chaque métier. • Évolution horaire : des régulations collectives spécifiques selon le métier des opératrices Les résultats tenant compte de l’évolution horaire de l’activité de soins ne seront pas présentés ici en détail (voir Barthe, 1999). Dans les grandes lignes, les activités de soins des auxiliaires puéricultrices en situation d’entraide sont maximales en début de poste, durant la période de soins de 20 heures. Avec l’avancée du poste de nuit et jusqu’à la fin de la période de soins de 02 heures, les auxiliaires puéricultrices travaillent de plus en plus de façon individuelle. Ces résultats plaident en faveur de la mise en place d’un référentiel commun en début de nuit afin de visualiser l’état général des enfants du service et de préparer les actions à effectuer. Concernant les infirmières, elles travaillent de façon individuelle en début de nuit avec une diminution jusqu’à la fin de la période de 02 heures, puis une augmentation à 05 heures. Par contre, l’implication de ces opératrices dans les modalités de travail collectif est maximale à 23 heures (avec une prédominance d’entraide orientée vers les auxiliaires) et à 02 heures, avec une équivalence des situations d’entraide et collective(orientée ici vers les autres infirmières). Les infirmières de l’équipe de néonatologie mettent en place des régulations collectives spécifiques afin d’anticiper leur baisse de vigilance et d’être en mesure d’accomplir des soins particuliers, nécessitant une étroite coordination, à partir du moment où commence à se faire sentir une baisse de vigilance et une accumulation de fatigue. Lors de la période de 23 heures les infirmières se libèrent par anticipation de l’aide qu’elles apportent aux auxiliaires puéricultrices, en accomplissant certains soins aux enfants localisés dans les boxes assignés aux auxiliaires. Elles anticipent leur propre état biologique futur afin de se réserver des marges de manœuvre pour faire face aux imprévus au moment de leur chute de vigilance (entrant, enfant à reperfuser, aggravation de l’état d’un enfant, etc.). Références BARTHE, B. (1999). Gestion collective de l’activité de travail et variation de la vigilance nocturne : Le cas d’équipes hospitalières en postes de nuit longs. Thèse de doctorat nouveau régime, Toulouse : Université Toulouse le Mirail, 3 mars. BARTHE, B. (2000). Travailler la nuit au sein d’un collectif : quels bénéfices ?. In T.H. Benchekroun & A. Weill-Fassina (eds), Le travail collectif. Perspectives actuelles en ergonomie (pp. 235-255). Toulouse : Octarès Éditions. BARTHE, B. (2003). La visibilité de l’activité d’autrui, composante de la dimension collective du travail de soin. Travail et Emploi, 94, 51-58. BARTHE B., & QUÉINNEC Y. (1999). 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ÉTUDE 8 Les stratégies sociales lors de la fusion de deux groupes de macaques de Java : exemple d’échantillonnage par focalisations successives et d’échantillonnage par balayage dans une situation naturelle Pascal Cazenave-Tapie Mots clefs : Situation naturelle, Enregistrement audio, Échantillonnage par focalisations successives (focal sampling) et Échantillonnage par balayage (scan sampling). Objectifs L'utilisation de différentes techniques de recueil des données observationnelles a permis de documenter l’évolution des relations sociales entre les membres de deux groupes distincts de macaques de Java durant le processus de fusion de leurs groupes. Introduction Les migrations unisexes chez les primates non humains sont très fréquentes parmi les espèces vivant en société. Généralement, les stratégiessociales adoptées par ces migrants pour s’intégrer dans un nouveau groupe sont appréciées à partir de l’évolution de leurs confrontations avec les résidents. Selon van Noordwijk et van Schaik (1985), chez les macaques de Java, soit le candidat à l’immigration commence par s’affirmer sur les individus les plus bas de la hiérarchie et tente ensuite de maximiser progressivement son statut (stratégie discrète), soit il recherche la confrontation directe avec l’individu occupant le statut le plus élevé qu’il puisse revendiquer (stratégie engagée). Bernstein (1974) a conclu, à partir de diverses études sur les techniques d’introduction de nouveaux venus au sein de groupes de singes, qu’il existerait deux phases : une première au cours de laquelle un groupe bat un autre, et une seconde durant laquelle le groupe des vaincus se dissout alors que ses membres s’insèrent dans le groupe victorieux. Selon cet auteur, la dissolution des relations préexistantes entre les migrants d’un même groupe constitue un préalable à leur intégration. Pour apprécier les stratégies sociales mises en œuvre par les migrants, il nous faut donc considérer à la fois l’évolution des rapports de dominance et la recomposition des relations affiliatives, dans les groupes, mais aussi entre les membres des deux groupes. L'objectif de cette étude était d’analyser les transformations de ces deux structures de l’écologie sociale comme indicateurs de l’intégration sociale des migrants. Selon les études précédentes, une intégration réussie dans un groupe devrait procéder d’une dissolution des relations affiliatives entre migrants, par une atténuation des comportements hostiles à leur encontre et par l’accès à un statut stable dans la hiérarchie. Méthode • Sujets : l’étude a été conduite au sein d’un parc de 6 hectares. - Groupe A (résidents) : N = 52, Adultes : 18 mâles/14 femelles ; Sub-adultes : 2 mâles/2 femelles ; Juvéniles : 4 mâles/5 femelles ; Bébés : 2 mâles/5 femelles. - Groupe B (migrants) : N = 6 : 5 mâles et 1 femelle adultes. • Protocole d’observation : Les observations ont été réalisées entre 7 h et 9 h 30 de mai à septembre 1993. Le recueil des comportements agonistiques a été effectué selon la méthode d’échantillonnage par centrations successives de 5 minutes en continu, pour un total de 45 minutes par individu (focal sampling)enregistré sur dictaphone, et complété par le recueil quotidien des relations de dominance dyadiques établies sur la base de l’expression claire d’un comportement de soumission d’un des deux individus (all occurences of some behaviour). La liste des comportements était basée sur la taxonomie établie par de Waal, van Hooff et Netto (1976). Extrait de la liste des comportements Interactions non agonistiques : Approcher, Orienter, Observer. Menaces : Fixer, Bouche ouverte, Grogner, Balancement de la tête, Balancement des épaules, Frapper le sol, Pointer, Chasser, Grognements en série, Approche rigide, Assaut simulé, Balayer avec les mains, Déplacer (Approche directe d’un individu, avec ou non contact physique, incitant l’individu à céder sa place). Agression physique : Pousser du nez, Pousser de la poitrine, Pousser bouche ouverte, Tirer, Attraper, Frapper, Attaquer, Mordre. Intentions de Fuite : Reculer, Fuite bloquée (l’individu affiche une attitude indiquant son intention de fuite mais reste figé - position inclinée du buste avec l’arrière-train plus haut que la tête, bras et membres inférieurs tendus en avant et corps en arrière, associés souvent avec des expressions de soumission), Se tapir. Fuites : Fuite, Fuite réorientée (S'éloigner d’un dominant tout en cherchant à orienter son agressivité vers un individu de statut inférieur). Soumission : Dents dénudées, Claquer des dents, Claquer des dents en tirant la langue, Crier, Cris aboyés, Aboiements. Déplacements : Se déplacer (Se lever et céder sa place à l’arrivée d’un individu et s’asseoir à nouveau à moins de 2 m) ; Évitement (contourner un individu). Terminateurs non agonistiques : Ignorer, Quitter (aller au-delà de 10 m), S'éloigner (Se placer dans un rayon de 2 à 10 m). Les relations affiliatives ont été appréciées à partir des relations de proximité. À trois reprises durant chaque observation focale, les noms des individus se trouvant dans un périmètre de 10 m autour du sujet observé étaient relevés (scan sampling). Tableau 1 . Exemple de relevés de l’activité comportementale par Focal Sampling et de sa signification (à droite), de relations de proximité par Scan sampling et des relations de dominance selon la méthode All occurences of some behaviour Traitement des données Hiérarchie dominance Tableau 2 a. Extrait d’une matrice des relations de dominance ordonnée Tableau 2 b. Statistiques associées Relations dyadiques Total % Asymétriques 1 212 94.69 Établies 320 50.79 Observées égales 17 2.7 Assumées égales 293 46.51 Contestées 52 16.25 Total % Linéarité 292 91.25 Exceptions 28 8.75 1 175 91.8 105 8.20 Structure de g roupe Rigidité Exceptions Seules les interactions agonistiques impliquant des adultes ou sub-adultes (Groupe A : N = 36, 20 mâles, 16 femelles - Groupe B : N=6, 5 mâles, 1 femelle) et ayant pour issue un comportement de soumission non ambigu ont été retenues pour analyses (Catégories Fuites, Soumission et Déplacements). Les données recueillies ontété réparties en 3 périodes, mai-juin, juin-juillet et aoûtseptembre, et tabulées dans des matrices de co-occurrence. Un programme a permis ensuite l’ordination des individus en maximisant l’asymétrie des relations, leur linéarité et la rigidité de la structure de groupe. Dans le tableau 2a, les valeurs représentent le nombre de fois où un individu A a obtenu une réponse de soumission d’un individu B. Les positions relatives des individus ont été permutées au sein de la matrice de façon à avoir en haut, l’individu qui soumet tout le monde et ne se soumet jamais, puis celui qui ne se soumet qu’au mâle dominant, puis celui qui ne se soumet qu’aux deux précédents et ainsi de suite. Lorsque les pourcentages d’asymétrie et de rigidité ne peuvent plus être augmentés par les changements de place des individus au sein de la matrice (supérieurs à 90 %), l’ordination obtenue reflète la hiérarchie de dominance (tableau 2b). Réseau affiliatif (ou sociogramme des relations affinitaires) Tableau 3 . Matrice de co-occurrence des proximités Les données sur la proximité entre les individus ont été analysées à partir de trois matrices sociométriques correspondant aux trois périodes d’observation, mai-juin, juin-juillet et aoûtseptembre (nombre de scans réalisés : 540, 180 par session, 5 par individu et par session). Sept individus ayant un faible niveau d’association sont considérés comme isolés et exclus des analyses subséquentes. Tableau 4 . Matrice de similitude Figure 1 . Dendrogramme des profils d’association des individus. La matrice de co-occurrence dyadique (tableau 3) est ensuite transformée en matrice de similitude (tableau 4) permettant la dérivation d’un dendrogramme ou représentation en arborescence (figure 1) regroupant les individus selon leurs profils d’association. Un Chi-carré (tableau 5) permet ensuite de discerner les cliques des agrégats, à savoir les individus qui ont une relation de proxémité préférentielle entre eux de ceux qui ont des profils comparables sans avoir de relations mutuelles. Ces regroupements représentent le réseau affiliatif du groupe (Strayer, 1980). Tableau 5 . Calculs des Chi-carrés sur les regroupements Principaux résultats Analyse des interactions agonistiques L'analyse Chi-carré des relations agonistiques sur les dimensions intra- et intergroupes selon les 3 périodes a permis de documenter le processus de fusion de groupe. Le point culminant de l’agressivité des résidents envers les migrants se situe à la période juin-juillet et s’atténue par la suite, même si elle reste très supérieure à la fréquence attendue. L'agressivité des migrants à leur égard progresse de façon continue, même si la fréquence observée reste inférieure à la fréquence attendue, reflétant une probable remise en cause des relations de dominance-subordination dans le groupe des résidents. Évolution des relations de dominance Les différents statuts occupés par les migrants dans la hiérarchie de dominance mettent bien en évidence les deux stratégies sociales identifiées dans des travaux précédents. Joker a adopté une stratégie engagée, occupant le rang 11 lors de la première période d’observation. Il sera débouté dès la seconde période et relégué dans les derniers rangs à la troisième. Ribouldingue a lui aussi adopté ce type de stratégie, mais avec succès, passant du rang 14 au rang 9 en août-septembre. Filochard et Batman ont plutôt opté pour une stratégie discrète, ayant acquis un statut assez bas dans la hiérarchie et s’y maintenant (rangs 29 à 34 sur 42 possibles). Par ailleurs, si le statut occupé par Filochard semble instable, la progression rang par rang de Batman correspond bien à l’adoption d’une stratégie Tableau 6 . Statut des individus du groupe B dans la hiérarchie de dominance du groupe A des 3 périodes discrète. Enfin, Joop (le plus jeune des mâles) et Pimprenelle (la femelle) restent aux statuts les plus bas de la hiérarchie, quelle que soit la période considérée, indiquant un probable échec dans leur stratégie d’intégration sociale. L'accroissement de l’asymétrie des relations dans le Groupe A comprenant à présent les membres du Groupe B et de la rigidité de la structure de groupe indique une plus grande stabilité des relations de subordination-dominance au cours du temps. Toutefois, la prise en compte de la seule dimension agonistique ne nous renseigne que très partiellement sur l’intégration sociale des migrants. Analyse des relations de proximité L'analyse Chi-carré des relations de proximité sur les dimensions intra- et intergroupes selon les trois périodes a montré que les migrants se retrouvent de moins en moins à proximité les uns des autres. Durant les deux premières périodes, les résidents préfèrent rester ensemble, mais cette tendance semble s’atténuer au cours du temps. Cependant, en août-septembre, les résidents ou certains d’entre eux sont fréquemment à proximité des migrants. Or, à cette période, certains migrants occupent des statuts stables dans la hiérarchie du groupe des résidents. Ces premiers résultats suggèrent que l’intégration sociale dans un nouveau groupe peut ne pas procéder de la dissolution complète des relations préexistantes. Cependant, il s’agit là d’analyses ne permettant pas d’apprécier les différences individuelles dans le succès ou l’échec deleur stratégie d’intégration. Il est donc nécessaire de documenter les changements dans le réseau affiliatif pour évaluer l’intégration sociale de ces migrants. Transformation du réseau affiliatif Le calcul des chi-carré sur les regroupements identifiés à partir des dendrogrammes obtenus pour les différentes périodes d’observation a montré que : à la Période 1 (mai-juin), 3 migrants du Groupe B sur 6 (Joker, Filochard et Joop) forment encore une clique, c’est-à-dire un sous-groupe d’individus ayant des relations préférentielles entre eux (Chi2 = 174.97, p<.001); à la Période 2 (juin-juillet), 2 migrants du Groupe B sur 6 (Batman et Filochard) forment une clique avec deux mâles du Groupe A des résidents (Chi2 = 45.765, p<.001) et à la Période 3 (août-septembre), aucun membre du Groupe B des migrants n’appartient à une clique, témoignant ainsi de profils d’associations dissimilaires et donc d’une dissolution des relations préférentielles entre membres de ce groupe. Conclusion Nos résultats confirment l’existence des deux stratégies d’intégration sociale déjà documentées, la discrète et l’engagée. Ils suggèrent également l’abandon de relations privilégiées entre migrants au profit de relations avec des singes résidents. Des observations conduites ultérieurement ont montré que le soutien accordé par les migrants à certains individus dans le groupe semble être un gage important d’une intégration réussie. Les études visant la compréhension des processus conduisant à une intégration réussie doivent donc nécessairement prendre en compte un aspect de la vie sociale à la fois agonistique et affiliatif : les fréquences de soutien des migrants aux résidents dans les conflits les opposant à d’autres membres de leur groupe. Références BERNSTEIN, I. S. (1974). Agression and social control in rhesus monkeys (Macaca mulatta) groups revealed in group formations studies. Folia Primatologica, 21, 81-107. STRAYER, F.F. (1980). Social ecology of the preschool peer group. In W. A. Collins (ed.), The Minnesota Symposia on Child Psychology, 13, 165-196. VAN NOORDWIJK, M. A. & VAN SCHAIK, C. P. (1985). Male migration and rank acquisition in wild long tailed macaques (Macaca fascicularis). Animal Behaviour, 33, 849-865. WAAL, F.B.M. DE, VAN HOOFF, J.A.R.A.M. & NETTO, W.J. (1976). An ethological analysis of types of agonistic interaction in a captive group of Java monkeys (Macaca fascicularis). Primates, 7, 257-290. 