Quand Zola mène l'enquête : le terrain comme caution scientifique
Author(s): Frédérique Giraud
Source:
Ethnologie française
, Janvier-Mars 2013, T. 43, No. 1, Pays perdus, pays
imaginés (Janvier-Mars 2013), pp. 147-153
Published by: Presses Universitaires de France
Stable URL: https://www.jstor.org/stable/42772332
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I Varia
Quand Zola mène l'enquête :
le terrain comme caution scientifique
Frédérique Giraud
Équipe Dispositions, Pouvoirs, Cultures, Socialisations
RÉSUMÉ
Cet article analyse chez Emile Zola le recours à l'enquête de terrain en amont de l'écriture des romans. Moyen de collecter
des documents humains et d'analyser des situations sociales, l'enquête se veut un gage de scientificité que Zola brandit
comme caytion dans l'espace littéraire.
Mots-clés : Écrivain. Littérature. Ethnographie. Terrain. Enquête.
Frédérique Giraud
DPCS (CNRS-UMR 5283)
ENS de Lyon, Centre Max- Weber
15, parvis René-Descartes
69342 Lyon cedex 7
Descente dans les mines et visite des corons, voyage
à bord d'une locomotive, vagabondage aux Halles de
Paris et dans les grands magasins, séjour en Beauce...
Emile Zola fait précéder l'écriture de chacun des tomes
des Rougon-Macquart d'une enquête. Pour « présenter
les choses telles qu'elles sont en réalité et [appuyer ses]
dires par des faits » [Zola et Mitterand, 1970 : 355],
l'écrivain va sur le terrain, interviewe des chefs de
rayon, des chefs mécaniciens, des banquiers... Le
crayon à la main, il dresse des croquis, prend des notes.
Ces observations sont relatées de façon précise et
détaillée sur des feuillets que l'écrivain rassemble dans
ses dossiers préparatoires1.
Si l'on se réfère à la définition du travail de terrain
que donne Chapoulie, « recueil d'une documentation
sur un ensemble de phénomènes à l'occasion de la
présence dans les lieux au moment où ceux-ci se mani-
festent » [Chapoulie, 2000 : 6], il nous semble possible
de voir dans les enquêtes préparatoires de Zola un
« travail de terrain ». C'est ce que nous voudrions mon-
trer dans une première partie. Mais alors que l'ethno-
graphe doit se priver des ressources de l'imagination
et décrire au plus proche de la réalité ce qu'il observe,
nous verrons que Zola garde toujours son roman en
tête au cœur même de ses observations. Pourtant il
faudra s'interroger sur le rôle qu'il accorde à sa passion
monographique et documentaire. Popularisée dans sa
correspondance, dans les interviews, l'enquête est un
instrument de présentation de soi sur la scène littéraire.
Ce sera l'objet de notre troisième partie.
■ L'enquête de terrain au service
de la préparation des romans
À la fin du XIXe siècle l'usage de l'observation afin
d'analyser les phénomènes sociaux prend corps à l'exté-
rieur des sciences sociales [Chapoulie, 2000 : 9] . H. Mar-
tineau, par exemple, est l'une des premières à formaliser
[Martineau, 1989] des conseils pour l'observation des
sociétés. Celle-ci se systématise et devient un objet de
professionnels : « de pratique de "bon sens" pour le col-
lectionneur curieux, l'observation se transforme en
action de spécialistes des taxinomies, construisant des
analogiques, des dictionnaires, des encyclopédies »
[PenefF, 2009 : 29]. Quelle est la place des romanciers
dans ce développement de l'observation ? À l'instar des
botanistes du xvnr siècle, des auteurs de dictionnaires
du xixe siècle avec leurs inventaires lexicologiques
Ethnologie française , XLIII, 2013, 1, p. 147-153
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148 Frédérique Giraud
[Dezalay, 1972 : 176], Zola se donne pour mission
d'épuiser le réel. Dans Le Roman expérimental , il affirme :
« Nous en sommes, pour le quart d'heure, à collection-
ner et à classer les documents, surtout dans le roman »
[Zola et al., 1968 : 1297]. À la fin du XIXe siècle, la
confiance des romanciers réalistes dans une démarche
reposant sur la collecte de documents humains est une
conséquence directe de leur situation dans le jeu litté-
raire [Ponton, 1973]. En lutte pour asseoir leur légiti-
mité culturelle sur la scène littéraire face aux
néo-romantiques, aux Parnassiens..., ils font de la
science un credo. L'enquête doit prendre la place de
l'imagination. Ainsi que le rappelle Hamon :
pour Flaubert, pour les Goncourt, pour Zola, le réa-
lisme-naturalisme est avant tout une « méthode » qui
consiste à préparer (ou à étayer en cours de rédaction)
les descriptions d'un roman par une ample « enquête »
documentaire à la fois sur le terrain, dans les livres tech-
niques et auprès des spécialistes reconnus [Hamon,
1991 : 156] 2.
