Telechargé par salim_dani

AllardPatrickDjilaliBenchabane2010-LafinanceislamiquemodlealternatifposticheoupasticheRFE4pp.11-38.

publicité
See discussions, stats, and author profiles for this publication at: https://www.researchgate.net/publication/276407382
La finance islamique : modèle alternatif, postiche ou pastiche ?
Article in Revue Française D Économie · January 2010
DOI: 10.3917/rfe.104.0011
CITATIONS
READS
4
1,499
2 authors, including:
Patrick Allard
Ministry of Foreign affairs France
11 PUBLICATIONS 34 CITATIONS
SEE PROFILE
All content following this page was uploaded by Patrick Allard on 09 May 2018.
The user has requested enhancement of the downloaded file.
LA FINANCE ISLAMIQUE : MODÈLE ALTERNATIF, POSTICHE OU
PASTICHE ?
Patrick Allard, Djilali Benchabane
Revue française d’économie | « Revue française d'économie »
ISSN 0769-0479
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)
Article disponible en ligne à l'adresse :
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------https://www.cairn.info/revue-francaise-d-economie-2010-4-page-11.htm
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Pour citer cet article :
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Patrick Allard, Djilali Benchabane« La finance islamique : modèle alternatif, postiche
ou pastiche ? », Revue française d'économie 2010/4 (Volume XXV), p. 11-38.
DOI 10.3917/rfe.104.0011
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Distribution électronique Cairn.info pour Revue française d’économie.
© Revue française d’économie. Tous droits réservés pour tous pays.
La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
2010/4 Volume XXV | pages 11 à 38
Patrick
ALLARD
Djilali
BENCHABANE
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
La finance islamique :
modèle alternatif, postiche
ou pastiche ?
L
a crise qui est survenue à l’été 2007 – une
« étrange » crise, au sens de Marc Bloch, réfléchissant sur « l’étrange
défaite » de juin 1940 – a une apparence : les dérèglements des
maîtres de la finance à Wall Street ou dans la City ; elle a une
réalité : la défaillance quasi générale des autorités de régulation
Revue française d'économie, n° 4/vol XXV
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page11
ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page12
Patrick Allard et Djilali Benchabane
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
et la complaisance des gouvernements et de l’ensemble des agents
économiques face aux facilités de l’endettement.
Cette crise, immédiatement perçue comme étant de
gravité historique, a suscité un ardent désir de rédemption : pour
échapper à ses conséquences catastrophiques (la rédemption
« keynésienne ») ; pour briser le cycle de crises récurrentes (la
rédemption par la régulation de la finance) ; pour moraliser la
sphère de l’économie (la rédemption par l’éthique). Dans ce
contexte, certains regards occidentaux se sont tournés vers les
principes de l’économie et de la finance islamiques, promus
comme modèle d’économie et de finance éthiquement responsable,
véritable alternative au modèle traditionnel (c’est-à-dire occidental)
en banqueroute et frappé de faillite morale.
Ce ne serait pas la première fois que l’Occident s’inspirerait
de pratiques venues d’Orient, et particulièrement, du monde
musulman, arabe ou turc, comme en attestent les emprunts du
vocabulaire commercial français (et plus généralement, européen) :
tararïuk/trafic, divân/douane, awâr/avarie, farda/fardeau, maghsin/magasin, tarka/tare (poids), ta'rit/tarif, sakk/chèque ou encore,
hawala/aval1. Ce dernier emprunt est particulièrement intéressant
car il souligne l’origine orientale de la lettre de change (saftaja),
connue et usitée dans le monde musulman depuis le VIIIe siècle
avec, dès cette époque, « des chaînes de hawala (transport de
dette), correspondant aux chaînes d'endossements modernes »,
lettre de change dont on connait le rôle dans les progrès de l’économie postmédiévale en Occident2.
Cependant, l’Occident devrait s’interroger sur l’intérêt
d’un nouvel emprunt aux pratiques financières venues du monde
musulman, qu’au demeurant ce dernier se montre peu empressé
à observer3. La finance islamique, c’est-à-dire l’ensemble des
activités répondant aux impératifs de la religion musulmane, de
la banque aux opérations financières, ne pèse que d’un poids
marginal sur les marchés financiers mondiaux et ne couvre qu’une
part minoritaire de la banque et de la finance dans le monde
musulman lui-même.
Comme souvent en matière de finance, les données statistiques ne donnent au mieux que des ordres de grandeur.
Revue française d'économie, n° 4/vol XXV
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
12
ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page13
13
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
Aujourd’hui, les actifs gérés par la finance islamique sont estimés
à 800-900 milliards de dollars (60% dans le Golfe et 20% en
Asie méridionale), placés principalement dans les banques exclusivement islamiques (50%) ou les « fenêtres islamiques » des
banques conventionnelles (40%)4. Ces actifs ne constituent guère
plus de 1 % des actifs des 1 000 premières banques mondiales
tandis que la valeur totale des sukuk (obligations islamiques)
représente quelque 100 mds de dollars (dont les 2/3 émis dans
la seule Malaisie) soit 0,1% de la valeur de marché des titres de
dette au niveau mondial (plus de 82 000 milliards de dollars à
fin 2009). Dynamique dans les années qui ont précédé la crise
financière et économique mondiale, la croissance du marché des
sukuk s’est nettement tassée depuis 2009.
La finance islamique, une invention
récente
Les fidèles de la finance islamique se plaisent à souligner qu’elle
puise ses principes dans la révélation coranique et les traditions
qui la complètent. Celles-ci bannissent l’usure et la spéculation
et interdisent le prêt à intérêt, tel qu’il se pratique à peu près
universellement depuis des siècles, y compris dans les pays musulmans5.
Toutefois, les principes théoriques de la finance islamique
ont une histoire relativement courte, ayant été formulés en grande
partie par le Pakistanais Sayyid Abul Ala Maududi (1903-1979),
l’un des fondateurs de l’Islam intégriste contemporain, à partir
des années 19406. La première banque islamique moderne a été
créée au début des années 1960 en Egypte, à Mit Ghamr, par le
Docteur Hamad Elnaggar, un économiste proche de la pensée
des Frères musulmans afin de proposer à des populations d’artisans
et de commerçants modestes les services d’une banque coopérative
et leur offrir l’accès au crédit et la protection de l’épargne dont
Revue française d'économie, n° 4/vol XXV
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
Patrick Allard et Djilali Benchabane
ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page14
Patrick Allard et Djilali Benchabane
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
les privaient l’Etat nassérien et ses banques, par zèle confiscatoire,
corruption et incompétence.
Appliquer ces prescriptions, c’est vouloir renouer avec les
pratiques éthiques en vigueur à l’âge d’or de l’Islam. C’est un
impératif pour ceux qui cherchent à réinvestir dans la vie quotidienne du croyant la force initiale de la loi musulmane et à séparer
les vrais musulmans du monde et des pratiques des infidèles.
L’expansion de la finance islamique commerciale débute
dans les années 1970, avec la création des premières grandes
banques islamiques, notamment Islamic Development Bank,
Dubai Islamic Bank et Albaraka Banking Group. Elle résulte
d’une double impulsion : soutien appuyé de l’Etat dans le Golfe
et dans les pays d’Asie musulmane, même si trois pays seulement
(Iran, Pakistan, Soudan) sont allés jusqu’à l’interdiction formelle
de la banque traditionnelle ; mais surtout, pression de la demande,
dans le contexte des chocs pétroliers et de l’enrichissement
soudain et massif des monarchies pétrolières, dont les bénéficiaires
ont cherché les moyens de faire fructifier leur fortune sans contrevenir aux interdits coraniques7.