4. Grille d’observation pour le recueil des données sociales d’un groupe en contexte naturel : exemple de codage du comportement des enfants d’une classe de maternelle par Pascal CazenaveTapie L'étude précédente a été la prémisse à l’établissement d’une technique simple et rapide pour relever conjointement les indices de proximité permettant la dérivation du réseau affiliatif, l’activité des enfants et les relations agressives conduisant à la construction de la hiérarchie de dominance dans les groupes stables des enfants (Cazenave-Tapie & Santos, 1999). Par ailleurs il avait été montré que le réseau affiliatif dérivé à partir des relations de proximité entre enfants dans une classe scolaire est quasi similaire à celui obtenu à partir de l’observation de leurs interactions sociales (Burgin, Cazenave-Tapie & Strayer, 1998). La méthode d’échantillonnage adoptée est celle d’un échantillonnage par centrations successives (scan sampling) associé à un échantillonnage par comportements (all occurences of behaviour) pour relever les interactions agressives dont la fréquence est généralement inférieure à 10 %. La procédure est simple : après une période de familiarisation, il suffit de se munir de la feuille préremplie et de relever les différentes informations concernant les relations affiliatives en se focalisant successivement sur un enfant, puis sur un deuxième, puis sur un troisième, et ainsi de suite pour l’ensemble des enfants d’une classe. Chaque fois qu’un conflit survient dans le champ de vision, on arrête ce relevé et on recueille les informations relatives au conflit. On fera autant de relevés complets que possible en alternant l’ordre d’observation des enfants (contrôle de l’effet d’ordre). Les analyses présentées dans l’étude précédente permettent à partir de ces relevés de dériver les structures sociales des groupes, hiérarchie de dominance et réseau affiliatif, mais également de caractériser le comportement habituel des enfants de ce groupe. Tableau 1 . Grille de recueil des données sociales des enfants en groupe naturel Selon la colonne, on notera : Dans la partie Affiliation : Contexte : Activité libre (AL) - par ex. récréation – ou structurée (AS) – c’est-à-dire supervisée par l’enseignant ; dans la classe (int) ou dehors (ext). Focal : Code identité de l’enfant observé. 1er : code(s) de(s) enfant(s) situé(s) à moins de 1 m. ss-grp : codes des enfants situés dans un rayon de 3m. action : Code du comportement de l’enfant observé. Dans la partie Agression : Acte : Code du comportement agressif observé. auteur : Code identité de l’agresseur. cible : Code identité de l’agressé. soum : Code identité de l’individu qui adopte un comportement de soumission. Références BURGIN, J., CAZENAVE-TAPIE, P. et STRAYER, F. F. (1998). « Réseau affiliatif et conflit social en milieu scolaire ». Communication orale publiée dans les Actes du XVIe Colloque du Groupe francophone d’études du développement de l’enfant jeune (GroFrED), Genève, Suisse. CAZENAVE-TAPIE, P. & SANTOS, A. J. (1999). « Direct observation of social dynamics in natural settings. » Communication par affiche présentée au Congrès de l’European Society for Developmental Psychology, Spetse, Grèce, septembre. ÉTUDE 9 Les pratiques de navigation dans le désert du Karahari (Botswana) chez les San : exemple d’observation participante Akira Takada4 Mots clefs : Relation entre chercheur et informateurs, Observation participante, Field notes (carnet de bord), Pratiques de navigation, Analyse de l'organisation séquentielle, Processus de construction du sens Introduction • Extrait 15 G : aa xoa ka kôõ aa qhǒro za Vas dans cette direction. Par là où c’est dégagé. Ce propos est extrait d’une conversation durant une excursion dans le désert du Kalahari avec des |Gui et des ||Gana. La déclaration est faite avec assurance par G qui en même temps pointe dans la direction à prendre. Le présent chapitre illustre une méthodologie qui permet de comprendre pourquoi le propos et le geste ont été produits à un moment donné et à un endroit spécifique. Ces données servent de base pour l’élaboration des théories sur le processus de construction du sens. Nous étions en déplacement avec des |Gui et des ||Gana, habitants de la partie centrale du désert de Kalahari. Leur nomadisme exige des compétences sophistiquées de navigation qui ont fait leur réputation et attiré l’attention des chercheurs. Cette compétence ne fait pas l’objet d’un enseignement formel mais s’acquiert, se développe et s’entretient dans la vie quotidienne. Aussi, pour comprendre leurs pratiques de navigations, nous avons effectué l’« observation participante » qui nous permettait d’assister aux interactions durant leurs activités quotidiennes. Cette approche d’immersion complète dans l’environnement habituel des personnes observées a été développée en anthropologie moderne. Elle est largement reconnue et répandue pour se familiariser avec un groupe d’individus et ses pratiques. Par contre, l’exploitation des données ainsi acquises diffère d’un chercheur à l’autre. Pour notre part, nous procédons à une analyse de l’organisation séquentielle des échanges verbaux et gestuels. Objectifs La capacité remarquable de navigation chez les San a été attribuée jusqu’à présent à leur capacité visuelle et à leur sens d’orientation particulier. Cependant, notre étude se focalise sur les échanges verbaux et non verbaux relatifs à leur navigation qui selon nous joue un rôle non négligeable dans le développement de cette capacité. Le but de notre étude était d’explorer le processus de la « construction du sens » chez les participants (parmi lesquels le chercheur) autour des techniques de navigations chez les |Gui et les ||Gana dans les activités quotidiennes. Puisque |Gui et ||Gana sont semblables dans leurs pratiques de navigation, les deux groupes ont été considérés ensemble pour cette étude. La « construction du sens » se comprend comme suit. Dans un enchaînement d’actes (verbaux et non verbaux) de plusieurs personnesen interaction, un intervenant A agit en fonction de ce qu’il a perçu des actes précédents effectués par d’autres intervenants. L'action de A dépend donc de celle d’autres individus dont elle est en définitive la réponse, appelée « sens de l’action qui précède ». « Construire le sens » désigne l’action, en insistant sur le fait qu’elle dépend des actions menées par d’autres individus. Pour ce type d’étude, de la part du chercheur, être observateur neutre ou « personne invisible » pourrait nuire par son inactivité dans un processus très dynamique, en particulier dans le cadre d’une observation à long terme. Il est donc préférable que le chercheur interagisse avec les individus observés et qu’il montre son implication empathique dans leur vie. Il y a à cela deux justifications, qui sont liées. Premièrement, cette approche constitue une stratégie clef en anthropologie linguistique où la discussion quotidienne fournit les informations sur la construction de la réalité sociale (c’est à dire l’ensemble des « sens »), dimension essentielle de la culture. L'observation participante apporte des données qui permettent de clarifier les rapports étroits entre le contenu de la conversation, les actions manifestées durant la conversation et les conditions dans lesquelles la conversation a eu lieu. Deuxièmement, une telle approche réduit les risques d’erreur d’interprétation occasionnées par les différences culturelles entre observateur et observé (Marcus et Fischer, 1986:2). Les échanges lors de l’observation au terrain entre l’observateur participant et les autres participants facilitent l’analyse du processus d’intercompréhension, ce qui a été largement exclus des textes ethnographiques de référence (Clifford, 1986:109). Procédure d’observation Nous avons procédé comme suit. Le chercheur a contacté un groupe d’individus et a participé aux activités quotidiennes du groupe pour collecter les données, avec un carnet de bord et des enregistrements vidéo. Les données sont ensuite analysées avec l’aide d’informateurs pour l’interprétation. Les |Gui et ||Gana évoluent dans la région aujourd’hui occupée par la réserve centrale de Game dans le Kalahari (CKGR). Comme pour les populations San à travers toute l’Afrique du sud, leur style de vie a connu des changements radicaux. Depuis les années 1970, plusieurs sites d’habitation ont vu se développer des infrastructures. En 1986, le gouvernement national du Botswana a encouragé les résidents deCKGR à s’installer en dehors de la réserve. Onze ans après, ceux qui ont choisi de se déplacer sont allés à Kx’ô ẹ sakéne, un nouveau site d’habitation à l’extérieur du CKGR. Cette migration a eu un effet boule de neige et la plupart des résidents de CKGR ont suivi. Le travail de terrain de l’auteur a commencé juste après la relocalisation. Kx’ô ẹ sakéne a servi de base pour le séjour. D’après un recensement effectué en avril 2000, 1002 |Gui et ||Gana habitaient dans le Kx’ôẹ sakéne au moment de l’étude. Comme notre équipe avait lancé plusieurs projets de recherches interdisciplinaires sur les |Gui/||Gana depuis les années soixante (cf. Tanaka, 1987), la population était habituée à la présence des chercheurs. En général les chercheurs ont besoin de quelques mois pour s’adapter à la vie dans le Kalahari. Pendant cette période, nous avons acquis un niveau de langue pour la conversation quotidienne dans les langues |Gui/||Gana, et pris connaissance des réseaux sociaux des résidents, etc. Nous