Economie du Développement Références africaines. Professeur Moustapha Kassé Tome1 1 ACRONYMES ET ABREVIATIONS ACDI : ACP : ACR : AFL : AGOA : AID : AIE : ALENA : AOC : APD : APE : ASEAN : ATTAC : Agence Canadienne de Développement International Afrique, Caraïbes et Pacifique Accords de Coopération Régionale Acte final de Lagos African Growth and Opportunity Act. Association Internationale de Développement Agence Internationale de lřÉnergie Accord de Libre Échange Nord-Américain Afrique de l'Ouest et du Centre Aide Publique au Développement Accords de Partenariat Économique Association des Pays du Sud-Est Asiatique Association pour la Taxation des Transactions financières et pour lřAide aux Citoyens BAD : Banque Africaine de Développement BCE : Banque Centrale Européenne BCEAO : Banque Centrale des États de lřAfrique de lřOuest BEI : Banque Européenne dřInvestissement BIRD : Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement BM : Banque Mondiale BRI : Banque des Règlements Internationaux BRVM : Bourse des Valeurs Mobilières dřAfrique de lřOuest BVA : Bourse des Valeurs dřAbidjan CAD : Comité dřAide au Développement CADTM : Comité pour lřAnnulation de la Dette du Tiers-monde CAPC : Centre Africain de Politique Commerciale, Projet de la CEA CARPAS : Cadre de Référence pour les Politiques dřAjustement Structurel CCCI : Conseil Consultatif International sur le Coton CEA : Communauté Économique pour lřAfrique de lřEst CEDEAO : Communauté Économique des Etats de lřAfrique de lřOuest CEEAC : Communauté Économique des Etats de lřAfrique Centrale CEPAL : Commission Économique pour lřAmérique Latine et les Caraïbes CEMAC : Communauté Économique et Monétaire de lřAfrique Centrale CEPGL : Communauté Économique des Pays des Grands Lacs CER : Communautés Économiques Régionales CN : Comptabilité Nationale CNUCED : Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement CODESRIA : Conseil pour le Développement de la Recherche en Sciences sociales en Afrique COMESA : Marché Commun des Etats de lřAfrique de lřEst et de lřAfrique Australe CPCM : Comité Consultatif Permanent du Maghreb DIT : Division Internationale du Travail 2 DRT : DSRP : DTS : EBE : ECOMOG: FAO : FASR : FBCF : FCFA : Division Régionale du Travail Documents Stratégiques de Réduction de la Pauvreté Droits de Tirage Spéciaux Excédent Brut dřExploitation Economic Community of West African States Cease-Fire Monitoring Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture Facilité dřAjustement Structurel Renforcé Formation Brute de Capital Fixe Initialement Franc des Colonies Françaises d'Afrique actuellement Franc de la Communauté Franco-Africaine. FED : Fonds Européen de Développement FMI : Fonds Monétaire International FTN: Firmes Transnationales GATT: General Agreement on Tariffs and Trade GEAO : Groupe Économique dřAsie Orientale IADM : Initiative dřAllègement de la Dette Multilatérale IDE : Investissement Direct Étranger IDEP : Institut Africain de Développement Économique et de Planification IDH : Indice du Développement Humain IES : Infrastructures Économiques et Sociales IFAN : Institut Fondamental dřAfrique Noire IFI : Institutions Financières Internationales IPE : Industrialisation par Promotion des Exportations ISI : Industrialisation par Substitution aux Importations MAP: Millennium Partnership for the African Recovery Programme MAEP : Mécanisme Africain dřEvaluation par les Pairs MCA : Millennium Challenge Account MERCOSUR : Marché Commun Sud-américain NEP : Nouvelle Politique Économique NEPAD : Nouveau Partenariat pour le Développement de lřAfrique NPI : Nouveaux Pays Industrialisés NOEI : Nouvel Ordre Économique International OCDE : Organisation de Coopération pour le Développement Économique OIT : Organisation Internationale du Travail OMC : Organisation Mondiale pour le Commerce OMD : Objectifs du Millénaire pour le Développement OGM : Organismes Génétiques Modifiés ONG : Organisation Non Gouvernementale ONU : Organisation des Nations Unies ONUDI : Organisation des Nations Unies pour le Développement Industriel OPEP : Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole OUA : Organisation de l'Unité Africaine PAB : Plan d'Action de Beijing PAC : Politique Agricole Commune PANPP : Pays Africains Non Producteurs de Pétrole PAL : Plan dřAction de Lagos PAS : Politiques dřAjustements Structurels PAZF : Pays Africains de la Zone Franc 3 PDB : Produit Domestique Brut PDN : Produit Domestique Net PED : Pays en Développement PIB : Produit Intérieur Brut PIN : Produit Intérieur Net PL : Plus Value PLOM : Plan Omega PMA : Pays les Moins Avancés PME : Petites et Moyennes Entreprises PMI : Petites et Moyennes Industries PNB : Produit National Brut PNUD : Programme des Nations Unies pour le Développement PPA : Parité de Pouvoir d'achat PPTE : Pays Pauvres Très Endettés PSD : Pays Sous-développés PST : Politique Scientifique et Technique PVD : Pays en Voie de Développement RN : Revenu National SACU : Union douanière d'Afrique Australe SADC : Communauté pour le Développement de lřAfrique Australe SEBC : Système Européen de Banques Centrales SFD : Systèmes Financiers Décentralisés SME : Système Monétaire Européen SMI : Système Monétaire International SMR : Système Monétaire Régional SGP : Système Généralisé de Préférences TCEN : Taux de Change Effectif Nominal TCER : Taux de Change Effectif Réel TEE : Tableau Économique dřEnsemble TEP : Tonne Équivalent Pétrole TIC : Technologies de lřInformation et de la Communication TPE : Taux de Protection Effective TSA : Tous Sauf les Armes UA : Union Africaine UDAA : Union Douanière de lřAfrique UE : Union Européenne UEM : Union Économique et Monétaire UEMOA : Union Économique et Monétaire Ouest-Africain UFM : Union du Fleuve Mano UMA : Union du Maghreb Arabe UNFPA : Fonds des Nations Unis pour la Population USAID : United States Aid VAB : Valeur Ajoutée Brute VAN : Valeur Actualisée Nette ZEP : Zone dřÉchanges Préférentiels ZMO : Zone Monétaire Optimale 4 A mes petits fils, Cheikh Moustapha FALL, Jean Pi FALL, Moustapha KASSE et Astou Khoudja KASSE. Je vous adore et souhaite que le Continent dans lequel vous allez vivre soit vivable pour toute votre génération. 5 Avant propos « L’offre des économistes a du mal à répondre à cette amplification de la demande sociale d’où des interrogations de la communauté scientifique sur sa propre aptitude à tenir honorablement son rôle : Incontestablement, la crise est intellectuelle. Après son âge d’or, la Science économique a connu des années noires : après trente années de certitude, l’heure des incertitudes s’est ouverte 1 : « On ne sait plus prévoir, on ne sait plus agir, on ne sait plus interpréter. Crise de la prévision, tout d’abord face aux fluctuations spectaculaires et erratiques des marchés et des monnaies… Crise de la politique économique, ensuite, face au chômage et aux désordres monétaires… Crise de la pensée économique, enfin : s’il y a crise de la politique économique, c’est que l’on ne sait plus très bien analyser ce qui se passe, si l’on ne sait plus quoi faire, c’est que l’on ne sait plus lire ». A.GELEDAN2 Jřai enseigné lřÉconomie du Développement à plusieurs générations dřétudiants depuis une trentaine dřannées. Lřévolution de cette discipline de la science économique nřa pas été un fleuve tranquille de sa phase ascendante, à son rejet brutal et, aujourdřhui à sa réhabilitation. Le référentiel théorique, les méthodologies dřapproche des questions, les stratégies et politiques économiques et mêmes les instruments et techniques dřévaluation ont souvent varié et je les ai toujours diversement appréciés au gré de mes propres convictions et certitudes dřéconomiste engagé. Jřai plusieurs fois envisagé de systématiser les polycopies et notes de cours de mes étudiants en un ouvrage. Deux événements mřont alors dissuadé : dřabord, lřavènement à la fin des années 70 des Programmes dřAjustement Structurel à lřélaboration desquels mon ami Eliot BERG3 avait généreusement voulu mřassocier et ensuite, la chute, au début des années 90, du socialisme réel en Europe de lřEst au moment où jřavais initié une évaluation critique et une rupture avec certaines visions de lřorthodoxie marxiste.4 Durant ces deux périodes historiques, lřÉconomie du Développement est quasiment vouée aux gémonies par la domination écrasante de la pensée néoclassique5 et la prééminence de sa vision, de ses méthodes et de ses politiques. Lřexpérience nous apprend que lorsquř une théorie est dans cette phase ascendante, elle ne supporte ni contestation, ni réfutation, ni falsifiabilité. Cřétait le cas de cette analyse dominante portée par la Banque mondiale qui est devenue un « maître à penser » de type nouveau puisque gardienne dřune épure décrétée « infaillible » et vigoureusement défendue par une armada de 6500 fonctionnaires qui sřappuient sur les services dřuniversitaires A.GELEDAN : Histoire des pensées économiques, Édit. Sirey, 1988 C. STOFFAES : Fins de monde, Odile Jacob, 1987 3 Il était en charge dřélaborer pour la Banque mondiale les contre-propositions au Plan de Lagos. Il a alors produit le Rapport qui deviendra le justificatif des Programmes dřAjustement Structurel : « Le développement accéléré en Afrique au Sud du Sahara- Programme indicatif dřaction ». 4 Dans un série de réflexions, j’avais partagé les critiques de beaucoup dřintellectuels du système socialiste comme les académiciens NEMCHINOV, TRAPEZNIKOV, et des économistes comme LIBERMANN, TINBERGEN et bien dřautres comme Ota SICK, RICHTA etc. 5 Il est vrai que lřon confond sans nuance et à tort l'économie néoclassique à la pensée libérale ou ultralibérale. Des précisions seront apportées ultérieurement lorsque lřon étudiera les articulations de lřanalyse économique néo-classique. 1 2 6 certainement parmi les plus prestigieux, puisquřappartenant à lřenvironnement des fameux prix Nobel. Alors, il sřest installé un manichéisme rarement vu dans lřhistoire de la pensée sociale : dřun côté ceux qui croient au dogme dominant et de lřautre ceux qui nřy croient pas qui se voient refuser, au nom de la pertinence et de lřefficacité, toute distanciation critique. On a complètement oublié que lřéconomie pouvait se lire et sřécrire sur plusieurs modes puisquřelle est la servante des sociétés. Le paradigme dominant finit par réduire la Science économique à 10 énoncés irréfutables justifiés par les gardiens du dogme : 1) la mondialisation est la voie inéluctable du bien-être, 2) lřintervention publique est moins efficace que celle du privé, 3) la primauté de lřéconomie sur le politique, 4) lřimpératif de lřouverture extérieure pour un commerce sans entrave, 5) la baisse des taux dřintérêt facilite la croissance, 6) lřéradication de lřinflation est un impératif, 7) le combat acharné contre les nuisibles déficits publics 8) la baisse de lřimpôt des sociétés guide lřorientation massive des IDE, 9), la suppression de la législation protectrice du travail et du salaire minimum, est une condition de rentabilité de lřentreprise, 10) lřapologie de lřAsie qui est la dernière frontière du monde. Ce poncif est celui des dirigeants de la mondialisation. La Science économique est transformée en une sorte de scholastique savamment couverte de brillantine par des modèles quantitatifs qui ont réponse à tout. Des moyens énormes sont mobilisés par les parrains de tous bords pour propager, dans tous les milieux cette pensée devenue unique. Dans pareil contexte, les « Nouveaux Maîtres » sřoffrent des certitudes inébranlables et des vérités éternelles et disposent de puissants moyens pour les imposer : stratégie médiatique et communication, forte emprise sur la recherche et les chercheurs particulièrement ceux des PSD. Ils ne souffrent ni controverses ni compétition des méthodes et des réponses. Ils semblent nous dire « Intellectuels et Chercheurs africains, surtout ceux au Sud du Sahara, dormez tranquille, la Banque mondiale pense pour vous et placera vos pays sur le chemin dřune croissance vertueuse ». 6 Avec cette exclusion implicite, la politique économique, comme le proclame la théorie de lřagence, va se jouer à deux : les Institutions Financières Internationales dřun côté et les Gouvernements africains de lřautre. Les premiers sont tantôt professeurs, médecins et gendarmes et les seconds sont les sujets, il leur est demandé dřappliquer les recettes tout en étant seuls comptables des résultats. Les universitaires et chercheurs ne sont intégrés dans le jeu quřau niveau des schémas dřapprentissage : ils doivent y exercer les fonctions de renforcement des capacités et de recyclage des fonctionnaires et auxiliaires des Ministères techniques de lřéconomie et des finances aux modèles et nouveaux instruments dřanalyse, de diagnostic et de comptabilité des bailleurs de fonds. En somme, ils sont appelés à disséminer les nouvelles options dans leur espace par le biais de leurs enseignements, des séminaires de formation, des forums, et ateliers…. (la logique de la réunionite sřinstalle). Toute lřélite africaine sera enfermée dans ce nouveau champ dřapprentissage : elle est rémunérée, par des canaux divers (per diem, contrats de consultation, animation de rencontres) , à ne jamais développer des controverses ou la moindre pensée alternative. On a vite fait dřoublier que la science économique a historiquement progressé par de vives controverses qui Lřefficacité des PAS ont fait lřobjet de sévères critiques au sein même de la littérature orthodoxe. Lřargument essentiel formulé par des auteurs comme KILLIL, DORNBUSCH, TAYLOR et FISHLOW, est que les PAS ont souvent pour effet dřaggraver les problèmes quřils sont supposés résoudre, ou de créer de sérieux effets secondaires indésirables. Les économistes les moins orthodoxes ont été les plus virulents dans leurs critiques. 6 7 sont source dřenrichissements et de progrès importants. À lřévidence, une science sans débats internes cessera de vivre. Au bout de vingt ans dřapplication des Programmes dřAjustement, mon ami Eliot BERG est revenu mřinviter à la restitution dřune recherche initiée par lřUS-AID et intitulée « lřAjustement ajourné »7. Quel énorme aveu dřéchec : comme le note le proverbe Wolof « le fétu de paille restera un siècle dans le marigot, quřil ne deviendra jamais un caïman». À lřépreuve, ces politiques dřajustement ont échoué dans ce qui était leur objectif principal : lřinstauration dřun processus vertueux et irréversible de croissance économique. Les faibles performances de ces politiques dites du Consensus de Washington résultent, selon lřobservation de J. E. STIGLITZ8, de la confusion des moyens avec les fins : la libéralisation, la recherche des grands équilibres, les privatisations sont prises comme des fins plutôt que comme des moyens dřune croissance durable, équitable et démocratique. Ensuite, elles se sont beaucoup trop focalisées sur la stabilité des prix plutôt que la croissance et la stabilité de la production. En outre, elles nřont pas su reconnaître que le renforcement des institutions financières est aussi important pour la stabilité économique que la maîtrise des déficits budgétaires et de la masse monétaire. Enfin, elles se sont concentrées sur les privatisations, mais nřont guère attaché la moindre importance à lřinfrastructure institutionnelle nécessaire au bon fonctionnement des marchés, et particulièrement à la compétitivité. Face à cette situation les PAS ont été abandonnés en catimini sans autre forme de procès remplacés par les DSRP qui tentent désespérément dřen conserver la substance. Conséquemment, les querelles doctrinales vont progressivement sřestomper cela dřautant plus que les couches intellectuelles protectrices désertent lřédifice ou ne le défendent plus avec lřacharnement du début. Certains courants de pensée économique parmi les plus conservateurs perçoivent la nécessité de réhabiliter lřÉconomie du développement. «La fille aux mauvaises fréquentations » devient estimable et fréquentable. La trajectoire de justification passe par la réconciliation entre la croissance économique et le développement social auquel le Programme des Nations Unies pour le Développement a donné ses lettres de noblesse en créant le concept du Développement Humain Durable (DHD). Plus quřune simple notion, le Développement Humain Durable (DHD) fait référence à un système complet de modèles : modèles de production, modèles de reproduction sociale, modèles de répartition, modèles de participation, modèles dřinstitutionnalisation, modèles de socialisation. Cřest aussi le PNUD qui prend lřinitiative de rouvrir le débat sur les questions essentielles du développement économique après les propositions du Rapport Willy BRANDT, de la COMMISSION SUD ou du FORUM DU TIERSMONDE. Le projet fut confié à lřéconomiste pakistanais MAHBUB UL HAQ qui a longtemps séjourné à la Banque mondiale. Pour la première fois un Rapport international va se référer aux auteurs classiques et bâtir son argumentaire sur KANT, QUESNAY, A. SMITH, RICARDO, MARX, J.S. MILL et reconnaître que les individus ne sauraient être réduits aux seules dimensions de « l’homo économicus » et des principes de choix rationnels et maximisateurs. Progressivement, le PNUD marque sa rupture dřavec la vision de la Banque mondiale. Alors, il va sřen suivre un Eliot BERG : lřAjustement ajourné, Conférence patronnée par lřUS-AID Sénégal 1998 Dans ses deux ouvrages qui ont suivi sa sortie de la Banque mondiale en 2000 (La grande désillusion en 2002 et Un autre monde : contre le fanatisme du marché 2006), il a mis à la disposition de la communauté des économistes des analyses pénétrantes sur lřarchitecture de lřéconomie mondiale et la faillite de la gouvernance économique mondiale que devraient réaliser les institutions financières internationales. 7 8 8 bouillonnement et un regain dřintérêt pour les théories du développement. Le développement est désormais compris comme la transformation de la société, le passage de relations traditionnelles, de modes de pensée traditionnels, de façons traditionnelles de traiter la santé et lřéducation, de méthodes traditionnelles de production, vers des approches plus «modernes». Cette nouvelle Économie du développement regroupe l'ensemble des pratiques théoriques qui s'éloignent du modèle walrassien en reconnaissant les imperfections du marché et l'incapacité des politiques de stabilisation et d'ajustement orthodoxes (inspirées de ce modèle de base) à opérer les transformations nécessaires à une reprise durable de la croissance dans les pays africains. Manifestement, il est devenu, aujourdřhui, plus enthousiasmant de publier un ouvrage dřéconomie du développement notamment avec des références à lřAfrique dont tout le monde souhaite quřelle « Retrouve sa place dans le 21ème siècle ». En effet, depuis la fin des années 90, le dédain vis-à-vis de lřÉconomie du Développement nřest plus de mise du fait que le développement se trouve « au cœur de vives controverses et plus encore des avancées conceptuelles marquantes au sein de la Science économique. 9 Cřest cela qui explique, sans doute, le foisonnement des Manuels dřÉconomie du Développement : « les Dévelops » nřoccupent plus une position inférieure dans lřéchelle des valeurs de la tribu des Économistes (Prenab BARDHAN, 2001) 10 . Enfin, « mille écoles peuvent maintenant rivaliser » sans complexe ni culpabilisation. Cet ouvrage vient sřajouter à toutes ces réflexions avec un triple questionnement sur : Les paradigmes du développement et du sous-développement en référence à lřAfrique. La pertinence et la robustesse des théories répertoriées par lřhistoire de la pensée économique face aux réalités africaines. Les stratégies et politiques qui découlent de cette pensée économique qui permettent de sortir de lřétat du sous-développement. Ces trois problématiques sont au cœur de lřobjet même de lřÉconomie du Développement qui est en fait la boîte à outils de la science économique quřil faut solliciter pour trouver les réponses les plus idoines en matière de développement économique et social. Cet ouvrage se propose de mettre à la disposition des chercheurs et étudiants, des experts, des intellectuels et des décideurs le maximum de références et dřinformations statistiques pour prendre en charge et faire avancer la réflexion sur les complexes et difficiles problèmes du développement africain. R.BOYER : Lřannée de la Régulation : « Quřon en juge : la théorie de lřinformation imparfaite et des contrats (principal/agence, STIGLITZ, 1987), alimente la réflexion sur des caractéristiques essentielles dřune économie rurale (BARDHAN, 1989). Les externalités associées aux problèmes de coordination suscitent des formalisations traitant aussi bien de la croissance endogène (LUCAS, 1993) que de la multiplicité des équilibres lorsque les préférences et les stratégies sont interdépendantes (HOLF et STIGLITZ, 2001) ». 10 Pendant longtemps, lřÉconomie du Développement revêtait une importance secondaire comme lřillustre ce propos de Axel LEIJONHUFVUD (1973) «La caste des prêtres, les Maths-Écons, appartient à une sphère supérieure à la fois aux Micro ou Macro, tandis que les Dévelops occupent clairement une position encore inférieure. Cela tient au fait quřils nřont pas strictement respecté les tabous interdisant lřassociation avec les Polscis, Sociogs et autres tribus. Les autres Écons les regardent avec suspicion car ils mettent en danger la fibre morale de la tribu et ils soupçonnent même les Dévelops de renoncer à la modélisation. 9 9 Introduction générale « La crise du développement est aussi une crise de la théorie du développement. La seule croissance économique, même rapide, n’apporte pas de solution aux problèmes sociaux, n’élimine pas la misère et le chômage. Pour amorcer un processus de développement de longue haleine, il faut beaucoup plus qu’une modernisation parcellaire de l’appareil de production et le mirage d’une urbanisation effrénée ». I. Sachs11 Le concept du développement a suivi depuis son apparition chez les économistes classiques, jusquřà nos jours, une évolution désordonnée : accepté au siècle dernier comme lřobjectif de toutes les nations, ses théories seront rejetées par la suite avec mépris par lřorthodoxie néo-classique dominante. Actuellement réhabilité, il intègre parfaitement le discours à la fois des économistes, des politistes et des sociologues. Dans la maïeutique de la science économique, doit-on considérer lřéconomie du développement comme un savoir autonome au même titre que la macroéconomie, la microéconomie, lřéconomie internationale, les finances publiques ou alors est-elle simplement un chapitre des théories macroéconomiques ? Quel est exactement son statut dans la Science économique ? I /Naissance de l'Économie du Développement Si le développement économique a dominé la Science économique dès son origine au 18ème siècle avec les travaux d'Adam SMITH (1776), le débat sur l'économie du développement comme problématique et questionnements spécifiques sur les pays sous-développés commence seulement au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale et en pleine guerre froide. Confirmation, le Président des États-Unis Harry TRUMAN, à lřoccasion de son discours sur l'état de l'Union, le 20 janvier 1949, utilise pour la première fois le terme de développement pour justifier l'aide aux PSD dans le cadre de la lutte contre le communisme en pleine expansion. Il y déclara clairement que le devoir des pays du Nord capitalistes, qualifiés de pays développés, est de diffuser leurs technologies et de distribuer leur assistance aux pays qualifiés de « sous-développés », afin qu'ils se rapprochent du modèle occidental de société. C'est dire que l'économie du développement a été forgée, en tant que discipline, il y a une cinquantaine d'années. Au même moment se mettaient en place le système de Bretton Woods et les principales institutions internationales comme la Banque mondiale et le FMI. Branche très importante de la science économique, on peut la définir comme l'analyse économique appliquée au processus de développement et à l'étude des pays en développement. Elle trace donc une frontière entre la science économique, la géographie et la sociologie ce qui soulève des problèmes fondamentaux sur sa définition et ses objectifs. Aujourd'hui, les études d'économie du développement sont essentielles au moins pour trois raisons : La première est que la Science économique ne saurait se limiter à l'explication des problèmes du développement à partir des hypothèses exclusives de l'homoeconomicus et de l'individualisme méthodologique, si tant est quřelle a vocation à être la servante des sociétés, de toutes les sociétés. Dřailleurs, comme nous le verrons plus loin, lřune des critiques de lřanalyse néo-classique concerne lřextrême fragilité des hypothèses de lřhomo-economicus et de la rationalité. Le holisme est 11 Ignacy SACHS : Pour une économie politique du développement, Edition Flammarion, 1977 p.9 1 0 systématiquement ignoré même sřil est une caractéristique dominante dans certaines sociétés. Dans le schéma néo-classique, la société se réfère à des individus « émancipés » conscients de leur existence et des rapports sociaux quřils alimentent. Or, il nřen va pas ainsi dans la plupart des pays en développement où la collectivité, le groupe priment sur lřindividu. La rationalité dřun individu ne dépend pas toujours et uniquement de sa satisfaction personnelle, de son utilité (NDIAYE, 1999 ; SEN, 1983). La seconde raison provient du fait que les études du développement dans des aires par essence précapitalistes et non occidentales sont utiles et importantes. Elles nécessitent la recherche d'instruments analytiques appropriés pour obtenir des résultats pertinents. Comme l'observe A. HIRSCHMAN (1984), on ne saurait aborder l'étude des économies sous-développées sans modifier profondément, sous un certain nombre de rapports importants, les instruments et données de l'analyse économique traditionnelle, axée sur les pays industrialisés. La troisième raison est que l'Economie du développement conduit, par la diversité des champs disciplinaires concernés, à constater la difficulté à dissocier analyse scientifique et vision idéologique. II/ La difficulté de trouver un statut à l’économie du développement dans la Science économique qui est devenue une entreprise gigantesque. La place de lřéconomie du développement dans le corpus théorique de la Science Économique est fortement controversée. Toutes les réflexions sur le développement soulèvent des controverses et des clivages théoriques relatifs à la caractérisation du sous-développement et aux stratégies à mettre en œuvre pour en sortir. Ces réflexions théoriques peuvent se ramener à deux courants qui correspondent à des visions différentes : le premier comprend les analyses qui tentent de replacer lřéconomie du développement dans le champ de lřéconomie néo-classique standard qui ignore notamment la dimension historique du sous-développement et le deuxième courant regroupe toutes les analyses alternatives qui postulent lřexistence de spécificités communes à un ensemble de pays condamnés à réaliser des transformations qui les rendent aptes à déclencher un processus auto-entretenu de croissance. Cřest lřensemble de ces théories qui fondent lřéconomie du développement. 1°) Le premier courant considère l’économie du développement comme un simple prolongement de l’analyse macroéconomique. Pour ces auteurs, il nřexiste quřune science économique et les théories du développement doivent conforter ce mono-économisme et ne peuvent se constituer comme une branche spécifique Dans cette optique, la macroéconomie qui a connu un important développement ces dernières années sřest formalisée comme une théorie de lřéquilibre global se fondant sur les grandeurs caractéristiques de lřactivité (circuit économique, agrégats, fonction de production, de consommation et dřinvestissement, propension, multiplicateur, accélérateur) et des démarches qui articulent ces divers outils pour constituer des théories (théorie de lřéquilibre macroéconomique, théorie des fluctuations et de la croissance, modélisation ou tentative de représentation abstraite de la totalité dřun système productif) qui peuvent rendre compte des questions de développement. 1 1 Dès lors, certains auteurs se fondant sur ces acquis de lřanalyse macroéconomique estiment que lřÉconomie du Développement ne doit pas être une discipline autonome car sa problématique sřinsère parfaitement dans celle de la Macroéconomie. En effet, les modèles normatifs agrégés comportant trois facteurs (travail, capital, technologie) rendent bien compte des préoccupations de développement, cřest-à-dire dřaccroissement soutenu dřune grandeur de dimension nationale comme le produit national ou le revenu national. Ainsi, en considérant que le Produit Global (Y) est constitué de la Demande globale qui se compose de la Demande de Consommation (C) et de la Demande dřInvestissement (I), on peut écrire que : (1) Y = C+I (2) C = Co + cY (3) I = Io - iY I = Investissement avec C = Consommation Co = Niveau incompressible de la consommation i = taux dřintérêt Y= Produit global En introduisant lřéquation (1) et (2) dans la troisième, on obtient : 1 Y (Co Io) 1 c i Certains auteurs ne sont pas loin de considérer que cet équilibre est applicable à toute économie quelle quřelle soit. La seule précaution à prendre au plan analytique est une bonne estimation des variations que sont la consommation, lřinvestissement, le taux dřintérêt. La comptabilité nationale doit être en mesure dřoffrir des évaluations exhaustives par le biais des prix et des marchés. Par ailleurs, pour passer de la statique à la dynamique, il suffit de procéder à une dérivation du système global, ce qui permet le déplacement du niveau dřéquilibre de Y. 1 En écrivant que Y Co Io 1 c i On peut constater que les variations de Y peuvent être induites par une variation dřun des paramètres Co, Io, c, i. Ce qui nous donne : Y 1 Co 1 c i Y 1 Io 1 c i Y 1 i (1 c i)2 (Co Io) En considérant les phénomènes monétaires, les analyses macroéconomiques retiennent certaines équations caractéristiques pour le marché de la monnaie, à savoir 1 2 : les équations de la demande de monnaie, du fait que la demande de monnaie découle de trois (03) motifs : de transaction, de spéculation et de précaution. Les deux premiers sont les plus déterminants. En effet, la monnaie est principalement un instrument de transaction. La demande dřencaisses de transactions découle de la non synchronisation des flux de recettes et de dépenses. Comme au niveau macroéconomique, les dépenses de certains agents sont les revenus pour dřautres, on dira que la Demande dřencaisses de transaction sera une fonction du revenu global, cela permet dřécrire que : (1) M1 = M1(Y) ou encore M1 = k.P.Y. Pour la demande pour des motifs de spéculation, elle est liée au fait que la monnaie peut permettre des plus values sur le Capital. Le spéculateur est celui qui achète des actifs financiers quand les taux dřintérêt sont faibles et qui les revend quand ceux-ci augmentent. Cela permet dřécrire que : (2) M2 = M2(i) La demande totale de monnaie sera : (3) Md = M1 + M2. Quant à lřoffre, elle est une donnée exogène au système Mo = Mo. À lřéquilibre, on a : Mo = Md ou en encore Mo = M1(Y) + M2(i). Là encore, des instruments de lřanalyse monétaire sont universalisables car les motifs de la monnaie se présentent de la même manière dans tous les pays. Dès lors, les équations de comportement sont les mêmes partout. Cřest seulement le niveau des grandeurs qui peut être différent dřun pays à lřautre. Au total, sur le marché du produit comme sur celui de la monnaie, lřanalyse macroéconomique peut rendre compte des préoccupations de lřéconomie du développement. On peut aboutir au même résultat en prenant dřautres exemples comme la comptabilité nationale ou même la modélisation normative macroéconomique. Dans ce dernier cas, si on considère une fonction agrégée de production (k, l), une concurrence parfaite sur les marchés des produits et des facteurs, un prix des facteurs égal à la production marginale, il existe deux variantes de modèle normatif : celui à coefficient fixe de HARROD-DOMAR et celui à coefficient flexible de lřanalyse néo-classique. On pourrait bien établir que les questions de développement et de croissance avec les concepts et outils qui ressortent des théories explicatives relèvent des deux types de modèle. Ainsi, la théorie du développement se pose deux questions : La première question est la suivante : étant donné certains taux dřaccroissement des inputs travail et capital, comment sřeffectue une expansion régulière et soutenue de la production ? Dans un modèle de type harrodien, il suffit dřécrire que (1) G.C = S avec G : taux de croissance, C : coefficient de capital, S : épargne. Ce modèle contient deux grandeurs macroéconomiques : lřInvestissement et lřÉpargne qui déterminent à la fois le processus de croissance et celui de lřéquilibre. En effet, en posant : (2) G Y Y ; S S et C Y Y 1 3 I (3) On peut remplacer dans (1) Y I S I S ou Y Y Y Y Y La politique de développement pourrait être comprise comme une perturbation (macrodynamique) de lřéquilibre soit à partir de lřinvestissement (pour financer une politique agraire, industrielle, technologique, etc.) ou de lřépargne (compression de consommation, importation de ressources financières, endettement, etc.). Quant à la seconde question, elle se formule comme suit : lřéconomie considérée nřest pas au départ engagée dans un processus dřexpansion, va-t-elle sřen rapprocher ou sřen écarter ? Cela soulève la problématique de la stabilité de lřéquilibre. En somme, pour beaucoup dřauteurs, ce processus de théorisation macroéconomique prend bel et bien en charge lřéconomie du développement. Donc celle-ci ne doit pas se constituer comme discipline autonome, elle nřest que le prolongement de la macroéconomie. Lřéconomie du développement se démarque de cette dérive de la théorie économique standard en renouant avec les traditions de lřéconomie politique classique, en se servant des possibilités ouvertes par lřéconomie keynésienne sur le rôle actif de lřÉtat afin de limiter le chômage et dřaugmenter la croissance. 2°) La deuxième attitude théorique considère l’économie du développement comme un chapitre récent de la science économique. « Le développement est en panne, sa théorie en crise et son idéologie fait l’objet de doute. L’offensive généralisée en faveur de la libération des forces du marché, accompagnée de la réhabilitation des thèmes idéologiques de la supériorité absolue de la propriété privée, de la légitimation de l’inégalité sociale, l’anti étatisme tous azimuts. Tout cela produit une intense confusion ». Samir AMIN12 Cette position est soutenue par Samir AMIN. Le point de départ de lřauteur est quřil faut abandonner toute prétention dřélaboration dřune théorie économique pure dont lřoutillage conceptuel se situerait à un niveau dřabstraction opérationnelle pour lřanalyse du fonctionnement des mécanismes dřune société. La seule science possible est celle de la société car le fait social est unique et comporte à la fois une dimension économique, sociale, politique. Il nřexiste aucune raison pour privilégier lřaspect économique. Par ailleurs, lřart du développement veut précéder la science qui seule peut expliquer le développement et le sousdéveloppement comme des faits historiques. Lřéconomie du développement serait alors pour Samir AMIN un chapitre très récent de la science économique puisque, jusquřà la première Guerre Mondiale, la théorie économique ne nourrissait aucune préoccupation dřanalyse des systèmes et des structures. Celle-ci était totalement hors du champ de la Science Économique. LřÉconomie du Développement sřest donc constituée sous la pression des faits et des besoins urgents. Elle sřest voulue dès lřorigine au service des gouvernements engagés dans lřaction pratique du développement économique et 12 S.AMIN : La faillite du développement 1 4 social. Samir AMIN conclut en observant «ainsi, comme la Science Économique générale, lřÉconomie du Développement comportera nécessairement deux (02) chapitres distincts : lřun dřanalyse fondamentale qui, en partant de lřobservation, sřassigne comme objectif lřélaboration dřune théorie du sous-développement et du développement et lřautre dřapplication orientée vers lřaction et la transformation des structures, un art de gestion économique dérivé de la théorie du développement». Dans ce contexte, un problème méthodologique va se poser et consistera à soumettre toutes les catégories de la science économique à une sorte de test dřuniversalité pour mesurer leur domaine de pertinence : problématique de la vérification de lřutilité de la trousse à outils. Cřest cela qui a obligé Samir AMIN à une remise en question généralisée de toutes les théories économiques. Cette démarche laisse ouverte certaines questions comme : quelles sont les frontières correctes de la recherche économique et quelle est la nature de la collaboration avec les autres Sciences Sociales ? Quřentend-on par pertinence de tel ou tel jeu de concepts théoriques ? Quelle relation unit en économie, la Science positive et la politique ? Peutil exister une Science Économique valable pour lřensemble du monde ? Les difficultés méthodologiques qui ressortent de ces interrogations expliquent la troisième thèse qui est celle des économistes qui récusent la théorie monoéconomiste dominante dans la pensée surtout universitaire. 3°) La troisième thèse considère que l’économie du développement doit se constituer en discipline autonome en s’assignant un double objectif : offrir une représentation théorique cohérente du sousdéveloppement et indiquer les voies et moyens pour en sortir. Cette autonomie est une volonté de donner à la théorie du développement, un statut scientifique par les questions quřelle soulève et les méthodes qui permettent dřy répondre. De ce fait, on pourra débloquer lřanalyse en brisant les moules étroits des concepts systématiques et en remettant les idées en mouvement. Les économistes ont, dans les pays développés, tendance à échafauder des théories compliquées et complètement détachées du réel. Il en va ainsi car la science économique dans ces pays fait partie du système de croyances conçu moins pour révéler la vérité que pour rassurer les citoyens sur lřorganisation sociale. Ce luxe serait trop coûteux pour des pays sous-développés vers lesquels, observe Jean ROBINSON, «on exporte les doctrines afin de les empêcher de trouver une issue à leur situation». Pour aboutir à lřélaboration dřune économie du développement, il faut partir de la double incapacité de la théorie économique de donner une représentation totale ou expressive du sous-développement et indiquer des directions de transformation. En effet, si lřon considère la théorie économique comme une théorie de la coordination dřun système décentralisé, donc une théorie des rapports décentralisés, donc une théorie des rapports marchands comme lřautorise le texte de WALRAS, on sřaperçoit aisément que les catégories utilisées sont impertinentes dans les formations sociales sous-développées qui sont à dominante non capitaliste. La plupart des échanges y sont non marchands, lřespace économique est hétérogénéisé par des cloisons et barrières rendant le marché totalement imparfait, la croissance ne peut être auto-entretenue par suite de lřexistence de multiples déséquilibres et enfin les régimes autoritaires qui y prévalent ne connaissent pas de débat démocratique, donc un processus de génération des choix collectifs par interaction des choix individuels. 1 5 Si, en revanche, on confère à la théorie économique une acception systématique pour en faire une théorie de lřéquilibre stable dřun système complexe, les catégories économiques usuelles nřont plus la même signification, ni la même portée analytique. À titre dřillustration, lřéquilibre ne signifie plus que lřaptitude de lřorganisation sociale ne peut pas être bloquée, lřoptimum parétien signifie que toute organisation ne fonctionne quřen tant que jeu à somme non nulle, la croissance équilibrée signifierait que toutes les variables dřétat augmentent au même taux. Lřéconomie du développement sřavère alors tout à fait indispensable pour interpréter et transformer le sous-développement. En fait, les conclusions théoriques dépendent avant tout, non pas des méthodes employées, mais des questions que la théorie pose. Lřanalyse macroéconomique qui transfère la réflexion théorique sur les mathématiques et la statistique (considérées comme des fins et non comme des moyens) est incapable de gérer les théories et problèmes du développement économique et social qui ne peuvent relever que de lřéconomie politique du développement. III/ Que recouvre l’Économie du Développement ? La diversité des approches en économie du développement se traduit par lřexistence de plusieurs définitions du phénomène du développement qui en est lřobjet principal. 1°) A première approximation qu’est que le développement ? Selon KUZNETS, la notion de développement économique qui se distingue de la croissance économique (élévation du revenu par tête et du produit intérieur brut) combine trois éléments : une croissance économique auto-entretenue, des changements structurels de la production et le progrès technologique. Les historiens du développement, les théoriciens du développement de la nouvelle école institutionnelle et les économistes néoclassiques du développement ajoutent à ces éléments la modernisation institutionnelle qui permet aux marchés dřorienter rationnellement les décisions économiques des individus. Les théoriciens de la modernisation ajoutent le développement politique et social à la liste tandis que lřécole de lřesprit dřentreprise insiste sur lřévolution socioculturelle. Enfin, les défaillances du processus de croissance quřont connu les pays en développement ont amené certains à ajouter lřaugmentation du bien-être au bénéfice du plus grand nombre à la liste des caractéristiques du développement économique. Maurice BYE rappelle que toute science est avant tout une question de vocabulaire, cřest-à-dire un ensemble de concepts clairement définis et toute définition devra servir lřanalyse qui en usera. Dans ce sens, la définition la plus consensuelle et la plus usitée est celle proposée par F. PERROUX pour qui « le développement est la combinaison des changements mentaux et sociaux dřune population qui la rendent apte à faire croître, cumulativement et durablement, son produit réel global ». Des auteurs comme P. Hugon apporteront des enrichissements en ajoutant que le développement est aussi « un processus de changements structurels accompagnant lřaccroissement de la productivité du travail sur une longue période. Il est processus cumulatif caractérisé par la transformation des relations sociales et des modes dřorganisation liés à lřaffectation du surplus à des fins dřaccumulation productive et conduisant à un accroissement de la productivité et sa diffusion dans un espace donné 1 6 » Il en va de même pour A.O. HIRSCHMAN (1964) lorsquř il observe que « dans la typologie lřappellation économie du développement est réservée à lřun des courants théoriques qui analysent les problèmes de développement et de sous-développement. Lřéconomie du développement se caractérise par le refus du mono-économisme (conception unique de lřéconomie) et lřaffirmation dřune communauté dřintérêt entre pays riches et les pays pauvres ». Dans la même veine J. R. HICKS ajoute (en 1965) que « lřéconomie du sousdéveloppement est un sujet extrêmement important, mais ce nřest pas un sujet formel ou théorique. Cřest un sujet pratique qui implique le recours à toute branche de la théorie qui le concerne… Sřil y a une branche de la théorie économique, qui le concerne spécialement, cřest la théorie du commerce international ». Toutefois, « Si lřon veut plus de développement, il faut dřabord plus dřéconomie » (Stephen ENKE, 1963). 2°) Le développement peut aussi se définir à partir de facteurs plus quantitatifs que qualitatifs : le développement comme croissance du revenu par habitant, le développement comme changement structurel et le développement comme processus de dépendance. a) Le développement assimilé à la croissance du revenu. Plusieurs auteurs assimilent développement et croissance, notamment celle du revenu national. Sans entrer dans le débat, on observe quřune variété de statistiques similaires exprime le revenu dřune nation : Produit Intérieur Brut (PIB), Produit Intérieur Net (PIN), Produit Domestique Brut (PDB), Produit Domestique Net (PDN), etc. même si les différences entre ces statistiques sont mineures : ces agrégats sont tous des mesures de la valeur monétaire globale de tous les biens (récoltes, tissus, etc.) et tous les services (transports, tailleurs, etc.) produits dans une année. Donc, la mesure du développement pourrait indifféremment être le RN per capita, le PIB par habitant, ou le PIN par habitant, etc. Cette définition est la plus couramment utilisée bien que comportant des limites quřil importe de souligner avant dřaller plus loin. Celles-ci sont de quatre ordres : Dřabord, le manque de précision dans les statistiques, surtout pour les pays sous-développés. À grands traits les raisons tiennent à divers facteurs : mauvaise quantification du nombre dřhabitants, une partie importante du PIB nřest pas commercialisée et prend la forme dřauto-consommation. Ensuite, le revenu moyen peut être loin du revenu reçu par un citoyen typique. Souvent, il est obtenu en divisant le PIB total par le nombre dřhabitants. Toutefois, la meilleure mesure serait le revenu médian calculé en mettant en ordre tous les habitants, en allant du plus pauvre au plus riche. Pour faire ce calcul, il faut connaître le revenu de chaque individu, ce que les statistiques actuelles ne permettent pas. Le degré de surestimation dépend du degré dřinégalité dans la répartition des revenus. Selon les observations de lřéconomiste Simon KUZNETS, au cours du développement économique dřun pays, la répartition des revenus commence par devenir plus inégalitaire, mais ensuite devient moins inégalitaire au-delà dřun certain niveau du développement. Lřimplication est que lřécart entre le PIB par habitant (le revenu moyen) et le revenu dřun citoyen typique (le revenu médian) varie avec le niveau du développement du pays. En outre, les difficultés de comparaison du PIB/habitant entre différents pays. La comparaison internationale suppose que lřon rapporte les différentes devises nationales à une devise commune qui sert dřétalon de valeur (généralement, cřest le 1 7 dollar). Seulement les fluctuations des taux de change rendent difficiles les comparaisons. Enfin, le revenu nřest ni le niveau de vie ni le bonheur national. Il est très compliqué de mesurer statistiquement le niveau de vie, à fortiori celui du bonheur dans un pays. Les comparaisons internationales sont tout aussi difficiles. En définitive, pour éviter tous ces problèmes découlant de la mesure du PIB, quelques économistes utilisent dřautres indices de développement comme la production dřélectricité par habitant, lřespérance de vie, le nombre de lits dřhôpital par habitant, les kilomètres de voierie par kilomètre carré du territoire, etc. Mais comment peut-on ajouter des kilowatts dřélectricité à des années dřespérance de vie ? LřIndice du Développement Humain (IDH) lancé par le PNUD est maintenant souvent évoqué. Cřest un indice composite calculé à partir dřune moyenne pondérée des indices. Le «poids» de chaque mesure entrant dans la moyenne pondérée est calculé en utilisant une technique statistique appelée lřanalyse factorielle. b) Le développement comme changement structurel La mesure du développement par la croissance du revenu par habitant est une mesure purement économique et quantitative et elle écarte tout autre paramètre non économique. Mais le développement dřun pays entraîne toute une série de changements, sur le plan social, politique, psychologique, etc. autant que sur le plan économique. Beaucoup dřauteurs font une distinction entre «croissance» (quřils définissent comme un changement du niveau du revenu sans changement des aspects non économiques de la société) et «développement» (quřils définissent comme un changement simultané des aspects sociaux, politiques, économiques de la structure de la société). Le problème consiste à déterminer les changements spécifiques de la structure de la société qui constitueraient un «développement». c) Le développement comme processus de dépendance Les pays sous-développés sont définis par une double dépendance vis-à-vis de lřextérieur (exportations, importations, cours des matières premières, aides extérieures, flux financiers) et de facteurs internes (climat, conditions de production etc.). Tous ces facteurs ne sont pas sous contrôle et créent des instabilités et des risques sur le fonctionnement des économies. En prenant par exemple les exportations, on sřaperçoit quřelles sont souvent dominées par un ou deux produits agricoles ou miniers, et les prix de ces produits subissent souvent des fluctuations violentes (pour des raisons que nous verrons plus tard). En lřespace dřun ou de deux ans, le prix peut être multiplié (ou divisé) par 3 ou même par 5 (ex. phosphates, sucre, cuivre, café, pétrole). Bien évidemment, il est très difficile de mesurer le niveau dřindépendance dřun pays ou de comparer le degré dřindépendance de différents pays. Les indicateurs utilisés comme le taux dřinsertion à lřéconomie mondiale calculés à partir des éléments de la balance commerciale peuvent sřavérer insuffisants. La notion de développement a fait lřobjet de diverses critiques. Dřabord, elle fait de lřaccumulation technico-économique le préalable à tout changement social, ce qui revient à nier le caractère indissociablement culturel des processus économiques et la dimension multidimensionnelle du changement social. Ensuite, elle traduirait la volonté des Occidentaux dřimposer leur modèle culturel. Pour les tenants de cette thèse, le développement est un paradigme occidental qui recouvre une expérience 1 8 historique faussement exemplaire, celle de lřEurope de lřOuest et un ensemble de croyances (croyance en un temps cumulatif et linéaire, croyance en lřattribution à lřhomme de la mission de dominer totalement la nature, croyance en la raison calculatrice). Enfin, certains soulignent lřorigine politique du concept. Ainsi, la notion de pays sous-développés date-t Ŕelle du discours du Président américain H. TRUMAN de 1949. À lřépoque, il sřagissait de convaincre le contribuable américain dřaider les pays sous-développés pour des raisons géopolitiques : il fallait limiter lřexpansion du communisme. Pour les américains, le système colonial et surtout la misère contribuaient à lřessor des mouvements révolutionnaires. Encadré 1 : Quelques Critiques de la notion de développement. Selon KUZNETS, la notion de développement économique qui se distingue de la croissance économique (élévation du revenu par tête et du produit intérieur brut) combine trois éléments : une croissance économique auto-entretenue, des changements structurels de la production et le progrès technologique. Les historiens du développement, les théoriciens du développement de la nouvelle école institutionnelle et les économistes néoclassiques du développement ajoutent à ces éléments la modernisation institutionnelle qui permet aux marchés dřorienter rationnellement les décisions économiques des individus. Les théoriciens de la modernisation ajoutent le développement politique et social à la liste, tandis que lřécole de lřesprit dřentreprise insiste sur lřévolution socioculturelle. Enfin, les défaillances du processus de croissance quřont connu les pays en développement ont amené certains à ajouter lřaugmentation du bien-être au bénéfice du plus grand nombre à la liste des caractéristiques du développement économique. La notion de développement a fait lřobjet de diverses critiques. Dřabord, elle fait de lřaccumulation technico-économique le préalable à tout changement social ce qui revient à nier le caractère indissociablement culturel des processus économiques et la dimension multidimensionnelle du changement social. Ensuite, elle traduirait la volonté des Occidentaux dřimposer leur modèle culturel. Pour les tenants de cette thèse, le développement est un paradigme occidental qui recouvre une expérience historique faussement exemplaire, celle de lřEurope de lřOuest et un ensemble de croyances (croyance en un temps cumulatif et linéaire, croyance en lřattribution à lřhomme de la mission de dominer totalement la nature, croyance en la raison calculatrice). Enfin, certains soulignent lřorigine politique du concept. Ainsi, la notion de pays sousdéveloppés date-t-elle du discours du Président américain H. TRUMAN de 1949. A lřépoque, il sřagissait de convaincre le contribuable américain dřaider les pays sousdéveloppés non seulement pour des raisons géopolitiques (il fallait limiter lřexpansion du communisme.) Pour les américains, le système colonial et surtout la misère contribuaient à lřessor des mouvements révolutionnaires. IV/ De la crise du développement à l’avènement du développement durable Aujourdřhui, beaucoup dřauteurs critiquent avec sévérité, le développement, lřÉconomie du développement ou les théories du développement. Cřest le cas de Samir 1 9 AMIN lorsquřil observe que « Le développement est en panne, sa théorie en crise et son idéologie fait lřobjet de doute ». Cette contestation intervient dans une période particulière de lřévolution caractérisée par des ruptures graves des équilibres naturels et environnementaux du fait des activités productives qui gaspillent ou détruisent les ressources naturelles (surtout celles qui sont non renouvelables), la biodiversité, la forêt, lřeau, les matières premières, la pollution atmosphérique. Cette situation a conduit beaucoup dřauteurs à se convertir au développement durable issu de la commission BRUNDLAND (1987) qui est défini comme « le développement qui est apte à satisfaire les besoins des générations actuelles sans pour autant porter atteinte à ceux des générations futures. Plus précisément, il sřagit, selon cette définition, dřune tentative planétaire de synthèse entre, dřune part, la nécessité de continuer le processus de développement avec la variante la plus importante et la plus prioritaire, la lutte contre la pauvreté et, dřautre part, la nécessité de sauvegarder lřenvironnement. Le développement durable ainsi compris est multidimensionnel puisquřil articule théoriquement trois dimensions économique, sociale et écologique mais également il est un facteur de croissance économique basée sur l'économie sociale et solidaire, l'éco-conception, le biodégradable, le bio, la dématérialisation, le réemploiréparation-recyclage, les énergies renouvelables, le commerce équitable, la relocalisation etc. Ce nouveau mode de développement qui veut assurer l'épanouissement de tout le genre humain, présent et à venir, partout et tout le temps soulève de nombreuses interrogations même sřil entraîne des adhésions massives. Sřagit-il comme lřobserve Jean MARC « dřune auberge espagnole, où chacun met très exactement ce qui l'arrange, un vœu pieux, ou un parfait exemple de schizophrénie, ou...un dialogue de sourds » ? V/ Les courants de pensée en économie du développement Dans le domaine du développement, les recherches, réflexions et pratiques sont extrêmement évolutives avec des différences fondamentales de nature idéologique, théorique et méthodologique, entre les écoles et courants de pensée. Il en résulte des controverses et des débats riches alimentés par l'éventail des théories économiques, leurs instruments et modèles. Donc, la discipline devrait tirer un grand profit de ces approches. Cependant, les théories du développement se sont affirmées comme un corpus distinct dans la science économique dès lors qu'elles postulent l'existence de spécificités communes à un ensemble de pays en même temps qu'elles adoptent l'idée que le développement ne se réduit pas à la croissance. Ainsi, depuis un demi-siècle, l'évolution de cette discipline reflète une tension entre, d'une part, le corset d'un appareil analytique (l'analyse économique «standard») qui a ses règles méthodologiques et son ambition universaliste, d'autre part, les particularités auxquelles il s'agit de l'adapter. Globalement, on peut distinguer, actuellement, quatre grands courants de pensée en économie du développement : Un premier courant qui réactive, à la lumière des travaux récents sur la croissance endogène (GUELLEC et RALLE, 1996 ; KRUGMAN, 1993 ; LUCAS, 1988 ; ROMER, 1986 ; etc.), les théories des précurseurs du concept de croissance : croissance déséquilibrée de HIRSCHMAN et le « Big push » de Rosenstein RODAN ; Un deuxième courant qui privilégie, dans ses approches du développement, les aspects liés à l'imperfection des marchés, la place et le rôle des institutions dans la coordination des activités des agents économiques. Ce courant, dénommé le courant de la régulation, remet en cause la capacité du commissaire-priseur à assurer la 2 0 convergence des intérêts contradictoires des agents et accorde une grande importance aux différentes institutions jouant un rôle dans la régulation et le fonctionnement des économies ; Un troisième courant qui renouvelle les analyses structuralistes (Néoinstitutionnaliste) à partir d'une critique des approches orthodoxes de la stabilisation ; Un quatrième courant néo-marxiste qui remet en question la pensée dominante tendant à sřuniformiser et qui préconise le néolibéralisme et l'occidentalisation des sociétés en développement comme perspectives exclusives. C'est cela le fondement du « Consensus de Washington » qui consacre les politiques d'ajustements structurels. Or, pour ce courant, les pays en voie de développement ne peuvent espérer se développer à cause de l'impérialisme (rapports inégaux) c'est-à-dire leur intégration historique dans l'économie mondiale et le détournement du surplus vers des accumulations improductives par les classes dominantes (P. BARAN, 1957 ; S. AMIN, 1970 ; A. G. FRANCK, 1978). VI/ Périodisation de l’évolution de la pensée du développement selon P.HUGON. Dans une analyse fouillée et très rigoureuse P. HUGON (1991) distingue trois moments, introduisant chacun un paradigme de lřéconomie du développement : 1°) Le premier moment est celui de la décolonisation et du début de construction des systèmes économiques nationaux : deux concepts prédominent « État et Développement » À cette période lřobjectif majeur était de forger un corpus scientifique qui rompt avec la représentation coloniale, de sociétés sans histoire et de peuples aux mentalités archaïques, traditionnelles. Il fallait alors se tourner vers des problématiques alternatives fondatrices de lřéconomie du développement, dans lesquelles, lřEtat est un pilier du développement (MEIER & SEERS, 1987). Cette posture était justifiée par lřinexistence dřune bourgeoisie nationale ou dřun secteur privé national capable dřexploiter toutes les opportunités dřinvestissement pour élever les forces productives. Le schéma de cette école de développement est fortement influencé par le contexte international issu de la seconde guerre mondiale. Même Keynes a été minorisé lors des débats fondateurs des institutions de Bretton Woods, lřinterventionnisme est dans lřair du temps. En effet, le Plan MARSHALL sert de modèle dřaide et de financement des investissements nationaux de base et de construction dřespaces régionaux. Ainsi, on comprend aisément que lřEtat soit au centre des interrogations de la quasi-totalité des sciences sociales. Les économistes le situent au cœur du processus de développement économique : les juristes et politologues en font le noyau de référence, comme les géographes, aménageurs du territoire, ou les historiens privilégiant le cadre national. Les anthropologues ou ethnologues, les géographes ruralistes soulignent, par contre, la spécificité des structures africaines et le jeu des pratiques sociales. Ils se situent davantage au niveau des petites échelles et des microsociétés. Cette première période dans lřhistoire de lřéconomie du développement a été influencée dans le Tiers-Monde par les grandes thèses nationalistes et celles du mouvement des non-alignés cherchant, à travers un développement endogène à satisfaire les besoins sociaux de base des populations (éducation, santé, infrastructures sociales). Cette politique volontariste a cherché à sřadosser sur les potentialités 2 1 internes. Les pays du Tiers-Monde cherchaient alors une troisième voie de développement. Selon le continent, les problèmes du développement se posent de manière différente. En Amérique Latine, on tente dřinstaurer une économie de marché tout en favorisant un protectionnisme éducateur pouvant faire émerger une jeune industrie dřimport substitution. Alors quřen Asie, les débats sont controversés sur le choix des techniques et leur rôle au sein dřune économie de marché ou planifiée. Dřautres questions non moins importantes sont également posées et portent sur les réformes agraires. En Afrique, au-delà de ces préoccupations, des questions spécifiques tournent autour de lřouverture des pré-carrés coloniaux et de lřabolition des monopoles. 2°) Le deuxième moment est celui des années 70 : le moment de la radicalisation avec les succès politiques et économiques de la tricontinentale qui revendique un Nouvel Ordre Economique mondial. À la fin de la décennie soixante, la pensée dominante sur le développement se radicalise. Elle réclame la prise en compte des intérêts des pays du Tiers - Monde sur la scène internationale. Les tenants de ce courant sont qualifiés de tiers-mondistes et élaborent les nouvelles théories de lřimpérialisme, de lřéchange inégal, de lřexploitation des masses de la périphérie par les bourgeoisies du centre, des luttes sociales à lřéchelle tricontinentale (Asie, Afrique et Amérique Latine). Cette période sera marquée par la constitution dřun vaste mouvement de solidarité des pays du Tiersmonde autour de leurs combats politiques et économiques, la formation du mouvement des Non-alignés, la constitution de puissants cartels (OPEP) et de groupes de pression (Groupe des 77, Groupe des 15, etc.) et lřavènement de la Tricontinentale. Les succès des guerres de libération nationale et la révolution chinoise vont jouer un rôle important dans les nouvelles perspectives du Tiers-Monde. Le contexte dřun monde bipolaire avec des affrontements idéologiques conduit à un éclatement des écoles : MAO TSE TOUNG dans la nouvelle Démocratie Populaire préconise que « mille écoles rivalisent et que mille fleurs fleurissent ». Durant cette période apparaissent les premières remises en question du Système Monétaire International (SMI)13 issu de Bretton Woods : abandon de la parité fixe du dollar par rapport à lřor et lřinstauration des systèmes de changes flexibles (décision de NIXON 1971). Cette transition du SMI est renforcée par la première crise pétrolière (1973) qui est la première victoire des pays en développement membres de lřOrganisation des Pays Exportateurs de Pétrole au devant de la scène internationale augurant la première inversion des flux de capitaux (pétrodollars) des pays développés vers les pays sous-développés exportateurs de pétrole. Cette victoire va permettre de poser le débat sur lřimpératif dřun Nouvel Ordre Économique International (NOEI) et lřinstauration de rapports économiques et financiers plus équilibrés. Également, cřest dans ce contexte que lřon tente de définir une troisième voie à équidistance entre les blocs capitaliste à économie de marché et socialiste à économie planifiée. Les projets de développement endogène font leur apparition. 