POURQUOI JE FAIS DES MATHÉMATIQUES Author(s): S. Mandelbrojt Source: Revue de Métaphysique et de Morale, 57e Année, No. 4 (Octobre-Décembre 1952), pp. 422429 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40899679 Accessed: 12-02-2016 10:47 UTC Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at http://www.jstor.org/page/ info/about/policies/terms.jsp JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Revue de Métaphysique et de Morale. http://www.jstor.org This content downloaded from 147.8.31.43 on Fri, 12 Feb 2016 10:47:24 UTC All use subject to JSTOR Terms and Conditions JEFAISDESMATHÉMATIQUES POURQUOI ou lorsqu'onexpose oraLorsqu'onécritun Mémoiremathématique un tel lementdes résultatspersonnels, on dit rarement : « /'ai démontré » ou « je vais exposermonprincipe». On est modeste- il y a théorème une certaineéthique,d'ailleursfausseet hypocrite. On croitqu'il est « « avons démontré nous allons décent de nous dire : », plus exposer...». Je faisexactement commeles autres,et souvent,après avoirparléd'un Mémoireécriten communavec un autre auteur,j'ai toutesles peines du mondepourciterun travail,faittoutseul,à trouverune formeavec un« nous»qui indiquequ'ils'agittoutde mêmede moiet nonpas de moi et d'un collaborateur. Si doncj'ai choisicommetitrede cettecauserie: ( Pourquoije faisdesmathématiques », c'est que je ne désireengagerla mes d'aucun de collègues.Je vais, peut-être,affirmer responsabilité des chosesqui sonten désaccordcompletavec ce que pensentmes camarades.En un mot,je ne prétendspas, et ne désired'ailleursnulleaimonsnotrescience; je ne ment,direpourquoinous,mathématiciens, sontstrictement mêmepas le savoir.Mes affirmations personprétends nelles,liest, d'autrepart,probablequeje diraidesbanalités- peut-être pas rienque des banalités- qui ne fontque traduiredes sentiments 6. communs,non seulementà ceux qui s'occupentdes mathématique maisencorecommuns à tous ceux qui aimentune disciplinequelconque ou aimant en un mot,à tous ceux qui cherchent, de l'esprit,communs, du moinsdes vérités. sinonla vérité, à chercher, Dans ma jeunesse,j'appartenaisà la catégoriedes gens quin'avaient aucuneambitiond'ordrematériel.Je le dis sans fiertéou modestie■ vais ce mieux Uate il est important le cr expliquer que je pour que je direplus loin. Je vivaisd<x in milieuoù l'on aimaitet respectaitla commesacridans , i milieuoù l'on considérait penséepourelle-même, et le fait d'être entre un scientifique lège rapprochement quelconque éventuelà une situationmatériellequelconque.Le un aboutissement This content downloaded from 147.8.31.43 on Fri, 12 Feb 2016 10:47:24 UTC All use subject to JSTOR Terms and Conditions - pourquoi je fais des mathématiques.423 S. MANDELBROJT. de celui qu'on à ce pointde vue, n'étaitpas différent comportement, constatecheztantde peintres et de poètes,non académiques.L'amour commeune bénédicde la scienceet un certaintalentétaientconsidérés la de nourriture terrestre tion du ciel suffisante la question pour que heureusement heureusement ou (du moins, paraissenégligeable. Hélas, Ces ma mentalitéa dû subirpas mal de changements. pourma famille), relative la dus sont à changements qui est prospérité probablement voie de la n'ai donc choisi veux seule. le toute Je Tenue,je pas croire, la Sciencepourdes raisonsmatérielles. La Sciencene représentait pas le pour moi une des carrièrespossible.D'ailleurs,encoremaintenant, » me choque,surtoutlorsqu'ilsuitle mot« Science». Je mot« carrière le dis, touten sachantque cette affirmation peut paraîtrehypocrite, venantde la part toutau moinsà quelquesjeunes,futursscientifiques, d'un « professeur arrivé». Je viensdoncd'écarterles raisons« sordide» de notreamourde la Science(là, je croisdevoirdire mentmatérielles « notre»). Lorsqu'on envisage les mathématiquesuniquementcommepartie du mondede la vérité,on est nécessairement porté,dans sa jeunesse, versune penséephilosophique. Les mathématiques qu'on faitsubirà nos adolescentssont si souventdépourvuesde