Issu d’une histoire récente, l’essor de la finance islamique
est le produit d’un contexte géopolitique arabe instable. On ne
peut que souligner le « télescopage chronologique » qui voit se
développer cette finance à caractère religieux au moment où le
Proche-Orient bascule dans le chaos, dans les années 1970. Longtemps considéré comme la plateforme financière du monde
arabe, le Proche-Orient a perdu sa spécialisation en matière
financière au profit du Moyen-Orient – pour fuir un espace
ravagé par le conflit israélo-palestinien et la guerre civile libanaise.
Les conséquences géopolitiques de cette crise ont provoqué un
double déplacement : la migration des capitaux et celle des compétences techniques financières.
Par-delà la translation de l’espace proche-oriental vers le
Moyen-Orient, le mouvement de transfert de l’activité financière
souligne la mutation imposée par l’environnement culturel. En
effet, en relocalisant du Proche-Orient (plutôt progressiste et
empreint de valeurs occidentales) au Moyen-Orient (traditionnaliste, plus sensible à la doxa islamique), la finance arabe a dû
Revue française d'économie, n° 4/vol XXV
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
14
ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page15
Patrick Allard et Djilali Benchabane
15
Graphique 1
Rôle des Etats et rôle de la demande dans l’expansion de la
banque islamique
Impulsion gouvernementale
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
et
Poussée de la demande
Source : Anouar Hassoune, Cartographie de la finance islamique, intervention au
colloque de Bercy, Paris, 3 novembre 2009.
Il est généralement admis que les événements du 11 septembre 2001 ont également eu un impact non négligeable sur ce
marché, avec un important mouvement de rapatriement des fonds
moyen-orientaux vers leurs pays d’origine. Toutefois, une étude du
FMI sur l’expansion de la finance islamique ne trouve aucun impact
de l’événement, lequel est économétriquement dominé par l’effet
des prix du pétrole9. Les actifs des banques islamiques restent nettement corrélés au cours du pétrole et aux cycles financiers mondiaux.
La réislamisation de la société dans de nombreux pays musulmans
et l’enrichissement de catégories de plus en plus diverses et nombreuses de la population de ces mêmes pays ont contribué au dynamisme enviable (plus de 10% l’an) affiché par la finance et la
banque islamiques au cours des 20 ou 30 dernières années.
Revue française d'économie, n° 4/vol XXV
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
se rapprocher des valeurs qui fondent le « dar al islam »8 pour se
muer en finance islamique. Cette islamisation de la finance s’est
inscrite dans un processus d’appropriation identitaire qui voulait
plus garantir une compatibilité religieuse que révolutionner le
secteur de la finance dans le monde musulman.
ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page16
16
Patrick Allard et Djilali Benchabane
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
Aujourd’hui, des établissements bancaires islamiques existent
dans une cinquantaine de pays. En Iran, au Pakistan et au Soudan,
seules les banques islamiques sont autorisées. Dans les autres
pays, les banques islamiques coexistent, en position souvent très
minoritaire, avec les banques traditionnelles. Les principales
banques islamiques sont localisées en Arabie saoudite (Al Rajhi
Bank et Al Jazira Bank), au Koweït (Kuwait Finance House), à
Dubaï (Dubai Islamic Bank), aux Emirats (Abu Dhabi Islamic
Bank). D’autres pays majoritairement musulmans, mais où la
finance islamique n’avait pas encore pris pied, commencent aussi
à s’intéresser au phénomène, en particulier ceux d’Afrique du
Nord. En 2007, la Tunisie a adopté un projet de loi autorisant
la création de la première banque islamique pour le développement
du commerce inter-arabe et, la même année, le Maroc a autorisé
le développement des produits islamiques. En Afrique subsaharienne, hormis le Soudan avec plus de 20 banques dans le nord
du pays et 10 milliards d’actifs gérés, le taux de pénétration de
la finance islamique reste très faible.
Graphique 2
Part des banques islamiques dans l’offre totale de crédit,
1992-2006 (en %)
Source: Patrick Imam et Kangni Kpodar, Islamic Banking: How Has it Spread ?,
International Monetary Fund, mars [2010].
Revue française d'économie, n° 4/vol XXV
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
Un type de finance marginal
ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page17
17
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
Pour autant, la banque et la finance respectant la charia
ne drainent qu’une fraction marginale de la richesse accumulée
par les musulmans, sans doute parce que les banques du Golfe
et d’Asie musulmane ont exploité de manière plus systématique
le marché des particuliers, bien davantage sensibles à l’argument
religieux, que la clientèle d’entreprises. Aujourd’hui, les actifs
gérés par les banques et la finance islamiques, ne représentent
que 10% des actifs détenus par des musulmans dans le monde
tandis que la valeur totale des sukuk (obligations islamiques) ne
représentait guère plus de 100 mds de dollars en 2008 (dont les
2/3 émis dans la seule Malaisie) soit 0,1% de la valeur de marché
des obligations au niveau mondial. Pour le futur, c’est toujours
du côté de la clientèle bancaire du monde arabe mais aussi parmi
les populations musulmanes d’Occident, où il existe une demande
non satisfaite pour les produits financiers conforme à la charia,
que les acteurs de la banque et de la finance islamiques recherchent
la dynamique d’expansion du marché.
Graphique 3
Cartographie de la finance islamique [2008]
Actifs gérés, en milliards d’USD
Source : Anouar Hassoune, Cartographie de la finance islamique, intervention au
colloque de Bercy, Paris, 3 novembre [2009].
Revue française d'économie, n° 4/vol XXV
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
Patrick Allard et Djilali Benchabane
ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page18
18
Patrick Allard et Djilali Benchabane
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
Faisant écho, en les étendant et les durcissant, aux prohibitions
de l’Ancien et du Nouveau Testament10, le Coran aborde la question
de l’usure dans plusieurs sourates, mais en particulier dans la
sourate 2, La Génisse (( ) : 275 : « Ceux qui se nourrissent
d’usure (ribâ, le Coran utilise le mot ) ne se relèveront pas,
sinon comme se relève celui que le Shaïtân frappe de folie en le
touchant. Cela parce qu’ils disaient : « Voici, l’usure équivaut à
une vente ((). Or Allah permet la vente, mais interdit l’usure » » ;
276 : « Allah élimine l’usure, il fait fructifier l’aumône : Allah
n’aime pas l’effaceur, l’inique » ; 278 : « Ohé, ceux qui adhèrent,
frémissez d’Allah, renoncez aux profits de l’usure, si vous êtes
des adhérents » (trad. Chouraqui). D’autres sourates portent
également une condamnation sévère contre l’usure : La Gent de
‘Imrân (al ‘imrân) Sourate 3, Les Femmes (an nisâ’) Sourate 4,
Les « Romains » (ar rûm) Sourate 30.
Dans un esprit marxiste, Maxime Rodinson interprète ainsi
l’interdiction coranique de l’intérêt, « Il est possible (…) qu’il se
soit surtout agi de stigmatiser, à une époque où la petite communauté musulmane, pauvre et entourée d’ennemis à Médine, s’efforçait de recueillir des fonds auprès des « sympathisants », ceux
qui se refusaient à lui en prêter à des conditions raisonnables. Mais
il s’agit, aussi, selon le sens obvie des textes, de faire préférer aux
musulmans la zakât, l’aumône aux nécessiteux, par l’intermédiaire
de la caisse de bienfaisance tenue par le Prophète (et dont il se
servait aussi pour d’autres buts), à une utilisation plus profane,
mais plus profitable, de leurs disponibilités par le prêt à intérêt »11.
