« Je te demande expressément de ne pas mentionner mon vrai
nom, afin d'éviter à mes parents tout risque de complexe de
supériorité ou d'infériorité...
« Tu utiliseras l'un de mes noms d'emprunt, celui que
j'affectionne le plus : Wangrin. »
Chaque nuit, après le dîner, de 20 à 23 heures, parfois jusqu'à
minuit, Wangrin me racontait sa vie. La conversation se déroulait
aux sons d'une guitare, dont jouait excellemment et infatigablement
Dieli-Madi, son griot. Il en fut ainsi durant trois mois.
Indépendamment de ce que je récoltai ainsi de la bouche même
de Wangrin et que je notai soigneusement, j'eus la bonne fortune,
par la suite, d'être amené à servir dans tous les postes où Wangrin
était passé, pouvant ainsi largement compléter mes informations
auprès de tous ceux qui avaient été mêlés sur place à ses aventures.
Quant à la dernière phase de la vie de Wangrin, j'en dois le récit
non seulement à Dieli-Madi, son griot, qui resta à ses côtés dans la
gloire comme dans la décadence, mais également à Romo, qui fut
son principal adversaire et qui cependant eut paradoxalement
l'honneur de présider, avec un cœur sincèrement serré, aux
obsèques de celui qu'il n'avait cessé de combattre. La mort avait
réalisé plus que la force, la ruse et la jalousie. Devant la dépouille de
Wangrin, Romo, ému, regretta, pardonna et demanda son pardon.
J'ai donc fidèlement rapporté tout ce qui m'a été dit de part et
d'autre dans les termes mêmes qui furent employés. Je n'ai
modifié — à quelques rares exceptions près — que les noms propres
des personnes et des lieux, pour mieux respecter l'anonymat
souhaité par Wangrin.
Qu'on ne cherche donc pas, dans les pages qui vont suivre, la
moindre thèse, de quelque ordre que ce soit —politique, religieuse ou
autre. Il s'agit simplement, ici, du récit de la vie d'un homme.
Mais sans doute mes honorables lecteurs voudront-ils avoir
quelque idée de l'homme dont on va leur conter l'étrange et
tumultueuse histoire.
Qui était Wangrin ? C'était un homme foncièrement bizarre en
qui qualités et défauts contradictoires se trouvaient si mêlés qu'on
ne pouvait, de prime abord, le définir et moins encore le situer.
Éminemment intelligent, Wangrin était truculent au superlatif
absolu. Il était tout à la fois on ne peut plus superstitieux et
farouche incrédule à ses heures. Concussionnaire implacable et
même parfois féroce avec les riches, il n'avait jamais cessé d'être un