avons participé aux activités qui exigeaient des déplacements sur de longues distances et interviewé les gens du camp au sujet de leurs pratiques de navigation. Toutes les communications, y compris celles avec les informateurs, se passaient dans les langues |Gui / ||Gana. Durant les activités, les « field notes » ont été enregistrées in situ. La figure 1est un exemple de « field notes ». Dans notre cas, la page gauche du field notes (16.5 × 9.5 cm) sert à noter les observations lorsque nous étions engagés dans une activité. Les observations sur les comportements particuliers ou les expressions verbales remarquables ont été notées en quelques lignes. En plus, nous avons souvent esquissé les visages humains, les objets créés, les outils, etc. Les croquis aidaient à mémoriser les situations et rassuraient les personnes soupçonneuses au sujet de nos activités. La page de droite du field note était laissée vierge et permettaient des ajouts ultérieurs à partir de nos souvenirs. Quelques activités et conversations ont été également enregistrées à l’aide d’un caméscope équipé d’un microphone électrostatique à condensateur. Durant l’enregistrement, nous nous sommes habituellement abstenus de regarder les participants à travers le viseur de l’appareil, pour réduire leur conscience de l’enregistrement. Des passages d’enregistrements ont été retranscrits avec l’aide des informateurs. Même si la retranscription est très coûteuse en temps, elle facilite grandement l’analyse du discours. Les transcriptions sont examinées ligne par ligne. Figure 1 . Un exemple de field note (carnet de bord). Traitement de données et analyse L'interaction est une procédure dynamique dans laquelle les compétences et les connaissances sont construites et re-construites continuellement. Un acte (verbal ou non verbal) influe sur l’acte qui le suit immédiatement. Nous analysons donc l’organisation séquentielle des interactions, comme dans le cadre d’une analyse historique, pour étudier l’influence de chaque acte (verbal et non verbal) sur celui de l’interlocuteur, avec au final la construction du sens. L'analyse prend aussi en compte les données ethnographiques (documents ethnographiques et observations de terrain) de sorte à comprendre comment le contexte guide l’enchaînement des actions. Nous proposons ci-dessous des exemples d’analyses. Trouver un chemin entre les obstacles L'information sur l’environnement devient publique lors des échanges qui ont lieu durant le déplacement. • Extrait 2 1 G : aa xoa ka kôõ [ aa qhǒro za ] Vas dans cette direction. Par là où cest dégagé. 2 D :[ah ahm] [ah ahm] 3 G: qhǒro(-si ka) ?átè cua kôõ, |qhari [ -zì xo ] dâo-sà ?ám Vers l’espace dégagé. On ne va pas (par là). [Autour des] arbres |qhari, le chemin est bloqué. Figure 2 . G (sur le siège arrière) tend sa main droite entre T (au milieu) et D (gauche). Ligne 1, G (un ||Gana d’une soixantaine d’années) utilise le démonstratif distal « aa » (là-bas) d’une façon explicative, avec un geste de pointage. Avant que G finisse sa phrase, T (un ||Gana âgé d’environ 18 ans) tend également sa main droite et pointe dans la direction indiquée par G (figure 2). Simultanément, D (un homme ||Gana d’une soixantaine d’années ) coupe la parole de G, lève la main droite et pointe dans la même direction que T, tout en prononçant « oh l’ahm, » qui est une modification du « aa » démonstratif distal(ligne 2). Suite au propos et à ce geste de D, G prononce une phrase incluant le qualificatif « qhǒro » (dégagé). Noter que même dans le buisson qui paraît dense, il y a des endroits couverts d’herbes de taille basse, et les |Gui/||Gana sont capables de localiser ces marques et de les interpréter pour trouver un « chemin » dans le Bushveld. Le mot « qhǒro » a manifestement indiqué un endroit couvert d’herbe. Ligne 3, après avoir répété le mot « qhǒro » qui est vu comme une « résolution commune », G utilise des expressions descriptives et complexes pour indiquer la direction. G baisse ensuite sa main droite, alors que T change graduellement le sens du pointage vers la gauche. Les gestes et l’expression sont apparus dans un espace riche en ressources pour la communication. Une de ces ressources était la configuration des gens dans le véhicule. G était assis sur le siège arrière et donc était hors de la vue de N, une femme japonaise d’une vingtaine d’années qui conduisait le véhicule. Comparé aux autres informateurs, G a utilisé des expressions descriptives mais complexes (en lignes 1 et 3). Cela signifie que le destinataire de ces propos n’était pas N, mais le jeune informateur T, qui était assis à côté du conducteur et était responsable de guider N. T indiquait la direction à N en utilisant la plupart du temps des gestes déictiques qu’elle pouvait voir. Avant ceci, N avait évoqué la difficulté de trouver le chemin en riant (non indiqué dans l’extrait). Les propos et les gestes étaient contingents avec le déplacement du véhicule. Par conséquent, le mouvement du véhicule a également fonctionné comme une ressource de communication. Basé sur les propos et les gestes de G, D, et T, N a orienté le véhicule dans la direction indiquée. Le rire a cessé. Ensuite, la conduite de N était coordonnée avec les gestes de T. En bref, G, D, T et N ont graduellement coordonné leurs actions durant cette séquence. L'ajustement de leurs actions montre qu’une compréhension mutuelle s’installait au sujet du choix de la direction à prendre. Arbres comme indices du paysage Les informations sur l’environnement peuvent être rendues publiques lorsque l’origine de l’information n’est pas perceptible (ici l’arbre en question non visible sur le moment) pour le locuteur et l’interlocuteur. Ceci est montré dans l’interaction suivante concernant un arbre. Bien que le Bushveld soit la plupart du temps couvert par des herbes, quelques arbres et arbustes sont également présents et servent de points de repères pour les déplacements. Les |Gui/||Gana peuvent identifier des arbres spécifiques. L'extrait 3 provient d’une conversation enregistrée dans le Kx’ôẹ sakéne. Cette conversation a eu lieu lors d’une visite à O (un homme |Gui d’une trentaine d’années) avec nos informateurs G et T. Nous évoquions un épisode où O et un autre homme s’étaient perdus sur le chemin du retour. Dans la dernière partie de la conversation, G décrit leur itinéraire. Noter que G est un chasseur expérimenté et a des bonnes connaissances de la géographie des alentours du Kx’ôẹ sakéne. • Extrait 3 1 O : [ sii ] sii ?owa ka itsebe sii [ ≠qx’oa ] [ arriver ], arriver, quand nous arrivons, ((nous allons)) [voir] ((l’arbre ||kâra)) 2 G : [ e : ] sii ?owa xa itso ?o ≠qx'o ?a (1.2) [ kua xa itso ] [eh ] quand ((tu)) arrives, tu verras ((l’arbre ||kâra ))(1.2), [ toi ] 3 O : [ aa ] aa | né__ ca ?ii ||kârasi= [ là ], cet arbre _kâra comme ça= 4 G : = àe | néẹ ta ?ii ||kârasi = Oui, arbre ||kâra comme ça Figure 3 . Durant l’échange, G (au milieu) reprend à chaque fois les phrases/gestes d'O (droite) presque à l’identique. À la ligne 1, O paraphrase la description donnée par G concernant l’itinéraire vers le grand arbre ||kâra (non indiqué dans l’extrait). Ainsi, O montre qu’il a compris le chemin en question. Ligne 2, G valide le propos de O avec un « e affirmatif, » suivi d’un propos dont le contenu et la prosodie sont presque identiques à ceux de O de la ligne 1. Avec cette répétition G confirme que O a correctement compris. La compréhension mutuelle entre G et O augmente quand ils conviennent de leur accord sur la forme du grand arbre ||kâra (lignes 3 et 4). Au début de la ligne 3, O mentionne le grand arbre ||kâra en utilisant deux fois le démonstratif distal « aa ». Le deuxième « aa » est exprimé comme une résolution commune. En utilisant le démonstratif proximal « né~e »(ceci), il dépeint la forme de l’arbre ||kâra en levant ses deux mains avec les paumes ouvertes. L'objet auquel il est fait référence devient alors « visible » pour les interactants, ce qui les pousse à utiliser cet objet comme ressource d’interaction. Dans l’échange suivant, après avoir signifié qu’il a compris (en utilisant l’affirmatif (àe) et en inclinant la tête), G reproduit l’expression/ geste précédents d'O (figure 3). En outre, G adopte un ton particulier de voix, montrant ainsi sa satisfaction. On comprend ainsi que G manifeste son accord avec le propos précédent de O et confirme que O a compris l’itinéraire. On voit ainsi que les interactants sont parvenus à une compréhension mutuelle à certains moments de l’interaction. Manifester un accord est un acte clef pour une compréhension mutuelle. Cette compréhension mutuelle est indispensable et permet de réaliser les navigations qui sont des activités