Orchestrée avec sérieux, l'observation chez Zola
prend l'allure d'une véritable méthode d'investigation.
Nous employons le terme de méthode au sens plein
qu'il peut avoir dans l'esprit positiviste du XIXe siècle :
selon la définition du Littré , « ensemble des procédés
rationnels employés à la recherche de la vérité ». Pre-
nons le dossier préparatoire du Ventre de Paris pour
exemple [Zola, Becker et Lavielle, 2003]. L'espace des
Halles est entièrement passé au crible : inventaire
détaillé des marchandises, disposition topographique
des différents pavillons, des magasins, étals, mais aussi
informations sur l'organisation des ventes, le rôle des
inspecteurs, les rues autour des Halles... L'enquête de
Zola articule un « grand tour » et des « minitours »
d'observation [Spradley, 1980 : 73-84]. À partir d'une
vue générale, il zoome sur certains détails. Le feuil-
let 245 décrit l'entrée des maraîchers dans les Halles
telle que l'a observée Zola depuis l'appartement de
Maurice Dreyfous, les feuillets 293 à 299 sont des notes
générales sur les Halles : reproduction3 des lieux pré-
cise (« Les pavillons ne sont pas tous pourvus de la
même toiture. Le 3 et le 4 ont trois toitures superpo-
sées ; les 5 et 6, deux... »), description des pratiques
(« le café se sert dans une petite tasse bleue sans anse,
où se trouve à l'avance un morceau de sucre. La soupe
aux choux se sert dans des tasses jaunes plus grandes4 »).
Paul Alexis raconte dans sa biographie « en 1872,
lorsque nous sortions du n° 5 de la rue Coq-Héron,
[...] que de fois, je m'en souviens, il m'entraîna dans
les Halles ! » [Alexis et Colin, 2001 : 96] ; « il venait
les visiter par tous les temps, par la pluie, le soleil, le
brouillard, la neige, et à toutes les heures, le matin,
l'après-midi, le soir, afin de noter les différents aspects.
Puis, une fois, il y passa la nuit entière, pour assister au
grand arrivage de la nourriture de Paris ». L'écriture
des carnets d'enquête se donne comme objective,
rigoureuse, au service avant tout d'une connaissance
pointue et minutieuse du terrain où se déroulera le
roman. Il s'agit bien pour Zola de collecter les données
constitutives d'un savoir réaliste sur le monde social.
Le but affiché est la construction d'un protocole
d'observation et de description fiable.
