See discussions, stats, and author profiles for this publication at: https://www.researchgate.net/publication/276407382 La finance islamique : modèle alternatif, postiche ou pastiche ? Article in Revue Française D Économie · January 2010 DOI: 10.3917/rfe.104.0011 CITATIONS READS 4 1,499 2 authors, including: Patrick Allard Ministry of Foreign affairs France 11 PUBLICATIONS 34 CITATIONS SEE PROFILE All content following this page was uploaded by Patrick Allard on 09 May 2018. The user has requested enhancement of the downloaded file. LA FINANCE ISLAMIQUE : MODÈLE ALTERNATIF, POSTICHE OU PASTICHE ? Patrick Allard, Djilali Benchabane Revue française d’économie | « Revue française d'économie » ISSN 0769-0479 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------https://www.cairn.info/revue-francaise-d-economie-2010-4-page-11.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Patrick Allard, Djilali Benchabane« La finance islamique : modèle alternatif, postiche ou pastiche ? », Revue française d'économie 2010/4 (Volume XXV), p. 11-38. DOI 10.3917/rfe.104.0011 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Revue française d’économie. © Revue française d’économie. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie 2010/4 Volume XXV | pages 11 à 38 Patrick ALLARD Djilali BENCHABANE Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie La finance islamique : modèle alternatif, postiche ou pastiche ? L a crise qui est survenue à l’été 2007 – une « étrange » crise, au sens de Marc Bloch, réfléchissant sur « l’étrange défaite » de juin 1940 – a une apparence : les dérèglements des maîtres de la finance à Wall Street ou dans la City ; elle a une réalité : la défaillance quasi générale des autorités de régulation Revue française d'économie, n° 4/vol XXV Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page11 ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page12 Patrick Allard et Djilali Benchabane Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie et la complaisance des gouvernements et de l’ensemble des agents économiques face aux facilités de l’endettement. Cette crise, immédiatement perçue comme étant de gravité historique, a suscité un ardent désir de rédemption : pour échapper à ses conséquences catastrophiques (la rédemption « keynésienne ») ; pour briser le cycle de crises récurrentes (la rédemption par la régulation de la finance) ; pour moraliser la sphère de l’économie (la rédemption par l’éthique). Dans ce contexte, certains regards occidentaux se sont tournés vers les principes de l’économie et de la finance islamiques, promus comme modèle d’économie et de finance éthiquement responsable, véritable alternative au modèle traditionnel (c’est-à-dire occidental) en banqueroute et frappé de faillite morale. Ce ne serait pas la première fois que l’Occident s’inspirerait de pratiques venues d’Orient, et particulièrement, du monde musulman, arabe ou turc, comme en attestent les emprunts du vocabulaire commercial français (et plus généralement, européen) : tararïuk/trafic, divân/douane, awâr/avarie, farda/fardeau, maghsin/magasin, tarka/tare (poids), ta'rit/tarif, sakk/chèque ou encore, hawala/aval1. Ce dernier emprunt est particulièrement intéressant car il souligne l’origine orientale de la lettre de change (saftaja), connue et usitée dans le monde musulman depuis le VIIIe siècle avec, dès cette époque, « des chaînes de hawala (transport de dette), correspondant aux chaînes d'endossements modernes », lettre de change dont on connait le rôle dans les progrès de l’économie postmédiévale en Occident2. Cependant, l’Occident devrait s’interroger sur l’intérêt d’un nouvel emprunt aux pratiques financières venues du monde musulman, qu’au demeurant ce dernier se montre peu empressé à observer3. La finance islamique, c’est-à-dire l’ensemble des activités répondant aux impératifs de la religion musulmane, de la banque aux opérations financières, ne pèse que d’un poids marginal sur les marchés financiers mondiaux et ne couvre qu’une part minoritaire de la banque et de la finance dans le monde musulman lui-même. Comme souvent en matière de finance, les données statistiques ne donnent au mieux que des ordres de grandeur. Revue française d'économie, n° 4/vol XXV Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie 12 ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page13 13 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie Aujourd’hui, les actifs gérés par la finance islamique sont estimés à 800-900 milliards de dollars (60% dans le Golfe et 20% en Asie méridionale), placés principalement dans les banques exclusivement islamiques (50%) ou les « fenêtres islamiques » des banques conventionnelles (40%)4. Ces actifs ne constituent guère plus de 1 % des actifs des 1 000 premières banques mondiales tandis que la valeur totale des sukuk (obligations islamiques) représente quelque 100 mds de dollars (dont les 2/3 émis dans la seule Malaisie) soit 0,1% de la valeur de marché des titres de dette au niveau mondial (plus de 82 000 milliards de dollars à fin 2009). Dynamique dans les années qui ont précédé la crise financière et économique mondiale, la croissance du marché des sukuk s’est nettement tassée depuis 2009. La finance islamique, une invention récente Les fidèles de la finance islamique se plaisent à souligner qu’elle puise ses principes dans la révélation coranique et les traditions qui la complètent. Celles-ci bannissent l’usure et la spéculation et interdisent le prêt à intérêt, tel qu’il se pratique à peu près universellement depuis des siècles, y compris dans les pays musulmans5. Toutefois, les principes théoriques de la finance islamique ont une histoire relativement courte, ayant été formulés en grande partie par le Pakistanais Sayyid Abul Ala Maududi (1903-1979), l’un des fondateurs de l’Islam intégriste contemporain, à partir des années 19406. La première banque islamique moderne a été créée au début des années 1960 en Egypte, à Mit Ghamr, par le Docteur Hamad Elnaggar, un économiste proche de la pensée des Frères musulmans afin de proposer à des populations d’artisans et de commerçants modestes les services d’une banque coopérative et leur offrir l’accès au crédit et la protection de l’épargne dont Revue française d'économie, n° 4/vol XXV Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie Patrick Allard et Djilali Benchabane ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page14 Patrick Allard et Djilali Benchabane Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie les privaient l’Etat nassérien et ses banques, par zèle confiscatoire, corruption et incompétence. Appliquer ces prescriptions, c’est vouloir renouer avec les pratiques éthiques en vigueur à l’âge d’or de l’Islam. C’est un impératif pour ceux qui cherchent à réinvestir dans la vie quotidienne du croyant la force initiale de la loi musulmane et à séparer les vrais musulmans du monde et des pratiques des infidèles. L’expansion de la finance islamique commerciale débute dans les années 1970, avec la création des premières grandes banques islamiques, notamment Islamic Development Bank, Dubai Islamic Bank et Albaraka Banking Group. Elle résulte d’une double impulsion : soutien appuyé de l’Etat dans le Golfe et dans les pays d’Asie musulmane, même si trois pays seulement (Iran, Pakistan, Soudan) sont allés jusqu’à l’interdiction formelle de la banque traditionnelle ; mais surtout, pression de la demande, dans le contexte des chocs pétroliers et de l’enrichissement soudain et massif des monarchies pétrolières, dont les bénéficiaires ont cherché les moyens de faire fructifier leur fortune sans contrevenir aux interdits coraniques7. Issu d’une histoire récente, l’essor de la finance islamique est le produit d’un contexte géopolitique arabe instable. On ne peut que souligner le « télescopage chronologique » qui