3°) Le troisième moment est celui de la crise des années 80 et l’avènement de la libéralisation et de la gestion capitaliste. Le SMI est un ensemble de pratiques qui régissent les mouvements de biens et des capitaux, les comportements de Banques centrales dans la gestion des réserves officielles, le rôle de chef dřorchestre dévolu au FMI. 13 2 2 Lřéclatement de la crise économique et financière mondiale des années 70, en déréglant le système économico-financier international, viendra extérioriser toutes les faiblesses structurelles des économies du Tiers-Monde : la non émergence dřune agriculture performante et diversifiée capable de satisfaire une demande alimentaire fortement croissante, la persistance dřune industrie monopolaire peu compétitive et extrêmement protégée, un sous-emploi des jeunes de plus en plus massif, la pauvreté de masse, le double déficit des finances publiques et de la balance des paiements. Pour juguler les nouveaux déséquilibres, il est envisagé lřinstauration dřune politique longue et certainement pénible dřajustement structurel. Les institutions de Bretton-Woods, Banque mondiale et FMI, vont exercer un leadership doctrinal. Lřautonomisation de la sphère financière et la gestion de la dette conduisent à privilégier les équilibres macro-financiers et les ajustements de court terme (stabilisation). On constate lřéchec Ŕ ou lřutopie Ŕ du NOEI. Enfin, les mouvements populaires et la montée des processus démocratiques, de même que lřatténuation de lřapartheid en Afrique du Sud, mettent en question des pouvoirs sans légitimité et mettent en œuvre de nouveaux modes de gestion politique pouvant favoriser la sécurité et lřémergence dřacteurs innovants. Pour P.HUGON, « les années quatre-vingt sont caractérisées par le dépérissement des théories globalisantes, le déplacement très net de la recherche du rural vers lřurbain, et le poids croissant donné aux acteurs et aux politiques. Au sein de lřéconomie domine une pensée standard ou orthodoxe. La question de la transition vers le socialisme fait place à celle de la transition vers le marché. Les concepts de modes de production, dřimpérialisme, dřéchange inégal, de développement des rapports capitalistes, de classes sociales sont considérés comme obsolètes, et ceux qui les emploient encore, comme des anciens combattants… Au niveau politique, la construction des États-nations et des partis uniques débouche aujourdřhui sur lřinformalisation de lřÉtat et les tentatives de pluripartisme. Sur le plan économique, la phase de lřEtat-développeur a fait place à des programmes dřéquilibrages financiers et de transition à lřéconomie de marché. Ces nouvelles orientations sont une réponse à la crise africaine qui est à la fois économique, sociale et politique ». 2 3 Encadré 2 : Petite histoire de la pensée du développement. Dans leur contribution, lors de la seconde conférence européenne sur le développement organisée par la Banque mondiale et le Conseil dřAnalyse Economique à Paris du 26 au 28 juin 2000 intitulée : « fifty years of development » Paul COLLIER, David DOLLAR et Nicolas STEN résument sommairement comme ils le soulignent les principaux changements dans lřhistoire de la pensée du développement. Ces changements sont dus dřune part aux expériences dans les différents pays et dřautre part, aux évolutions de la science économique. Dans les années cinquante et soixante. De nombreux économistes considéraient que le fonctionnement ne pouvait pas répondre de manière satisfaisante aux problèmes particuliers des pays en développement. LřÉtat devait jouer un rôle majeur dans lřallocation des ressources et, notamment, en matière dřinvestissement. La grande dépression des années trente et la réussite à lřépoque des expériences de planification, que cela soit en URSS ou bien au Royaume-Uni au cours de la Seconde Guerre expliquent une telle position. Même sřil existait des différences sur la nature de la croissance équilibrée ou déséquilibrée, lřÉtat était amené à jouer un rôle essentiel. Seuls des économistes comme Peter HAYEK, Gottfried HABERLER et Friedrich von HAYEK sřopposaient à ce consensus. Un deuxième paradigme de la pensée du développement à lřépoque met en exergue son pessimisme vis à vis des stratégies de développement fondées sur les exportations et, au contraire, lřencouragement donné aux stratégies de substitution dřimportation. Dans les années soixante et soixante-dix. Plusieurs études de nature microéconomiques mirent en évidence les distorsions de prix et les inefficacités qui résultaient des stratégies de substitution à lřimportation. Parallèlement, la théorie économique a été amenée de plus en plus à sřintéresser aux problèmes dřinformation et dřincitation et à la manière dont les arrangements contractuels développés pouvaient soit résoudre, soit au contraire, aggraver ces problèmes. Cřest au cours des années soixante et soixante dix que se sont également développées les études concernant la mesure de la pauvreté et des inégalités et les analyses de la relation entre concentration de revenus et la croissance, initiée par la courbe en « U » reversée de Kuznets. Les années quatre-vingt ont marqué un tournant. Dřune part, la disponibilité des données ainsi que les progrès en matière de traitement informatique des données ont permis une analyse empirique dřun certain nombre de mécanismes du développement. Dřautre part, les maigres résultats obtenus par les stratégies de développement mises en avant dans les années cinquante ont conduit à la fois à une faible croissance et à des problèmes dřajustement et de dette. Au cours des années quatre-vingt-dix. Lřaccent a été mis sur le rôle des institutions dans le développement et notamment lřimportance des systèmes juridiques et financiers. Des travaux ont été menés dans les domaines de lřéconomie politique de la réforme et de la construction institutionnelle. Le capital social (degré de cohésion sociale, normes, associations, réseaux dřinfluence) est maintenant analysé comme un facteur important dans la mise en œuvre des politiques économiques des réformes, ainsi que le fonctionnement des institutions. Parallèlement, un ensemble de travaux a été consacré à lřefficacité du rôle de lřaide au développement. Ils ont mis en évidence le rôle des institutions et des politiques dans les résultats de cette aide. VII/ Quelle est la structure de cet ouvrage ? Cet ouvrage est une réflexion adossée sur lřÉconomie du Développement avec des références à lřAfrique. Sa problématique est fort simple dans le contexte de mondialisation irréversible et à la lumière des enseignements de lřÉconomie du 2 4 développement, quelles sont les grandes questions qui se posent aux PSD en général et africains en particulier ? Quelles sont les réponses en termes de stratégie et de politiques de développement ? Dřun point de vue méthodologique, nous avons divisé cet ouvrage en cinq parties logiquement articulées : Le contexte de mondialisation (Partie introductive), Les Théories Économiques et le développement (1), Le concept et la morphologie du sous-développement, les options, les stratégies et les instruments de gestion du développement (2), Les politiques sectorielles de développement (3), Le financement du développement (4) et Lřintégration et lřinsertion dans la mondialisation (5). Pour alléger le volume de lřouvrage, il a été scindé en deux tomes : le premier comprend les deux premières parties qui forment les théories et analyses du développement et du sous-développement et le second tome est composé des trois dernières parties qui traitent des stratégies et politiques de sortie du sous-développement. La partie introductive analyse le contexte de mondialisation qui conditionne tous les processus productifs, financiers, technologiques, sociaux et culturels qui permettent de mieux comprendre les enjeux actuels du sous-développement et du développement. Quelle compréhension avons nous de ce mot « fétiche » et polysémique ainsi que de ses configurations? Est-elle un handicap ou opportunité surtout quand elle est présentée comme une réalité incontournable qui condamne tous les pays à sřajuster à cet ordre (ou désordre) mondial caractérisé par la formation et la complexification de puissants pôles de compétition qui entreprennent un travail gigantesque de disqualification à la fois des territoires et des États. La première partie traite des Théories Économiques face au développement et sous-développement. Cřest une revue sommaire de la boîte des références sur laquelle sřappuient les économistes, les chercheurs et les techniciens pour comprendre, expliquer, justifier et agir ? La Science économique est devenue aujourdřhui, une entreprise extrêmement impressionnante par la quantité des recherches, ouvrages et articles disponible pour lřanalyse et lřaction. Au-delà des diversités dřapproches et des méthodes, des controverses et des désaccords multiples, cinq grandes familles de pensée économique se sont particulièrement passionnées à la problématique du développement : les classiques de A. SMITH à D. RICARDO, les Keynésiens de J. M. KEYNES à ses condisciples HARROD, DOMAR, J. ROBINSON, les marxistes de MARX à P. BARAN, de P. SWEEZY à lřÉcole de la régulation, la Synthèse néoclassique contemporaine de JEVONS, MENGER, L. WALRAS à LUCAS et les structuralistes et institutionnalistes qui forment un ensemble disparate dřauteurs allant des « hétérodoxes » aux divers institutionnalistes et socio-économistes. Cette catégorisation nřa quřune valeur didactique au regard de lřentrecroisement des analyses et des idées : en fait il nřexiste pas entre les grandes familles de pensée des barrières infranchissables tellement les méthodes, les références et parfois les formulations sont voisinent. Cřest la conséquence, que les théories économiques ne sont pas toutes nées à la même époque et nřont pas eu à affronter les mêmes problèmes.14 La deuxième partie présente une analyse des caractéristiques constitutives du sous-développement et une introduction générale aux objectifs, stratégies et instruments de gestion pour sortir du sous-développement. En effet, quand les économistes analysent ce phénomène, généralement, ils exhument un certain nombre de faits, une batterie dřindicateurs, de structures de tous ordres qui suscitent de vives controverses comme si ces éléments en eux-mêmes étaient suffisants pour 14 . GALBRAITH : Lřéconomie en perspective. Une histoire critique, Édit. du Seuil, 1989 2 5 définir et caractériser le phénomène de sous-développement. Ces diverses représentations du sous-développement selon le mot de G. D. DEBERNIS 15 se présentent souvent comme une combinaison subtile de théories, de faits, dřintérêts, de pouvoirs, de mythes. La science commence toujours par une bonne observation des faits à partir de concepts et vocabulaires clairement définis. Dès lors quels sont les faits caractéristiques du sous-développement ? Peut-on les réduire aux traits de structure et de fonctionnement qui font apparaître la conséquence majeure des PSD à savoir leur incapacité à briser «le cercle vicieux de la pauvreté».16 Quelles sont les stratégies et options de développement économique et social qui découlent de la morphologie du sous-développement ? La finalité des stratégies et politiques de développement étant lřélévation du niveau de bien-être des populations, sa réalisation passe par la définition dřoptions claires, dřinstitutions dřencadrement de la croissance, de lřorganisation de lřéconomie, de lřutilisation de techniques de décision comme la planification, des analyses prospectives et enfin des acteurs. Deux problèmes déterminants sont traités à ce niveau : la stratégie de lřémergence à partir de la croissance économique et la planification comme instrument de cohérence et dřexploration de lřavenir. Lorsque lřon passe de lřéconomie du certain à celle de lřincertitude, lřoutil de planification devient indispensable pour lřEtat dans lřexercice de ses fonctions dřimpulsion et de régulation des économies. La Troisième partie est relative aux stratégies et politiques sectorielles. Le débat agriculture-industrie est maintenant très largement tranché. Le décollage et la croissance des PSD peuvent-ils encore se réaliser avec lřagriculture comme secteur moteur ? Lřindustrialisation est-elle encore possible ? Quelle articulation entre politique agricole et politique industrielle ? Cette partie apprécie les politiques à entreprendre au niveau : Premièrement de l’agriculture considérée comme un secteur prioritaire devant accomplir des fonctions motrices dans toute stratégie de développement avec une analyse qui sřarticule autour : des limites de lřagriculture paysanne : pourquoi les résistances à la libéralisation du secteur ; des axes dřune autre politique agricole et de la fameuse question des subventions agricoles à lřéchelle mondiale. Deuxièmement de l’industrialisation qui a joué dans lřhistoire un rôle essentiel et contribué dřune part à lřaccumulation productive et à la formation et à lřaccroissement du capital physique par la production des biens dřéquipement et dřautre part, à lřaugmentation de la productivité du travail. Dans cette optique, trois (03) questions sont à résoudre : les distorsions historiques en faveur des branches et techniques légères et lřindustrialisation de substitution aux importations; le dilemme industrie lourde Ŕ industrie légère et lřarticulation de lřindustrie à lřagriculture qui permette une transformation rapide des systèmes agraires. Troisièmement de la problématique technologique et des innovations : nous partons de lřidée quřil nřexiste pas de détermination technologique. Le vaste processus dřintellectualisation croissante du travail social condamne les formations sous-développées à trouver des raccourcis. Dès lors que la science devient la base théorique non seulement de maîtrise des forces de la nature mais aussi de la direction méthodique orientée des processus sociaux de développement de la société, la technologie revêt une importance capitale. Lřanalyse sřorganise autour de : lřévaluation du pool technologique disponible et que lřon peut mettre ensemble dans un processus de production ; lřappréciation des enjeux Gérard Destanne DEBERNIS : Le sous-développement, analyses ou représentation, Revue TiersMonde, tome XV n° 57, Janvier 1974 16 Gunder FRANK préfère le terme de « développement du sous-développement » qui est lřintitulé de son ouvrage publié aux Édit. François Maspero 15 2 6 technologiques qui obligent le Tiers-monde à progresser rapidement dans la promotion de la révolution scientifique et technique et lřélaboration dřune nouvelle politique technologique. Lřautre question analysée concerne la politique commerciale qui a joué, contrairement aux expériences de la plupart des pays africains, un rôle dynamique dans le processus de développement et dřamélioration de la compétitivité des économies. Or, la question qui se pose aujourdřhui est de savoir si les pays en développement peuvent continuer à jouir des mêmes libertés quřils ont pu avoir par le passé, pour mettre à contribution la politique commerciale dans la construction de leurs stratégies de développement. Cette question est dřautant plus importante que les réformes entreprises depuis lřUruguay Round réduisent lřusage des outils de la politique commerciale et par conséquent laissent une marge limité aux PSD. Certains se demandent dřailleurs si lřavènement de lřOMC ne signifie pas finalement la fin des politiques commerciales nationales. La quatrième partie étudie le financement du développement. En effet, pendant longtemps, il a été considéré que le développement est entravé par la pénurie ou lřinsuffisance de capitaux dřoù les besoins financiers énormes pour faire face dřune part aux investissements productifs qui animent la croissance économique et dřautre part aux dépenses publiques qui dépassent trop largement les ressources. Pareille situation entraîne de lourds déficits financiers qui ne peuvent se résoudre que par trois sources essentielles : le recours à lřendettement, aux Investissements Directs Etrangers et à lřAide Publique au Développement. Toutes ces sources sont externes et appellent en conséquence lřinstauration de politiques adéquates de leur mobilisation en vue du financement du développement. La cinquième partie est relative aux problèmes dřintégration comme mode dřinsertion dans le système mondial. La mondialisation est entrain de déplacer systématiquement les frontières de la production et des échanges commerciaux, financiers et technologiques en créant de vastes blocs de compétition qui affaiblissent voire même gomment les Etats Nations. Face à cette configuration multipolaire de la globalisation, si les faibles Etats africains veulent survivre et prospérer, ils nřont aucune autre alternative que lřintégration économique, régionale ou sous-régionale. Ce sera leur marchepied vers la mondialisation. Ils pourront alors disposer dřun plus grand pouvoir de négociation et mieux exploiter les différentes offres de partenariat émanant des différents blocs en compétition afin de les faire évoluer vers la formation dřun véritable contrat mondial de développement. Ainsi structuré, cet ouvrage, à proprement parler, nřest pas un manuel classique dřÉconomie et de théories du développement, son ambition est beaucoup plus modeste bien quřil sřadresse à un public large et varié. Il sřorganise autour de deux objectifs majeurs : Mon premier objectif est une interpellation de toutes les élites intellectuelles toutes disciplines confondues, des techniciens du développement, des chercheurs et étudiants du Troisième Cycle pour une réappropriation des questions du développement de lřAfrique. Ce faisant, nous voulons convier toute lřintelligentsia africaine à une réflexion dřensemble sur nos propres problèmes en vue de leur trouver nos propres solutions. Voilà pourquoi nous avons évité les formulations sophistiquées qui sont souvent inaptes à lřexplication et à lřaction. Les thèmes abordés offrent lřopportunité dřun élargissement du débat. En effet, de la pertinence du diagnostic établi à partir de lřexamen minutieux des questions du sousdéveloppement, dépendront la qualité et lřefficacité des stratégies du développement. De plus, la 2 7 science économique a toujours progressé à partir de vives controverses, ce qui en fait une doctrine antidogmatique. Pourquoi cette référence à lřAfrique ? Simplement parce que le continent est traversé par une triple crise économique, politique et sociale et quřil peine toujours à sortir par le haut de lřétat de sous-développement. Cette référence est donc une invitation pour une plus grande implication dans la formulation des problématiques de développement et dans la recherche de solutions. Depuis le milieu des années 70, lřAfrique est confrontée à lřapprofondissement de ses déficits macroéconomiques et macro financiers, à la stagnation voire au recul de sa production agricole comme industrielle, à lřélargissement de la pauvreté de masse et au creusement de son retard dans les domaines cruciaux des technologies de lřinformation, de la communication, de lřinnovation en somme de la nouvelle économie du savoir. Incontestablement, il sřagit dřune crise profonde de développement qui se manifeste à plusieurs niveaux dont trois sont déterminants, à savoir : lřexistence et la perpétuation dřune crise agro-alimentaire persistante faisant du continent une zone dřinsécurité alimentaire endémique alors que dřautres régions connaissent des surproductions parfois détruites pour équilibrer les marchés; la double explosion démographique et urbaine qui accentue les déséquilibres macroéconomiques tout en délitant complètement tous les rapports sociaux et les relations villes/campagnes ; lřendettement asphyxiant qui nřa pourtant que très peu contribué à la mise en place dřun réseau fonctionnel dřinfrastructures économiques et sociales, à lřamorce dřune industrialisation fondée sur la valorisation des immenses ressources naturelles, au financement de lřagriculture ainsi que des transferts techniques. Sřagit-il dřune crise des modèles de développement, des institutions de régulation des systèmes économiques et sociaux ou alors plus gravement, ne sřagit-il pas dřune crise de la pensée du développement ? Toutes les études prévisionnelles ou prospectives sur lřévolution du monde au-delà de lřan 2025 sont formelles : lřAfrique restera à cette échéance au bas de lřéchelon des nations, cřest-à-dire, dans la catégorie des nations encore sous-développées. À lřévidence, les prévisions sont loin dřêtre des prophéties, mais elles imposent des interrogations rigoureuses sur ce quřil faut faire pour modifier ou conjurer les trajectoires négatives. Quels modèles de développement et quelles stratégies faut-il adopter pour sortir le Continent africain des scénarios tendanciels de marginalisation, dřexclusions ou plus sévèrement de clochardisation dans un monde globalisé avec un rétrécissement des espaces et des distances du fait de la révolution des technologies de lřinformation et des télécommunications. Mon deuxième objectif est dřoffrir surtout aux jeunes chercheurs et aux étudiants une première grande synthèse qui leur ouvre le maximum de références théoriques, dřinstruments dřanalyse et de matériaux statistiques afin quřils aillent bien au-delà des sentiers archi battus et des formulations de haute voltige du développement qui nřont que dřassez faibles liens avec les réalités africaines. La presse foisonne de questions gênantes pour le monde des économistes africains comme : Pourquoi des économistes universitaires et à quoi servent leurs théories toujours divergentes? Expertise et ambiguïté de la science économique ? Rhétorique et idéologie marquée par un formalisme complètement désincarné avec au départ lřirréalisme des hypothèses ? Pourquoi une pensée économique quand les économistes, selon le mot de Daniel COHEN, arrivent bien souvent après la bataille ? 2 8 Regardons le monde sans complaisance pour mieux mesurer notre poids, lřécart qui se creuse et surtout le largage de notre continent malgré lřimmensité de ses ressources. Certainement les solutions ne sont pas dans lřalchimie des formulations creuses qui peuplent nos manuels et nos enseignements. 2 9 « Le terme de mondialisation désigne l’ensemble des phénomènes à travers lesquels la vie de chaque habitant de la planète est liée, au moins en partie, à des décisions prises en dehors de son propre pays ». B. GUILLOCHON 17 Considérée comme une chance pour les uns, une menace pour les autres, le phénomène de la mondialisation semble déterminer désormais lřavenir de la planète et suscite des débats passionnés, des controverses savantes et des proclamations politiques aussi simplistes que péremptoires. Le phénomène sřest élargi au point dřaffecter aujourdřhui le politique, le social et le culturel. Cela soulève beaucoup dřinterrogations que résume parfaitement S.CORDELLIER18 à savoir : Que recouvre le concept ? La mondialisation de la production et des échanges, phénomène ancien, atelle véritablement changé de contenu ? Quels liens avec la nouvelle Révolution Scientifique et Technique ? Quelles sont les conséquences directes et indirectes de la globalisation financière ? Les multinationales sont-elles devenues globales ? Quelles seront les conséquences à moyen et long terme de la concurrence des pays à bas salaires pour les vieux pays industrialisés ? B. GUILLOCHON : La mondialisation une seule planète, des projets divergents, Petite Encyclopédie Larousse. Dossier de lřEtat du monde, Edition coordonnée par Serge CORDELLIER, La Découverte 1997 19 Alternatives Économiques, Hors Série n°44, Page 52 17 18 3 0 Quřen est-il réellement des Etats-Nations ? Sont-ils inéluctablement condamnés au déclin ? Faut-il se résigner à abandonner toute ambition en matière de politique économique et se contenter de constater les contraintes ? Que peuvent les politiques économiques ? Que doivent faire les Pays qui sont marginalisés et obligés dřévoluer en marge du système mondial ? Mais dřabord, de quoi sřagit-il lorsquřon parle de mondialisation ? En réalité, elle recouvre quatre significations : lřextension de lřéconomie de marché à lřensemble de la planète19 : cřest une définition classique qui met lřaccent sur la synchronisation des marchés. lřensemble du processus productif qui prendrait une dimension mondialisée dans ses sphères réelles, monétaires et dřéchange. lřinternationalisation par les Firmes multinationales qui imposent les règles du jeu international au détriment de toutes les autres institutions; lřéconomie globalisée, avec une régulation à lřéchelle mondiale. Bien que les termes de « mondialisation », « globalisation », « internationalisation » soient à la fois flous et empreints dřambiguïté, chacun pense que leurs conséquences (sans pouvoir les discerner avec précision) sont importantes. Pour certains économistes, lřentrée dans la mondialisation se mesure par un pourcentage significatif du PIB de la nation réalisé avec l'extérieur alors que pour d'autres, ce pourcentage est moins significatif que la «dépendance » ou «lřindépendance» de la nation vis-à-vis de décisions prises par des acteurs de l'étranger : firmes ou États compte tenu du caractère de "price taker" ou de "price maker" que détiennent ces acteurs sur le marché mondial. Pour d'autres enfin, la mondialisation sřexprime à travers lřensemble des « mécanismes dřaccumulation à lřéchelle mondiale » qui enrichit les partenaires les plus riches et appauvrit les autres par lřéchange inégal caractéristique des distorsions dans le processus de formation des marchés internationaux et de distribution des revenus. À lřorigine, la mondialisation était essentiellement perçue par les auteurs comme un fait économique et financier qui indiquait la suppression progressive de barrières douanières et réglementaires pour les entreprises industrielles, commerciales et financières, ce qui permettait leur déploiement sans entrave et la délocalisation de leurs activités dans lřespace mondial. Les firmes multinationales se trouveraient ainsi au cœur dřun processus productif de dimension mondiale commandé par la recherche dřun profit maximal axé sur lřexploitation des dotations factorielles naturelles des pays. Le phénomène sřest par la suite élargi au point dřaffecter aujourdřhui le politique, le social et le culturel. Cela soulève beaucoup de problèmes pour un concept aussi abusivement utilisé. Manifestement, le sujet est vaste, complexe, largement débattu, mais souvent sans analyses robustes avec des statistiques crédibles. Selon la remarque de R. BOYER, «quand des ouvriers dřun abattoir de poulets se mettent en grève pour contester un aménagement de leurs horaires de travail, on décrète quřils se battent contre la mondialisation qui impose sa rationalité aux entreprises de ce secteur étroitement dépendant de ses performances à lřexportation. Lorsquřun gouvernement choisit de renoncer à exercer ses prérogatives pour sřaligner sur les positions des lobbies favorables au tout-déréglementation, il se justifie en se fondant sur les nouvelles exigences de la mondialisation19 ». 19 R. BOYER et al : Mondialisation au-delà des mythes, Édit. La Découverte, 1997, 174p. 3 1 Malgré sa forte présence dans plusieurs secteurs et dans plusieurs régions du globe, la mondialisation nřest pas encore universelle. Au contraire, une de ses particularités marquantes est quřelle est paradoxalement non homogène et fortement asymétrique, dans la mesure où toutes les activités économiques, financières comme culturelles ne se mondialisent ni au même rythme ni de la même manière. Certaines, telles que la finance et les entreprises sont mondialisées depuis des siècles, alors que dřautres sont encore solidement chevillées dans des frontières géographiques nationales dont elles portent les marques. Cřest bel et bien une mondialisation à plusieurs vitesses entraînant des chocs asymétriques. Dans cette optique, la mondialisation considérée comme un phénomène multiforme soulève beaucoup de questions quant à ses liens avec les PSD qui évoluent encore à sa périphérie : Offre-t-elle les mêmes chances et les mêmes avantages à tous les partenaires ou participants? Quelles sont objectivement ses conséquences directes et indirectes sur les différents partenaires, singulièrement les plus faibles dřentre eux?20 Pourra-t-elle contribuer positivement à la croissance économique des pays dřAfrique sub-saharienne, au développement de lřemploi, à lřéradication de la pauvreté et à la réduction des inégalités ? Quel sort réserve-t-elle aux acteurs nationaux les plus fragiles et les plus déficients ? Va-t-elle harmoniser les structures institutionnelles et les normes et valeurs propres aux sociétés ? Est-elle inéluctable ou contournable ? Ces questions sont déterminantes pour les PSD, particulièrement ceux au Sud du Sahara qui sont engagés dans un vaste chantier dřune éradication de la pauvreté à lřhorizon temporel 2015 qui correspond à la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) du PNUD. Cela commande la mise en place de stratégies claires de développement avec des investissements massifs dont la part la plus importante ne devront provenir que de lřextérieur. Moustapha KASSÉ (2003) : De lřUEMOA au NEPAD : le nouveau régionalisme africain, Éditions Nouvelles du Sud, 256 p 20 3 2 CHAPITRE 1 CONFIGURATION MULTIPOLAIRE MONDIALISATION. DE LA La mondialisation présente un caractère de contrastes et de paradoxes. Les statistiques qui ressortent des Rapports mondiaux des Organisations Internationales (Banque mondiale, PNUD, CNUCED, CEA, BAD) montrent que depuis deux siècles le monde nřa jamais produit autant de richesses, disposé dřautant de techniques et pourtant, jamais il nřa été produit autant dřinégalités et de pauvreté révélant ainsi la marque dřune humanité socialement clivée. Le Produit mondial a connu au cours du siècle une croissance exceptionnelle : en dollars de 1975, il est passé de 580 milliards en 1900 à 25000 milliards au milieu des années 90, ce qui représente en moyenne 4500 dollars per capita. Seulement, ce tableau idyllique est altéré par la succession de crises graves qui sont autant de périls économiques, financiers et sociaux dont les dernières en date ont été la déroute de certains Nouveaux Pays Industrialisés dřAsie et dřAmérique Latine souvent proposés comme modèles de référence pour sortir du sous-développement en une génération. Ces crises répétées et de plus en plus profondes montrent lřampleur des risques, des incertitudes et des dysfonctionnements que les Institutions Financières Internationales nřont pu gérer, faute dřinstruments adéquats de régulation et de ressources suffisantes. Cřest ce qui est apparu dans le cas de la crise financière en Asie et auparavant au Mexique, au Brésil et en Uruguay. Tableau 1 : PIB nominal dans le monde (en milliards de dollars) Produit Intérieur brut Économies 1990 2004 2005 Asie de l’Est et Pacifique 665 783 2 650 867 3 039 976 Europe et Asie Centrale 1 107 862 1 769 739 2 201 159 Amérique Latine et Caraïbes 1 101 298 2 021 995 2 460 991 Afrique de l’Est et du __ Nord 547 496 625 311 Asie du Sud 880 212 1 016 267 401 923 Afrique 298 442 523 310 621 879 Subsaharienne Sources: World Bank Indicators CD Rom 2006, World Bank Indicators 2007. À défaut dřun consensus sur la définition, les pratiques et les tendances de lřéconomie mondiale, dans sa double sphère réelle et financière, laissent apparaître une interdépendance que lřon pourrait qualifier de mondialisation. Essayons de cerner 3 3 de plus près ces interdépendances pour bien en mesurer toutes les conséquences à la fois sur les économies nationales et sur les différents acteurs: Lřinterdépendance par la production se caractérise par la décomposition internationale des processus productifs qui sřappuie sur un réseau de filiales ou de sous-traitants et le nomadisme de segments entiers des appareils de production selon la logique des avantages comparatifs ; Lřinterdépendance par les marchés qui se traduit par la disparition des frontières géographiques, lřabaissement des barrières tarifaires et non tarifaires qui accélère alors les échanges commerciaux ; Lřinterdépendance financière qui procède dřune interconnexion des places financières mondiales fonctionnant vingt-quatre heures sur vingt-quatre grâce à la conjugaison de trois éléments que sont la déréglementation, le décloisonnement des marchés et la désintermédiation ; Lřinterdépendance par les Technologies de lřInformation et de la Communication (TIC) qui, avec les transports, intensifient la mobilité et la flexibilité des capitaux, des biens, des services et des personnes. Ce sont ces interdépendances qui déterminent les relations entre les différents acteurs du jeu économique, financier, politique et social à lřéchelle mondiale. Les États doivent avoir une claire perception de cette configuration mondiale pour en évaluer les coûts et les opportunités par des politiques économiques et financières appropriées. Section 1 : L’interdépendance des systèmes productifs dominés par les firmes multinationales. Elle se caractérise par une division internationale du travail qui unifie les processus productifs nationaux et sřappuie, en conséquence, sur un réseau de filiales ou de sous-traitant qui opèrent la délocalisation de segments entiers des appareils de production selon la logique des avantages comparatifs. Cette structuration est le fait des firmes multinationales qui façonnent lřespace mondial en réseaux de production. Elles sont de plus en plus nombreuses, puissantes et originaires de diverses zones. Cette stratégie dřimplantation leur permet de maximiser leurs profits à partir dřune optimisation de la localisation de leur production. Ce sont aujourdřhui, quelques 37 000 firmes multinationales de tailles très inégales qui réalisent et contrôlent lřessentiel de la production mondiale de biens et services, les 500 dřentre elles les plus puissantes contrôlent presque 30 à 40 % du PIB mondial soit 25 000 milliards de dollars. Celles-ci effectuent les 2/3 du commerce international sous forme dřéchanges internes avec leurs 27 000 filiales soigneusement réparties dans lřespace mondial. De même, le négoce international des produits de base est largement sous le contrôle des firmes multinationales. Le processus de délocalisation des activités industrielles réalisé par les firmes multinationales sépare les lieux de production ou de transformation de certaines marchandises de leurs lieux de consommation. Il va sřamplifier sous lřinfluence de la Nouvelle Révolution des Technologies de lřInformation et de la Communication, de la dématérialisation de capitaux et de lřextension des aires géographiques du libéralisme. Il a surtout fortement contribué au décollage industriel de la plupart des pays industrialisés dřAsie. En effet, les transferts d'activités industrielles et de services du Nord vers le Sud, appelés « délocalisations », sont l'une des causes les plus spectaculaires de lřindustrialisation rapide des pays asiatiques même si par ailleurs, elle dévitalise les économies du Nord et y opère une destruction des emplois. Sřagit-il 3 4 alors dřun « partage des richesses ou dřun partage de la misère? » Sans nul doute ; la mondialisation libérale complètement soumise aux lois du marché et du profit à court terme n'apportera pas de réponse à cette question. Les Nouveaux Pays Industrialisés dřAsie et dřAmérique Latine ont tiré profit de cette délocalisation en attirant des segments de production industrielle, en valorisant leur dotation factorielle liée à lřespace géographique, à la qualité des ressources humaines ou à lřoffre illimitée de main dřœuvre. Ils ont réussi à mettre en place un tissu industriel dans les domaines des hautes technologies. Certains États africains ont fait les mêmes tentatives avec la création des Zones franches industrielles considérées comme des moyens dřattirer les investissements étrangers, créer des emplois, développer l'industrie nationale et les infrastructures, favoriser les transferts de technologies et se procurer des devises. À lřexception de lřÎle Maurice, les Zones Franches africaines ont produit des résultats médiocres. Ce modèle de réussite procède des capitaux asiatiques qui ont fait de Maurice leur base de pénétration du marché européen et d'accès aux pays du ProcheOrient. Créée en 1970, la zone franche couvre tout le pays, emploie 100 000 travailleurs et rapporte plus dřun millier de milliard de dollars. En vingt ans, le taux de chômage est tombé de 20 % à 3 %. Elle a permis à lřIle en quasi-pénurie de maind'œuvre de privilégier désormais les investissements à forte valeur ajoutée avec des emplois qualifiés. Les principales transformations en cours concernent la multiplication des alliances et des fusions entre multinationales dans les secteurs stratégiques comme les industries aéronautiques et les télécommunications. La concentration transnationale augmente, de même que lřinvestissement international. Quelles que soient les modalités, la globalisation financière a favorisé lřinternationalisation de la production. Les entreprises se sont largement financiarisées pour se couvrir contre les risques internationaux, en diversifiant leurs produits. Les investissements directs à lřétranger sont passés de moins de 40 milliards US $ en 1980 à 200 milliards en 1995. Ils conduisent souvent à une délocalisation, transfert à lřétranger dřune activité de production (segment ou ensemble de la fabrication) localisée antérieurement sur le territoire national. Il sřagit en fait dřune véritable décomposition internationale du processus productif (LASSUDRIEDUCHENE). Chacun des segments est localisé dans des espaces différents, pour des raisons liées aux coûts de production, aux dimensions du marché, à des risques ou à des réglementations. Section2 : L’interdépendance des échanges commerciaux. Le volume total des transactions quotidiennes sur les marchés des changes est passé dřenviron 10 à 20 milliards de dollars dans les années soixante dix à 1500 milliards de dollars en 1998. De 1983 à 1993, les achats et les ventes transfrontaliers de bons du trésor américain sont passés de 30 à 500 milliards de dollars par an. Les prêts bancaires internationaux ont progressé de 265 à 4200 milliards de dollars entre 1975 et 1994. Le poids des échanges internationaux dans l'économie ne s'est pas accru de manière considérable, contrairement au discours fondamentaliste sur la mondialisation. Si l'on prend les chiffres du commerce international, il est (en fait) à peine supérieur au niveau de 1914 qui représente 20% du PIB mondial. Les services se sont enflés rapidement, particulièrement les services supérieurs directement liés aux activités productives : tourisme, fret et transit, communication et télécommunication. Le tourisme a plus que doublé entre 1980 et 1996 pour devenir une 3 5 composante financière importante. La demande touristique accuse des taux de croissance élevés avec un nombre de voyageurs qui passe de 260 à 590 millions par an. Malgré les restrictions sévères, les migrations internationales se poursuivent, de même que les envois de fonds des émigrants. Ces envois ont atteint 58 milliards de dollars en 1996. Le volume des appels téléphoniques internationaux sřest envolé entre 1990 et 1996, passant de 33 à 70 milliards de minutes. Les voyages internes et les médias stimulent la croissance exponentielle des échanges dřidées et dřinformations. LřOMC entend désormais régenter toutes les règles de la concurrence, l'accès aux marchés publics et les lois sur les investissements. Elle impose aux Etats membres la prééminence des quatre principes du libre-échange à savoir : le principe de la non discrimination ; le principe de lřabaissement généralisé des droits de douane ; lřinterdiction des restrictions quantitatives ; lřinterdiction du dumping. Ceux-ci doivent prévaloir sur toute autre considération qu'elle soit culturelle, sociale ou écologique dans la régulation du commerce international. Cette intégration mondiale est tirée par des changements de politiques visant à promouvoir lřefficience économique via la libéralisation et la déréglementation des marchés nationaux et le désengagement de lřÉtat de nombreuses activités économiques, ainsi que la restructuration de lřÉtat providence. Mais ce sont surtout les innovations récentes dans la technologie de lřinformation et des communications qui favorisent lřintégration. Cependant celle-ci reste très partielle au niveau mondial. Ainsi, les mouvements de main dřœuvre sont encore restreints, les frontières étant fermées aux individus sans qualification. Tableau 2: Montant des exportations par zone et en milliards de dollars Montant exporté (en milliards Croissance (%) de dollars) Par niveau de développement. Pays à faible revenu Dont Inde Pays à revenu moyen Dont Chine Pays à revenu élevé Dont France Union européenne États-Unis Total Par zone géographique Asie du Sud-est Amérique Latine Asie du Sud Afrique Subsaharienne 1990 49 2001 1990-2001 48 11 254 45 2212 167 996 291 115 37 805 237 3784 264 1570 599 +139,6% +236,4% +216,9% +426,7% +71,1% +58,1% +57,6% +105,8% 2549 4802 +88,4% 92 425 169 51 30 +362,0% +244,9% 155,0% 114,3% 20 14 Source : Calculs réalisés par l’auteur à partir du Rapport de la CNUCED 3 6 Section 3 : Interdépendance et globalisation des marchés financiers. Cette troisième interdépendance est rendue possible par lřarticulation de trois éléments qui permettent une internationalisation sans entrave des marchés financiers : la désintermédiation, elle permet aux entreprises, à lřÉtat de recourir directement aux marchés financiers sans passer par les intermédiaires financiers et bancaires pour effectuer des opérations de placement et dřemprunt. Ils peuvent accéder directement aux marchés financiers pour satisfaire leur besoin de financement ; le décloisonnement qui se traduit par la suppression de certains compartiments des marchés ; la déréglementation : celle-ci indique lřabolition des réglementations des marchés des changes pour faciliter la circulation du capital. Au début du 20ème siècle, les mouvements internationaux de capitaux participent au processus de mondialisation de lřéconomie. Mais le développement de la finance mondiale atteste dřune déconnexion croissante entre les flux de capitaux et les besoins de financement de lřéconomie réelle. La globalisation financière se caractérise par lřinterconnexion des marchés financiers, par un essor de nouveaux produits financiers et de nouveaux marchés émergents. On observe également une organisation mondiale de la production dans certains secteurs stratégiques. Les marchandises circulent de plus en plus librement avec des coûts de transport décroissants, du fait de la déréglementation et des progrès de télécommunication permettant des baisses de tarifs. Lřinstantanéité des informations abolit temps et espace. La circulation des informations peut remplacer celle des hommes (télé achat, télé travail). Les opérations financières génèrent à lřinfini ou presque des produits dérivés. Les produits négociés, bien que de plus en plus sophistiqués, sont standardisés. Les transactions papier prennent, ainsi, une grande ampleur par rapport aux opérations physiques. On observe une déconnexion entre les opérations réelles (commerce et investissement) et la sphère finance-change. Lřintégration financière résulte de la mobilité des capitaux et la substituabilité des actifs (BOURGUINAT). Le développement des eurodollars (les dollars circulant hors des États-Unis) à partir de 1957 a marqué le début de la circulation internationale des capitaux hors de tout contrôle étatique. Après le passage aux changes flottants, lřaccélération du processus de libéralisation de la finance internationale date principalement de la fin des années 70. Les États à la recherche de sources de financement pour leurs déficits, ont aboli les principales règles qui contraignaient les mouvements de capitaux. Les mutations et innovations financières sont simplement démentielles et dřune rare ampleur avec le surdéveloppement de la titrisation et des bourses ainsi que lřopacité des marchés de gré à gré qui sont de nouveaux facteurs aggravants. Ces éléments installent lřinstabilité au cœur même du système financier avec le triomphe des capitaux spéculatifs. La tourmente des marchés financiers mondiaux provoquée par les crises financières asiatiques et celle des subprimes des crédits immobiliers à risque aux Etats-Unis en apportent les preuves les plus récentes. Ainsi, les mutual funds aux États-Unis ont mobilisé quelques 2600 milliards de dollars en 1995 et les fonds de pension sřélèvent à 3600 milliards de dollars soit plus 3 7 que lřencours des réserves de change de toutes les banques centrales de la planète. Les transactions opérées sur les marchés de change représentent environ 1500 milliards de dollars par jour, soit plus de 50 fois les flux réels de marchandise. La valeur des titres côtés en bourse dans 80 pays a été multipliée par 10 en 20 ans. Elle est passée de 1800 milliards en 1980 à 18 000 milliards en 1998. En clair, la sphère financière est complètement déconnectée de la sphère réelle car chaque jour 1500 milliards de dollars changent de mains sans contre partie en termes de biens et services. Ces chiffres montrent que les marchés financiers ont acquis des pouvoirs très étendus qui leur permettent de contrôler lřessentiel des circuits de financement à lřéchelle mondiale et peuvent, en conséquence, déterminer les rythmes de croissance des économies. Le problème est comment mobiliser ces fonds dřinvestissements qui hésitent à prendre la direction de lřAfrique ? La globalisation des marchés financiers laisse apparaître dřabord un surdimensionnement des marchés qui rend les activités des établissements financiers complètement incontrôlables et permet aux acteurs financiers de promener librement leurs capitaux dans l'espace mondial à la recherche de meilleures rémunérations. Cette situation est largement expressive de la montée en puissance de la finance internationale avec la création dřun marché unique de lřargent au niveau planétaire. Cela va entrainer des dysfonctionnements quasi permanents du SMI et la multiplication des crises financières. Ensuite, on note une réelle incapacité de mesurer le niveau optimal des moyens de paiement pour lřéconomie mondiale. Enfin les finances illicites montent en puissance avec un produit mondial estimé à environ 1000 milliards de dollars. Désormais les actifs financiers peuvent se balader librement à la recherche de meilleures rémunérations. Ces capitaux alimentent les Investissements Directs étrangers (IDE) qui sřorientent vers les pays présentant de bonnes politiques dans un environnement institutionnel favorable et qui respectent les principes de bonne gouvernance économique. Dans les années 80, les investissements internationaux directs augmentent trois fois plus vite que le commerce mondial. À partir des années 90, après avoir surtout concerné les pays du Nord, ils se tournent de plus en plus vers les pays en développement. À la fin des années 1980, ces pays accueillaient environ 15 % seulement des flux d'investissements directs, aujourdřhui ils en ingèrent plus de 42 %. Les NPI d'Asie se taillent la part la plus importante puisqu'ils intègrent 25 % des investissements étrangers directs mondiaux, la Chine en accueillant à elle seule 15 %, soit 33 milliards de dollars sur 214,3 milliards, en 1994. Grâce à ces nouveaux flux financiers et des taux de croissance deux fois supérieurs à la moyenne mondiale sur une trentaine d'années, l'Asie apparaît de plus en plus comme lřune des locomotives dřune économie mondiale en proie au chômage et à la morosité, au niveau des grandes puissances industrielles. Les principales conséquences qui méritent de retenir lřattention sont de trois ordres : - La finance est de plus en plus déconnectée de la production: surdéveloppement de la titrisation et des bourses ; - Lřopacité des marchés de gré à gré facteur aggravant ; - Lřinstabilité sřinstalle au cœur du système financier avec le triomphe des capitaux spéculatifs ; - Le risque crédit devient de plus en plus un produit financier. Section 4 : L’interdépendance par les Technologies de l’Information et de la Communication. 3 8 Ce qui change véritablement dans la mondialisation dřaujourdřhui, c'est lřampleur et la profondeur de la Révolution des Technologies de l'Information qui modifie qualitativement et quantitativement les systèmes productifs avec la création de nouveaux produits, permet les échanges en temps réel du fait de la baisse drastique du coût des microprocesseurs et des télécommunications et ouvre de nouveaux canaux de communication et de distribution. La vraie révolution est dans l'innovation accélérée qui permet lřamélioration de la productivité, donc la compétitivité. Les technologies de lřinformation et de la communication sont en train de modifier les systèmes productifs et les perspectives de la croissance et de lřemploi. Elles déclenchent une explosion des activités économiques, recomposent les territoires industriels et interconnectent tous les marchés de la planète. Ce sont elles qui font précisément du monde un village planétaire. Des millions de kilomètres de fibres optiques se croisent en permanence et relient des continents dans le temps et lřespace. Des contrats, des transactions et des informations de tous ordres traversent les fuseaux horaires, les frontières et les cultures. Les nouvelles routes commerciales sont des éclats de laser et des rayons de satellites. Les marchandises transportées sont le savoir et la technologie. Les évolutions et les mutations technologiques accusent des rythmes à la fois rapides et bouleversants. Les innovations qui en résultent non seulement transforment structurellement les systèmes productifs, mais permettent dřaccélérer la croissance. Cela entraîne selon P.CHAPIGNAC21 trois ruptures qui ont une tendance assez nette à structurer les activités économiques autour du traitement de lřinformation : la production de richesse déplace son centre de gravité de lřactivité productrice (la dialectique entre la machine et lřhomme) à la création (la conception et le pilotage intellectuel). Il va en résulter le déplacement de la source des richesses vers lřactivité de conception ; les transactions de toutes natures ont tendance à sřimposer comme principaux générateurs de la valeur ajoutée, ce qui déjà se constate dans la structure des entreprises où les fonctions commerciales, marketing et autres prennent une importance grandissante ; le renversement des hiérarchies des actifs avec un caractère dominant des actifs immatériels. Il se crée alors à lřéchelle mondiale un immense réservoir technologique dont peuvent bénéficier tous les pays pour innover et exploiter leur potentiel compétitif dans les secteurs industriel, agricole et des services par acquisition de gains de productivité. Certains pays en ont largement profité sous des formes comme la « révolution verte » ou le développement dřindustries lourdes ou légères. Ces éléments indiquent à souhait que la mondialisation est en train de concevoir un nouveau modèle de société que lřon appelle communément la société innovante dont les valeurs clés sont la productivité, la compétitivité, lřefficacité, la rentabilité, lřoptimisation, la flexibilité, le contrôle, lřadaptabilité, la mesurabilité et la gestion. Cette société sous-tend un projet axé sur lřapologie du meilleur et de lřexcellence. Elle privilégie les outils plutôt que les personnes, elle accorde la priorité aux phénomènes et se soucie très peu des finalités. Elle devrait entraîner de nouvelles réflexions car si on nřy prend garde, sous couvert de progrès techniques, elle peut déboucher sur une logique de compétition, de violence et dřexclusion. Par ailleurs, elle ramène en surface 21 P.CHAPIGNAC, Communication au Congrès IDT-Marchés et industries, Paris, 1995 3 9 le débat sur les technologies et la recomposition de lřemploi : la machine tue-t-elle lřemploi ou lřoblige-t-il à se déplacer et à se recomposer?22 Cependant, le Continent africain sřinsère difficilement dans le concert des nations : en marge de lřexpansion industrielle mondiale, il risque dřêtre exclu de la révolution mondiale des technologies de lřinformation et des télécommunications (Rapports de 1999 et 2001)24. Lřaccélération des innovations technologiques risque de produire plusieurs conséquences négatives sur le développement des pays, notamment le creusement de lřécart entre les capacités dřaccès et dřutilisation des techniques au Nord et au Sud23, les économies de consommation des matières premières limitant les perspectives dřexportation des PVD et lřapprofondissement des inégalités des revenus. Comme lřobservait Carlo De Benedetti alors PDG dřOlivetti, « le développement technologique actuel rendra les riches encore plus riches et les pauvres encore plus pauvres ». Section 5 : Mondialisation multipolaire : la formation de puissants pôles de compétition. Jusquřà la fin des années 80 tout le système de la mondialisation était géré dans un cadre bipolaire. Mais avec lřeffondrement du Bloc Soviétique et lřexacerbation de certaines crises, les contours dřune mondialisation encore plus multipolaire se dessinent. À lřobservation, malgré cette forme multipolaire dřorganisation et de gestion de la mondialisation, le monde reste fragile, instable et imprévisible. Jamais la précarité nřa été aussi grande sur la planète dans ses sphères économique, financière, politique et sociale et même culturelle. La rupture de la croissance fordienne à la fin des années 60, consolidée et aggravée par le désordre monétaire international a engendré des ruptures dřéquilibre dans lřéconomie mondiale, et face auxquelles tous les moyens exceptionnels de régulation vont se révéler totalement inopérants. Lřinflation croît en même temps que le chômage (stagflation). Lřendettement fragilise les bases du système financier international marqué par lřampleur des bulles spéculatives et les fluctuations anarchiques des devises. Le protectionnisme se réinstalle avec des techniques plus sophistiquées échappant souvent à la surveillance de lřOMC (la récente Conférence de Cancun vient dřen administrer la preuve). Face à cette situation et au darwinisme économique, la plupart des grandes nations industrielles organisent des espaces de commerce privilégié (multiplication des organisations régionales) et gèrent leurs complémentarités avec les nations voisines (prolifération des Accords de Libre Échange). Cřest dans ce cadre que fonctionne le monde multipolaire qui consacre 4 pôles de puissance qui tournent autour de lřabolition des frontières par la libre circulation des marchandises, des capitaux, des services, lřouverture des marchés publics et lřélaboration des politiques de coopération pour mieux affronter la concurrence : lřUnion Européenne (UE), lřAccord de Libre Échange Nord-américain (ALENA), le Groupe Économique dřAsie Orientale(GEAO) qui se compose des 6 pays de lřASEAN plus le Japon, la Corée du Sud, Hong Kong et Taiwan, et le MERCOSUR. Ces blocs économiques régionaux sont les meilleurs instruments de compétitivité. En effet, la J.B. Foucauld : Une nouvelle donne pour lřemploi, Revue Échanges et projets, janvier 1994 24PNUD, RMDH de 2000 et 2001 23 La possibilité pour les PVD de trouver des raccourcis techniques et de choisir le dernier et le meilleur équipement est assez restreinte. 