collectives. Ceci peut prendre la forme d’une démonstration symétrique de la connaissance ; une telle démonstration a été admirablement réalisée dans l’exemple ci-dessus par la citation et la description de la forme du grand arbre ||kâra qui était hors de leur vue. Conclusion Lorsque les |Gui/||Gana parlent de leurs expériences, ils sont inévitablement impliqués dans la production de significations sociales. Les éléments linguistiques peuvent être considérées comme des ressources sémiotiques (Goodwin, 2000:1492) exploitées durant les interactions. Ici, nous avons analysé les interactions verbales et non verbales. Les diverses facettes des pratiques culturelles de |Gui/||Gana sontapparues à travers ces interactions. L'observation directe participante a permis de les observer de l’intérieur. Fondamentalement, notre stratégie pour conduire l’observation participante ne cherche pas « à fixer des pratiques objectives et subjectives (Clifford, 1986:109) » mais tente d’aboutir à deux types de compréhension, à savoir la compréhension mutuelle au cours de l’interaction naturelle et la compréhension théorique de son organisation séquentielle. L'association de ces deux ensembles de données permet de comprendre le processus de construction du sens. Références CLIFFORD, J. (1986). On ethnographic allegory. In J. Clifford and G. E. Marcus (eds.), Writing culture : The poetics and politics of ethnography (pp. 98-121). Berkeley, CA : University of California Press. GOODWIN, C. (2000). Action and embodiment within situated human interaction. Journal of Pragmatics, 32, 1489-1522. GOODWIN, M. H. (1990). He-said-she-said : Talk as social organization among black children. Bloomington, IN : Indiana University Press. MARCUS, G., & FISCHER, M. (1986). Anthropology as cultural critique : An experimental moment in the human sciences. Chicago, IL : University of Chicago Press. NAKAGAWA, H. (1996). An outline of |Gui phonology. African Study Monographs, Supplementary Issue, 22, 101-124. SACKS H., SCHEGLOFF E. A., & JEFFERSON, G. (1974). A simplest systematics for the organization of turn taking for conversation. Language, 50(4), 696-735. TAKADA, A. (2006). Explaining pathways in the Central Kalahari. In R. K. Hitchcock, K. Ikeya, M. Biesele, & R. B. Lee (eds.), Senri Ethnological Studies, No.70, Updating the San : Image and reality of an African people in the 21st century. Osaka : National Museum of Ethnology (pp. 101127). TANAKA, J. (1987). The recent changes in the life and society of the Central Kalahari. San. African Study Monographs, 7, 37-51. 1 Le lecteur intéressé peut se référer à Barthe 1999 ; Barthe, 2000 ; Barthe, 2003 ; Barthe & Quéinnec, 2005. 2 Aujourd’hui, la technique papier-crayon serait à remplacer par l’utilisation d’un ordinateur de poche PDA avec système d’exploitation Palm OS, qui permet un enregistrement des données temporelles et un transfert direct pour le traitement ultérieur. 3 Pour une définition précise des règles de codage voir Barthe (1999). 4 Traduit de l’anglais par Hiroko Norimatsu & Raoul Blin. 5 Dans les extraits, nous avons adopté l’orthographe proposée par Nakagawa (1996). Des notes libres sont placées immédiatement sous les expressions de |Gui / |Gana. Les propos sont transcrits selon une version modifiée des conventions développées par recherche d’analyse de conversation [pour plus de détails, voir Sacks et al. (1974)]. Les informations importantes pour les propos sont indiquées entre double parenthèses: (( )). Le signe égale (=) indique le propos qui continue ou celui qui a été interrompue par quelqu'un d'autre. La longueur des pauses est indiquée entre parenthèses en 10 de seconde [par exemple, (0.6)]. Le chevauchement temporel des propos est indiqué par les parenthèses carrées: [ ]. Soulignée indique les mots accentués. Les parenthèses simples indiquent les propos sur quelque chose qui était inintelligible ou non identifiée. Chapitre VII « Actogram Kronos » : un outil d’aide à l’analyse de l’activité Alain Kerguelen Introduction Actogram Kronos est un logiciel initialement conçu pour répondre aux besoins des ergonomes et psychologues du travail dans leur démarche d’analyse de l’activité. Les commodités ouvertes par le développement de la micro-informatique dans les années 80 (notamment l’apparition des ordinateurs de poche) ont donné la possibilité de recueillir des observations en temps réel dans des conditions beaucoup plus aisées que dans le passé. Ces facilités permettaient d’obtenir des observations plus détaillées, mais dont l’exploitation statistique ou graphique pouvait s’avérer en partie impraticable. Pour rendre plus opérationnels ces relevés, la définition de principes organisant les codages s’est avéré nécessaire. Ces principes se sont concrétisés dans la réalisation d’un outil général applicable à une grande variété de situations d’analyse. La principale caractéristique de l’outil était d’inciter fortement à une planification des observations en imposant la réalisation préalable d’un « protocole de description ». Simultanément au développement de la micro-informatique, les technologies de la vidéo ont rapidement évolué (portabilité, miniaturisation, passage au numérique). L'usage de la vidéo pour l’observation a aussi modifié la nature des corpus recueillis en leur donnant plus deprécision, autorisant des dépouillements plus fins en plusieurs étapes et surtout en donnant la possibilité d’associer analyse descriptive et auto-confrontations. Dans ce chapitre, nous présenterons tout d’abord la logique des « protocoles de description », les facilités que cette structuration des observations a pu induire en termes de production de statistiques comparatives et de représentation graphique du déroulement de l’activité. Mais nous soulignerons les limites de telles modalités de description pour rendre compte de dimensions moins directement observables de l’activité. 1. Les protocoles de description 1.1. Événements et états mutuellement exclusifs Un protocole de description est un tableau listant les codes des événements que l’observateur a choisi de relever. Ces codes sont regroupés dans des classes d'observables1. C'est la notion de classe d’observable qui va permettre d’associer une durée à un événement : Chaque événement est considéré comme générant un état qui sera interrompu par l’occurrence d’un événement de la même classe d’observable. Ainsi, si l’on s’intéresse aux déplacements d’une personne, lors de la définition du protocole de description, on regroupera dans la même classe « lieu » les codes associés aux lieux où la personne peut se trouver. Au moment de l’observation proprement dite, l’observateur relèvera les changements de lieux et leur moment d’occurrence. La durée de séjour dans un lieu sera déterminée par l’intervalle entre l’événement et le prochain événement appartenant à la même classe « déplacement ». On peut ainsi relever des types d’observables différents dans une même chronologie : déplacements, type d’actions, etc. On notera l’existence d’une colonne « recodage » qui permet de regrouper des codes d’événement dans une catégorie plus générale. On peut ainsi procéder à une lecture moins détaillée des données sans modifier les fichiers de relevés d’observation. Les autres colonnes per-mettent Figure 1 . Exemple de protocole présentant deux classes d’observable « LIEU » et « ACTIVT » : les codes associés à une même classe définissent des états exclusifs. notamment de définir des propriétés de présentation graphique des états. Contrairement à des grilles d’observation où l’on note à un moment prédéterminé l’état en cours pour chaque variable, on relève ici les changements d’états au moment où ils adviennent. Le fichier de relevés de données se présente donc sous la forme d’une liste chronologique d’événements horodatés. Figure 2 . Exemple de relevé d’observation. Pour une classe d’observable donnée, la liste des codes doit recouvrir l’ensemble des états possibles pour cette classe d’observable (on peut pour cela ajouter un état « autre »). En conséquence, à chaque moment de la période de relevé un état et un seul est défini pour chaque classe d’observable. Ceci facilite la mise en œuvre de deux fonctionnalités du logiciel : la réalisation de graphes d’activités et l’obtention de statistiques sur les durées. 