voit se développer cette finance à caractère religieux au moment où le Proche-Orient bascule dans le chaos, dans les années 1970. Longtemps considéré comme la plateforme financière du monde arabe, le Proche-Orient a perdu sa spécialisation en matière financière au profit du Moyen-Orient – pour fuir un espace ravagé par le conflit israélo-palestinien et la guerre civile libanaise. Les conséquences géopolitiques de cette crise ont provoqué un double déplacement : la migration des capitaux et celle des compétences techniques financières. Par-delà la translation de l’espace proche-oriental vers le Moyen-Orient, le mouvement de transfert de l’activité financière souligne la mutation imposée par l’environnement culturel. En effet, en relocalisant du Proche-Orient (plutôt progressiste et empreint de valeurs occidentales) au Moyen-Orient (traditionnaliste, plus sensible à la doxa islamique), la finance arabe a dû Revue française d'économie, n° 4/vol XXV Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie 14 ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page15 Patrick Allard et Djilali Benchabane 15 Graphique 1 Rôle des Etats et rôle de la demande dans l’expansion de la banque islamique Impulsion gouvernementale Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie et Poussée de la demande Source : Anouar Hassoune, Cartographie de la finance islamique, intervention au colloque de Bercy, Paris, 3 novembre 2009. Il est généralement admis que les événements du 11 septembre 2001 ont également eu un impact non négligeable sur ce marché, avec un important mouvement de rapatriement des fonds moyen-orientaux vers leurs pays d’origine. Toutefois, une étude du FMI sur l’expansion de la finance islamique ne trouve aucun impact de l’événement, lequel est économétriquement dominé par l’effet des prix du pétrole9. Les actifs des banques islamiques restent nettement corrélés au cours du pétrole et aux cycles financiers mondiaux. La réislamisation de la société dans de nombreux pays musulmans et l’enrichissement de catégories de plus en plus diverses et nombreuses de la population de ces mêmes pays ont contribué au dynamisme enviable (plus de 10% l’an) affiché par la finance et la banque islamiques au cours des 20 ou 30 dernières années. Revue française d'économie, n° 4/vol XXV Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie se rapprocher des valeurs qui fondent le « dar al islam »8 pour se muer en finance islamique. Cette islamisation de la finance s’est inscrite dans un processus d’appropriation identitaire qui voulait plus garantir une compatibilité religieuse que révolutionner le secteur de la finance dans le monde musulman. ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page16 16 Patrick Allard et Djilali Benchabane Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie Aujourd’hui, des établissements bancaires islamiques existent dans une cinquantaine de pays. En Iran, au Pakistan et au Soudan, seules les banques islamiques sont autorisées. Dans les autres pays, les banques islamiques coexistent, en position souvent très minoritaire, avec les banques traditionnelles. Les principales banques islamiques sont localisées en Arabie saoudite (Al Rajhi Bank et Al Jazira Bank), au Koweït (Kuwait Finance House), à Dubaï (Dubai Islamic Bank), aux Emirats (Abu Dhabi Islamic Bank). D’autres pays majoritairement musulmans, mais où la finance islamique n’avait pas encore pris pied, commencent aussi à s’intéresser au phénomène, en particulier ceux d’Afrique du Nord. En 2007, la Tunisie a adopté un projet de loi autorisant la création de la première banque islamique pour le développement du commerce inter-arabe et, la même année, le Maroc a autorisé le développement des produits islamiques. En Afrique subsaharienne, hormis le Soudan avec plus de 20 banques dans le nord du pays et 10 milliards d’actifs gérés, le taux de pénétration de la finance islamique reste très faible. Graphique 2 Part des banques islamiques dans l’offre totale de crédit, 1992-2006 (en %) Source: Patrick Imam et Kangni Kpodar, Islamic Banking: How Has it Spread ?, International Monetary Fund, mars [2010]. Revue française d'économie, n° 4/vol XXV Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie Un type de finance marginal ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page17 17 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie Pour autant, la banque et la finance respectant la charia ne drainent qu’une fraction marginale de la richesse accumulée par les musulmans, sans doute parce que les banques du Golfe et d’Asie musulmane ont exploité de manière plus systématique le marché des particuliers, bien davantage sensibles à l’argument religieux, que la clientèle d’entreprises. Aujourd’hui, les actifs gérés par les banques et la finance islamiques, ne représentent que 10% des actifs détenus par des musulmans dans le monde tandis que la valeur totale des sukuk (obligations islamiques) ne représentait guère plus de 100 mds de dollars en 2008 (dont les 2/3 émis dans la seule Malaisie) soit 0,1% de la valeur de marché des obligations au niveau mondial. Pour le futur, c’est toujours du côté de la clientèle bancaire du monde arabe mais aussi parmi les populations musulmanes d’Occident, où il existe une demande non satisfaite pour les produits financiers conforme à la charia, que les acteurs de la banque et de la finance islamiques recherchent la dynamique d’expansion du marché. Graphique 3 Cartographie de la finance islamique [2008] Actifs gérés, en milliards d’USD Source : Anouar Hassoune, Cartographie de la finance islamique, intervention au colloque de Bercy, Paris, 3 novembre [2009]. Revue française d'économie, n° 4/vol XXV Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie Patrick Allard et Djilali Benchabane ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page18 18 Patrick Allard et Djilali Benchabane Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie Faisant écho, en les étendant et les durcissant, aux prohibitions de l’Ancien et du Nouveau Testament10, le Coran aborde la question de l’usure dans plusieurs sourates, mais en particulier dans la sourate 2, La Génisse (( ) : 275 : « Ceux qui se nourrissent d’usure (ribâ, le Coran utilise le mot ) ne se relèveront pas, sinon comme se relève celui que le Shaïtân frappe de folie en le touchant. Cela parce qu’ils disaient : « Voici, l’usure équivaut à une vente ((). Or Allah permet la vente, mais interdit l’usure » » ; 276 : « Allah élimine l’usure, il fait fructifier l’aumône : Allah n’aime pas l’effaceur, l’inique » ; 278 : « Ohé, ceux qui adhèrent, frémissez d’Allah, renoncez aux profits de l’usure, si vous êtes des adhérents » (trad. Chouraqui). D’autres sourates portent également une condamnation sévère contre l’usure : La Gent de ‘Imrân (al ‘imrân) Sourate 3, Les Femmes (an nisâ’) Sourate 4, Les « Romains » (ar rûm) Sourate 30. Dans un esprit marxiste, Maxime Rodinson interprète ainsi l’interdiction coranique de l’intérêt, « Il est possible (…) qu’il se soit surtout agi de stigmatiser, à une époque où la petite communauté musulmane, pauvre et entourée d’ennemis à Médine, s’efforçait de recueillir des fonds auprès des « sympathisants », ceux qui se refusaient à lui en prêter à des conditions raisonnables. Mais il s’agit, aussi, selon le sens obvie des textes, de faire préférer aux musulmans la zakât, l’aumône aux nécessiteux, par l’intermédiaire de la caisse de bienfaisance tenue par le Prophète (et dont il se servait aussi pour d’autres buts), à une utilisation plus profane, mais plus profitable, de leurs disponibilités par le prêt à intérêt »11. Principes et interdits de la finance islamique La finance islamique est enchâssée dans la conception musulmane de l’économie : Revue française d'économie, n° 4/vol XXV Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie Textes