22 4 0 concurrence exige des pays et des entreprises un subtil dosage de protectionnisme et de libre-échange, dřétatisme et de libéralisme. Dans le monde des affaires, on se soucie bien peu des extrêmes : libre échange sans entrave ou protectionnisme dur ou atténué). Le modelage de lřespace mondial invite à des combinaisons complexes qui seules sont à même dřatteindre la plus grande efficacité. Jadis réservée aux PSD, la régionalisation devient la forme dřorganisation de lřéconomie mondiale, si bien que les relations économiques et financières sřorganisent en grande zone géographique. Dans ce contexte, les accords régionaux sont des accords préférentiels et accordent à certains pays des facilités dřaccès aux marchés intérieurs qui ne sont pas concédées aux autres. La part du commerce mondial qui nřimplique pas un des trois grands accords que sont lřUE, lřALENA et le GEAO ne représente que 15,6%. Désormais, les relations commerciales sont fondées sur le principe fort de la clause de la nation la plus favorisée. Tout pays exportateur bénéficiaire de cette clause se voit automatiquement appliquer le tarif douanier le plus favorable. Cette règle est incluse dans les accords de lřOMC qui, cependant, tolère beaucoup dřexceptions et de dérogations. En conséquence, du point de vue strictement économique, la mondialisation favorise la tendance au renforcement de la régionalisation qui diminue lřefficacité des mesures nationales isolées à la concurrence internationale et encourage les réponses. Dřautres éléments existent à côté de ces aspects purement économiques, financiers et technologiques, préfigurant de ce fait les changements spectaculaires comme par exemple le retour du politique et du culturel qui nřont plus le statut de variables muettes dřune mondialisation qui repose sur lřexigence des « harmonies universelles ». Section 6 : Des conséquences non économiques de mondialisation. la En accentuant les échanges des biens, des capitaux, des technologies mais aussi des hommes, la mondialisation met en contact des systèmes sociaux différents. Elle les déstructure et impose ses modèles et ses valeurs propres selon les principes des « harmonies universelles » indispensables au fonctionnement des marchés : unification des valeurs culturelles, sociales et politiques et leur soumission à la logique marchande. Deux phénomènes importants en apportent la preuve. I/) Mondialisation et déstructuration des identités et valeurs culturelles par l’échange inégal des cultures. À la fin des années 60, H. MARCUSE prédisait dans son célèbre ouvrage « l’homme unidimensionnel » la réduction de lřindividu à une seule facette : un conformisme asservi par la technologie plutôt que par la terreur. Il déplorait la diffusion de la culture de masse qui réduit le citoyen au rang de simple consommateur. Une quinzaine dřannées plus tard, Vance PACKARD dans « La persuasion clandestine » dénonçait la stratégie des industriels publicitaires visant à contrôler les mentalités des consommateurs et uniformiser leur comportement. Aujourdřhui avec la mondialisation, ces phénomènes prennent une dimension insoupçonnée 24 et remettent à lřordre du jour les craintes de MARCUSE. Selon Théodore LEVITT il 24 Cité par le Recteur Sélim ABOU lors du Colloque de Beyrouth sur la mondialisation, 28 avril 1998 4 1 semble que « le temps des différences régionales et nationales dues à la culture, aux normes et aux structures sont des vestiges du passé »25. Des intellectuels anglo-saxons avancent lřidée que la culture de masse est vouée à sřétendre à partir du centre, en lřoccurrence les États-Unis, vers la périphérie qui est en fait le reste du monde26. Cela fait craindre lřinstauration de lřhégémonie dřune seule puissance du fait de « lřéchange inégal entre les cultures ». On a beaucoup parlé du « Mc Monde » ou encore de la « Mc Donaldisation » à quoi les français tentent dřopposer « lřexception culturelle ». Ce débat est entré dans la conscience commune. Et pour beaucoup dřauteurs, la constitution dřun marché global entraîne la formation dřune culture globale qui gomme toutes les identités nationales. Lřidée classique Ŕ et désormais banale Ŕ de lřunification humaine par la technique de production, de transport, de communication, dřinformation, revient en surface pour rendre compte de cette question de plus en plus prégnante qui concerne lřavenir de la culture à lřâge du « tout planétaire ». Que vont devenir les valeurs culturelles nationales ? Vont-elles se modifier pour épouser les logiques de compétition ou alors seront-elles étouffées ou gommées par la culture standardisée découlant de la mondialisation ? Ces questions sont au cœur de la crise qui secoue les sociétés africaines. En effet, la mondialisation, par les moyens de communication de masse, diffuse un modèle culturel global, bouscule toutes les valeurs et comportements autochtones et les pousse à des formes multiples et complexes de refus et de résistance. Cheikh Anta DIOP, dans un ouvrage consacré aux problèmes de la renaissance des cultures africaines met lřaccent sur lřexemple révélateur de Thèbes sous la 18ème dynastie. « Ekhanon fut un pharaon acquis à lřinfluence orientale. Par ses réformes, il faillit diluer lřÉgypte de son époque et lřaliéner progressivement au profit des peuples dřOrient qui nřétaient ni techniquement ni scientifiquement plus avancés. Le clergé de Thèbes se dresse derrière Toutankhamon pour recouvrer sa liberté et lřautonomie de la nation égyptienne, en ramenant la pensée de lřépoque des dieux, aux croyances et aux cultures de tradition purement thébaines. Les Prêtres savaient tout simplement que lřOrient de lřépoque ne leur apportait rien de substantiel, même en matière religieuse. Ils savaient également quřen renonçant à leurs dieux et à leur vision du monde sous-jacents à leurs institutions religieuses, ils sřabandonnaient dangereusement à une aliénation culturelle qui préparait progressivement lřextraversion de lřÉgypte et la perte dřidentité du peuple pharaonique, la conquête de leur pays par des modèles, des symboles et des instruments quřils nřavaient pas élaborés et dont ils ne pourraient décider lřévolution. Mais les Prêtres savaient aussi que lřimpérialisme culturel est toujours contemporain de lřimpérialisme politique et économique »27. Le drame évité à Thèbes est le drame vécu par le Continent africain qui doit se convaincre que « lřidentité culturelle procède de lřexpression volontaire dřune authenticité qui prend racine dans le génie de chaque peuple et dans les valeurs fondamentales qui la sous-tendent. Cette recherche de lřauthenticité passe par un ressourcement qui ne traduit pas un simple retour aux sources, mais intègre les réalités et les impératifs du monde moderne. Elle implique une prise de conscience lucide qui permette lřactualisation et le renouvellement des valeurs, interdisant ainsi la création Théodor LEVITT : The marketing Imagination, cité par le Recteur Sélim Abou D.ROTHKOPF écrit dans ce sens que « Les américains ne devraient pas lier le fait que de toutes les nations du monde, la leur est la plus juste, la plus tolérante et constitue le meilleur modèle pour lřavenir, in Foreign Policy 27 C.A. DIOP : Nations nègres et culture, Édit. Présence Africaine, 1956 25 26 4 2 de ghettos culturels. Il sřagit de découvrir de nouvelles dimensions de la culture africaine. Cřest dire que le monde africain doit élaborer une stratégie culturelle suffisamment efficace pour atténuer les impacts négatifs des modèles culturels étrangers. Cela suppose un système de communication fondé sur lřutilisation des langues nationales pour atteindre les masses africaines, une coopération culturelle internationale et la création dřinstruments culturels destinés à favoriser les échanges, à financer les industries cultuelles, à encourager les activités intellectuelles. II/ Mondialisation libérale : système économique libéral doit rimer avec société démocratique. Au plan politique, la mondialisation se traduit par un regain dřintérêt pour les problèmes de démocratie, de paix, de sécurité et de bonne gouvernance. Il est indiscutable que ces éléments sont des préalables du développement économique et social. Le débat est clos assez vite par lřimposition dřun ajustement des PVD aux règles et normes démocratiques formelles et de bonne gestion de tous les centres de pouvoir. Cřest le socle minimal de la nouvelle civilisation universelle de la démocratie et des droits de lřhomme. Il repose sur lřidée implicite de lřexistence de valeurs universelles dans lesquelles devait se reconnaître lřensemble des « citoyens du monde ». En effet, il apparaît clairement que « la démocratie portative » dont parlait PARETO doit essentiellement réglementer la circulation des élites. Elle repose sur les règles de la démocratie représentative que lřOccident a mis des siècles à édifier autour du concept de Parti politique 28. A-t-on le bon modèle ? Et dispose-t-on des instruments et des moyens pour le réaliser ? Et enfin comment résoudre lřéquation très délicate des sanctions à appliquer en cas de défaillance? Alors que certains auteurs soutiennent que la mondialisation annonce la fin des conflits ou « la fin de l’Histoire et le dernier homme » 29 (FUKUYAMA), dřautres martèlent les préceptes de la « pensée unique » qui font de la mondialisation la voie royale du bonheur : plus le monde sera ouvert, plus la croissance sera élevée, plus le bien-être se généralisera. Toutes les institutions et tous les acteurs ont lřoccasion dřy assister, sinon dřy participer, en direct ou «en temps réel». Cette vision idyllique ne correspond-t-elle pas à la globalisation fortement asymétrique effectivement observée. Quřapporte-elle globalement au continent et au Sénégal ? Section7 : La société civile mondiale en gestation et la revendication d’une mondialisation maîtrisée et équitable. La mondialisation qui sřaccompagne dřune double dualité richesse/pauvreté et chômage/travail a entraîné beaucoup de critiques à lřencontre du système économique mondial incarné par les institutions internationales que sont, la BM, le FMI et l’OMC. M. ROCARD dans son ouvrage Pour une autre Afrique, Éd. Flammarion 2001, note que « les institutions africaines fondées sur des prises de décisions collégiales et consensuelles et en ce sens ne sont pas inférieures. La méthode en est lřarbre à palabre et lřinstrument lřassemblée de village. Tout se passe comme si lřOccident a remplacé la démocratie consensuelle africaine par son produit la démocratie conflictuelle. » 29 F. FUKUYAMA : La fin de lřhistoire, Édit. Flammarion, Paris 1992 28 4 3 Ces critiques émanent de plusieurs secteurs de lřopinion internationale et sont traduites sous diverses plateformes à travers des organisations autonomes qui, en conséquence, échappent plus ou moins au contrôle des politiques. La multiplication de manifestations à lřoccasion des diverses rencontres des IFI et la convocation régulière du Forum Social Mondial sont des preuves de la formation lente dřune société civile internationale autour de lřexigence dřun monde plus juste et plus équitable et dřun retour à un meilleur équilibre dans les relations internationales. Pour toutes les organisations du Forum Mondial, si lřhumanité nřa jamais produit autant de richesses, jamais les inégalités et la pauvreté nřont été aussi fortes traduisant ainsi un environnement international fortement dual. Ce dualisme entre pays du Nord et du Sud peut sřidentifier à travers la faillite du système éducatif, la montée de la pauvreté de masse, la dégradation de la situation sociale. La croissance et le développement sont bloqués, ce qui se manifeste à travers la détérioration des indicateurs du cadre macroéconomique suite à lřapprofondissement du fardeau de la dette, lřeffondrement des termes de lřéchange et la diminution de lřaide publique. Face à cette situation dramatique, depuis plus dřune décennie, plusieurs conférences internationales ont été convoquées mais les résultats restent encore assez faibles: Initiative PPTE, Objectifs du millénaire pour le Développement, Résolution 2626 de lřAssemblée Générale des Nations Unies relative à lřenveloppe dřaide publique au développement (0,7% du PNB des pays riches). La succession de « décennies perdues du développement » et la marginalisation progressive des pays du Sud ont conféré aux ONG de plus en plus nombreuses des rôles accrus. Selon les statistiques du Comité dřAide au Développement (CAD) de lřOCDE, les dons des organisations privées bénévoles sřélevaient à 6 milliards de dollars en 1995, auxquels il faut ajouter 1,2 milliards de lřAide Publique au Développement (APD) qui transitent par ces organisations. En définitive, sur lřensemble des ressources financières vers les PSD, la contribution des ONG représente 3,6%. Ces chiffres montrent lřampleur des moyens dont disposent les ONG pour mener leurs actions directes au niveau des populations. Le foisonnement, la diversité des interventions, la multiplicité et la complexité de leurs relations, le poids économique, financier et social quřelles représentent, mettent en relief la place et le rôle des ONG dans le processus dřaide au développement. Ces ONG représentent une fraction de la société civile et se donnent pour principale mission dřaider les populations défavorisées sans distinction de nations, dřÉtats ou de cultures. Cette importance que prennent les ONG en Afrique et particulièrement au Sénégal appelle trois interrogations : Quel serait leur véritable rôle dans la réalisation des objectifs du développement ? Leur mode dřorganisation et dřintervention leur permettent-ils de contribuer efficacement à la réalisation des objectifs de réduction de la pauvreté et de développement ? Leurs formes actuelles sont-elles en phase avec les transformations sociopolitiques dans leur sphère dřévolution? En dřautres termes, peuventelles passer dřune phase de contestation à celles dřacteurs à part entière dans le processus de mondialisation ? L'autorité morale exercée par ces organismes privés (qui vont des Organisations Non Gouvernementales (ONG) aux Mouvements Sociaux Internationaux) ont trois sources : aptitudes à proposer une liste des thèmes à négocier dans les institutions internationales (pouvoir de fait plus que de droit), 4 4 capacité de fournir des avis d'expert en vue dřun travail d'influence (lobbying) et positionnement dans les domaines sociaux, visant à l'émancipation des acteurs non étatiques (autorité morale). Les décideurs et tous les acteurs du jeu économique et social des Pays en Développement devraient exploiter positivement toutes ces opportunités quřoffrent les ONG et leurs mouvements sociaux. Au niveau interne, cela leur permettrait de disposer dřune information technique essentielle aux décideurs politiques pour légitimer certains choix et contribuer à la préparation de certaines décisions et au niveau mondial, de peser sur la recherche dřune égalité sociale dans le monde et de donner écho aux revendications dřannulation de la dette, dřinstauration dřun commerce équitable etc. En effet, ces mouvements sociaux de la société civile internationale sont profondément réformistes et ont souvent pour objectif majeur d'aider la mondialisation à prendre en charge ses membres les plus faibles. Cette question est au cœur des débats de la Société Civile Internationale regroupée autour du Forum Social Mondial et des idéaux « altermondialistes ». Elle récuse le néo-libéralisme et ses conséquences, et cherche un modèle alternatif. Cette idéologie est rendue responsable des exclusions avec le démembrement des sociétés traditionnelles. En outre, elle est vivement critiquée pour son opposition à lřÉtat providence, au Sud comme au Nord et pour lřexigence, au nom de lřimpératif de concurrence, de lřabandon des protections et du soutien étatique à lřemploi, du démantèlement des services publics et de la suppression des filets de sécurité sociale. Section 8 : La question sécuritaire et la gestion des risques réels ou supposés. Depuis les attentats du 11 septembre 2001 les questions de la sécurité sont projetées au centre des préoccupations de tous les États, des peuples et des entreprises de tous les domaines. Les chercheurs en sciences économiques et politiques comme les stratèges accordent désormais une importance de premier ordre aux questions sécuritaires et de gestion des risques. Les attentats du 11 Septembre soulèvent beaucoup dřinterrogations qui, sans aucun doute, concernent dřabord la gouvernance mondiale mais aussi les relations Nord-Sud : Comment la politique étrangère menée par les États-Unis depuis la guerre du Golfe a-t-elle créé un potentiel de haine expliquant les attentats du 11 septembre ? Quel est le pouvoir de conviction des intégristes partisans du Jihad ? Les terroristes ont-ils un projet ? Quels sont ses liens avec l'argent : celui des affaires, celui de la drogue et du crime, celui des hydrocarbures ? Quel contenu économique potentiel peut prendre la nouvelle configuration des alliances entre superpuissances après la fin du monde bipolaire? Derrière ces questions conjoncturelles se pose lřinterrogation majeure à savoir si le triomphe du marché marque la fin de l'histoire comme le pense F. FUKUYAMA ou bien se dirige-t-on vers le choc des civilisations ? Les réponses à ces questions ont des répercussions directes sur l'économie, selon au moins trois axes : dřabord le mode de fonctionnement global de l'économie mondiale, ensuite la transformation de certains secteurs aujourd'hui clés et enfin la prise en compte des risques et des incertitudes. Depuis les années 90, avec la chute du mur de Berlin marquant la disparition dřune mondialisation bipolaire, lřhumanité 4 5 semblait sřengager dans un processus inéluctable de globalisation marqué par la domination des marchés, le développement des échanges et le recul du pouvoir de régulation des États. Toutefois, cette tendance lourde est en train de s'inverser avec un retour frénétique du politique sur lřéconomique. En effet, les attentats ont ouvert la voie à une demande accrue d'État, de protection et de régulation. Tous les secteurs sont affectés directement ou indirectement, certains plus que d'autres : énergie, transports, tourisme, nouvelles technologies, banques, etc. Certains de ces secteurs sont particulièrement structurants pour toute l'activité économique. Cřest le cas notamment du pétrole dont les prix sont déterminants pour la compétitivité, les échanges commerciaux et la circulation des personnes et des services. Le traitement du risque, des incertitudes et de la sécurité est devenu une question majeure, qui peut déboucher sur une demande de plus d'État et conduire les entreprises à redéfinir leurs orientations stratégiques. Face à ces problèmes aujourd'hui décisifs, des économistes ont tenté de clarifier l'évolution de l'économie mondiale après le 11 septembre 2001. Pour certains, beaucoup dřindicateurs caractéristiques montrent déjà de lourdes tendances récessives avec le freinage de la croissance au niveau des économies du centre, la baisse des activités productives, la détérioration des indicateurs monétaires et financiers etc. Alors que pour dřautres, il ne sřagit que de menaces passagères sur une économie mondialisée solide qui, après quelques turbulences dues au choc américain, devraient retrouver ses marques. Dans lřoptique que voilà, les acteurs de lřéconomie perdent confiance, ce qui crée une morosité au niveau de certains secteurs dřactivités : krach boursier passager, ralentissement de la consommation, renchérissement des prix du pétrole, perturbation des marchés du transport aérien et du tourisme. Le scénario catastrophe ne se dessine pas encore pour deux raisons majeures : la solidité de lřarchitecture bancaire centrale de lřensemble des pays développés et leur solidarité par les rapides et indispensables régulations de la finance pour empêcher que la situation ne dégénère vers une crise financière qui provoquerait alors une chute de lřactivité productive et de service. Cependant, quel que soit lřangle dřanalyse, on observe déjà deux phénomènes : dřabord le retour de lřÉtat comme facteur de régulation, et ensuite la réapparition de la question Nord-Sud cřest-à-dire la distance grandissante entre ces deux pôles avec lřélargissement de la dualité richespauvres, le développement des inégalités, la détérioration de la situation sociale et lřexclusion. Dès lors, toute stratégie de lutte contre la violence en général et la violence terroriste en particulier doit reposer sur un combat sans merci contre le cercle vicieux de la pauvreté et du désespoir. Cřest la lutte pour le développement qui est largement détournée par la vision qui domine le monde depuis une vingtaine dřannées et que lřon désigne par la mondialisation néolibérale. Comprendre et agir pour une paix juste rappelle que la sécurité viendra dřabord et avant tout par lřappui constant à un développement durable, lřinstauration progressive dřune paix juste, le respect intégral des droits humains et une généreuse ouverture aux populations migrantes et réfugiées. CHAPITRE 2 L’AFRIQUE PARIA DE LA MONDIALISATION ENTRE MARGINALISATION, PAUVRETÉ ET PRÉCARITÉ. La distribution des revenus à lřéchelle mondiale laisse apparaître deux types dřinégalités : celles qui existent dřabord entre les pays et celles observées au sein même des pays, quřils soient du Nord ou du Sud. Aujourdřhui, on observe une très forte 4 6 croissance des inégalités à ces deux niveaux dont les causes sont assez controversées. Généralement plusieurs facteurs sont évoqués pour expliquer ces inégalités dont deux semblent faire consensus : la concurrence accrue des pays à bas salaires particulièrement en Asie et qui justifie assez largement la délocalisation industrielle, le progrès technique « biaisé » au sens où ce dernier supprime de façon massive des postes de travail non qualifié tout en augmentant la demande de travail qualifié. Cřest la raison pour laquelle HOANG NGOC LIEN estime que la mondialisation nřa pas encore atteint les hommes car « loin de sřêtre atténuées, les inégalités se sont creusées. Le fossé sřest agrandi entre les revenus des salaires et ceux du patrimoine, entre la part des salaires et celle du profit dans la valeur ajoutée. Pire, la reproduction sociale continue de jouer à plein : la mobilité intergénérationnelle entre les classes sociales ne sřest pas améliorée ».30 Section1 : Les inégalités et leur portée : la difficulté de réduire la fracture sociale. Sur le premier type, les statistiques montrent que le monde est en phase de polarisation, avec un fossé de plus en plus large entre les pays pauvres et les pays riches. Concrètement, lřécart du revenu par habitant entre les pays industrialisés et les pays en développement a ainsi triplé, passant de 5 700 dollars en 1960 à 15 400 dollars en 1993. De plus sur les 23.000 milliards de dollars que représentait le PIB mondial en 1993, 18.000 milliards provenaient des pays industrialisés, contre seulement 5.000 milliards pour les pays en développement. Encore plus significativement, le cinquième le plus riche de la population mondiale dispose de plus de 80% des ressources et le cinquième le plus pauvre de 1%. Quelques 2,7 milliards dřindividus (sur 6 milliards) vivent avec moins de 2 euros par jour et ils seront environ 4 milliards en 2015. Au cours des trente dernières années, la part des 20% de personnes les plus pauvres dans le revenu mondial est tombée de 2,3% à 1,4%. Dans le même temps, la part des 20% les plus riches passait de 70% à 85%. Lřécart de revenu entre les 20% plus riches et les 20% les plus pauvres a ainsi doublé, passant de 30/1 à 6/1. La fortune des 358 milliardaires en dollars que compte la planète est supérieure au revenu annuel cumulé des 45% dřhabitants les plus pauvres de la planète. Au cours des trois dernières décennies, la proportion dřindividus habitant des pays ayant connu une croissance annuelle de leur revenu supérieure à 5% a plus que doublé (passant de 12 à 27%), mais la proportion de la population mondiale connaissant une croissance négative de ce revenu a plus que triplé, passant de 5% à 18%. Le second type dřinégalité est celle qui existe au sein même des pays. En prenant lřexemple de la France, le revenu mensuel moyen des ménages résidant dans ce pays était de 14 190 F en 1994. Mais 10% des ménages disposaient alors de moins de 4 530 F alors que 10% des ménages gagnaient plus de 25 890 F, soit un écart P9/P1 de 5,7 plus important que lřécart des seuls salaires qui sřétablissait à 3,2. Dans les pays de lřOCDE, les inégalités salariales sont mesurées par le ratio P9/P1 qui sřélevait, en 1990, à 2 en Norvège, 2,5 en Allemagne, 3,4 au Royaume-Uni et 4,5 aux États-Unis. Ces inégalités font aujourdřhui lřobjet dřintenses controverses au niveau de lřanalyse du développement. En effet, certains économistes soutiennent avec force arguments que les inégalités sont favorables à la croissance économique. Ils prennent 30 HOANG Ngoc Lien : La fracture sociale : sommes-nous condamnés au Libéralisme Édt. Arlea, p192 4 7 appui sur les prédictions de S. Kuznets et avancent que si la croissance accroît les inégalités dans un premier temps, elle les réduit ensuite. Encadré 3 : Inégale répartition du revenu Kuznet (prix Nobel 1971) montre que le rapport entre le PNB individuel et les inégalités dans la répartition des revenus prend la forme dřune courbe en « U » renversée. Lorsque les revenus individuels augmentent, les inégalités sřaggravent un maximum pour un niveau intermédiaire de revenus, puis déclinent pour des niveaux de revenus élevés. Cette question importante de la répartition des revenus est sousanalysée dans la pensée économique. Dans ce sens, depuis quelques années, les systèmes statistiques africains, de même que les chercheurs, déploient, avec le financement des bailleurs de fonds internationaux (BM, FMI, ACDI, CRDI…), des efforts pour mesurer le seuil de pauvreté, identifier les pauvres, saisir leurs profils, leurs liens de résidence. Sans nul doute, ces efforts sont louables, motivés sans doute par la volonté de mettre à la disposition des décideurs économiques et politiques des instruments nécessaires à un ciblage pertinent de la politique de lutte contre la pauvreté. Mais il est curieux dřobserver que les statisticiens et les économistes ne manifestent que très peu dřintérêt pour les riches et les mécanismes dřenrichissement ainsi que la répartition des revenus. À y regarder de près, cette assertion peut-être économiquement fondée mais ne convient pas dans la perspective de lutte contre la pauvreté. Pour P. ENGELHARD 31, il faut sřinterroger pour savoir à partir de quel seuil dřinégalité la croissance de la richesse des uns ne compense plus la perte de richesse des autres ? Rawls fournit une piste intéressante dans le second principe de sa Théorie de la justice sociale 32 : lorsquřil y a des riches, les pauvres sont souvent moins pauvres que si tout le monde était pauvre. Mais alors sommes-nous encore dans un univers où lřaccroissement de la richesse des riches garantit que la pauvreté des pauvres va diminuer ? Et P. ENGELHARD observe avec pertinence que deux ou trois cents personnes parmi les plus riches de la planète ont un revenu qui équivaut à celui de deux ou trois milliards de pauvres. Quřune inégalité permette à ces pauvres de vivre un peu mieux quřils ne le feraient si la richesse était un peu moins mal répartie nřest pas très vraisemblable. Globalement, les inégalités se sont creusées entre les pays et au sein de la plupart dřentre eux. Ainsi, dans les pays opulents dřEurope occidentale, le nombre de pauvres nřa cessé dřaugmenter depuis vingt ans. Toutefois, ces inégalités et ces pauvretés excessives deviennent inacceptables et dangereuses, car elles constituent le terreau sur lequel se recrutent les terroristes qui menacent toutes les démocraties du monde. Manifestement, les réseaux terroristes tirent leur origine de la désespérance et des souffrances de la pauvreté que vivent certains peuples souvent dans lřindifférence totale de la communauté internationale. Les attentats de Septembre sont intervenus dans une conjoncture de profonde détérioration des rapports NordSud : dégradation des termes de lřéchange, approfondissement des déficits, massification de la pauvreté, endettement qui hypothèque le financement du développement, baisse de la croissance. Dans les diverses négociations internationales à Seattle (OMC), à KYOTO sur le réchauffement de la terre négocié par 160 nations, à Gènes (G8) et à Durban P.ENGELHARD : LřAfrique miroir du monde ? Plaidoyer pour une nouvelle économie. Edit. Arléa, Paris, 1998, p.222 32 J. Rawls : La théorie de la justice sociale 31 4 8 (ONU) dernièrement sur lřesclavage, les pays du Sud ont fait beaucoup de concessions mais nřont presque rien obtenu en retour. Ces éléments entretiennent des sentiments dřexclusion, de frustrations, de désespoir, tout cela sur fond de pauvreté ambiante.33 Section 2 : L’Afrique paria de la mondialisation. Entre pauvreté, précarité et exclusion, elle n’a pas encore de place dans le 21ème siècle34. La participation de lřAfrique à lřéconomie mondiale a fortement diminué au cours des cinq dernières décennies aussi bien du point de vue de son PIB, de ses exportations que des IDE reçus. Selon lřOCDE, la part de lřAfrique dans le PIB mondial mesurée en parité de pouvoir dřachat entre 1950-2000 a baissé dřun tiers alors que sa part dans les exportations a été divisée par 3. Il en va de même pour les investissements directs étrangers, comme cela a été établi plus haut. Dřun autre côté, lřéconomie mondiale a une assez faible incidence sur la croissance des économies africaines. Cela sřexplique dřabord par la base de son système productif composée essentiellement de produits primaires et ensuite par son insertion faible dans des réseaux diversifiés de commercialisation On peut donc dire que les paramètres posés par la mondialisation ignorent lřAfrique. Les investissements croisés, les échanges internationaux sur la base de la croissance de la production mondiale, la globalisation financière aussi bien que les réseaux transnationaux et les firmes globales ne sřintéressent pas au continent. À ces facteurs sřajoutent dřautres qui sont endogènes et contribuent à la marginalisation de lřAfrique. Au titre de ces facteurs on peut citer : lřabsence dřinfrastructures adéquates de communication ; lřétroitesse des marchés ; les incertitudes et risques nés des conflits ; la mauvaise qualité des administrations publiques. Les Programmes dřAjustement Structurel ont tenté dřintroduire des réformes qui avaient pour objectif lřassainissement des économies en vue de la restauration de leur compétitivité extérieure par la réduction des déficits budgétaires, une pression sur les salaires, la suppression des subventions, la privatisation et le dégraissage de la fonction publique. Une fois assainies, les économies devraient amorcer une croissance durable tirée par les IDE et les exportations. En définitive, on sřaperçoit quřen fait lřassainissement ne finit jamais, les IDE se font attendre, la croissance nřest pas durable et la pauvreté est encore loin dřêtre éradiquée. Cela a nécessité lřélaboration par la Communauté internationale « des Objectifs du Millénaire pour le Développement, un pacte entre les pays pour vaincre la pauvreté »37 I/ Pauvreté de masse aggravée par la défaillance des systèmes traditionnels et modernes de protection sociale. Le Continent africain est la région du monde la plus pauvre, sa production moyenne par habitant à la fin des années 90 est inférieure à ce quřelle était en 1960, sa part dans le commerce mondial a reculé. Au niveau social, la situation est simplement Moustapha KASSE : Récession mondiale et terrorisme, Journal Info7 du 02 fév. 2002 Banque mondiale : L’Afrique peut-elle revendiquer sa place dans le 21ème siècle ?, 37 PNUD : RMDH 2003 : Les OMD 33 34 4 9 catastrophique avec 250 millions de personnes qui nřont pas accès aux services de santé, 140 millions dřanalphabètes et 2 millions dřenfants qui meurent chaque année avant leur premier anniversaire. Le bilan de 10 années de recherche et de lutte contre la pauvreté est fortement contrasté. Les actions de lutte contre la misère et la famine ont donné quelques résultats positifs indéniables avec lřaugmentation de la production alimentaire du système périphérique et le recul de la faim. Toutefois, depuis les années 70, le nombre de pauvres augmente au même rythme que la population (KANKWENDA, 1999) sans que lřon soit en mesure de répondre aux questions fondamentales à savoir : i) Comment mesurer la pauvreté ? ii) Quels sont les groupes les plus vulnérables ? iii) Quelles sont les conditions de vie des pauvres et des très pauvres ? iv) Quelle politique efficace faut-il mettre en œuvre ? À lřanalyse tous les pays africains sont handicapés par une crise sociale dřune très grande ampleur qui se manifeste dans lřaccroissement du couple pauvreté et chômage. Cela entraîne une forte dégradation des conditions de vie : pénurie et insécurité alimentaires, diverses épidémies, non-accès aux services de base. Ce processus de paupérisation de masse sřaccompagne paradoxalement dřun affaiblissement des formes modernes comme traditionnelles de protection sociale. Le Continent africain administrait la force dřune indiscutable « solidarité », découlant principalement dřun ensemble dřobligations et de droits complexes destinés à préserver la cohésion du groupe et à réduire lřincertitude économique. La logique du « don et du contre-don », sans doute latente dans ce tissu dřobligations réciproques, avait fini par instaurer un contrat-social implicite qui est en train de se déliter dangereusement. Dès lors, la protection sociale cesse de sřappuyer sur les réseaux de la famille élargie qui nřest plus en mesure de répondre aux sollicitations de ses membres les plus faibles et les plus démunis dans un contexte de crise économique. Au niveau des structures formelles, les choses ne vont pas mieux, suite à la crise profonde du système public de sécurité sociale, symbole de « lřEtatprovidence ». Il accuse une triple crise : une crise dřefficacité : effets pervers de prélèvements excessifs ; une crise de légitimité : côté recettes : une redistribution à rebours ; côté dépenses : la solidarité déviée avec des difficultés dřévaluation ; et une crise dřadaptation. Pris en tenaille entre lřaccroissement soutenu des dépenses et le tarissement des sources de financement, suite à lřassainissement économique et financier, le fonctionnement du système de redistribution et de protection sociale est de plus en plus bloqué. La crise économique et financière va finir par liquider tous les filets de protection et de redistribution. La conséquence est alors lřinstauration de la pauvreté, de la précarité et de lřexclusion. Les analyses sur la pauvreté sont marquées par trois visions qui peuvent coexister ou alterner dans un même pays : une vision technocratique, une vision fondée sur lřassistance et une vision caritative. La vision technocratique est celle des organisations internationales. Elle est selon Bruno LAUTIER «exprimée sur le mode de la pathologie et emploie souvent un langage mi-médical, mi-guerrier : la pauvreté est une maladie à éradiquer et pour cela il faut mettre en place des stratégies pour les pauvres». Il sřagit dřune maladie du corps social et en conséquence, le réalisme imposant de limiter ses ambitions, il faut scinder la pauvreté en deux ou trois, pour éliminer «une pauvreté absolue» quřil est nécessaire de supprimer en premier. Il est donc normal que cette vision mette lřaccent sur les éléments de quantification en vue de déterminer la proportion de pauvreté absolue quřune société peut supporter sans risque de faire imploser son ordre social. 5 0 Cette vison implicite nřest pas appuyée par une bonne connaissance des mécanismes et des facteurs de la pauvreté : les causes macroéconomiques et structurelles (économie mondiale, politiques internes introduites par les PAS, lřendettement) et les causes sociales (double explosion démographique et urbaine, exclusion économique et sociale, absence de protection sociale et rupture des solidarités traditionnelles). Pour en sortir, il est recommandé aux pays africains de poursuivre et dřapprofondir lřajustement structurel qui est seul à même de relancer la croissance économique pour éradiquer la pauvreté. Ce schéma appuyé par les IFI postule que la croissance doit être tirée par les exportations. Ce principe appliqué à lřAfrique a quelque chose de surréaliste avec les exportations africaines qui ont régressé de 14%. Figure 2 : Population vivant avec moins de deux dollars II/ Etranglement et hypothèque du développement par l’endettement. A la fin de lřannée 2000, les allègements promis sřélevaient à 34 milliards de dollars, ce qui ne représente que 1,6% de la dette totale du tiers monde, et 15% de la 5 1 dette des pays pauvres très endettés (PPTE) 35 . On est très loin des pourcentages annoncés régulièrement à grand renfort médiatique. À cela sřajoute le fait que les quelques allègements fort partiels qui sont décidés sont étalés sur plusieurs dizaines dřannées et liés à certaines conditionnalités politiques et économiques difficilement accessibles. Si la Banque Mondiale et le FMI ont lancé cette initiative, cřest parce que la situation devenait trop dramatique et était intenable. Il fallait rendre la dette soutenable pour garantir la poursuite des remboursements. Dřailleurs, le Rapport Statistique de la dette extérieure de lřOCDE, paru en 2001, note que «la mise en œuvre intégrale de lřInitiative ne se traduira pas par une diminution de la valeur (…) de la dette, car les allègements prendront pour lřessentiel la forme de remises dřintérêts et de dons destinés à financier le service de la dette, et non de réductions directes de lřencours de cette dette». Le problème demeure donc entier. Lřinitiative PPTE, cřest un coup de canif dans un baobab. Plus généralement, en 1980, le stock de la dette des Pays En Développement (PED) sřélevait à 586 milliards de dollars ; en 2000, il est passé à 2527 milliards de dollars, il a donc été multiplié par plus de quatre. Dans le même temps, les PED ont remboursé 4 096 milliards de dollars, soit sept fois leur dette de 1980. Tableau 3 : La dette extérieure africaine de 1982 à 2003 en millions de dollars Selon le rapport Global Développement Finance 2001 de la Banque Mondiale, les pays du Sud ont remboursé au Nord, en 1999, 137 milliards de dollars de plus que ce quřils ont reçu sous forme de nouveaux prêts. En 2000, cřest 101 milliards de dollars ! Le mécanisme de la dette représente un transfert de richesses des peuples du Sud aux détenteurs de capitaux du Nord. Alors que demander de plus ? Au Comité pour lřannulation de la dette du Tiers-Monde (CADTM), ainsi quřà ATTAC, il faut dire que lřannulation totale de la dette extérieure publique du tiers monde est, sans conteste, le premier pas indispensable vers la construction dřun monde où le but nřest pas le remboursement de la dette, mais la satisfaction des besoins humains fondamentaux. Moustapha KASSE : Lřendettement de lřAfrique : quelles voies de sortie après PPTE, Marchés Tropicaux n°3000, 9 mai 2003 35 5 2 La dette écrasante et la trop grande pauvreté rendent impossible le financement des investissements collectifs sans lesquels le développement ne peut commencer. Figure 3 : Allégement de la dette III/ Synoptique des défaillances et des risques de l’Afrique dans la mondialisation En résumé, les risques probables de la mondialisation et de la libéralisation sont à la fois économiques, politiques et sociales et se présentent comme suit : Au niveau économique faible capacité dřoffre, insécurité alimentaire grandissante avec les deux boulets que sont lřexpansion démographique et lřurbanisation accélérée et chaotique, secteur privé pas suffisamment développé avec de faibles possibilités financières, techniques de production rudimentaires avec comme issue fatale la faible productivité qui va plomber la compétitivité des économies évoluant dans le contexte mondial de haute concurrence et de compétitivité, concurrence dans les débouchés extérieurs et sur le marché domestique avec des conséquences dommageables aux entreprises nationales, suppression des préférences tarifaires et commerciales, orientations défavorables des IDE qui ne trouvent pas encore un environnement des affaires propice et sécurisé. Au niveau technologique faible capacité technique et technologique et tendance au creusement de la fracture technologique et numérique. Mise à lřécart de la société du savoir et des innovations ; insuffisance quantitative et qualitative du capital humain et des institutions de rechercheŔdéveloppement ; déficience des systèmes de formation et de renforcement des capacités du capital humain : éducation et santé ; 5 3 transferts technologiques et innovations financièrement et culturellement coûteux. Au niveau social processus contradictoire dřappauvrissement et dřaffaiblissement des formes modernes comme traditionnelles de protection sociale ; lřoffre de biens et services est calquée sur celle de lřEurope, dont le revenu par tête est quarante fois plus élevé (18000 dollars contre 450) ; absence de filet de protection pour atténuer la sévérité des conséquences sociales des premières générations de PAS. Au niveau politique échec des modèles démocratiques et de gouvernance mimétiques et imposés. La démocratie nřassure pas la circulation des élites et la bonne gouvernance nřassure pas la participation des peuples à la gestion des pouvoirs ; incapacité de lřÉtat bienveillant de régulation des appareils économiques, politiques et sociaux et de contribuer à lřinsertion des acteurs dans la mondialisation. Forte imbrication de certains intérêts et développement de la corruption qui gangrènent le fonctionnement de lřEtat ; confiance au marché comme régulateur de la vie économique alors quřil est traversé par de multiples distorsions qui le rendent aveugle aux conditions des pauvres et des inorganisés. IV/ Face au déclin de l’Aide Publique au Développement (APD) à la fois insuffisante et mal orientée, la recherche de systèmes et de politiques monétaires flexibles. Plusieurs études réalisées sur le Système Monétaire International (SMI) et le Système Monétaire Européen (SME) montrent que lřune des tendances marquantes au sein de lřéconomie mondiale, depuis 1945, consiste en un mouvement dřintégration croissante entre les différentes économies nationales. Pour les pays africains, cette solution bien que peu retenue ne sera certainement pas évitable dans lřavenir. À long terme, la stabilité de la monnaie dřun pays dépend de la convergence de son économie et de la coordination de sa politique avec celles de ses partenaires. De ce point de vue, le Zone Franc comme accord de change peut découler de lřintégration croissante des marchés financiers dans le cadre de la mondialisation de lřéconomie avec la règle des 3 D (désintermédiation, déréglementation, décloisonnement). Aujourdřhui, les enjeux de la globalisation financière posent la question du gouvernement du monde par les marchés financiers. Ainsi, les citoyens de la planète ont commencé à suivre, en temps réel, la fiche de santé de lřéconomie mondiale au travers des indices financiers des grandes bourses (CAC 40, Indice Nikkei, Dow Jones,…). Dans ce contexte, les mécanismes de transmission de la politique monétaire confèrent un rôle plus accru à la politique de change et, lřabsence de celleci sera un sérieux handicap pour tout pays ou groupe de pays. Lřouverture internationale dřun pays est pertinente lorsque ses produits sont compétitifs. Pour mesurer la compétitivité dřun pays et ses variations, on utilise généralement le Taux de Change Effectif Réel (TCER), qui apprécie la variation du taux de change effectif nominal par rapport au taux dřéquilibre 5 4 (PPA). Le TCER donne une bonne estimation des conséquences sur la balance extérieure des variations du TCEN, liée aux modifications de prix résultant des changements dřefficacité du système productif. Il procure une bonne appréciation de lřévaluation des coûts de production domestique des biens internationaux, ceux qui font lřobjet dřune demande mondiale et qui doivent guider la spécialisation. Pour que lřindice de compétitivité reste stable, il faudrait que les coûts nationaux de production des biens échangeables restent proches de ceux des autres pays concurrents, et donc que lřinflation interne reste voisine de celle des pays partenaires. Ce qui signifie, fautil le rappeler sous une forme, que toute hausse des prix internes qui serait supérieure à la hausse des prix internationaux, pondérés par le taux nominal, entraînera une baisse du TCER, cřest-à-dire une surévaluation du taux réel, et donc une perte de compétitivité. Au contraire, pour améliorer la compétitivité nationale, il convient de : Diminuer le taux nominal, cřest-à-dire dévaluer la monnaie nationale ou diminuer le prix domestiques ou encore, augmenter les prix internationaux, par exemple grâce à la production aux frontières. On remarque que lřanalyse ne conduit pas aux mêmes décisions de politique économique selon que le pays se trouve en régime de changes fixes ou variables. La stabilité dřune monnaie peut être défendue par sa Banque Centrale, mais pas indéfiniment. À long terme, la stabilité de la monnaie dřun pays dépend de la convergence de son économie et de la coordination de sa politique avec celles de ses partenaires. Dans les pays en voie de développement, la difficulté sřaccroît avec la nécessité de donner à cette politique des objectifs à plus long terme. Il ne sřagit plus seulement de rétablir lřéquilibre extérieur par la politique macroéconomique traditionnelle, mais dřassurer une croissance durable de lřéconomie et dřinitier une véritable politique de développement. Sous ce rapport, lřintégration régionale devrait être favorisée par la mise en place dřun Système monétaire et de crédit en vue de faciliter les échanges entre pays de la Zone. Ceci exigerait la création dřune sorte de division régionale du travail (DRT) accompagnée de la création dřun Système Monétaire Régional (SMR) établissant des règles de parité, des règles de stabilité, des règles de gestion monétaire.36 Les soubresauts monétaires sont accompagnés par une baisse importante de lřAide Publique au Développement qui subit une réduction depuis 1995, aussi bien en valeur absolue quřen valeur relative. La désaffection relative de lřAfrique profitait essentiellement aux pays de lřEst européen. Dans les années 80, les pays donateurs sřétaient fixés un objectif : porter le montant de lřAPD à 0,7% du PNB, le double des montants alloués à lřépoque. Dans les faits, les budgets de lřAPD ont plutôt diminué presque de moitié. Globalement, ils sont passés de 0,43% du PNB, en 1988, à 0,29%, en 2001. Parallèlement à cette diminution, lřAPD a évolué comme instrument de mise en œuvre des Programmes dřAjustements Structurels (PAS). « Les pays donateurs sont devenus des inconditionnels de la conditionnalité ». Les multiples défis que lřAfrique doit relever dans le cadre dřun développement durable qui réduise la pauvreté de masse, ne peuvent être levés par le simple recours aux marchés financiers. Les récentes crises financières de la mondialisation ont largement montré que les IDE ne peuvent être un substitut à lřAide Publique au Développement qui doit en être le complément indispensable. Il faut alors améliorer Moustapha KASSE : Le développement par lřintégration, chapitre4 intitulé : La création dřun ordre monétaire régional en Afrique de lřOuest, Édit. NEAS, 1992 36 5 5 quantitativement et qualitativement lřAPD. Il y a alors un triple défi à relever augmenter substantiellement les budgets de coopération internationale en remettant concrètement à lřordre du jour lřobjectif de 0,7% du PNB; réorienter ces budgets vers les objectifs de lutte contre la pauvreté, de justice sociale et de développement humain. Rappel : 70% des 4, 5 milliards de personnes qui vivent avec moins de 2$ US par jour sont des femmes et des enfants; réserver des montants suffisants pour les initiatives non gouvernementales, en particulier pour les programmes de sensibilisation et dřéducation du public et pour la concertation organisée des organismes de coopération et de solidarité internationale. En définitive, cette analyse de la mondialisation montre que notre époque est celle des « démocraties concurrentielles » cřest-à-dire des démocraties qui promeuvent lřinteraction permanente de la politique et de lřéconomie, la prééminence du marché mondial et lřobéissance des économies nationales. Dans ce nouveau contexte, la politique économique sera une politique internationale tournée vers le marché, où les méthodes dřintervention nřauront plus rien à voir avec les politiques nationales traditionnelles. Dès lors, une fois comprise et considérée comme une nouvelle configuration de lřéconomie mondiale, la mondialisation implique la question de lřinsertion positive de lřéconomie sénégalaise à sa logique. À première vue, toutes les interdépendances analysées révèlent à la fois les potentialités mais aussi les risques de la globalisation pour lřAfrique. Dřabord tous les paramètres quřelle pose ignorent pour une bonne part le continent. Et lorsquřelle les intègre, cřest pour lřintroduire comme un support aux multinationales (européennes, américaines, asiatiques) en termes dřapprovisionnement régulier et stable en matières premières et de débouchés solvables (ou solvabilisables). Autrement dit, ni les investissements croisés, ni les échanges internationaux sur la base de la croissance de la production mondiale, ni la globalisation financière, ni les réseaux transnationaux, ni les firmes globales, nulle part dans ce jargon de grands et de riches, on trouvera une place de premier plan pour lřAfrique. Les théories et les pratiques de la mondialisation ont une faible perception de lřÉtat surtout, africain. Elle le confine au simple rôle de gestionnaire des collectivités sous lřœil vigilant de multiples observatoires que sont les institutions de gouvernance de lřéconomie mondiale dont lřefficacité est fortement contestée. Ces observations nřentament en rien le caractère inéluctable de la mondialisation. Section 3 : Les perspectives africaines d’insertion dans la mondialisation. Dans son rapport de 1996, le FMI montre quřil serait illusoire de rejeter la mondialisation car elle doit permettre aux pays, quel que soit leur niveau de développement, de saisir des opportunités. Dans son sillage, certaines économistes considèrent que la globalisation nřest pas un jeu à somme nulle et que les pays en développement et les pays industrialisés en tirent des effets dřentraînement réciproques, conformément aux théories de lřéchange international (RICARDO et H.O.S.). Celles-ci soulignent par ailleurs que le commerce sans entrave est favorable à tous les partenaires quelle que soit leur taille, pourvu simplement quřils se spécialisent dans les productions où ils ont les meilleures dotations factorielles naturelles. Il 5 6 nřexiste dès lors aucun obstacle insurmontable Ŕ si ce nřest lřÉtat Ŕ au développement des échanges. Cřest cette logique qui préside à la création de lřOMC. À lřappui, lřOMC montre que la valeur du commerce mondial de marchandises sřest accrue en 1995 de 19%. Ainsi la valeur des exportations mondiales passe de 164 milliards de dollars en 1960 à 4900 milliards en 1990. Le commerce mondial a été multiplié par 39. Il nřen va pas de même pour lřAfrique dont la progression est inférieure à la moyenne mondiale (5,4%). I/ Exigence de construction d’économies compétitives. Quel que soit lřindicateur considéré, on sřaperçoit que lřAfrique est marginalisée tout aussi bien dans le processus de production, dřéchanges que dans la distribution des investissements directs étrangers. À cela viennent sřajouter des termes de lřéchange complètement défavorables contribuant à la détérioration du pouvoir dřachat des africains. Cřest dans ce contexte quřil est demandé aux pays africains de redresser leurs économies (ajustement structurel) et de les ouvrir sans entrave avec la levée de toutes les restrictions tarifaires et non tarifaires, lřannulation de toutes les subventions et lřinstauration de libres marchés. Beaucoup de chercheurs récusent cette vision idéologique qui finit par placer lřAfrique parmi les grands bénéficiaires de la globalisation. Lřargumentaire sřappuie sur deux éléments : lřun théorique, fondé sur la compréhension de la théorie des avantages comparatifs et lřautre plus pratique portant sur les subventions agricoles. Prenons cette dernière question. Les politiques agricoles restées jusquřen 1986 à lřécart des négociations menées dans le cadre du GATT sont depuis lřobjet dřune âpre bataille entre les deux puissances agricoles mondiales : les États-Unis et lřEurope de la PAC. Or les deux puissances nřont en rien respecté lřaccord de MARRAKECH qui postulait entre autres dřune part de faciliter les importations de produits agricoles en abaissant les droits de douane, et dřautre part dřaméliorer les conditions de la concurrence entre pays exportateurs en réduisant les subventions et les aides publiques aux producteurs. Bien que la forme soit différente, lřagriculture américaine reçoit désormais une aide supérieure à son collègue européen. Ces subventions sont impérativement interdites aux africains. Figure 3 :L’Afrique se marginalise dans le commerce mondial. 5 7 II/ Exigence d’une régionalisation de gré ou de force. Quel que soit lřangle dřanalyse, les mutations introduites par la mondialisation ne se présentent pas comme un mauvais moment à passer à tel enseigne que, tel le roseau de la fable, il faille plier lřéchine et attendre que le beau temps revienne. Le monde est dans un nouveau système dřéconomie sociale de marché, de compétition économique et de démocratie concurrentielle dans lequel pour survivre, il faut avoir des stratégies clairvoyantes, pertinentes et complètes, une bonne maîtrise des savoirs et un très grand professionnalisme37. Les analyses réalisées montrent que lřAfrique est à la périphérie du système mondial, handicapée par dřinnombrables difficultés économiques et sociales. Celles-ci sont subséquentes dřune part à la chute brutale des cours des matières premières provoquée par la crise financière et économique mondiale, et dřautre part par les conditions climatiques défavorables à lřagriculture et les problèmes engendrés par lřinstabilité et les conflits qui ont affecté une bonne partie du continent. Malgré quelques embellies dans des pays limités (Tunisie, Maurice, Botswana, Burkina Faso, Ouganda, Afrique du Sud) et dans certains secteurs, le bilan du développement se lit en termes de contre-performances qui ont conduit progressivement le continent à la marge des affaires du monde. Cette situation se manifeste par la détérioration généralisée des fondamentaux des économies nationales : faible taux de croissance économique, inflation souvent galopante, endettement massif, stagnation des économies, approfondissement du 37 Moustapha KASSE : Partenariat et nouveau régionalisme en Afrique, Édit Nouvelles Du Sud, 2003 5 8 double déficit chronique de la balance des paiements et des finances publiques. Les économies africaines ont assez mal réagi aux chocs externes comme la morosité de lřéconomie mondiale, la baisse des cours des matières premières dont le pétrole, et la crise asiatique. Ces chocs externes ont entraîné des effets désastreux sur le déficit budgétaire, le taux dřinflation, la croissance du PIB, lřendettement et le taux de change. À la fin des années 90, lřAfrique représente 12% de la population mondiale mais fournit moins de 1% du PIB mondial. Les résultats du développement industriel et agricole sont aussi modestes. Il avait été mis en place une stratégie dřindustrialisation par substitution aux importations qui avait de faibles relations en aval comme en amont avec le secteur agricole : les performances se sont révélées décevantes. Au niveau des relations avec lřextérieur, la part de lřAfrique dans les exportations est modeste. LřAfrique est complètement absente du commerce mondial dans les branches les plus dynamiques des produits manufacturés et des services. Au plan social, la dégradation du bien-être sřélargit avec la montée de la pauvreté dont le rythme de croissance est plus rapide que celui des revenus. Ainsi, la dimension d'un vaste marché regroupant un maximum d'entités économiques n'est-elle pas moins importante que les conditions stables appropriées permettant aux forces de ce marché de jouer pleinement dans le sens d'une relance des activités économiques et du développement? Cette question est d'autant plus fondée qu'aujourd'hui, nul ne doute que tout processus d'unification économique et monétaire nécessite un certain nombre d'étapes successives qu'il serait dangereux d'inverser, au risque de conduire l'intégration à l'inefficience ou à l'échec. Et cela, que l'on passe par des intégrations sous-régionales (Afrique de l'Ouest, Afrique de l'Est, Afrique centrale, Afrique du Nord et Afrique Australe, par exemple) ou régionales. Lřespace économique du continent est subdivisé en cinq régions qui développent chacune en son sein une ou plusieurs initiatives dřintégration : en Afrique Centrale avec la Communauté Économique et Monétaire de lřAfrique Centrale (CEMAC), la Communauté Économique des États de lřAfrique Centrale (CEEAC), la Communauté Économique des Pays des Grands Lacs (CEPGL), en Afrique de lřEst avec la Communauté Économique de lřAfrique de lřEst (CEA), en Afrique du Nord avec lřUnion du Maghreb Arabe (UMA), en Afrique Australe avec lřUnion Douanière de lřAfrique Australe (UDAA), la Communauté pour le Développement de lřAfrique Australe (SADC), la Zone dřÉchanges Préférentiels (ZEP), le Marché Commun des États de lřAfrique de lřEst et de lřAfrique Australe (COMESA) et en Afrique de lřOuest avec la Communauté Économique des États de lřAfrique de lřOuest (CEDEAO), lřUnion Économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), lřUnion du Fleuve Mano (UFM). Ces blocs fonctionnent de façon assez inégale et réalisent, par moments, des résultats appréciables dans les domaines respectifs du commerce intra régional, de la coordination des politiques économiques et monétaires, de la mobilité des facteurs comme la main dřœuvre et les capitaux. En définitive, il est attendu de tous ces schémas dřintégration quřils contribuent non seulement au développement de la taille des marchés, à la réduction des coûts de transaction mais aussi à lřamélioration de la concurrence entre producteurs. CHAPITRE 3 5 9 MAÎTRISE DU PÉTROLE ET DE L’ÉNERGIE DANS LA GÉOSTRATÉGIE DE RÉGULATION DE LA MONDIALISATION. La situation énergétique mondiale est devenue une grande préoccupation à la fois des décideurs politiques, de tous les acteurs de la vie économique, de lřAgence Internationale de lřÉnergie et des scientifiques. Aujourdřhui, les systèmes productifs, les activités industrielles et humaines reposent sur un modèle énergétique à base de ressources non renouvelables, qu'elles soient fossiles (pétrole, charbon et gaz) ou minérales (uranium). Plus précisément, le pétrole sřest imposé comme principale source énergétique, et ses sous-produits sont déterminants pour les économies modernes, ce qui entraîne une hausse constante de la demande mondiale alors même que lřoffre semble avoir du mal à suivre cette demande. Section1 : Le pétrole, une variable clé dans la géostratégie et la compétitivité de l’économie mondiale avec des accroissements des prix sans fin. Dans ces conditions la flambée des prix du pétrole qui ont franchi la barre fatidique des 100 dollars a suscité de vives inquiétudes et des débats passionnés sur les véritables enjeux géostratégiques planétaires du pétrole. Au début des années 70, le prix du baril était de 2 dollars pour évoluer par la suite à 35 dollars en 1980, 80 en 2000 et maintenant 100 dollars et plus. Figure 4 : Fluctuation des prix du pétrole. 6 0 La configuration de la planète en fonction des dotations pétrolières laisse apparaître 4 groupes qui ont des perceptions différentes de lřenjeu du pétrole dans les relations internationales : les pays riches, riches en pétrole comme les ÉtatsUnis et la Russie. les pays riches et pauvres en pétrole comme lřEurope et le Japon. les pays riches en pétrole et non encore industrialisés comme les pays du Moyen-Orient et du Golfe, et de quelques producteurs africains. les pays pauvres et pauvres en pétrole comme la plupart des pays africains. Cette configuration établit que le pétrole est une variable stratégique en tant quřinstrument dřallocation des ressources financières à lřéchelle mondiale (superprofits des majors du pétrole par exemple pour Exxon/Mobil 490 milliards de francs, BP/Amoco/ Arco plus de 167 milliards de francs), Total/Petrofina/Elf 80 milliards de francs et accroissement des réserves des pays producteurs comme lřindique le tableau qui suit et comme facteur de régulation de la compétition mondiale (par le biais des surcharges des coûts de production) dans les échanges internationaux. Pour les pays pauvres, le pétrole est lřun des facteurs des déséquilibres macroéconomiques graves qui ont conduit à lřendettement massif. Toutes ces raisons expliquent que cette matière première extrêmement sensible n'a jamais été laissée uniquement aux forces du marché. Au contraire, les États interviennent directement ou indirectement pour exiger ou imposer une gestion concertée des stocks restants. Voilà pourquoi beaucoup dřauteurs le considèrent comme un bien public international. En définitive le pétrole est à lřorigine des trois crises qui secouent actuellement le système mondialisé: la première crise est le réchauffement climatique qui est à la base des perturbations comme la sécheresse, les inondations et dřautres catastrophes naturelles dues aux émissions des gaz à effet de serre, la deuxième crise est celle liée à la recomposition de lřespace du Moyen-Orient, source principale dřapprovisionnement pétrolier des pays industrialisés et la troisième crise est celle de la dette des pays en développement victimes de l'augmentation des prix du pétrole. Ces pays sont condamnés à continuer dřemprunter au Fonds Monétaire International (FMI) et à la Banque Mondiale pour faire face à leurs déséquilibres externes. À cela sřajoute les fortes inégalités dans lřaccès aux ressources pétrolières qui se traduisent dans le fait que les ¾ de la production mondiale sont consommés par les ¼ de la population, soit o,8 Tonne Équivalent Pétrole par habitant pour les PVD et 4,7 TEP pour les pays industrialisés. Malgré ces faiblesses relatives des consommations énergétiques, les factures pétrolières deviennent insoutenables pour les PVD particulièrement les non producteurs. La situation énergétique mondiale est aujourdřhui préoccupante. La question se pose de savoir comment satisfaire des besoins fortement croissants sous la contrainte de ressources limitées et la nécessité du respect de lřenvironnement ? Pour y répondre, il importe dřopérer une analyse exacte de la carte de consommation mais aussi de la production. Cřest dire quřil faut dépasser les explications simplistes tendant à justifier les difficultés du jeu pétrolier mondial par les pays producteurs qui agiraient indûment sur lřoffre pour accroître leur rente de situation ou par lřapparition de nouveaux demandeurs comme la Chine qui consommerait trop. Sans nul doute, la demande en pétrole a fortement augmenté sous l'effet conjugué de plusieurs facteurs comme l'accélération de la consommation aux ÉtatsUnis, en Europe et dans la plupart des pays d'Asie provenant du retour de la croissance dans les principaux pays industrialisés, du regain d'activité dans certains secteurs comme le bâtiment, les travaux publics et surtout les transports. Mais elle sřexplique aussi par des calculs géostratégiques plus complexes liés notamment à la gestion des 6 1 risques par la recherche dřun approvisionnement stable et sécurisé, à la recherche dřéconomie de rente qui apparaît de plus en plus dans lřidée dřun réajustement équilibré pour garantir les transferts intergénérationnels, à la volonté de puissance et de domination. Au demeurant, pour rattraper leur retard d'industrialisation, les pays émergents dřAsie pèsent de plus en plus dans la consommation mondiale et continueront à exercer une forte pression sur la demande dans les années à venir. Figure 5: Réserves d’énergie par zone géographique Dans quel sens ces facteurs vont-ils évoluer ? Le dilemme est-il dřaccroître lřoffre ou de modifier le modèle de consommation énergétique ? Quels sont les choix énergétiques à moyen et long terme ? De quelles marges peuvent disposer les pays non producteurs particulièrement les plus pauvres dřentre eux? Section2 : Les choix énergétiques à moyen et long terme. L'énergie consommée dans le monde provient, pour environ 60%, des ressources en hydrocarbures qui sont par nature non renouvelables. Tous les Instituts de recherches dans le domaine établissent que le pétrole qui sort des puits mondiaux passera dans les prochaines années par un «pic» qui empêchera lřoffre des pays producteurs de suivre la demande mondiale. En dřautres termes, les capacités mondiales de production vont atteindre leur maximum avant de décroître inéluctablement. Dans cette optique, l'AIE a construit un scénario de " référence " qui montre que le stock exploitable dřhydrocarbure liquide est de 45 ans, celui du gaz naturel de 60 et celui du charbon de 250 ans, et qui en même temps évalue le 6 2 « pic » : si les tendances actuelles se maintiennent, la consommation actuelle de 9 milliards de TPE devrait doubler aux environs de 2050 ; le « pic » interviendrait à lřhorizon de 2030 et les prix du pétrole seront forcément liés à la proximité du pic de production. Le tableau qui suit synthétise parfaitement les consommations des différentes sources d'énergie, leurs réserves, leurs conséquences sur le climat et les tendances actuelles relatives à l'évolution des prix. Tableau 3: Evolution des énergies dans le monde Source : Économie et Politique 620-621 Mars Avril 2000 Tout le défi énergétique du 21ème siècle se situe à ce niveau. En effet, le scénario de l'AIE indique clairement que les mécanismes de marché (tels qu'ils ont été modélisés par cette institution peu suspecte de défiance à leur égard) ne fourniront pas d'incitations suffisamment fortes pour éviter lřimpasse énergétique planétaire. En effet, dans ce cas de figure, les prix pourraient atteindre, selon les prévisions, les 300 $ le baril. Manifestement, il faut définir des choix de politique énergétique, au plus vite, car 2030 est déjà là. Cette question interpelle les décideurs politiques malgré leur vision bornée par leur renouvellement à court terme, les scientifiques et les chercheurs de toutes les disciplines qui ensemble devront repenser lřintégralité du modèle énergétique depuis la production, la conversion et l'utilisation de l'énergie dans les modes de vie. Les réflexions en cours menées par les Instituts de Recherche et divers scientifiques gravitent autour de trois axes fondamentaux à partir desquels, il est souhaité que les pouvoirs publics élaborent des politiques volontaristes. Il sřagit du retour de la filière nucléaire comme axe central des politiques énergétiques avec la fabrication de nouvelles générations de réacteurs à haut rendement mais suffisamment 6 3 sûres pour être à lřabri du risque d'accidents grave, de type Tchernobyl. En effet, l'énergie nucléaire semble être la solution la plus robuste pour fournir de l'électricité aux populations urbaines, sans accroître les désordres climatiques. Il demeure que le développement du nucléaire relève davantage de la politique industrielle; du développement des énergies renouvelables qui ne couvrent actuellement que 10% des besoins mondiaux malgré les avancées technologiques assez significatives, particulièrement dans lřhydroélectricité ; de la promotion des biocarburants qui font des percées remarquables dans certains pays comme le Brésil. Il reste que, comme toutes les sources alternatives aux énergies fossiles, le nucléaire et les énergies renouvelables comportent des contraintes. Les Pays industrialisés notamment les États-Unis, lřEurope et le Japon ont engagé des investissements lourds dans des programmes de recherche pour maîtriser les nouvelles technologiques caractéristiques des énergies du futur. Certains pays émergents comme la Chine, lřInde et le Brésil mènent des politiques similaires de recherche de sources substitutives. LřAfrique risque, une fois encore, dřêtre laissée en rade alors quřelle pourrait selon le mot du Président Abdoulaye Wade « aspirer à être demain le fournisseur dřénergie propre du monde » Section 3 : Les États africains et le pétrole : handicap majeur au développement à la fois pour les producteurs et les déficitaires. Au regard de la flambée des prix du pétrole, il nřest guère superflu de sřinterroger sur les perdants et les gagnants du marché. Les producteurs africains sont au nombre de 12 dont les plus importants sont : le Nigéria avec 3,5% de la production mondiale et des revenus annuels moyens de 52 milliards de dollars, la Lybie avec 2,1% et 34 milliards, lřAlgérie avec 2,2% et 46 milliards, lřAngola avec 1,6% et 25 milliards, le Gabon et le Congo Brazza 0,3% et respectivement 4,70 milliards et 5,8. LřAfrique pétrolière ne perçoit pas moins de 200 milliards de dollars de recettes annuelles moyennes. Sans nul doute pour les pays déficitaires, il est connu quřils doivent faire face à un accroissement insoutenable de la facture pétrolière qui risque de compromettre leur processus de croissance et les pousse à rentrer dans un cycle infernal d'endettement international. Mais, parallèlement, les pays producteurs à leur tour connaissent bien souvent un certain nombre d'effets pervers connus sous l'expression de « syndrôme hollandais ». I/ Les pays africains pauvres et pauvres en pétrole étranglés par la flambée des prix pétroliers. En regardant la distribution de la consommation énergétique on observe des inégalités criantes dřaccès à cette ressource devenue indispensable à la vie économique et sociale. En moyenne, un Africain consomme 13 fois moins d'énergie qu'un Américain. Toutefois, dans ce domaine comme dans bien dřautres, on observe un énorme paradoxe africain : la production de pétrole du continent excède une centaine de fois les besoins de consommation. La traduction financière de ce paradoxe est dřun côté une accumulation importante de réserves financières pour les producteurs et de lřautre une asphyxie financière pour les non producteurs suite à un alourdissement de leur facture pétrolière. En lřabsence des plus gros producteurs africains (la Libye, lřAlgérie, le Nigéria, lřAngola, …) les producteurs moyens peuvent individuellement 6 4 ou collectivement satisfaire largement la demande sans grand préjudice pour leurs recettes dřexportation. En conséquence, il importe dřœuvrer au plus vite, à la résorption de cette fracture énergétique pour reprendre un concept cher au Président Wade. Ce réajustement énergétique est dřautant plus urgent que sur le Continent, trois phénomènes conjugués (lřurbanisation accélérée, lřindustrialisation et les réformes agraires) vont accroître de façon substantielle la demande énergétique. Ces facteurs vont peser lourdement sur lřaggravation de la facture pétrolière qui risque de compromettre sérieusement toutes les prévisions de développement et de croissance, particulièrement pour les Pays Africains Non Producteurs de Pétrole (PANPP) selon la dénomination du Président Abdoulaye Wade. Lřenvol des prix du baril de pétrole a complètement laminé leurs ressources financières qui devraient servir à financer le développement, et augmenter la taille de lřendettement. De fait, les annulations de la dette suite à la Conférence du G8 de Greeneagles nřauront plus que de faibles effets sur le développement social. Une nouvelle fois, les Objectifs du Millénaire pour le Développement seront encore compromis. Selon le Président A. WADE la facture pétrolière est absolument insoutenable pour les pays africains non producteurs38. À titre dřexemple souligne-t-il, «la facture pétrolière du Sénégal a plus que doublé entre 2002 et 2005 passant de 200 milliards de F CFA à 426 milliards de F CFA soit une surcharge cumulée de 320 milliards de FCFA. Dans le même temps, les subventions pétrolières qui se chiffraient à 23 milliards de FCFA en 2002 pourraient sřétablir à 117 milliards de F CFA en 2006.» Cette situation est le lot de la quasi-totalité des pays non producteurs comme le Burkina Faso, le Bénin, le Niger, La Guinée, le Mali, le Maroc et Madagascar. II/ Le pétrole une malédiction pour les pays producteurs africains: le « syndrome hollandais »39 Les pays bénéficiaires dřune rente économique dřorigine minière sont souvent victimes dřun phénomène connu sous le nom de « syndrome hollandais qui traduit les dysfonctionnements de lřéconomie qui la rendent incapables de bénéficier de cette rente. Les ressources financières provenant de la rente peuvent être à la base de cinq effets déséquilbrants sur lřensemble de lřéconomie : un effet sectoriel, un effet sur le taux de change, un effet demande, un effet sur le budget, et effet social. Le premier effet de la rente est le développement hypertrophié du secteur exportateur qui exerce un effet de polarisation sur les facteurs de production à cause des opportunités de profit et de salaires, sur son espace de localisation qui va se développer au détriment des autres territoires. Le second effet est relatif à la surévaluation de la monnaie nationale soit par la hausse des prix intérieurs si le taux de change est fixe, soit par la progression du taux de change nominal si le taux de change est flexible. Le troisième effet provient de lřaccroissement des revenus distribués de manière licite ou illicite, dans les deux cas, ces revenus entraineront des pressions inflationnistes et une augmentation des importations dont lřincidence sera immédiate sur la balance commerciale. Tout va se passer comme si lřextérieur donne Discours prononcé lors de lřouverture de la Conférence ministérielle pour la création de lřAssociation des Pays Non Producteurs de Pétrole (Dakar, 27 juillet 2006). 