toute inspiration,que c'est en faisantvenirdes élémentsde l'extérieurdu mondepurement chercheà satisfaire -mathématicien mathématique que le jeune candidat le mondeextésa nostalgiemétaphysique. veut comprendre Lorsqu'on rieuret qu'on aime les mathématiques, touten en connaissantpeu, on le monde est tout naturellement soit à interpréter amenéà chercher, abstraitpar les mathématiques, à donnerun sens soit, au contraire, aux phénomènesmathématiques. Que les philosophes métaphysique de ma ici présents veuillentbienm'excuser: ces velléitésphilosophiques tellementprofondes, jeunesseontsubi des transformations qu'il a fallu l'invitation dansson Collègequi est de M. Wahl de faireune conférence cet adjectif- j'ai peur pourque j'ose mêmeprononcer philosophique, un mot dontle sens profondpeut m'échapper. de prononcer Maisil fautque je le dise : mondésir,trèsfort,de faireles mathémale mondeextétiquesprendson originedans la volontéde comprendre de ce „ rieur.Et j'avoue, que c'est encorela nostalgiede la connaissance le motif mondeextérieurqui constitue,je crois pouvoirl'affirmer, essentiel,ou peut-êtremêmele motifunique,de mes préoccupations » n'a plus du tout Mais voilà,le mot« mondeextérieur mathématiques. ou que dans les philosophes, peurmoice sensgrandiose que lui attribuent ma naïvetéje croyaislui donnerlorsquej'étais jeune. Je vois maintenant un faitimportantdu mondeextérieurdans une belle inégalité, dansle caracdansla manièredontsontdistribués les nombres premiers, la ou dans distribution tèred'un pointsingulier d'unesériede Dirichlet, des valeursprise par une fonction entière.Ces faits,me semble-t-il, mondeextérieurdansle sensle et du fontpartiedu mondeextérieur, This content downloaded from 147.8.31.43 on Fri, 12 Feb 2016 10:47:24 UTC All use subject to JSTOR Terms and Conditions 424 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE. plusélevé. Jen'arrivepas, ou je n'arriveplus,sans que pourcela je me sentedégénéré, en importance entreune affirà concevoirune différence mationmathématiquequelconque qui intéresseles mathématiciens, du moinsles mathématiciens de la grande dits« purs»,et une affirmation Il métaphysique. faut,bien entendu,que je précise,autant que cela se peut, le genre d'affirmations les mathématiques qui « intéressent mon mieux. de mathématiciens et tâcherai de le faire Mais, purs», je de vousdireque lorsqu'onauradémontré dèsmaintenant, permettez-moi que l'ensembledes nombres jumeaux,comme3-5,11-13,17-19, premiers est infini,je me sentiraiaussi satisfait,aussi heureux,que lorsqueje finirai plus clairede l'expensionde l'Univers. par avoirune conception En quoi consistel'intérêtd'un faitmathématique ? Le mot« intérêt», » - je préfère ou le mot« intéressant d'ailleurs« intéressant »,carj'ai une du savanttraduit mieux le désintéressement vagueimpression qu'il est choisiun peu au hasard.Il a l'avantage d'êtreassez neutreet je puis lui attacherplus librementdes attributsà ma guise. Je pourrais éventuellement dire ou penser(sans le dire) avec peu de gêne que je trouveun phénomène intéressant ; parce que... je le trouveintéressant il me seraitplus difficile avec le mot« imporaussi cavalièrement d'agir tant», auquel on attachetropde sens matériel.Pour que je puisseuti» avec plusde liberté, il faudrait liserce mot« intéressant que vousabanne Surtout donnieztoute interprétation regardezpas le dicpréconçue. tionnaire. un faitmathématique Pourêtreintéressant doit,avanttout,êtrebeau. Un théorèmepeut être,et doit être,beau commel'est, je m'imagine un poème.Je dis « je m'imagine» car,étanttout de mêmeun professionneldans une branchede l'activitéde l'esprit,j'ai souventpeu de émis par ceux qui, tendressepour,les jugementssurles mathématiques croienty voirclair; je n'ose doncpas croire sans êtremathématiciens, éprouveren lisantun poème,ou en que je puis, moi mathématicien, regardantun talbeau,le mêmeplaisir,sentirla même beauté que le Je dis donc qu'un mathématicien poète ou le peintrerespectivement. un