sacrés ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page19 19 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie - Régence sur le monde : les hommes ne sont pas maîtres et possesseurs de la nature, ils en sont seulement les dépositaires. - Equité et justice sociale : la finance participative, de type actionnarial et mutualiste, est encouragée ; ni la spéculation, ni la thésaurisation ne sont souhaitables. - Responsabilité : la dette est sacrée, elle constitue une responsabilité et ne fait pas l’objet d’un échange. - Séquentialité : la production précède l’échange marchand : on ne peut pas vendre ce qu’on ne possède pas. - Réalité : la monnaie est une mesure de la valeur, pas une valeur en soi. Dans la sphère financière, ces principes fondent des prescriptions et des interdits. La prescription centrale porte sur le partage des pertes et profits : la finance islamique préconise le partage équitable des gains et des risques entre parties prenantes quel que soit le type de financement utilisé, de sorte que le financier est dans la même position que l’entrepreneur, tant dans la prise de risques que dans les rendements générés par l’opération. Ensuite, toute transaction doit être adossée à des actifs tangibles et identifiables (biens immobiliers ou matières premières). Elle ne peut s'appuyer sur d'autres produits financiers. Les interdits portent sur la nature de l’activité et surtout sur la nature des gains. L’Islam pose des exigences fondées sur la nature de l’activité dans laquelle un investissement demeure conforme à la charia. Ainsi, les jeux de hasard, les activités en relation avec l’alcool, avec l’élevage porcin ou encore avec l’armement, avec l’industrie cinématographique suscitant ou suggérant la débauche ou la déchéance de l’être humain, constituent des secteurs d’investissement prohibés. Ensuite, l’Islam pose des exigences fondées sur la nature du gain tiré d’un investissement dans une activité licite. Il prohibe l’intérêt, confondu avec l’usure (ribâ), et les gains fondés sur l’exploitation de l’incertitude, sur la spéculation (maisir) ou sur le hasard (gharar). La prohibition de l’intérêt résulte du verset 275 de la deuxième sourate du Coran : « Dieu a rendu licite le commerce et illicite l’intérêt ». Un hadith explicite l’interdit en Revue française d'économie, n° 4/vol XXV Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie Patrick Allard et Djilali Benchabane ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page20 Patrick Allard et Djilali Benchabane énumérant six substances dites ribawi (à intérêt usuraire) : or, argent, blé, froment, dattes, sel. Tout échange de produit identique (or contre or, blé contre blé) comportant un avantage unilatéral constitue une opération usuraire. L’interdit ne concerne pas les avantages résultant de l’échange de produits de nature différente (or contre blé). En matière d’échange de monnaie (argent contre argent), tout surplus tiré d’une transaction non basée sur des actifs réels et préalablement possédés par le vendeur est haram (impur). Les contrats de prêt entrent dans cette catégorie. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie Résumé des prescriptions et interdits islamiques en matière de finance Prescriptions Equilibre des prestations et équité • Principe des « 3 P » : partage des pertes et des profits. • Modalités de partage : elles doivent être convenues à l’avance mais ne sont pas nécessairement égalitaires (liberté contractuelle). Interdits Prohibition du ribâ (intérêt fixe ou variable) • Interdiction de la rémunération du prêt d’argent mais rémunération possible à travers les revenus effectivement générés par l’actif financé. • Sanction et cas de déchéance du terme uniquement en cas de faute de l’emprunteur. Principe dʼadossement à un actif tangible • Tout financement doit être adossé à un actif tangible. Prohibition de lʼaléa (gharar) et de la spéculation (maisir) • Concernent les biens dont l’existence est incertaine (chose non suffisamment identifiée). • Autorisation de la vente à livraison différée (≠ vente à découvert). Supervision des activités par un conseil religieux (charia Board) • L’existence au sein de chaque banque d’un tel organe est fortement recommandée (conformité des transactions, validation d’opération-type, règles d’éthique, émission de fatwa, suivi et supervision). Filtrages éthiques • Le financement doit porter sur des activités licites (halal) et la société objet de l’investissement ne doit pas avoir un ratio d’endettement trop important. Source : Guide de la finance islamique, Herbert Smith LLP, [2009]. Revue française d'économie, n° 4/vol XXV Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie 20 ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page21 Patrick Allard et Djilali Benchabane 21 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie L’application contemporaine des normes islamiques, très dépendantes du contexte historique de la société bédouine dans laquelle elles ont été exprimées, passe par des formes variées, dont certaines restent proches des mécanismes de l’économie médiévale alors que d’autres mobilisent des innovations sophistiquées, parfois exposées aux foudres des gardiens de la foi. Les mécanismes financiers permettant la rémunération des capitaux sont fondés sur le principe de partage des pertes et profits (al-Ghunm bi al-Ghurm) issus d’activités menées dans un cadre juridique contractuel qui est soit celui de l’achat-vente, de la location ou de la commande à façon, soit celui du partenariat ou de l’association entre les apporteurs de capitaux et les autres parties prenantes engagées dans une entreprise commune. Plusieurs mécanismes correspondent au premier type de contrat : i) la mourabaha, un « contrat de vente, entre un vendeur et un acheteur, par lequel ce dernier achète les biens requis par un acheteur et les lui revend à un prix majoré. Les bénéfices (marge bénéficiaire) et la période de remboursement (versements échelonnés en général) sont précisés dans un contrat initial ; ii) l’ijara, un mode de financement à moyen terme par lequel un apporteur de capitaux (banque) achète des équipements puis en transfère l’usufruit, par exemple dans le cadre d’un crédit-bail, au bénéficiaire pour une période durant laquelle il conserve le titre de propriété de ces biens ; iii) l’istisna, un contrat de fabrication (ou de construction) aux termes duquel le participant (vendeur) accepte de fournir à l’acheteur, dans un certain délai et à un prix convenu, des biens spécifiés après leur fabrication (construction) conformément au cahier des charges. Les mécanismes correspondant au deuxième type de contrats sont : i) la moudaraba, qui permet à un entrepreneur de mener un projet grâce à des fonds avancés par des apporteurs de capitaux, qui se répartissent les gains (et les pertes) selon une clef fixée dans le contrat ; ii) la mousharaka, un contrat entre Revue française d'économie, n° 4/vol XXV Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie Mécanismes financiers licites ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page22 Patrick Allard et Djilali Benchabane Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie des partenaires qui apportent les fonds mais confient à l’un d’eux la charge de la gestion du projet ; iii) la mousharaka mutanaquissa est une modalité particulière, destinée le plus souvent à financer l’acquisition d’un bien immeuble d’habitation par un particulier utilisant les fonds apportés par une banque, qui sont remboursés selon un tableau d’amortissement comprenant outre le capital principal, les bénéfices tirés par la banque pour cette opération. Les sukuk sont l’une des innovations les plus sophistiquées de la finance islamique contemporaine, combinant plusieurs des mécanismes décrits ci-dessus. Il s’agit des titres assimilables à des obligations mais