39 Le « syndrome hollandais » encore appelé Dutch disease est apparu avec les découvertes de gaz naturel de la région de Groningue dans les années 1970, elles s'étaient traduites par des déséquilibres macroéconomiques et une surévaluation dommageable de la monnaie nationale le florin. 38 6 5 dřune main des revenus additionnels pour les récupérer de lřautre. Le quatrième effet concerne le gonflement des recettes budgétaires qui vont désormais dépendre des fluctuations de la rente. Enfin le dernier effet est relatif au creusement des inégalités internes et surtout au développement de la corruption au niveau des acteurs liés directement ou indirectement à la valorisation de la rente. Ces effets conjugués créent des disfonctionnements macroéconomiques qui font, en définitive, de la rente un handicap à la croissance et au développement : tensions inflationnistes, appréciation du taux de change, modifications de la structure des prix relatifs en faveur du secteur abrité, creusement des déficits et paradoxalement détérioration du pouvoir dřachat avec éventuellement une persistance de la pauvreté. Manifestement ce « syndrome hollandais est bel et bien observable à lřéchelon des pays producteurs de pétrole. On y observe que la rente pétrolière quelque soit son niveau a desservi le développement économique en installant des mécanismes dřamplification des déficits des finances publiques et de corruption qui finissent par gangrener tous les équilibres macroéconomiques. En prenant le cas des Pays du Golf, ils sont devenus par lřampleur des revenus pétroliers de grandes puissances financières qui restent encore structurellement sous-développées. En 2003, ces revenus ont atteint 82 milliards de dollars en Arabie Saoudite, 27 en Iran, 25 aux Emirats, 22 au Nigeria, 19 au Venezuela et au Koweït, 13 en Libye (pays de 2 millions d'habitants). Il convient dřy ajouter les ressources financières tirées des exportations de gaz. Pourtant, aucun de ces pays nřa réussi un quelconque décollage économique. Le Nigeria est la meilleure illustration du faible impact de la manne pétrolière estimée sur 25 ans à plus de 300 milliards de dollars versés aux gouvernements successifs. Ils représentent le 1/3 du PIB et les 2/3 des recettes publiques, alors que le revenu par tête moyen est de 1 dollar par jour (contre 3 dollars en 1980) et nřont quřune incidence bien limitée sur le développement et la croissance. La situation nřest pas différente pour un pays comme l'Arabie saoudite avec une rente qui atteint une moyenne annuelle dřenviron 80 milliards de dollars soit 4 000 dollars per capita. En définitive, avec l'alternance rapide de phases de flambée des prix et de phases récessives, les « Etats pétroliers » sont parmi ceux qui ont connu le plus grand nombre de turbulences financières et de surendettement. Section4 : Résorption de la fracture énergétique et valorisation des potentialités par la coopération et l’intégration. Le monde est contraint de sortir de la période dřénergie abondante et bon marché ; dans ce contexte, la définition de politique énergétique vigoureuse devient une priorité particulièrement pour les PNPP qui doivent éviter que la facture pétrolière ne devienne insupportable au point de compromettre les faibles capacités de financement du développement ansi que les perspectives dřindustrialisation. Ces pays ont des avantages relatifs pour les énergies propres à savoir les énergies renouvelables, lřénergie hydroélectrique et les biocarburants. Dřabord, il est établi que les énergies renouvelables peuvent être dřun grand apport et doivent en conséquence être mises à forte contribution. Ce type dřénergie offre de bonnes performances à lřagriculture dans les pays où elle est fortement implantée (espace dřimplantation rural, centres urbains secondaires). Toutefois, pour certains secteurs comme lřindustrie ou les grandes mégalopoles, lřénergie solaire ne peut point répondre adéquatement à la demande du fait que sa production de masse appelle de grandes surfaces. La consommation de ce type dřénergie est encore 6 6 marginale sauf pour lřAfrique du Sud et le Maroc qui tirent de cette source environ 4% de leur consommation. Les autres pays en sont à moins de 2%. Ensuite, le potentiel de développement hydroélectrique est simplement abyssal. Le barrage dřInga peut développer une puissance permettant de couvrir la totalité des besoins énergétiques de lřensemble du continent africain comme lřavait déjà clairement démontré Cheikh Anta DIOP 40 . A cela viendrait sřajouter le potentiel inépuisable de la Guinée Conakry considérée comme le Château dřeau de lřAfrique de lřOuest, les capacités sous-exploitées du Barrage de CABORA BASSA, de MANANTALI dans le cadre de lřOMVS et dřAKOSSOMBO au Ghana. Dřailleurs, lřAfrique nřexploite que moins de 8% de son potentiel hydroélectrique nonobstant les crises latentes de la fourniture dřélectricité. La Banque mondiale porte dřénormes responsabilités dans la non réalisation de ces projets : elle sřest permanemment opposée aux projets de mise en valeur du potentiel hydroélectrique avec des arguments technicistes non seulement fallacieux mais qui manquaient de vision comme le désapprouvait déjà Kwamé NKRUMAH. Enfin, en matière de biocarburant les potentialités africaines sont énormes. En effet, la production de carburant à base de végétaux comme cela se fait par exemple au Brésil ou en Allemagne où de lřhuile pure de colza et dřautres oléagineux est très envisageable. Ce biocarburant est aujourdřhui utilisé dans le transport qui est grand consommateur dřénergie (de nombreux véhicules, voitures, camions, tracteurs agricoles...). Techniquement, lřutilisation du biocarburant ne nécessite que de légères modifications des moteurs et présente lřavantage dřêtre plus écologique et bien moins onéreux. En définitive, la question énergétique doit être replacée au cœur des dispositifs de coopération et dřintégration. Ce cadre devrait permettre une exploitation efficiente de toutes les potentialités pour répondre aux besoins des Etats quelle que soit leur dotation factorielle. Les expériences en cours doivent être approfondies et élargies comme par exemple le Pool Energétique dřAfrique Australe (SAPP) même si elle traverse quelques difficultés et celle dřAfrique de lřOuest (la West African Power Pool) de la CEDEAO. Lřindépendance énergétique du Continent passera par de tels mécanismes de coproduction et de solidarité. Les pouvoirs publics doivent déterminer les objectifs, le calendrier, les moyens octroyés pour atteindre les résultats escomptés et agir dans trois directions : lřencouragement de la recherche et de la formation des scientifiques, des ingénieurs et des techniciens la promotion des productions par des investissements, par des incitations financières intéressantes (suppression des droits de douane pour le matériel importé, facilités pour les entreprises, les administrations) la motivation des particuliers candidats à la consommation des énergies renouvelables. Cette politique énergétique nécessite des moyens financiers énormes qui peuvent provenir dřun Fonds dřInvestissement du Secteur de lřÉnergie. Elles peuvent aussi résulter de plusieurs autres sources comme par exemple 41: le prélèvement sur la rente des PAPP au profit des pays non producteurs (PANPP) ; financement par la Communauté internationale à partir des ressources rendues disponibles par les annulations de dettes au titre des C. Anta DIOP : Les fondements culturels dřun Etat Fédéral Africain Cette opinion est à la base du Wade formula qui propose un partage des excédents provenant des fluctuations des prix du pétrole. 40 41 6 7 Initiatives en faveur des Pays Pauvres et Très Endettés (PPTE) et dřAllègement de la Dette Multilatérale (IADM). Section 5 : Quelle solution pour les questions énergétiques? Les débats intenses sur le pétrole qui agitent aujourdřhui les milieux des décideurs politiques, les spécialistes du jeu pétrolier, les scientifiques, les chercheurs, les journalistes et les simples citoyens indiquent lřampleur et la gravité des problèmes que suscite la flambée actuelle des prix du pétrole. Tout le monde semble prendre conscience que les besoins énergétiques vont croître dans des proportions exponentielles, suite à l'expansion démographique, lřurbanisation accélérée et lřaccès au développement des pays du sud, alors même que lřoffre est déclinante. Il faut s'orienter dès maintenant sur une triple voie. Il faut tout d'abord engager une dynamique très forte d'économies d'énergie afin d'obtenir une meilleure efficacité énergétique des hydrocarbures. Ensuite, à très court terme, il faut développer l'emploi du gaz naturel pour suppléer le pétrole Ŕ mais pendant à peine vingt ans Ŕ et, surtout, s'engager dans la voie de subventions massives pour la recherche et le développement dans le domaine des énergies renouvelables et pour la construction des infrastructures nécessaires à un régime énergétique fondé sur l'hydrogène. Il ne faut surtout pas attendre la fin des énergies fossiles parce que la création de ces infrastructures prendra entre vingt cinq et cinquante ans. Nous pouvons espérer dans les prochaines décennies, une augmentation de la demande énergétique mondiale induite par la marche vers le développement des pays les moins avancés. Il serait inacceptable quřune pénurie dřénergie freine lřindispensable mouvement de résorption des inégalités de niveau de vie entre les peuples. Une alternative souvent proposée serait la réorientation profonde des Institutions Monétaires et Financières Internationales avec la création dřun Fonds Monétaire Mondial pour le développement de lřaccès à une énergie respectueuse de lřatmosphère. Ce Fonds viserait une création monétaire, sous la forme par exemple de droits de tirage spéciaux (DTS), en vue de la distribution de crédits à taux faibles, avec des critères dřallocation soutenant un développement prenant en compte les défis environnementaux. Les projets ne seraient plus jugés à lřaune de leur rentabilité financière mais en fonction de leur efficacité sociale et environnementale. Les Gouvernements africains ont souvent manqué de vision à court, moyen et long termes, le renchérissement du cours du pétrole était prévisible en raison de la demande de plus en plus forte, de lřinstabilité régnant dans certaines régions productrices et de catastrophes naturelles de plus en plus dévastatrices. Pour éviter le risque de voir leur économie ébranlée par lřascension inexorable des prix du pétrole, ils devraient sérieusement songer à réduire les importations et la dépendance quasitotale vis-à-vis de cette source dřénergie en cherchant et en développant les énergies substitutives. 6 8 Propos d’étape sur la partie introductive La mondialisation est devenue une réalité ultime, un phénomène incontournable qui retient lřattention des chercheurs, du public et des décideurs comme sřil sřagissait dřun phénomène nouveau. A la fois vaste, complexe, largement débattue, elle est souvent diabolisée au détriment dřanalyses robustes avec des statistiques crédibles. Incontestablement, notre époque connait un niveau historiquement élevé dřinterdépendance de la production, des échanges, des systèmes financiers et dřune révolution technologique sans précédent avec une extension géographique jamais égalée de l'économie de marché. Les firmes multinationales productrices et financières organisent à lřéchelle de la planète la première véritable division internationale du travail par relocalisation et délocalisation de leurs activités en fonction des dotations factorielles des pays. Cette mondialisation productive se double d'une globalisation financière totalement déconnectée dřune part de toutes les règles qui encadrent toute activité économique ou financière et dřautre part de la sphère productive. Organisé sur les mêmes principes de la mondialisation productive, le système financier caractérisé par les 3D, collecte et place les capitaux dans le monde entier, opère la circulation de lřépargne et des excédents financiers de tous ordres, spécule sur les titres, les taux de change et les taux dřintérêt et fait courir les pires risques à lřensemble de lřéconomie mondiale. La révolution des technologies de lřinformation et de la communication déclenche une explosion des activités réorganisées autour de lřintelligence et de la matière grise. Sur un très large éventail de secteurs, elle bouleverse les savoirs et les savoirs faire et déplace le centre de gravité de lřactivité productrice : économie de lřinnovation, du savoir et de lřintelligence artificielle. Toutes ces mutations conjuguées font exploser les échanges commerciaux qui tendent à faire de la planète un vaste marché unique où circulent librement les biens et services, les capitaux et les technologies. Cette nouvelle donne mondiale nřest pas en soi une calamité mais constitue, plutôt, sur bien des points des avancées progressistes qui ont une valeur positive. Lřinternationale est devenue « le genre humain » ce nřest plus une simple espérance mais une réalité. Bien sûr, les modèles économique, politique, social et culturel ainsi que les environnements institutionnels seront conséquemment modifiés. Quoi de plus normal puisque lřon connaît depuis longtemps que la base matérielle commande et détermine toutes les superstructures. Selon la théorie économique orthodoxe, tout le monde gagne au libre-échange issu de la mondialisation. Toutefois, bon nombre de pays et d'acteurs sociaux sont persuadés du contraire: sřil est vrai que jamais lřhumanité nřa produit autant de richesses et nřa disposé dřautant de techniques, également jamais elle nřa produit autant dřinégalités et de pauvreté traduisant ainsi un monde assez fortement asymétrique. Cela va creuser et consolider les dualités externes et internes aux sociétés, les irrégularités et les inégalités et approfondir les exclusions des acteurs les plus démunis et les fragiles : en lřoccurrence les PSD. La dissolution des filets traditionnels de protection sociale, les ruptures des solidarités familiales ainsi que la restructuration 6 9 des rapports sociaux (Mathieu, 1990 ; Vidal, 1992), inscrivent en toute urgence à lřordre du jour, la question sociale dans la mondialisation. Comment ces PSD peuvent-ils sřorganiser pour tirer le meilleur parti de ces avancées de lřhumanité tout en étant très vigilants sur les risques potentiels comme la crise pétrolière et financière qui constitue des menaces graves pour le système mondial ? En effet, que deviendra le monde si le pétrole manque avec un prix du baril aux environs de 200 ou 300 dollars ? Quřen sera-t-il si cette situation est doublée dřune inflation galopante ? Face aux différentes contraintes inhérentes au processus, quelles transformations socio-économiques doit opérer lřAfrique pour profiter du phénomène ? Ne doit-elle pas se démocratiser davantage, former ses acteurs, transformer ses structures et adopter sa culture ? La mondialisation impose de nouvelles tâches à lřEtat africain qui au lieu de sřaffaiblir devrait plutôt se renforcer pour être à même dřinsérer ses acteurs dans ce système. Préparer les acteurs et lřenvironnement à la compétition mondiale pour une insertion gagnante dans ce système suppose des stratégies claires et planifiées autour de quatre options /actions : • Le choix de son terrain • La connaissance de ses aptitudes Le choix de ses acteurs • Savoir les préparer. Quelles sont les réponses de la science économique qui est devenue une entreprise gigantesque par lřampleur de ses recherches et de ses publications ? 7 0 7 1 « Ce qu’on peut dire, c’est que la théorie est nécesssaire mais qu’en soi elle n’est pas suffisante. C’est comme une bonne voiture, elle peut vous conduire très rapidement au but que vous désirez si vous savez vous en servir, mais elle peut vous conduire au fossé si vous l’utilisez mal ». Maurice ALLAIS Lřobjet de cette partie est principalement dřétudier ce que nous enseigne la Pensée Économique en vue dřen tirer toutes les leçons en direction de lřélaboration dřune analyse rigoureuse du sous-développement et de la maîtrise des politiques et autres outils qui permettent de sortir de cet état. Que disent nos théories et que font les professionnels de lřéconomie face au développement et au sous-développement ? Les connaissances économiques nous rendentŔelles plus aptes à la compréhension et à lřaction dont la complémentarité est une nécessité absolue ? Au moment où lřÉconomie a complètement soumis les sociétés humaines, on décèle de graves impuissances pour les nations et les pays condamnés aux manques, à la pauvreté et à lřexclusion. Dans ce contexte, il semble normal, dřinterroger les différents courants de la Pensée Économique pour cerner les différentes propositions de théories économiques pouvant contribuer à lřexplication et à lřaction. La multiplicité des théories et les différentes controverses peuvent-elles permettre de mieux appréhender les différentes facettes du sous-développement et les moyens dřen sortir : accumulation productive, équilibre, options sectorielles, fonctions de la monnaie, place des relations économiques internationales ? En abordant ces questions, les chercheurs et les analystes du champ doivent prendre beaucoup de précautions, car dans les pays industrialisés dřEurope, le développement a précédé la Science Économique. En conséquence, celle-ci ne sřétait guère préoccupée de problèmes comme ceux qui, aujourdřhui se posent aux pays sousdéveloppés. Mais elle sřest plutôt intéressée par exemple aux questions dřéquilibre, cřest-à-dire à la recherche dřune utilisation cohérente et optimale des ressources. Cette constatation explique le flottement sémantique que lřon retrouve dans la littérature économique de lřépoque ; des mots comme « Expansion », « Croissance », « Développement », « Progrès » (en anglais Expansion, Growth, Développement, Progress) ont des significations diverses. Le concept le plus universel est celui de la croissance qui est devenue une exigence, toujours réitérée, des professionnels, des politiques et des populations. Maintenant la croissance est accouplée au mot «développement» et ils deviennent des exigences. Comment la pensée économique a-t-elle abordé ces questions dans les diverses formulations des auteurs ? Quelles leçons peut-on tirer des très anciens débats des économistes ? Quels choix dřaction découlent des controverses doctrinales, des grandes polémiques des différentes Écoles de pensée passées et contemporaines ? Cette partie comprendra six chapitres dont les cinq sont relatifs chacun à un courant de pensée pour en rappeler les acquis analytiques : lřanalyse classique, lřanalyse marxiste, les formulations keynésiennes et post Ŕ keynésiennes, lřapproche néo-classique et les analyses contemporaines, comme les théories des institutions et de la régulation qui marquent une délimitation entre les économistes institutionnalistes et les gardiens de lřorthodoxie néo-classique. Le sixième chapitre traite des »heurs et lueurs de la croissance économique. 7 2 Au début des années 80, on divisait les économistes en quatre grandes familles : les classiques, les keynésiens, les marxistes et les néoclassiques : les classiques du XIXème siècle sont les tenants du libre-échange et voient dans le marché à la fois le meilleur moyen de répartir les produits. Ces idées forces font toute lřactualité de cette École ; Marx et les néo-marxistes ont introduit une critique beaucoup plus radicale du capitalisme et montré que les crises, les inégalités, la paupérisation, le chômage caractérisent ce système et révèlent sa nature profonde. Pour J.M.Keynes et les siens, le marché nřest pas ce modèle dřéquilibre spontané et harmonieux que décrivent les classiques. Les keynésiens pensent en termes macroéconomiques et admettent que le marché livré à luimême peut générer des situations de chômage chronique ou des crises. Enfin, ils pensent que lřÉtat doit intervenir dans la régulation du circuit économique. Cependant, face aux failles théoriques mises à jour et à lřépuisement des politiques keynésiennes, ils ont dû se renouveler. Les néokeynésiens ont intégré de nombreux aspects de lřanalyse néo-classique (importance de lřoffre, des anticipations rationnelles). Ils accordent à lřÉtat un rôle nouveau : sa fonction nřest plus dřintervenir pour stimuler lřactivité mais plutôt pour créer un environnement favorable à la croissance (par la création dřinfrastructures, dřaides à la formation, à lřinnovation). Les néo-classiques vont inventer une nouvelle façon dřapprocher lřéconomie à partir du modèle dřéquilibre général du marché de L. WALRAS. Les soubassements théoriques ne changent point : les agents économiques sont rationnels, ils cherchent à optimiser leurs gains. En revanche, le cadre dřapplication de la théorie sřest beaucoup étendu. Les néoclassiques ne raisonnent plus vraiment à partir du seul cadre du marché « pur et parfait » supposé équilibré. Ils ont construit une infinité de modèles possibles : situations de monopole, concurrence imparfaite, coûts de transaction. Ils reconnaissent également que les divers agents économiques (consommateurs ou producteurs) ne sont pas toujours bien informés (économie de lřinformation) quřils agissent dans un environnement incertain (théorie des jeux), que différents comportements de la firme dépendent de son organisation À ces courants traditionnels vient sřajouter lřÉcole « structuraliste et institutionnaliste » parfois appelée École « développementaliste » à partir de lřaffirmation de la spécificité du sous-développement caractérisé par la dépendance, la dégradation des termes de lřéchange et le dualisme. Aujourdřhui, la pensée économique sřest enrichie et élargie, de nouveaux courants sont apparus. Lřabondante littérature permet de répertorier cinq grandes écoles de pensée : la théorie standard étendue, les détracteurs de la pensée unique (avec ses multiples subdivisions), les nouveaux théoriciens de lřéconomie solidaire, les héritiers de KEYNES et les diverses variantes du libéralisme. Dřautres classifications plus simplistes distinguent les orthodoxes et les hétérodoxes. Les théories économiques du développement se rattachent à une ou plusieurs de ces familles qui fournissent lřessentiel des idées fondamentales qui servent à interpréter et à reconstruire les complexes réalités du sous-développement. Egalement, ces Écoles offrent les éléments dřexplication et produisent les différents instruments dřaction et de gestion des politiques économiques des États et des grandes officines internationales du développement. 7 3 Encadré 4 : L’Objet de l’Économie La pensée économique a toujours distingué deux questions : la création de richesse Ŕ son origine, sa nature, les causes de son accroissement Ŕ et la répartition de cette richesse entre les hommes. Chaque école de pensée les a traitées et articulées différemment. Adam SMITH ne traite vraiment que de la première, dans son Enquête sur la nature et les causes de la richesse des nations, le texte fondateur de l'économie politique. David RICARDO présente ainsi son programme de recherche dans une lettre de 1820 à MALTHUS : « L'économie politique est selon vous une enquête sur la nature et les causes de la richesse. J'estime au contraire qu'elle doit être définie comme une enquête au sujet de la répartition du produit de l'industrie (1), entre les classes qui concourent à sa formation. On ne peut rapporter à aucune loi la quantité de richesses produites mais on peut en imaginer une assez satisfaisante à leur répartition. De jour en jour, je suis plus convaincu que la première étude est vaine et décevante et que la seconde constitue l'objet propre de la science ». Karl MARX Fait dériver à la fois la croissance de la richesse et sa répartition de « lois tendancielles » du mode de production capitaliste. Quant aux NEOCLASSIQUES, ils considèrent que la seule question scientifique est celle de l'efficacité de l'allocation de ressources rares, donc de la croissance. Dans leurs modèles de base, la question de la répartition est en partie subordonnée aux lois de l'efficacité et, pour le reste, exogène. La rémunération de chaque facteur de production, travail, capital, terre, est rigoureusement déterminée par les lois de l'efficacité, mais les droits de propriété sur ces facteurs, qui déterminent la part qui revient finalement à chacun, sont des données exogènes à l'analyse. Pierre-Noël GIRAUD : Pourquoi privilégier la question de l'inégalité, Problèmes politiques et sociaux n° 834, 11 février 2000 pp. 9-12 CHAPITRE 4 L’ÈCOLE CLASSIQUE : PRÉCURSEURS DU MODÈLE LIBÉRAL ET THÉORICIENS DE LA RICHESSE DES NATIONS, DES MARCHÉS LIBRES ET DE LA SPÉCIALISATION INTERNATIONALE. Il est impossible, avertit Jacques FREYSSINET, de collecter tout ce qui, dans la littérature classique a trait aux pays sous-développés ; il serait peu honnête dřattribuer à leurs auteurs des idées trop précises à partir de textes qui ne sont souvent que des incidentes dans leurs développements généraux. Pour comprendre lřapport des classiques à la formation de la Science Économique, il faut se situer au double point de vue des faits économiques et de la pensée sociale en général. Pour les faits économiques, lřépoque des auteurs classiques se caractérise par le développement du capitalisme industriel avec des fortes incidences sur lřagriculture. Selon Mouhamed DOWIDAR, «au cours de cette phase, lřexpansion industrielle atteint un point qualitatif qui se reflète dans la révolution industrielle grâce à laquelle sřindustrialise lřéconomie nationale. La base industrielle qui se présente 7 4 dans les industries des biens de production sřédifie comme base non seulement pour lřactivité agricole mais pour lřensemble de lřéconomie nationale». Au point de vue de la pensée sociale, les traits caractéristiques se situent dřabord, dans le triomphe de la vision scientifique des choses qui remplace, sous lřinfluence des changements économiques, la vision théologique, ensuite dans la formation des sciences sociales et surtout de la théorie politique et économique et enfin, dans la destruction de la base intellectuelle et morale de lřimage de la société ancienne. Dans ce contexte, les auteurs classiques vont mettre de lřordre surtout dans la science économique. Lřobjet de cette science se rapporte aux phénomènes de la production, de lřéchange, de la répartition du produit social. Au niveau de la production, il faut chercher la richesse des nations pour mettre en place les conditions de son expansion ; dřoù lřétude du rôle du travail, de la division du travail et de son effet sur la productivité, du rôle du capital et de la propriété foncière. De la valeur, on étudie les phénomènes de prix et la répartition du produit social. Dans la ligne de lřétude viennent les phénomènes monétaires et les échanges avec lřextérieur. Telle est la vision quřont les classiques des phénomènes économiques quant à leur nature et leur délimitation. Le cadre analytique retenu pour lřétude des questions économiques se fonde sur une société composée de trois classes sociales définies selon leur place dans le procès de production (la classe capitaliste, les propriétaires fonciers et la classe ouvrière) où lřactivité économique est orientée vers le marché et effectuée par des individus du type «homo economicus» et où domine la concurrence interne entre agents économiques. Les classiques étaient donc au plan des faits économiques comme à celui méthodologique, mal placés et mal préparés pour élaborer une analyse spécifique du sous-développement. Cřest dans quelques évaluations ponctuelles que certains auteurs envisagent des situations de sous-développement, cřest-à-dire des situations qui échappent à lřordre naturel. Dans la Richesse des Nations, A. SMITH indique que certaines régions sont placées en dehors du mouvement historique, du progrès économique. Il explique cela par le fait que ces régions sont éloignées des mers. Lřétroitesse de leur marché ne leur permet pas de bénéficier des avantages de la division interne et externe du travail. Après SMITH, Stuart MILL a analysé les différences des situations économiques des nations. Il note dans ce sens que «la situation économique de la plupart des pays dřAsie reste ce quřelle a été depuis les origines de lřhistoire connue, et reste telle toutes les fois quřelle nřest pas perturbée par des influences étrangères». Cependant, lřauteur ne tente pas une explication économique de cette stagnation séculaire. Pour lui, cela sřexplique par des raisons socio-politiques comme lřabsence dřune structure administrative. Nřayant pas une approche claire du sous-développement, les classiques peuvent-ils présenter des théories cohérentes de développement ? Section 1 : Les analyses du développement et de la croissance chez les classiques Les classiques conçoivent le développement comme un phénomène naturel et spontané dans une économie libre. En effet, les théories élaborées par A. SMITH, RICARDO, S. MILL se réfèrent à un ordre naturel dřoù est censé partir le progrès économique. Cet ordre naturel est à la fois immanent, spontané et bienfaisant. Sa 7 5 réalisation nécessite trois conditions : la liberté politique (pour assurer la sécurité de la propriété), la liberté économique (non intervention systématique de lřÉtat) et la concurrence. Il faut alors analyser les axes de la théorie du développement et lřétat stationnaire conçu comme lřétape ultime du progrès économique. I/ Problématique du développement l’accumulation productive. ramenée à La formulation de départ est celle de SMITH pour qui la spécialisation et la division du travail sont les éléments essentiels de la Richesse des Nations. Ils opèrent dans un cadre institutionnel où domine la propriété privée des instruments de production. Dans ce cadre, le développement économique et social doit aboutir à une augmentation quantitative et qualitative des facteurs de production, à une offre adéquate de la main dřœuvre, des ressources nationales disponibles et à un volume appréciable de capital. Cřest ce dernier élément qui est décisif, car comme lřaffirme S. MILL, «cřest lui qui peut limiter le développement industriel et agricole dřun pays». Or, son expansion obéit à la loi de lřaccumulation. Tous les classiques sřaccordent sur la problématique centrale selon laquelle le volume du capital est fonction des perspectives de profit et du comportement de lřintérêt qui module à la fois la demande dřinvestissement et lřoffre dřépargne qui est une renonciation à une dépense de consommation improductive. La croissance sera une fonction de lřaccroissement du capital, lui-même est fonction de lřaccroissement de lřépargne. David RICARDO est encore plus systématique que SMITH dans lřanalyse du processus de développement à long terme. Il a voulu comprendre la nature de la richesse des nations et les lois qui gouvernent la distribution des marchandises. Il établit que la détermination dřune théorie cohérente de la répartition est un préalable majeur à la compréhension de tout mécanisme de développement dřun système économique. Cřest à partir des lois qui gouvernent les parts distribuées quřil construit son modèle macroéconomique de développement. Le moteur de la croissance est le profit. Cependant, observe-t-il, la masse et le taux du profit dépendent eux-mêmes de la confrontation avec la masse et le taux de salaire avec lesquels ils entrent en concurrence pour le partage du revenu national. Le mouvement du salaire nominal est commandé pour lřessentiel par les prix des aliments, lesquels dépendent de la rente foncière. La hausse du salaire nominal (par la loi de la population) bloquera la croissance du profit donc celle de lřinvestissement et de lřéconomie toute entière. On retiendra que chez D. RICARDO, le postulat des rendements décroissants dans lřagriculture est à la base de la théorie de la baisse du taux de profit et de la relation particulière salaire-profit. Le caractère fixe de lřoffre de terre et par conséquent les difficultés rencontrées pour satisfaire la demande de subsistance des travailleurs additionnels dont le capital accru exige lřutilisation. Cette thèse sera présente dans beaucoup de formulations actuelles dřéconomie et de politique de développement. Autrement dit, les surplus qui se forment sont utilisés à lřachat de produits vivriers par suite de lřinefficience des politiques agraires. Au total, D. RICARDO établit, contrairement à S. MILL, que si lřaccumulation du capital sřaccompagne dřun degré dřintensité capitalistique croissante, le salaire réel stagne autour du niveau de subsistance, et le sentier de croissance de lřéconomie sera perturbé par des déviations occasionnelles dues au plein-emploi. 7 6 En définitive, lřaccumulation est la base du développement économique. Il importe, dans une politique, de chercher à élever le fonds dřaccumulation au détriment de la consommation improductive. Cette conclusion est très actuelle et se retrouve dans les théories contemporaines du développement. Cřest la fameuse option «affamer pour développer». Cependant pour les classiques, lřexpansion nřest pas éternelle, sa limite est lřétat stationnaire. II/ La question de l’état stationnaire : les risques de crise et de stagnation. LřÉtat stationnaire a occupé une place importante dans la conception des auteurs classiques. Il procède dřune élévation du salaire nominal et de la rente résultant dřune augmentation de la production. Cette élévation bloque la croissance du profit donc de lřinvestissement et de lřéconomie toute entière. On parvient ainsi à lřétat stationnaire à lřissue duquel aucun progrès important ne sera plus possible. Cette hantise de lřÉtat stationnaire a dominé la théorie économique pendant une bonne partie du XIXe siècle. Il faut dire que cette phase ne correspond pas à une anticipation correcte de lřévolution du capitalisme. Même si ces dernières années il y a eu de nouvelles théories de lřÉtat stationnaire. Celui-ci est intégré dans un modèle théorique dřabsence de croissance (Alvin HANSEN, Club de ROME). Ces deux aspects établissent toute lřactualité de lřanalyse du développement chez les classiques qui, bien que nřayant pas eu une présentation du sousdéveloppement, ont fourni des éléments (accumulation du capital, profit et salaire, évolution démographique) qui peuvent constituer un point de départ pour les théories du développement. Section 2 : A. SMITH fondateur de l’Économie politique et père spirituel du libéralisme contemporain. Le modèle dřAdam SMITH remonte à 1776 et porte sur la richesse des Nations. Pourquoi commencer si tôt ? Les anciennes idées, les premiers modèles, sont plus simples, plus faciles à comprendre, que ceux qui les ont suivis. I/ Sur quoi repose la richesse d’une nation ? Un facteur causal : le degré de la division du travail Un facteur permissif : le sol, le climat, les ressources naturelles Un autre facteur : les lois, les coutumes et traditions les attitudes et habitudes 1°) les Avantages de la division du travail La division dřun travail en un grand nombre de tâches plus simples, et lřaffectation dřune tâche simple, au lieu du travail complet, à un ouvrier, augmente la productivité. Ceci est bien illustré par le fameux passage dřAdam Smith concernant une fabrique dřépingles. On se fera plus aisément une idée des effets de la division du 7 7 travail sur lřindustrie générale de la société, si lřon observe comment ces effets opèrent dans quelques manufactures particulières. Prenons un exemple dans une manufacture de la plus petite importance, mais où la division du travail sřest fait souvent remarquer : une manufacture dřépingles. 2°) Le processus d’auto-renforcement de la croissance économique Dans lřanalyse dřA. SMITH, la croissance de la Nation peut être renforcée par quatre facteurs agissant seuls ou ensemble qui sont : Une spécialisation approfondie rendue possible par un élargissement du marché provenant Un accroissement de la densité de la population, qui sřagglomère en des villes. Smith cite le cas dřun menuisier de campagne, qui est obligé, pour gagner sa vie, de faire tout ce qui se rapporte de loin ou de près au travail de bois, et qui perd par ailleurs une grande partie de son temps à des déplacements entre les domiciles de ses clients. Un menuisier de la ville peut au contraire se spécialiser, il ne fabriquera que des meubles (par exemple), puisquřil a suffisamment de clients. Une réduction des coûts de transport à lřintérieure du pays, provenant par exemple de la construction de canaux de navigation ou (après la mort de Smith) de la construction de chemins de fer. Cela rend possible les ventes à un plus grand nombre de clients sans payer de frais de transports prohibitifs. Un accroissement du commerce international. Cet accroissement peut être dû à : de nouvelles découvertes géographiques, la signature dřun traité de paix entre deux nations qui étaient en guerre et à la réduction de coûts des moyens de transports (notamment lřinvention du bateau à vapeur après la mort de Smith). Lřaccroissement de la division du travail qui suit lřélargissement du marché augmente la productivité des travailleurs et partant, diminue les coûts de production. Par ailleurs, la réduction de coûts de production implique une augmentation des profits, qui sont réinvestis dans de plus grandes fabriques avec plus de machines spécialisées, permettant une division encore accrue, etc. À long terme, lřaccroissement de lřemploi dans ces fabriques agrandies augmente la masse des salaires, qui permet une augmentation de la population, qui cause un accroissement de la densité de la population, qui élargit le marché, etc. Encadré 5 : De la nature et des causes de la richesse des nations (1776) «Ainsi, en écartant entièrement tous ces systèmes ou de préférence ou d'entraves, le système simple et facile de la liberté naturelle vient se présenter de luimême et se trouve tout établi. Tout homme, tant qu'il n'enfreint pas les lois de la justice, demeure en pleine liberté de suivre la route que lui montre son intérêt, et de porter où il lui plaît son industrie et son capital, concurremment avec ceux de tout autre homme ou de toute autre classe d'hommes. Le souverain se trouve entièrement débarrassé d'une charge qu'il ne pourrait essayer de remplir sans s'exposer infailliblement à se voir sans cesse trompé de mille manières, et pour l'accomplissement convenable de laquelle il n'y a aucune sagesse humaine ni connaissances qui puissent suffire la charge d'être le surintendant de l'industrie des particuliers et de la diriger vers les emplois les mieux assortis à l'intérêt général de la société. Dans le système de la liberté naturelle, le 7 8 souverain n'a que trois devoirs à remplir; trois devoirs, à la vérité, d'une haute importance, mais clairs, simples et à la portée d'une intelligence ordinaire. Le premier, c'est le devoir de défendre la société de tout acte de violence ou d'invasion de la part des autres sociétés indépendantes. Le second, c'est le devoir de protéger, autant qu'il est possible, chaque membre de la société contre l'injustice ou l'oppression de tout autre membre, ou bien le devoir d'établir une administration exacte de la justice. Et le troisième, c'est le devoir d'ériger et d'entretenir certains ouvrages publics et certaines institutions que l'intérêt privé d'un particulier ou de quelques particuliers ne pourrait jamais les porter à ériger ou à entretenir, parce que jamais le profit n'en rembourserait la dépense à un particulier ou à quelques particuliers, quoiqu'a l'égard d'une grande société ce profit fasse beaucoup plus que rembourser les dépenses.» Adam SMITH : Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations, livre IV, éd. 1843, traduction de 1843 du comte Garnier, reprise par Osnabruck, Zeller, 1966 II/ Le rôle primordial du marché libre Il y a un libre mouvement des produits, des travailleurs, du capital, de la propriété des terres. Spécifiquement, les prix des produits ne sont pas contrôlés par le gouvernement, les gens peuvent changer de métier sans restriction, on peut investir des fonds dans nřimporte quel secteur économique sans avoir besoin dřobtenir des permissions spéciales ou des licences (en contraste, par exemple, au système médiéval de corporations), le terrain peut sřacheter et se vendre. 1°) Un premier avantage du marché libre : à court terme, l’offre d’un produit par ses fournisseurs est mise en égalité avec la demande pour le produit par les clients, à cause du jeu des prix. Soit une plage avec un marché de poissons, supposons que les pêcheurs reviennent un jour avec une maigre récolte. Le prix du poisson augmentera, diminuant la quantité de poisson que veulent acheter les ménagères. À un certain prix, il y aura juste suffisamment de clients pour faire écouler les poissons. Supposons que le lendemain, les pêcheurs débarquent avec une grande quantité de poissons. Ils sont obligés de vendre le poisson avant quřil ne pourrisse. Ils feront diminuer le prix ; les ménagères achèteront plus de ce poisson si bon marché. À un certain prix, il y aura suffisamment dřachats pour vendre tous les poissons. Ce phénomène, répété dans tous les secteurs de lřéconomie, assure que toute la production commercialisée est vendue, et que le peuple est fourni de tout ce quřil veut, dans la limite de ses moyens financiers. Cet avantage du marché libre dépend de lřabsence de restrictions sur les prix, autrement dit la liberté des prix. 2°) Un deuxième avantage du marché libre : à long terme, le prix est égal au coût de production. Comme on vient de le voir, au court terme, de jour en jour, le prix du poisson subit des fluctuations. Mais supposons quřà long terme, en moyenne, les pêcheurs gagnent beaucoup. De plus en plus de jeunes gens deviendront des pêcheurs. 7 9 Lřaugmentation du nombre de pêcheurs augmentera le produit total de la pêche, ce qui entraînera plus de concurrence et une diminution des prix. Par contre, supposons quřen moyenne, après soustraction de ses frais pour lřessence, etc., un pêcheur gagne moins quřil ne pourrait avoir dans un autre métier. Dans ces conditions, les pêcheurs abandonneraient leurs bateaux pour dřautres métiers, réduisant le produit total de la pêche et augmentant les prix. Le nombre de pêcheurs se stabilisera quand le prix moyen de poisson leur permettra de retirer un revenu (après dépenses) égal au revenu quřils auraient gagné en suivant un autre métier. Ce revenu minimal pour que les pêcheurs nřabandonnent pas leur métier peut être considéré comme un «pseudosalaire» que le maître pêcheur se paye lui-même. En conclusion, en faisant abstraction des fluctuations éphémères, le prix moyen à long terme sera égal au coût de production, si on considère le «pseudosalaire» comme une partie des coûts. Ce deuxième avantage du marché libre dépend de la liberté de lřemploi. 3°) Le cas spécial de l’offre du travail. Lřoffre du travail dépend finalement du nombre dřouvriers. Mais quel est le «coût de production» dřun ouvrier ? Supposons que le salaire est à peine suffisant pour nourrir lřouvrier et sa famille. De temps en temps, il y a des famines et des épidémies. La population ne sřaccroît pas sous ces conditions. Par contre, supposons quřà cause dřune insuffisance dřouvriers, les employeurs rivalisent pour obtenir la main-dřœuvre ; pour attirer du personnel, ils payent un salaire supérieur au minimum de subsistance. Alors, les enfants des ouvriers, bien nourris, survivent en plus grand nombre, provoquant une augmentation de la population ouvrière. 4°) Les limites du marché libre Les avantages du marché libre (à court terme, le peuple est fourni en toute chose tout ce quřil veut et peut payer, et que, à long terme, le prix moyen nřest pas audessus du coût de production) impliquent que la meilleure politique est une politique de «laisser-faire». En effet, la Richesse des nations est une polémique contre le dirigisme de lřÉtat. Cela dit, Smith reconnaît certaines limites au marché libre, au «laisser-faire». L’État doit lutter contre le monopole Il est tout naturel, dit Smith, que les marchands dřune place essayent de se mettre dřaccord pour augmenter les prix, quitte à réduire la quantité vendue. Le gouvernement doit prendre des mesures contre de telles actions. L’État doit réaliser les dépenses sociales : voirie, défense, éducation, qui sont génératrices d’externalités positives Une autre limitation du marché libre, que Smith ne mentionne quřen passant, mais qui est vraiment dřune importance cruciale : lřaction du marché libre peut laisser inchangé, ou même aggraver lřinégalité de la répartition des revenus. En effet, ceux qui ne peuvent pas payer ne déterminent pas ce qui sera produit. Par exemple, si des gens sans argent veulent du pain, et des gens riches veulent des carrosses, ce sont ces derniers qui seront produits. 5°) Les perspectives à long terme 8 0 Pendant une très longue période qui pourrait sřétaler sur des siècles, le taux de croissance de la productivité peut excéder le taux de croissance de la population, impliquant un accroissement à long terme du revenu par habitant. Finalement, une très forte densité de la population (SMITH cite le cas de la Chine) peut mettre fin à la croissance, en raison de la pénurie de terre cultivable par tête. Section 3 : D.RICARDO : « la grosse tête » de l’École Classique, la référence de la théorie de la rente et du commerce international. MARX dira de D. RICARDO quřil est le plus rigoureux et le plus complet de lřÉcole Classique anglaise. Sommité de lřEconomie politique, il publie en 1817 la première édition des principes de lřéconomie politique et des impôts. RICARDO écrivait en un temps où la Grande Bretagne avait subi une augmentation vertigineuse du prix des grains, provoquée par de mauvaises conditions météorologiques et par une série de guerres (1790-1815). La situation était aggravée par des taxes très fortes sur les céréales importées (les infâmes «Corn Laws», dont lřun des articles stipulait que les taxes douanières devaient être dřautant plus lourdes que le prix des céréales importées était peu élevé). Ces lois avaient été votées par un Parlement élu selon un système de franchise médiéval, où les grands propriétaires fonciers disposaient de la majorité des voix. Ceux-ci, évidemment, tiraient des gros bénéfices du gonflement des prix de leurs récoltes. Deux des formulations théoriques peuvent être retenues car elles constituent encore des références : la théorie de la rente et celle de la spécialisation dans le cadre des relations économiques internationales. I/ La Théorie de la rente Selon Ricardo, la rente est le revenu dû au fait que les coûts de production sont divers pour le même produit. Chaque producteur reçoit une différence entre le prix de vente qui est le même pour tous et son coût de production qui nřest pas identique aux autres. Dans son analyse de la rente différentielle, D. Ricardo distingue plusieurs catégories de terre : la première : bonne, où les coûts de production sont faibles pour une certaine quantité ; la deuxième : moins bonne, avec des coûts de production plus élevés pour une certaine quantité ; la troisième : encore moins bonne, avec des coûts de production encore plus élevés. 8 1 Avec beaucoup de catégories de terre (p.ex. 2000), la ligne brisée du coût de production devient une courbe régulière. Si le propriétaire ne gagne pas un certain minimum, il abandonnera ses champs pour travailler comme « ouvrier » (main-dřœuvre) sur la terre des autres. Ce minimum pour que le propriétaire nřabandonne pas la culture de sa terre est inclus dans les coûts de production (il sřagit dřun «pseudo-salaire» comme celui des pêcheurs discuté plus haut). Si maintenant le prix est fixé à 42 Fcfa/kg par une demande de 35 kg sur le marché libre (premier graphique), ou par un décret du gouvernement, alors le troisième producteur reçoit juste assez de revenu pour ne pas abandonner ses terres. Mais le premier producteur a des coûts de 12 FCFA/kg, y compris le minimum de revenu pour quřil continue à cultiver, reçoit également 42 FCFA/kg. Le surplus de (4212) = 30 Fcfa/kg est appelé rente. La rente se calcule individuellement. Dans notre exemple, la rente du premier propriétaire est égale à (42-12) Fcfa/kg x 10 kg = 300 Fcfa : la rente du deuxième propriétaire est égale à (4224) Fcfa/kg x 15 kg = 270 Fcfa ; la rente du troisième propriétaire est égale à 0. Il faut toutefois, noter que le concept de la rente utilisé par un économiste est indépendant de lřacte de louer la terre, et nřa rien à voir avec la «rente viagère». Le même raisonnement peut sřappliquer en dehors du secteur agricole. Par exemple, si lřindustrie sidérurgique dřun pays comprend plusieurs entreprises produisant lřacier avec divers coûts de production, les entreprises les plus efficaces reçoivent une rente. Dřailleurs les recherches économiques ont réactualisé la théorie de la rente dans lřétude de phénomène comme la corruption. Selon les théoriciens de lřEcole du Public Choice (BUCHANAN, TULLOCK, TOLLISON), la demande de corruption est le fait des chasseurs de rente. II/ Les perspectives à long terme. 8 2 Le niveau du salaire réel perçu par ouvrier reste constant à cause du mécanisme démographique décrit ci-dessus. Lřouvrier est payé à peine plus quřil faut pour survivre et reproduire sa famille. Le «salaire réel» est le pouvoir dřachat du salaire nominal (le salaire en argent). Quand le prix de la nourriture augmente, les entrepreneurs sont obligés dřaugmenter le salaire nominal pour que leurs ouvriers ne meurent pas de faim. Le pouvoir dřachat du salaire demeure constant. Les profits gagnés par les entrepreneurs commencent par sřaccroître mais ensuite sont graduellement réduits à zéro. Les entrepreneurs réinvestissent leurs profits dans des fabriques plus importantes. La multiplication du nombre de fabriques, et lřaccroissement de la productivité dans chaque fabrique qui fait suite à une division du travail plus poussée, augmentent dans un premier temps la masse totale de profits qui reviennent aux entrepreneurs. Mais lřaccroissement de la population rendu possible par lřaccroissement de lřemploi dans les nouvelles fabriques implique une demande accrue pour les produits alimentaires. Puisque le nombre dřentrepreneurs plus le nombre de propriétaires fonciers est négligeable par rapport au nombre dřouvriers, la population et son taux dřaccroissement, sont essentiellement égaux au nombre dřouvriers et leur taux dřaccroissement. La production dřune plus grande masse dřaliments ne se fait quřà un prix de vente plus élevé. Les entrepreneurs sont forcés de payer un salaire nominal plus grand à leurs ouvriers pour que ceux-ci puissent continuer à acheter leurs moyens de subsistance, réduisant ainsi ce qui reste aux entrepreneurs comme profit. Finalement, la hausse du prix des salaires étrangle les profits, mettant fin à lřinvestissement, lřaccroissement de lřindustrie, lřaccroissement du nombre de positions salariées, lřaccroissement de la population, lřaccroissement du prix des produits alimentaires, lřaccroissement des rentes. Encadré 6 : Réactualisation de la théorie de la recherche de rente. Les systèmes administratifs de nombreux pays en développement se caractérisent par diverses formes de clientélisme, de népotisme ou de corruption. Lřintervention de lřÉtat offre, de par les emplois et les législations, des possibilités de rente. Les individus et les groupes de pression seront incités à investir des ressources pour rechercher des rentes et obtenir des privilèges au lieu de rechercher à accroître la production. Les responsables politiques offriront des rentes en échange de rémunérations monétaires et/ou de soutien politique. Cette recherche de rente entraîne un gaspillage de ressources et un facteur de violence politique pour sřapproprier des rentes. III/ RICARDO découvre le commerce international et formule la loi de l’avantage comparatif. Avec la «loi de lřavantage comparatif», RICARDO veut prouver que deux pays peuvent chacun tirer avantage du commerce entre eux, même si un des pays peut fabriquer avec plus dřeffectivité tous les produits qui sont traités entre les deux. Cette loi est à la fois très importante et fondée sur une analyse subtile. De ce fait, la théorie ricardienne mérite et exige une longue explication. Pour faciliter la démarche (quitte à la prolonger), nous allons commencer par lřanalyse dřun cas plus évident que celui envisagé par Ricardo : les conditions «dřavantage absolu». 1°) Le commerce sous des conditions d’avantage absolu 8 3 Considérons deux pays, que lřon peut appeler «Sénégal» et «France» ; dans chaque pays il nřy a que deux produits, que lřon peut appeler «lait» et «arachides». Supposons quřau Sénégal, chaque personne, si elle consacre lřintégralité de son temps à lřélevage ou à cultiver son champ dřarachide, puisse produire respectivement 1 litre de lait ou 3 kg dřarachides (par jour, en moyenne pendant lřannée). Ainsi si la moitié de la population est composée dřéleveurs à plein temps et si lřautre moitié est constituée dřagriculteurs à plein temps, alors la production moyenne par personne par jour sera 0,5 litre de lait plus 1,5 kg dřarachides. Sur le graphique 1, la quantité de lait est mesurée sur lřaxe vertical et la quantité dřarachides est mesurée sur lřaxe horizontal. Le point (a) représente la production moyenne si tout le monde ne produit que du lait ; le point (c) représente la production moyenne si tout le temps est affecté à la production dřarachides, et le point (b), avec les coordonnées (0,5 lait, 1,5 arachides) représente la production moyenne si le temps de travail de la population est réparti également entre lřélevage et lřagriculture. Toutes les combinaisons de production possible par habitant pour la population sénégalaise tombent sur la ligne «Possibilité de production» du graphique (2). En lřabsence du commerce international, les possibilités de consommation ouvertes aux sénégalais sont égales aux possibilités de production puisque tout ce qui est consommé au pays doit avoir été produit au pays. Toujours en lřabsence du commerce international, on peut prouver quřau Sénégal, le prix dřun litre de lait sera égal au prix de trois kilogrammes dřarachides. Supposons maintenant quřen France, où les conditions climatiques sont différentes au Sénégal, chaque personne puisse produire 2 litres de lait ou 1 kg dřarachides. Les possibilités de production de la France sont montrées dans le graphique (3). En lřabsence du commerce international, le prix en France de 2 litres de lait est égal au prix dřun kg dřarachides. On remarque que le premier fermier français peut produire plus de lait par jour que son confrère sénégalais (2 litres au lieu de 1) et que le fermier sénégalais peut produire plus dřarachides que son confrère français (3 contre 1). On dit que la France bénéficie dřun avantage absolu dans la production de lait et que le Sénégal bénéficie dřun avantage absolu dans la production dřarachides. 8 4 Dans ces conditions, les bénéfices du commerce international sont clairs. Pour les rendre aussi clairs que possible, on suppose que le coût du transport est négligeable comparé aux coûts des produits. Le prix du commerce international doit se situer entre : 1 lait = 0,5 arachide et 1 lait = 3 arachides. Si le commerce international se fait au prix de : 1 litre de lait = 2 kilogrammes dřarachides, les français sont satisfaits (de même que les sénégalais) car dřune part ils peuvent obtenir autant de lait quřavant, en le produisant eux-mêmes et dřautre part ils peuvent obtenir plus dřarachides quřavant lřouverture du commerce international, en produisant du lait pour lřéchanger contre des arachides sénégalaises. Cřest dire en définitive que les deux pays tirent des bénéfices du commerce international entre eux. Ricardo veut prouver que les deux pays tireront des bénéfices du commerce international, même si un des pays peut fabriquer plus efficacement chacun des produits échangés. Changeons maintenant les hypothèses posées au paragraphe précédent et envisageons le cas suivant : Chaque citoyen Français Sénégalais peut produire par jour 2 litres de lait ou 4 kg dřarachides 1 litre de lait ou 3 kg dřarachides Il faut noter que sous les nouvelles hypothèses, les Français peuvent produire plus de lait et plus dřarachides que les Sénégalais. Les Sénégalais ne bénéficient dřavantage absolu dans la fabrication dřaucun produit. Le graphique ci-dessous montre les possibilités de production dans les deux pays suivant ces hypothèses. Possibilités (choix) de consommation = production avant le commerce international Possibilités (choix) de consommation production avant le commerce international, avec 1 lait sřéchangeant contre 2,5 arachides. En lřabsence du commerce international, les possibilités de consommation sont égales aux 8 5 possibilités de production. Au Sénégal, 1 litre de lait sřéchange contre 3 kg dřarachides. En France, 2 litres de lait sřéchangent contre 4 kg dřarachides, soit 1 litre de lait contre 2 kg dřarachides. Peut-il y avoir du commerce international dans ces conditions ? (on suppose, comme avant, que le coût du transport est négligeable). La France serait prête à exporter du lait contre des arachides importées du Sénégal, pourvu que 1 litre de lait sřéchange contre plus de 2 kg dřarachides. Le Sénégal voudrait bien exporter des arachides contre du lait importé de la France, pourvu que 1 litre de lait sřéchange contre au moins 3 kg dřarachides. Donc il y aura commerce international pour un prix dřéchange entre : 1 lait = 2 arachides et 1 lait = 3 arachides Si le prix dřéchange international est : 1 lait = 2,5 arachides Au Sénégal, il est plus rentable de produire des arachides et de les exporter contre du lait, que de produire du lait soi-même. Donc tout le monde au Sénégal produira des arachides, soit pour les manger, soit pour les échanger contre du lait français. Si les Sénégalais échangent toutes leurs arachides contre du lait, ils pourront consommer : 1,0lait 3 arachides x = 1,2 lait par personne par jour, et zéro arachides 2,5arachides (puisque toutes les arachides sont exportées). Si les Sénégalais mangent toute leur récolte, ils auront une quantité nulle de lait et 3 arachides. Si les Sénégalais exportent la moitié de leurs arachides, ils consomment 0,6 litres de lait et 1,5 kg dřarachides. Une ligne brisée sur le graphique montre toutes les possibilités de consommation offertes aux Sénégalais après lřétablissement du commerce internationale à un taux de 1 lait = 2,5 arachides. Les Français ne produiront que du lait. Sřils consomment toute leur production, ils auront une quantité de lait égale à 2 et une quantité dřarachides égale à zéro : sřils exportent toute leur production, leur consommation de lait sera nulle et leur consommation dřarachides sera égale à 5. Une ligne brisée sur le graphique montre toutes les possibilités de consommation offertes aux Français après lřétablissement du commerce international. Comme pour les conditions du paragraphe précédent, les conclusions sont quasi identiques car les deux pays sont satisfaits. Il faut noter seulement que la France retient un avantage absolu et dans la production du lait et dans la production dřarachides. Mais au Sénégal, la productivité dřarachides est 3 fois celle du lait et en France, la productivité dřarachides est 2 fois celle du lait. On dit que le Sénégal a un avantage comparatif dans la production dřarachides, cřest-à-dire quřil a une plus grande (productivité dřarachides comparée à sa productivité de lait) au Sénégal que la productivité dřarachides comparée à sa productivité de lait en France. De manière similaire, au Sénégal, la productivité de lait est 0,33 fois celle dřarachides et en France, la productivité de lait est 0,50 fois celle dřarachides et la France a un avantage comparatif dans la production de lait. 2°) Définition de la loi de l’avantage comparatif Si dans deux pays les productivités relatives de deux produits sont différents, cřest-à-dire si le rapport : Productivité dans la fabrication du premier produit Productivité dans la fabrication du deuxième produit 8 6 nřest pas le même dans ces deux pays, alors le commerce international leur permettra de consommer dřavantage quřils nřauraient pu le faire en lřabsence de commerce international, et ils auront intérêt à pratiquer celui-ci. Chaque pays exportera le produit pour lequel il bénéficie dřun avantage comparatif. Cette loi est valable même si lřun des pays bénéficie dřun avantage absolu dans la fabrication des deux produits. On nřa pas encore discuté la détermination du niveau exact du prix dřéchange international. Supposons que le Sénégal soit énorme et que la France soit petite. Les Sénégalais voudront importer beaucoup de lait de la France, peut-être plus que la production totale de la France, tandis que les quelques Français ne voudront quřune quantité relativement petite de la récolte sénégalaise. Dans ces conditions, les Sénégalais payeront cher pour obtenir le lait, et les termes de lřéchange seront près de la limite de 1 litre de lait = 3 kg dřarachides, peut-être à 1 lait = 2,9998 arachides. Les Sénégalais ne retireront quřun très petit bénéfice du commerce international ; les Français gagneront près de lřavantage maximal possible. Maintenant, supposons que la France soit grande et le Sénégal soit petit. Les millions de Français voudront beaucoup dřarachides, les quelques sénégalais voudront peu de lait ; et le prix dřéchange sřétablira près de la limite : 1 lait = 2 arachides, peut-être à 1 lait = 2,0001 arachides. Les Français ne retireront quřun très petit bénéfice du commerce ; les Sénégalais en retireront presque lřavantage maximal. Cřest une situation où il est avantageux dřêtre un petit pays. En conclusion, le prix dřéchange est déterminé par la grandeur relative de la demande de chaque pays pour le produit de lřautre. Le pays voulant acheter plus payera plus cher, mais en tout cas, le prix dřéchange ne dépassera pas les limites établies par les prix qui auraient prévalu dans chaque pays en lřabsence du commerce international. Finalement, on peut considérer les frais de transport (qui jusquřici ont été supposés négligeables). La conclusion à retenir est que le commerce international sera bénéficiaire aux deux pays, pourvu que les prix de transport ne soient pas trop élevés. Supposons, par exemple, que les coûts pour transporter 2,75 kg dřarachide du Sénégal en France et 1,0 litre de lait de la France au Sénégal soient égaux à 0,5 arachides. Il peut y avoir du commerce entre les deux pays : les Sénégalais exportent 2,75 kg dřarachides, le transporteur soustrait 0,5 kg comme commission et livre 2,25 kg aux Français en échange dřun litre de lait, quřil retourne aux Sénégalais. Du point de vue du Sénégal, 1 lait sřéchange contre 2,75 arachides. Du point de vue de la France, 1 lait sřéchange contre 2,25 arachides Les autres 0,50 kg dřarachides servent à payer le transport (si le transporteur veut boire, il est libre dřéchanger ses arachides contre du lait). 