Principes et interdits de la finance
islamique
La finance islamique est enchâssée dans la conception musulmane de l’économie :
Revue française d'économie, n° 4/vol XXV
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
Textes sacrés
ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page19
19
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
- Régence sur le monde : les hommes ne sont pas maîtres et possesseurs de la nature, ils en sont seulement les dépositaires.
- Equité et justice sociale : la finance participative, de type actionnarial et mutualiste, est encouragée ; ni la spéculation, ni la thésaurisation ne sont souhaitables.
- Responsabilité : la dette est sacrée, elle constitue une responsabilité et ne fait pas l’objet d’un échange.
- Séquentialité : la production précède l’échange marchand : on
ne peut pas vendre ce qu’on ne possède pas.
- Réalité : la monnaie est une mesure de la valeur, pas une valeur
en soi.
Dans la sphère financière, ces principes fondent des prescriptions et des interdits.
La prescription centrale porte sur le partage des pertes
et profits : la finance islamique préconise le partage équitable
des gains et des risques entre parties prenantes quel que soit le
type de financement utilisé, de sorte que le financier est dans la
même position que l’entrepreneur, tant dans la prise de risques
que dans les rendements générés par l’opération. Ensuite, toute
transaction doit être adossée à des actifs tangibles et identifiables
(biens immobiliers ou matières premières). Elle ne peut s'appuyer
sur d'autres produits financiers.
Les interdits portent sur la nature de l’activité et surtout
sur la nature des gains. L’Islam pose des exigences fondées sur
la nature de l’activité dans laquelle un investissement demeure
conforme à la charia. Ainsi, les jeux de hasard, les activités en
relation avec l’alcool, avec l’élevage porcin ou encore avec l’armement, avec l’industrie cinématographique suscitant ou suggérant la débauche ou la déchéance de l’être humain, constituent
des secteurs d’investissement prohibés.
Ensuite, l’Islam pose des exigences fondées sur la nature
du gain tiré d’un investissement dans une activité licite. Il prohibe
l’intérêt, confondu avec l’usure (ribâ), et les gains fondés sur
l’exploitation de l’incertitude, sur la spéculation (maisir) ou sur
le hasard (gharar). La prohibition de l’intérêt résulte du verset
275 de la deuxième sourate du Coran : « Dieu a rendu licite le
commerce et illicite l’intérêt ». Un hadith explicite l’interdit en
Revue française d'économie, n° 4/vol XXV
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
Patrick Allard et Djilali Benchabane
ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page20
Patrick Allard et Djilali Benchabane
énumérant six substances dites ribawi (à intérêt usuraire) : or,
argent, blé, froment, dattes, sel. Tout échange de produit identique
(or contre or, blé contre blé) comportant un avantage unilatéral
constitue une opération usuraire. L’interdit ne concerne pas les
avantages résultant de l’échange de produits de nature différente
(or contre blé). En matière d’échange de monnaie (argent contre
argent), tout surplus tiré d’une transaction non basée sur des
actifs réels et préalablement possédés par le vendeur est haram
(impur). Les contrats de prêt entrent dans cette catégorie.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
Résumé des prescriptions et interdits islamiques en matière
de finance
Prescriptions
Equilibre des prestations et équité
• Principe des « 3 P » : partage des
pertes et des profits.
• Modalités de partage : elles doivent
être convenues à l’avance mais ne
sont pas nécessairement égalitaires
(liberté contractuelle).
Interdits
Prohibition du ribâ (intérêt fixe ou
variable)
• Interdiction de la rémunération du
prêt d’argent mais rémunération
possible à travers les revenus
effectivement générés par l’actif
financé.
• Sanction et cas de déchéance du
terme uniquement en cas de faute de
l’emprunteur.
Principe dʼadossement à un actif
tangible
• Tout financement doit être adossé
à un actif tangible.
Prohibition de lʼaléa (gharar) et de
la spéculation (maisir)
• Concernent les biens dont
l’existence est incertaine (chose
non suffisamment identifiée).
• Autorisation de la vente à livraison
différée (≠ vente à découvert).
Supervision des activités par un
conseil religieux (charia Board)
• L’existence au sein de chaque
banque d’un tel organe est fortement
recommandée (conformité des
transactions, validation
d’opération-type, règles d’éthique,
émission de fatwa,
suivi et supervision).
Filtrages éthiques
• Le financement doit porter sur des
activités licites (halal) et la société objet
de l’investissement ne doit pas avoir un
ratio d’endettement trop important.
Source : Guide de la finance islamique, Herbert Smith LLP, [2009].
Revue française d'économie, n° 4/vol XXV
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
20
ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page21
Patrick Allard et Djilali Benchabane
21
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
L’application contemporaine des normes islamiques, très dépendantes du contexte historique de la société bédouine dans laquelle
elles ont été exprimées, passe par des formes variées, dont certaines
restent proches des mécanismes de l’économie médiévale alors
que d’autres mobilisent des innovations sophistiquées, parfois
exposées aux foudres des gardiens de la foi.
Les mécanismes financiers permettant la rémunération
des capitaux sont fondés sur le principe de partage des pertes et
profits (al-Ghunm bi al-Ghurm) issus d’activités menées dans
un cadre juridique contractuel qui est soit celui de l’achat-vente,
de la location ou de la commande à façon, soit celui du partenariat
ou de l’association entre les apporteurs de capitaux et les autres
parties prenantes engagées dans une entreprise commune. Plusieurs
mécanismes correspondent au premier type de contrat : i) la
mourabaha, un « contrat de vente, entre un vendeur et un acheteur, par lequel ce dernier achète les biens requis par un acheteur
et les lui revend à un prix majoré. Les bénéfices (marge bénéficiaire) et la période de remboursement (versements échelonnés
en général) sont précisés dans un contrat initial ; ii) l’ijara, un
mode de financement à moyen terme par lequel un apporteur
de capitaux (banque) achète des équipements puis en transfère
l’usufruit, par exemple dans le cadre d’un crédit-bail, au bénéficiaire pour une période durant laquelle il conserve le titre de
propriété de ces biens ; iii) l’istisna, un contrat de fabrication
(ou de construction) aux termes duquel le participant (vendeur)
accepte de fournir à l’acheteur, dans un certain délai et à un
prix convenu, des biens spécifiés après leur fabrication (construction) conformément au cahier des charges.
Les mécanismes correspondant au deuxième type de
contrats sont : i) la moudaraba, qui permet à un entrepreneur
de mener un projet grâce à des fonds avancés par des apporteurs
de capitaux, qui se répartissent les gains (et les pertes) selon une
clef fixée dans le contrat ; ii) la mousharaka, un contrat entre
Revue française d'économie, n° 4/vol XXV
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
Mécanismes financiers licites
ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page22
Patrick Allard et Djilali Benchabane
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
des partenaires qui apportent les fonds mais confient à l’un d’eux
la charge de la gestion du projet ; iii) la mousharaka mutanaquissa
est une modalité particulière, destinée le plus souvent à financer
l’acquisition d’un bien immeuble d’habitation par un particulier
utilisant les fonds apportés par une banque, qui sont remboursés
selon un tableau d’amortissement comprenant outre le capital
principal, les bénéfices tirés par la banque pour cette opération.