théorème(déjà démontré, déjà réfléchissant, je diraiscontemplant, de beauté,la mêmeémoexistant)éprouvesouventle mêmesentiment tion,qu'éprouveun poètelorsqu'illit un poème.Mais,aussi peu poète - intéressant ou peintreque je sois,je croisque le faitmathématique toutela beautéd'une œuvred'artplusquelquechosede bien¿ comporte comporte,en spécifique.J'ai l'impressionque l'œuvre mathématique Je plus de la beauté artistique,un élémentdynamique. me trompe, en attribuant à l'Artdes qualitésuniquement contemplatives peut-être, et je ne devraispas bienentendu,des émotions profondes, provoquant, parlerdes chosesque je ne faisque recevoir.Mais,ce dontje sui» oer- je - intéressant tain, ce qu'en lisantun Mémoiremathématique sens des mouvements dans monesprit: des faitsmathématiques que je ceux que je suis en trainde «ontempler connaisdepuislongtemps, This content downloaded from 147.8.31.43 on Fri, 12 Feb 2016 10:47:24 UTC All use subject to JSTOR Terms and Conditions - pourquoi je fais des mathématiques.425 S. MANDELBROJT. à la réalité,- des faitsvagues,mêmepas encore et ce motcorrespond demandentà êtrecomparés.Tous en vraie formation, s'entrechoquent, se les de en ces faitssont train pousser uns des autres,pourse comparer faitsancienscherchent les à s'améliorer, à se au nouveauphénomène ; la la de nouvelle connaissance lumière à acquise.En un mot, reproduire peu la peinturemoderne,maisje la je me sensenrichi.Je comprends la car qu'elle aussiest capablede donner respecte, j'ai vague impression aux initiésles mêmesdoux,ou violents,mauxde tête. et de sagesse,provoque Souventle mathématicien, pleind'expérience des entre théories différentes délibérément, comparaisons consciemment, un Mais théorème intéressant est celui déclanche mathématiques. qui disonsbrownien, ce mouvement, automatiquement, presquecontrela Pour tout dire,un tel fait inspire volontédu mathématicien-lecteur. et provoquesouvent,trèssouvent,des nouvellesrele mathématicien cherches.Je croisqu'un chimistedirait,s'il connaissaitles mathématiques,ou s'il se rendaitcomptede ce qui se passe dansla têted'unmaest un catalyseurpourla réacintéressant thématicien, qu'un théorème tionqui est la nouvelledécouvertemathématique. Donc,un beau théoun mathématicien, celui qui rèmeest celui qui est susceptibled'inspirer de nouveaux théorèmes. Le intéressant faitmathématique peutengendrer crée un étatd'esprit. ces sentiments, à qui il m'estarrivéd'exprimer Un jeune peintre, que m'a bien fait son état d'espritn'est je croyaisvagues, comprendre que nullementdifférent, lorsqu'ilcrée ou lorsqu'ilcontempleun tableau. Il a raison,je crois,de dire que le grandet beau tableau,et je dirais, créeun rythmequi permetla créationd'autres moi,le beau théorème, œuvresen parfaitunissonavec lui-même. A vraidire,à ce pointde vue,il y a presqu'unélémenttragiquedans - tragiquepourle théorème - car,une fois cettebeautédu théorème cetétatd'espritcréé,ce rythme créé,l'esprit,pourvude cetétat,s'envole, et oubliele théorème créed'autresphénomènes qui a pourtant provoqué ce remue-ménage.Le théorèmeest commeces insectesqui meurent immédiatement Du moins,dans l'espritde celui aprèsla reproduction. qui vientde l'admirer.Bien sûr,on lui garde,si j'ose dire,une reconnaissanceéternelle, et on continueà direque le théorème est beau. On l'utiliseraencore,mais avec plus de calme,peut-êtremêmeavec plus de fruit.En tout cas, ce théorèmea beaucoupde chancede resterun instrument de travail. important de la notion« d'utilité» du phénomène ? Que reste-t-il mathématique d'avoirune conceptiontrop Ce mot,a-t-ilun sens ? M'accusera-t-on de la mathématique ? Des aristocrates sontles faitsmaaristocratique eux-mêmes. fait Un est utile thématiques mathématique lorsqu'ilproun Ceux-ciforment voque d'autresfaits,d'autresfaitsmathématiques. nul sans entre d'en d'autres. espace fermé, n'y promesse engendrer C'estlà toutesonutilité. This content downloaded from 147.8.31.43 on Fri, 12 Feb 2016 10:47:24 UTC All use