3°) Les hypothèses sous-jacentes à la loi de l’avantage comparatif La loi de lřavantage comparatif implique que chaque pays devrait sřouvrir au commerce international, en se spécialisant dans la production des biens pour lesquels il retient un avantage comparatif, et qui seront exportés en échange des importations. Néanmoins, presque aucun pays ne suit entièrement une politique de libre échange. Puisque la logique du modèle de Ricardo est correcte, la plupart des justifications des politiques limitant la spécialisation et le commerce international commencent par nier une des hypothèses sous-jacentes à la loi. Lřanalyse de D.RICARDO suppose que : les produits sřéchangent entre nations, mais pas la main dřœuvre, ni le capital ; à lřintérieur de chaque pays, il y a un libre 8 7 mouvement des facteurs de production (travailleurs, capital, terres) entre les différents secteurs de lřéconomie. Une prétendue absence de libre mouvement des travailleurs est souvent avancée comme justification pour une politique de protectionnisme contre les importations des produits concurrents des vieilles industries nationales. Par exemple, on dit aux ÉtatsUnis : «Les pays en voie de développement ont un avantage comparatif pour les textiles, les EU pour les produits agricoles et pour la construction des avions. Selon RICARDO, nous devrons importer les textiles, et exporter plus de blé et dřavions. Mais nous savons que si nous admettons des importations illimitées de textiles, nos fabriques en ce domaine feraient faillite et leurs ouvriers, au lieu dřaller en campagne comme agriculteurs ou en Californie pour construire des avions, resteraient pour la plupart en chômage.» Ricardo suppose que lřouverture du pays au commerce international ne causera pas de problèmes de répartition du revenu, ou que les problèmes éventuels de répartition du revenu sont sans intérêt, ou que ces problèmes peuvent être résolus sans difficultés. Mais on peut démontrer (la preuve est compliquée et dépasse le cadre de cet ouvrage) que les importations par les pays riches des produits de pays pauvres tendent à égaliser le niveau du salaire entre pays riche et pays pauvre ; ce qui est un problème plein dřintérêt, et une raison citée par les syndicats des pays riches pour limiter les importations en provenance des pays pauvres. Parallèlement à la réduction des salaires, il y aura des ouvriers mis en chômage dans les entreprises qui font faillite à cause de la compétitivité des importations. Lřanalyse est «statique», pour un temps. La loi de lřavantage comparatif peut impliquer, par exemple, quřà un moment donné, le Sénégal devrait se spécialiser dans la production dřarachides pour lřexportation. Mais la loi ne prétend pas que le Sénégal devrait éternellement exporter des arachides : les conditions économiques changent et peuvent être modifiées par la politique économique. Il demeure quřun pays habitué à une économie spécialisée dans les exportations dřun ou deux produits risque de se spécialiser encore plus dans ces secteurs avec des dépenses publiques pour des routes et des chemins de fer pour évacuer les produits dřexportation, des instituts agronomes spécialisés dans les cultures dominantes, etc. ; quand le pays aurait peut-être mieux fait à long terme en investissant dans la diversification vers dřautres cultures ou dans lřétablissement de nouvelles industries, pour changer sa spécialisation. Cřest dans ce cadre quřintervient lřargument de «lřindustrie naissante». Selon cet argument, pour établir une nouvelle branche dřindustrie dans un pays, il faut limiter les importations (par exemple, en imposant de forts droits de douane) pendant un premier temps, durant lequel les entrepreneurs du pays apprennent à bien mener leur industrie. Dans un deuxième temps, après que les entrepreneurs nationaux auront appris leur métier, le pays pourra exporter le produit quřil importait auparavant. Ceci est un argument qui dépend du passage du temps (pour un argument «dynamique») ; tandis que la loi de RICARDO sřapplique pour un moment donné (cřest une analyse «statique»). CHAPITRE 5 ANALYSE MARXISTE : ACCUMULATION PRODUCTIVE, BAISSE TENDANCIELLE DU TAUX DE PROFIT ET SURVIE DU CAPITALISME. 8 8 Les conditions en Angleterre représentent l’avenir d’autres pays. «Il …. s’agit … ici ….[des ] lois naturelles de la production capitaliste, …. des tendances qui se manifestent et se réalisent avec une nécessité de fer. Le pays le plus développé industriellement ne fait que montrer à ceux qui le suivent sur l’échelle industrielle l’image de leur propre avenir ». K. MARX 42 « Le marxisme demeure d’actualité et il reste un instrument indispensable bien que sur beaucoup de détails, ses analyses se soient révélées critiquables ». R. HEILBRONER43 Quel est lřintérêt dřétudier lřanalyse marxiste du développement au moment où le système du socialisme réel sřest effondré, perdant sa compétition avec le capitalisme qui, aujourdřhui, sřimpose comme système mondial ? Faut-il dire « Adieu » à MARX ou alors « À bientôt KARL » comme lřécrit avec force de conviction J. ZIGLER ? Le marxisme est-il encore pertinent aujourd'hui ? Ces questions sont assez récurrentes, toutefois, elles nřont pas grande signification dans la mesure où le marxisme est et demeure avant tout une théorie économique, politique et sociale qui permet dřapprocher la réalité fût-elle celle du sous-développement. Dans ce sens, il a établi que «le pays industriellement le plus développé montre au pays moins développé l'image de son propre développement à venir». Quant au caractère pertinent ou dépassé du marxisme, un seul exemple, les classiques continuent dřinspirer des visions et des approches économiques depuis le 19ème siècle et pourtant, leurs analyses font partie du référentiel de la pensée du développement : richesse des nations, division du travail, théories des marchés libres, avantages comparatifs etc. Globalement et depuis lřÉcole marginaliste (1870), jusquřà la synthèse néoclassique, les économistes de la pensée dominante ont apporté peu dřintérêt à Marx et se refusent à lřadmettre dans les rangs des « grands théoriciens » de la pensée économique. Ils se sont toujours invariablement refusé à dialoguer avec les marxistes en arguant leur faiblesse dřidéologisation excessive de leur analyse et non réalisation des prédictions sur le capitalisme. Certes le capitalisme évolue et se transforme radicalement pour surmonter ses contradictions. Il est totalement naïf de croire que cette évolution pose des problèmes théoriques dont toutes les réponses se trouvent dans « Le Capital ». Scientifiquement, elles ne peuvent sřy trouver. La validité actuelle de certaines thèses fondamentales du marxisme compréhension et confrontation des analyses avec la réalité. Dřabord, Marx présente une approche de la révolution industrielle dans une optique tout à fait différente de celle des classiques pour qui le développement économique sřinterprète en termes de variations de la production, du capital, du salaire, des profits et la de rente. MARX prend le contre-pied de toutes ces conceptions et développe une analyse implacable du capitalisme et de ses contradictions. Ensuite, les disciples de Marx continuent dřapporter de nombreuses contributions pour une meilleure compréhension des trajectoires du capitalisme contemporain, ses diverses contradictions et ses issues. Enfin, le marxisme, de ce fait, se présente comme la critique la plus imparable et la plus complète du capitalisme contemporain et de son orientation néolibérale. Sous ce rapport, il continue, malgré sa baisse dřinfluence 42 K.MARX : Introduction à la première édition allemande du Capital. 43 Robert HEILBRONER : Marxisme pour ou contre 8 9 politique, dřêtre un courant de pensée, une référence dont se réclament des chercheurs et des politiques à la recherche dřune alternative à lřunilatéralisme capitaliste mondial. Toutes ces raisons font quřil est capital de réaliser une analyse exhaustive du marxisme pour mieux cerner ses divers apports à la pensée sociale. Section 1 : Bref rappel des principales thèses de l’analyse approfondie du stade capitaliste44 La préoccupation nřest pas de présenter une analyse exhaustive de la Théorie marxiste du mode de production capitaliste mais de procéder à quelques rappels de lřétape capitaliste en Angleterre qui présente un triple intérêt pour lřéconomie du développement. En premier lieu, lřAngleterre préfigure lřavenir du capitalisme mondial. Dès lřIntroduction à la première édition allemande du Capital, Marx observe quř«Il …. sřagit … ici ….[des ] lois naturelles de la production capitaliste, …. des tendances qui se manifestent et se réalisent avec une nécessité de fer. Le pays le plus développé industriellement ne fait que montrer à ceux qui le suivent sur lřéchelle industrielle lřimage de leur propre avenir ». En second lieu, certains aspects de la théorie marxiste concernant les pays capitalistes sont le point de départ des théories sur lřimpérialisme, sur le colonialisme même si les formalisations sont surtout dues aux disciples (notamment LENINE, MAO). MARX et ENGELS ont écrit peu sur lřimpérialisme (par exemple, le chapitre du Capital intitulé «La théorie moderne de la colonisation» nřa absolument rien à voir avec les conditions dřun pays comme le Sénégal. I/ Les quatre conditions de base pour atteindre l’étape capitaliste : l’ «aliénation » des moyens de production. En résumé, MARX dégage quatre conditions qui sous-tendent la formation dřun mode de production capitaliste à savoir : 1) Les moyens de production sont « aliénés » dans le sens quřils nřappartiennent plus aux ouvriers qui les emploient. 2) Les produits sont des «marchandises», cřest-à-dire quřils sont fabriqués pour être vendus, et non pour satisfaire les besoins directs de leurs producteurs. 3) Le travail est une marchandise, qui peut être vendue et achetée comme nřimporte quelle autre marchandise. 4) Le capital est mobile entre les secteurs économiques Sur la première condition, les moyens de production sont « aliénés » dans le sens quřils nřappartiennent plus aux ouvriers qui les emploient. Dans le secteur agricole, les paysans sont expropriés de leurs terres. La plupart des champs sont convertis en pâturage ou même en réserves de chasse ; le reste est organisé en grandes fermes cultivées avec la main-dřœuvre embauchée. Les grands propriétaires remplacent les petits paysans cultivant leurs propres champs. Les paysans expropriés Cette section est basée sur Le Capital de Karl Marx. Lřouvrage est en trois livres dans la traduction française disponible aux Editions sociales. Ces trois livres comprennent huit tomes. Sauf avis contraire, les références ici sont à cette édition. Dans le premier livre sont réunis les chapitres 4,5 de la dernière (quatrième) édition allemande du Capital : donc il y a un décalage dans la numérotation des chapitres entre les versions originales et sa traduction française. Ces précisions sont données pour un repérage de nos références : Marx tout le monde en parle mais de rares auteurs lřont lu (excepté J.SCHUMPETER) 44 9 0 deviennent les premiers prolétaires (ouvriers nřayant aucune autre ressource que leur force de travail). Pour cette raison, lřexpropriation des paysans marque le commencement du stade capitaliste. Dans le secteur industriel, les machines deviennent trop chères pour les ouvriers individuels. Même quand les usines nřétaient pas motorisées et lorsque les machines étaient simples, lřorganisation dřune entreprise comme la fabrique dřépingles décrites par Adam Smith dépassait le budget des ouvriers. Et par la suite, ce type de fabrique a été remplacé par des usines avec des machines beaucoup plus productives et plus chères. (MARX remarque quřau temps de SMITH, dix hommes travaillant ensemble pouvaient fabriquer 48 000 épingles par jour, et une seule femme pouvait surveiller quatre de ces machines). Donc lřartisan possédant ses propres outils est remplacé par un ouvrier travaillant avec les machines dřun patron capitaliste. La seconde condition postule que dans un Mode de production capitaliste, les produits sont des «marchandises», cřest-à-dire quřils sont faits pour être vendus, et non pour remplir les besoins directs de leur producteur. Par exemple, le patron de lřusine Bata ne fabrique pas des milliers de souliers par jour avec lřintention de les porter lui-même, par contre, une récolte faite par un paysan surtout pour nourrir sa famille nřest pas une marchandise. La troisième conditio est que le travail est une marchandise, qui peut être vendue et achetée. Un ouvrier vend sa force travail à celui qui paye son salaire. Dans lřépoque féodale, à cause des restrictions des compagnies et des lois attachant un serf à son seigneur, une personne nřavait pas cette possibilité de vendre sa force de travail où il voulait. La quatrième condition est relative au fait que le capital est mobile entre les secteurs économiques : on est libre dřinvestir son argent comme on veut. Les conditions (2), (3) et (4) forment ensemble lřhypothèse du marché libre ; mais il faut noter la nuance entre la définition du même concept chez SMITH et chez MARX. II/ La réévaluation critique de la théorie de la valeur. Une théorie de la valeur répond à la question, «quelle est la valeur dřun produit (ou dřun service) ?». La valeur de quelque chose nřest pas nécessairement égale à son prix Ŕaprès tout, on peut dire que quelque chose se vend pour « plus que cela vaut » ou pour « moins que cela vaut ». De nos jours, la question de la théorie de la valeur est peu étudiée par les économistes non-marxistes, qui dřailleurs donnent une réponse différente de celle de MARX. Mais le concept de la valeur était un problème important pour les économistes dit «classiques» (notamment SMITH et RICARDO). Et la théorie de la valeur est au centre de lřanalyse faite par MARX dans le Capital : on ne peut pas comprendre le reste de cet ouvrage si on nřa pas compris sa théorie de la valeur. 1°) La «théorie de la valeur travail» de MARX. 9 1 MARX commence par se poser la question, comment des biens et des services, des marchandises Ŕ de nature tout à fait différente Ŕ lřor, le fer, les services dřun tailleur, etc. peuvent-ils sřéchanger à travers les mécanismes dřachat et de vente ? On peut échanger quelques grammes dřor (qui coûtent mille francs) contre beaucoup de kilogrammes de fer (qui coûtent mille francs) et on peut échanger les deux contre une certaine quantité, qui ne peut pas être pesée, des services dřun tailleur (qui coûtent également mille francs). Ces trois marchandises (or, fer, couture) doivent avoir quelque chose en commun qui permet lřéchange au même prix. La «chose en commun» ne peut pas être la valeur subjective (que Marx appelle «valeur dřusage») attachée à la marchandise par le client ; car lřappréciation dřun produit varie avec la personne. Par exemple, un individu trouve la glace au café délicieuse, mais la glace à la pistache dégoûtante ; son frère adore la glace à la pistache mais pense que la glace au café est nauséabonde ; néanmoins, une glace à café se vend au même prix quřune glace à la pistache. Lřair, qui a une grande valeur pour tous ceux qui désirent respirer, est gratuit. Donc la «chose en commun» ne peut pas être lřappréciation subjective, la valeur dřusage. Pour MARX, la «chose en commun» aux marchandises qui permet lřéchange de diverses marchandises et qui détermine quelle quantité de lřune sřéchangera contre celle de lřautre, est que toutes sont produites avec le travail humain. Dans ce sens, on définira la «valeur dřéchange» dřun produit ou dřun service comme la quantité de travail nécessaire pour fabriquer ce produit ou ce service. Il faut apporter quelques nuances à cette définition. En effet, le même produit peut être fabriqué avec des différentes quantités de travail dans des pays différents ou à des époques différentes, dépendant du progrès technique, etc. Dans le même pays au même temps, le même produit peut être fabriqué avec des quantités de travail diverses : par exemple, un forgeron peut être plus ou moins habile que la moyenne des forgerons. Dans la définition ci-dessus, par «travail nécessaire», il faut comprendre la moyenne du travail nécessaire à une époque déterminée dans un pays déterminé ; Marx appelle ce concept le «travail socialement nécessaire». Ensuite, il y a des travailleurs non-qualifiés et des travailleurs qualifiés (ingénieurs, docteurs, mécaniciens, etc.). Les travailleurs qualifiés sont plus productifs que les travailleurs sans qualification ; par conséquent ils sont mieux payés. Puisque la qualification dřun travailleur est elle-même le produit du travail (le travail des professeurs, le travail incorporé dans les bâtiments de lřécole, etc.), Marx appelle le travail qualifié par un entraînement le «travail complexe» ; et il appelle le travail nonqualifié le «travail simple». Si un ingénieur est trois fois plus productif quřun ouvrier non-qualifié, on peut convertir ses heures de travail complexe en leur équivalent dřheures de travail simple en multipliant par trois. Dans la définition cidessus, par « quantité de travail, il faut comprendre le nombre total dřheures de travail simple, après que les heures de travail complexe aient été converties en leur équivalent dřheures de travail simple (non-qualifié). Enfin, si le produit est fabriqué non seulement avec du travail direct, mais aussi avec des matières premières, la valeur du produit final comprend le travail incorporé dans la production des matières premières. Par exemple, la valeur dřun fer à cheval comprend non seulement le travail du forgeron, mais aussi le travail qui a produit le fer brut. Le travail incorporé dans les outils et les machines est traité dřune façon similaire. Dans la définition ci-dessus, par «travail», il faut comprendre le travail indirect (des ouvriers) plus le travail indirect (incorporé dans les matières premières et dans les outils et les machines). 9 2 Finalement, la définition de la valeur dřéchange dřune marchandise est le nombre dřheures de travail simple (ou leur équivalent) direct et indirect, socialement nécessaire, en moyenne, pour fabriquer la marchandise. En bref, la valeur d’échange d’une marchandise est le nombre d’heures de travail de sa fabrication. Quand Marx utilise le terme «valeur» sans autre spécification, il se réfère à la valeur dřéchange et non à la valeur dřusage. Lřessence même de la définition est très simple et facile à comprendre, mais il faut lřappliquer de façon rigoureuse. La valeur nřest pas la même chose que la quantité produite. Par exemple, si à cause dřun développement de la productivité au cours de trente ans, le PIB dřun pays double sans augmentation du nombre dřheures de travail de sa population, la valeur du PIB nřa pas augmenté. Si la quantité des produits et services fabriqués dans un pays double avec une réduction du nombre dřheures de travail, la valeur du PIB a diminué, en dépit de lřaugmentation de sa masse. 2°) La première version de la détermination des prix. Marx donne deux explications différentes de la détermination des prix. Celle-ci est utilisée dans tout le premier livre du Capital dans tout le deuxième livre et dans la première section du troisième livre, soit les premières 1.600 pages. (La deuxième explication des prix est discutée dans ces notes à partir du §.1.3.2.12). Les marchandises s’échangent en proportion de leurs prix. Si un gramme dřor coûte 1000 francs et un kilogramme de fer coûte 50 francs, alors un gramme dřor sřéchangera contre 20 kg de fer. Les proportions des prix déterminent les proportions des marchandises qui sřéchangent. Théorème sur la première version de la détermination des prix : les marchandises sřéchangent en proportion de leur valeur, cřest-à-dire que le prix est proportionnel au nombre dřheures de travail incorporées dans la marchandise. Si un kg dřun produit A incorpore deux fois autant de travail quřun kg dřun produit B, le prix de A (par kg) sera deux fois le prix de B (par kg). Il faut noter quřil existe une différence entre une définition et un théorème. Une définition ne dépend que de son auteur. Un théorème est une déclaration que lřon peut vérifier ou rejeter. Par exemple, je peux définir la «salinité» dřune substance comme le pourcentage du nombre de ses molécules qui ont la formule chimique NaCl. Un autre peut définir la «salinité» dřune substance comme le pourcentage de son poids composé de molécules NaCl. Lřautre a le droit à sa définition et moi jřai le droit à la mienne. Mais si je prétends que les prix des substances sont proportionnels à la salinité, jřavance un théorème que lřon peut vérifier ou rejeter en observant les faits. Marx donne une définition de la valeur et avance le théorème qui affirme que les prix sont proportionnels aux valeurs ainsi définies On a vu que le prix est (ou serait) proportionnel à la quantité de travail nécessaire pour fabriquer la marchandise. Cela implique quřun produit incorporant deux fois autant de travail quřun autre aurait un prix deux fois plus grand ; mais cela ne dit pas ce que sera ce prix en termes de la devise nationale (livres sterling par exemple). Au temps où écrivait Marx, les devises étaient basées sur lřétalon dřor : on pouvait librement échanger des devises pour de lřor. Supposons quřune livre sterling 9 3 sřéchangeait pour 30 grammes dřor. Lřor est une marchandise, dont la production exige du travail pour lřextraire du sol et la transporter en Angleterre. Supposons quřune heure de travail produit en moyenne 10 g dřor. Alors une livre sterling serait lřéquivalent de 3 heures de travail ; un produit incorporant deux heures de travail sřéchangerait contre 20 g dřor = 2/3 livre sterling, etc. De nos jours, les devises nationales ne sont plus basées sur lřor. LřÉtat imprime des morceaux de papier qui sřéchangent contre … dřautres morceaux de papier. Pour simplifier un processus macroéconomique réellement compliqué, on peut dire que les prix sont déterminés par la quantité de monnaie en circulation. Si dans une économie il y a en circulation des morceaux de papier ayant un total de 800 millions de «pesos» imprimés sur eux, sřéchangeant contre le produit de 2 millions dřheures de travail, alors chaque heure de travail serait lřéquivalent de 400 pesos. L’origine des profits et la décomposition de la valeur d’un produit45 Pourquoi y a-t-il une augmentation du PIB/habitant dans un pays ? A cause dřune augmentation de machines, de bâtiments dřusine, de matières premières, … en bref, une augmentation des moyens de production. Lřaccumulation des moyens de production implique quřil y ait un investissement pour les acheter. Dřoù proviennent les fonds pour cet investissement ? Des profits, répond Marx. Dřoù proviennent les profits ? Le profit au niveau global de la société ne peut être généré que par lřachat à bon marché et la revente à prix cher, dit Marx, parce que pour chaque veinard qui achète une marchandise à bas prix, il y a un malchanceux qui lui a vendu la marchandise à bas prix, et pour chaque personne bienheureuse qui réussit à vendre chère, il y a un client malheureux qui a dû acheter cher, de sorte que les gains des uns sont compensés par les pertes des autres. En moyenne, les marchandises doivent se vendre à leur valeur. Pour découvrir lřorigine des profits, il faut analyser plus profondément la détermination de la valeur dřun produit. Lřindustrie-type (selon les termes de Marx) était une filature de coton ; prenons donc une filature comme exemple concret. La valeur de son produit (fil de coton) est égale aux heures de travail incorporées dans la production du fil : valeur du produit = travail total. La valeur attribuée aux machines dépend de leur usure. Supposons quřune machine à filer produit 100 kilomètres de fil avant dřêtre complètement usée, et que la fabrication de la machine prend 200 heures. Dans ces conditions, on attribue 0,002 heures de travail (= 200 heures/ 100.000 mètres) par mètre de fil, au compte dřusure de la machine à filer. Les matières pour le fil comprennent non seulement le coton, mais aussi le charbon pour alimenter le moteur à vapeur qui fait tourner la machine à filer, etc. Puisque par hypothèse le prix de toute marchandise est égal à sa valeur, le coût du capital investi en machines et matières premières est égal à la valeur incorporé dans ces choses : cette valeur est transmise intégralement au produit fabriqué. Puisque le capital investi en travail indirect ne crée pas de nouvelle valeur, mais seulement une transformation de la forme dřune quantité constante de valeur, Marx appelle en conséquence «capital constant» lřargent que le patron dřune fabrique investit en machines et en matières premières. La valeur ajoutée provient du travail direct. Donc on a : F.R. MAHIEU, J.CARTELIER, C.BENETTI, S de BRUNOFF : Marx et lřEconomie politique : Essais sur les « Théories sur la plus-value », Presses Universitaires de Grenoble, F. Maspéro 1977 45 9 4 Valeur du produit = valeur du capital constant + travail direct. Quelle est la valeur du travail des ouvriers de la fabrique, le «travail direct» ? Posée de cette manière, dit Marx, la question est absurde : par définition, la valeur dřune heure de travail est une heure de travail (cřest comme demander le prix dřun franc : par définition le prix dřun franc est un franc). Mais on peut demander : quelle est la valeur du salaire payé aux ouvriers ? Les ouvriers dépensent leur salaire pour acheter de la nourriture, des vêtements, etc. et la valeur de la nourriture, du vêtement, etc. peut être mesurée par le nombre dřheures de travail nécessaire pour produire ces biens. Suivant un raisonnement que nous verrons plus tard, la théorie marxiste aboutit à la conclusion que le salaire plane au niveau minimal de subsistance pour lřouvrier et sa famille. Dans la mesure où le salaire est juste suffisant pour payer la «production» démographique des salariés, lřouvrier est payé à sa valeur. En considérant que la valeur des produits que lřon peut acheter avec le salaire journalier est égale à cinq heures, rien ne dit que les ouvriers vont travailler 5 heures par jour pour recevoir ce salaire. La journée de travail à lřusine peut durer, par exemple 11 heures. Les ouvriers nřont pas le choix : ne possédant eux-mêmes pas de moyen de production, ils doivent travailler aux conditions imposées par les capitalistes pour ne pas mourir de faim. Donc (suivant notre exemple), un capitaliste qui investit lřéquivalent monétaire de cinq heures de travail pour payer des salaires, reçoit 11 heures de travail dřun ouvrier. Le capital investi en salaires, en travail direct, produit plus de valeur quřil ne coûte. Pour cette raison, Marx appelle «capital variable» le capital investi en salaires. La différence entre la valeur du salaire et le nombre dřheures de travail acheté avec ce salaire est appelée «plus-value». Dans notre exemple, la plus-value est égale à (11 heures- 5 heures) = 6 heures de travail. Donc on a finalement : valeur du produit = capital constant + capital variable + plus-value. Marx distingue entre la «valeur du travail», qui est une tautologie (une heure de travail vaut une heure de travail) et la «valeur de la force de travail», qui est ce que nous avons appelé la valeur de salaire. On notera que dans le schéma aléatoire ici présenté, toutes les marchandises, y compris la force de travail des ouvriers, se vendent à leur valeur ; néanmoins la plus-value génère un profit. Nous sommes en mesure de donner quelques définitions. Il y a une «exploitation» de la classe ouvrière parce quřune partie de son produit (la plus-value) est reçue par les membres dřune autre classe, la bourgeoisie, qui, elle, ne travaille pas. Le «taux dřexploitation», aussi appelé «le taux de plus-value», est le suivant, dans notre exemple : 6 heures/5 heures = 120%). Les heures correspondant au salaire, au capital variable, peuvent aussi être appelées le «travail payé» ; et les heures correspondant au reste de la journée de travail, à la plus-value, peuvent être appelées «le travail non-payé». Un capitaliste voulant faire un profit doit nécessairement garder ses ouvriers dans la fabrique au moins aussi longtemps que la valeur de leur salaire ; au-delà de ces heures, il gagne un surplus : donc «heure de travail nécessaire» est un synonyme pour «travail payé» et «heures de surtravail»est un synonyme pur «travail non-payé». Ne pas confondre «travail nécessaire» (V) avec «travail socialement nécessaire (C + V + P1 en moyenne pour toute lřindustrie). 9 5 En bref : taux d’exploitation = taux de plus-value= P1 = plus-value = V travail non-payé = capital variable travail payé surtravail = travail nécessaire Il faut bien noter que le taux de plus-value nřest pas le même que le taux de profit. Le taux de profit sera défini rigoureusement dans les développements antérieurs. Les économistes classiques, y compris SMITH et RICARDO, avaient élaboré la théorie de la valeur travail avant Marx. Eux aussi pensaient que la valeur dřun produit est, en dernière instance, le travail humain direct et indirect qui lřa créé. La contribution originale de Marx, là où il approfondit lřanalyse de ses prédécesseurs, est le concept de la plus-value. 3°) La répartition de la plus-value Au moment où un produit est fabriqué, le capitaliste industriel a la mainmise sur un produit ayant une certaine valeur (20 heures, par exemple), qui lui coûté une certaine somme pour usure des machines, matières premières et salaires (16 heures, par exemple). Si le capitaliste industriel vend son produit directement au grand public pour sa valeur, et sřil ne paie pas dřimpôts, il garde tous les profits (qui seront lřéquivalent dřune plus-value de 4 heures selon notre exemple). Mais normalement, un capitaliste industriel nřa pas lřorganisation pour faire écouler toute sa production au public. Donc il vend le produit pour moins que lřéquivalent monétaire de 20 heures à un grossiste. La perte de lřindustriel dans ce cas peut être comparée à la situation où il vend directement au public pour lřéquivalent de 20 heures. Cette perte est exactement compensée par le gain du grossiste qui achète pour moins que 20 heures. Le commerçant en gros vend (pour moins que 20) au commerçant de détail, qui vend au public pour 20. Ainsi, les quatre heures de plus-value ont été partagées entre le capitaliste industriel, le commerçant en gros, et le commerçant en détail. Si lřÉtat prélève des impôts, il prend aussi une partie des 4 heures de plus-value. En bref, une fois le produit fabriqué, sa valeur ne change pas par suite de changements de possesseurs : les vendeurs, les revendeurs et les re-revendeurs ne font que partager entre eux la plus-value provenant de la fabrication. Chaque capitaliste réinvestit une partie de son revenu net après paiement des impôts et il dépense le reste pour la consommation de services et des biens de luxe. 4°) Analyse des effets d’un accroissement de la productivité du travail. En considérant que dans lřindustrie de dentelle, on fabrique 30 mètres de dentelle en utilisant une journée de travail de 10 heures (payée avec un salaire qui sřéchange contre des biens de consommation ayant une valeur de 5 heures), plus des matières premières valant 10 heures, plus des machines dont lřusure par jour est lřéquivalent de 10 heures de travail ; en conséquence la valeur de la dentelle sera (10 + 10 + 10) = 30 heures, soit 1 heure par mètre. Si 90 francs sont lřéquivalent monétaire 9 6 de chaque heure de travail incorporée dans la production dřune marchandise, alors les 30 mètres de dentelle se vendront pour (30 mètres) x (1heure/mètre) x (90 francs/heure) = 2700 F. Les coûts de production seront 10 x 90 F (pour lřusure des machines) plus 10 x 90 F (pour les matières premières) plus 5 x 90 F (pour les salaires), soit 900 + 900 + 450 = 2250 F. les profits seront : 2700 (ventes) moins 2250 (dépenses), soit 2700 Ŕ 2250 = 450 F. Les 450 F des profits sont lřéquivalent de 450/90 = 5 heures de plus-value. En présumant quřun entrepreneur découvre une nouvelle méthode de fabrication, avec le même nombre dřouvriers quřavant, il augmente la production de 20% qui passe de 30 à 36 mètres. Il faut augmenter la quantité de matières premières de 20% (la valeur de matières premières passe de 10 à 12 heures), mais la nouvelle machine ne coûte pas plus que lřancienne. Dans un premier temps, quand toutes les autres usines utilisent encore lřancienne méthode, lřentrepreneur peut vendre sa dentelle à lřancien prix de 90 F le mètre. En effet, puisque la valeur dřun produit est le nombre dřheures de travail en moyenne socialement nécessaires pour sa production, et puisque lřindustrie de dentelle continue pour le moment dřutiliser lřancienne méthode de production en moyenne, 1 mètre de dentelle vaut encore 1 heure de travail (et 36 mètres valent 36 heures). Ne voyant pas pourquoi il devrait faire des cadeaux aux clients, lřentrepreneur qui innove vend ses 36 mètres pour 36 x 90 F = 3240 F. Ses dépenses sont (10 + 12 + 5 hures) x 90 F/heure = 27 x 90 F = 2450 F. il retire donc un profit de 3240 Ŕ 2430 = 810 F. il faut noter que puisque le salaire vaut toujours 5 heures (comme dans toute autre usine) et la longueur de la journée de travail reste fixée à 10 heures (comme dans toute autre usine), en conséquence le montant de la plus-value reste inchangée à 10- 5 = 5 heures. Il est évident que cette situation ne peut pas continuer. Tous les autres patrons de lřindustrie de dentelle, voyant que leur collègue innovateur gagne 810 F où ils gagnent 450 F, vont se procurer la nouvelle machine. Ils vont essayer dřécouler autant de dentelle que possible, en vue de gros profits ; la concurrence entre eux va mener à une réduction du prix. Le prix ne cessera de diminuer que quand la dentelle se vendra à sa nouvelle valeur. Quelle est cette valeur ? Sous les nouvelles conditions de production, 36 mètres de produit valent 32 heures de travail, donc chaque mètre vaut 32/36 dřheures. Le prix équivalent est (32/36) x 90 F = 80 F ; les coûts sont (27 heures) x (90F/heures) = 2 430 F ; les profits retombent à 2880 Ŕ 2430 = 450 F. En conclusion, une augmentation de la productivité donne des surprofits temporaires aux premières firmes qui adoptent la nouvelle méthode. Mais après que toutes les firmes dans lřindustrie auront adopté la nouvelle méthode, la concurrence parmi elles réduira le prix du produit jusquřà lřéquivalent monétaire de la nouvelle valeur du produit. (La valeur par unité du produit est réduite parce que lřaugmentation de la productivité a réduit le montant de travail incorporé dans chaque unité de produit). Une fois que la marchandise se vend à sa valeur, la valeur des profits est exactement égale à la valeur de la plus-value ; et en supposant que la valeur du salaire et la longueur de la journée de travail restent inchangées, la quantité de la plus-value est constante. Donc une augmentation de la productivité, ceteris paribus, nřaugmente pas le montant des profits (abstraction faite des surprofits temporaires) Section 2 : Le marxisme comme première pensée critique de l’économie politique de l’Ecole Classique. La deuxième moitié du 19ème siècle était un âge dřor de la science, avec des découvertes fondamentales dans la physique, dans les sciences naturelles, etc. Cřest 9 7 sans doute ce qui explique que Marx se proposait dřécrire une théorie scientifique de lřévolution des sociétés humaines avec des analogies assez évidentes avec les travaux de Charles Darwin sur lřévolution des espèces animales et de lřespèce humaine (publiés en 1859). En effet à cette époque trois hypothèses caractérisaient la philosophie de la science : dřabord lřexistence de lois logiques qui peuvent être découvertes, ensuite, ces lois sřappliquent en tout temps et en tout lieu et enfin leur application permet la prévision des événements futurs. Toutes ces caractéristiques se retrouvent dans lřœuvre de Marx. Le point de départ de Marx est lřévaluation critique de la pensée économique de lřÉcole Classique anglaise. A.SMITH et D.RICARDO ont élaboré la théorie de la valeur travail selon laquelle la valeur des marchandises vient du travail humain socialement mis pour leur fabrication. Cřest cette théorie que reprend et précise MARX et de laquelle il tracte notamment la théorie de la plus-value qui fut la première explication scientifique de lřexploitation des travailleurs. Pour A. Smith et D. Ricardo comme pour Marx, la théorie de la valeur (couplée avec la théorie de la plus-value) constitue lřapproche à partir de laquelle il était possible de comprendre à la fois la répartition du revenu national et la croissance du capitalisme. MARX commence par observer que RICARDO a découvert lřune des lois essentielles du développement de la société capitaliste : la loi tendancielle de la baisse du taux de profit, mais il lřexplique par lřaugmentation de la valeur des produits agricoles découlant de la prétendue loi de la population de MALTHUS : les produits tendent naturellement à baisser parce que, dans le procès de production, le surcroît de subsistances nécessaires exige un travail toujours croissant. MARX observe à ce propos «les économistes, qui, comme RICARDO, considèrent la production capitaliste comme une forme définitive, constatent quřelle se crée elle-même ses limites et attribuent cette conséquence, non pas à la production mais à la nature, dans la théorie de la rente». Il démontre alors que la baisse tendancielle du taux de profit ne découle pas de circonstances accidentelles étrangères au régime capitaliste mais au contraire, elle est lřessence même de ce régime qui implique lřaccroissement du capital constant et la diminution relative du capital variable. Cřest cette découverte qui établit clairement que le capitalisme contient en lui-même la loi qui lřachemine vers sa destruction. Dans cette direction, MARX écrit que «ce qui inquiète RICARDO, cřest que le taux du profit, stimulant de la production et de lřaccumulation capitaliste, soit menacé par le développement même de la production». Dès lors, le capitalisme apparaît comme une forme, non pas absolue et définitive, mais relative et transitoire. Enfin, la dernière erreur de RICARDO est selon MARX quřil nřa pas pu rendre compte du phénomène des crises capitalistes. Celles-ci ont pourtant jalonné la marche du système à cette époque. Ces crises ont eu lieu, en Grande Bretagne pendant les années 1815, 1825, 1840 (profonde), 1863, 1873 (crise de très longue durée), 1890, 1913, 1920 et 1933 (extrêmement ample et profonde). Chaque crise a duré plusieurs années. Elles revêtent, de plus en plus, une sévérité croissante. Elles ne procèdent plus, désormais, des mauvaises conditions climatiques mais proviennent exclusivement des actions humaines qui créent une situation où il y a à la fois le chômage des hommes et des machines (inutilisées) ainsi que la mévente de la production (crise de surproduction dont J .B. SAY disait quřelle était impossible). En somme, pour Marx lřerreur de RICARDO est de nřavoir jamais pu rendre compte du phénomène des crises capitalistes. En effet, RICARDO admet à la fois que le profit apparaît Řsimultanément comme condition et comme impulsion pour lřaccumulation et que la production capitaliste vise à satisfaire les besoins. Dès lors, se pose la question de savoir si la production capitaliste a pour moteur le profit ou les besoins ? RICARDO utilise les deux 9 8 explications pour défendre le développement illimité de la production capitaliste. Les contradictions profondes du régime vont complètement lui échapper. En conséquence, lřéconomie politique classique va sřavérer impuissante à rendre compte des crises inhérentes au système capitaliste. Ces limites de lřanalyse ricardienne, vont amener MARX à procéder à un renversement qui permettra de mieux comprendre le fonctionnement du mode de production capitaliste et de saisir toutes ses contradictions internes. Ce renversement comporte trois moments théoriques essentiels : dřabord, lřapplication du matérialisme historique à la solution des problèmes de lřÉconomie politique qui va permettre de découvrir le caractère transitoire et relatif de MPC ; ensuite, lřanalyse de lřaliénation du travail et du fétichisme de la marchandise, ce qui permet de découvrir, au-delà de lřapparence de la circulation des choses, la réalité des rapports sociaux de production et enfin, la découverte du caractère contradictoire de ces rapports. Le modèle de développement marxiste devient transparent à travers lřanalyse du processus de réalisation des présupposés du capital. Prenons lřexemple du salaire réel de la main-dřœuvre industrielle, notamment leur ravalement au niveau de subsistance. Sur la question, on observe un glissement entre les idées de Smith, Ricardo et Marx. A. Smith, optimiste, estimait que le taux dřaccroissement de la productivité pouvait être maintenu au-delà du taux dřaccroissement de la population pendant une longue période (peut-être des siècles), en fournissant un niveau de vie croissant aux ouvriers. Alors que Ricardo, en pessimiste, pensait que dans quelques décennies, lřaccroissement de la population plus rapide que lřaccroissement de la production alimentaire mettrait fin à toute croissance du salaire réel. Marx aboutit à la même conclusion que le salaire réel nřaugmenterait pas, mais pour une raison différente : le chômage chronique causé par la mécanisation du travail, plutôt que le manque dřaliments, empêcherait la hausse des salaires réels. Section 3 : Les modèles marxistes de développement. Le concept de départ pour une analyse des modèles de développement est lřaccumulation primitive que MARX étudie pour dégager les conditions de lřapparition du capitalisme comme rapport de production. I/ Le concept d’accumulation primitive fondement de la transition vers le capitalisme. Dans la huitième section du livre du capital, MARX présente simultanément le concept « dřaccumulation primitive » qui recouvre tout processus historique de réalisation des présupposés du capital et une forme historique déterminée de réalisation de ces présupposés du capital. 1°) L’analyse des présupposés du capital Le capital est un rapport de production, et comme tel, il est le produit dřun procès de production capitaliste. Donc, les présupposés du capital sont les présupposés du procès de production qui suppose : lřachat de la force de travail, la prise de possession des moyens de production, une circulation étendue des marchandises pour que le travailleur vende sa force de travail ; il faut quřil puisse en disposer à son gré, il doit être un travailleur libre. Mais il doit aussi être obligé de vendre sa force de travail 9 9 pour subsister. Au total, il doit être séparé de ses moyens de production. Il doit être libre de tout rapport social lui permettant de subsister. Pour que naisse le rapport de production capitaliste, il faut aussi que le travailleur trouve un marché, un acheteur pour sa marchandise. Le capital ne peut exploiter le travailleur sřil ne dispose pas des moyens de production à mettre à sa disposition. Enfin, le dernier présupposé du capital postule lřunité du procès de production et de circulation. Pour que le travailleur puisse utiliser son salaire à acheter les marchandises nécessaires à sa subsistance, il faut que la circulation se soit emparée dřune certaine quantité de produits. 2°) L’accumulation primitive comme concept d’une transition vers le capitalisme. La question se pose de savoir comment on doit analyser un processus dřaccumulation primitive, cřest-à-dire réaliser des présupposés du capital. Nous posons que lřaccumulation primitive est le concept dřune transition vers le capitalisme. Elle est le concept des processus historiques et sociaux qui assurent le passage dřune forme non capitaliste vers le capitalisme. Schématiquement, ces processus peuvent être représentatifs dřun développement capitaliste qui sřeffectue comme suit : Forme non capitaliste (Sous-développement) Forme capitaliste Dissolution Combinaison Pour la dissolution, on peut observer que comprendre la genèse du capital, cřest comprendre le processus de dissolution des formes antérieures. Cette compréhension nécessite lřanalyse des contradictions de ces formes. Ce sont les contradictions dřune forme économique qui déterminent sa dissolution et la possibilité dřémergence du capital. Pour ce qui est de la combinaison, cřest un processus de mise en relation des éléments issus de la dissolution et il constitue le commencement de fonctionnement du mode capitaliste de production. La phase de destruction des formes économiques antérieures débute depuis le XVIIe siècle. En Europe, et seulement pour les pays non européens intégrés au système mondial, lřextension des échanges internationaux sřest traduite par une décomposition de leurs formes économiques sans que cette décomposition soit suivie dřune extension importante du capitalisme. Ce phénomène historique constitue le facteur initial de la formation de structures sous-développées. Par ce biais, on explique la formation du sous-développement. Ainsi, le dualisme rural constitue un effet de surface dřune accumulation primitive avortée. Les politiques dřinstauration des présupposés du capital émanent de lřavènement dřun capitalisme réel, cřest-à-dire un mode de production où le capital investit le procès de production et le procès de travail. II/ Alternative socialiste ou voie non capitaliste du développement 1 0 La richesse de lřanalyse marxiste réside dans le fait quřelle autorise lřapproche dřun modèle alternatif au capitalisme. Á ce niveau de lřanalyse, la démarche est de réunir les éléments épars en vue de dégager les lignes directives dřune théorie de la transition vers le socialisme dans des formations caractérisées par un faible niveau des forces productives et une situation de domination extérieure. Observons que MARX et ENGELS se sont toujours défendus dřêtre les tenants dřun dogme figé et sans vie, ni de schémas rigides et définitifs qui auraient le pouvoir magique dřexpliquer toute la réalité objective dans toute sa complexité. Cřest une méprise que dřavoir une telle opinion de leurs travaux. Hommes de sciences, ils étaient plus soucieux de pénétrer le réel pour en extraire les éléments qui peuvent fonder une praxis sociale 46. Dans la problématique de la transition, la doctrine ne pouvait être achevée car cela signifierait que MARX et ENGELS pourraient devancer «le rythme historique réel des masses»47. EN conséquence, ils nřont fait que ce qui était possible de faire ; poser* les pierres angulaires et le cadre méthodologique pour appréhender assez correctement le projet socialiste et les diverses voies qui pourraient y mener. De fait, les directions analytiques sont ainsi nettement spécifiées. Il sřagit en premier lieu de sřinterroger sur la signification exacte du socialisme. Cette interrogation en évitant de piétiner sur les mots doit avancer dans les idées vers la découverte des principes fondamentaux totalement dépouillés des mythes et de lřobscurantisme introduits par la propagande et le dogmatisme. Ce nřest que par cette approche que lřon peut mettre en lumière les lois universelles du socialisme les plus diverses. Il sřagit en second lieu, de formuler les voies de passage entendues comme les préalables à réunir pour créer tel ou tel état socialiste. Ces préalables relèvent aussi bien de la conjoncture interne que de la situation externe. Postulée en ces termes non occultes, la transition ne laisse transparaître aucune voie royale vers le socialisme. a) Les fondements du socialisme Les idées socialistes remontent très loin dans lřhistoire de lřhumanité, depuis la République de Platon jusquřaux ébauches de sociétés communistes de Thomas MORE et Giovanni CAMPANELA. En effet, à partir dřune critique de lřordre social, ces auteurs vont sřattacher à imaginer de nouvelles formes dřorganisation sociale plus justes et plus harmonieuses pour une suppression radicale de toutes les formes dřinégalités. MORE et CAMPANELA font un effort de développement systématique de ces nouvelles cités humaines. Le premier imagine une île qui porte lřidéal communiste où le travail de chacun contribue à lřépanouissement de lřensemble de la collectivité. Le gouvernement, dans cet ordre social, aura à assurer une double tâche : diriger la production économique et organiser une répartition égalitaire du produit social. Dans le même ordre dřidées, Giovanni CAMPANELA développe la nécessité de construire MARX rappelle dans «Lřidéologie allemande» (Édit. Sociales, 1965) quřà lřencontre de la philosophie allemande qui descend du ciel sur la terre, cřest de la terre au ciel que lřon monte ici ou par des hommes dans leur activité réelle, et cřest à partir de leur processus de vie réel que lřon représente aussi le développement des reflets et des échos idéologiques de processus vital. 47 Perry ANDERSON : Sur le marxisme occidental, Petite Collect. F. MASPÉRO, p. 13, LENINE (œuvres complètes, t. IV) affirme plus nettement encore que nous ne tenons nullement la doctrine de MARX pour quelque chose dřachevé … nous sommes persuadés quřelle a seulement posé les pierres angulaires de la science que les socialistes doivent faire progresser dans toutes les directions sřils ne veulent pas retarder sur la vie. 46 1 0 une société fondée sur lřamour et qui devra vaincre toutes les formes de division et dřopposition pour arriver à une harmonie universelle excluant toute inégalité sociale48. Ces idées de socialisation de la vie ont pour finalité la création de rapports sociaux plus harmonieux lesquels excluent toute propriété privée. Elles joueront, comme le note Henri DENIS, un rôle décisif à partir du XVIIIe siècle dans la formation des grandes doctrines socialistes. Cřest surtout au XIXe siècle, avec la généralisation et lřapprofondissement des rapports de production capitalistes que les systèmes socialistes des « grands utopistes » apparaissent. La France et lřAngleterre seront les pays dřélaboration de ces systèmes de pensée. LřAngleterre était un champ de réflexion car dans le pays se forme la première grande industrie qui selon F. ENGELS «développe dřune part les conflits qui font dřun bouleversement du mode de production une nécessite inéluctable et dřautre part, elle seule développe dans ces gigantesques forces productives elles-mêmes, les moyens de résoudre aussi ces conflits» 49 . La France présentera dřautres traits permettant lřapparition dřidées socialistes. Dès la fin du XVIIIe siècle jusquřau milieu du XIXe siècle, elle connaît, selon Georges GOGNIOT, une vie orageuse, saturée de mouvements politiques et sociaux, dřévènements et dřidées50. Elle propagera, comme lřobserve LENINE, par toute lřEurope les idées du socialisme. Ce courant du socialisme prémarxiste de Saint-Simon (1770-1825) à R. OWEN (1771-1858) en passant par C. FOURIER (1772-1837) remet en question toutes les formes dřexploitation et propose un nouvel ordre économique et social ayant pour but dřaffranchir les travailleurs de la tutelle du capital. Ces changements radicaux seront le fait des savants et des techniciens. Dans cette ligne de pensée, Saint-Simon pense quřil revient aux philosophes et aux techniciens de concevoir un système dřorganisation sociale meilleur et dřinciter les gouvernements à le mettre en application. Cette organisation sociale doit être absolument débarrassée de tous les maux comme lřignorance, le parasitisme et la misère. En plus, la direction des hommes doit y faire place à lřadministration des choses ; ce qui annonce le dépérissement de lřÉtat que MARX reprendra. Quant à lřindustrie, elle doit sřorganiser en dehors des interventions maladroites des pouvoirs publics. Sur ce point, Saint-Simon sera vivement critiqué par MARX qui défendra plutôt la socialisation des moyens de production. Cette idée est fortement présente dans les analyses de FOURNIER pour qui lřharmonie universelle ne peut être atteinte que si la société arrive à exclure lřappropriation privée, à supprimer toute exploitation de lřhomme par lřhomme, donc à réaliser profondément une totale socialisation de la vie économique et sociale. Au total, ce courant prémarxiste avait perçu, parfois avec beaucoup de clairvoyance, les tares du système socioéconomique et lřopportunité dřopérer la création de nouvelles sociétés qui corrigent toutes les inégalités et les injustices. Selon tous ces auteurs, les transformations décisives des édifices sociaux doivent être conçues par les intellectuels et les techniciens et réalisées par les masses populaires. Ces analyses ont été sévèrement critiquées par MARX et ENGELS. Ces critiques se situent à trois (03) niveaux : En premier lieu, il est reproché aux socialistes prémarxistes de nřavoir pas saisi le rôle politique de prolétariat dans la lutte pour la liquidation du H. DENIS : Histoire de la pensée économique. Collection «Théruis», pp. 79-120. F. ENGELS : Socialisme utopique et socialisme scientifique, p. 126. in K. MARX et F. ENGELS, Œuvres choisies. Édit. du Progrès. 50 G. COGNIOT : le socialisme utopique de Saint-Simon et FOURIER, le socialisme petit bourgeois de Proudhon, les cahiers du CERM, n° 3, 1963. 48 49 1 0 capital. Pourtant, ces auteurs ne pouvaient pas sérieusement appréhender ce rôle fondamental du prolétariat car les conflits issus de lřordre capitaliste nřétaient quřen devenir. Dans ces conditions, comme le reconnaît F. ENGELS, le prolétariat était absolument incapable dřavoir une action politique indépendante. En second lieu, le nouveau système social proposé est sorti de la raison pensante et non des contradictions caractéristiques du mode de production capitaliste. Or écrit ENGELS «ce nřest pas dans la tête des hommes, dans leur compréhension croissante de la vérité et de la justice éternelle, mais dans les modifications du mode de production et dřéchanges quřil faut chercher les causes dernières de toutes les modifications sociales et de tous les bouleversements politiques : il faut les chercher non dans la philosophie mais dans lřéconomie de lřépoque considérée»51. En troisième lieu, la vision du monde, si généreuse quřelle soit, reste utopique. Cřest le propos dřun décalage entre une vision abstraite de lřesprit et lřarchitecture complexe de la réalité objective. Dřailleurs, ces projets une fois élaborés, sont octroyés de lřextérieur ; ce qui traduit une absence dřinvestigation sur les moyens effectifs de leur matérialisation. Comme pour excuser ces lacunes, ENGELS sřefforce de montrer pourquoi ces courants socialistes ne pouvaient aboutir à lřélaboration de théories correctes du socialisme. Dans cette optique, il note quř«à lřimmaturité de la production capitaliste, à lřimmaturité des classes, répondit lřimmaturité des théories. La solution des problèmes sociaux qui restait cachée dans les rapports économiques embryonnaires, devait être tirée du cerveau» 52. De fait, les théories ainsi élaborées par les élites en dehors des structures productives et sociales effectives ne sont pas en mesure dřindiquer les causes profondes qui légitiment lřarrivée dřune nouvelle formation économique et sociale, et de désigner les moyens précis quřil importe de mettre en œuvre pour accéder à cette formation sociale socialiste. MARX et ENGELS se porteront comme les successeurs légitimes des conceptions les plus avancées des socialistes utopiques. Cřest cela qui explique la boutade dřENGELS qui rattache le socialisme au fond des idées existantes. Pour ramener ces conceptions sur le plan scientifique, il fallait les placer sur le terrain du réel. Dès lors, il ne sřagit plus simplement dřinventer par la pensée de nouveaux modèles de société et des moyens dřéliminer les anomalies de la société capitaliste. Ces modèles et ces moyens sont à découvrir dans les faits matériels de la production. Donc le socialisme scientifique découlera des contradictions du mode de production capitaliste. Ces contradictions soulignées, trouvent leur solution sur le plan économique et politique. Quels sont alors les fondements du socialisme ? Selon P. JALEE 53 , le socialisme scientifique de MARX repose sur deux (02) piliers : la socialisation de lřéconomie et lřavènement dřun pouvoir politique dřessence populaire et démocratique capable dřassumer une gestion adéquate des instruments de production socialisés. La socialisation de lřéconomie passe par un impératif qui est lřabolition de la propriété privée des moyens de production, dřéchange, de crédit et de transport. Selon ENGELS, cette prise de possession des moyens de production par la société, élimine la F. ENGELS, op. cit., p. 143. F. ENGELS, op. city. p. 143. 53 Pierre JALEE: Le projet socialiste : approche marxiste. Petite Collection, F. MASPÉRO, Paris, 1976. 51 52 1 0 production marchande et par suite, la domination du produit sur le producteur. Lřanarchie à lřintérieur de la production sociale est remplacée par lřorganisation planifiée consciente54. Cette socialisation nřest profondément quřun moyen au service dřune fin ultime : la socialisation de la vie de lřhomme55. En effet, F. ENGELS observe que la propriété dřÉtat sur les forces productives nřest pas la solution du conflit, mais elle renferme en elle le moyen formel, la façon dřapprocher la solution56. On peut donc déjà remarquer que la socialisation intervient dans une société capitaliste où «les forces productives sont devenues trop grandes pour toute autre direction que la sienne». Pour ce qui concerne le pouvoir public, il revêt une nature et des formes différentes et doit également avoir des fonctions exorbitantes par rapport à lřancien appareil dřÉtat. Celui-ci était considéré comme un instrument au service du capital ayant de puissantes fonctions répressives. Désormais, il doit subir de profondes transformations pour pouvoir accomplir pleinement la socialisation de la vie économique, politique et sociale. Il doit également assurer une démocratie réelle et non formelle, cřest-à-dire une démocratie qui garantisse une participation effective des travailleurs à la gestion aussi bien de lřéconomie que de lřÉtat. Une telle démocratie exclut toute fonction répressive. En plus, une fois toutes tâches accomplies, lřappareil dřÉtat doit dépérir. On retrouve là une idée des socialistes prémarxistes que MARX et ENGELS reformulent. En effet, lorsque lřÉtat représente réellement la société globale, il devient superflu ; alors le gouvernement des personnes fera place à lřadministration des choses et à la direction des opérations de production. ENGELS précise que lřÉtat en réalité nřest pas aboli, mais il sřéteint57. À ces deux (02) piliers, on pourrait en ajouter un troisième qui aurait trait à lřidéologie et à la culture. Selon R. GARAUDY, il se traduirait par «une révolution socialiste dans lřidéologie et la culture présentant le double caractère de détruire les aliénations engendrées dans lřesprit des hommes 58 … et de créer les conditions permettant lřaccès de tous aux acquisitions millénaires de la science et de la culture»59. Cette rapide analyse des éléments de base du socialisme scientifique de MARX et ENGELS appelle deux (02) observations essentielles pour nos développements futurs. La première est que le socialisme ainsi envisagé prend la suite dřune formation sociale capitaliste très développée, donc arrivée à la pleine utilisation de ses capacités de production. La contradiction entre la socialisation excessive de la production et la forme privée dřappropriation des résultats en est la preuve la plus évidente. En conséquence, dans des formations qui ne connaissent pas le même niveau de F. ENGELS, op. city. p. 161. Qui de ce fait pourra faire lui-même sa propre histoire en pleine conscience. En somme, ce sera le fond du régime de la nécessité à celui de la liberté. 56 F. ENGELS, op. city. p. 156. 57 F. ENGELS, op. city. p. 159. 58 De ce point de vue, le Pr. Henri BARTOLI souligne les effets aliénants de lřargent. Il observe que « la monnaie devenue pouvoir et fin … corrompt les rapports du travail, la vie politique, la justice, la presse, le sport, la vie privée, lřart, la charité même. Le temps où les choses mêmes qui jusquřalors étaient communiquées, jamais échangées ; données, jamais vendues, requises jamais achetées Ŕvertu, amour, opinion, science, conscience, etc. tout enfin passe dans le commerce atteint de capitalisme de ce temps tout autant que le capitalisme du siècle passé » Ŕ in H. BARTOLI : Hypothèses marxistes (travail et condition humaine, Édit. Fayard, Paris, 1963, p.72). 59 Roger GARAUDY: Pour un modèle français du socialisme. Collection idées actuelles, NRF, Gallimard, Paris, 1970. 