1.2. Les graphes d’activités La visualisation des relevés sous la forme de graphe d’activité est sans doute la première fonctionnalité recherchée après une observation. Les graphes d’activité sont bien sûr un outil de vérification de la cohérence des observations et mais ils sont surtout un outil pour repérer visuellement les caractéristiques pertinentes des situations observées (évolutions, simultanéités entre catégories de classes d’observables différentes, périodes spécifiques, etc.), caractéristiques qui pourront être formalisées dans un deuxième temps par les biais d’indicateurs statistiques ou par l’identification de séquences d’état. Dans Actogram Kronos, les graphes d’activités sont des représentations chronologiques où le temps est représenté en abscisses et les états par des lignes ou des surfaces. Figure 3 a. Observation d’un opérateur chargé d’une ligne d’embouteillage. Ses déplacements, la direction de ses regards et ses actions ont été relevées par deux observateurs. Représentation des directions de REGARDS et des LIEUX par des lignes, des types d’interventions (ACTIVITÉ) par des motifs. L'utilisateur peut définir la période à afficher et dispose de choix de présentation par classe d’observable et par état : lignes horizontales (avec ou sans ligne de suivi verticales), surfaces avec motifs colorés, symboles, intitulé du code. De plus, si une classe est représentée par des surfaces, elle peut être placée en arrière-plan d’une autre classe, ce qui permet de mettre en relation une classe par rapport à une autre. Figure 3 b. Observation d’un opérateur chargé d’une ligne d’embouteillage. La même période que sur la figure 3a avec représentation des états par des surfaces et positionnement relatif des classes d’observable. Les déplacements apparaissent en ordonnée, les directions de regards sont représentées à l’intérieur des rectangles de déplacements, le type d’action est représenté en arrière-plan des déplacements et les communications en arrière-plan général. En fait, les graphes d’activités peuvent rendre compte visuellement de la quasi-totalité des informations présentes dans un relevé : la fréquence des événements, la durée des états et leur variabilité, les éventuelles dépendances entre classes d’observables, les évolutions, etc. Ainsi, au cours d’une intervention ergonomique, ils seront utilisés pour restituer les observations, mais pourront aussi servir de support à la production d’explicitations et de commentaires par les acteurs de l’activité observée. 1.3. Statistiques sur les durées d’état Le temps peut, en premier lieu, être considéré dans sa dimension “durée” : les descriptions statistiques qui en découlent sont alors classiques : on peut produire des fréquences d’états, des durées moyennes et procéder à des comparaisons ou à des mises en évidence d’évolutions. Actogram permet ainsi l’obtention de diverses statistiques usuelles : – sur les durées d’état en répartition (par exemple : 40 % du temps est consacré à tel type d’activité) et en distribution (ex : cette activité est réalisée en peu de fois mais à chaque fois longtemps ou en beaucoup de fois de courte durée) ; – sur les simultanéités d’états (ex : que fait-on à tel endroit ?). Actogram, par le biais de la définition de « conditions », permet de mettre en œuvre et combiner deux types de comparaisons. • Le premier type de comparaison est relatif à des relevés correspondant à des situations bien différenciées selon les périodes d’observation : Par exemple, si l’on veut comparer des situations selon le moment dans la journée ; ou si l’on veut comparer un travail effectué selon l’utilisation de tel ou tel outil. Les unités de comparaison correspondront dans ce cas aux différents fichiers de relevés de données. • Le second type de comparaison correspond à des variables qui changent pendant les périodes d’observation. Dans ce cas, l’observateur doit avoir noté ces changements en tant qu’événements définissant un état de la situation ou des personnes observées, déterminant ainsi des périodes particulières dans les données d’observation. Le logiciel permet alors, pour l’élaboration des statistiques, de ne considérer que les portions de fichiers correspondant par exemple à des circonstances particulières, à une sous-tâche ou à un état de l’opérateur. Pour cela, l’utilisateur définit une condition sur une ou plusieurs catégories ; cette option, associée aux possibilités de recodage, autorise toutes les partitions de fichier possibles pour peu que les événements nécessaires à ces partitions figurent dans les fichiers de données. 1.4. Les limites des protocoles de description Le découpage en états mutuellement exclusifs opérationnalise le traitement des données d’observation. Mais le type de description induit par ce découpage permet-il toujours de rendre compte de la manière la plus appropriée des situations observées ? Dans de nombreux cas, le découpage en catégories exclusives peut se révéler arbitraire surtout lorsque l’on caractérise des comportements. Le découpage peut être clair et explicite du point de vue des indices visuels qui concourent à la catégorisation par l’observateur mais ne pas correspondre à une description appropriée pour rendre compte des objectifs poursuivis par l’acteur. Prenons l’exemple d’une opératrice chargée d’une machine fabricant des pièces en plastique. Elle doit approvisionner la machine, trierles pièces qu’elle produit en le répartissant dans des bacs différents, nettoyer, opérer des opérations prescrites de contrôle qualité, etc. Le protocole de description pourra contenir les codes suivants : Approvisionnement, Tri, Nettoyage, Contrôle Qualité. En fait, les échanges avec l’opératrice font apparaître que l’activité de contrôle de la qualité des pièces ne se réduit pas à la seule période de contrôle qualité prescrite mais prendra place aussi notamment pendant le tri ou elle évalue la dérive progressive de certains aspects des pièces fabriquées. Le danger est, en se fiant à l’intitulé des codes d’observation, de produire une représentation erronée du travail réel de l’opératrice. Bien souvent un comportement ou un événement sera plus naturellement décrit par l’observateur par une combinaison de qualificatifs. Nous verrons plus loin quelles solutions peuvent être proposées pour combiner un codage exclusif qui permettent de répondre aux exigences d’un repérage temporel non ambigu et un codage plus apte à rendre compte de dimensions plus complexes de l’activité. Cette question de l’objet des codages et de leur forme constitue avec la prise en compte de la dimension temporelle de l’activité les deux enjeux propres à la description de l’activité. 2. Les enjeux de la description de l’activité 2.1. La prise en compte de la dimension temporelle La prise en compte de la dimension temporelle se pose à deux niveaux : – au niveau des relevés où il s’agit pour l’essentiel d’un problème technique lié à la notation du temps ; – au niveau de son analyse et de sa restitution. Avant l’apparition des systèmes disposant d’une horloge interne la prise en compte de la dimension temporelle ne pouvait s’appuyer que sur des techniques fastidieuses ou difficiles à mettre en œuvre : cinéma, enregistreurs graphiques, relevés horodatés manuels. • Les enregistreurs d’événements L'usage des micro-ordinateurs de poche permettant le relevé du temps au moment de l’encodage d’un événement et par ailleurs la possibilité d’accéder au repérage temporel interne des vidéos a permis des relevés en temps réels plus précis et des dépouillements vidéo notablement facilités. Concernant les relevés en temps réel, l’enregistrement automatique du temps n’a pas réduit à lui seul les difficultés de relevés chronologiques. La possibilité de recourir à des méthodes d’encodage réduisant le recours à la mémoire de l’observateur et le délai même de saisie. Actopalm est un programme pour Assistant Personnel (PDA) sous Palm OS. Il permet de définir un protocole de description sous la forme d’un dessin constitué de zones sur l’écran tactile du PDA. À chaque zone est associé un code lui-même affecté à une classe d’observable. Quatre pages sont disponibles. L'utilisateur peut profiter d’une structuration spatiale ou logique des observables pour définir une organisation similaire sur l’Assistant Personnel Le relevé se fait en « cliquant » sur les zones, l’horodatage et le code associé à la zone sont enregistrés. La zone de saisie de caractères alphanumériques peut aussi être utilisée pour entrer un caractère qui pourra être utilise comme un code dans Actogram où que pourra servir de point de repère pour des commentaires. Les relevés et les protocoles de descriptions issus des dessins sont rapatriés sur ordinateur PC Windows par simple synchronisation. Figure 4 . En haut : définition de zone avec attribution d’un code et d’une classe d’observable. En bas : réalisation du relevé en cliquant sur les zones. • Les dépouillements de vidéo Les facilités d’encodage et de mise en relation entre les fichiers de dépouillement et les films dont ils sont issus contribuent aussi à la qualité des