qui sont émis par un véhicule financier spécialisé (trust, fiducie) engagé dans des opérations d’ijara ou de mousharaka adossées à des biens ou des activités réelles. Chaque titre ouvre droit au bénéfice d'une quote-part égale des fruits résultant de l'exploitation de l'actif concerné. Les ménages, plus sensibles à l’argument religieux, demeurent la cible principale des banques islamiques. La diversification par produit au sein des grandes institutions financières islamiques (IFI) reste limitée : les portefeuilles de crédit sont dominés par le « ijara », les contrats de « mourabaha » et, dans une bien moindre mesure, les « istisna » réservés aux entreprises. La guidance religieuse La conformité des produits financiers à la charia fait elle-même l’objet de mécanismes de certification spécifiques, s’agissant en particulier des banques islamiques ou des émetteurs de sukuk. Chaque institution financière offrant des produits et services financiers islamiques dispose de ses propres procédures de détermination de la conformité de ses produits à la charia. La méthode la plus courante repose sur le recours à un comité indépendant des dirigeants de la banque, composé de spécialistes du droit islamique maîtrisant également les techniques financières. Le Revue française d'économie, n° 4/vol XXV Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie 22 ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page23 23 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie comité procède à l’analyse des documents relatifs au produit concerné. Son consentement prend la forme de l’émission d’une fatwa, c’est-à-dire la rédaction d’un avis juridique religieux. Le comité a également pour mission de vérifier la mise en œuvre des fatwas. Dans la plupart des banques, ce comité procède par ailleurs à l’examen global de l’activité de l’établissement et produit des rapports annuels portant sur la compatibilité des opérations réalisées. L’importance et la croissance du volume des transactions réalisées ces dernières années a néanmoins conduit à une rapide évolution des produits financiers de base et à une standardisation progressive des structures et de la documentation juridique et financière. A l’heure actuelle, les jurisconsultes qui jouissent d’une réputation mondiale reconnue et dont les opinions sont largement acceptées sont très peu nombreux (sans doute moins de quinze dans le monde). Pour cette raison, ce sont souvent les mêmes personnes qui siègent au sein des comités de conformité des institutions financières islamiques. Les banques islamiques rencontrent des problèmes propres, notamment liés aux divergences d’interprétation de la charia, qui s’ajoutent aux difficultés rencontrées par les banques traditionnelles - standardisation des produits, liquidité du marché interbancaire, valorisation des produits. Ces problèmes ont suscité la création d’institutions et de procédures spécifiques telles que : l’AAOIFI (Accounting and Auditing Organisation for Islamic Institutions) installée à Bahreïn depuis 1991, qui sont chargées de mettre en place des standards communs ; le conseil des services financiers islamiques (IFSB), basé à Kuala Lumpur depuis 2002, qui a pour rôle de mettre en place un corpus de standards et de bonnes pratiques ; l’International Islamic Financial Market (IIFM), créé à Bahreïn en 2001, qui a pour objectif de définir le cadre conceptuel nécessaire au développement de marchés monétaires et de capitaux islamiques ; le Liquidity Management Center (LMC), créé en 2002 pour faciliter la mise en place d’un marché monétaire interbancaire entre institutions islamiques ; l’International Islamic Rating Agency (IIRA), également créée en 2002, qui a pour objectif l’évaluation et la notation des insRevue française d'économie, n° 4/vol XXV Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie Patrick Allard et Djilali Benchabane ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page24 Patrick Allard et Djilali Benchabane Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie titutions financières islamiques ainsi que les produits créés par ces dernières ; l’International Arbitration and Reconciliation Center for Islamic Financial Institutions (ARCIFI), établi à Dubaï depuis 2005, a un rôle de médiateur mais statue également sur les litiges qui opposent institutions financières islamiques nationales, régionales et internationales. La finance islamique exerce un attrait qui dépasse le cercle des dévots musulmans à la recherche de placements en conformité avec les exigences de leur foi. Elle attire aussi l’attention des critiques de la banque et de la finance traditionnelle, plus que jamais en quête de pratiques éthiques dans le contexte de la crise financière. « Pour parler franchement, votre argent nous intéresse ... » 12 L’intérêt pour la finance islamique des banques conventionnelles elles-mêmes est allé croissant durant la dernière décennie. Elles ont, soit lancé des « fenêtres islamiques » (via des agences dédiées), soit créé des filiales spécialisées. Fin 2008, ces compartiments islamiques des banques traditionnelles géraient environ 40% du total des actifs sous gestion halal. Dans un premier temps, ces entités spécialisées se sont implantées principalement au MoyenOrient et en Malaisie. Désormais, elles entament une expansion en Occident, afin de séduire une partie de la population musulmane d’Europe (notamment en Grande-Bretagne et en France) jusqu’ici assez peu bancarisée en raison du fondement de la finance conventionnelle sur la pratique du taux d’intérêt (riba), strictement interdite au sens de certains courants de pensée islamique. Outre la perspective de gagner des parts de marché auprès de la clientèle musulmane, les marges dégagées par la banque islamique stimulent l’intérêt des banques traditionnelles pour Revue française d'économie, n° 4/vol XXV Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie 24 ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page25 25 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie ce type d’activité. Plus compliquée et donc plus coûteuse pour l’investisseur que la banque traditionnelle, la banque islamique procure des opportunités de profit, sous forme de commissions associées au plus grand nombre de transactions engendrées, et surtout de rentes, grâce à la plus faible concurrence qui règne dans ce secteur où la clientèle est souvent captive en raison de ses exigences religieuses et exposée à des charges supplémentaires, comme prix à payer de la conformité à la charia. Au total, « les rendements sont épais », comme le souligne Anouar Assoune, vice-président, responsable crédit et coordination internationale pour la finance islamique au sein de Moody’s, « dans un ordre de grandeur relativement élevé : 4 % de retour sur les actifs et 25 % de retour sur les fonds propres»13, ce qui est plus fort que pour les banques traditionnelles. Par exemple, en 2006, le retour sur fonds propres des banques était de 15 % environ (2 % en 2009) dans la zone euro et de 13 % (2 % en 2009) aux EtatsUnis. Certaines places financières occidentales développent des stratégies pour attirer les capitaux à la recherche de placements halal. Au Royaume-Uni, la Financial Services Authority a adapté ses normes aux produits financiers islamiques et compte un département spécialisé pour les établissements financiers islamiques. La législation britannique tient déjà compte de la taxation des opérations de financements islamiques afin d’éviter un effet de double taxation. Le Royaume-Uni compte aujourd’hui trois banques pleinement islamiques : l’Islamic Bank of Britain (agréée par les autorités de régulation en 2004), l’European Islamic Investment Bank et la Bank of London and Middle East. En France, l'Autorité des marchés financiers (AMF) a autorisé dès 2007 la création de fonds d'investissement en accord