Pour Au Bonheur des dames , Zola se familiarise avec
les grands magasins en y passant plusieurs après-midi,
il visite tous les services, interroge un chef de rayon
du Bon Marché, un ancien chef de comptoir du
Louvre, une employée du magasin Saint-Joseph, les
dirigeants, des clients. . . Il récupère auprès de sa femme
et de ses amis des anecdotes et détails vécus : il s'agit
« d'accumuler et de croiser des sources multiples pour
restituer les phénomènes dans leur épaisseur » [Barthé-
lémy et Couroucli, 2008 : 16] à l'instar de l'ethno-
graphe. Préparant la rédaction de Germinal , Zola part
à Anzin en compagnie d'Alfred Giard, professeur à la
faculté des sciences de Lille et député d'extrême
gauche de Valenciennes, qui s'est offert comme guide
de Zola. Leur séjour se déroule du 19 au 22 février
1884 [Zola et Mitterand, 1986 : 444], à l'occasion
d'une grève qui éclate le 19 février. Zola descend au
fond d'une fosse jusqu'à 675 mètres sous terre, pour
connaître de l'intérieur le trajet du mineur ; il passe au
crible les rôles des porions, herscheurs, se renseigne
sur le fonctionnement des machines, visite les bâti-
ments, s'informe sur les amendes, les accidents, il visite
une maison ouvrière, va au cabaret, et dans plusieurs
estaminets... Pour La Bête humaine , Zola s'entretient
longuement avec le sous-directeur du Mouvement à la
Compagnie de l'Ouest, Pol Lefèvre, qui lui accorde
entre le 15 février et le 15 avril 1889 une série d'entre-
tiens. Début mars 1889, il fait un voyage au Havre et
est reçu par le chef de gare. Le sommet de cette enquête
est constitué par le voyage que Zola est autorisé à faire
le 15 avril 1889 dans la locomotive. Dans ses notes, il
consigne les emplacements sur la plateforme du méca-
nicien et du chauffeur, analyse leurs mouvements et
rôle respectifs, leurs relations, leur salaire, les qualités
attendues de chacun... On peut bien parler de nor-
malisation de la collecte de matériaux empiriques, un
Ethnologie française, XLIII, 2013, 1
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Quand Zola mène l'enquête : le terrain comme caution scientifique 149
même protocole étant suivi lors des enquêtes prépara-
toires. Le souci du détail et de l'authenticité guide
l'enquête de Zola.
Avide de documents, la recherche sur le terrain n'en
répond cependant pas moins à d'autres objectifs.
Comme Zola le rappelle à Sighele, « [il n'est] qu'un
artiste. [Il] regarde et observe pour créer, non pour
copier. Ce qui [lui] importe, ce n'est pas l'exactitude
pédante des détails, c'est l'impression synthétique5».
C'est ce que nous allons voir dans notre deuxième partie.
■ Donner la vie à des documents
humains
• Zola et l'observation diffuse
Du 17 au 26 avril 1891, les époux Zola sont à Sedan
pour la préparation de La Débâcle. Accordant une inter-
view dans Le Petit Ardennais le 26 avril 1891, Zola
raconte :
J'ai une masse de documents excellents. Voyez-vous, il
y a deux façons de prendre des renseignements. La pre-
mière consiste à se renseigner longuement, à visiter un
pays par petites étapes, en s'installant même au milieu
des habitants pour vivre leur propre vie. La seconde
- c'est la mienne - consiste à passer dans un pays
rapidement pour en emporter une impression rapide,
logique, intense.
La première définition du travail de terrain pourrait
être donnée par un ethnographe de métier, tandis que
la seconde, adoptée par Zola, le rapproche des voya-
geurs décriés par Claude Lévi-Strauss en ouverture de
Tristes Tropiques : «Je hais les voyages et les explora-
teurs. » Tiphaine Barthélémy et Maria Couroucli rap-
pellent que « c'est contre certaines des illusions que
colportent les récits faits par le voyageur à son retour
que s'est affirmée l'ethnographie comme produit de
méthodes d'observation et de recueil des données »
[Barthélémy et Couroucli, 2008 : 8].
La distinction opérée par Chapoulie entre l'obser-
vation diffuse et l'observation analytique [Chapoulie,
2000 : 6-7] permet de caractériser la pratique d'en-
quête de Zola. Chapoulie définit l'observation diffuse
comme celle visant à saisir les « comportements [...]
de manière globale et sous les modalités de l'usuel, du
typique, ou encore de la règle ». C'est bien là l'ambi-
tion de Zola. Il se situe plus du côté du reportage
journalistique, à la façon de Henry Mayhew [Mayhew,
1967], que du côté de l'ethnographie. Ponctuelles, les
observations de Zola ne permettent pas de différencier
clairement ce qu'il a vu et entendu de ce qu'il recons-
truit. Prenons le carnet d'enquête du voyage à Rome.