54 55 1 0 développement des forces productives, les problèmes peuvent se poser tout autrement. Cela introduit précisément une nouvelle conceptualisation du projet socialiste 60. Cette première observation en appelle une seconde qui lui est directement liée. Une vision globale des analyses de MARX et dřENGELS permet dřétablir une étroite dépendance du socialisme à lřégard de la structure économique et sociale. À y réfléchir, cette liaison postule lřexistence dřune pluralité de modèles socialistes. En effet, le projet socialiste sera différent selon que la transition sřamorce à partir dřune base capitaliste avancée ou de structures socio-économiques de faible niveau. Or, comme nous lřavons établi, la transition a toujours un caractère organique propre qui détermine les formes que prend le socialisme. Deux (02) faits viennent appuyer cette thèse. Le premier de nature théorique nous est fourni par LENINE qui observe que ni la régularité, ni la proportionnalité, ni lřharmonie nřont jamais existé dans le monde capitaliste et en conséquence, les pays qui construisent le socialisme peuvent présenter un régime politique et une structure dřÉtat différents. De ce fait, il était convaincu que chaque nouvelle révolution devait dépasser les modèles socialistes existants et offrir de nouvelles formes. Le deuxième fait découle de lřexpérience historique des pays socialistes dřEurope de lřEst, dřAsie et dřAfrique. Cette expérience laisse apparaître des variétés structurelles traduisant des projets socialistes différents. On est alors tout fondé à établir, comme le fait G. AIMARD, une véritable typologie politico-économique du socialisme61 pour saisir la pluralité des modèles et les implications profondes notamment pour des formations sous-développées caractérisées par une immaturité des structures sociales et des rapports de production. Cette pluralité est encore plus nette lorsque lřon envisage les voies dřaccès. b) Les voies d’accès au socialisme Cette réflexion est propre aux disciples dont le plus prestigieux est sous ce rapport V. LENINE. Les voies dřaccès au socialisme ont fait lřobjet de deux (02) conceptions diamétralement opposées concernant les moyens à mettre en œuvre. Pour la première, la transition nřintervient quřaprès une rupture révolutionnaire violente. Les classes au pouvoir ne sont pas de nature à capituler et abandonner pacifiquement le pouvoir politique. Cet abandon ne peut provenir que de lřissue dřune lutte violente que la classe ouvrière assume par ses organisations lřavant-garde. La thèse pose le problème de la violence dans lřhistoire62. La seconde thèse défend le passage pacifique au socialisme comme une voie possible. Dans le fond, il importe cependant dřobserver que lřhistoire offre une pluralité de voies de passage au socialisme. Il en est précisément ainsi parce que lřaccès au socialisme dépend aussi bien de facteurs internes que de la conjoncture extérieure. Dans ce sens, Roger GARAUDY rappelle avec On peut dire que toute imitation mécanique où tentative de construire un modèle socialiste sur ces bases dans les formations sous-développées mépriseraient carrément les réalités objectives. En conséquence, le décalage entre la théorie et le réel ouvre une voie sûre à lřéchec. LENINE administre de ce point de vue une magistrale leçon de recherche non dogmatique dřune transition vers le socialisme, assise sur le niveau effectif de développement des forces productives. Tous les problèmes théoriques ouverts à la discussion des intellectuels du parti ont été brutalement résolus dans le sang par STALINE qui a physiquement liquidé tous les protagonistes. Le combat cessa faute de combattants. 61 G. AIMARD : Typologie politico-économique du socialisme. Revue algérienne des Sciences Juridiques, vol. VII, n°1, mars 1970. 62 Ce problème des conditions de la révolution a fait lřobjet de vives polémiques dans les mouvements de libération. F. FANON figure en bonne place (les damnés de la terre, Édit. F. MASPERO) parmi les défenseurs de la lutte violente mais à côté de CHE GUEVARA (la guerre de guérilla). 60 1 0 beaucoup dřà-propos, que la révolution ne se définit aucunement par une stricte violence mais par un changement profond dans les rapports de production. Il observe que «les deux (02) possibilités, violente et pacifique, sont toujours ouvertes et leur actualisation dépend de la conjoncture» 63. En clair, la question ne peut se résoudre dans lřabsolu et les expériences concrètes montrent des processus dřaccès multiformes dont aucun nřest pur 64 . Donc il nřy a là aucune mécanique, les voies de passage dépendent à la fois des traditions de lutte, de lřétat des classes sociales et de leur degré dřorganisation et des rapports des forces sociales à lřéchelle mondiale. Lřintérêt de cette idée de pluralité des voies de passage est dřintroduire par une autre fenêtre la pluralité des modèles car les structures que des forces radicales conséquemment préparées mettent en place peuvent être qualitativement différentes et celles quřinstallent dřautres forces négociant prudemment le passage. En définitive, on peut retenir de lřexamen de la théorie du socialisme scientifique que celui-ci se définit par des critères précis qui sont en réalité des objectifs. Les critères sont, dřabord lřavènement dřun pouvoir prolétarien capable de diriger la vie économique, politique et sociale et dřaméliorer de façon soutenue les conditions matérielles68 dřexistence des masses laborieuses et ensuite, lřextension de la propriété sociale qui apporte une mutation radicale dans les rapports sociaux de production de manière à garantir une réelle participation des producteurs à la direction et à la gestion des unités de production. Ces principes sont altérés par les structures économiques et sociales au départ de la transition de sorte quřà lřarrivée, la formation socialiste révèlera des particularités qui la différencient du schéma idéal. À la lumière de ces analyses, il devient possible de formuler avec plus de précision les éléments de base dřune théorie de la transition entendue comme une phase organiquement complexe, structurée et préparatoire au socialisme. Dans ce cas, la formation sociale en transition se caractérise par un ensemble de composantes structurales dont une est dominante. Chaque composante est un mode de production que les stratégies mises en place sur le plan politique, économique et social bousculent ou renforcent. Ainsi, dans la transition, le problème de lřÉtat Ŕ qui est un appareil et non lřexpression de la société Ŕ doit être réglé. Par son contenu social et son organisation, il doit être à mesure de diriger et de conduire les changements fondamentaux. Il est en permanence menacé par le phénomène bureaucratique qui peut le transformer en un gigantesque appareil hautement répressif et inefficace. Cřest dans ce sens que LENINE recommandait dřutiliser les «orientations ouvrières pour défendre les ouvriers contre leur État» 69. Sur le plan économique également, les tâches de transition sont complexes. Le problème central est de savoir comment arriver au renforcement du secteur socialiste pour quřil soit suffisamment large et efficace pour introduire les changements dans les rapports de production et améliorer les conditions sociales dřexistence. En fait, la socialisation des instruments de production est un moyen au service dřune élévation continue du niveau des forces productives sans laquelle la transition ne produit autre chose quřune socialisation de la misère et de la pauvreté. Il faut alors que le nouvel appareil de lřÉtat soit capable dřassumer ses fonctions de gestionnaire. À lřévidence, Roger GARAUDY, op. cit. p. 305. F. ENGELS, sur la question est très pragmatique. Il écrit «pour moi, en tant que révolutionnaire, tout moyen conduisant au but est valable, le plus violent comme celui qui semble le plus pacifique». De 63 64 1 0 même, MARX observe que «nous agirons contre les gouvernements bourgeois pacifiquement là où cela est possible, par les armes quand cela est nécessaire». LENINE ne dit pas autre chose dans la polémique avec les gauchistes qui ignorent lřopportunité du compromis. 68 Denis CLERC dans article marxisme et nouveaux problèmes» (Économie et humanisme, mai-juin, 1977) souligne cet aspect productiviste du marxisme car dans la doctrine, la mission du prolétariat est de se servir de sa suprématie politique pour accroître au plus vite la masse des forces productives. Lřauteur, à tort me semble-t-il, condamne cette problématique productiviste sans laquelle toute amélioration des conditions dřexistence serait illusoire. Personne ne peut raisonnablement soutenir un socialisme de la pauvreté ou une socialisation de la misère. 69 N. BOUKHARINE était parfaitement conscient de la gravité du phénomène bureaucratique ; ce qui lřamenait à observer que «dans les pores de notre gigantesque appareil sont nichés des éléments de dégénérescence bureaucratique absolument indifférents aux intérêts des masses, à leur vie, à leurs intérêts matériels et culturel». lřexercice de fonctions économiques exorbitantes aboutit à une inefficacité, donc au gaspillage des ressources et à la stagnation. Tout compte fait, une juste solution de ces problèmes de la transition nécessite une correcte appréciation de la structure centrale de la formation en transition et des rapports sociaux impliqués. Cřest à partir de leur connaissance quřil est possible dřétablir une périodisation du processus de transition qui, selon P. JACQUEMOT, «désigne les changements effectivement opérés dans lřétat des rapports sociaux fondamentaux et principalement quant au rôle des producteurs immédiats dans lřarticulation des procès de production et de répartition du produit social» 65 . En somme, cette périodisation permettra de saisir les divers facteurs perturbateurs et les obstacles qui retardent les progrès du socialisme et dřenvisager les moyens à mettre en œuvre pour les lever. Tous ces éléments indiquent que pour les formations sous-développées qui partent avec de sérieux handicaps économiques et sociaux, il est impérieux de définir avec clarté le projet socialiste de société qui ne soit ni une copie mécanique, ni une utopie, ni une aventure. Ces travers ne peuvent être évités que si le projet est rivé aux réalités objectives, donc au réel. Section 4 : Deux limites du marxisme originel : la baisse tendancielle et la chute inéluctable du capitalisme. Ricardo avait lui aussi prédit la fin du système capitaliste, en se basant sur une analyse de classes économiques. Comme on lřa fait pour Ricardo, il sřagit maintenant de mette en exergue les aspects du modèle de Marx qui sont toujours applicables et ceux qui ne le sont pas aux conditions dřaujourdřhui ; et pour les parties inapplicables, dřanalyser si cřest à cause dřun changement au niveau des conditions de la société sur lesquelles le modèle était fondé, ou à cause de problèmes dans la logique en lui-même. I/ Les implications de la deuxième version de la détermination des prix sur la loi de la baisse tendancielle du taux de profit. Lřassertion de MARX Selon laquelle le taux de profit moyen est égal à PL/ (Cř+V) est fondée sur lřargument que le montant global des profits est égal au montant global de la plus-value, PL. Mais rien ne prouve que les prix sřajusteront de telle façon que le montant global de profits soit égal au montant global de plus-value. MARX essaye de le prouver, mais 65 Pierre JACQUEMOT, op. Cit. p. 598. 1 0 si on examine ses arguments attentivement (par exemple, le passage au chapitre 10 du troisième livre du Capital apparaissant sur les pages 176-177 des Éditions sociales, tome VI), on sřaperçoit quřil avance des arguments circulaires, cřestà-dire quřil proclame que les profits sont égaux à la plus-value parce que les profits sont égaux à la plus-value. En fait, un entrepreneur nřa aucune raison dřaugmenter la composition organique de sa fabrique si cela réduit son taux de profit. Comme exemple concret, on peut reprendre lřusine de dentelle analysée plus haut. Pour simplifier considérablement, on utilise la formule «sans nuance» pour calculer le taux de profit. On vous rappelle que dans un premier temps (voir ligne 1 du tableau suivant), on fabriquait 30 mètres de dentelle en utilisant un capital constant ayant une valeur de 20 heures mis en œuvre par des ouvriers qui recevaient un salaire dřune valeur de 5 heures pour une journée qui durait 10 heures. Suivant la première version de la détermination des prix, la dentelle se vendait pour sa valeur, soit 90 f le mètre. Les revenus provenant des ventes seraient (30 mètres) x (90 f/mètre) = 2700 F ; les dépenses seraient (20 heures + 5 heures) x (90f/heure) = 2250 F ; les profits seraient 2700 Ŕ 2250 = 450 F et le taux de profit serait 450/2250 = 0,2 = 20%. Si en plus, on suppose que le capital constant et le capital variable se vendent à leur valeur (ce sera le cas si lřindustrie qui produit le capital a une composition organique égale à la composition organique moyenne de toutes les industries du pays, et si on suppose par ailleurs que le taux de profit moyen du pays est de 20%, alors la deuxième version de la détermination des prix implique aussi un prix de 90 F par mètre de dentelle, puisque ce prix donne un rendement de 20% à lřindustrie dentelle. Maintenant, nous supposons que dans un deuxième temps (ligne 2A du tableau), un patron dřune usine découvre une nouvelle méthode fabriquer la dentelle. Avec méthode, du capital constant valant 22 heures plus 10 heures de travail produisent 36 mètres de dentelle. Pour le moment, puisque toutes les autres fabriques produisent la dentelle avec lřancienne méthode pour la vendre à 90 f/mètre, lui aussi peut vendre au prix des autres. Cela lui permet de récupérer un profit de 810 francs sur la vente de 36 mètres pour un taux de profit de 33,3%. Mais les autres chefs dřusine, en voyant les surprofits gagnés par celui qui innove, adopteront bientôt la nouvelle méthode. Selon la première version de la détermination des prix, à cause de compétition entre fabricants, le prix de la dentelle sera baissé jusquřà sa nouvelle valeur (compte tenu de la nouvelle méthode de production), cřest-à-dire 8/9 dřheure de travail, direct et indirect, par mètre de dentelle, soit 80 f/mètre. Comme lřindique la ligne 2B du tableau, ceci impliquerait un taux de profit de 450/2430 = 18,5%. Selon la deuxième version de la détermination des prix, la concurrence entre fabricants cessera de réduire le prix une fois que le taux de profit dans lřindustrie de dentelle est égal au taux de profit moyen pour lřensemble du pays, cřest-à-dire 20% (si le taux de profit était vraiment réduit à 18,5%, des capitalistes abandonneraient lřindustrie de dentelle pour dřautres secteurs ayant un taux de 20% réduisant ainsi la production et créant une pénurie de dentelle qui augmenterait son prix). Avec la nouvelle méthode de production, les dépenses pour capital constant (22 x 90 F) et pour capital variable (5 x 90 F) sont au total, 2430. Un taux de profit de 20% sur 2430 F de dépenses donne des profits au montant de (0,2 x 2430) = 480 F. Ajoutant ces profits aux dépenses, on sait que le revenu provenant de ventes est 2430 + 486 = 2916 F. Si 36 mètres de dentelle se vendent pour 2916 F, alors un mètre de dentelle se vend pour 2916/36 = 81 francs (voir la ligne 2 C du tableau). La quantité de plus-value nřa rien à voir avec la nature ou la quantité du produit fabriqué : la plus-value est définie simplement comme la longueur de la journée de 1 0 travail moins la valeur du salaire. Comme on peut le constater, en comparant la ligne 1 avec la ligne 2 C, les profits ne restent pas en proportion constante avec la plus-value (en ligne 1, la proportion est de 90 francs de profits par heure de plus-value, en ligne 2 C, la proportion est de 97,2 francs par heure de plusvalue). Rien nřempêche que toutes les industries du pays subissent les mêmes changements que lřindustrie de dentelle : un accroissement de la composition organique et de la productivité, accompagné dřune réduction du prix, sans réduction du taux de profit, ni augmentation du taux de la plusvalue. En conclusion, la «loi de la baisse tendancielle du taux de profit» est contestable parce quřelle repose sur un faux raisonnement comme quoi le profit global dans un pays serait égal à la plus-value globale. On peut avancer toutes sortes dřarguments qui auraient comme implication une baisse tendancielle du taux de profit (voir par exemple, le modèle de Ricardo). Il se passe que le raisonnement avancé par Marx est un sophisme. II/ Pourquoi les sociétés capitalistes ne se sont elles pas effondrées ? Pourquoi « le capitalisme moribond se porte-t-il toujours bien ? » À cause des profits de lřimpérialisme (discuté sous «LENINE ») et de lřéchange inégal avec le tiers-monde. À cause de l’augmentation du niveau de salaires dans les pays capitalistes avancées et de changements politiques. Une multiplication du niveau de salaires, depuis le temps de Marx dans les pays capitalistes industrialisés a enlevé la misère de la classe ouvrière et dans même temps a fourni un débouché pour la production élargie de ces pays. En effet, la proportion du PIB attribuée aux salaires en divers pays riches a été si stable que certains considèrent la stabilité de la production (salaire)/(PIB total) comme une «loi» économique (la soi-disant « loi de Bowley»). Aux Etats-Unis, par exemple, la proportion de salaires dans le PIB a à peine varié de 67% au cours des dernières cinquante années (lřautre tiers du PIB prend la forme de profits et de rentes). En conclusion, l’évidence empirique démentit ce que Marx appelle la «loi absolue, générale, de l’accumulation capitaliste» au cadre des pays capitalistes avancés. Lřamélioration des conditions de la classe ouvrière était due non seulement à des causes économiques (lřaugmentation de la productivité), mais aussi à des causes politiques. Il est instructif à cet égard de réviser brièvement lřhistoire du parlement anglais. Des réformes électorales augmentant le pourcentage dřadulte mâles qui avaient le droit de voter ont eu lieu en 1832, 1867, 1885 et 1918 (les femmes âgées dřau moins 30 ans ont acquis le droit de vote en 1918 ; les femmes âgées de 21 à 30 ans, en 1928). Avant la réforme de 1832, le parlement était élu, surtout par la grande et la petite noblesse, en suivant un mélange chaotique de lois médiévales. Après la réforme de 1832, les représentants des industrialistes avaient une légère majorité sur les représentants de la noblesse. Sous ce régime, les infâmes «Corn Laws» furent annulées en 1846, permettant lřimportation du blé sans paiement de tarif douanier ; et une série de lois de réforme des conditions de travail furent passées, commençant en 1833. Après la majorité des électeurs étaient la petite noblesse et la classe moyenne en campagne, la classe moyenne et les cadres en ville. Les parlementaires ainsi élus ont renforcé les lois portant sur les conditions de travail et ont légalisé lřaction syndicale. Après la 1 0 réforme électorale de 1885, la majorité de la population pouvait voter, y compris la majorité des ouvriers industriels et agricoles. Sřil était raisonnable de penser, en 1848 que «le gouvernement moderne nřétait quřun comité qui gère les affaires commune de la classe bourgeoise toute entière» (Marx et Engels, Manifeste communiste), cette thèse devient très difficile à défendre une fois que toute la population choisit les membres du parlement. Dans des pays autres que lřAngleterre, notamment lřAllemagne, des lois socialistes furent passées même avant que la majorité de la population ait eu le droit au vote, justement avec lřobjectif dřéviter une situation qui engendrerait une révolution prolétarienne. 1°) À cause de l’adoption des mesures keynésiennes Les crises économiques, causées largement par des imbalances entre lřoffre de fonds pour lřinvestissement (lřépargne) et la demande pour les investissements au niveau global de lřéconomie, sont devenues de plus en plus graves jusquřà la crise qui débuta en 1929 et toucha son fond en 1933. Depuis lors, lřadoption de mesures keynésiennes a évité des crises majeures («dépressions») dans les pays capitalistes avancés toutefois, la mise au point exacte de lřéconomie nřa pas été perfectionnée, de manière quřil se passe encore des crises mineures («récessions»). Essentiellement, le gouvernement compense lřépargne excessive avec des dépenses au-delà des recettes budgétaires. Ainsi, pour rétablir la balance entre lřoffre et la demande au niveau global, lřÉtat peut imprimer de lřargent pour acheter la production de lřéconomie que le secteur privé ne veut acheter soi-même. 2°) La monopolisation reste comme un problème fondamentalement irrésolu dans les pays capitalistes. Dans les pays capitalistes avancés, de plus en plus dřindustries deviennent concentrées dans les mains de quelques firmes géantes, et les firmes géantes deviennent toujours plus gigantesques. Plusieurs facteurs contrecarrent, sans éliminer, ce problème de monopolisation : la compétition internationale (par exemple, le géant Fiat contre le géant Volkswagen), lřémergence de nouvelles industries qui ne sont pas encore concentrées dans les mains de quelques producteurs (par exemple, la fabrication de transistors), la compétition entre diverses industries (par exemple, on peut remplacer le cuivre par lřaluminium si le cuivre devient trop cher), la législation contre le monopole, un esprit de «vivre et laisser vivre» dans les industries dominées par quelques compagnies (par exemple, la compagnie Renault nřa pas comme objectif la destruction des compagnies Peugeot et Citroën), et finalement, lřabsence de profondes crises économiques qui élimineraient périodiquement un grand nombre de firmes faibles. 3°) Que reste-t-il de la théorie de la valeur travail ? 1 1 Nous avons vu que dans le système capitaliste, les prix de marchandises ne sont pas proportionnels aux valeurs des marchandises, et que le montant global des profits nřest pas égal au montant global de la plus-value. Quoique superficiellement attrayante, la théorie de la valeur travail élaborée par Marx ne permet pas le calcul des prix, et elle ne permet pas le calcul du taux de croissance de lřéconomie à travers lřaccumulation de moyens de production, puisquřelle ne permet pas le calcul du montant de profits qui financerait cette accumulation. Ayant fait cette critique de la théorie de la valeur marxiste, il faut ajouter quřaucune autre théorie de la valeur nřest entièrement satisfaisante, non plus. Un objectif central de la théorie de la valeur marxiste est dřéviter lřattribution de la création dřune valeur à des entités abstraites telles que «le capital » et «la terre» (selon Marx, seul le travail crée la valeur). Il est vrai que le capital, conçu comme un fonds dřargent, ne crée aucun produit en soi-même. Mais quand on considère le capital conçu comme un stock de machines et dřautres moyens de production, on voit que les machines créent des produits, et on voit que la valeur de la production dřune machine peut être plus grande que le montant du travail nécessaire pour construire la machine elle-même. Prenons un exemple concret. Nous supposons que les 10 hommes travaillant un an peuvent fabriquer 100 tonnes de briques (la matière première, lřargile est gratuite) ; ou bien que 5 hommes puissent passer un an à construire une machine, et la machine, qui dure une année, peut être utilisée par 5 ouvriers pour fabriquer 108 tonnes de briques. Puisque le travail total est le même dans les deux cas, dix hommesannées de travail, où peut on attribuer les 8 tonnes de plus fabriquées, sinon au capital investi en la machine ? Pour affecter efficacement des fonds dřinvestissement limités, même un État communiste devrait agir comme sřil essayait de maximiser les profits sur ses investissements. (En effet, le gouvernement soviétique exige le paiement dřun taux dřintérêt sur les investissements faits dans ses industries, mais pour ne pas insulter la mémoire de Marx, on appelle cela : «la facturation dřun loyer pour le capital» au lieu que «lřextraction dřun taux de profit»). Section 5 : La contribution positive du marxisme à la pensée du développement. Après la chute du socialisme en Europe de lřEst et la défaite des Partis Communistes dans les pays du socialisme réel, la question se pose de savoir ce qui reste de Marx ? En dřautre terme, le marxisme inspireŔt-il encore la pensée économique et sociale ? Ces réflexions sont menées partout dans le monde mais avec des contributions de réactualisation plus massives et plus remarquables particulièrement dans les Universités américaines avec entre autres P. BARAN, P. SWEEZY, Samuel BOWLES (Univesité du Massachusets), R.HEILBRONER (School for Social Research), A. MELTZER. I/ Le premier aspect positif de la théorie marxiste est la concentration sur le «surplus» économique : les analyses de P. BARAN et P. SWEEZY P. BARAN et P. SWEEZY observent à partir de lřanalyse marxiste que toute les sociétés fussent-elle dřune extrême pauvreté produisent plus que le minimum absolument nécessaire pour la subsistance de leur population, laissant un surplus. Ainsi, en prenant le Sénégal où le revenu par habitant est très faible, il est commun de 1 1 constater, même dans lřagriculture, la formation dřun surplus qui peut être assez substantiel. On peut analyser la nature dřune société, dit MARX, à partir de lřétude des modalités de la formation et de la dépense de ce surplus économique. Les utilisations possibles du surplus selon les classes sociales : construction de grandes mosquées, dřédifices communautaires, les dépenses de consommation de luxe, lřinvestissement, le loisir. Cette question revêt aujourdřhui une importance capitale car les PSD sont caractérisés par des déficits importants dřépargne ce qui fait quřils comptent sur les transferts de capitaux pour financer les investissements productifs. Pourtant une épargne existe même si elle est assez faible. Il importe de la mobiliser comme le font maintenant les systèmes financiers décentralisés et les tontines en vue de leur utilisation à des fins productives. Dans la société socialiste, le surplus serait réparti entre lřinvestissement, dřune part et lřaccroissement du loisir (réduction des heures de travail) et de la consommation de la population entière de lřautre. II/ Un deuxième aspect positif de l’approche marxiste est sa concentration sur les liens entre politique et économique Sous plusieurs angles, lřanalyse marxiste est une méthode globale expliquant la très forte imbrication dialectique des variables économiques et non économiques, de lřinfrastructure matérielle et de la superstructure. Toutefois, la sphère économique est la plus déterminante en dernière instance. Toutefois, même si par moments, les événements politiques ne sont pas sans influence sur lřéconomie, surtout à court terme, les facteurs économiques seraient fondamentaux, dès que lřon raisonne à long terme. Sur un autre plan, MARX établit que les méthodes de production, les «moyens de production» déterminent les «relations de production», cřest-à-dire les relations entre les hommes et les choses (matières premières, outils, produits) et les relations entre les hommes et les hommes. ENGELS ajoutera dans « Socialisme utopique et socialisme scientifique » que « nos idées juridiques, philosophiques et religieuses sont les produits plus ou moins directs de conditions économiques régnant dans une société donnée ». Toutefois, on peut critiquer cette approche marxiste qui présume une causalité unilatérale de lřéconomie vers la politique cela doit être nuancé car il nřexiste pas de corrélation intangible entre les facteurs économiques qui causent les événements politiques et les facteurs politiques ou sociaux. En considérant la question de la répartition du revenu national, elle constitue le talon dřAchille des économistes non marxistes qui ignorent le problème et soutiennent que la croissance du PIB est un bon objectif mais ils ne cherchent pas à savoir qui sont les bénéficiaires de la croissance. Il est vrai que les marginalistes à partir de la théorie de la valeur utilité, ont tenté de reconstruire toute la théorie de la répartition du revenu national. Pour eux, sur un marché de concurrence pure et parfaite, les facteurs de production sont rémunérés en fonction de leur utilité marginale. La productivité du dernier travailleur employé détermine le salaire de lřensemble des travailleurs. La rente foncière et lřintérêt du capital se déterminent de la même façon .Quant au profit, le marginalisme fait éclater le concept : il se décompose en intérêt du capital dřune part, en rémunération du travail de direction dřautre part. Le profit pur nřexiste quřen tant que rente de monopole qui disparaît en régime de concurrence pure et parfaite. III/ Un troisième aspect positif de la théorie marxiste est la constatation que les «lois» économiques changent avec la société. 1 1 En effet, le comportement économique des hommes en période capitaliste est différent de ce quřil était à lřépoque féodale. Notez le contraste entre ce point de vue et celui de Smith. Marx dira clairement que chaque société crée non seulement les conditions pour la reproduction de la même société pour la prochaine génération de ses habitants, mais crée aussi, graduellement, les conditions qui mèneront à la destruction de lřorganisation présente du pays, et le passage à un nouveau niveau de société plus évoluée. La nature de la société change à travers lřhistoire, dans ses aspects sociaux, économiques, politiques, religieux, psychologiques, etc. Par exemple, les lois du jeu économique dřune société féodale sont tout à fait différentes des lois du jeu économique dřune société capitaliste. Les «règles internes» de la société changent mais les lois scientifiques qui déterminent les règles internes dřune société ne changent pas. On peut faire le rapprochement avec une société privée qui peut modifier ses règles internes dřune année à lřautre, mais toujours sous le contrôle des lois du pays. IV/ La théorie économique marxiste répond à différentes questions que les théories économiques non marxistes n’envisagent pas. Ce phénomène cause fréquemment des malentendus. On peut illustrer ce point avec le chapitre du Capital intitulé «la différence dans les taux de salaires nationaux» (le chapitre 22 du premier livre). La première chose à remarquer est la brièveté du chapitre (seulement 5 pages dans un ouvrage de 2300 pages). En effet, Marx sřintéresse beaucoup plus à lřévolution du niveau de salaire dans un pays et à la répartition des revenus à lřintérieur dřun pays, quřaux comparaisons internationales. Pour Marx les différences dans les facteurs suivants sont en dernière analyse les causes de différence entre salaires nationaux. Il sřagit notamment de : la répartition de lřeffectif de la main dřœuvre entre hommes, femmes et enfants ; la longueur de la journée de travail ; le prix des produits alimentaires (le même salaire réel coûte plus dans un pays où la nourriture est plus chère) ; la longueur de la journée de travail ; le prix des produits alimentaires (le même salaire réel coûte plus dans un pays où la nourriture est plus chère) ; le niveau moyen de qualification et dřentraînement des ouvriers ; le standard de vie (ce qui est considéré comme le minimum de subsistance varie dřun pays à un autre) ; lřintensité du travail ; et la productivité du travail. Marx observa que souvent le salaire par jour était plus élevé en Angleterre que dans les pays les moins développés du continent européen, tandis que le salaire par unité de produit était plus bas en Angleterre. Ceci serait le cas, par exemple, si le salaire anglais par jour était 1,5 fois le salaire français, tandis que chaque ouvrier anglais fabriquait 2 fois autant de produit par jour quřun ouvrier français. Mais après avoir fait cette observation, MARX rejette lřidée que le niveau moyen du salaire dans un pays est proportionnel au niveau moyen de productivité dans le pays : dans ce sens, il note que « Monsieur H. Carey cherche à démontrer que les différents salaires nationaux sont entre eux comme les degrés de productivité de travail national. La conclusion qu’il veut tirer de ce rapport international, c’est qu’en général la rétribution du travailleur 1 1 suit la même proportion que la productivité de son travail. Notre analyse de la plusvalue prouverait la fausseté de cette conclusion » (Marx, Capital, Livre premier, chapitre 22). Dans la plupart de ses réflexions, Marx considère comme donné le niveau réel du salaire et procède à une analyse de la répartition des revenus dans un pays capitaliste, en relation avec la lutte des classes. Par exemple, il observe que « La valeur de la force de travail (c’est-à-dire le niveau des salaires) est déterminée par la valeur des nécessités de vie habituellement requises par un travailleur moyen. Tandis que la forme de ces nécessités peut varier à travers l’histoire, leur quantité est connue pour une société déterminée, et peut ainsi être traitée comme une magnitude constante. (Marx, Capital, quatrième édition allemande, livre premier, chapitre 15). Ainsi, quand on regarde les facteurs que Marx mentionne en passant comme déterminant le niveau national du salaire, un niveau quřil traite comme une quantité déterminée pour son analyse, on voit que ce quřil prend comme «une magnitude constante» est le sujet de la théorie non marxiste de lřéconomie du développement. En effet, cette dernière essaie dřexpliquer des changements dans le niveau de vie (les «nécessités de vie habituellement requises par le travailleur moyen») en termes de changements de productivité du travail et de différences internationales dans la propension à travailler («la productivité et lřintensité du travail») ; les différences de productivité sont en partie expliquées par la théorie du capital humain («le niveau moyen dřentraînement des ouvriers», etc.). De la même manière, les économistes non marxistes considèrent comme des données, les conditions que lřanalyse marxiste essaie dřexpliquer sur le comportement économique des hommes (par exemple lřeffort de maximiser leurs revenus), les lois de base de la société (par exemple la propriété privée), la répartition des revenus, la répartition du pouvoir politique, etc. En conclusion, une difficulté pour la comparaison entre la théorie économique marxiste et la théorie économique non marxiste est que ces deux théories répondent à des questions différentes. 1 1 CHAPITRE 6 LA RÉVOLUTION KEYNÉSIENNE ET NÉOKEYNESIENNE DE L’ANALYSE DE LA CROISSANCE ÉCONOMIQUE ET DU DÉVELOPPEMENT. Lřimportance de lřanalyse keynésienne dans le domaine du développement économique et de la croissance tient moins à lřélaboration par KEYNES dřun modèle complet du développement que par son approche des problèmes et les instruments utilisés. J.M. KEYNES nřest pas à proprement parler un théoricien du développement et de la croissance seulement ; toutefois, il a joué en la matière un rôle fondamental. Dřabord, ses théories ont inspiré sur une trentaine dřannées les politiques économiques de sortie de crise et de relance de la croissance. En effet, aucune crise économique sérieuse nřa secoué le système capitaliste mondial depuis 1940 jusquřau début des années 70. Keynes a indiqué avec simplicité les politiques économiques de reprise et de régulation de la croissance que les gouvernements ont mise en place avec succès, ce qui sřest traduit par lřavènement des « Trente Glorieuses années de croissance (1945-75) » dans le monde capitaliste. Ces résultats ont fait dire à des analystes que si le « capitalisme moribond » décrit par Marx, se porte bien, cřest grâce à la thérapie keynésienne. Ensuite, les principaux théoriciens de la croissance sont des disciples, ou alors très fortement influencés par Keynes. Ce sont notamment HICKS, HANSEN, HARROD, DOMAR et SCHUMPETER, qui ont continué ou approfondi toute lřanalyse économique du maître sur la question centrale de la croissance. Enfin, les premiers outils analytiques et conceptuels des théories de la croissance et du développement sont keynésiens. Ce sont la consommation, le revenu, lřépargne, lřinvestissement. Cřest le multiplicateur que KEYNES a emprunté à KAHN et qui permet de passer dřun investissement donné à lřaccroissement du revenu : En écrivant Y C(Y) I , en dérivant, on obtient : dY c' dY dI dY(1 c') dI dY dI 1 1c' Le multiplicateur est accouplé à lřaccélérateur que KEYNES a emprunté à AFTALION et qui traduit quel est lřeffet inverse dřun accroissement du revenu sur le montant de lřinvestissement. Cřest surtout HARROD qui introduit lřaccélérateur dans la théorie de la croissance et cherche à la combiner avec le multiplicateur pour prendre une vue dřensemble de la dialectique des liens entre le revenu et lřinvestissement. Que reste-t-il de lřanalyse keynésienne, après les multiples remises en cause de sa pensée ? Les recettes de politique économique peuvent-elles encore servir ? Section 1 : L’analyse keynésienne Examinons le système des idées de lřorthodoxie keynésienne dans leur suite logique et leur enchaînement. Le point de départ de J.M. KEYNES est quřil faut chercher la solution des problèmes économiques de la société non pas du côté de lřoffre de ressources (leur rareté, leur valeur, leur combinaison optimale, la rémunération des facteurs de production) mais du côté de la demande qui garantit la réalisation de ces 1 1 ressources. Cette conception amène Keynes à la critique puis au rejet brutal, bien après MARX, de la loi de J.B SAY selon laquelle la surproduction est impossible car lřoffre engendre automatiquement sa demande. Elle est possible, dit KEYNES et de façon durable. Keynes avance le problème de la demande effective et de ses deux composantes : la consommation et lřépargne. À lřanalyse, chaque homme a deux utilisations possibles de son revenu : le consommer ou lřépargner. La fameuse loi psychologique humaine veut que plus le revenu sřélève plus la fraction épargnée sřélève aussi. Si bien que dans les sociétés en expansion, de même que dans les sociétés riches, la propension à consommer diminue, la propension à épargner augmente. Tout va bien tant que lřépargne accumulée est toute entière investie. Mais lřégalité entre lřépargne et lřinvestissement est un hasard parce que lřun et lřautre ne sont pas commandés par les mêmes forces. Lřépargne dépend de la propension à épargner pour un revenu donné, alors que lřinvestissement dépend dřune autre force psychologique, lřincitation à investir elle-même commandée par la différence entre le taux dřintérêt et lřefficacité marginale du capital. Le système keynésien s’enchaîne comme suit : Figure 6 : Enchaînement du système keynésien Fonction Demande de monnaie Offre Efficacité marginale du capital Taux d’intérêt Revenu Fonction de consommation Multiplicateur Épargne Fonction d’investissement Demande d’investissement + demande de consommation Consommation Demande effective Production Cette analyse permet dřétablir lřarticulation entre les différentes variables du circuit économique et de comprendre lřenchaînement des variables des politiques économiques préconisées par KEYNES. Celles-ci sont de trois ordres : La politique monétaire qui stimule lřinvestissement productif privé et public ; La politique de finances publiques par une fiscalité redistributive. 1 1 La politique dřinvestissement. Ces trois politiques doivent être expliquées par suite de lřintérêt que leur portent encore beaucoup de techniciens du développement. Toutefois, la préoccupation nřest pas une analyse de théorie économique mais une représentation du schéma keynésien et les analyses les plus pénétrantes pour le développement. I/ La politique d’investissement Alain BARRERE observe que «KEYNES était trop attaché au système économique dominant pour préconiser son abandon immédiat et pour le rejeter sans en avoir tiré ce quřil était susceptible de donner. Cřest la raison pour laquelle il recommande la stimulation de lřinvestissement privé comme meilleur moyen de développer le volume de lřemploi. De plus, il cherche ce développement par une politique bancaire compatible avec le jeu normal du système». Lřidée centrale de lřanalyse keynésienne est la demande effective, somme des dépenses de consommation et des investissements supposés. En définitive cřest elle qui détermine le niveau de lřemploi et celui du revenu. P. Samuelson dira à ce propos que « Les grandes lignes fondamentales sont acceptées par tous les économistes de toutes les Écoles, par beaucoup dřauteurs y compris ceux qui ne partagent pas les mesures spécifiques de politique économique ». La dynamique du développement réside dans le jeu des variables que sont la consommation et lřinvestissement. Réglons la question de la consommation qui est une fonction du revenu. La dépendance fonctionnelle amène Keynes à conclure que lorsque les revenus augmentent la consommation augmente, mais pas dans les mêmes proportions. Cela est relié à la loi psychologique fondamentale caractéristique des sociétés riches. Dès lors, pour maintenir une croissance constante du revenu national, il faut augmenter les investissements appelés à absorber lřexcédent dřépargne. Le rôle de lřinvestissement dans le dispositif keynésien est central. Il note dans ce sens que « Pour une valeur donnée de ce que nous appelons la propension de la communauté à consommer, cřest le montant de lřinvestissement courant qui détermine le niveau dřéquilibre de lřemploi, le niveau où rien nřincite plus les entrepreneurs pris dans leur ensemble à développer ni à contracter lřemploi » (Théorie générale pp52-52). Dans la « Théorie générale», le montant de lřinvestissement dépend de deux facteurs : lřefficacité marginale du capital qui augure des avantages attendus à long terme des investissements actuels, et le taux dřintérêt. Lřefficacité marginale du capital dépend avant tout de lřévaluation des profits futurs, des perspectives favorables de lřéconomie, des révolutions techniques, des risques encourus, des incertitudes, etc. Le taux dřintérêt est lřautre composante de lřinvestissement. Mais il est un paramètre monétaire II/ La politique monétaire de stimulation de l’investissement La politique monétaire de KEYNES est fort simple : puisque lřinvestissement se développe tant que lřefficacité marginale du capital est supérieure au taux de lřintérêt, il faut sřefforcer dřélever la première et dřabaisser le second. Seulement, il est difficile dřobtenir une élévation de lřefficacité marginale dès lors que la politique monétaire se résout à une politique de maniement du taux de lřintérêt. Cřest sur cette base que lřon écrit la fonction dřinvestissement de la manière suivante : 1 1 I Io ji où (j) est un paramètre monétaire et (i) le taux dřintérêt. On établit ainsi que le volume de lřinvestissement varie pour un certain niveau donne (Io) en sens inverse par rapport au taux de lřintérêt. Pour accroître lřinvestissement, il faut baisser le taux dřintérêt à long terme. Or, dans sa théorie de lřintérêt, son niveau est déterminé par lřaction combinée de lřoffre et de la demande sur les encaisses monétaires. Cřest dire que lřintérêt est un phénomène purement monétaire exprimant les automatismes du marché de la monnaie : la demande et lřoffre. La première que Keynes appelle aussi la préférence pour la liquidité dépend de trois motifs : le motif de transaction découlant des besoins engendrés par la circulation de la monnaie et des marchandises ; le motif de précaution étroitement lié au premier et le motif de spéculation, cause directe des variations imprévues de la préférence pour la liquidité, qui influe sur la dynamique du taux de lřintérêt Lřaction régulatrice de la monnaie et du crédit, la modification du volume de lřoffre de monnaie sřopèrent à partir de deux actions qui portent respectivement sur une expansion de la masse monétaire et sur les créances à long terme. Le premier point part de lřidée que plus la monnaie est abondante, plus il est bon marché, donc il faut accroître la masse monétaire. Bien entendu, il pourrait en résulter une élévation des prix donc un approfondissement de lřinflation mais celle-ci ne serait pas ruineuse si elle arrive à provoquer une hausse de lřefficacité marginale du capital. Il y a là une politique de financement de lřinvestissement que nous préconisons dans les développements ultérieurs. Car lřinflation peut jouer un rôle dans le processus dřaccumulation si elle est utilisée à bon escient. Pour ce qui est du second moyen, il consiste en une action indirecte sur le marché des capitaux par lřintermédiaire des créances à long terme, cřest-à-dire que pour obtenir une baisse des taux dřintérêts, les Autorités monétaires achètent des titres et font ainsi monter les cours des valeurs ce qui fait apparaître un taux dřintérêt plus bas. On voit alors que les actions sur les déterminants monétaires et de crédit nřexercent une influence sur le développement quřen agissant sur le processus dřinvestissement. Toutefois, si lřaugmentation de lřoffre de monnaie nřentraîne pas une diminution du taux de lřintérêt (trappe de la liquidité), la régulation monétaire et du crédit apparaît comme impuissante. Au total, toutes les politiques tournent autour de la stimulation de lřinvestissement. Sous ce rapport, KEYNES observe que le Secteur Privé est à lui seul incapable dřassurer le niveau optimum dřinvestissement nécessaire pour une expansion soutenue de lřéconomie. LřÉtat devra alors intervenir non pas seulement pour fixer un cadre général, mais pour participer, en permanence et de lřintérieur, à la direction de lřÉconomie. Quelles formes, quelle ampleur doit revêtir cette intervention de lřÉtat ? J.M. KEYNES est peu explicite sur ces points ; il sřintéresse à la théorie de lřintervention non pas à sa pratique. Seulement lřÉtat nřest autorisé à intervenir que là, et quand il ne gène pas le secteur privé et peut, au contraire, lui apporter une aide. Il sřagit de compléter lřinvestissement privé, non de le concurrencer. Au total, le contrôle de lřinvestissement global apparaît à KEYNES, comme la meilleure manière dřassurer le développement, le plein emploi. La baisse du taux de lřintérêt ne peut être poursuivie indéfiniment, et lřélévation de lřefficacité du capital nřest pas facile à réaliser. LřÉtat devra intervenir pour maintenir lřinvestissement à un niveau capable dřassurer la poursuite de lřexpansion. Donc lřÉtat doit combler la 1 1 marge que laisse apparaître la défaillance de lřinvestissement privé. Il peut le faire à travers sa politique budgétaire III/ La politique budgétaire Cřest le troisième volet des politiques keynésiennes. La politique de développement et de réalisation de plein emploi peut utiliser le canal des Finances Publiques. Selon A. BARRERE, les principes se ramènent à deux points essentiels : lřautorité publique doit combattre par la fiscalité lřinsuffisance de la propension à consommer ; les dépenses publiques doivent exercer une action compensatrice susceptible de maintenir la dépense globale au niveau requis par lřexpansion ou le plein emploi. Sur le premier point, lřobjectif visé est principalement, par une autre redistribution des revenus, à accroître les capacités de consommation sans lesquelles la menace de surproduction ne sera pas levée. Il sřagit donc dřune fiscalité redistributive qui consiste à prélever sur les revenus élevés des classes épargnantes au profit des classes où les besoins non satisfaits sont importants. Les revenus moyens ou faibles alimentent alors une plus grande dépense. Le second point concerne lřaction compensatrice des finances publiques. KEYNES note que cřest du côté de la dépense dřinvestissement que doit porter lřeffort à cause des effets multiplicatifs. Ceci conduit alors à deux (02) conclusions : dřabord, lřAutorité Publique doit effectuer des décaissements tels que le volume de la dépense globale soit maintenu à un niveau suffisant pour absorber la totalité de la production : Capacités de consommation = capacités de production ; ensuite le financement de ces décaissements peut sřopérer soit par emprunt, soit par création de monnaie. Ces différentes actions peuvent et doivent être agencées dans le cadre dřune politique financière cohérente, connue sous le vocable de déficit systématique. Il sřagit théoriquement dřopposer au déséquilibre économique (désiré, voulu) un déséquilibre financier de sens contraire. Cřest dire que le déficit autrefois condamné est systématiquement recherché pour provoquer un effet compensateur. En conclusion, toutes les politiques de développement actuellement revendiquées pour les Pays sous-développés, se réclament de ce corps de théories keynésiennes. En clair, J.M. KEYNES inspire les politiques monétaires de financement des investissements productifs et les politiques de déficits budgétaires pour soutenir le niveau des activités. Des réflexions intéressantes sur ce deuxième point sont réalisées par Paul BARAN qui voit dans le déficit budgétaire des pays capitalistes un facteur essentiel de régulation et de lutte contre la crise de surproduction. Section 2 : L’approche post-keynésienne du développement et de la croissance. À la fin des années 30, beaucoup de disciples de Keynes vont tenter dřadapter le modèle du maître à lřanalyse du développement et de la croissance à long terme. Cette analyse post-keynésienne concerne principalement trois (03) auteurs qui présentent de ce point de vue un intérêt incontestable. Ce sont : 1 1 HARROD et DOMAR qui ont découvert le premier modèle formalisé de croissance. KALECKI qui a plutôt exposé une variante du keynésianisme classique en matière de développement. Joan ROBINSON et Nicolas KALDOR qui ont soutenu une analyse de lřaccumulation du Capital en vue du développement. En 1939, R.F HARROD, étudie dans un article célèbre « les principes fondamentaux de lřéconomie dynamique. Au même moment HANSEN développe sa théorie de la stagnation. Ce sera surtout dans lřaprès-guerre quřune pléiade dřéconomistes se réclamant de J.M. Keynes écrivent plusieurs ouvrages sur la théorie keynésienne de la croissance. Ce mouvement se poursuivra jusquřà N.KALDOR et SOLOW. Ces auteurs posent trois groupes de problèmes : dřabord les déterminants de la croissance potentielle du revenu national, conditions assurant une croissance économique dite auto-entretenue (self sustained growth) ; lřéquilibre dynamique, y compris les facteurs qui le détruisent et ceux qui le restaurent. En ce qui concerne les facteurs de la croissance à long terme, les recherches sont principalement empiriques alors que la croissance auto-entretenue et de lřéquilibre dynamique ont permis lřélaboration de modèles théoriques dont certains restent encore très consistants. Cela amènera SOLOW à affirmer que « La théorie moderne de la croissance économique est consacrée essentiellement à analyser les conditions de lřétat dřéquilibre et à déterminer si une économie qui, initialement nřest pas en état dřéquilibre, pourra le devenir en respectant certaines règles du jeu dans son développement ». Cřest surtout N. KALDOR qui va formuler, dès 1958, un groupe de faits « faits stylisés » (stylised facts) caractérisant la croissance auto-entretenue ; il sřagit de : La stabilité du taux de croissance de la productivité du travail et du revenu national (avec une croissance démographique constante) ; La stabilité du taux de croissance du capital ainsi que du rapport travail/ capital, cřest-à-dire de la masse du capital par unité de travail ; La tendance à la constance du rapport capital-produit, cřest-à-dire de la masse de capital par unité de production ; La stabilité du taux de profit ainsi que de la part du profit dans le revenu national. La théorie doit alors établir comment se réunissent les conditions de la croissance auto-entretenue et de déterminer si lřéconomie est capable de compenser automatiquement les écarts par rapport à cette ligne de développement. La théorie keynésienne de la croissance tente de résoudre ces problèmes à partir des équations du modèle de HARROD-DOMAR. I/ Le modèle HARROD-DOMAR On peut dire que lřapproche post-keynésienne a pour point de départ les tentatives de dynamisation du système keynésien originel. En 1948, HARROD publiait son ouvrage «Vers une théorie de la dynamique économique». Dans la même période, E. DOMAR publie à son tour, quelques articles présentant les mêmes orientations et les mêmes préoccupations que R. HARROD. Tous ces travaux tournent autour des conditions de la reproduction, de la croissance et dans une optique keynésienne. Dans cette direction dřailleurs, HARROD observe que « la seule remarque critique que je me hasarderais à faire, cřest que le système de KEYNES est encore statique. Dřailleurs 1 2 poursuit-il, la théorie macroéconomique statique est un fondement indispensable à lřélaboration de toute théorie dynamique ». Le problème théorique que soulève la dynamisation du système keynésien, réside dans le fait que KEYNES a toujours traité lřinvestissement comme un simple instrument de création du revenu (effet multiplicateur) en ignorant les effets sur les capacités productives. Or, il nřexiste pas dřinvestissements courants sans accumulation de capital, cřest-à-dire un accroissement de la capacité productive. Il sřagit de considérer le double aspect de lřinvestissement dřabord en tant que facteur générateur de revenu et ensuite en tant que facteur créateur de capacité productive. Lřéquilibre dynamique qui sřétablit sera caractérisé par lřaccroissement simultané des revenus et des capacités de production. Les post-keynésiens sřattèleront à lřétude des conditions dřavènement dřun équilibre dynamique. Ces travaux vont permettre lřélaboration dřinstruments conceptuels nécessaires pour lřanalyse du processus du développement économique et social. Étudions de plus près le modèle de croissance de HARROD. 1°) La relation du modèle La croissance est définie en termes de revenu ou de produit. Le taux dřaccroissement sřécrit : G Y Y La production dřun niveau accru de produit requiert un investissement nouveau net (1). Or, lřinvestissement dans lřéquipement en capital nécessaire à I lřaccroissement du produit dřune unité sřécrit : C Y Où C est le capital output ratio ou encore le coefficient du capital. Étant donné la propension moyenne de la communauté à épargner, un niveau S donné de produit sera associé à un volume donné dřépargne : s Y Il est alors possible de définir la relation : G C s que HARROD qualifie de S fondamentale et qui reflèteG , le mariage du principe de lřaccélérateur et du C multiplicateur. 2°) Les variables du modèle Le Capital recouvre non seulement les biens capitaux mais aussi les biens de toute sorte produits par le système. Pour le taux de croissance (G) ne différencie pas les différents secteurs de production. Enfin, lřépargne est la fraction non consommée du revenu. Dans son analyse, HARROD distingue trois (03) taux de croissance : 1 2 Ga = le taux réel observé de croissance réalisé par lřéconomie, Gn = le taux naturel de croissance qui constitue le taux le plus élevé dřaccroissement soutenu du produit. Il est limité par lřaccroissement de lřoffre de main-dřœuvre et le progrès technique, Gw = le taux garanti de croissance. Cřest le taux dřaccroissement qui satisfait les opérateurs économiques. Des différences fondamentales existent entre ces trois (03) taux et cřest à partir de ces différences que HARROD appréhende les mouvements possibles dřun système dynamique. Ainsi, Ga dépend du comportement réel de lřinvestissement et du produit, Gn est le taux dřéquilibre compatible avec lřoffre de main-dřœuvre et le progrès technique, Gw est le taux compatible avec lřépargne de la communauté. Ainsi, on peut réécrire lřéquation fondamentale comme suit : S Ga C S Gw C Gw Ga s Cependant, ces trois (03) formes de lřéquation fondamentale nřont pas à sřégaliser à un moment donné, si deux (02) dřentre elles peuvent être égales, elles ne le seront pas à la troisième. 3°) Le fonctionnement du modèle De son modèle, HARROD déduit quřil existe deux (02) sources potentielles de déséquilibre ou dřincompatibilité : lřinégalité entre les taux réels et garanti de croissance ; lřinégalité entre les taux naturels et garanti de croissance. Ainsi, lorsque le taux garanti assurant la satisfaction des entrepreneurs est plus petit que le taux naturel GwGn assurant la satisfaction de tous les producteurs, lřéconomie traverse une phase dřessor et celui-ci est dřautant plus accentué que lřécart est plus grand. À lřinverse, lřéconomie traversera une dépression. Au total, dans le modèle, lřépargne joue apparemment un rôle primordial. Ce qui explique que des évaluations rapides mais fausses ont voulu rattacher HARROD aux néo-classiques. En effet, on constate que pour HARROD, une valeur élevée de (s) joue le rôle exactement contraire à celui quřelle joue dans le modèle néo-classique. Pour lui, loin de permettre un taux élevé de croissance, elle constitue un obstacle à cette dernière. Par ailleurs, HARROD a toujours refusé de lier le taux dřintérêt au capital output ratio, comme le voulaient les néo-classiques. Pour lui, le taux dřintérêt nřest quřun phénomène monétaire et nulle part, il nřessaie dřintroduire le concept de fonction de production, où même dřégaliser taux dřintérêt et taux de profit. Tel est lřessentiel de lřarticulation de lřanalyse dřHARROD qui cherche à donner une base objective à une politique de croissance correspondant aux forces réelles dřune économie. 1 2 II/ Les autres modèles de croissance des autres néo-keynésiens La problématique de la croissance et du développement se retrouve chez dřautres néo-keynésiens comme KALECKI, HICKS, Mrs Joan RONINSON et Nicolas KALDOR. Ces deux derniers auteurs ont marqué les théories actuelles et méritent que lřon sřy arrête. 1°) Les analyses de Joan ROBINSON Le défi dynamique de HARROD devant être relevé par J ROBINSON, préoccupé par la croissance à long terme et dont le point de départ est constitué par une rigoureuse analyse critique de la pensée néo-classique. Le système de J. ROBINSON présente une analyse de lřaccumulation de longue période. Les aspects essentiels du système peuvent être ramenés : aux flux des revenus, à la détermination du taux de profit, aux conditions dřune croissance régulière, au rôle du progrès technique, à lřeffet de la consommation des réntiers sur lřaccumulation, au produit marginal du capital et au produit marginal de lřinvestissement. Sur cette base, lřauteur étudie quelle est la relation entre le taux de croissance de la production et la croissance du stock du capital dans le temps ? Dans tout système économique en expansion, le taux dřaccumulation maximum possible est limité par le taux dřaccroissement de la force du travail et le taux auquel le progrès technique accroît la productivité par homme. Pour J. ROBINSON, une économie qui se développe à ce taux maximum possible avec un taux de profit constant est à lřâge dřor. J. ROBINSON rejette lřoptique néo-classique car cette dernière nřa jamais pu définir un taux de profit en dehors du produit marginal du capital. Pour elle, la quantité de capital nřa aucun sens si le taux de profit nřest pas préalablement déterminé, dřoù le rejet de toute théorie qui tenterait de déduire le taux de profit de la quantité de capital. Au total, dans lřanalyse de J. ROBINSON, le caractère "dual" de la relation entre le taux de profit et le taux de croissance est particulièrement mis en évidence. Cependant, elle montre quřil existe une relation double entre le taux de profit et le taux dřinvestissement, de sorte que ce dernier est le déterminant majeur du premier mais le taux de profit affecte aussi lřinvestissement à travers les anticipations. 2°) Les approches de Nicolas KALDOR N. KALDOR se propose dřélaborer une théorie dynamique de la production (1959) avec une méthode keynésienne et dans la lignée de RICARDO et MARX. Il débute son analyse avec un modèle de type HARROD exprimé en termes 1 dřaccroissement du capital physique : GK (S = épargne ; V = ratio du stock de V capital). Seulement, KALDOR diverge avec HARROD car il suppose que toutes les épargnes sont égales aux profits globaux. Ce qui suppose que les salariés nřépargnent pas et que les titulaires de profits ne consomment pas. KALDOR obtient les résultats suivants : P S 1 2 Y P I GK Y P Y K GK Y Y PPY KYK P GK K P La dernière équation indique que le taux explicite de profit du capital, K est égal au taux de croissance du capital. Lřobjectif de KALDOR est dřélaborer un modèle permettant de promouvoir un équilibre de croissance régulier qui peut être défini comme un modèle où "le taux dřaccroissement du produit par tête est égal au taux dřaccroissement de la productivité de lřéquipement, les deux étant en outre égaux au taux dřaccroissement de lřinvestissement (fixe) par travailleur et au taux de croissance des salaires". Comme le note lřauteur, le modèle est keynésien dans son mode de fonctionnement, cřest-à-dire que les décisions de dépense des entrepreneurs sont lřélément premier, les revenus sont secondaires. Il nřest absolument pas néo-classique car les facteurs technologiques (productivités marginales ou ratio marginal de substitution) ne jouent aucun rôle dans la détermination des salaires et des profits. Une fonction de production au sens dřune relation de valeur entre le capital et le travail nřexiste pas. En conclusion, si nous avons insisté sur les analyses keynésiennes et néokeynésiennes, cřest parce quřelles inspirent les politiques de développement, de même que les politiques de croissance. Elles ont particulièrement tenté dřabord, de donner une traduction simple mais totale de la dynamique de croissance et ensuite, de dégager les bases dřune politique effective de croissance optimale. Elles ont insisté sur lřinvestissement autonome considéré comme variable stratégique de la croissance. Elles ont initié une série de recherches sur le coefficient du capital, forme transformé du multiplicateur. Enfin, lřensemble des concepts keynésiens converge vers la confection de modèles dont certains, sous une forme mathématique très élaborée. Ces modèles finissent par devenir des sortes de représentation schématiques des principales variables qui président au dynamisme de la croissance. III/ Mise à mort et réhabilitation de la pensée keynésienne. Le keynésianisme a été mis en berne durant toute la période ascendante des approches libérales néo-classiques. Critiqué et presque marginalisé par la pensée orthodoxe, il a été pendant une période fortement remis en cause. La synthèse néoclassique, comme nous lřanalyserons, était construite autour de convictions fortes : les marchés des biens et du travail sont concurrentiels, il nřéxiste pas dřexternalités, 1 2 lřinformation est parfaite, lřEtat doit sřabstenir dřintervenir dans le circuit économique. Parallèlement, les politiques économques construites à partir de la vulgate keynésienne simple sont vigoureusement rejetées dans les années 70 car jugées incapables de résoudre la nouvelle crise économique et financière : inflation, chômage, déficits internes et externes, faible croissance économique Aujourdřhui, on observe un retour du keynésianisme avec une nouvelle génération de théoriciens qui reconstruisent dřune architecture inspirée du Maître: G. MANKIV, G.AKERLOFF, J.STIGLITZ, S. FISHER D.ROMER, E. PHELPS… Ces auteurs ont souvent été appelés « les poissons de mer »66 par opposition « aux poissons dřeau douce » Ils conservent les principes de base du keynésianisme comme lřimperfection des marchés et lřintervention de lřEtat. Les cycles économiques réels, observe G.MANKIV, représentent des imperfections de marché. Comme par ailleurs, lřEtat est le pilote de la machine économique et doit intervenir pour réamorcer la pompe de la consommation ou de la production. » (G. MANKIV). CHAPITRE 7 : L’ANALYSE NÉO-CLASSIQUE : LES NOUVEAUX FONDAMENTAUX DU LIBÉRALISME ET DU LIBRE ÉCHANGE. Lřanalyse néo-classique est celle sur laquelle on commet les plus graves erreurs dřinterprétation, de délimitation, de caractérisation et de composition67. Globalement cette Ecole de pensée regroupe les économistes, inspirés à la fois par lřÉcole Classique et lřanalyse keynésienne, conçoivent la société comme un ensemble dřindividus libres et égaux, raisonnent au niveau micro-économique à partir dřhypothèses sur le comportement des agents à la fois rationnels et calculateurs cherchant à maximiser leur utilité (consommateur) ou leur profit (producteur) sous la contrainte de leurs ressources. Ces agents comme producteurs ou consommateurs évoluent sur des marchés de concurrence pure et parfaite. Beaucoup dřanalystes sřautorisent à parler de lřÉcole néo-classique souvent assimilée au libéralisme, sans jamais prendre la précaution de préciser les contenus des idées et les figures de proue qui forment ce courant de pensée présenté comme dominant dans la science économique68. Elle est diversement appelée théorie standard, orthodoxie ou maître-pilier du libéralisme. Toutefois, des défauts de précision sont à la base soit dřune trop grande réduction qui ne se référent quřaux pionniers A. MARSHALL, PIGOU, CARL MENGER, STANLEY JEVONS, WALRAS ou dřune trop grande extension en incluant tous les auteurs qui ont constitué la synthèse contemporaine, de MILTON FRIEDMAN, HAYEK, jusquřaux théoriciens de la croissance endogène LUCAS et ROMER en passant par Solow et la figure de proue du « néolibéralisme » Milton Friedman qui poursuivra les travaux de l'École néoclassique, en inversant les objectifs de l'interventionnisme monétaire. La dénomination fait référence à la localisation géographique de leurs Universités dřattache, Boston et Colombia situées en bordure de mer alors que lřautre courant tenant de lřorthodoxie sont dans des Universités des Grands Lacs comme Chicago. 