avec la loi islamique. A la mi-2008, Christine Lagarde a fait part de son souhait d'adapter l'environnement juridique français pour que les activités de la finance islamique soient « aussi bienvenues à Paris qu'elles le sont à Londres et sur d'autres places »14. Dans un rapport remis à Europlace en 2008, les économistes Elyès Jouini et Olivier Pastré ont calculé que la France pourrait espérer collecter jusqu'à 120 milliards d'euros d'encours à l'horizon Revue française d'économie, n° 4/vol XXV Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie Patrick Allard et Djilali Benchabane ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page26 Patrick Allard et Djilali Benchabane Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie 202015. Le cadre juridique français n’est pas encore adapté aux montages de la finance islamique. Le Parlement a bien adopté en septembre 2009, par le truchement d’un amendement sénatorial à un texte sur l’accès au crédit des PME, des modifications au régime de la fiducie destinées à faciliter l'émission en France de sukuk. Mais ces dispositions, contestées par les députés socialistes, ont été annulées par le Conseil constitutionnel (décision du 14 octobre 200916), au motif que la mesure n'avait pas de lien avec l'objet du texte principal. Toutefois, en 2009 et en 2010, l’administration fiscale a publié des instructions précisant le traitement fiscal applicable aux opérations de mourabaha et aux sukuk17. L'Association d'innovation pour le développement économique et immobilier (AIDDIM) a rendu public l’octroi par une banque en France, du premier prêt respectant les principes islamiques, en mai 201018. La finance islamique, modèle 1918 Source : les affiches de la Grande Guerre, Ecole alsacienne. Disp. sur le site : http://www.ecole-alsacienne.org/spip/IMG/jpg/1303A05.jpg Revue française d'économie, n° 4/vol XXV Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie 26 ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page27 Patrick Allard et Djilali Benchabane 27 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie L’essor d’une finance se disant respectueuse de principes d’équité ne pouvait laisser indifférents ceux qu’animent une réprobation tout aussi séculaire des pouvoirs jugés excessifs et illégitimes de l’argent et de la finance, pas plus que les prisonniers du mythe, dénoncés par Maxime Rodinson qui voudrait que l’Islam soit en opposition fondamentale avec le capitalisme. C’est ainsi que, toujours prompt à soutenir le combat contre Mammon et touché, peut-être, par la fidélité à des interdits et des prescriptions similaires à ceux que l’Eglise elle-même a soutenus jusqu’aux Lumières et qu’elle n’a abandonnés qu’à regret et du bout des lèvres19, le Vatican, par la voix de son organe de presse officiel, a vanté, au plus fort de la crise des subprimes, les mérites de la finance islamique, afin de mieux stigmatiser les dérives de la finance anglo-saxonne. « Nous pensons que le monde financier islamique peut contribuer à établir des règles pour un nouveau fondement de la finance occidentale, car nous devons surmonter une crise, qui, après la résolution des premiers problèmes de liquidité, est devenue principalement une crise de confiance envers le système. Le système bancaire international a besoin d’instruments qui placent l’éthique au centre des affaires, et qui permettent de récolter des liquidités et de participer à la reconstruction de la réputation d’un modèle capitaliste qui a échoué.», écrit l’Osservatore Romano du 3 mars 2009, en donnant la plume à Claudia Segre, experte en titres à revenus fixes, et à Loretta Napoleoni, polygraphe spécialiste du terrorisme (assez proche, naguère, des Brigades rouges résurgentes pour avoir été choisie pour interviewer certains de leurs membres au début des années 1990), se vantant sur Wikipedia d’être connue internationalement pour avoir estimé la taille de l’économie de la terreur). Des laïcs, notamment certains promoteurs de la finance islamique, n’hésitent pas à rappeler la proximité des principes Revue française d'économie, n° 4/vol XXV Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie La finance islamique : modèle alternatif... ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page28 Patrick Allard et Djilali Benchabane Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie de la finance islamique avec ceux de l’Eglise médiévale. Pour Gilles Saint Marc, avocat associé au cabinet Gide Loyrette Nouel et membre du Conseil islamique de Paris Europlace, « les principes de la finance islamique sont, pour la plupart, similaires à ceux de l’ordre franciscain »20. D’autres présentent la finance islamique comme un compartiment de la finance éthique, exempte des dérives de la finance traditionnelle en raison de sa nature et de ses principes. En novembre 2009, lors d’un colloque organisé au ministère de l’Economie, de l’industrie et de l’emploi pour expliquer « Pourquoi la finance islamique ne connaît pas la crise », Anouar Assoune affirmait que, techniquement, les banques islamiques ne peuvent pas porter d’actifs toxiques sur leurs bilans, parce que les CDO (obligations adossées à des actifs titrisés), CDO de CDO, SIV (Structured Investment Vehicle) et autres produits structurés complexes sont des instruments de taux prohibés (ribâ) et spéculatifs (maisir). De surcroît, les banques islamiques ne peuvent pas prendre de positions (de dette ou de fonds propres) sur les banques d’investissement conventionnelles qui tout à la fois ont catalysé la crise et en ont subi les conséquences les plus funestes21. La finance islamique, séduisante par son éthique économique (apparente), a également convaincu l’opinion internationale, car elle introduisait l’idée d’une « modernité musulmane » dans la sphère économique. Elle devenait en quelque sorte le symbole d’un capitalisme musulman reposant certes sur des valeurs traditionnelles, mais qui en même temps revendiquait un apport dans les échanges financiers internationaux. ... ou pastiche de la finance occidentale ? Les prétentions des prêcheurs de la finance islamique ont été contestées, passées les premières phases de la grande récession, par la débâcle de Dubaï World, bras immobilier de l’émirat de Revue française d'économie, n° 4/vol XXV Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie 28 ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page29 29 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie Dubaï, précipitant fin 2009 la plus importante crise observée sur le marché des sukuk. Il est devenu clair que la finance islamique court les mêmes risques que la finance traditionnelle, en plus de ses risques spécifiques, liés non seulement à ses contraintes religieuses mais aussi aux limites que celles-ci imposent à son modèle d’activité. Cela, d’autant plus, que la banque et la finance islamiques se différencient par des méthodes visant à respecter littéralement les interdits de la charia tout en les contournant, sans pouvoir s’affranchir des méthodes de valorisation de la banque et de la finance traditionnelles. La finance islamique dissimule l’intérêt mais elle y recourt dans tous les aspects de son activité. D’abord, les banques islamiques utilisent les taux d’intérêt des marchés de la finance traditionnelle (par exemple, le Libor) comme standard pour la rémunération des dépôts de leur clientèle, ce qui explique que les études empiriques trouvent systématiquement que les banques islamiques versent des rendements similaires à ceux des banques traditionnelles ou que la volatilité des rémunérations est calquée sur celle des taux d’intérêt ; d’ailleurs, les banques islamiques font souvent valoir dans leurs annonces que les rémunérations qu’elles versent à leurs déposants sont semblables à celles des banques traditionnelles. Il n’y a pas lieu de s’en étonner, souligne Kaouther