Les sukuk sont l’une des innovations les plus sophistiquées
de la finance islamique contemporaine, combinant plusieurs des
mécanismes décrits ci-dessus. Il s’agit des titres assimilables à
des obligations mais qui sont émis par un véhicule financier spécialisé (trust, fiducie) engagé dans des opérations d’ijara ou de
mousharaka adossées à des biens ou des activités réelles. Chaque
titre ouvre droit au bénéfice d'une quote-part égale des fruits
résultant de l'exploitation de l'actif concerné.
Les ménages, plus sensibles à l’argument religieux, demeurent la cible principale des banques islamiques. La diversification
par produit au sein des grandes institutions financières islamiques
(IFI) reste limitée : les portefeuilles de crédit sont dominés par
le « ijara », les contrats de « mourabaha » et, dans une bien moindre
mesure, les « istisna » réservés aux entreprises.
La guidance religieuse
La conformité des produits financiers à la charia fait elle-même
l’objet de mécanismes de certification spécifiques, s’agissant en
particulier des banques islamiques ou des émetteurs de sukuk.
Chaque institution financière offrant des produits et services
financiers islamiques dispose de ses propres procédures de détermination de la conformité de ses produits à la charia. La méthode
la plus courante repose sur le recours à un comité indépendant
des dirigeants de la banque, composé de spécialistes du droit
islamique maîtrisant également les techniques financières. Le
Revue française d'économie, n° 4/vol XXV
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
22
ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page23
23
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
comité procède à l’analyse des documents relatifs au produit
concerné. Son consentement prend la forme de l’émission d’une
fatwa, c’est-à-dire la rédaction d’un avis juridique religieux. Le
comité a également pour mission de vérifier la mise en œuvre
des fatwas. Dans la plupart des banques, ce comité procède par
ailleurs à l’examen global de l’activité de l’établissement et produit
des rapports annuels portant sur la compatibilité des opérations
réalisées. L’importance et la croissance du volume des transactions
réalisées ces dernières années a néanmoins conduit à une rapide
évolution des produits financiers de base et à une standardisation
progressive des structures et de la documentation juridique et
financière.
A l’heure actuelle, les jurisconsultes qui jouissent d’une
réputation mondiale reconnue et dont les opinions sont largement
acceptées sont très peu nombreux (sans doute moins de quinze
dans le monde). Pour cette raison, ce sont souvent les mêmes
personnes qui siègent au sein des comités de conformité des institutions financières islamiques.
Les banques islamiques rencontrent des problèmes propres,
notamment liés aux divergences d’interprétation de la charia,
qui s’ajoutent aux difficultés rencontrées par les banques traditionnelles - standardisation des produits, liquidité du marché
interbancaire, valorisation des produits. Ces problèmes ont suscité
la création d’institutions et de procédures spécifiques telles que :
l’AAOIFI (Accounting and Auditing Organisation for Islamic
Institutions) installée à Bahreïn depuis 1991, qui sont chargées
de mettre en place des standards communs ; le conseil des services
financiers islamiques (IFSB), basé à Kuala Lumpur depuis 2002,
qui a pour rôle de mettre en place un corpus de standards et de
bonnes pratiques ; l’International Islamic Financial Market
(IIFM), créé à Bahreïn en 2001, qui a pour objectif de définir
le cadre conceptuel nécessaire au développement de marchés
monétaires et de capitaux islamiques ; le Liquidity Management
Center (LMC), créé en 2002 pour faciliter la mise en place d’un
marché monétaire interbancaire entre institutions islamiques ;
l’International Islamic Rating Agency (IIRA), également créée
en 2002, qui a pour objectif l’évaluation et la notation des insRevue française d'économie, n° 4/vol XXV
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
Patrick Allard et Djilali Benchabane
ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page24
Patrick Allard et Djilali Benchabane
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
titutions financières islamiques ainsi que les produits créés par
ces dernières ; l’International Arbitration and Reconciliation
Center for Islamic Financial Institutions (ARCIFI), établi à
Dubaï depuis 2005, a un rôle de médiateur mais statue également
sur les litiges qui opposent institutions financières islamiques
nationales, régionales et internationales.
La finance islamique exerce un attrait qui dépasse le cercle
des dévots musulmans à la recherche de placements en conformité
avec les exigences de leur foi. Elle attire aussi l’attention des critiques de la banque et de la finance traditionnelle, plus que
jamais en quête de pratiques éthiques dans le contexte de la crise
financière.
« Pour parler franchement, votre argent
nous intéresse ... »
12
L’intérêt pour la finance islamique des banques conventionnelles
elles-mêmes est allé croissant durant la dernière décennie. Elles
ont, soit lancé des « fenêtres islamiques » (via des agences dédiées),
soit créé des filiales spécialisées. Fin 2008, ces compartiments
islamiques des banques traditionnelles géraient environ 40% du
total des actifs sous gestion halal. Dans un premier temps, ces
entités spécialisées se sont implantées principalement au MoyenOrient et en Malaisie. Désormais, elles entament une expansion
en Occident, afin de séduire une partie de la population musulmane d’Europe (notamment en Grande-Bretagne et en France)
jusqu’ici assez peu bancarisée en raison du fondement de la
finance conventionnelle sur la pratique du taux d’intérêt (riba),
strictement interdite au sens de certains courants de pensée islamique.
Outre la perspective de gagner des parts de marché auprès
de la clientèle musulmane, les marges dégagées par la banque
islamique stimulent l’intérêt des banques traditionnelles pour
Revue française d'économie, n° 4/vol XXV
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
24
ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page25
25
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
ce type d’activité. Plus compliquée et donc plus coûteuse pour
l’investisseur que la banque traditionnelle, la banque islamique
procure des opportunités de profit, sous forme de commissions
associées au plus grand nombre de transactions engendrées, et
surtout de rentes, grâce à la plus faible concurrence qui règne
dans ce secteur où la clientèle est souvent captive en raison de
ses exigences religieuses et exposée à des charges supplémentaires,
comme prix à payer de la conformité à la charia. Au total, « les
rendements sont épais », comme le souligne Anouar Assoune,
vice-président, responsable crédit et coordination internationale
pour la finance islamique au sein de Moody’s, « dans un ordre
de grandeur relativement élevé : 4 % de retour sur les actifs et
25 % de retour sur les fonds propres»13, ce qui est plus fort que
pour les banques traditionnelles. Par exemple, en 2006, le retour
sur fonds propres des banques était de 15 % environ (2 % en
2009) dans la zone euro et de 13 % (2 % en 2009) aux EtatsUnis.