67 B. Guerrien : Lřéconomie néo-classique, Col. Repères, La Découverte, 1991, Du même auteur : La théorie néoclassique. Bilan et perspective du modèle dřéquilibre général. Économica, 1989 68 Cette École est qualifiée de gardienne de lřorthodoxie en sciences économiques, de constructeur du modèle standard de lřanalyse économique et dřinspiratrice de la pensée unique 66 1 2 Le credo fondateur du courant dřanalyse néoclassique est parti de trois auteurs STANLEY JEVONS, Carl MENGER ET LEON WALRAS successivement bâtisseurs de lřÉcole de Cambridge, de Vienne et de Lausanne. Ils avaient déclenché entre 1871 et 1874 sans jamais sřêtre rencontrés, ni échangé aucun élément de leurs recherches respectives la révolution marginaliste dřoù émergera l'économie néoclassique qui s'impose aujourdřhui comme théorie économique dominante. Ce trio se proposait surtout de faire table rase du passé afin de reconstruire la science économique sur des bases nouvelles. Toutefois, l'histoire révèle que dans leurs analyses, les éléments de continuité lřemportent sur ceux de la rupture. C'est pourquoi d'ailleurs, Veblen fondateur de l'institutionnalisme, a forgé l'expression néoclassique pour dire que la rupture avec les classiques nřest pas aussi nette quřon le laisse croire. Pourquoi cette pensée a-t-elle eu un tel rayonnement et joue-elle, aujourdřhui un rôle aussi déterminant ? Est-ce par la robustesse de ses analyses ou la pertinence de ses propositions de politique économique ? Ou alors cela procède-t-il de sa force de persuasion, de légitimation des politiques économiques libérales? En fait, leur principal ajout à lřanalyse classique procède dřune part de leur approche plus formalisée (avec lřutilisation des techniques quantitatives) et systématique en termes de marché et d'équilibre et dřautre part de la généralisation du raisonnement marginaliste. À lřorigine, les auteurs néo-classiques avaient repris les principales idées de lřÉcole Classique notamment leur approche formalisée et systématique en termes dřéconomie de marché, d'équilibre global, dřintervention minimale de l'État, de neutralité de la monnaie et de libre concurrence. « Ainsi, on trouve dans la théorie néoclassique la conviction du caractère universel des lois économiques. Jevons, Menger ainsi que leurs successeurs actuels affirment plus nettement la similitude entre l'économie et les sciences naturelles, ce qui se traduit par l'utilisation de plus en plus intensive - et parfois exclusive - du langage mathématique. Walras estime même que l'économie politique pure doit devenir une branche des mathématiques. Cette conviction n'est toutefois pas partagée par Menger qui, en dépit de son libéralisme radical, se positionne comme hétérodoxe sur l'échiquier de la pensée économique moderne »69. Ce positionnement théorique les avaient amené à rejeter en bloc les théories marxistes et à opérer un examen critique de lřanalyse keynésienne dont ils proposent une modernisation de lřappareillage théorique dans le but de lui permettre de mieux cerner les nouveaux problèmes macroéconomiques et surtout de corriger les insuffisances qui sont à lřorigine des mauvais résultats des politiques économiques. La pensée néo-classique est loin dřêtre homogène. Ces tenants de la nouvelle orthodoxie constituent une galaxie dřauteurs et de courants qui se présentent comme suit : 1) Les précurseurs : Étienne de Condillac(17151780) Antoine Augustin Cournot (1801-1877) Hermann Heinrich Gossen (1811Arsène Dupuit (1804-1866) 1858) 2) Les fondateurs : la révolution marginaliste : Gilles DOSTALER : « Orthodoxie et hétérodoxie : une vieille histoire », Alternatives Économiques, Hors-série 57, 2003 69 1 2 L'école de Lausanne L'école anglaise (Équilibre général) (Cambridge) Léon Walras (1834 1910) Vilfredo Pareto (18481923) S. Jevons (1835-1882) A.Marshall (1842-1924) A. C.Pigou (1877-1959) L'école autrichienne (Vienne) Carl Menger (1840-1921) F.V. Wieser (1851-1926) E. Böhm Bawerk (18501914) 3) Les courants néo-classiques contemporains : Le courant de l'équilibre La synthèse général classique keynéso- La nouvelle classique John Hicks (1904-1989) Paul Samuelson (né 1915) Kenneth Arrow (né 1921) Robert.M.Solow (né 1924) Robert Lucas 1937) école (né en Gérard Debreu (né 1921) Maurice Allais (né 1911) Cette diversité des auteurs et des analyses rend lřexposé plus difficile du fait de lřabsence de points de vue consensuels sur les grandes questions de théorie économique. Lřobjectif de ce chapitre est de présenter sommairement, au moins, les principaux points dřaccord : les principales hypothèses du modèle dřanalyse et les approches proposées pour le développement et la croissance, deux cibles majeures pour les pays sous-développés. Section 1 : Les fondements théoriques de l’analyse néoclassique. Les néoclassiques sont les héritiers critiques des classiques. Ils se focalisent surtout sur lřanalyse marginaliste et cherchent à fonder lřanalyse économique sur de nouvelles hypothèses : la rationalité économique, lřindividualisme méthodologique et la supériorité du modèle du marché qu'il soit pur et parfait, ou imparfait et dont les mécanismes jouent un rôle régulateur conduisant à un équilibre optimal de lřensemble du système économique. Le soubassement théorique, à la différence des classiques et de Marx, se fonde sur une analyse des comportements individuels à partir des présupposés de lřindividualisme méthodologique. Lřindividu est identifié par une fonction dont les paramètres sont ses préférences, ses dotations en compétences et en capital et moyennant quoi, il maximise sa satisfaction. Avec de nouveaux instruments mathématiques, les théoriciens néoclassiques formalisent le processus d'interaction sur les marchés des agents économiques qui cherchent toujours à optimiser leurs gains, quřils soient producteurs ou consommateurs. Dans une optique marginaliste, la théorie de la productivité marginale devient lřun des principaux fondements théoriques de la pensée néo-classique 70 . Cette démarche explique que dans une situation donnée la rémunération des facteurs de production sřeffectue à partir du principe unique de leur productivité marginale. 70 Carlo BENETTI : Valeur et Répartition, François Maspero 1 2 Cependant, la fonction de production est elle-même lřélément le plus simple mais aussi le plus essentiel de la théorie de productivité marginale. Pour un état donné des techniques de production, la fonction de production peut être comprise comme dérivant des diverses combinaisons productives. En effet, en supposant quřil existe une certaine relation quantitative entre le volume du revenu national (ou du produit) et le volume des ressources en travail et en capital utilisées, il est possible dřestimer, sous certaines conditions raisonnables, cette relation sous la forme dřune fonction de production et de recourir à un appareil mathématique approprié dřanalyse fonctionnelle pour quantifier certaines interrelations de la production. Ainsi, on peut écrire que : f (K,L,N) (où Y = produit, K = le capital, L = le travail, N = terre). On suppose que chacun des facteurs de production (K, L, N) est capable de se diviser infiniment. En différenciant, on obtient : dY dK Y dL Y dN Y K L N où dY = accroissement de la production dK = accroissement du capital dL = accroissement du travail Y = produit marginal du capital K Y = produit marginal du travail L OY = produit marginal de la terre L Ainsi, la valeur de la production est déterminée comme la somme des produits de la grandeur de chacun des facteurs de production et de son produit marginal. Quant à la part de chacun des facteurs, elle est déterminée fonctionnellement une fois lřéquilibre réalisé et qui coïncide avec le plein emploi. On peut faire alors les déductions suivantes : si lřoffre globale de capital sřaccroît plus rapidement que lřoffre de la maindřœuvre, le prix dřoffre du capital tendra à baisser, la densité du capital augmentera ; ce qui correspond à une baisse de la productivité marginale du capital. Un raisonnement inverse peut être établi pour le travail, donc quelle que soit la situation de lřoffre de main dřœuvre, toutes les personnes désirant travailler peuvent trouver un emploi, pour peu quřelles acceptent le salaire prévalant sur le marché. Ces analyses sont extrêmement éloignées de celles de KEYNES et des néo-keynésiens. Par ailleurs, la densité du capital dépendant des prix relatifs du travail et du capital, le prix du capital résulte de lřéquilibre qui sřétablit entre lřoffre dřépargne et la demande de capital. Cela correspond en fait au taux dřintérêt. Seulement, hormis lřintérêt, représentant la rémunération du capital, il nřexiste pas dans une économie dřéquilibre au sens de WALRAS, de profit. Ce dernier dans la pensée néoclassique se trouve exclu du système dřéquilibre général et ramène à la théorie du taux de lřintérêt. On peut le montrer en prenant : (1) Y f (K,L) et considérant Py, Pk, Pl, les prix du produit et des facteurs, nous pouvons écrire lřéquation comptable suivante : Prix de vente = Coût de production, cřest-à-dire (2) PyY Pk K Pl L Le minimum du coût de production est obtenu par différenciation de ces deux équations, soit : 1 2 Y Pk et Y PL (3) K Py L Py En remplaçant les prix dans lřéquation (2), on obtient : (4) Y YK YL K L Au bout du compte, lřutilisation des fonctions de production a stimulé tout un ensemble de recherches consacrées à lřestimation quantitative du rôle exercé par les divers facteurs de production pour garantir le niveau potentiellement possible du revenu national, ou du produit, ainsi que de leur taux de croissance. Cřest pourquoi, lorsque lřon évalue les fondements théoriques de la fonction de production néoclassique, il faut en même temps comprendre les interrelations technicoéconomiques réelles et les processus de la croissance qui peuvent être analysés à lřaide des fonctions de productions dites dřingénierie. Dans les années 50 et 60 on va observer un processus qui a pris le nom de « renaissance néo-classique » et au cours duquel les théoriciens de lřécole ont proposé une modernisation notable de leur appareil théorique et analytique dans le but dřétudier de nouveaux problèmes macro-économiques, en particulier là où le keynésianisme avait commis de notables erreurs théoriques qui sont à lřorigine de mauvais résultats de politique économique. Dans leur synthèse, les auteurs de la renaissance néo-classique montrent que, malgré leurs divergences de points de vue, ils vont tenter dřélaborer une théorie économique pure dans la tradition walrasienne, cřest-à-dire un "corpus" théorique constitué de concepts explicatifs des aspects les plus caractéristiques du fonctionnement de l'économie capitaliste. Sous ce rapport, la pensée dite néo-classique est tout à la fois une idéologie, une vision du monde, un ensemble de politiques et une collection de théories qui ne sont pas nécessairement cohérentes les unes avec les autresŗ (DOSTALER, 2001, p. 107) mais qui sont unies autour de lřéconomique définie par un champ sémantique où sřarticulent la rareté, le besoin, les fins, les moyens. Dans ce contexte, la Science Économique aurait pour objet principal la détermination des lois de lřallocation optimale des moyens rares à usage alternatif. Lřéquilibre du producteur comme celui du consommateur se constitue sur le postulat de base dřune psychologie hédonistique à partir duquel on passe à une théorie générale des prix de marché qui englobe finalement lřinvestissement (allocation optimale des capitaux) et le salaire (allocation optimale du facteur travail). Quřest ce qui fonde la prééminence de la pensée néo-classique dans la science économique contemporaine ? Est-ce sa cohérence théorique, la robustesse de ses formulations, sa capacité dřillustrer et de défendre lřéconomie de marché, de justifier lřéconomie libérale? Toutes ces questions renvoient à la confrontation entre les tenants de lřorthodoxie et ceux de lřhétérodoxie, aux forces et faiblesses des deux courants qui dominent la pensée économique contemporaine bien quřaucun de ces deux courants ne présente véritablement une parfaite homogénéité des formulations théoriques, doctrinale et méthodologiques. Quelle analyse du développement soutiennent et défendent les auteurs de la pensée néo-classique ? 1 2 Section 2 : Synthèse néo-classique et développement pourquoi et comment faire une croissance durable. : La plupart des discours se réclamant de la théorie néo-classique mettent au centre de leur préoccupation en matière de développement la question de la croissance économique. Autant les classiques se demandaient comment faire pour amorcer la croissance, la problématique des néo-classique est de savoir « comment faire pour que la croissance dure ? ». Cette problématique ressemble fort à celle que pose J.M. KEYNES. Au-delà de lřinterprétation de la théorie keynésienne comme une « théorie de lřéquilibre de sous-emploi », comme un cas particulier de lřéquilibre général du système économique, les problèmes soulevés par la théorie néo-classique de la croissance, sont identiques à ceux que KEYNES a tenté de résoudre à savoir la croissance potentielle du revenu national à long terme, les conditions de lřéquilibre dynamique et la question de lřadaptation de lřéconomie. Les néo-classiques, vont finalement inclure le keynésianisme en le modifiant, en lřélargissant et en le modernisant. Cette identité des problèmes montre à souhait que lřapparition de la théorie néo-classique de la croissance a été dans une certaine mesure fortement influencée par le keynésianisme, plus précisément encore, elle sřest développée à partir de la critique, en particulier des aspects technico-économiques du processus de la croissance conçu par J.M.KEYNES. Le point de départ des auteurs néo-classiques, est formé par la trame des idées développées par les auteurs classiques : supériorité de l'économie de marché, bienfaits de la libre concurrence (sous certaines conditions), non intervention de l'État, libre circulation des marchandises (pas de protectionnisme), concurrence pure et parfaite. Cette double filiation (entre Classiques et Keynes) fait que les auteurs néoclassiques retiennent (de leurs devanciers), en matière de développement économique, trois volets essentiels à partir desquels, ils échafaudent leurs modèles dřanalyse et dřaction: lřaccumulation du capital fondement des modèles de croissance économique les plus réputés de lřÉcole (celui de SOLOW, de SWAN, et MEADE.) Le modèle des échanges internationaux basé sur la théorie ricardienne des coûts comparatifs prolongée et approfondie par J.VINER, HABERLER, HECKSHER-OHLIN La promotion de lřéconomie du marché et la non intervention de lřÉtat. La politique monétaire Le premier volet de la théorie néo-classique du développement se formule en termes de croissance économique qui est fonction de lřarticulation des deux facteurs déterminants que sont le travail et le capital. Or, lřaccroissement de la productivité du travail qui se traduit par une hausse du salaire réel résulte du processus dřaccumulation du capital dont le rythme dépend à son tour du prix du capital ou prix dřoffre de lřépargne. Lřaccumulation du capital, en induisant une élévation des salaires réels renforce la participation des salariés au produit, et partant, réduit le taux moyen de rentabilité du capital. Donc les idées du profit dřaccumulation, de développement sont étrangères au modèle néo-classique. Elles nřapparaissent dans le modèle que lorsque lřon sřécarte de lřéquilibre. En ce point, la rémunération du capital doit être égale dans toutes ses applications ; ce qui correspond au taux dřintérêt. Si des profits apparaissent, cřest que la rémunération du capital dans le secteur est supérieure à la rémunération moyenne 1 3 dřéquilibre. Le modèle apparaît ainsi à la fois comme une théorie de la production et de la répartition de la valeur ce qui le différencie de la théorie marxiste de lřexploitation car, ici, chacun des facteurs de production est un participant autonome à la création de la valeur et, de ce fait un partenaire égal dans son partage. Les principales conclusions de cette analyse sont que la croissance sřexplique faiblement par la croissance des facteurs. Le facteur explicatif essentiel serait le progrès technique mais ce nřest là quřun mot que lřon sřest efforcé de préciser en le décomposant en progrès technique autonome (les innovations), en progrès technique incorporé dans le facteur capital (perfectionnement des nouvelles machines), en progrès technique incorporé dans le facteur travail (capital humain et accroissement de la formation et de lřéducation : learning by doing). Il serait intéressant de voir cette analyse néo-classique à travers trois (03) modèles : de SOLOW, DE T.W.SWAN et J. MEADE ; Il est vrai quřil existe bien dřautres modèles mais ceux-ci sont les plus caractéristiques et inspirent plus les politiques de croissance. Pour ce qui concerne R. SOLOW71 et W. SWAN, leur modèle se fonde sur les hypothèses de base de la fonction production néo-classique en tant que modèle de croissance économique. Les thèses fondamentales en sont les suivantes : Il est retenu deux facteurs de production-le travail et le capital- de même caractère fabriquant un produit de même nature. En somme, le bien composite unique est produit par du travail et du capital. De plus, le travail augmente à des rythmes constants. Avec la libre concurrence, la rémunération des facteurs de production correspond à leurs produits marginaux, cřest-à-dire que le salaire est égal au produit marginal du travail, le profit (intérêt) est égal au produit marginal du capital. Cřest pourquoi, la répartition du revenu exprime en même temps lřapport productif de chacun des facteurs dans le coût de production. La libre concurrence, la libre substituabilité du travail et du capital, ainsi que la libre variation de la rémunération des facteurs de production conformément à la dynamique du travail et du capital, garantissent le plein Ŕemploi de toutes les ressources. Toute la partie non consommée du produit, cřest-à-dire lřépargne est investie cřest-à-dire que le problème de la demande nřexiste pas Lřélargissement de la production nřinflue pas sur lřaugmentation de lřefficacité ; la productivité des facteurs décroît, les conditions de production restant les mêmes Le progrès technique a un caractère neutre, autonome, il sřélève dans une égale mesure lřefficacité de tous les facteurs de production. Le modèle est une parfaite illustration du thème commun à A. SMITH, S. MILL et A. LEWIS, à savoir la connexion entre lřaccumulation du capital et la croissance de la force de travail productif. Concernant le modèle de J. MEADE, il porte sur la recherche de lřéquilibre dynamique et, lřaspect néo-classique de son modèle réside dans le fait quřil utilise les hypothèses de concurrence pure et parfaite dans une analyse de productivité marginale dřéquilibre général, afin de déterminer les prix relatifs des facteurs de production. Dans cette optique les conditions de stabilité du taux de croissance sont les suivantes : lřélasticité de substitution doit être égale à 1 ; le progrès technique est neutre par 71 Théorie du capital et taux de rendement. 1 3 rapport à tous les facteurs ; la part des épargnes prélevées sur le revenu des trois facteurs est une grandeur constante. Dans ces conditions en supposant constant les taux de croissance démographique et de progrès technique, le taux de croissance de la production globale tendra toujours vers un niveau constant donné représentant la croissance économique équilibrée. Ces modèles expliquent le niveau éventuel de la production mais ils ne disent rien sur les conditions de sa réalisation. Cřest pourquoi ils sont sévèrement critiqués particulièrement par les marxistes, les néo-ricardiens et les tenants de lřanalyse hétérodoxe72. En définitive, la conception de la régulation de lřéconomie sřest forgée dans le creuset de la discussion relative aux facteurs qui déterminent en dernière analyse les rythmes du développement économique dans une situation concrète donnée : les conditions de la réalisation, cřest-à-dire la demande, ou bien les conditions de la production, donc lřoffre de ressources économiques. La discussion qui a été soulevée à ce sujet opposait keynésiens et néo-classiques. Les premiers voient les causes de la rupture de lřéquilibre dynamique, tant à court terme quřà long terme, du côté de la demande, dans son excès ou son insuffisance alors que les seconds accordent une importance primordiale aux facteurs qui se rattachaient à la production et à lřoffre de ressources, au rapport coût-prix, à la combinaison optimale des ressources, à lřefficacité de la production, c'est-à-dire à tout ce qui détermine le potentiel économique Le deuxième volet de lřanalyse néo-classique concerne le modèle des échanges internationaux selon lequel le libre-échange est la clef pour une organisation efficace de la production mondiale. Lřanalyse ricardienne avait établi, depuis 1817, que lřexistence des écarts de coûts relatifs de production entre pays, doit pousser à la spécialisation et à lřouverture lřéchange international. En effet, chaque pays dispose dřun avantage relatif (ou comparatif) même les plus pauvres qui ont de faibles productivités globales de leurs facteurs de production. Ils ont intérêt à se spécialiser dans les secteurs où ils sont relativement les moins désavantagés) et à sřouvrir au commerce international. Le fondement de cette analyse du modèle néo-classique de lřéchange international est lřapproche élaborée par HECKSCHEROHLINSAMUELSON selon laquelle chaque pays doit se spécialiser dans la production des biens pour lesquels il dispose de meilleures dotations factorielles. (facteurs abondants et donc peu coûteux). Enfin le troisième volet est relatif au mode de régulation du système économique. Globalement les néo-classiques accordent une confiance absolue aux mécanismes du marché qui ont une force régulatrice supérieure à condition de garantir la libre concurrence. LřÉtat, compte tenu de ses dépenses grandissantes, est un facteur de déstabilisation. Toutes leurs constructions théoriques néo-classiques visent à démontrer que la stabilité de la croissance peut être garantie non pas, comme lřestimait Keynes et ses successeurs, par une activité compensatoire de lřÉtat avec ses dépenses inflationnistes, mais par la politique monétaire et de crédit de la Banque centrale. En effet, en opposition aux formulations keynésiennes, le courant monétariste conduit particulièrement par M.FRIEDMAN 73 dans les années 50. se base sur les capacités autorégulatrices des marchés. La manipulation de la demande effective par lřÉtat ne Voir sur ce point, lřexcellente réflexion de R. E. ROWTHORN : Neo-Classical Economics and its critics a marxisview et de Carlo BENETTI : Valeur et Répartition .Presses Universitaires de Grenoble 1974 72 73 Friedman : “A theorical framework for monetary analysis”, Journal of Political Economy n°2, 1970 1 3 peut quřentraîner lřinflation. Dès lors, la politique économique doit limiter les dépenses publiques et contrôler lřexpansion de la masse monétaire génératrice dřune inflation toujours ruineuse pour lřactivité économique. La théorie néoclassique ne permet pas encore lřélaboration dřune politique économique cohérente et complète qui ne suscite de vives controverses entre les divers courants qui la composent. En ne prenant en compte que les relations techniques, elle a totalement oublié des aspects déterminants de la politique économique qui est en définitive une interaction de nombreux facteurs. CHAPITRE 8 THÉORIES STRUCTURALISTES ET INSTITUTIONNALISTES DU SOUS-DÉVELOPPEMENT ET DU DÉVELOPPEMENT : APPROCHES TIERS-MONDISTES ET NÉOMARXISTES. « Le progrès que représente pour l’analyse du sousdéveloppement la démarche historique par rapport à la présentation fonctionnelle est évident. Si le développement est un scandale historique, un phénomène exceptionnel étroitement limité, le sousdéveloppement doit lui aussi, être analysé dans l’histoire. L’erreur serait de ne pas pousser plus loin la réflexion et de faire du sousdéveloppement l’état commun de toutes les économies qui n’ont pas connu la mutation révolutionnaire que constituent le décollage ou l’industrialisation ». J. FREYSSINET74 Dans un article introductif aux Cahiers de lřISEA consacrés spécialement au sous-développement, F. PERROUX propose trois outils dřanalyse du sousdéveloppement: la domination, la désarticulation et la non-couverture des coûts de lřhomme. Ces outils prennent racine dans une approche selon laquelle le sousdéveloppement nřest ni une étape naturelle ou une manifestation originale et spécifique, ni un phénomène conjoncturel, ni un retard de développement encore moins une étape dans une ligne dřévolution historique. Il est le produit de lřhistoire de pays insérés dans la division internationale capitaliste du travail qui a façonné toutes leurs structures économiques, politiques, institutionnelles et sociales. Lřun des premiers apports de cette approche est alors une perception plus lucide du rôle de lřhistoire économique dans la compréhension et surtout de lřimportance des facteurs « non-économiques » dans le fonctionnement et la transformation des systèmes économiques, comme celle du degré dřinformation des agents responsables des décisions économiques. Une meilleure connaissance des structures permet dřétablir toute lřimportance du non-économique dans les chaînes de décision qui entraînent la transformation des ensembles économiques complexes comme le sousdéveloppement. Ce dernier se caractérisant alors par la particularité des structures de pays dominés dont la croissance pour cette raison est vouée au blocage. Il devient dès lors lřalternative radicale à la théorie de la croissance transmise et soulève des questions relativement à son origine et son essence profonde. Dans les années 50, la plupart des économistes notamment ceux dřAmérique Latine regroupés au sien du CEPAL ont tenté de répondre à ces questions dans le cadre de leur recherche dřun projet national de développement. Des auteurs comme R. PREBISCH, H.SINGER, SUNKEL, C. FURTADO et André GUNDER FRANK, Ruy 74 J. FREYSSINET : Le concept de sous-développement p173 1 3 Mauro MARINI, Fernando H. CARDOSO, Vania BAMBIRRA, Osvaldo SUNKEL, et T.DOS SANTOS, les plus éminents chercheurs de cette époque avaient émis le point de vue que le sous-développement était un processus historique spécifique, demandant un effort de théorisation autonome. Ces réflexions sur ce cadre historique seront à la base de la « théorie du sous-développement ». En effet, selon FURTADO « le sousdéveloppement n'est pas une étape par laquelle sont nécessairement passées les économies les plus avancées. C'est une situation particulière, conséquence de l'expansion de ces économies les plus riches, qui cherchent à utiliser les ressources naturelles et la main-d'œuvre des zones d'économie pré-capitaliste ». 75 Ainsi, C. FURTADO met en évidence que la théorisation de la croissance doit tenir compte des facteurs psychologiques ou sociaux qui influent sur le développement dřune communauté. La simple quantification des variables sřavère insuffisante pour expliquer la praxis des agents productifs car la "prévision économique doit se contenter par obligation dřétablir un champ de possibilités" et le profit que lřhomme peut tirer dřun horizon dřaction plus ample, seule lřhistoire sociale peut lřexpliquer. Lorsque C. FURTADO sřattache à délimiter lřobjet théorique du structuralisme, il cite expressément F. PERROUX pour souligner ce que lřon doit comprendre par « structure » : «proportions et relations qui caractérisent un ensemble économique localisé dans le temps et lřespace». En effet, F. PERROUX avance « Les trois outils dřanalyse du sous-développement » qui sont, en fait, des réponses articulées à ces questions : le sous-développement est le produit de la domination (influence asymétrique et irréversible) exercée par des puissances extérieures sur les pays périphériques. Cette domination qui fut une agression économique véritable a entrainé la destruction de lřéquilibre ancien des économies et sřest traduite par une déstructuration, une désarticulation des structures qui se manifeste concrètement non pas dans les termes ambigus dřun chiffre unique, fut-il le PNB par tête, mais dans un phénomène à la fois beaucoup plus profond et beaucoup plus complexe : la « noncouverture des coûts de lřhomme ». Ces trois concepts foyers (la domination, la désarticulation et la non-couverture des coûts de lřhomme se retrouvent dans toutes les réflexions des auteurs qui se réclament du structuralisme avec par moment des formulations, des méthodes dřapproche, des référentiels théoriques différents. Toutefois, C. FURTADO va plus loin que PERROUX dans ses analyses théoriques. Dřabord, il démonte avec rigueur les modèles économiques comme Ŗahistoriquesŗ, Ŗstatiquesŗ et Ŗabstraitsŗ. Certains auteurs ont tenté de construire des modèles pour leur insuffler une Ŗdynamiqueŗ ou dřintroduire, dřune manière ou dřune autre, le temps (axe diachronique) dans leurs postulats théoriques mais sans grands résultats. Ensuite, C. FURTADO se démarque clairement en observant que le « structuralisme économique » latino-américain nřa rien à voir avec Ŗlřécole structuraliste françaiseŗ. Car ce que lřon entend par pensée « structuraliste » en économie nřa pas de lien direct avec lřécole structuraliste française dont lřidée générale a été de souligner lřimportance de lřaxe des synchronies dans lřanalyse sociale et dřétablir une syntaxe des disparités entre les organisations sociales. Le structuralisme économique, École de pensée qui surgit dans la première moitié des années 60 parmi les économistes latino-américains, a pour objet principal de mettre en valeur lřimportance des paramètres non-économiques des modèles Celso FURTADO : Le nouveau Brésil : Publié dans la Revue Carta Capital de décembre 2002. Traduction : Sandrine Lartoux pour Autres Brésils 75 1 3 macro-économiques. Comme le Ŗcomportement des variables économiques dépend en grande mesure de ces paramètresŗ, ceux-ci doivent faire lřobjet dřune étude méticuleuse. Cette observation est particulièrement pertinente en ce qui concerne les systèmes économiques hétérogènes, socialement et techniquement, comme cřest le cas des économies sous-développées. Malgré tout, les structuralistes de tous bords partagent trois lignes de pensée qui sont: lřanalyse historique, les incidences des modes dřinsertion à lřéconomie mondiale des pays sous-développés et les politiques et stratégies de développement. Ces thèmes constituent souvent le point de départ des réflexions et recherches des structuralistes. Bien que plurielles, les auteurs convergent vers le rejet des analyses à prétention technicistes centrées essentiellement sur des variables strictement économiques. Le sous-développement dans ces conceptions ne peut se comprendre sans prendre en considération le processus historique de la formation des structures économiques et sociales et leurs interactions dans le processus de développement ou de sousdéveloppement. Ces idées fondatrices du structuralisme révèlent deux interprétations, deux lignes dřapproche différentes : lřapproche libérale qui considère lřétat de sousdéveloppement comme un retard dans le développement, elle prend sa source dans lřanalyse de lřÉcole Classique et la deuxième qui considère le sousdéveloppement comme le produit du développement du capitalisme mondial, cette analyse se réfère souvent au marxisme. On trouve aussi des auteurs qui échappent à cette classification et qui développent des réflexions synthétiques indépendantes. Cřest pourquoi, la variété des auteurs et la diversité de leurs méthodologies dépassent de loin cette présentation certainement trop réductrice de la richesse et de la profondeur des recherches des structuralistes. Tableau 4 : Résumé des deux méthodologies d’approche Théorie Champ Terrain Action hypothéticoMéthode induction (normatif) déductive 81[11] (particularisme) (universalisme) Anthropologie Systémique Approche globale Développement économique du (holisme) du développement intégral et intégré. développement (systémisme, Nouvel ordre Historicisme néomarxisme, économique. Institutionnalisme dépendantisme, Réforme des structuralisme) structures Analytique Modélisation du Théorico-empirique Choix de projets (individualisme développement ex : travaux micro-réalisations méthodologique) (néoclassique, économétriques systèmes incitatifs anthropologie sectoriels. Tests prix et marché formaliste, école empiriques et standard élargie) dřefficience Source: Ph. HUGON, art, cit. p. 174. 1 3 Section 1 : La première École de pensée économique du Tiersmonde : la formation de l’approche structurale du développement à la CEPAL. La création de la Commission Économique pour lřAmérique Latine et les Caraïbes (CEPAL) en 1945 marque la naissance du structuralisme. En effet lřélaboration de la thèse structuraliste est essentiellement associée aux écrits de cette Agence des Nations Unies et, plus particulièrement, aux travaux de son premier Directeur, R.PREBISCH, considéré comme le père du structuralisme. Les économistes latino-américains, dans leurs efforts pour expliquer pourquoi la croissance économique nřavançait pas plus rapidement en Amérique Latine dans les années 1950, en vinrent à penser que certains aspects des structures économiques de leurs pays en étaient la cause. Pour cela, pour être bref nous nous intéresserons aux analyses faites par ces économistes à partir des années 50 basées particulièrement sur la détérioration des termes de lřéchange et sur la théorie de la substitution aux importations avant dřétudier un renouvellement de la théorie structuraliste du développement. Les idées développées par les anciens structuralistes (J.NOYOLA-VASQUEZ, A.PINTO, L.PRETRSCH, H. SINGER, O.SUNKEL, M.TAVARES) en vogue dans les années 50 et 60 ont été fortement influencées par les théories keynésienne et postkeynésiennes qui existaient sur le rôle positif et nécessaire de lřÉtat face à lřinefficacité des mécanismes de marche, sur la nécessite de créer et dřétudier la « demande effective » interne afin de stimuler lřactivité économique et proposer une explication du phénomène inflationniste a partir des facteurs sociaux ou réels et par le courant néo-structuraliste qui traite des liens entre répartition du revenu et formation des prix et du taux de profit. Également les structuralistes remettent en cause lřanalyse ricardienne et la théorie néoclassique (version HOS) du commerce international selon laquelle les différences de dotations relatives en facteurs de production entraînent la spécialisation internationale et une tendance à lřégalisation (relative ou absolue) de la rémunération des facteurs de production entre les coéchangistes. Cette tendance devrait permettre de rapprocher les niveaux de développement : le commerce se porterait alors comme un instrument de réduction des inégalités entre les nations. La liberté du commerce conduirait à réduire lřécart de revenu entre les pays riches et les pays pauvres. Contrairement à cette analyse, les structuralistes découvrent dans lřouverture extérieure lřexplication de la condition permanente du sousdéveloppement en Amérique Latine car les forces du marché ne poussent pas vers lřégalité de la rémunération des facteurs de production et des revenus. La principale conclusion à tirer de la théorie dřHECKSCHER-OHLIN, que lřon retrouve dans une multitude dřouvrages et dřarticles dřauteurs consacrés aux rapports économiques internationaux est que chaque pays a tendance à se spécialiser dans la fabrication et lřexportation de marchandises exigeant de nombreux facteurs de production qui y sont relativement abondants et, de ce fait, relativement bon marché. 1 3 Ohlin souligne que la division internationale du travail est également influencée par les conditions de la demande à lřintérieur de chaque pays, mais selon la plupart des auteurs néo-classiques contemporains, ce facteur ne revêt habituellement pas une importance décisive et ne porte pas atteinte au principe susmentionné. De ce fait, affirment-ils, le commerce international est avantageux pour tous ceux qui y participent, car les ressources productives de tous les pays sont utilisées de la manière la plus efficace et, grâce à la division du travail et du commerce, chaque pays reçoit avec un minimum de frais plus de marchandises quřil nřen aurait pu fabriquer lui-même. Selon cette théorie, le marché capitaliste mondial serait une sphère dřéchanges « réciproquement avantageux » et les intérêts de tous les pays sont réglés par lřharmonie naturelle. Les traits distinctifs suivants caractérisent, selon PREBISCH, les États industriels (« centre ») et les pays producteurs de denrées agricoles et de matières premières (« périphérie ») : détérioration des termes de lřéchange pour la périphérie et leur amélioration pour les principaux centres de lřéconomie mondiale ; économie intégrée au centre ; à la périphérie, économie productrice de denrées alimentaires et de matières premières, de préférence monoculture, reposant sur des méthodes de production précapitalistes ; impulsions de la conjoncture au centre ; intenses transpositions de ces impulsions des centres à la périphérie ; accumulation rapide du capital et intense progrès technique avec accroissement de la productivité et des revenus au centre ; faible accumulation du capital, progrès technique insignifiant, faible productivité et faibles revenus réels à la périphérie ; à la périphérie, part considérable du commerce extérieur dans le revenu national exerçant une influence décisive sur la conjoncture ; faible part au centre où les investissements intérieurs et non le commerce extérieur exercent une influence décisive sur la conjoncture ; tendance chronique à la dépression au centre ; à lřinflation chronique à la périphérie ; chômage au centre ; sous-emploi et faibles productivités du travail à la périphérie. Ainsi, pour les structuralistes, lřunique voie pour rompre cette insertion régressive qui contraint la périphérie à rester sous développée et conduit donc à une « spécialisation appauvrissant » réside dans lřimpulsion dřun développement industriel. La mise en œuvre du processus dřindustrialisation doit permettre dřaméliorer a la fois la répartition internationale des fruits du progrès technique (lřindustrialisation considérée comme véhicule premier du progrès technologique devait contribuer à réduire lřécart technologique qui est à la base de lřaccentuation des différences structurelles entre le centre et la périphérie) et la répartition interne du revenu national (via lřabsorption dřun montant croissant de main dřœuvre) Lřaccent mis par la CEPAL sur les vertus magiques de lřindustrialisation doit permettre dřélever le niveau de vie des masses populaires sans même mettre en place une politique de Ŗredistribution des revenusŗ, ou même une réforme agraire. Somme toute, ces politiques structuralistes de développement ont été suivies avec succès par certains pays comme le Brésil, lřArgentine et le Mexique, notamment en matière de décollage de lřindustrialisation, même si ces résultats ont tendance à être oubliés à un moment à cause des nombreux soubresauts politiques puis de la crise de la dette des années 80 quřa connu la région latino-américaine. Si bien que le 1 3 structuralisme fondateur a pu sembler définitivement dépassé, pour certains, ou bien à renouveler et cřest ce projet théorique de renouvellement (de régénération) que constitue le néo-structuralisme. Section 2 : La riposte libérale de l’analyse du sousdéveloppement : les thèses de C. CLARK à W.W. ROSTOW. Renouant avec la tradition historique du siècle dernier, la période contemporaine a vu certaines analyses visant à déterminer les étapes du développement et de la croissance. Pour ces auteurs, il existerait un sentier sinon optimal, du moins obligé, de la croissance ; un certain nombre dřétapes par lesquelles il est nécessaire que les différents pays passent. Cette analyse se retrouve souvent dans la littérature économique libérale. Elle est particulièrement soulignée par HIGGINS lorsquřil observe que « Ce qui sřest produit dans les pays européens au XVIII et XIXème siècles, cřest ce que nous désirons voir se produire maintenant en Asie, en Afrique et en Amérique Latine » Donc lřidée est bien claire, : les mutations qui se sont passées à une époque historique , dans certains pays qui sont maintenant industrialisés et les PSD sont en retard par rapport à cette évolution, lřapplication des mêmes techniques et des mêmes modèles de développement leur permettront de sortir de lřétat de sous-développement. Une série dřauteurs ont défendu ces idées parmi eux Colin CLARK mais surtout ROSTOW dont les approches continuent encore dřinspirer les approches libérales du sous-développement. La première approche est de Colin CLARK. Il considère quřil existe une corrélation entre la répartition de la population et le niveau du revenu par tête. La proportion de la population occupée dans les activités primaires cřest-à-dire lřagriculture, la pêche, lřélevage est fonction inverse du revenu par tête. Au contraire, lřemploi de la main-dřœuvre dans le secteur secondaire augmente avec le niveau du produit par tête. Le secteur tertiaire va lui aussi croître lorsquřon aura atteint la phase supérieure du développement. De sorte quřil y a un développement successif des secteurs les uns après les autres. Le secteur primaire va se dégonfler au profit du secondaire, puis les deux premiers au profit du secteur tertiaire. Les PSD sont des pays qui ont encore une forte proportion de leur population dans le primaire. Cette analyse qui a eu ses heures de gloire, est largement démentie par lřévolution des faits. En effet, on observe aujourdřhui dans la quasi totalité des PSD une hypertrophie des activités tertiaires qui sont plus signe de sous-développement que de développement. Dřailleurs, S. AMIN fait de cette distorsion en faveur des activités tertiaires une caractéristique du sous-développement. La deuxième approche est celle de Rostow La « philosophie » de lřhistoire de ROSTOW se résume dans le fait que, selon lui, toute société lancée sur la voie de lřindustrialisation indépendamment de sa force sociale, parcourt cinq stades : la société traditionnelle, les conditions préalables de ce démarrage, les progrès vers la maturité, lřère de la consommation de masse. Le déterminisme très primaire de ce découpage a provoqué de multiples contestations. Si ce livre a fait tant de bruit cřest essentiellement pour deux raisons ( hormis lřheureuse image du « take- off ») : cřest dřune part parce que avec la doctrine des conditions préalables lřéconomie politique dominante a cru un moment tenir le modèle capable à la fois dřêtre offert aux pays sous-développés comme lřimage de leur futur développement, et exporter ces mêmes pays sous-développés à la patience. Rostow 1 3 sřattache en effet à démontrer lřidentité de ces conditions préalables avec les conditions historiques de naissance du capitalisme, et lřinévitable longueur du mûrissement de ces préalables. Tableau 5 : Analyse libérale du sous-développement. L’analyse libérale : le sous-développement un retard de développement. La théorie du développement linéaire de ROSTOW (1960) Les étapes Les caractéristiques des étapes de la croissance Situation contemporaine La société traditionnelle Société agricole, stationnaire, la terre est la seule source de richesse. Perspectives de changement faibles. Société hiérarchisée Les P.M.A. Les conditions préalables au décollage Apparition du profit, développement de l’agriculture, idées nouvelles, Apparition d’un Etat centralisé, l’épargne et l’investissement augmentent Pays en développement intermédiaires Le décollage ou « take off » Emergence de branches motrices, La croissance devient habituelle et crée un processus cumulatif, inégalités sociales Les N.P.I. La marche vers la maturité Apparition d’industries nouvelles, augmentation de la productivité agricole (exode rural), idée de progrès Corée du P.E.C.O. ? L’ère de la consommation de masse Besoins essentiels satisfaits, organisation efficace mais contraignante, développement de la protection sociale, développement du secteur tertiaire Pays occidentaux développés Sud ? De même que J. SCHUMPETER a fait rentrer le socialisme dans la théorie de même ROSTOW y a-t-il fait pénétrer les pays sous développés, Dřautre part, avec sa cinquième étape, lřère de la consommation de masse, ROSTOW pose sous la forme moderne, le problème de maturité .Cette ère de la consommation de masse se définit, Selon Rostow, par le fait que le moteur de la croissance , dans les sociétés mures , se situe dans le secteur des biens de consommation , le secteur de biens dř équipement abandonnant le rôle entraînant quřil avait jusque là . ROSTOW développe une idée quřon a vu exister en germe chez KEYNES et chez dřautres. Ou, pour sřexprimer plus justement, Rostow insiste sur cette idée mais ne la développe pas. Il nřexiste en effet chez lui, ni analyses des raisons pour lesquelles, à un moment déterminé les besoins dřinvestissement devraient abandonner leur rôle moteur au régime capitaliste, ni analyse des raisons pour lesquelles les besoins de la consommation devraient tôt ou tard approcher de la saturation, ni esquisse dřune solution possible à cette situation préoccupante. En effet la seule consolation réelle quřoffre ROSTOW au régime cřest quřa lřen croire, toutes les sociétés futures (socialistes) auront un jour à affronter les mêmes problèmes. 1 3 Section 3: Les néo-marxistes et les formulations d’une approche du développement à la lumière de l’œuvre de Marx. Dans la théorie marxiste lřévolution de la société obéit à des lois scientifiques, qui devraient impliquer que toute société devrait suivre les mêmes étapes dřévolution. Dés lors, l'histoire est une succession des modes de production qui, à partir du communisme primitif, sont passés par des stades plus ou moins enchevêtrés, qui peuvent se classer pour simplifier, au moins en Europe: en société esclavagiste, société féodale, en société capitaliste et en société socialiste. Cette succession des modes de production est la base matérielle de l'histoire humaine. Elle s'accompagne d'un accroissement de la productivité sociale du travail, ou si l'on veut, des valeurs d'usage produites par unité de temps et par producteur. Avec le capitalisme, la productivité augmente de façon exponentielle, ne trouvant d'autre limite que dans les rapports de production capitalistes eux-mêmes (limites qui s'expriment dans les crises, les guerres... ou dans les révolutions prolétariennes). Cřest dire, en définitive, que lřévolution de la société obéit à des lois scientifiques, qui devraient impliquer que toute société devrait suivre les mêmes étapes dřévolution.76. Toutefois comme lřobserve R. GARAUDY, «le matérialisme historique de MARX nřest donc ni une méthode de déduction, ni une méthode de réduction : lřon ne peut ni déduire les superstructures de la base, ni réduire les superstructures à la base. Lřon peut dire seulement que la superstructure et la base sont des moments dřune même totalité organique dans laquelle les rapports de la société (considérée comme un système ou une totalité vivante), avec le milieu naturel qui lřentoure, jouent un rôle majeur » Cette supposition semblerait confirmée par une position de Marx montrant que «Le pays le plus développé industriellement ne fait que montrer à ceux qui suivent sur l’échelle industriel l’image de leur propre avenir»77. Pourtant, dans sa fameuse lettre écrite en 1881 à une Russe nommée Vera Zassoulitch, Marx observe clairement que les développements analysés dans son livre Le Capital ne seraient inévitables que pour les pays qui sřétaient déjà engagés sur la voie capitaliste, notamment, avec lřexpropriation de petits paysans de leurs terres. Une société (dans ce cas, la Russie) qui garderait la propriété communale de terres pourrait passer directement du féodalisme au socialisme, en sautant lřétape capitaliste. Ce débat fut repris dans le cadre du Mode de Production Asiatique qui introduisait les découvertes de formes particulières de transition vers une Formation Sociale socialiste 78 qui fasse lřéconomie de la phase proprement capitaliste. Et les expériences concrètes des pays comme la Chine, la Mongolie et le Viêt-Nam semblaient montrer quřun pays peut devenir socialiste sans passer préalablement par une étape capitaliste, quelle que soit lřidée que se faisait K. Marx sur ce sujet. Au temps où il écrivait « Le Capital », Marx était convaincu que la première révolution prolétarienne aurait lieu dans le pays capitaliste le plus développé, Certains interprètent MARX et ENGELS en disant quřil faut nécessairement passer par toutes les étapes, et dřautres interprètent Marx et Engels en disant quřun pays peut sauter des étapes. Le lecteur intéressé au «problème du socialisme en un seul pays» peut se référer a deux passages écrits en 1845 et 1847 (mais publiés MARX et ENGELS, lřIdéologie allemande (éditions sociales, pages 63-64), et Engels, Principes du communiste, question XIX (éditions sociales, annexe au manifeste communiste, page 87). 77 K. MARX : Préface à la première édition allemande. Certains interprètent Marx et Engels en disant quřil faut nécessairement passer par toutes les étapes, et dřautres interprètent Marx et Engels en disant quřun pays peut sauter des étapes. 78 Moustapha KASSE : Du sous-développement au Socialisme : réflexion sur la transition, Édit Silex 76 1 4 lřAngleterre. Vers la fin de sa vie, il pensa que la première révolution pourrait bien se dérouler en un pays sous-développé (la Russie), mais à condition quřune révolution russe soit lřétincelle dřune révolution dans le reste de lřEurope, sinon les pays capitalistes écraseraient le nouveau régime de Russie : «Il s’agit, dès lors, de savoir si la communauté paysanne russe, cette forme déjà composée de l’antique propriété commune du sol, passera directement à la forme communiste supérieure de la propriété foncière ou bien si elle doit survivre d’abord au même processus de dissolution qu’elle a subi au cours du développement historique de l’Occident. La seule réponse qu’on puisse faire aujourd’hui à cette question est la suivante : si la révolution russe donne le signal d’une révolution ouvrière en Occident, et que toutes deux se complètent, la propriété commune actuelle de la Russie pourra servir de point de départ à une évolution communiste.»79 Il faut rappeler que dans nos développements antérieurs, nous avions montré que le capitalisme porte en lui une contradiction fatale, la baisse tendancielle du taux de profit. Or, les recherches des structuralistes marxistes comme S. AMIN, EMMANUEL, G. FRANK, G.DHOQUOIS, C. PALLOIX entre autres, vont établir, après une analyse du fonctionnement du capitalisme au Centre et à la Périphérie, que le système central est sauvé dřune chute inéluctable. I/ Le capitalisme à la périphérie ou la définition du sous-développement comme une structure plutôt que comme un niveau du revenu par habitant. Cřest au chapitre II que se développe la partie centrale de lřouvrage de Samir AMIN, non plus cette fois ci en termes de modèle de fonctionnement, mais en termes de modes de production et de formations sociales. Cette partie qui est la plus importante renouvelle de façon magistrale lřanalyse du « sous-développement » concept qui, comme le dit S. AMIN, en occulte la réalité, celle dřune formation sociale capitaliste dominée, exploitée et façonnée par lřimpérialisme. La problématique amorcée constitue lřélément dominant de lřanalyse. Le moment premier est de partir de ce qui est la base, les fondements internes des dites Formations sociales à savoir des modes de production antérieurs à la pénétration capitaliste, soit la connaissance des modes de production précapitalistes, tel que le mode de production asiatique pour lequel il se propose lřexpression de mode de production tributaire pour sa variante africaine. Il sřoppose à deux variantes antagoniques de lřanalyse du sous-développement, lřune qui est celle de lřidéologie bourgeoise consistant à faire du sous-développement un retard ou un blocage correspondant au maintien des sociétés traditionnelles (thèse du dualisme), lřautre (marxiste) qui tend à vouloir expliquer le sous-développement uniquement à travers des causes externes (lřimpérialisme). La transition au capitalisme périphérique 80 à savoir la construction dřune formation sociale capitaliste spécifique à la périphérie à partir de la colonisation et de lřexportation de capital sur la base des modes de production précapitalistes. La théorie de la transition au capitalisme périphérique livre deux séries de résultats : dřune part, en ce qui concerne les conditions nécessaires pour que sřétablisse le mode de production capitaliste à la périphérie « celles-ci sont au nombre de deux essentiellement : la prolétarisation et lřaccumulation du capital argent (p165) ce qui insiste sur la dissolution des anciens rapports pour libérer la force de travail nécessaire 79 80 MARX et ENGELS : Introduction à lřédition russe (1882) du Manifeste S.AMIN : pp 163-193, 1 4 à lřétablissement de rapports de production capitalistes, libération obtenue le plus souvent par la violence ; Et dřautre part en ce qui concerne la dynamique de lřaccumulation : « Le mode de production, capitaliste tend à devenir exclusif cřestàdire à détruire les autres modes de production. Sur ce point Samir AMIN développe la spécificité du mode de production capitaliste dans les formations sociales capitalistes de la périphérie qui me parait résider dans la carence des rapports de production à dominer le développement des forces productives, ce qui conduit dřun côté à la non industrialisation, et de lřautre à la consolidation des rapports Le développement du capitalisme périphérique ou le développement du sousdéveloppement (pp197-338) qui selon S.AMIN se manifeste par trois distorsions une distorsion décisive en faveur des activités exportatrices qui absorberont la fraction motrice des capitaux en provenance du centre ; une distorsion en faveur des activités tertiaires qui traduit les contradictions particulières au capitalisme périphérique et les structures originales des formations périphériques une distorsion dans les choix des branches de lřindustrie en faveur des branches et techniques légères, accessoirement en faveur des techniques légères (p198) Les formations sociales capitalistes périphériques81 avec plus spécialement une caractérisation des formations sociales africaines de la périphérie partagent trois caractéristiques communes : la prédominance du capitalisme agraire et commercial dans le secteur national, la constitution dřune bourgeoisie locale dans le sillage du capital étranger dominant, la tendance au développement bureaucratique original, propre à la périphérie contemporaine (p360). Cette troisième caractéristique engagerait les formations sociales vers un « capitalisme dřÉtat » parfaitement compatible avec les exigences du centre et la reproduction des rapports capitalistes internes aux Pays sousdéveloppés82. La question des relations (spécialisation et échange inégal) entre Centre et Périphérie. Ces deux points sont étroitement imbriqués : spécialisation internationale inégale Tout cela établit avec clarté que les pays pauvres d'aujourd'hui n'ont pas la même structure que les pays riches du siècle passé. Donc ils n'auront pas la même histoire qu'ont eue les pays riches. Nous retrouvons les caractéristiques structurelles distinctives des pays pauvres (ou « périphériques ») et que soulignent presque tous les auteurs structuralistes de F. PERROUX aux autres : Dualisme. Il y a de très fortes différences de productivité entre un secteur moderne (mines, industries, plantations commerciales, …) et les autres secteurs de l'économie (agriculture traditionnelle, .etc.). Ce thème a fait lřobjet dřune abondante littérature depuis son introduction comme préoccupation de recherche par BOEKE (1953). Cřest surtout C. FURTADO qui construira autour de cette situation structurelle toute sa construction du sous-développement. « Le cas le plus simple est celui de la coexistence dřentreprises étrangères productrices dřune marchandise dřexportation, avec un large secteur dřéconomie de subsistance, coexistence qui peut durer pendant de longues périodes. Le cas le plus complexe est celui où une économie présente trois secteurs : le premier essentiellement de subsistance, le second tourné surtout vers lřexportation, le troisième étant un noyau industriel lié au marché interne, 81 82 Ibid : pp 339-376 Ibid :p.372 1 4 suffisamment diversifié pour produire une partie des biens de capital dont lřéconomie a besoin pour se développer »83. Dans un cas comme dans lřautre FURTADO90 montre que lřéconomie sera bloquée, analyse partagée par S. AMIN Désarticulation. Il y a peu d'échange intersectoriel ou entre industries. Dans un pays développé, les produits finis d'une industrie sont souvent les matières premières d'une autre industrie du pays (par exemple, l'acier provenant d'une sidérurgie est une matière première pour une fabrique de camions, et les camions sont des pièces d'équipement utilisées par la sidérurgie) ; dans un pays sous-développé, les matières premières du secteur industriel sont importées, et les produits finis sont exportés ou consommés par les ménagères ils sont rarement utilisés par les autres industries du pays. Domination extérieure. Le pays pauvre a peu dřautonomie ; une large partie de son économie est sous le contrôle effectif des étrangers. II/ L’accumulation à l’échelle mondiale84 permet d’éviter la chute du capitalisme au Centre. Il est théoriquement possible pour le système capitaliste de continuer indéfiniment en fait de régler théoriquement et pratiquement la contradiction de la baisse du taux de profit. Il serait alors assez naïf de baser sa politique sur une disparition imminente du capitalisme au niveau des pays riches. En effet, Samir AMIN opère une certaine réduction instantanément au plan du concept dřéconomie mondiale quřil identifie à lřéconomie mondiale capitaliste et à lřaccumulation mondiale du capital dřoù le titre de lřouvrage. En clair, au lieu de se tenir sur le terrain des rapports de production et du développement des forces productives, il se situe à un niveau écran qui est celui de lřaccumulation du capital. Cela apparaît très nettement lorsquřil écrit que «Lřaccumulation, la reproduction élargie, est une loi interne essentielle du mode de production capitaliste, et sans doute du mode de production socialiste ; mais elle nřest pas une loi interne du fonctionnement des modes de production précapitalistes ». Dès lors, quřil admet ce qui est juste quř « aucune formation socio- économique concrète contemporaine ne peut être saisie en dehors de ce système », le système mondial se définit par lřaccumulation à lřéchelle mondiale et les mécanismes de cette accumulation, ce qui le conduit à traiter lřaccumulation au niveau de lřéconomie mondiale comme un transfert de plus- value de la périphérie vers le centre. Celso FURTADO dans ses deux ouvrages publiés aux Presses Universitaires de France : Développement et sous-développement (1966, p.149) et Théorie du développement économique (1970) 90 Les caractéristiques du structuralisme qui apparaissent dans Théorie du développement économique, dans son « Annexe méthodologique » ou dans ses chapitres 14, 16, 18 et 20, évoquent une interprétation du Ŗstructuralismeŗ proche de celles dřauteurs comme A. HIRSCHMAN, W. LEWIS, R. NURKSE et ROSENSTEIN RODAN et de ce que lřon entend alors par le terme « dépendance ». Il sřagit dřun ouvrage qui déchiffre les phénomènes économiques à partir dřune « matrice structurale » caractérisée par la manière dont les variables exogènes et endogènes entrent en relation et se déterminent réciproquement C. Furtado souligne dès le départ que les modèles économiques contiennent un « nombre indéterminé de structures » 84 Samir AMIN/ L’accumulation à l’échelle mondiale 83 1 4 Figure 7 : Analyse structuraliste : Accumulation et enrichissement au centre Accumulation échelle mondiale Accumulation et Développent au Centre Accumulation échelle mondiale Domination/ Sous développement à la périphérie Prebisch, Furtado, Singer, Emmanuel, Amin Sunkel, G. Frank et Maurini Désarticulation Distorsions structurelles et faible productivité Non couverture coût de l’Homme Appauvrissement Cřest le thème fondamental de lřéchange inégal dřArghiri EMMANUEL qui observe que « les relations entre les formations du monde développé (le centre) et celles du monde « sous développé » (la périphérie) se soldent par des flux de transferts de valeur, qui constitue lřessence du problème de lřaccumulation à lřéchelle mondiale. Chaque fois que le mode de production capitaliste entre en rapport avec des modes de production quřil se soumet, apparaissent des transferts de valeur des derniers vers le premier qui révèlent des mécanismes de lřaccumulation primitive. Ces mécanismes ne se situent pas seulement dans la préhistoire du capitalisme : ils sont aussi contemporains. Ce sont des formes renouvelées, mais persistantes de lřaccumulation primitive au bénéfice du centre qui constituent le domaine de la théorie de lřaccumulation à lřéchelle mondiale ». Cette analyse qui nous situe au plan de lřéconomie mondiale marque un progrès certain. En effet, ce qui est au centre du capital de Karl Marx, cřest lřaction des rapports de productions capitalistes Ŕ interne en mode de production essentiellement national Ŕsur le développement des forces productives, à travers les mécanismes de lřéconomie du capital, quřils soient du type de la reproduction élargie du capital social ou de lřaccumulation primitive du capital, pour reproduire les rapports de production. Le passage du cadre national au cadre mondial exige que nous nous placions sur la base 1 4 des rapports de production définissant le rôle de lřaccumulation du capital à lřéchelle mondial vis-à-vis de la production de ces mêmes rapports. Le mérite de lřanalyse, et cela est dřune première importance, est de nous engager sur cette voie. « La théorie des relations économiques internationales pose mal son problème, plus exactement elle pose un faux problème. Elle procède en effet de lřhypothèse que les partenaires dans les relations internationales sont des économistes capitalistes « pures ». Le cadre de raisonnement nřest pas différent pour lřanalyse de lřéchange international ainsi appréhendé de celui conçu pour lřanalyse de lřaccumulation interne : on se place dans le cadre dune production capitaliste. Cette hypothèse conserve un sens pour lřanalyse de lřéchange international entre « pays développés », toutefois, elle nřa pas de sens pour ce qui concerne lřéchange entre « pays développés » et « pays sous développés ». À ce niveau, on doit se placer dans le cadre dřun raisonnement complètement différent : celui des relations dřéchange entre les formations socio économiques différentes. Quelles sont ces formations en présence ? Là est le vrai problème ». En effet, le capitalisme au Centre diffère de celui de la périphérie. 