Jouaber, maître de conférences à l’université Paris Dauphine et coresponsable d’une formation spécialisée en finance islamique : « en finance, la performance d’un produit financier est mesurée par rapport à des benchmarks. La finance islamique n’échappe pas à cette règle. La méthodologie utilisée reste proche des méthodologies classiques de mesure de performance. Le sukuk ijara est par exemple souvent analysé en référence au Libor, donc à un taux d’intérêt »22. Ensuite, les financements fournis par les banques islamiques à leurs clients sont dans leur grande majorité fondés sur le mouhabara23, c’est-à-dire, on le rappelle, un contrat de vente par lequel le prêteur achète un bien à un débiteur (par l’intermédiaire d’un tiers, pour éviter un contournement trop flagrant de l’interdit) et le lui revend immédiatement à un prix majoré, réglé selon un échéancier convenu à l’avance. Aucun intervalle minimum de temps n’est prévu par la charia Revue française d'économie, n° 4/vol XXV Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie Patrick Allard et Djilali Benchabane ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page30 Patrick Allard et Djilali Benchabane Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie ou la jurisprudence, de sorte que le délai courant est « inférieur à la milliseconde », selon Timur Kuran24 ou de l’ordre de la journée pour l’administration fiscale française25. L’ijara (leasing) est également un moyen de contourner nominalement l’interdit. C’est donc très naturellement que l’admission des opérations de finance islamique dans le droit fiscal français passe par l’assimilation du traitement des profits réalisés par les opérations de financement islamiques à celui réservé aux intérêts26, ce qu’un juriste spécialisé trouve « assez déroutant (...), puisque le droit musulman interdit sans ambiguïté la stipulation de l’intérêt »27. En outre, les banques islamiques se refinancent communément sur des marchés de titres comportant un intérêt, notamment le marché interbancaire, sans alternative significative du fait du faible développement des marchés interbancaires islamiques. Enfin, comme le rappelle Kaouther Jouaber, « les produits financiers islamiques sont, la plupart du temps, valorisés par les mêmes modèles mathématiques que les produits conventionnels ». Au-delà du point de méthode soulevé, la question de la valorisation des produits financiers islamiques pointe l’ambiguïté de la prétention de la finance islamique à proscrire la spéculation au motif qu’elle est adossée au financement d’actifs réels : c’est méconnaître que cette restriction n’abolit en rien l’incertitude sur la valorisation desdits actifs. Celle-ci n’est en rien différente de celle des actifs financiers puisqu’elle repose non sur le prix d’achat de l’actif mais sur l’actualisation des flux de revenus futurs anticipés. La finance islamique prescrit, certes, le partage des profits et des pertes mais ses mécanismes ne suffisent pas à abriter les prix des actifs réels de la spéculation, des bulles, des booms, ni des krachs, comme le montre l’exemple du marché immobilier de Dubaï. Il est vrai que, dans leur ensemble, les banques islamiques semblent plus averses au risque que les banques conventionnelles et que, ayant des marges opérationnelles élevées, elles utilisent moins l’effet de levier pour rehausser la rentabilité des fonds propres. A. Hassoune rapporte un ratio fonds propres/actifs de 17% environ pour l’ensemble des banques islamiques pour l’année 2006, contre 5% la même année pour les banques des Revue française d'économie, n° 4/vol XXV Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie 30 ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page31 31 pays-membres de l’OCDE28. En revanche, elles ont recours, tout comme les banques conventionnelles, aux opérations hors bilan, moins pour économiser des fonds propres que pour satisfaire aux prescriptions religieuses. Ainsi, les opérations mouhabara ou les sukuk font intervenir des agents intercalaires qui sont souvent des véhicules spécialisés, semblables à ceux qui ont été un facteur d’amplification de la crise des subprimes dans la banque traditionnelle. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie Des risques sui generis Outre les risques qu’elles partagent avec les banques conventionnelles, les banques islamiques font peser sur le système financier des risques propres29, s’agissant par exemple du risque de liquidité, du risque opérationnel et du risque juridique. En effet, les banques islamiques se heurtent à des obstacles spécifiques dans la gestion de la liquidité, l’interdiction des intérêts ayant entraîné le sous-développement des sources de financement. De même, la restriction des financements aux activités qualifiées de réelles limite les catégories d'actifs éligibles aux investissements, ce qui contribue à accroître le risque de concentration dans des secteurs plus sensibles à la conjoncture, tels que l'immobilier. C’est ce qui s’est passé dans certains pays du Golfe. Loin d’avoir ignoré la crise, les banques islamiques en ont subi les conséquences et en ont tiré les leçons, notamment le besoin de renforcer la gestion du risque par le recours à des instruments de couverture (hedging, tahawwut en arabe). L’International Islamic Financial Market (IIFM, Bahreïn) vient ainsi de publier, conjointement avec l’International Swaps and Derivatives Association (ISDA), une documentation standard (Tahawwut Master Agreement30) sur les dérivés de crédit conformes à la charia, décalquée de la documentation élaborée dès 1992 (révisée en 2002) par l’ISDA à destination des banques conventionnelles : « les institutions Revue française d'économie, n° 4/vol XXV Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie Patrick Allard et Djilali Benchabane ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page32 Patrick Allard et Djilali Benchabane Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie financières charia-compliant sont désormais autorisées à se couvrir contre le risque de change, les risques de crédit et de taux d'intérêt, et même les risques liés aux obligations sukuk, en recourant à des credit default swaps islamiques », explique Priya Uberoi, chef de la division des dérivés de crédit islamiques à Clifford Chance31. Enfin, le risque opérationnel et l’incertitude juridique peuvent être accentués par l’absence de normalisation des produits et le manque d’harmonisation des normes islamiques, en raison notamment des différences entre les interprétations des spécialistes de la charia, entre les normes comptables, etc. Ces derniers risques n’ont rien de théorique, comme l’a montré une fatwa adoptée par l'AAOIFI en février 2008 qui a déclaré non islamiques 85 % des sukuk de titrisation existantes. Jetant une lumière critique sur les modalités utilisées par les émetteurs de sukuk pour épargner à leurs souscripteurs les rigueurs des prescriptions de la charia, la fatwa critiquait des dispositions déviantes : garantie des émetteurs, fourniture de liquidités pour régulariser les flux versés aux investisseurs, engagement de l'émetteur de racheter le pool d'actifs titrisés à un prix prédéterminé et non à un prix de marché. Au-delà des montages financiers, c’est le fondement même de la finance islamique qui est exposé au risque des fatwas : en 2002, l’université d’Al Azhar a déclaré licite le versement d’une rémunération fixée à l’avance sur les dépôts bancaires : « la prédétermination des bénéfices pour ceux qui investissent leurs fonds par le biais d'une agence de placement auprès des banques ou autres institutions est légalement admissible, au-dessus de tout soupçon juridique (la shubhat fiha). Cette transaction appartient au domaine des prestations qui ne sont ni explicitement autorisées ni explicitement interdites (min al-Qabil masalih alMursalah), et