Certaines places financières occidentales développent des
stratégies pour attirer les capitaux à la recherche de placements
halal. Au Royaume-Uni, la Financial Services Authority a adapté
ses normes aux produits financiers islamiques et compte un
département spécialisé pour les établissements financiers islamiques. La législation britannique tient déjà compte de la taxation
des opérations de financements islamiques afin d’éviter un effet
de double taxation. Le Royaume-Uni compte aujourd’hui trois
banques pleinement islamiques : l’Islamic Bank of Britain (agréée
par les autorités de régulation en 2004), l’European Islamic
Investment Bank et la Bank of London and Middle East. En
France, l'Autorité des marchés financiers (AMF) a autorisé dès
2007 la création de fonds d'investissement en accord avec la loi
islamique. A la mi-2008, Christine Lagarde a fait part de son
souhait d'adapter l'environnement juridique français pour que
les activités de la finance islamique soient « aussi bienvenues à
Paris qu'elles le sont à Londres et sur d'autres places »14. Dans
un rapport remis à Europlace en 2008, les économistes Elyès
Jouini et Olivier Pastré ont calculé que la France pourrait espérer
collecter jusqu'à 120 milliards d'euros d'encours à l'horizon
Revue française d'économie, n° 4/vol XXV
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
Patrick Allard et Djilali Benchabane
ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page26
Patrick Allard et Djilali Benchabane
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
202015. Le cadre juridique français n’est pas encore adapté aux
montages de la finance islamique. Le Parlement a bien adopté
en septembre 2009, par le truchement d’un amendement sénatorial à un texte sur l’accès au crédit des PME, des modifications
au régime de la fiducie destinées à faciliter l'émission en France
de sukuk. Mais ces dispositions, contestées par les députés socialistes, ont été annulées par le Conseil constitutionnel (décision
du 14 octobre 200916), au motif que la mesure n'avait pas de
lien avec l'objet du texte principal. Toutefois, en 2009 et en
2010, l’administration fiscale a publié des instructions précisant
le traitement fiscal applicable aux opérations de mourabaha et
aux sukuk17. L'Association d'innovation pour le développement
économique et immobilier (AIDDIM) a rendu public l’octroi
par une banque en France, du premier prêt respectant les principes
islamiques, en mai 201018.
La finance islamique, modèle 1918
Source : les affiches de la Grande Guerre, Ecole alsacienne.
Disp. sur le site : http://www.ecole-alsacienne.org/spip/IMG/jpg/1303A05.jpg
Revue française d'économie, n° 4/vol XXV
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
26
ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page27
Patrick Allard et Djilali Benchabane
27
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
L’essor d’une finance se disant respectueuse de principes d’équité
ne pouvait laisser indifférents ceux qu’animent une réprobation
tout aussi séculaire des pouvoirs jugés excessifs et illégitimes de
l’argent et de la finance, pas plus que les prisonniers du mythe,
dénoncés par Maxime Rodinson qui voudrait que l’Islam soit
en opposition fondamentale avec le capitalisme.
C’est ainsi que, toujours prompt à soutenir le combat
contre Mammon et touché, peut-être, par la fidélité à des interdits
et des prescriptions similaires à ceux que l’Eglise elle-même a
soutenus jusqu’aux Lumières et qu’elle n’a abandonnés qu’à
regret et du bout des lèvres19, le Vatican, par la voix de son
organe de presse officiel, a vanté, au plus fort de la crise des subprimes, les mérites de la finance islamique, afin de mieux stigmatiser les dérives de la finance anglo-saxonne. « Nous pensons
que le monde financier islamique peut contribuer à établir des
règles pour un nouveau fondement de la finance occidentale,
car nous devons surmonter une crise, qui, après la résolution
des premiers problèmes de liquidité, est devenue principalement
une crise de confiance envers le système. Le système bancaire
international a besoin d’instruments qui placent l’éthique au
centre des affaires, et qui permettent de récolter des liquidités et
de participer à la reconstruction de la réputation d’un modèle
capitaliste qui a échoué.», écrit l’Osservatore Romano du 3 mars
2009, en donnant la plume à Claudia Segre, experte en titres à
revenus fixes, et à Loretta Napoleoni, polygraphe spécialiste du
terrorisme (assez proche, naguère, des Brigades rouges résurgentes
pour avoir été choisie pour interviewer certains de leurs membres
au début des années 1990), se vantant sur Wikipedia d’être
connue internationalement pour avoir estimé la taille de l’économie de la terreur).
Des laïcs, notamment certains promoteurs de la finance
islamique, n’hésitent pas à rappeler la proximité des principes
Revue française d'économie, n° 4/vol XXV
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
La finance islamique : modèle
alternatif...
ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page28
Patrick Allard et Djilali Benchabane
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
de la finance islamique avec ceux de l’Eglise médiévale. Pour
Gilles Saint Marc, avocat associé au cabinet Gide Loyrette Nouel
et membre du Conseil islamique de Paris Europlace, « les principes
de la finance islamique sont, pour la plupart, similaires à ceux
de l’ordre franciscain »20. D’autres présentent la finance islamique
comme un compartiment de la finance éthique, exempte des
dérives de la finance traditionnelle en raison de sa nature et de
ses principes. En novembre 2009, lors d’un colloque organisé
au ministère de l’Economie, de l’industrie et de l’emploi pour
expliquer « Pourquoi la finance islamique ne connaît pas la crise »,
Anouar Assoune affirmait que, techniquement, les banques islamiques ne peuvent pas porter d’actifs toxiques sur leurs bilans,
parce que les CDO (obligations adossées à des actifs titrisés),
CDO de CDO, SIV (Structured Investment Vehicle) et autres
produits structurés complexes sont des instruments de taux prohibés (ribâ) et spéculatifs (maisir). De surcroît, les banques islamiques ne peuvent pas prendre de positions (de dette ou de
fonds propres) sur les banques d’investissement conventionnelles
qui tout à la fois ont catalysé la crise et en ont subi les conséquences les plus funestes21.
La finance islamique, séduisante par son éthique économique (apparente), a également convaincu l’opinion internationale, car elle introduisait l’idée d’une « modernité musulmane »
dans la sphère économique. Elle devenait en quelque sorte le
symbole d’un capitalisme musulman reposant certes sur des
valeurs traditionnelles, mais qui en même temps revendiquait
un apport dans les échanges financiers internationaux.
... ou pastiche de la finance occidentale ?
Les prétentions des prêcheurs de la finance islamique ont été
contestées, passées les premières phases de la grande récession,
par la débâcle de Dubaï World, bras immobilier de l’émirat de
Revue française d'économie, n° 4/vol XXV
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
28
ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page29
29
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
Dubaï, précipitant fin 2009 la plus importante crise observée
sur le marché des sukuk. Il est devenu clair que la finance
islamique court les mêmes risques que la finance traditionnelle,
en plus de ses risques spécifiques, liés non seulement à ses
contraintes religieuses mais aussi aux limites que celles-ci imposent
à son modèle d’activité. Cela, d’autant plus, que la banque et la
finance islamiques se différencient par des méthodes visant à
respecter littéralement les interdits de la charia tout en les contournant, sans pouvoir s’affranchir des méthodes de valorisation de
la banque et de la finance traditionnelles.
La finance islamique dissimule l’intérêt mais elle y recourt
dans tous les aspects de son activité. D’abord, les banques islamiques utilisent les taux d’intérêt des marchés de la finance traditionnelle (par exemple, le Libor) comme standard pour la
rémunération des dépôts de leur clientèle, ce qui explique que
les études empiriques trouvent systématiquement que les banques
islamiques versent des rendements similaires à ceux des banques
traditionnelles ou que la volatilité des rémunérations est calquée
sur celle des taux d’intérêt ; d’ailleurs, les banques islamiques
font souvent valoir dans leurs annonces que les rémunérations
qu’elles versent à leurs déposants sont semblables à celles des
banques traditionnelles. Il n’y a pas lieu de s’en étonner, souligne
Kaouther Jouaber, maître de conférences à l’université Paris Dauphine et coresponsable d’une formation spécialisée en finance
islamique : « en finance, la performance d’un produit financier
est mesurée par rapport à des benchmarks. La finance islamique
n’échappe pas à cette règle. La méthodologie utilisée reste proche
des méthodologies classiques de mesure de performance. Le
sukuk ijara est par exemple souvent analysé en référence au Libor,
donc à un taux d’intérêt »22. Ensuite, les financements fournis
par les banques islamiques à leurs clients sont dans leur grande
majorité fondés sur le mouhabara23, c’est-à-dire, on le rappelle,
un contrat de vente par lequel le prêteur achète un bien à un
débiteur (par l’intermédiaire d’un tiers, pour éviter un contournement trop flagrant de l’interdit) et le lui revend immédiatement
à un prix majoré, réglé selon un échéancier convenu à l’avance.