données. Le dépouillement de vidéo est réputé long et fastidieux. Il est maintenant grandement facilité par l’intrication de la vidéo numérique et de la micro-informatique. La vidéo numérique transforme profondément le traitement des enregistrements vidéo. Elle permet bien sûr un archivage simplifié mais surtout elle facilite le dépouillement en permettant un horodatage automatique et précis (il fallait auparavant disposer d’équipements coûteux et spécifiques pour obtenir les mêmes fonctionnalités en vidéo analogique). Elle permet aussi une mise en relation permanente entre les données codées et les images enregistrées. Figure 5 . Écran de pilotage vidéo. Actogram Kronos permet le pilotage de films numérisés. La vitesse, le sens de lecture peuvent être ajustés soit au clavier soit à la souris. Une petite zone de contrôle avec la souris permet l’arrêt ou la relance du défilement à la vitesse précédant l’arrêt et des positionnements précis sur une image grâce à des « mouse gesture » (mouvement de la souris). Un clic avec le bouton droit fait apparaître un menu local affichant les codes du protocole de description. Les codes sont insérés dans le relevé en respectant la chronologie. Inversement, un clic sur le numéro dans un événement positionne le film sur le moment d’occurrence de l’événement. Un des intérêts de ce type de dépouillement et de permettre des analyses en plusieurs étapes (par observable par exemple ou encore d’un codage grossier à un codage plus détaillé) la chronologie des événements étant automatiquement reconstituée par le système. Le fait de pouvoir revenir sur ce qui précède ou consulter ce qui suit un événement peut contribuer à mieux catégoriser cet événement. Un intérêt plus fondamental est de pouvoir obtenir des explicitations des personnes observées en les confrontant à l’activité filmée et à partir des verbalisations recueillies produire de nouveaux encodages plus interprétatifs. • Restituer la dimension temporelle L'inscription de l’activité dans le temps conduit à de nombreuses dimensions de description qui ne se réduisent pas à la seule durée : simultanéité, antécédence, enchaînements. Si ces dimensions peuvent être appréhendées visuellement par les graphes d’activité, elles sont plus difficiles à synthétiser dans des indicateurs pouvant conduire des comparaisons statistiques standard. On peut bien sûr établir des matrices de transition qui permettre de répondre à des questions du type : « que se passe-t-il après tel événement ? ». Mais la construction d’indicateurs visant à identifier des structures plus complexes dans l’enchaînement d’événements et d’actions pose des problèmes délicats dus : - aux effets de la granularité des descriptions : Un degré de finesse élevé ainsi que le niveau d’exhaustivité dans la description sont susceptibles de générer un « bruit » masquant les enchaînements significatifs ; - au choix des classes d’observables à prendre en compte ; - au risque d’une définition trop stricte des séquences faisant prendre en compte des effets d’ordre non pertinents pour l’analyse (une séquence A-B-C-D peut être considérée comme non différente de A-C-B-D). Ces considérations ont conduit non pas à proposer une procédure complètement automatisée pour synthétiser des enchaînements, maisplutôt une démarche qui permette à l’analyste de contrôler la construction de ces séquences : – ces séquences peuvent présenter des « jokers » (le cas échéant limités à une classe d’observable). Le système retournant les événements effectivement trouvés dans le corpus de données ; – elles peuvent présenter des alternatives permettant de synthétiser dans un seul graphe différents chemins possibles. Simultanément, à toutes ces étapes d’analyse, l’utilisateur peut jouer sur le mode de lecture du corpus de données en sélectionnant les classes d’observables et les items comportementaux à prendre en compte. Figure 6 . Exemple de décompte de séquence. Comparaison de modes opératoires de deux opérateurs sur une chaîne de montage. À gauche, l’opérateur regroupe les phases d’approvisionnement de petites pièces (Appro_PP en gras). À droite l’opérateur les répartit dans le cycle de montage. Les nombres indiquent le nombre de fois ou un « chemin » a été emprunté. 2.2. Catégorisations descriptives et interprétatives Comme on l’a vu plus haut, la nature des objets codés (comportement élémentaire ou finalités des comportements) conditionne les modalités d’encodage. Ainsi certains événements ne font pas appel à l’interprétation pour procéder à un encodage : l’événement observable en lui-même contient les informations nécessaires au codage. Ainsi des observables élémentaires relatifs aux comportements comme les déplacements (les localisations), les postures, la tenue ou non de tel ou tel outil, les directions de regards permettent aisément des catégorisations exclusives. On remarquera que ces observables élémentaires sont généralement à référence spatiale. En revanche, tout encodage relatif à l’activité en termes d’actions, de réalisation de tâches suppose l’inférence de buts poursuivis par l’acteur observé et donc une part d'interprétation2. Ceci est particulièrement le cas de l’encodage du contenu de communications verbales qui nécessite une connaissance du contexte immédiat, de la tâche réalisée, du langage professionnel. Mais la part de l’interprétation dans l’encodage d’action peut être plus ou moins importante : Une même action peut être décrite en terme de transformation visible de l’objet sur laquelle elle porte ou décrite en terme de but poursuivi par l’opérateur ce qui dans ce dernier cas implique une inférence de la part de l’observateur. De même, certaines caractéristiques des communications verbales peuvent être encodées sans recourir à l’interprétation : locuteur, média et parfois objet de la communication. En fait, la nature interprétative de l’encodage ne dépend pas uniquement de l’événement considéré mais de la relation entre cet événement et les capacités de l’observateur-encodeur. Cette relation est de plus affectée par les conditions de l’encodage : un encodage en temps réel relatif à des événements dont la fréquence est élevée va conduire l’observateur à minimiser la part d’interprétation. Les mêmes événements enregistrés par la vidéo peuvent être vus en tenant mieux compte du contexte, de ce qui les précède ou les suit, ils peuvent être soumis à l’opérateur luimême. Ce moment de l’encodage par rapport au déroulement même de l’activité va jouer sur la forme des codes utilisés : plutôt des codes nominaux simples pour les relevés direct, plutôt des combinaisons de codes plus riches pour les encodages a posteriori. La nature du codage va donc dépendre de trois facteurs en partie interdépendants : - de la nature de l’observable ; - du mode de relevé utilisé par l’observateur : relevé direct, relevé différés à partir d’enregistrements, encodage sur un corpus de données « brutes » préalablement relevées ; - de la part d’interprétation nécessaire à l’encodage. Pour dépasser ces limites nous avons proposé d’établir une distinction entre codages descriptifs et codages interprétatifs3. – Les codages descriptifs correspondent à des catégorisations reposant sur des indicateurs directs et non ambigus. Lorsque la fréquence des événements n’est pas trop élevée, ces codages peuvent être effectués en temps réel avec un enregistreur d’événement notamment. Ils sont appropriés pour des observables élémentaires : déplacements, postures, directions des regards, etc. – Les codages interprétatifs peuvent mettre en jeu des connaissances spécifiques de l’observateur, faire appel à des éléments du contexte. Ils sont effectués a posteriori à partir de supports enregistrés ou de relevés descriptifs. Ils sont appropriés pour encoder des comportements complexes, des communications verbales. Ces considérations ont conduit à doter le logiciel Kronos4 de deux niveaux d’encodage. – Le premier niveau (implémenté depuis l’origine du logiciel) est plutôt destiné à accueillir des encodages peu interprétatifs. Ils peuvent être le produit d’observations directes, de dépouillements systématiques d’enregistrements, de relevés de mesures (les variables numériques présentées plus loin) ou de transcription de communications verbales. Ces « événements » doivent être clairement situés dans le temps. Ce niveau d’encodage peut être qualifié de plutôt descriptif. – Le second niveau d’encodage permet de « qualifier » par la combinaison de codes intitulés « attributs interprétatifs » les événementsreportés dans le codage descriptif. Ces attributs sont organisés hiérarchiquement. Ce point est le plus important car il répond à une des limites des encodages interprétatifs. En effet, la précision qualitative de ces encodages dépend de deux facteurs qui peuvent varier au regard des données traitées et au sein d’un même corpus : la disponibilité d’informations permettant les inférences et le niveau de connaissance de l’encodeur. Une telle organisation permet d’ajuster la précision de l’encodage au degré de certitude de l’analyste. Un exemple de codage hiérarchique est donné dans l’étude présentée par B. Barthe dans ce même ouvrage. L'affectation d’un codage par attribut peut se faire sur un événement donné ou sur une suite d’événements (voir infra figure 11). 