subject to JSTOR Terms and Conditions 426 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE. Je pensequ'aucunde vous ne s'attend,ou ne s'attendplus,à ceque - l'utilitépratique. je parle de cette autre utilitédes mathématiques encore mieux les et les J'aimebien les ingénieurs, j'aime physiciens mais n'ai les choisi les je astronomes, pas pour servir, mathématiques est vraie.D'ailleurs,je défiequiconque et je m'imagine que la réciproque un argument en faveurde l'utilitéde la partiedes mathéde mefournir qu'une étoile,qu'on matiques,qui permetuniquementde démontrer croyaitsimple,est double.Est-ilpossible,en d'autrestermes,de donner au mot«important », un senstel, qu'il devienneclairque la découverte d'uneétoiledoubleest plusimportante que celle d'unesuitede nombres ? jumeaux premiers « impur», celui qui faitdes mathéPourse venger,le mathématicien d'autres lui-même, pourraitme sortirla comque pour matiquespour En avec le d'échecs. un beau jeu quoi, donc,diffère paraisonclassique d'unbeau coupd'échecs?Jene croispas que le joueurd'échec» théorème Le beaucoupd'échecs qu'unmathématicien. éprouvelesmêmessentiments soitparceque est beau, soitparcequ'il pare à un coup de l'adversaire, l'adversairen'y peut pas parer.Ce coup d'échecsest égoïste,j'entends égoïsteparrapportaux autrescoups.Il ne provoquepasun étatd'esprit, de désirde la découverte. Il ne crée il ne provoquepas une atmosphère le jeu dont certainement pas un rythmetel, qu'on veuilleabandonner il est né, pouren créerd'autresen unissonavec lui, ou, alors,je gage que le meilleurjoueurseraittoujoursperdant. Je viensde faireune courteanalysede ce que provoquedansl'esprit - de quelquesmathématiciens - un beau théod'un mathématicien rème.J'aila conviction profonde que l'état d'espritainsi crééest caracje diraisqu'il peut mathématique, téristiquede l'intérêtdu phénomène de cettebeautéou de cet intérêt.Maispeut-onindiservirde définition en maplus objectivesde l'importance quer quelquescaractéristiques ? Encoreune fois,je dois faireabstraction de toutenotion thématique ou mêmede celui du physicien. d'utilitédu pointde vue de l'ingénieur du mondephysique.Je J'ai souventde la nostalgiede la connaissance Mais ces crisesde regretne me le comprendre. voudraisle connaître, mathématicien. Les mathésaisissentjamaislorsqueje suis intimement sont les ne tout utilisées celles pas, par physiciens simplement, matiques m'arrive un de à penser phénomène que j'aime.Presquetoujours,lorsqu'il c'est la physiquedu phéde physiqueenveloppédes mathématiques, sont tristes,sans âme, nomènequi m'intéresse ; ses mathématiques elles ne fontque mal traduireun faitdontla grandeurest ailleurs.Ou il ne m'auraitservique de fouralors,j'oubliele faitphysiquelui-même, dontseulement des germes,des bribes, nisseurd'uneidée mathématique, du mondeextérieur.Que les physiciens ont été mêlésà ce phénomène maiss'il se trouvequ'unebelleidée mathémaveuillentbienm'excuser, une été associée à ait explicationd'un faitphysique,toutse passe tique commesi, en réalité,le fondde cetteidée n'ait pas été comprispar le This content downloaded from 147.8.31.43 on Fri, 12 Feb 2016 10:47:24 UTC All use subject to JSTOR Terms and Conditions - pourquoi je fais des mathématiques.427 S. MAKDELBROJT. ne seraientpas justifiésde s'offenphysicien.D'ailleurs,les physiciens ser. Ne serait-cepas injusteque toutesles beautéssoientde leurcôté ? sans qu'elle La physiquen'a-t-ellepas de ses propresbeautésprofondes, chercher dans ce d'en ne soit obligée qu'elle considère, aprèstout,que de travail? commeun instrument est La recherchedes caractèresobjectifsde l'intérêtmathématique une affairemathématique, intérieure. l'expression, donc,permettez-moi Mais,mêmeen me plaçantdu pointde vue purementmathématique, le motintéressant a, bienentendu,plusieurssenspossibles.On pourrait, par exemple,s'imaginerqu'on désirefaireune antologie,ou, plutôt un catalogue,sur quelquescentainesde pages,des découvertes mathéles réalisées les depuis tempsgrecsjusqu'à