Aucun intervalle minimum de temps n’est prévu par la charia
Revue française d'économie, n° 4/vol XXV
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
Patrick Allard et Djilali Benchabane
ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page30
Patrick Allard et Djilali Benchabane
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
ou la jurisprudence, de sorte que le délai courant est « inférieur
à la milliseconde », selon Timur Kuran24 ou de l’ordre de la
journée pour l’administration fiscale française25. L’ijara (leasing)
est également un moyen de contourner nominalement l’interdit.
C’est donc très naturellement que l’admission des opérations de
finance islamique dans le droit fiscal français passe par l’assimilation du traitement des profits réalisés par les opérations de
financement islamiques à celui réservé aux intérêts26, ce qu’un
juriste spécialisé trouve « assez déroutant (...), puisque le droit
musulman interdit sans ambiguïté la stipulation de l’intérêt »27.
En outre, les banques islamiques se refinancent communément sur des marchés de titres comportant un intérêt, notamment le marché interbancaire, sans alternative significative du
fait du faible développement des marchés interbancaires islamiques. Enfin, comme le rappelle Kaouther Jouaber, « les produits
financiers islamiques sont, la plupart du temps, valorisés par les
mêmes modèles mathématiques que les produits conventionnels ».
Au-delà du point de méthode soulevé, la question de la valorisation
des produits financiers islamiques pointe l’ambiguïté de la prétention de la finance islamique à proscrire la spéculation au
motif qu’elle est adossée au financement d’actifs réels : c’est
méconnaître que cette restriction n’abolit en rien l’incertitude
sur la valorisation desdits actifs. Celle-ci n’est en rien différente
de celle des actifs financiers puisqu’elle repose non sur le prix
d’achat de l’actif mais sur l’actualisation des flux de revenus
futurs anticipés. La finance islamique prescrit, certes, le partage
des profits et des pertes mais ses mécanismes ne suffisent pas à
abriter les prix des actifs réels de la spéculation, des bulles, des
booms, ni des krachs, comme le montre l’exemple du marché
immobilier de Dubaï.
Il est vrai que, dans leur ensemble, les banques islamiques
semblent plus averses au risque que les banques conventionnelles
et que, ayant des marges opérationnelles élevées, elles utilisent
moins l’effet de levier pour rehausser la rentabilité des fonds
propres. A. Hassoune rapporte un ratio fonds propres/actifs de
17% environ pour l’ensemble des banques islamiques pour
l’année 2006, contre 5% la même année pour les banques des
Revue française d'économie, n° 4/vol XXV
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
30
ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page31
31
pays-membres de l’OCDE28. En revanche, elles ont recours, tout
comme les banques conventionnelles, aux opérations hors bilan,
moins pour économiser des fonds propres que pour satisfaire
aux prescriptions religieuses. Ainsi, les opérations mouhabara
ou les sukuk font intervenir des agents intercalaires qui sont
souvent des véhicules spécialisés, semblables à ceux qui ont été
un facteur d’amplification de la crise des subprimes dans la
banque traditionnelle.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
Des risques sui generis
Outre les risques qu’elles partagent avec les banques conventionnelles, les banques islamiques font peser sur le système financier des risques propres29, s’agissant par exemple du risque de
liquidité, du risque opérationnel et du risque juridique. En effet,
les banques islamiques se heurtent à des obstacles spécifiques
dans la gestion de la liquidité, l’interdiction des intérêts ayant
entraîné le sous-développement des sources de financement. De
même, la restriction des financements aux activités qualifiées de
réelles limite les catégories d'actifs éligibles aux investissements,
ce qui contribue à accroître le risque de concentration dans des
secteurs plus sensibles à la conjoncture, tels que l'immobilier.
C’est ce qui s’est passé dans certains pays du Golfe. Loin d’avoir
ignoré la crise, les banques islamiques en ont subi les conséquences
et en ont tiré les leçons, notamment le besoin de renforcer la
gestion du risque par le recours à des instruments de couverture
(hedging, tahawwut en arabe). L’International Islamic Financial
Market (IIFM, Bahreïn) vient ainsi de publier, conjointement
avec l’International Swaps and Derivatives Association (ISDA),
une documentation standard (Tahawwut Master Agreement30)
sur les dérivés de crédit conformes à la charia, décalquée de la
documentation élaborée dès 1992 (révisée en 2002) par l’ISDA
à destination des banques conventionnelles : « les institutions
Revue française d'économie, n° 4/vol XXV
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
Patrick Allard et Djilali Benchabane
ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page32
Patrick Allard et Djilali Benchabane
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
financières charia-compliant sont désormais autorisées à se couvrir
contre le risque de change, les risques de crédit et de taux d'intérêt,
et même les risques liés aux obligations sukuk, en recourant à
des credit default swaps islamiques », explique Priya Uberoi,
chef de la division des dérivés de crédit islamiques à Clifford
Chance31.
Enfin, le risque opérationnel et l’incertitude juridique
peuvent être accentués par l’absence de normalisation des produits
et le manque d’harmonisation des normes islamiques, en raison
notamment des différences entre les interprétations des spécialistes
de la charia, entre les normes comptables, etc. Ces derniers
risques n’ont rien de théorique, comme l’a montré une fatwa
adoptée par l'AAOIFI en février 2008 qui a déclaré non islamiques
85 % des sukuk de titrisation existantes. Jetant une lumière
critique sur les modalités utilisées par les émetteurs de sukuk
pour épargner à leurs souscripteurs les rigueurs des prescriptions
de la charia, la fatwa critiquait des dispositions déviantes : garantie
des émetteurs, fourniture de liquidités pour régulariser les flux
versés aux investisseurs, engagement de l'émetteur de racheter
le pool d'actifs titrisés à un prix prédéterminé et non à un prix
de marché.
Au-delà des montages financiers, c’est le fondement même
de la finance islamique qui est exposé au risque des fatwas : en
2002, l’université d’Al Azhar a déclaré licite le versement d’une
rémunération fixée à l’avance sur les dépôts bancaires : « la prédétermination des bénéfices pour ceux qui investissent leurs
fonds par le biais d'une agence de placement auprès des banques
ou autres institutions est légalement admissible, au-dessus de
tout soupçon juridique (la shubhat fiha). Cette transaction appartient au domaine des prestations qui ne sont ni explicitement
autorisées ni explicitement interdites (min al-Qabil masalih alMursalah), et n'appartient pas aux domaines des croyances ou
des actes officiels de culte, dans lequel le changement et la modification ne sont pas autorisés »32.
Les risques juridiques propres à la finance islamique sont
aggravés par la coexistence de différentes écoles islamiques dans
le monde ainsi que par l’absence d’autorité unique dans le monde
Revue française d'économie, n° 4/vol XXV
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
32
ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page33
33
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
sunnite, source inépuisable de divergences d’appréciation sur le
caractère islamique des activités de la finance islamique. Il existe
une forme de concurrence normative au sein du monde musulman, reflétant les différences d’interprétation de la vulgate islamique par les quatre principales écoles de pensées, lesquelles
épousent les particularités géographiques : l’Asie musulmane est
plus libérale que le Golfe, même en matière bancaire.