2.3. Intégration des différentes composantes de l’activité dans un même corpus Les éléments pouvant rendre compte de l’activité ne se réduisent pas aux comportements observables visuellement : des mesures physiologiques (la fréquence cardiaque par exemple), les transcriptions de communications verbales sont autant de composantes de l’activité. Les mesures sont généralement des variables numériques à l’opposé des relevés comportementaux qui correspondent à des variables nominales. Mesures physiologiques ou d’environnement, comportements, échanges verbaux sont souvent appréhendés les uns indépendamment des autres. Kronos propose d’intégrer ces différents éléments dans un même relevé chronologique afin de pouvoir les analyser conjointement. • Les variables numériques Une mesure (une variable numérique) peut être relevée par un observateur (nombre de personnes à une file d’attente) ou enregistrée avec un équipement spécifique (ainsi Actogram Kronos pour Windows lit les fichiers produits par les cardio-fréquencemètres de marque Polar™). Contrairement aux séries chronologiques où les valeurs présentent des intervalles de temps régulier, une mesure peut être relevée au moment où sa valeur change (file d’attente, réglage de la vitesse d’une machine) et doit donc être horodatée comme un événement. Un paramétrage doit de plus indiquer si sa validité de la mesure porte sur la période qui suit l’événement (le nombre de personne à une file d’attente) ou le précède (comme les mesures d’un cardio-fréquencemètre) ; Ainsi par le biais des conditions évoquées plus haut, on peut obtenir des statistiques différenciées sur une variable numérique en fonction de ce qui est réalisé par un opérateur. Figure 7 . Relevé de fréquence cardiaque en relation avec une observation systématique. Le graphique permet d’identifier le type d’activité en cours (Passage papier) et la posture adoptée (Penché) au moment d’un pic d’augmentation de la fréquence cardiaque (autour de 2 :05). (Observations réalisées par M. Gautreau et B. Bayle, travaux non publiés). • Les communications verbales La prise en compte des échanges verbaux est essentielle à la compréhension des dimensions collectives de l’activité et à la description des interactions interpersonnelles. En insérant les communications verbales dans un relevé chronologique, elles pourront être analysées en fonction de leur contexte. L'aspect descriptif de la communication consiste alors en l’identification du locuteur, la transcription de la communication et la durée de la communication. L'encodage du contenu de la communication va pouvoir se faire par le biais des attributs interprétatifs. Là aussi les analyses croisées entre les composantes verbales et les autres composantes comportementales pourront se faire par le biais des conditions. La possibilité de traiter conjointement des variables relatives à l’activité de nature différente constitue un enjeu important afin de produire des descriptions qui rendent compte des diverses dimensions de l’activité et des situations étudiées. Figure 8 . Affectation des attributs interprétatifs (partie basse de la fenêtre) à un relevé incluant des transcriptions de communications. Conclusion Le développement futur des technologies donnera des facilités encore accrues pour relever, dépouiller et analyser les données d’observation. Mais ces outils ne peuvent pour autant se substituer à l’analyste pour constituer des plans d’observation et des indicateurs propres à produire des descriptions adéquates aux situations observées. L'activité humaine est singulière, elle ne se prête pas à des catégorisations préétablies et les questions auxquelles on veut répondre en l’observant doivent s’intégrer dans un cadre méthodologique plus général approprié au but poursuivi : élaboration de connaissances générales, intervention ergonomique ou psychosociale, analyse du travail préalable à la formation, etc. Sites web des logiciels KERGUELEN A. (2001-2003). Actogram Kronos pour Windows, Édition Octarès, Toulouse. Actogram Kronos : http://www.actogram.net KERGUELEN A. (1999). ActoPalm pour PalmOS, Édition de l’ANACT, Montrouge. http://w3.ltc.univ-tlse2.fr/kerguelen/actopalm/actopalm.html KERGUELEN A. (1994-2000). Kronos 2.3 pour MacOS, Édition de l’ANACT, Montrouge : http://w3.ltc.univ-tlse2.fr/kerguelen/kronos/kronos.html 1 La notion de classe d’observable est assimable à la notion de variable nominale, les catégories d’une classe d’observable constituant les modalités de cette variable. 2 Par interprétation, nous entendrons ici la nécessité de mettre en relation des connaissances générales ou des informations issues du contexte. 3 Il s’agit ici d’interprétations “locales” relatives à des actions et non d’interprétation à un niveau plus élevé visant à modéliser des stratégies. 4 Ces fonctionnalités ont été implémentées uniquement dans la version 2 de Kronos pour Macintosh. – Index – A Actogram Kronos, 42, 142 Actopalm, 149 Analyse de l'activité, 142 Analyse de l’organisation séquentielle, 132 Analyse de séquence, 40, 100 Analyse de simultanéité, 41 Analyse du mouvement en 3D, 71 Attributs interprétatifs, 154 C Calibration, 74 Catégorie de comportement, 19 Catégories descriptives, 20, 153 Catégories interprétatives, 20, 153 Causes d’un comportement, 7 Cinématique du mouvement, 71 Classe de comportement, 19 Codage binaire, 28, 51 Codage complet et continu, 31 Codage continu, 82 Codage descriptif, 93, 154 Codage hiérarchique, 155 Codage interprétatif, 94, 154 Codage par attribut, 155 Comportement, 7 Comportement provoqué, 10 Comportement spontané, 9 Consentement éclairé, 18 Contexte, 43 Contrôle de la fiabilité des données, 37 Contrôle Inter-observateurs, 37 Contrôle Intra-observateur, 37 D Démarche de recherche, 6 Dénombrement des événements, 23 Déontologie, 17 Dépouillements de vidéo, 150 Dimension temporelle, 148 E Échantillonnage ad libitum, 26 Échantillonnage complet et continu, 100 Échantillonnage du temps, 28 Échantillonnage par balayage, 27, 120 Échantillonnage par balayage instantané, 30 Échantillonnage par comportement, 28 Échantillonnage par focalisation, 26, 108 Échantillonnage par focalisations successives, 120 Échantillonnage par présence ou absence, 28 École de Chicago, 14 Enregistreurs d’événements, 148 Essai d’observation systématique, 16 États, 143 Éthique, 17 Éthologie, 6-7 Étude ethnographique, 14 Étude qualitative, 14 Événements, 143 F Fiabilité des données, 36 Field notes (carnet de bord), 13, 132, 136 Fonction d’un comportement, 8 Fréquence, 24 Fréquence relative, 82 G Graphes d’activités, 145 Grille de codage du comportement, 19 I Interprétation des comportements, 42 K Kappa de Cohen, 38 Kappa de Fleiss, 37 Keepon, 61 L Liste d'attributs interprétatifs, 113 M Marqueurs actifs, 75 Marqueurs corporels, 74 Marqueurs passifs, 75 Mesure d’intensité, 24 Méthode de Magicien d’Oz, 32, 59 Méthodes d'échantillonnage, 25 Modalités, 19 O Observateur invisible, 15 Observateur visible, 15 Observation, 6 Observation avec un Palm OS, 11 Observation d'un groupe, 108 Observation directe, 6 Observation en laboratoire, 9 Observation exploratoire, 15 Observation filmée, 51, 90 Observation indirecte, 7 Observation informelle, 15 Observation naturaliste, 9, 100 Observation non participante, 14 Observation papier-crayon, 11, 108 Observation par enregistrement audio, 12, 120 Observation par enregistrement vidéo, 12 Observation participante, 13, 59, 132 Observation sans support d'enregistrement, 10 Observation spontanée ou informelle, 15 Observation systématique, 17 Occurrences, 23 Ontogenèse, 8 P Palm OS, 149 Participation active, 13 Participation périphérique, 13 Phylogenèse, 8 Pilotage vidéo, 150 Plan d’observation, 16 Protocoles de description, 143 R Relation entre observateur et observé, 13, 132 Relevé de la durée, 24 S Séquence, 152 Supports matériels, 10 Synchronisation des vidéos, 73 Syntaxe alternée, 82 T Taux d'accord en pourcentage, 37 Technique d’observation des nourrissons d’Esther Bick, 33 Technique de recueil de données, 6 Temps d’intervalle, 25 Temps de latence, 25 V Validité des données, 36 Variable, 19