matiques plus importantes nosjours,et qu'on chercheun critèregénéraldes faitsqu'on y mettra. Il serait,je crois,juste de remarquer que, si le nombrede pagesest fixé deux mathématiciens d'avance, professionnels quelconques,chargésde des ouvragesassez semblables; les mêmesfaits ce travail,sortiraient sauf,bien entendu,lorsqu'ils'agira du travail accompli y figureront, ou surtoutla dernièredécade : chacun durantle dernierdemi-siècle, sinon son originalité, de ces auteursmanifestera, du moinsl'intérêt mettant en de ses préoccupations en vedette les théorèmes personnelles, y local » joue beaucoup de sa branche.C'est humain- le « patriotisme en mathématiques, commedans toute autre science: « la partiedes dont ». mathématiques je m'occupeest la plus importante toutà faitparfaiteque je désiredire Ce n'estpas de cetteobjectivité un motmaintenant. J'aien vue encoreune autreobjectivité. Une objectivitétout de mêmeassez subjective.Tout à l'heure,j'ai décritl'état d'espritprovoquéparun faitmathématique intéressant, je vais maintenantfaireune description assez sommaire des caractères d'unfaitsusceptiblede provoquer, en moi,un tel état. Je désiredonc vous énumérer d'un phénomènemathématiquequi me quelques qualitésextérieures à un nombreassez considérable de maplaîtet qui plaît,probablement, thématiciens. C'est le motextérieurqui est important. Il y a, je crois, une correspondance biunivoqueentre ces qualitésextérieureset les qualitésintérieures, je veux dire psychologiques, que j'ai décritesplus haut. Le faitd'êtregénéralest une grandevertupourun faitmathématique, et Ton éprouveune sortede légerméprispourle faitparticulier. Je n'arrivepourtantpas à diviniser la généralité en soi. L'affirmation, traiter de le nombre e est transcendant, particulière, qu'on pourrait que et surtoutsa démonstration, me laisse rêveur,et il y a, d'autre part, tant de faitsmathématiques générauxqui m'ennuyent.La généralité est bellelorsqu'ellepossèdeun caractèreexplicatif. Lorsqu'ondécouvre un théorèmeavec des hypothèses restrictives qu'on sent peu liées au aujet ou qui paraissentdues uniquement à la méthodeemployéepour sa démonstration, on cherche,évidemment, à se débarrasser de ces con- This content downloaded from 147.8.31.43 on Fri, 12 Feb 2016 10:47:24 UTC All use subject to JSTOR Terms and Conditions 428 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE. ditionsgênantes.On cherchedoncà généraliser le résultatpourdonner au phénomène son aspectnaturel.C'est une généralisation, en quelque sorte,technique.Mais,même,une foisdébarrasséde ces, si j'ose dire, le résultatainsi démontréne nous donne pas impuretésartificielles, toutesatisfaction. On sentla nécessitéde se placersurun planplusélevé, on sait qu'onne comprendra sonvraicaractèreque s'ilconcerneun plus grandnombre d'objets.Il y a unmomentoù l'ensembled'objets,auxquels il s'applique,expliquele sensmêmedu théorème. Il serait,je crois,juste de dire,que c'est aprèsavoirtrouvéun théorème, qu'on doitchercher, d'ordinaire on le vrai ou le vrai ensembled'objet», cherche, que objet, il la ainsi obtient C'est auquel s'applique. généralisation explicaqu'on tive. Personnellement, à cette généralité. je sens qu'il y aun optimum Un théorèmeA n'est pas nécessairement ni plus intéressant, ni plus théorème au B. surtout d'une C'est beau, qu'un plus général prix plu» grandeabstractionqu'on obtientune généralisation. Or, l'abstractioa est belle et grandelorsqu'elleest explicative,lorsqu'elledonne,j'ose le dire,un caractèremétaphysique au phénomène. En un mot,lorsque cetteabstraction le monde au découest indique propre phénomène qui vert.Mais si on perdle souci de la recherchede ce mondequi lui est propreet qu'on chercheà généraliser uniquementpar goût de généralisationou le goût d'abstraction, on risque d'entrerdans un monde formalisé. la présencede la Or, j'aime, dans une théoriemathématique, suisen matière.- Je m'aperçois train unmot souvent d'employer que je utilisépar les philosophes, n'a ici qu'um en le mot matière mais, réalité, sens simple,naif,immédiat.