Les jurisconsultes islamiques eux-mêmes ont signifié leur
opposition à tout effort trop poussé de standardisation et de
régulation de la finance islamique, au nom du principe d’ijtihad
(raisonnement) mais aussi pour préserver la diversité des pratiques :
« Il ne devrait pas exister de standard émanant de la charia, sauf
dans la méthode de raisonnement, qui offre des alternatives pour
résoudre les problèmes », a déclaré Mohamed Saeed al-Booti,
membre du conseil de surveillance de l’AAOIFI33.
Au total, comme l’admettent les plus lucides de ses partisans, la finance islamique n’est pas « une panacée ». Elle permet
aux musulmans dévots d’avoir accès à des placements et financements respectueux de leurs croyances. Mais, elle ne saurait
abolir le type de risque rencontré par toute activité bancaire :
risque de contrepartie ou de crédit (défaut du débiteur), risque
de liquidité (impossibilité de vendre à son prix un titre financier),
risque de marché ou risque systémique (lié aux conditions macrofinancières ou macro-économiques). Elle ajoute à ces risques
universels, ses risques propres. Enfin, ce serait faire preuve de
beaucoup de candeur que de penser que la référence à la religion
suffit à policer les comportements des acteurs : la première
banque islamique moderne n’a été autre que la Bank of Credit
and Commerce International (BCCI). Fondée en 1972, avec le
soutien du souverain d’Abou Dhabi, cheikh Zayed, par « un
Revue française d'économie, n° 4/vol XXV
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
Patrick Allard et Djilali Benchabane
ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page34
Patrick Allard et Djilali Benchabane
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
financier pakistanais aussi véreux que charismatique, Agha Hasan
Abedi »34, la BCCI « s’est spécialisée dans l’escroquerie financière
au détriment de ses déposants, a aidé des chefs d’Etat à siphonner
les ressources de leur pays, a travaillé de pair avec Saddam Hussein
et Manuel Noriega et s’est livrée au trafic d’influence à Washington
ou à Londres en bénéficiant de la cécité »35 des autorités de régulation compétentes jusqu’à sa dissolution en 199136. Plus récemment, il est apparu que la finance islamique pouvait, elle aussi,
abriter des Madoff, quand les agissements d’un affairiste libanais
proche du Hezbollah ont été révélés37.
Loin d’être un modèle alternatif à la banque et à la finance
traditionnelle, la banque et la finance islamiques entretiennent
avec les premières un rapport mimétique qui dément les prétentions éthiques dont la parent, surtout à l’intention des nonmusulmans, ses partisans les plus zélés à défaut d’être les plus
désintéressés.
Mais la principale limite de la finance islamique est sans
doute de chercher à porter remède à un embarras de riches, alors
que la masse des musulmans, notamment en Asie, historiquement
victime de l’usure, n’a que rarement accès au crédit. A cet égard,
les initiatives de microcrédit, selon le modèle de la Grameen
Bank de Mohamed Yunus paraissent moralement plus innovatrices, même si elles reposent sur le prêt à intérêt, ce qui leur
vaut d’ailleurs les critiques des islamistes.
Les auteurs remercient les relecteurs anonymes pour leurs remarques constructives. Ils
assument l’entière responsabilité de leurs propos qui n’engagent en aucune manière le
Ministère des affaires étrangères.
Patrick Allard est conseiller à la Direction de la prospective, Ministère des affaires
étrangères et européennes, 37 quai d’Orsay 75007 Paris.
Djilali Benchabane est chargé de mission à la Direction de la prospective, Ministère des
affaires étrangères et européennes, 37 quai d’Orsay 75007 Paris.
Revue française d'économie, n° 4/vol XXV
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
34
ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page35
Patrick Allard et Djilali Benchabane
35
1. Voir Paul Huvelin, Mélanges, II,
1938, p. 24, cité par Jahel Selim, Droit
des affaires et religions, Revue internationale de droit comparé, vol. 53, n°4,
octobre-décembre 2001, pp. 879-910 ;
disp. sur le site : http://www.persee.fr/
web/revues/home/prescript/article/ridc_
0035-3337_2001_num_53_4_17899
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
2. Voir Raymond De Roover, L’évolution de la lettre de change, XIV-XVIII
siècles, avant-propos de Fernand Braudel, EHESS, [1953].
3. Un classement des pays selon un
indice d’ « islamicité » suggère que les
pays musulmans, même ceux qui sont
membre de l’OIC, sont moins respectueux des principes économiques et
sociaux islamiques que les pays de
l’OCDE. Cf. Scheherazade S. Rehman,
Hossein Askari, An Economic islamicity
Index, Global Economy Journal, vol.
10, n°3, [2010], pp. 1-37.
4. Anouar Hassoune, interview à Easybourse, 13 février 2008 ; disp. sur le
site : http://www.easybourse.com/
bourse/interview/1030/anouar-hassounemoodys.html. A titre de comparaison,
la rentabilité des fonds propres était de
15% en moyenne pour les pays de
l’OCDE en 2008 et de moins de 4% en
France. Cf. IMF, Financial Soundness
Indicators.
5. Voir, inter alia, Timur Kuran, The
logic of financial westernization in the
Middle East, Journal of Economic Behavior & Organization, vol. 56, 2005,
pp. 593-615.
6. Voir Timur Kuran, Islam and Mammon: The Economic Predicaments of
Islamism. [2004], Princeton, NJ: Princeton University Press.
7. The Economist (18 juin 2010) relate
l’indignation d’Adnan Yousif, président
de l’Union des banques arabes, lorsque
jeune employé local de la filiale d’American Express à Bahrain, il observe en
1974 que beaucoup de cheikhs plaçaient
leurs liquidités sur les marchés obligataires occidentaux mais, respectueux
des lois islamiques, abandonnaient aux
banques les intérêts versés. Commentaire du magazine londonien : « To Mr
Yousif (...), this made no sense. At a
time when Muslim countries had imposed an oil embargo over America’s support for Israel why, he wondered, refuse
the Americans oil but give them billions
of dollars? ».
8. « Maison de la paix »: terme utilisé
pour désigner les territoires administrés
par des pouvoirs musulmans.
9. Patrick Imam and Kangni Kpodar,
Islamic Banking: How Has it Spread ?,
International Monetary Fund, mars
[2010].
10. Dans l’Ancien Testament, le passage
le plus connu se trouve dans le Deutéronome, XXIII, 20-21: « Tu ne pratiqueras pas l’usure envers ton frère, usure
d’argent, usure de manger, usure à tout
propos d’usure. Pour l’étranger, tu pratiqueras l’usure ; mais envers ton frère
pas d’usure pour que Adonaï, ton Elohim, te bénisse…» (trad. Chouraqui, p.
378). Dans le Nouveau Testament, c’est
dans l’Evangile selon Luc que se trouve
la référence la plus explicite à l’intérêt
(VI, 29-36): « (…) prêtez sans rien
attendre en retour » (trad. Chouraqui,
pp. 2005-2006). La prohibition de
l’usure par l’Eglise doit tout autant à
la philosophie aristotélicienne, notamment ce passage de la Politique : « La
monnaie (nomisma) n'a été faite qu'en
Revue française d'économie, n° 4/vol XXV
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
Notes
ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page36
Patrick Allard et Djilali Benchabane
vue de l'échange ; l'intérêt, au contraire,
multiplie cet argent même ; (…) l'intérêt est de l'argent d'argent; aussi l'usure
est-elle de tous les modes d'acquisition
le plus contraire à la nature » Aristote,
Politique, Livre 1, (trad. Jean Aubonnet),
éd. Les Belles Lettres, [1968], 1258b.
ne peut pas dire qu'il n'est pas possible
en France de faire des opérations « charia compatibles ». Les banques savent
faire ce genre de montage » ; cf. premier
prêt à l'habitat « charia compatible »
octroyé en France (association), AFP,
13 octobre 2010.
