Telechargé par Carolina Caires Salgado

SCENE COLLECTIVE - texte théatre TERM.

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Puis vient le brouhaha, les voix de tous se mélangent et cette litanie rejoint le chant que depuis l’extérieur on
entendait en sourdine.
- Déclinez votre identité, nom, prénom, s’il vous plait
- Youssef, fils de Ali
- Date de naissance
- L’année de la grande sécheresse
- Vladimir
- Après la guerre
- Ti Sam
- Quelle guerre ?
- Ce serait plus simple si vous pouviez me donner une date précise
- 12 février
- 3 avril
- 18 septembre
- Samir ou Samuel ?
- Je ne sais pas, c’est comme ça qu’on m’appelle
- Nom du père d’abord, de la mère ensuite
- Joseph
- De père Abdel
- De mère Sarah
- Myriam
- Samantha
- Ti Sam, c’est comme ça que je m’appelle
- A la frontière entre les deux
- Dans la montagne
- De père inconnu
- Cal
- Sans nationalité
- Caleb, oui
- Comme dans le roman ?
- Je ne sais pas
- La profession du père, de la mère ?
- Leyla
- Quel roman ?
- Ça veut dire « petite nuit »
- Je ne me souviens plus
- Oui, je suis majeur
- Mes parents sont morts
- Charpentier
- Boulanger
- Sans profession
- Cultivateur
- Berger
- Un noble
- Mon cul
- Antoine
- Antonio
- Antony
- Tonio
- Ursula
- Juste Jo
- Oui, à cause du roman
- Quel roman ?
- Trente-quatre ans
- Vingt-trois ans
- Vingt-six
- Je ne sais pas
- Si, c’est mon passeport
- Si, c’est moi sur la photo
- Douze, l’âge où on est presque un homme
- La photo est floue
- Je n’ai pas de livret de famille
- C’est joli, « petite nuit »
- Quelqu’un a volé mon passeport
- On avance, on parlera littérature après
- Dieu m’est témoin
- On avait dit qu’on pouvait devenir qui on voulait, de l’autre côté
- Depuis quand croit-on à ce qu’on nous dit ?
- Pas tous en même temps
- Madame
- Monsieur
- S’il vous plait
- Cuisinière
- Chauffeur
- Je ne peux pas noter ça, c’est trop long
- Moi ?
- Du travail
- N’importe quel travail
- Oui, vous
- Je n’ai pas peur de travailler
- Lana
- Abel
- Aliocha
- De mère Mariana, de père Bogdan
- Le père d’abord, la mère ensuite, s’il vous plait
- Aziz, comme mon père
- Veuf
- Huit enfants, cinq filles, quatre garçons
- Dans le bâtiment
- Ça fait neuf
- « Gens du voyage », ça ne veut rien dire
- Vous allez nous donner un laisser-passer ?
- Je suis désolé, je n’ai pas de catégorie « nomade »
- J’ai faim
L’officier d’immigration : S’il vous plait, je dois remplir toutes les cases du formulaire. Nom, prénom, date et lieu de
naissances, l’identité du père, l’identité de la mère, profession, d’où venez-vous, dans l’ordre. Une fois que la
procédure d’accueil sera finalisée, je vous expliquerai la suite.
Les migrants : A eux, comment leur raconter à eux, d’où je viens ?
Comment leur dire ma montagne, ses oliviers et ses chèvres ?
Comment leur dire l’odeur du pain qui cuit au four et qu’on va tremper, encore chaud, dans l’huile épaisse et
amère ?
Leyla : Comment leur dire que je viens d’une vieille maison en pierre, du silence de père et mère, des cris des
enfants dévalant les sentiers de rocaille ?
Ursula : Comment leur raconter, ça ne se raconte pas, la musique qu’on jette dans le feu.
Les migrants : Non, ça ne se raconte pas, les soirées sous le grand manguier.
Cal : Je viens de la mer, de cette étendue entre ici et là-bas, entre là-bas et ici, ni de là-bas, mais de la mer
précisément, de la traversée.
Les migrants : Taisez-vous. Ne parlez pas de traversée, ni de la mer. Surtout vous, n’en parlez pas, vous n’avez pas le
droit.
Jo : Il faudrait que vous lisiez sa lettre. C’est de cette lettre que je viens. Si vous voulez, je peux la dire. Si vous voulez,
je la connais par cœur.
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