n'appartient pas aux domaines des croyances ou des actes officiels de culte, dans lequel le changement et la modification ne sont pas autorisés »32. Les risques juridiques propres à la finance islamique sont aggravés par la coexistence de différentes écoles islamiques dans le monde ainsi que par l’absence d’autorité unique dans le monde Revue française d'économie, n° 4/vol XXV Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie 32 ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page33 33 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie sunnite, source inépuisable de divergences d’appréciation sur le caractère islamique des activités de la finance islamique. Il existe une forme de concurrence normative au sein du monde musulman, reflétant les différences d’interprétation de la vulgate islamique par les quatre principales écoles de pensées, lesquelles épousent les particularités géographiques : l’Asie musulmane est plus libérale que le Golfe, même en matière bancaire. Les jurisconsultes islamiques eux-mêmes ont signifié leur opposition à tout effort trop poussé de standardisation et de régulation de la finance islamique, au nom du principe d’ijtihad (raisonnement) mais aussi pour préserver la diversité des pratiques : « Il ne devrait pas exister de standard émanant de la charia, sauf dans la méthode de raisonnement, qui offre des alternatives pour résoudre les problèmes », a déclaré Mohamed Saeed al-Booti, membre du conseil de surveillance de l’AAOIFI33. Au total, comme l’admettent les plus lucides de ses partisans, la finance islamique n’est pas « une panacée ». Elle permet aux musulmans dévots d’avoir accès à des placements et financements respectueux de leurs croyances. Mais, elle ne saurait abolir le type de risque rencontré par toute activité bancaire : risque de contrepartie ou de crédit (défaut du débiteur), risque de liquidité (impossibilité de vendre à son prix un titre financier), risque de marché ou risque systémique (lié aux conditions macrofinancières ou macro-économiques). Elle ajoute à ces risques universels, ses risques propres. Enfin, ce serait faire preuve de beaucoup de candeur que de penser que la référence à la religion suffit à policer les comportements des acteurs : la première banque islamique moderne n’a été autre que la Bank of Credit and Commerce International (BCCI). Fondée en 1972, avec le soutien du souverain d’Abou Dhabi, cheikh Zayed, par « un Revue française d'économie, n° 4/vol XXV Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie Patrick Allard et Djilali Benchabane ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page34 Patrick Allard et Djilali Benchabane Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie financier pakistanais aussi véreux que charismatique, Agha Hasan Abedi »34, la BCCI « s’est spécialisée dans l’escroquerie financière au détriment de ses déposants, a aidé des chefs d’Etat à siphonner les ressources de leur pays, a travaillé de pair avec Saddam Hussein et Manuel Noriega et s’est livrée au trafic d’influence à Washington ou à Londres en bénéficiant de la cécité »35 des autorités de régulation compétentes jusqu’à sa dissolution en 199136. Plus récemment, il est apparu que la finance islamique pouvait, elle aussi, abriter des Madoff, quand les agissements d’un affairiste libanais proche du Hezbollah ont été révélés37. Loin d’être un modèle alternatif à la banque et à la finance traditionnelle, la banque et la finance islamiques entretiennent avec les premières un rapport mimétique qui dément les prétentions éthiques dont la parent, surtout à l’intention des nonmusulmans, ses partisans les plus zélés à défaut d’être les plus désintéressés. Mais la principale limite de la finance islamique est sans doute de chercher à porter remède à un embarras de riches, alors que la masse des musulmans, notamment en Asie, historiquement victime de l’usure, n’a que rarement accès au crédit. A cet égard, les initiatives de microcrédit, selon le modèle de la Grameen Bank de Mohamed Yunus paraissent moralement plus innovatrices, même si elles reposent sur le prêt à intérêt, ce qui leur vaut d’ailleurs les critiques des islamistes. Les auteurs remercient les relecteurs anonymes pour leurs remarques constructives. Ils assument l’entière responsabilité de leurs propos qui n’engagent en aucune manière le Ministère des affaires étrangères. Patrick Allard est conseiller à la Direction de la prospective, Ministère des affaires étrangères et européennes, 37 quai d’Orsay 75007 Paris. Djilali Benchabane est chargé de mission à la Direction de la prospective, Ministère des affaires étrangères et européennes, 37 quai d’Orsay 75007 Paris. Revue française d'économie, n° 4/vol XXV Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie 34 ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page35 Patrick Allard et Djilali Benchabane 35 1. Voir Paul Huvelin, Mélanges, II, 1938, p. 24, cité par Jahel Selim, Droit des affaires et religions, Revue internationale de droit comparé, vol. 53, n°4, octobre-décembre 2001, pp. 879-910 ; disp. sur le site : http://www.persee.fr/ web/revues/home/prescript/article/ridc_ 0035-3337_2001_num_53_4_17899 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie 2. Voir Raymond De Roover, L’évolution de la lettre de change, XIV-XVIII siècles, avant-propos de Fernand Braudel, EHESS, [1953]. 3. Un classement des pays selon un indice d’ « islamicité » suggère que les pays musulmans, même ceux qui sont membre de l’OIC, sont moins respectueux des principes économiques et sociaux islamiques que les pays de l’OCDE. Cf. Scheherazade S. Rehman, Hossein Askari, An Economic islamicity Index, Global Economy Journal, vol. 10, n°3, [2010], pp. 1-37. 4. Anouar Hassoune, interview à Easybourse, 13 février 2008 ; disp. sur le site : http://www.easybourse.com/ bourse/interview/1030/anouar-hassounemoodys.html. A titre de comparaison, la rentabilité des fonds propres était de 15% en moyenne pour les pays de l’OCDE en 2008 et de moins de 4% en France. Cf. IMF, Financial Soundness Indicators. 5. Voir, inter alia, Timur Kuran, The logic of financial westernization in the Middle East, Journal of Economic Behavior & Organization, vol. 56, 2005, pp. 593-615. 6. Voir Timur Kuran, Islam and Mammon: The Economic Predicaments of Islamism. [2004], Princeton, NJ: Princeton University Press. 7. The Economist (18 juin 2010) relate l’indignation d’Adnan Yousif, président de l’Union des banques arabes, lorsque jeune employé local de la filiale d’American Express à Bahrain, il observe en 1974 que beaucoup de cheikhs plaçaient leurs liquidités sur les marchés obligataires occidentaux mais, respectueux des lois islamiques, abandonnaient aux banques les intérêts versés. Commentaire du magazine londonien : « To Mr Yousif (...), this made no sense. At a time when Muslim countries had imposed an oil embargo over America’s support for Israel why, he wondered, refuse the Americans oil but give them billions of dollars? ». 8. « Maison de la paix »: terme utilisé pour désigner les territoires administrés par des pouvoirs musulmans. 9. Patrick Imam and Kangni Kpodar, Islamic Banking: How Has it Spread ?, International Monetary Fund, mars [2010]. 