Le 1er novembre Zola écrit: «J'ai causé pour mon
cardinal. Je puis prendre un noble romain, mais pas de
trop haute noblesse » [Zola et al, 1968a : 1024] ; le
14 : « Et voici en gros les quelques détails nouveaux.
La congrégation de l'Index a pour préfet un cardinal,
et ce sont des cardinaux qui la composent. [...] Donc
Pierre vient pour se défendre, et ses ennuis, on ne lui
permet pas de le faire. Pourtant, le cas où il peut agir.
Il prépare donc un mémoire justificatif » [ibid. : 1076].
Les pronoms personnels et les possessifs (mon cardinal)
sont la marque dans les carnets d'enquête de l'impli-
cation du romancier dès la prise de notes. Les « don-
nées » observées sont immédiatement traduites et
retravaillées dans l'esprit du roman où elles se trouvent.
Les descriptions du carnet d'enquêtes ne donnent pas
à voir l'éventail des variations possibles. Pour autant on
ne saurait reprocher à Zola la partialité de ses notations
ou l'apparence parfois informelle de ses notes, Cha-
poulie rappelant combien les premiers anthropologues
mais aussi les sociologues de Chicago tombent sous le
coup des mêmes critiques.
• Une visée esthétique
Littérature et récit ethnographique engagent des
pactes de lecture différents. Sous la trivialité de ce
constat, Mondher Kilani rappelle que Malinowski
« sépare nettement le "rapport ethnographique" de son
travail sur le terrain du "rapport final" de sa recherche »
[Kilani, 1990 : 85] et privilégie pour la version finale
la narration. Malinowski orchestre la séparation entre
ces deux matériaux dans les Argonautes [Malinowski,
1989] en usant de deux textes séparés : « le texte-repré-
sentation capable de faire "voir" et de faire "entendre"
au lecteur les hommes que l'anthropologue de terrain
a côtoyés [...], c'est le texte scientifique [...] et de
l'autre un hors-texte dans lequel sont consignées les
considérations méthodologiques » [ibid. : 85-86]. On
peut utiliser cette bipartition des matériaux chez Mali-
nowski pour penser les différences entre les notes
d'enquêtes et le roman chez Zola.
Comme le remarque Henri Mitterand, Zola observe
avec une visée démonstrative nouée par avance.
« Comme toujours, ses observations sur le terrain
allaient être orientées par les besoins propres du
roman : un cadre à trouver, une logique à construire,
Ethnologie française, XLIII, 2013, 1
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150 Frédérique Giraud
des personnages typiques à trouver » [Zola et Mitte-
rand, 1986 : 558]. Il ne s'agit pas ici de mettre en scène
une vision ingénue du travail de terrain et d'opposer
par nature l'observation « pure » de l'ethnographe et
celle du romancier. Lena Lederman a bien rappelé
combien le « hors terrain » s'immisce toujours dans les
notes de l'ethnographe [Lederman, 1993 : 76]. La
lettre que Zola écrit à Henry Céard, lors de son séjour
d'enquête en Beauce, est le témoin de ce glissement
assumé de la focale du romancier :
Mon cher Céard, après une journée à peu près inutile
passée à Chartres, je suis ici depuis hier, et tiens le coin
de terre dont j'ai besoin. C'est une petite vallée à quatre
lieues d'ici, dans le canton de Cloyes. Entre le Perche et
la Beauce, et sur la lisière même de cette dernière. J'y
mettrai un petit ruisseau se jetant dans le Loir, - ce qui
existe d'ailleurs ; j'y aurais tout ce que je désire , de la
grande culture et de la petite, un point central bien
français, un horizon typique, très caractérisé, une popu-
lation gaie, sans patois. Enfin le rêve que j'avais fait.