11. Maxime Rodinson, Islam et capitalisme, Le Seuil, [1966], p. 32.
19. De Saint Augustin à Saint Thomas,
la doctrine catholique, empruntant
moins aux Evangiles qu’à la philosophie
grecque, condamne le prêt à intérêt, car
« l’argent ne fait pas de petits » (Aristote, Politique, I, III). La prohibition
réitérée par les conciles de Latran (1139,
1179, 1512 – 1517) n’est levée qu’en
1830, par le décret Non esse inquietandos du 18 août 1830 : « Il ne faut pas
inquiéter ceux qui prêtent aux taux
légaux ni les obliger à restituer les intérêts perçus (...) ». L’Empire ottoman
avait assoupli l’interdit, dès le 16ème
siècle, sous le règne de Soliman le
Magnifique, quand les fondations charitables ont été autorisées à percevoir
un intérêt raisonnable.
12. Slogan publicitaire de la Société
Générale dans les années 1970, adressé
à une clientèle française, à l’époque
encore peu bancarisée.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
13. Interview à Easybourse, 13 février
2008 ; disp. sur le site : http://www.
easybourse.com/bourse/interview/1030/anouar-hassounemoodys.html.
14. Citée in « La finance islamique s'invite à Bercy », Le Point, 3 novembre
2009.
15. Elyès Jouini et Olivier Pastré, La
finance islamique, rapport remis à Paris
Europlace, octobre 2008 ; disp. sur le
site
:
http://www.olivierpastre.
fr/rapports-pdf/2008-rppeuroplace_finance-islamique.pdf
16. Voir sur le site du Conseil constitutionnel : http://www.conseil-constitutionnel.fr/decision.45861.html
17. Voir, direction générale du trésor,
Initiative en faveur du développement
de la finance islamique en France ; disp.
sur le site : http://www.minefe.gouv.fr/
directions_services/dgtpe/secteur_financier/haut_comite_place/dev_fin_islam.
htm.
18. L'opération a été réalisée par le biais
d'un mécanisme d'achat-revente (murabaha), avant la publication de l’instruction fiscale clarifiant le cadre juridique
et fiscal de cet instrument, le 24 août
2010. « Nous avons anticipé sur le
contenu de l'instruction, a expliqué à
l'AFP, le responsable de l’AIDDIM. On
Revue française d'économie, n° 4/vol XXV
20. Cité par Reuters, 17 février 2010.
Référence dont l’ironie semble échapper à l’auteur, car un moine récollet,
ordre de stricte observance franciscaine,
est à l’origine des Monts de piété, organismes de prêts sur gages à taux réduits
dont la pratique a contribué à acclimater l’intérêt en le dissociant de l’usure.
21. Cf. Anouar Hassoune, « Cartographie de la finance islamique », présentation à l’occasion de la conférence
« Finance islamique : quelles opportunités pour les entreprises françaises ? »,
organisée à Bercy par Premier cercle,
22. Interview à Next Finance, portail
de référence de la finance en France,
26 novembre 2009 ; disp. sur le site :
http://www.next-finance.fr/Finance-Islamique
23. C’est la raison pour laquelle des
« fiches doctrinales » visant à faciliter
l’acclimatation la finance islamique
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
36
ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page37
Patrick Allard et Djilali Benchabane
24. Cité in Bank with God, The Economist, 4 avril 2007.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
25. Voir la description du contrat de
mourabaha par l’administration fiscale
française : « schématiquement, une
banque crée une structure ad hoc qui
emprunte (le financier) ; le financier
achète un immeuble et, pour ce faire,
emprunte ; il revend, en principe immédiatement (ce peut être le jour même
de l’acquisition), ce bien à son client
(intérêts compris) », souligné par l’auteur ; direction générale des finances
publiques, « Régime applicable aux opérations de murabaha et aux sukuk »,
Instruction 4 /FE/09, du 25 février 2009.
Cette formulation n’est pas reprise dans
une nouvelle instruction, du 24 août
2010, relative au régime fiscal des seules
opérations de mourabaha.
26. L’instruction du 23 juillet 2010 relative au régime fiscal des seules opérations de mourabaha, précise que « sur
le plan économique, le revenu du financier constitue la rémunération d’un différé de paiement assimilable, sur le plan
fiscal, aux intérêts dus durant cette
période dans le cadre d’un financement
conventionnel. Par conséquent, les
règles fiscales doivent être appliquées,
pour le financier, en regardant le revenu
comme un flux d’intérêts que produirait
un financement conventionnel équivalent, et pour le client, comme un flux
d’intérêts qu’il acquitterait dans le cadre
d’un financement conventionnel équivalent ». Cf. direction générale des
finances publiques, Instruction 4
FE/S1/10, du 23 juillet 2010, Bulletin
officiel des impôts, n°78, du 24 août
2010.
27. Ibrahim Zeyyad Cekici, Développement de la finance islamique en
France : les premiers pas de l’administration fiscale, Revue Lamy - Droit des
affaires, n°3 , février 2009, pp. 77-81.
28. Source : World Bank, World development indicators Online.
29. Voir C. Noyer, gouverneur de la
Banque de France, Stabilité mondiale,
l’avenir des marchés de capitaux et de
la finance islamique en France, intervention au séminaire Euromoney, conférence de Paris sur la finance islamique,
Paris (29- 30 septembre 2009).
30. Cf. IIFM and ISDA Launch Tahawwut (Hedging) Master Agreement, 1er
mars 2010 ; disp. sur le site :
http://www.isda.org/media/press/2010/pr
ess030110.html
31. Citée par Robin Wigglesworth, in
Banks look to Islamic derivatives,
Financial Times, 5 mai 2010.
32. Une traduction en anglais du texte
de la fatwa, signée par le cheikh Tantawi, est disponible sur le site :
http://www.islamonline.com/news/print.
php?newid=308521.
33. Cité in Scholars reject strict Islamic
finance standards, Reuters, Manama,
10 novembre [2009].
34. J.F. Bayart, Le crime transnational
et la formation de l’Etat, Politique africaine, n°93, mars [2004], pp.94-104.
35. J.F. Bayart, ibid.
36. Le scandale de la BCCI a fait l’objet
d’un rapport du sénateur John Kerry :
voir The BCCI Affair. A Report to the
Committee on Foreign Relations, United
States Senate, Senator John Kerry and
Senator Hank Brown, décembre [1992],
102d Congress 2d Session Senate Print
Revue française d'économie, n° 4/vol XXV
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
publiées par la direction générale du
trésor se concentrent sur les mouhabara
et les sukuk. Voir direction générale du
trésor, Initiative en faveur du développement de la finance islamique en
France, Ministère de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, 2007 ; disp. sur
le site : http://www.minefe.gouv.fr/directions_services/dgtpe/secteur_financier/h
aut_comite_place/dev_fin_islam.htm.
37
ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page38
38
Patrick Allard et Djilali Benchabane
37. Des Libanais victimes d'un
« Madoff » proche du Hezbollah, Le
Monde, 6 septembre [2009].
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie
102-140 ; disp. sur le site :
http://www.fas.org/irp/congress/1992_rp
t/bcci/.
Revue française d'économie, n° 4/vol XXV
View publication stats
Téléchargement