10. Dans l’Ancien Testament, le passage le plus connu se trouve dans le Deutéronome, XXIII, 20-21: « Tu ne pratiqueras pas l’usure envers ton frère, usure d’argent, usure de manger, usure à tout propos d’usure. Pour l’étranger, tu pratiqueras l’usure ; mais envers ton frère pas d’usure pour que Adonaï, ton Elohim, te bénisse…» (trad. Chouraqui, p. 378). Dans le Nouveau Testament, c’est dans l’Evangile selon Luc que se trouve la référence la plus explicite à l’intérêt (VI, 29-36): « (…) prêtez sans rien attendre en retour » (trad. Chouraqui, pp. 2005-2006). La prohibition de l’usure par l’Eglise doit tout autant à la philosophie aristotélicienne, notamment ce passage de la Politique : « La monnaie (nomisma) n'a été faite qu'en Revue française d'économie, n° 4/vol XXV Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie Notes ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page36 Patrick Allard et Djilali Benchabane vue de l'échange ; l'intérêt, au contraire, multiplie cet argent même ; (…) l'intérêt est de l'argent d'argent; aussi l'usure est-elle de tous les modes d'acquisition le plus contraire à la nature » Aristote, Politique, Livre 1, (trad. Jean Aubonnet), éd. Les Belles Lettres, [1968], 1258b. ne peut pas dire qu'il n'est pas possible en France de faire des opérations « charia compatibles ». Les banques savent faire ce genre de montage » ; cf. premier prêt à l'habitat « charia compatible » octroyé en France (association), AFP, 13 octobre 2010. 11. Maxime Rodinson, Islam et capitalisme, Le Seuil, [1966], p. 32. 19. De Saint Augustin à Saint Thomas, la doctrine catholique, empruntant moins aux Evangiles qu’à la philosophie grecque, condamne le prêt à intérêt, car « l’argent ne fait pas de petits » (Aristote, Politique, I, III). La prohibition réitérée par les conciles de Latran (1139, 1179, 1512 – 1517) n’est levée qu’en 1830, par le décret Non esse inquietandos du 18 août 1830 : « Il ne faut pas inquiéter ceux qui prêtent aux taux légaux ni les obliger à restituer les intérêts perçus (...) ». L’Empire ottoman avait assoupli l’interdit, dès le 16ème siècle, sous le règne de Soliman le Magnifique, quand les fondations charitables ont été autorisées à percevoir un intérêt raisonnable. 12. Slogan publicitaire de la Société Générale dans les années 1970, adressé à une clientèle française, à l’époque encore peu bancarisée. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie 13. Interview à Easybourse, 13 février 2008 ; disp. sur le site : http://www. easybourse.com/bourse/interview/1030/anouar-hassounemoodys.html. 14. Citée in « La finance islamique s'invite à Bercy », Le Point, 3 novembre 2009. 15. Elyès Jouini et Olivier Pastré, La finance islamique, rapport remis à Paris Europlace, octobre 2008 ; disp. sur le site : http://www.olivierpastre. fr/rapports-pdf/2008-rppeuroplace_finance-islamique.pdf 16. Voir sur le site du Conseil constitutionnel : http://www.conseil-constitutionnel.fr/decision.45861.html 17. Voir, direction générale du trésor, Initiative en faveur du développement de la finance islamique en France ; disp. sur le site : http://www.minefe.gouv.fr/ directions_services/dgtpe/secteur_financier/haut_comite_place/dev_fin_islam. htm. 18. L'opération a été réalisée par le biais d'un mécanisme d'achat-revente (murabaha), avant la publication de l’instruction fiscale clarifiant le cadre juridique et fiscal de cet instrument, le 24 août 2010. « Nous avons anticipé sur le contenu de l'instruction, a expliqué à l'AFP, le responsable de l’AIDDIM. On Revue française d'économie, n° 4/vol XXV 20. Cité par Reuters, 17 février 2010. Référence dont l’ironie semble échapper à l’auteur, car un moine récollet, ordre de stricte observance franciscaine, est à l’origine des Monts de piété, organismes de prêts sur gages à taux réduits dont la pratique a contribué à acclimater l’intérêt en le dissociant de l’usure. 21. Cf. Anouar Hassoune, « Cartographie de la finance islamique », présentation à l’occasion de la conférence « Finance islamique : quelles opportunités pour les entreprises françaises ? », organisée à Bercy par Premier cercle, 22. Interview à Next Finance, portail de référence de la finance en France, 26 novembre 2009 ; disp. sur le site : http://www.next-finance.fr/Finance-Islamique 23. C’est la raison pour laquelle des « fiches doctrinales » visant à faciliter l’acclimatation la finance islamique Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie 36 ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page37 Patrick Allard et Djilali Benchabane 24. Cité in Bank with God, The Economist, 4 avril 2007. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie 25. Voir la description du contrat de mourabaha par l’administration fiscale française : « schématiquement, une banque crée une structure ad hoc qui emprunte (le financier) ; le financier achète un immeuble et, pour ce faire, emprunte ; il revend, en principe immédiatement (ce peut être le jour même de l’acquisition), ce bien à son client (intérêts compris) », souligné par l’auteur ; direction générale des finances publiques, « Régime applicable aux opérations de murabaha et aux sukuk », Instruction 4 /FE/09, du 25 février 2009. Cette formulation n’est pas reprise dans une nouvelle instruction, du 24 août 2010, relative au régime fiscal des seules opérations de mourabaha. 26. L’instruction du 23 juillet 2010 relative au régime fiscal des seules opérations de mourabaha, précise que « sur le plan économique, le revenu du financier constitue la rémunération d’un différé de paiement assimilable, sur le plan fiscal, aux intérêts dus durant cette période dans le cadre d’un financement conventionnel. Par conséquent, les règles fiscales doivent être appliquées, pour le financier, en regardant le revenu comme un flux d’intérêts que produirait un financement conventionnel équivalent, et pour le client, comme un flux d’intérêts qu’il acquitterait dans le cadre d’un financement conventionnel équivalent ». Cf. direction générale des finances publiques, Instruction 4 FE/S1/10, du 23 juillet 2010, Bulletin officiel des impôts, n°78, du 24 août 2010. 27. Ibrahim Zeyyad Cekici, Développement de la finance islamique en France : les premiers pas de l’administration fiscale, Revue Lamy - Droit des affaires, n°3 , février 2009, pp. 77-81. 28. Source : World Bank, World development indicators Online. 29. Voir C. Noyer, gouverneur de la Banque de France, Stabilité mondiale, l’avenir des marchés de capitaux et de la finance islamique en France, intervention au séminaire Euromoney, conférence de Paris sur la finance islamique, Paris (29- 30 septembre 2009). 30. Cf. IIFM and ISDA Launch Tahawwut (Hedging) Master Agreement, 1er mars 2010 ; disp. sur le site : http://www.isda.org/media/press/2010/pr ess030110.html 31. Citée par Robin Wigglesworth, in Banks look to Islamic derivatives, Financial Times, 5 mai 2010. 32. Une traduction en anglais du texte de la fatwa, signée par le cheikh Tantawi, est disponible sur le site : http://www.islamonline.com/news/print. php?newid=308521. 33. Cité in Scholars reject strict Islamic finance standards, Reuters, Manama, 10 novembre [2009]. 34. J.F. Bayart, Le crime transnational et la formation de l’Etat, Politique africaine, n°93, mars [2004], pp.94-104. 35. J.F. Bayart, ibid. 36. Le scandale de la BCCI a fait l’objet d’un rapport du sénateur John Kerry : voir The BCCI Affair. A Report to the Committee on Foreign Relations, United States Senate, Senator John Kerry and Senator Hank Brown, décembre [1992], 102d Congress 2d Session Senate Print Revue française d'économie, n° 4/vol XXV Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie publiées par la direction générale du trésor se concentrent sur les mouhabara et les sukuk. Voir direction générale du trésor, Initiative en faveur du développement de la finance islamique en France, Ministère de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, 2007 ; disp. sur le site : http://www.minefe.gouv.fr/directions_services/dgtpe/secteur_financier/h aut_comite_place/dev_fin_islam.htm. 37 ART Allard_Benchabane _ART VIVIER 26/04/11 09:40 Page38 38 Patrick Allard et Djilali Benchabane 37. Des Libanais victimes d'un « Madoff » proche du Hezbollah, Le Monde, 6 septembre [2009]. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 212.198.46.53 - 09/05/2018 15h33. © Revue française d?économie 102-140 ; disp. sur le site : http://www.fas.org/irp/congress/1992_rp t/bcci/. Revue française d'économie, n° 4/vol XXV View publication stats