Les quatre expressions en italique dans cet extrait
révèlent combien c'est l'impression de réel plus que le
réel qui prime pour le romancier. Zola écrit :
Prenez les faits vrais que vous avez observés autour de
vous, classez-les d'après un ordre logique, comblez les
trous par l'intuition, obtenez ce merveilleux résultat de
donner la vie à des documents humains [...] et vous
aurez exercé dans un ordre supérieur vos facultés d'ima-
giner » [Zola et Mourad, 2006 : 248].
On sait que le soir l'écrivain met ses notes de terrain
au propre [Zola et Mitterand, 1986 : il]. Dans ce pas-
sage des notes griffonnées aux notes de terrain [Sanjek,
1993 : 97] 6, il compose à partir des « faits vrais » des
personnages et des situations qu'il veut représentatives.
Analysant cette conversion d'un type à l'autre, Orten-
berg pointe la sélection à l'œuvre dans la constitution
des notes de terrain [Ottenberg, 1993 : 148]. Parfois
Zola n'attend pas les documents : « Ne cherchez pas
davantage un masque de variolique, mon siège est fait,
et j'en suis si content queje ne le corrigerais pas, même
sur des documents exacts », écrit-il à Céard le 7 jan-
vier 1880, alors qu'il lui avait confié le soin, une quin-
zaine de jours plus tôt, de lui fournir un « document
exact ».
La description des milieux, des situations ne répond
donc pas à un souci référentiel, mais participe d'une
volonté dramaturgique propre au récit fictionnel. Si
l'enquête est menée d'une manière qui l'éloigné d'une
visée scientifique à proprement parler, il faut cependant
prendre acte du souci de Zola de défendre et valoriser
sa méthode de travail comme participant d'une logique
spécifique.
■ La composition d'une image de soi
• Une visée scientifique
Le privilège méthodologique reconnu à l'enquête
par Zola tient selon nous à son potentiel symbolique.
Christophe Charle démontre dans Naissance des intel-
lectuels [Charle, 1990] combien la figure du savant se
pare de prestige intellectuel à la fin du XIXe siècle. Et
à travers l'enquête se joue, selon nous, l'image de Zola
homme de science7. Il faut porter attention à sa convic-
tion scientiste. Parti à Lourdes du 20 août au 1er sep-
tembre 1892, il consigne chaque soir ses notes dans un
«journal de terrain » de près de 240 feuillets. Lors de
ce voyage, alors qu'il observe le bureau des constata-
tions des miracles, en bon homme de science, Zola
s'étonne que des malades dont l'état de santé n'a pas
été vérifié à leur arrivée à Lourdes puissent être décla-
rés guéris par le biais d'un miracle. «J'ai fait observer
qu'il serait très désirable qu'une commission de méde-
cins, ayant à sa tête le docteur Boissarie, constatât l'état
du malade à l'arrivée, pour constater ensuite la guéri-
son avec plus de force » [Zola et al, 1968a : 415].
L'enquête est le reflet positiviste et techniciste qu'il
veut appliquer à sa démarche littéraire. En effet, le
naturalisme tel qu'il le définit consiste à « introduire
dans l'étude des faits moraux l'observation pure, l'ana-
lyse exacte employée dans celle des faits physiques »
[L'Événement, 25 juillet 1866]. La formule implique
que le roman étudie l'homme comme on le ferait avec
un élément de la nature. Dans l'article « Du progrès
dans les sciences et la poésie », il note : «je rejetterais
les mythes et n'aurais plus d'amour que pour les vérités.
[...] Faut-il le dire ?Je serais savant, j'emprunterais aux
sciences leurs grands horizons, leurs hypothèses si
admirables qu'elles sont peut-être des vérités » [Zola
et Mitterand, 2002 : 370].
Le rôle du romancier n'est plus ni de divertir, ni de
corriger, mais de chercher à connaître : la littérature
prend la place réservée par Comte à la sociologie dans
sa loi des trois états [Ripoll, 1978]. « Nous continuons,
par nos observations et nos expériences, la besogne du
physiologiste, qui a continué celle du physicien et du
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