- ■Je dis,donc,que j'aime à sentirde la matièreen mathématique s,,ou, pourpasserà l'autreextrémité, je n'aimeraispas vivredansle mondede la logiqueformelle tellequel'envisagent analytique,par quelques-unsde mes collègues.Pour moi,une fonction exemple,est un êtreque je puis toucheravec monesprit,que je sens sontses défautsque j'aime et que j'aime à disséquer.Ses singularités autantque ses qualités. Mêmelorsqueje sais que des propriétés que possèdentces fonction» maisaussi,je le répète,plu» sontle propred'autresêtresplus abstraits, : videde matière, je ne voisaucunavantageesthétiqueà les abandonner il y a en elles tellementplus de chaleur.C'est biensimple,je ne connais aucune loi divinequi m'obligerait d'abandonnerun être que je sens complet,pourun autreêtrequi possèdeles mêmesvertus,maisen plus sec et en plus formel.L'objet des mathématiques, dit-on,est d'étudier entreles choseset nonpas les choseselles-mêmes. les relations J'approuve maisje ne désirepas étudierles relationsentreles relacetteformule, tions.Je désireque le derniertermesoitune chose,une choseabstrait«, maisune chosequand même. Jesuis bienconscientdu faitque le passagedansun mondeplus formel fait souventdisparaîtreles difficultés techniquesauxquelles o» se heurtedans le mondeplus particulier, dans le mondeplus pourvu This content downloaded from 147.8.31.43 on Fri, 12 Feb 2016 10:47:24 UTC All use subject to JSTOR Terms and Conditions - pourquoi je fais des mathématiques.429 S. MANDELBROJT. si j'aime ce mondemathématique, assez de matière.Mais,précisément, je généralpour qu'il soit comprispar l'ensemblede ses phénomènes, La difficulté d'une dél'aime aussi parce qu'il présentedes difficultés. commedisentles mathématiciens sa non-trivialité, monstration, depuis quelquesdécades,est un des grandsattraitsde la découvertemathémale désirde vaincreune grossedifficulté tique.Il seraitfauxde comparer la au désird'une réussitesportive. recherche d'une démonstration dans la difficulté n'est elle se présenteà l'esprit, D'ailleurs, pas recherchée, , toute seule lorsqu'ondésireréaliser,si vous me je diraisheureusement une intuition. Autrement dit,l'attitudedu mapermettez l'expression, un problème thématicien n'estpas la suivante: voyons,« posons-nous difficile !» Son attitudesera mieuxtraduitelorsqu'ondiraqu'unevérité un pressentiment effleure son esprit,' mathématique, purementintuitif, c'estalorsqueles difficultés Elles surgissent. surgissent lorsqu'oncherche ou à convaincre de la jusles autresmathématiciens, à se convaincre, tessede l'intuition. Chacunde nousa en luitoutun mondemathématique presquesecretou intimeauquel il croitet c'est un des deux grands - qu'il éprouve.L'autre bonheurrelève bonheurs- mathématiques de la capacitéde convaincre l'autreego, celui qui est sceptique,et aussi ses lecteurset auditeurs.L'intuitionparaîtraitpauvre,dépourvued'inde sonexpression ou de sa réalisation ne l'accompatérêt,si la difficulté la vie serait du mathématicien infiniment moins intéresgnaitpas. Oui, santes'il suffisait si l'intuition le que frappe, j'ose dire, mathématicien, pour que le problèmeapparaissecommerésolu. En somme,le mathématicien, du moinstel que je le conçois,a une vie double: il vit dansun monded'idéesintuitives, d'autantplusintuitives, excusez le paradoxe apparent,qu'elle graviteautour d'une matière, matièreabstraite,mais matièrequand même; il a de la satisfaction, - une semi-satisfaction - de cetteintuition, car il sent qu'elle correset les autres pondà la vérité.Mais, alors,il veut convaincresoi-même est juste,c'est alorsque commence son autrevie. Vie que sonintuition de difficultés, difficultés tant de joie et sans lesquelles qui fournissent la vie du mathématicien seraitou tropvague ou tropfacile. S. Mandelbrojt. Revue de Méta. - N» 4, 1952. 09 This content downloaded from 147.8.31.43 on Fri, 12 Feb 2016 10:47:24 UTC All use subject to JSTOR Terms and Conditions