1°) Le fonctionnement du capitalisme au Centre En ce qui concerne lřanalyse des formations socio économiques capitalistes dominantes, un des apports essentiel de Samir AMIN tient au refus de connecter « le modèle de fonctionnement » du capitalisme au Centre de son insertion dans lřéconomie mondiale, à le séparer de lřespace impérialiste mondial dans lequel il fonctionne concrètement. En ce qui concerne le modèle de fonctionnement, si Samir AMIN ne se croit pas tenu de développer largement son analyse Ŕ on aurait espérer un renouvellement Ŕ cřest quřil se réfère très étroitement dřune part à une vision marxiste classique quant aux stades de développement historique du capitalisme et dřautre part à la formulation du modèle de fonctionnement du capitalisme américain de notre temps, tels que développé par BARAN ET SWEEZY. 85 Vis-à-vis des stades de développement du capitalisme au centre, Samir AMIN distingue trois étapes très classiques : la période de constitution du capitalisme …que lřon peut définir par le caractère mercantile dominant du capitalisme ; la période dřépanouissement du mode de production capitaliste au centre, caractérisé par la révolution industrielle, la dominance essentielle du capital industriel nouveau et la forme concurrentielle du marché capitaliste…. ; la période impérialiste des monopoles Ŕ au sens leniniste de lřexpression Ŕ qui débute à la fin du XIXème siècle. Tout modèle de fonctionnement capitaliste au centre est réductible au modèle Américain. De plus le modèle DE BARAN ET SWEEZY sřapplique semble- tř-il à la totalité de la phase retenue, si bien que lřauteur ne dit pas un mot sur la thèse du capitaliste monopoliste dřÉtat. Par ailleurs Samir Amin nřexplore pas les transformations du capitalisme monopoliste contemporain qui évolue manifestement vers une phase de « concurrence internationale des monopoles » (G.DE BERNIS). En bref, il recouvre dřune même identité des périodes évolutives au sein de la phase du capitalisme monopoliste : capitalisme monopoliste industriel et financier, capitalisme monopoliste dřÉtat, capitalisme de concurrence internationale des monopoles. Lřauteur se place sur le terrain du modèle de fonctionnement uniquement, et cela en des termes très voisins à ceux de BARAN ET SWEEZY, que ce soit le capitalisme 85 Du groupe rattaché à la «MONTHLY REWIEW» 1 4 concurrentiel ou pour le capitalisme monopoliste , c'est-à-dire à travers le mode de création et dřabsorption du surplus Ŕ en liaison avec le problème de la baisse tendancielle du taux de profit Ŕ dřoù se dégage la fonction des relations extérieures du centre avec la périphérie : « Les relations internationales (commerce et exportations de capitaux) conservent les mêmes fonctions pour le capital central, c'est-à-dire combattre la baisse tendancielle du taux de profit : en élargissant les marchés et en exploitant des zones nouvelles ou le taux de la plus value est plus élevé quřau centre et en réduisant le coût de la force de travail et du capital constant .Que lřon en déduise pas que capitalisme concurrentiel et capitalisme monopoliste sont réductibles lřun à lřautre sur le plan de la fonction des relations extérieures, car le capitaliste monopoliste se caractérise par une exportation de capital qui induit une nouvelle division internationale du travail entre le centre et la périphérie. Quoi quřil en soit, sur le point de lřanalyse du capitalisme monopoliste Samir AMIN tente une synthèse des thèses de Baran et Sweezy dřun coté et du collectif R RICHTA de lřautre sur la révolution scientifique et technique, comme aggravation des contradictions au centre, accentuant lřexportation du capital du centre vers la périphérie. Au fond des choses, Samir Amin ne débouche pas vraiment sur une analyse de la formation sociale capitaliste au centre, se cantonnant en réalité sur un modèle de fonctionnement capitaliste « ouvert » sur la périphérie. 2°) La périphérie au cœur des mécanismes de sauvetage du système capitaliste au Centre. Les contre tendances à la baisse du taux de profit au centre tiennent à une série de raisons qui justifient le maintien et même le renforcement du système capitaliste. Elles sont pour Samir AMIN au nombre de 4 dont la dernière mérite une évaluation particulière au regard du rôle que joue la périphérie dans le sauvetage global du système capitaliste au niveau central. Première raison : Une augmentation des salaires. Parmi les conséquences de l'augmentation des salaires qui vise un double objectif dřune part la réduction des tensions sociales et dřautre part la provision d'un marché pour les manufactures, que les ouvriers ont les moyens d'acheter. Deuxième raison : Lřadoption de mesures « Keynésiennes » pour balancer le niveau global de l'offre et de la demande dans l'économie en jouant avec le surplus ou le déficit budgétaire, et avec la quantité de monnaie mise en circulation. Cřest le double effet de la conjugaison des politiques budgétaires et monétaires qui stimule la demande globale et déclenche le cercle vertueux de hausse par lřeffet combiné du multiplicateur (KAHN) et de lřaccélérateur (AFTALION). La conception de l'indemnité de chômage comme une politique économique est souhaitable : elle nřest pas un pis-aller chez Keynes. Troisième raison : Lřabsorption dřun «surplus économique» par le gouvernement en forme de grandes dépenses publiques pour l'armement, la « race de l'espace », etc. Le rôle de ce genre de dépense dans le maintien du système capitaliste a été souligné par les économistes BARAN et SWEEZY. Quatrième raison : L'exploitation des colonies et par la suite des pays indépendants du Tiers-Monde. Le mécanisme passe par les relations économiques internationales qui contribuent à la ruine de la périphérie par les divers transferts visibles et invisibles à travers les termes de lřéchange et lřéchange inégal. La 1 4 détérioration des termes de l'échange des pays pauvres permet, du point de vue des pays riches, d'importer à prix bas et d'exporter à prix élevé. L'investissement direct aux colonies et ensuite au Tiers-monde est caractérisé par un taux de profit élevé (exemple: pétrole, cuivre, banane,...) III/ La question des relations (spécialisation et échange inégal) entre le centre et la périphérie86 Ces deux points (spécialisation et échange inégal) sont étroitement imbriqués à la spécialisation internationale inégale. Ils ont été développés par tous les structuralistes dřinspiration marxiste : R. PREBISCH, C. FURTADO, A. EMMANUEL, S. AMIN, G. FRANK, C. PALLOIX, T. SVENTES, M. MAURINI, Vis-à-vis de la spécialisation, ou de la division internationale du travail entre le centre et la périphérie, Samir AMIN souligne lřapparition dřune nouvelle division du travail, issue de la nécessité pour le centre de surmonter ses contradictions dans deux voies la première étant celle de « lřintégration de lřEurope de lřEst dans les échanges internes du centre » la seconde étant énoncée comme suit : « La seconde direction possible cřest la spécialisation du Tiers-monde, dans la production industrielle classique (y compris celle de biens dřéquipement), le centre se réservant les activités ultra modernes (automation, électronique, conquête de lřespace, atome). Notre époque est en effet celle de la révolution scientifique et technique extraordinaire. Celle ci rend caducs les modes classiques de lřaccumulation, marqués par lřévolution de la composition organique du capital…Les pays sous-développés se spécialiseraient alors dans des productions classiques qui nřexigent que du travail simple, y compris les productions industrielles lourdes classiques (sidérurgie, chimie, etc.) » Tout dřabord il nřest pas certain que cette nouvelle spécialisation dans les productions classiques, à forte composition organique du capital et à faible composition organique du travail (travail simple), se généralise car elle est en contradiction avec la dépendance technologique et politique de la périphérie. En effet, ces pôles industriels classiques engendrent lřapparition dřun prolétariat urbain qui induit forcément une activation de la lutte des classes ; aussi certains pays sousdéveloppés (Maroc par exemple) refusent ostensiblement les bases de lřindustrialisation (sidérurgie, chimie). Par ailleurs, pour des raisons de sécurité du capital, le centre préfère importer de la main dřœuvre dans son espace que réallouer ses activités de production chaque fois que cela est possible. Dřautre part, lřimplantation de bases industrielles classiques peut être le support Ŕ à condition que les formations sociales de la périphérie le veuillent Ŕ dřun procès autonome dřengineering, conduisant à briser la dépendance technologique. Il faut saisir les contradictions dans leur dynamique et agir sur elles. Section 4 : Structuralisme et Institutionnalisme : les nouvelles recherches des économistes. A.EMMANUEL : LřÉchange inégal Samir AMIN : Le Développement inégal mais aussi et surtout LřAfrique de lřOuest bloquée, Paris Édit. de Minuit, 1971 86 1 4 À lřorigine, les fondateurs de lřéconomie du développement, en lřoccurrence les structuralistes et les marxistes, manifestaient déjà le plus grand scepticisme quant à lřaptitude du marché à promouvoir une accumulation régulière du capital dans les économies développées, et plus encore leur rattrapage par les autres pays (MEIR [1995].) Ils soutiennent ainsi que lřÉtat devrait remplacer le marché, responsable des crises et disfonctionnements répétés des économies. Cette réflexion est aujourdřhui prolongée par celle des institutionnalistes comme D. NORTH. Après une longue période de vive contestation de la part des néo-classiques (pour qui la pauvreté des paysans des pays du « Tiers-Monde »94 était loin dřêtre un obstacle au développement dřune rationalité dřhomo-economicus et donc dřune réponse aux signaux des prix que véhiculent le marché [SHULTZ]), les économistes du développement contemporains semblent aller vers une certaine convergence : le renouveau du structuralisme et la prise en compte des institutions. Lřéchec des politiques antérieures prônant uniquement le marché ou lřÉtat semble être le moteur de cette nouvelle configuration. I/ Vers un renouveau de l’approche structuraliste et institutionnaliste du développement. Pour favoriser le développement, faut-il plus ou moins dřÉtat ? (SEN, 1988). Dřun coté le consensus de Washington, qui donnait 10 prescriptions libérales aux pays en difficulté, semble aujourdřhui être remis en cause, depuis les années 1990. Si à lřobservation, il était admis que lřomniprésence du pouvoir public, comme en Union Soviétique, suggère que le « tout État » est voué à lřéchec, aujourdřhui dřautres faits dévoilent les imperfections des marchés qui inclinent au retour de lřEtat dans le système économique et social : Dřabord la crise asiatique. En effet ce consensus formulait des principes généraux valables pour tous les pays : discipline budgétaire, réformes fiscales clarifiant les incitations économiques, élimination des barrières à lřéchange internationale et à la concurrence etc. John WILLIAMSON, auteur de ce consensus, reconnait même que ces mesures auraient dues être accompagnées par « la construction dřinstitutions clés telles quřune Banque centrale indépendante, une administration budgétaire forte, des juges indépendants et incorruptibles et des agences en vu de développer les missions de productivité. » Ensuite, les nombreuses recherches (nouvelle microéconomie, nouvelle macroéconomie) montrent les limites du marché, mettant en exergue le rôle des coordinations hors marché dans lřapparition de sentiers de croissance ou dřéquilibres plus favorables que ceux qui résulteraient du marché uniquement. Cela fait dire à HOFF ET STIGLITZ que « maintenant, la théorie formalisée sřétend à de nombreux domaines de lřinformation imparfaite et des contrats incomplets » et que « dans de nombreuses configurations, des interactions hors marché donnent lieu à des complémentarités qui peuvent être associées à des équilibres multiples. » Enfin les recherches économiques actuelles de certains auteurs notamment les travaux de D. NORTH découvrent le rôle primordial des institutions dans le développement et la croissance. Elles établissent empiriquement que les écarts constatés au niveau des revenus et des productivités ainsi que les 1 4 différences dans les performances proviennent principalement de la qualité des institutions. 94 Terme anciennement utilisé pour désigner les pays en voie de développement. Figure 9 : Vers une approche systémique et institutionnaliste du développement : le tournant des années 1990. Le domaine des théories L’achèvement du programme de recherche de la TEG montre la généralité des failles du marché Les recherches contemporaines formalisent certaines intuitions à l’origine des analyses du développement (externalités, coordination, rendement croissant, croissance endogène. La conception du développement en 2001 : 1. Etat et marché sont plus complémentaires que substituts 2. Trappes à la pauvreté, multiplicité des facteurs qui font obstacle au développement 3. l’ensemble des institutions, normes, modes de gouvernement conditionnent le développement Réconcilier théorie/ observation/ pratique Le domaine des stratégies L’application du consensus de Washington n’empêche pas des crises majeures La diversité des expériences nationales et l’expérience de la transition des économies soviétiques appellent un renouvellement théorique Source : R. Boyer : LřAnnée de la régulation 2001, Économie, Institutions, Pouvoirs Presse de Sciences-Po. Dans son Rapport Mondial sur le Développement 2007, la Banque Mondiale, qui était pourtant lřun des principaux défenseurs du « consensus de Washington », reconnait la responsabilité de lřÉtat dans les économies en développement, notamment par lřinvestissement dans la jeunesse et son rôle de lřassister de lřentrée à lřécole à lřinsertion économique et sociale. De plus, lřexploitation des ressources naturelles engendre des externalités. Le marché à lui seul ne peut réguler ces externalités car les agents en produisent excessivement sřelles sont négatives et peu sřils sont positives. Il appartient à lřÉtat de canaliser les premières et dřinciter les secondes (éducation, santé…). Cřest aussi à lui de gérer les questions comme la préservation de ces ressources naturelles et donc de lřenvironnement. Depuis les années 70, les pays en développement prennent de plus en plus conscience du rôle de celui-ci car leurs économies en dépendent considérablement. En outre, par les politiques de redistribution (de revenus et dřactifs), lřÉtat peut veiller à atténuer les distorsions sociales et réduire la pauvreté. Ainsi, il ne sřagit plus de choisir entre lřÉtat et le marché, mais plutôt dřune juste association de ces deux institutions. Le rôle de 1 4 chacune dřentre elles nřest plus à contester, tout comme leur insuffisance à nier. Il sřagit maintenant pour les pays en développement de pouvoir pallier aux dérives du marché par des interventions efficientes du pouvoir public. II/ Le rôle des institutions dans le développement. Beaucoup de recherches théoriques et empiriques établissent aujourdřhui, toute lřimportance que jouent les institutions dans le développement et la croissance. En effet, lřévolution institutionnelle dřune économie est déterminée par lřinteraction entre les institutions et les organisations : les premières représentant les règles du jeu et les secondes les joueurs constitués de groupes dřindividus mus par des objectifs communs. Selon D. NORTH, les institutions sont alors une combinaison de contraintes mises en place par les individus et qui sont de deux ordres : les contraintes formelles (règles, loi, constitutions) et les contraintes informelles (normes de comportement, conventions, codes de conduite auto imposés). Dřautres définitions mettent lřaccent sur les organismes, les procédures, les réglementations, les coûts de transaction, les droits de propriété, les normes en somme tout élément permettant surtout de réduire les coûts de transaction, dřéconomiser de lřinformation et de représenter la rationalité des agents au regard du problème de coordination. Ainsi, au sens le plus large, les institutions peuvent être comprises comme des règles sociales reconnues et suivies par une même communauté qui contraignent les actions des agents. Les institutions qui sont requises pour le développement sont de deux types : dřabord celles qui encouragent le développement des activités de marché en développant la confiance et en diminuant les coûts de transaction (droit des contrats, normes de comportement facilitant la confiance etc.) et ensuite celles qui canalisent le pouvoir de lřEtat vers la protection de la propriété et non pas lřexploitation (séparation des pouvoirs, fédéralisme, normes anti-corruption etc.). En effet, les institutions représentent une condition nécessaire pour un fonctionnement harmonieux des marchés. : le temps et lřincertitude qui caractérisent, tout processus de marché incitent les agents à suivre des règles communes qui conduisent à lřémergence et au développement des institutions qui permettent, à leur tour, en fournissant des modèles stables dřinteraction, de réduire lřincertitude qui prévaut sur le marché. Dès lors, la clé du développement découle de la complémentarité entre lřÉtat et le marché. Aussi, les arrangements institutionnels intermédiaires peuvent être des catalyseurs. Les institutions sont des règles sociales reconnues et suivies par une même communauté qui contraignent les actions des agents. Définies d'une façon aussi large, elles comprennent des règles non imposées mais volontairement suivies comme la solidarité sociale ainsi que des règles imposées de façon externe comme les systèmes juridiques. Les règles externes sont des règles formelles et constituent le système juridique. Lřétablissement de règles de droit est un préalable essentiel au développement car les acteurs économiques doivent connaître les règles du jeu pour élaborer des stratégies économiques. Toutefois, certaines normes sociales sont suivies spontanément par les individus sans qu'ils y soient contraints par la loi (normes sociales internalisées). Il s'agit de règles de morale, de solidarité ou de politesse qui établissent la confiance et réduisent les coûts de transaction entre les agents. Quand ces règles permettent d'accroître la production elles sont quelquefois appelées « capital social » sous ce rapport, elles ont fait l'objet d'une attention récente des chercheurs pour comprendre trois aspects de la micro-économie du développement : la réussite de petits groupes ethniques ou religieux (un phénomène beaucoup observé au Sénégal), la gestion de l'environnement naturel et la microfinance. 1 5 Les institutions comprennent également les organisations qui sont des combinaisons de facteurs de production ordonnées suivant des règles hiérarchiques pour atteindre certains objectifs. Aussi, toute organisation repose sur des institutions et toute institution demande des organisations pour être mise en œuvre. A ce niveau, la théorie économique des institutions soulève trois problèmes auxquels elle tente dřapporter des réponses souvent en divorce avec les analyses de la théorie standard : Pourquoi les pays qui ont été capables de créer et de développer des institutions propices au développement et à la croissance sont-ils si peu nombreux ? Quelles sont les institutions qui portent le développement ? Que doivent faire les PSD pour mettre en œuvre de bonnes institutions ? Les réponses à ce questionnement se ramènent à une évaluation des institutions qui portent le développement et ensuite à lřétude de leur fonctionnement en vue de leur mise en œuvre au niveau des PSD. Ces institutions sont de trois ordres : Les variables significatives: la protection des droits de propriété, le droit des contrats, les libertés civiles, les droits politiques et la démocratie, lřinstabilité politique, les institutions qui supportent la coopération. Mais toutes ces variables ne sont pas des institutions: les droits de propriété, lřinstabilité sont des résultats, la fragmentation ethnique une condition, les barrières commerciales, la prime au marché noir reflètent des options de politiques économiques. Lřémergence dřun environnement favorable aux acteurs de lřéconomie et à un fonctionnement concurrentiel des marchés. Les évolutions actuelles de lřéconomie du développement proposent au moins deux autres formes de coordination, outre le marché et lřÉtat : Dřabord la firme qui assure une fonction dřallocation des ressources. WILLIAMSON (1985) montre quřen présence de coûts de transaction importants liés au recours du marché, ou encore à la difficulté de la collecte et du traitement de lřinformation, lřorganisation peut développer des routines dřallocation des ressources et de circulation des informations plus efficaces, et par conséquent constitue un lieu dřaccumulation de compétences et de savoirs spécifiques ; Ensuite la société civile qui est un système où sřétablissent des conventions, des règles, des habitudes qui permettent et facilitent par la suite les transactions proprement économiques à travers la formation de réseaux (Granovetter), la création et le maintien de la confiance, la coopération. Elle entretient aussi des relations avec les organisations car elle lui impose des règles qui ne sont pas forcément reconnues par le marché ni par lřEtat. Il apparait ainsi que le duo État/Marché était trop simpliste car lřéconomie étant en réalité un concours de facteurs plus nombreux et plus complexes. Cela fait que lřéconomie du développement est devenue systémique et institutionnaliste et impose une vision dynamique et non plus statique ou dogmatique. La place de lřEtat sřen trouve renouvelée au même titre que lřimportance du marché, mais aussi des institutions. III/ L’évolution des thèses structuralistes vers le néo- structuralisme. 1 5 Indubitablement, le courant néo-structuraliste sřinspire du structuralisme traditionnel. Beaucoup des contributions de la pensée structuraliste sont encore pertinentes et sont reprises et enrichies par les « nouveaux structuralistes » parmi lesquels on peut citer F.FAJNZYLBER, R. F. FRENCH DAVIS, A FISHLOW, A.FOXLEY, N.LUSTIG, P. MELLER, J, ROS, M. TAVARES, L.TAYLOR etc. Ces auteurs reconnaissent que lřapport principal du courant structuraliste est dřavoir mis en évidence lřimportance des aspects structurels dans lřanalyse des économistes du tiers monde à travers lřidée selon laquelle, lřinsertion internationale défavorable des pays sous développés est le reflet des différences de structure entre les pays du centre et ceux de la périphérie. Lřapproche néo-structuraliste attribut un rôle primordial aux différentes dimensions de lřhétérogénéité structurelle : lřhétérogénéité des marchés extérieurs, la diversité des réponses à des incitations suivant les régions et les segments du marché (les petites et grandes) entreprises, les entreprises rurales et urbaines, les firmes naissantes ou déjà bien implantées ), les degrés de mobilité des ressources et de flexibilité des prix qui dépendent de lřintensité de la réponse des différents secteurs et marchés et des perceptions et des anticipations des agents économiques (cf. F.FRENCH-DAVIS L-(1993). Les néo-structuralistes acceptent également lřidée des structuralistes selon la quelle lřunique voie des pays sous développés, de sortir du système Centre / Périphérie qui entrave leur développement est dřimpulser un développement industriel. Dans cette dynamique, comme les structuralistes anciens, ils sont favorables à lřintervention de lřÉtat afin dřencourager le processus dřindustrialisation. Contrairement à lřanalyse libérale, qui conçoit le développement comme un simple produit du fonctionnement spontané du marché (où lřajustement par les prix serait le principal mécanisme menant au développement), lřapproche structuraliste et néostructuraliste envisage le processus de développement comme étant plutôt le produit dřun effort délibéré des pouvoirs publics dans les économies périphériques caractérisées par une profonde hétérogénéité structurelle. Dřailleurs, le jeu spontané des forces du marché sřest traduit dans la région latino-américaine par une tendance structurelle vers le déséquilibre externe, le chômage structurel et les déséquilibres intersectoriels. Pour des micro marchés caractérisés par leur étroitesse et la nécessité dřutiliser des technologies exigeant de grandes échelles de production pour des raisons de rentabilité , cette intégration régionale est considérée comme pouvant offrir aux économies de la région une opportunité de spécialisation industrielle, qui leur permettrait aussi de réduire la sous utilisation du capital et lřinefficacité des processus de production, cependant, en même temps quřil reconnaît les apports estimables de la pensée structurelle. Le néo-structuralisme prend acte des insuffisances des politiques de développement dřinspiration structuraliste (la stratégie de substitution aux importations) expérimentées dans le continent latinoaméricain. Durant trois décennies, les néo-structuralistes ont observé des visions contradictoires: un pessimisme exagéré par rapport aux possibilités dřexportations, une confiance excessive dans les vertus de lřintervention de lřÉtat dans lřéconomie, la négligence des aspects monétaires et financiers et la sous-estimation de la nécessité dřun ajustement à court terme de lřéconomie, ajustement devant suivre des voies bien entendu différentes de celles prônées par les néolibéraux. Dans ce contexte, ils réaffirment certes la nécessite du rôle de lřÉtat dans la promotion du développement économique (le marché doit être assisté par les 1 5 politiques gouvernementales) mais son rôle doit être circonscrit clairement de sorte à éviter les erreurs liées à une confiance excessive dans les vertus de lřintervention de lřÉtat dans lřéconomie. La formule ne consiste donc pas à revenir à une régulation extensive et non sélective de lřÉtat, comme cela a été le cas en Amérique Latine lors de la mise en œuvre de la stratégie de substitution aux importations, ou à préconiser la libéralisation générale des marchés, comme dans le schéma néolibéral, mais à rechercher la complémentarité (mis en avant par lřapproche structuraliste) entre lřÉtat et le secteur privé. En dřautres termes, il faut dépasser le « faux dilemme » entre lřÉtat et le marché par une participation active et complémentaire public/privé dans lřélaboration de la stratégie de développement (BERTHOMIEU, C. EHRHART 2000). Les néostructuralistes soutiennent que « des contrepoids institutionnels sont nécessaires pour compenser les pressions asymétriques en faveur de plus dřintervention » (J.RAMOS et O. SUNKEL 1993). Les néo-structuralistes considèrent lřindustrialisation fondée sur la substitution comme une étape initiale nécessaire du processus de développement. Néanmoins, ces derniers pensent que ce processus a été maintenu trop longtemps et quřil est temps maintenant de tirer profit de la capacité industrielle créée au moyen de la stratégie de substitution en passant à la seconde étape, celle de lřexportation de produits non traditionnels et spécialement les biens manufacturés. Enfin, les néo structuralistes critiquent de ce fait le pessimisme exagéré quant aux possibilités dřexportation des pays latino-américains qui a résulté de la mise en pratique de lřindustrialisation de substitution aux importations. Au terme de cette analyse, on peut retenir que la position des économistes du courant structuraliste et particulièrement les économistes de la CEPAL a évolué: dans les années 50, en raison du caractère asymétrique de la relation entre le centre et la périphérie, lřapproche structuraliste sřétait focalisée sur lřindustrialisation par substitution aux importations; dans les années 90, la réponse proposée par le courant néo- structuraliste au phénomène de globalisation économique est la recherche et lřatteinte dřune compétitivité internationale accrue. 1 5 CHAPITRE 9 ENTREMÊLEMENT DES THÉORIES ET MODÈLES DE LA CROISSANCE. « Le vif regain d’intérêt que connaît actuellement la théorie de la croissance, qui a pris naisssance dans les articles de ROMER (1986) et de LUCAS (1988 à partir de ses Leçons sur Marshal de 1985) ne montre encore aucun signe d’épuisement. L’heure n’est pas au bilan mais l’attention portée à la théorie de la croissance s’est partagée en trois phases successives durant le dernier demi-siècle. La première correspondait aux travaux de HARROD (1948) et de DOMAR (1947). La seconde vague a été celle du développement du modèle néoclassique. La troisième vague, née d’une réaction aux oublis et aux déficiences du modèle néo-classique ». Robert SOLOW87 La croissance économique est généralement définie comme l'augmentation soutenue pendant une ou plusieurs périodes longues de la dimension et de la structure d'une économie. Cette dimension, à l'échelle de la nation, est mesurée par deux indicateurs : le Produit Intérieur Brut (PIB) et le Produit National Brut (PNB). Pour qu'il y ait croissance, il faut non seulement qu'il y ait augmentation de la production, mais aussi que ce mouvement ascendant soit durable et non aléatoire (on parle parfois de croissance pour traduire le mouvement d'augmentation de la production à court terme, le terme approprié dans ce cas est expansion). La croissance s'accompagne de changement de structure, des modifications des conditions de la production: investissement en hausse, modification des qualifications de la main-dřœuvre, incorporation du progrès technique par les machines nouvelles, nouvelles habitudes de consommation, modification des anticipations des entrepreneurs ; elle s'accompagne également de mutations sectorielles. Toutefois, dans le cas des PSD, la production dřune matière première dřorigine agricole ou minière peut augmenter brusquement du fait de meilleures conditions climatiques ou d'une hausse des cours mondiaux accroissant ainsi la production. Mais cet accroissement de la production, qu'un hasard climatique ou une chute des cours peuvent effacer le lendemain, n'est pas synonyme de croissance. On parlera de croissance si l'augmentation de la production est le fait de nouvelles techniques, de l'amélioration des qualifications du travail, d'investissements supplémentaires, etc. Différentes réflexions sur la situation actuelle du continent se ramènent parfois a trois interrogations majeures : Pourquoi la massification de la pauvreté en Afrique ? Pourquoi des pays comme la Corée du Sud, la Chine de Taiwan et certains NPI ont maintenant un revenu réel par tête vingt fois supérieur à celui de lřécrasante majorité des pays subsahariens qui pourtant étaient au même niveau de développement en 1960 ? Certains pays comme la Côte dřIvoire, le Ghana et le Sénégal avaient même un niveau de revenu per capita plus élevé. Quelle est la politique économique capable dřélever le rythme de croissance des économies afin de sortir de la trappe de la pauvreté et amorcer le rattrapage de ces pays qui ont résolu les problèmes essentiels du sousdéveloppement en lřintervalle dřune génération ? 87 R.SOLOW : Perspectives on Growth Theory, The Journal of Economic Perspectives,1994 1 5 Les théories enseignent que la croissance forte et durable dans lřéquité est la solution aux difficultés économiques de lřAfrique. La réduction de la pauvreté est directement corrélée au niveau de la croissance. Depuis les Classiques jusquřaux théoriciens de la croissance endogène la croissance et le développement résultent fondamentalement de lřaccumulation du capital qui permet simultanément dřélargir les capacités de production et la productivité des facteurs. Manifestement ces pays accusent une faible base autonome comme l'établit la quantité impressionnante de matériaux statistiques rassemblés. Dès lors, s'ils veulent s'en sortir et lever tous les obstacles qui s'opposent à l'expansion, ils doivent faire de la croissance l'objectif économique et politique majeur. C'est pourquoi la croissance pour ces pays doit atteindre des performances. Elle doit y être rapide avec les taux les plus élevés possibles compte tenu bien sûr des ressources naturelles, financières et humaines qu'ils peuvent mobiliser. En outre, la croissance doit être régulière et débarrassée de toute fluctuation trop forte, en baisse comme en hausse. Enfin, elle doit être équilibrée, c'est-à-dire que les capacités de production et de consommation doivent correspondre et s'ajuster en permanence. En d'autres termes, la croissance doit être au premier rang de toutes les priorités, c'est-à-dire qu'il doit y avoir une organisation, une articulation des facteurs de la croissance telle qu'entre deux périodes un agrégat significatif de l'activité économique soit le plus élevé possible. Que faire pour y aboutir ? Deux problèmes sont à régler : - les actions de type macro-économique dans le cadre de la politique générale, - les actions ponctuelles pour élever le taux de croissance. Les actions globales soulèvent la question des orientations de nature stratégique pour savoir comment mener la politique d'ensemble de la croissance. A ce propos, deux tendances s'opposent entre croissance balancée (développement équilibré) et croissance non balancée (développement déséquilibré). Figure 9 : Processus de la croissance Un bref rappel des théories est indispensable pour bien comprendre les schémas de croissance et leurs déterminants. 1 5 Section 1 : Rappel des théories de la croissance et des schémas d’accumulation productive. Le monde des théories de la croissance est à la fois varié, complexe et fortement nuancé dans les formulations. Dans leur ouvrage sur « Les nouvelles Théories de la croissance», Dominique GUELLEC et Pierre RALLE sřinterrogent pour savoir : Pourquoi, la richesse produite dans les pays les plus développés a-t-elle été multipliée par 14 depuis 1820 ? Pourquoi, depuis la Seconde Guerre Mondiale, le Japon a-t-il une croissance beaucoup plus rapide que les pays occidentaux ? Pourquoi les pays africains veulent-ils une croissance rapide et au taux le plus élevé ? 88Différentes théories de la croissance, depuis le 17ème siècle jusquřà nos jours, cherchent toujours les réponses à ces questions. Le tableau suivant offre un panorama historique des théories et des auteurs depuis la naissance de lřÉcole Classique jusquřà nos jours. Tableau 6 : Synopsis de principales théories de la croissance Théories de la croissance A. Smith (1776) D. Ricardo (1817) R. Malthus (1799) K. Marx (1867) Origine de la croissance Division du travail Réinvestissement productif du surplus Réinvestissement productif du surplus) Accumulation du capital Traits caractéristiques Croissance illimitée Croissance limitée en raison du rendement décroissant des terres Croissance limitée en raison de la loi de population Croissance limitée dans le monde de production capitaliste en raison de la baisse tendancielle du taux de profit Instabilité de la croissance, théorie explicative du cycle long type Kondratiev Instabilité de la croissance J. A Schumpeter (1911, 1939) Grappes dřinnovations Modèle postkeynésien R. Harrod (1939), E. Domar (1946) Le taux de croissance est fonction du rapport entre le taux dřépargne et le taux dřinvestissement Population et progrès Caractère transitoire de la technique « exogène » croissance en lřabsence de progrès technique Ressources naturelles Croissance finie en raison de lřexplosion démographique, de la Modèle néoclassique R. Solow (1956) Modèle du club de Rome Meadows (1972) 88 . GUELLEC et P.RALLE : Les nouvelles théories de la croissance, Collect. Repères, Édit. La Découverte 2003 1 5 pollution et de la consommation énergétique Théorie de la Articulation entre régime Diversité dans le temps et dans régulation de productivité et régime lřespace des types de croissance M. Aglietta (1976) de demande R. Boyer (1986) Théories de la Capital physique ; Caractère « endogène » de la croissance technologie ; capital croissance ; réhabilitation de endogène humain ; capital public ; lřÉtat ; prise en compte de P. Romer (1986), R. intermédiaires financiers lřhistoire. Barro (1990), R. Lucas (1988) Source : Angus Maddison, l’Économie mondiale 1820-1992, OCDE, 1995. Toutefois, les théoriciens, quelles que soient leurs sensibilités particulières, partagent : une analyse du sous-développement menée en termes quantitatifs et d'économiste, une approche méthodologique de modélisation du processus de croissance économique ; une politique économique de croissance non pas optimum, mais celle qui pourrait être la plus souhaitable parmi celles qui sont possibles. L'étude de ces trois éléments permet d'évaluer les contours des théories qui portent à la fois les instruments et les politiques économiques. L'approche quantitative se veut une analyse du sous-développement qui se fonde exclusivement sur des critères quantifiables. Pour beaucoup d'auteurs, cette méthode présente au moins deux avantages. D'une part, face à l'extrême enchevêtrement des faits, la théorie doit privilégier ceux qui sont les plus édifiants, les plus décisifs, finalement ceux qui peuvent être quantifiables. Cette caractéristique finit par leur conférer une valeur intrinsèque incontestable. D'autre part, la démarche mettant en avant des faits mesurables répond à un souci d'objectivité et d'impartialité doctrinale car en définitive, elle se borne à rassembler des faits, à faire un bilan des certitudes. Elle pourrait alors, pense-t-on, fournir une base commune à tous les économistes, quelle que soit leur orientation idéologique. Cet empirisme a fait qu'en fin de compte, cette forme d'analyse a permis de rassembler un matériau statistique extrêmement appréciable sur les pays en voie de développement. Le point de départ de toutes les théories est la reconnaissance du rôle fondamental de lřaccumulation du capital dans tout processus de croissance et de développement. Cette découverte majeure provient des économistes classiques qui ont formulé au 18ème et le 19ème siècle les premières interrogations sur la croissance. Leurs analyses sont marquées dřune part par lřoptimisme dřAdam SMITH et dřautre part par le pessimisme de RICARDO et de MALTHUS. Lřapproche ricardienne admet que la croissance économique est tributaire du profit qui est perçu par les industriels ; cependant, avec la rente différentielle au fur et à mesure que la population sřaccroît, la demande des biens de subsistance augmente ainsi que le prix des biens et la rente des propriétaires fonciers. Donc à long terme le profit tend vers zéro, les capitalistes ne 1 5 vont plus investir, le stock de capital se stabilise vers un bas niveau. Cřest alors lřarrêt de lřaccumulation du capital qui va conduire le système vers un état stationnaire qui peut être évitée grâce au concours du progrès technique et à la libre importation des produits étrangers. K. MARX a pris le contre-pied de lřécole classique libérale et développé une analyse qui remet en cause la possibilité dřune croissance durable dans une économie capitalistique. En effet, le mode de production capitaliste est caractérisé par lřabsence de coordination des producteurs individuels ; lřanarchie des activités entraîne des risques de surproduction car la régulation par le marché nřintervient quřà posteriori. La concurrence conduit les entrepreneurs capitalistes à augmenter sans cesse leur effort dřinvestissement, il en résulte une augmentation de la composition organique du capital et une tendance à la baisse du profit qui va alors bloquer le processus dřaccumulation entraînant lřéconomie capitaliste dans une crise irrémédiable. À la différence des classiques, lřétat stationnaire provient chez K.MARX du progrès technique et du changement des méthodes de production et non de la rareté. Lřapproche de la croissance par J.SCHUMPETER met lřaccent sur des facteurs importants comme lřintroduction de nouveaux producteurs, lřintroduction dřune nouvelle forme de production, lřouverture de nouveaux marchés, la découverte et la conquête de nouvelles sources de matières premières et la mise en œuvre dřune nouvelle méthode dřorganisation du travail. Lřinnovation est mise en œuvre par lřentrepreneur qui tire un profit grâce au monopole temporaire que lui confère lřinnovation Cřest surtout Keynes et ses disciples qui vont élaborer les modèles de croissance qui mettent en évidence lřimportance de lřinvestissement dans les fluctuations de lřactivité économique. Nous avons suffisamment insisté sur les travaux de R. HARROD pour qui lřinvestissement exerce un double effet dans lřéconomie : un effet de revenu qui détermine le revenu et la demande globale (avec amplification par le biais du multiplicateur qui exprime lřaspect demande) et un effet de capacité par lequel, il accroît également la capacité de production : cřest lřaspect offre. La confrontation des deux aspects offre et demande fait apparaître une dissymétrie que souligne DOMAR : du coté de lřoffre, cřest le montant de lřinvestissement (I) qui détermine la croissance alors que du côté de la demande, cřest plutôt la croissance de lřinvestissement (delta I). Tous les modèles de croissance qui s'appuient sur les théories keynésienne et néo-classique accordent à l'investissement une fonction motrice. Lřenchaînement est simple : le taux de croissance étant une fonction du taux d'accumulation du capital ou encore du taux d'investissement. Comme on l'a souligné plus haut pour réaliser un taux de croissance élevé, il faut investir en capital physique ou social le plus élevée possible du revenu national. On affame pour équiper car des ressources sont extraites ainsi de la consommation. Évidemment, la théorie ne dit strictement rien sur le pourcentage du revenu national quřil faut consacrer chaque année à lřinvestissement. W. ROSTOW avance un pourcentage compris entre 15 et 20% du RN. Seulement ses chiffres restent très arbitraires. Pourquoi pas plus et pourquoi pas moins ? Pour lever cette indétermination relative au niveau requis de l'épargne, des recherches ont été entreprises par MAHALANOBIS dans le cas des PSD (Inde) et par N. NEWMANN, J. TOBIN, M. ALLAIS, O. LANGE et TINBERGEN pour les pays industrialisés. Les résultats obtenus à partir d'évaluations économétriques se réduisent principalement à l'idée qu'une politique de croissance doit chercher un juste équilibre entre les intérêts des générations présentes et ceux des générations à venir. L'investissement doit être distribué avec cette considération de ne léser personne. Les hommes d'aujourd'hui se 1 5 doivent d'être raisonnables et évaluer avec hauteur toutes les conséquences de leurs actes de consommation. Il faut qu'ils résistent à toutes les tentations même celles qui suscitent dans les coins et recoins de leur existence la plus envahissante et active publicité. En somme, on est à la lisière des questions non économiques. Les travaux de Von NEWMANN vont alors tenter d'opérer un lien entre taux d'intérêt et taux de croissance pour évaluer avec plus de rigueur la répartition optimale du revenu entre investissement et consommation. Seulement le modèle élaboré s'est vite révélé comme totalement inapproprié car trop simple et bâti sur une trame d'hypothèses fragiles comme l'abondance des facteurs, l'égalité entre épargne et investissement, l'absence de progrès techniques, d'économies d'échelle. Toutes ces hypothèses n'ont rien de commun avec la réalité des PSD. La croissance équilibrée sera particulièrement défendue par R. NURSKE et approfondie par R. ROSENSTEIN-RODAN. Le processus de croissance devrait concerner tous les secteurs de l'économie qui se développeront alors dans une proportion mutuelle correcte ou ne se développeront pas du tout. Concrètement, il s'agit d'organiser une intervention généralisée dans tous les secteurs. Ainsi, l'accroissement de l'offre induisant celui de la demande, les fameux cercles vicieux de la pauvreté seront levés par suite de l'élargissement des dimensions du marché subséquent aux revenus distribués. En plus, un autre avantage de cette politique réside dans les économies externes qu'elle autorise et qui pourront être optimalisées par une démultiplication des secteurs d'intervention. Cette analyse a été très vivement controversée. Ainsi, F. MACHLUP rejette tout aussi bien le concept que les formulations analytiques. Il observera d'abord que le concept "est un mot qui a tant de significations que l'on ne sait jamais de quoi parlent ceux qui l'emploient : il faut donc l'effacer du vocabulaire des savants". Quant aux analyses, elles sont si globales qu'elles ne peuvent être expressives des changements réels à opérer. A.O. HIRSCHMAN ajoute que cette théorie de la croissance balancée est une application mécanique des résultats de l'analyse du processus de croissance des pays industriels avancés. Elle est donc inadaptée aux pays sous-développés car son application exige une énorme somme de ces aptitudes qui sont rares dans ces pays. En d'autres termes, ajoute A.O. HIRSCHMAN si un pays est en mesure d'appliquer la théorie de la croissance équilibrée, il ne serait pas sous-développé au départ. Cette insatisfaction théorique a fortement contribué à l'élaboration par HIRSCHMAN de la théorie de la croissance déséquilibrée. L'approche se fonde sur des séquences de déséquilibres successifs qui portent sur les investissements d'infrastructures et les investissements directement productifs. Chaque progrès dans la séquence est induit par un déséquilibre antérieur et provoque à son tour un nouveau déséquilibre qui appelle une nouvelle avancée. C'est donc une série infinie d'effets d'entraînement qui affecte de proche en proche l'économie dans son ensemble. Il faut donc amorcer la croissance par des pôles des secteurs décisifs pouvant exercer des effets entraînants sur d'autres secteurs. La polarisation est la politique de croissance la plus opportune. En déterminant ainsi les domaines d'intervention, les analystes soulèvent la question de moyens. Que la croissance soit équilibrée ou déséquilibrée, son niveau est fonction de celui de l'investissement. Une politique de croissance se ramène à investir chaque année une part, la plus importante possible, du revenu national. De plus, pour qu'elle soit équilibrée, il faut que l'investissement soit égal à l'épargne. En somme, le problème de la croissance devient avant tout un problème d'épargne. On redécouvre alors l'ordonnance de ROSTOW selon laquelle les pays sous-développés n'atteindront des taux de croissance élevés que s'ils épargnent et réalisent des investissements élevés. 1 5 Les expériences des NPI d'Asie semblent confirmer cette constatation comme l'atteste l'évolution suivante du taux d'épargne (épargne brut sur PIB) : Tableau 7 : Évolution du taux d’épargne 1953 1965 Japon 8 31 Corée 5 8 Taïwan 6 20 Hong-Kong 31 Singapour 30 Philippines 21 Thaïlande 19 Malaisie 24 Indonésie 8 Chine 25 Source : Banque Mondiale : World Tables, 1994 1992 Variation 1965-92 34 35 39 31 40 16,5 34,6 38 33 38 +23 +27 +19 +10 -4,5 +15,5 +14 +25 +13 Cependant, Éric BOUTEILLER et Michel FOUGUIN nuancent le rôle de l'épargne dans la croissance des pays asiatiques en soulignant que «le niveau d'épargne n'est pas une condition préalable du "décollage" économique de ces pays. L'épargne de la Corée du Sud, par exemple, était nulle dans les années 50». Les auteurs soutiennent même l'idée que l'épargne élevée est une conséquence de la croissance rapide. En effet, observent-ils, les agents économiques considèrent, dans un premier temps, que les surplus de revenus, qu'ils obtiennent sont provisoires et qu'il vaut mieux les mettre de côté pour les temps difficiles. La croissance rapide de l'épargne seule rend la croissance rapide sur le long terme. Ce n'est pas l'équilibre qui permet au cycliste d'aller vite, mais la vitesse qui lui permet d'être en équilibre. Cette forme de détermination du taux de croissance aboutit à une impasse théorique car les proportions du revenu consacrées à l'investissement et à la consommation ne sont précisées ni théoriquement ni pratiquement. La politique de fixation des taux de croissance devra se fonder exclusivement que sur un jeu de scénarios. Une autre orientation, dans la détermination des taux de croissance part de la formule améliorée de HARROD selon laquelle 1 6 G = S- C où le taux de croissance est fonction d'une seule variable : le taux d'accumulation du capital. Cette formule peut s'écrire aussi g.c. = s où g est le taux de croissance ; c le coefficient du capital et s le taux épargné. Cette formule se verra affecter un tel pouvoir magique qu'on n'hésitera pas à en déduire une série de conclusions ponctuelles. Cette équation permet formellement d'envisager deux actions possibles pour fixer le niveau du taux de croissance g : une qui part de c (taux d'investissement) et une autre qui s'appuie sur s (taux d'épargne). La structure de la formule montre que si s est donnée, le taux de croissance g varie en sens inverse de celui de c. Autrement dit, (g) sera d'autant plus grand que c est petit. La politique économique à laquelle on est renvoyé se fonde sur la recherche systématique d'équipements de très faible intensité capitalistique. En clair, le modèle d'industrialisation devra développer les branches et techniques légères. La seconde action se fonde sur l'épargne. Si c est donné, le taux de croissance dépendra du taux d'épargne. On revient à l'idée que la croissance est fondamentalement un problème d'épargne. Cette variable est cependant résiduelle car elle se définit comme la partie non consommée des revenus. L'impasse théorique soulignée plus haut se représente à nouveau. Par ailleurs, on peut ramener cette équation à une identité si l'on admet que : ÄY S I g = -- , s = -et C = -Y Y ÄY alors nous pouvons écrire : ÄY I ------ = ÄY Y S ou bien encore Y I S - = - Y Y comme I = S, l'équation indiquée devient identité. I/ Les théories de la croissance après KEYNES La théorie keynésienne comportait trois ruptures fondamentales : l'introduction du temps, le lien entre phénomènes réels et monétaires, et l'impossibilité de concevoir l'équilibre comme état naturel de l'économie. C'est sur ces bases que, dans les années quarante, l'économie politique posera les problèmes de la croissance. Sur le « fil du rasoir » (Harrod) n'est rien d'autre que la traduction, sur le long terme, de l'impossibilité d'assurer ex ante l'égalité entre épargne et investissement. En renouant avec la théorie classique de la croissance et de la répartition, KALDOR, ROBINSON et PASINETTI ont démontré qu'une croissance équilibrée est possible grâce à une modification de la répartition du revenu. Plus fondamentalement, ils démontrent que le taux de croissance d'une économie ne dépend que du taux d'accumulation, variable dont seuls les capitalistes disposent du contrôle. Toutefois, les néo cambridgiens, dans une perspective keynésienne et kaleckienne qui se voulait critique de la pensée néoclassique et marginaliste, construisent une théorie de la croissance et de l'accumulation sans le capital. En ce sens, le capital y est réduit, in fine, à une masse d'argent, à un ensemble de moyens de production. La croissance reste ainsi, de fait, confiée à un progrès technique exogène considéré comme neutre, autrement dit, il ne modifie pas la répartition de la richesse, donc la nature du 1 6 processus d'accumulation. In fine, le problème de la croissance, tel qu'il est posé jusqu'aux années 1980, n'est qu'un problème de croissance à l'équilibre. On maintient une vision matérielle de la richesse, dont les sources restent non expliquées par les modèles. Ainsi, les différences avec le modèle néoclassique et post-keynésien de Solow ne sont que marginales, bien qu'on ne puisse pas nier leur importance. Chez Solow, c'est la parfaite substituabilité des facteurs de production et la flexibilité parfaite des prix qui assure l'équilibre de la croissance, croissance qui s'avère n'être rien d'autre que la reproduction, à l'infini dans le temps, de l'état présent des choses, une sorte de faux mouvement. Dans le modèle de Solow, la croissance n'est qu'un phénomène temporaire. Sous l'hypothèse des rendements décroissants - hypothèse nécessaire au maintien d'une théorie de l'efficience du marché et de l'équité de la répartition du revenu - la théorie économique ne peut tout simplement concevoir l'accroissement de la richesse autrement qu'en assumant une sphère non économique - celle de la science - qui produirait les sources des gains de productivité. Avec SOLOW, l'économie a néanmoins découvert que le capital et le travail ne peuvent pas expliquer à eux seuls la croissance. Un résidu apparaît : ce résidu peut atteindre 80 % de la croissance. Autrement dit, le capital et le travail ne pourraient expliquer que 20 % de la croissance. Que retenir de tout cela ? L'économie politique renonce à expliquer comment on produit la richesse. Au reste, comment la théorie économique de la croissance aurait-elle pu concevoir la croissance en restant dans un monde maudit de rareté des ressources et des rendements décroissants ? II/ Le renouvellement de l’analyse : la croissance endogène Ce sont justement les rendements factoriels « non décroissants » (la productivité marginale des facteurs capital et travail ne diminue pas en fonction de leur emploi croissant dans la production dès lors que leur qualité peut s'accroître et évoluer) et la non rareté des ressources (en particulier, c'est le travail qui, en tant que capital humain, devient une ressource reproductible et accumulable) qui sont au cœur des tentatives d'une nouvelle formulation des problèmes de la croissance dans les années 1980. En effet, les théoriciens de la croissance endogène procèdent à une critique sévère des modèles néo-classiques sous deux angles. Dřabord, ils remettent en cause le cadre théorique néo-classique et notamment celui de la fonction de production dont découlent toutes les propriétés de la dynamique économique. Le principal reproche théorique fait à ces modèles de croissance est lřabsence dřexplication de la croissance à long terme : le taux de croissance des variables par tête à lřétat régulier est égal au taux de croissance du progrès technique exogène donc inexpliqué. La seconde critique est dřordre empirique dans la mesure où les modèles néo-classiques nřexpliquent pas la persistance des inégalités de revenus entre pays. Comment ont été construits les modèles de croissance endogène ? La construction des modèles de croissance endogène procède de la remise en cause de la décroissance de la productivité marginale. Le retour à Adam Smith semblait la seule voie possible, en incorporant les apports de SCHUMPETER, d'ARROW, de KALDOR et de MARSHALL. Quatre idées fondamentales sont alors intégrées dans le modèle de croissance équilibrée de Solow de 1956 : la division du travail est une source endogène de la prospérité (SMITH), l'innovation est le moteur de la croissance (SCHUMPETER), l'innovation naît d'un processus d'apprentissage de learning by doing (Arrow), le progrès technique est une fonction de l'accumulation (KALDOR) et des externalités (MARSHALL) générées dans le temps par l'investissement. Ces théories ont alors été 1 6 intégrées dans le modèle de SOLOW, tout en maintenant l'hypothèse de la capacité autorégulatrice du marché… bien que l'intervention de l'État soit affirmée comme souhaitable pour garantir les infrastructures nécessaires à la production, pour garantir la protection de la propriété intellectuelle, pour garantir également un développement adéquat du capital humain, mais aussi, d'une partie de la R & D. Développés à partir du premier modèle présenté par ROMER en 1986, les modèles de croissance endogène intègrent ainsi les concepts d'externalité, d'apprentissage et de capital humain, pour concevoir la possibilité d'un progrès technique endogène. Autrement dit, les sources du progrès technique permettant la croissance de la richesse doivent être recherchées à l'intérieur de la production - mais au-delà du capital et du travail - et en dehors du marché. En résolvant très habilement la contrainte des rendements décroissants qu'impose l'hypothèse de la concurrence pure et parfaite et la théorie de la répartition fondée sur la productivité marginale des facteurs, ces modèles laissent apparaître un processus de production de capital humain par du capital humain. Mais quels sont les fondements théoriques du capital humain ? Doit-on les chercher du côté du concept de travail vivant ? En réalité, le concept de capital humain, suivant la définition du mainstream (orthodoxie), désigne lřensemble des capacités intellectuelles et physiques incorporées aux individus (ou groupe dřindividus) et pouvant leur permettre de participer de manière efficiente et efficace à lřactivité de production. Il englobe divers éléments tels que lřétat de santé, la force physique, les connaissances, les qualifications, la nutrition. Pour G. BECKER, le capital humain correspond à la valeur actualisée des revenus futurs que lřindividu attend de son travail, compte tenu de ses aptitudes, de ses capacités, de sa qualification, de son expérience. Que le capital humain soit considéré comme un facteur de croissance nřest pas une idée nouvelle. Déjà au 16ème siècle, Jean BODIN observait quř« il nřya de richesse que dřhommes ». Le capital humain comme facteur de production est introduit dans lřanalyse économique depuis une trentaine dřannées Le concept de capital humain est fréquemment utilisé en économie depuis au moins une trentaine dřannées (SCHULTZ, 1961, BECKER, 1964, GBECKER et LUCAS 1988). Il est maintenant acquis que le niveau de développement dřun pays est étroitement lié à son niveau dřinstruction au point même dřen dépendre. Lřéducation dans ce cadre devient un facteur dřefficacité qui élève la productivité des travailleurs et contribue de cette manière à augmenter la production. Lřéducation est ainsi associée aux autres facteurs traditionnels (capital et travail) pour expliquer les performances et les contre-performances. Diverses études ont essayé de tester et de quantifier lřimpact de lřéducation sur la croissance économique. Pour cela il y a deux (2) points : -lřimpact global de lřéducation sur la croissance. Par deux méthodes différentes dřévaluation, DENISON (1961) et SCHULTZ (1962) ont abouti à des résultats similaires. Ainsi DENISON calcule que 23% de la croissance des États-Unis entre 19301960 était imputable à lřaccroissement de lřéducation. SCHULTZ par sa méthode du taux de rendement, est arrivé lui aussi à la même conclusion que lřéducation contribue pour une bonne part à la croissance américaine. - les effets indirects de lřéducation sur la croissance économique qui sřarticulent autour de deux points essentiels, dřune part les externalités positives que lřéducation engendre et dřautre part la liaison entre lřéducation et les autres types de ressources humaine comme la santé, la nutrition, la pauvreté, la fécondité etc.… Section 2 : Déterminants et mesure de la croissance. 1 6 Après avoir défini la croissance, on peut se poser la question suivante: quels sont donc les facteurs qui font qu'à un moment donné l'économie connaît une forte croissance, une stagnation ou une croissance négative ? La croissance provient de l'augmentation quantitative et/ou qualitative de deux principaux facteurs de production : le travail et le capital. Elle dépend aussi du progrès technique, des ressources naturelles que nous possédons et subit l'influence des politiques économiques, des facteurs institutionnels, voire sociaux et culturels. I/ Les déterminants de la croissance Les facteurs de la croissance sont de quatre ordres le travail, le capital, la technologie et les institutions. 1°) Le travail Il dépend avant tout des individus qui composent une population, plus précisément la population active, c'est-à-dire la population en âge de travailler exerçant ou recherchant un emploi. La population active constitue le premier déterminant de la quantité du facteur travail. Elle dépend à son tour de plusieurs facteurs: croissance démographique, mobilité sectorielle et géographique, migration des populations. Le second déterminant de la quantité du facteur travail est la durée du travail. La qualité du facteur travail dépend quant à lui de l'âge moyen des travailleurs, du capital humain (connaissances et qualifications) ou de l'instruction et de l'intensité du travail. Dans les conditions actuelles de production, il est établi que le capital humain joue un rôle important. Les théories économiques modernes formulées par W. SCHULTZ et G. BECKER97établissent un lien entre croissance et investissement dans l'éducation : il n'est de richesse que d'hommes. Les pays qui ont les investissements dans l'éducation les plus élevés sont ceux qui ont les taux de croissance les plus élevés. 2°) Le capital Le capital représente l'ensemble des biens matériels permettant de créer d'autres biens. La quantité de capital utilisé résulte des investissements nouveaux, de l'amortissement du capital existant et du taux d'utilisation de ce capital. Sa qualité est fonction de son âge et de la technologie. Il est admis qu'un taux d'investissement élevé (rapport entre l'investissement et le PIB) permet d'accroître l'accumulation du capital, d'augmenter les capacités de production de l'économie et de stimuler sa croissance économique. Cela dépend de la nature des investissements qui composent le stock de capital selon qu'il s'agit soit d'investissements nets ou d'investissements de remplacement, soit d'investissements productifs, de la construction de logements, d'équipements collectifs. 3°) Le progrès technique Celui-ci concerne aussi bien la technologie (mise au point de produits nouveaux, utilisation de nouveaux procédés de fabrication) que les progrès dans l'organisation du système productif dans son ensemble (orientation, spécialisation) et de l'entreprise (gestion, organisation du travail). La principale source du progrès technique réside 1 6 dans les progrès scientifiques réalisés par les centres de recherches aussi bien publics que privés, les entreprises et surtout l'université, à travers la recherche appliquée, la recherche développement et la recherche fondamentale. S'il existe un bon relais entre les fruits de la recherche et les entreprises, il est indéniable qu'une économie qui investit dans la recherche réalisera une croissance plus élevée que celle qui ne le fait pas. Le progrès technique s'accompagne généralement d'une amélioration de la productivité du facteur travail. C'est pourquoi le progrès technologique est aujourd'hui la clef de la compétitivité. Ces trois principaux facteurs peuvent être résumés dans une équation de la manière suivante : Y F K LT ( , , ) . La production Y est fonction du capital K et du travail L utilisés ainsi que de la technologie T qui détermine la manière dont les deux premiers facteurs sont combinés. Le progrès technique permet à facteurs de production donnés dřobtenir au cours dřune période une augmentation de la production. Toutefois il existe 3 façons dont le progrès technique peut influer sur les facteurs de production. On dira que le progrès technique est neutre au sens de HARROD sřil porte sur le travail et permet une croissance du produit au cours de laquelle le rapport capitalproduit reste inchangé à coût réel du capital inchangé. Cřest dire quřil y a neutralité au sens de HARROD lorsque le progrès technique permet dřaugmenter lřefficacité du travail. On dira que le progrès technique est neutre au sens de Solow sřil porte sur le capital et permet une croissance du produit au cours de laquelle le produit par tête reste inchangé pour un taux de salaire réel inchangé. Donc il y a neutralité du progrès technique au sens de Solow lorsque le progrès technique permet dřaugmenter lřefficacité du capital. On dira que le progrès technique est neutre au sens de Hicks sřil porte sur le produit. A proportion des facteurs inchangée la répartition reste inchangée. Ainsi il y a neutralité au sens de Hicks lorsque le progrès technique permet dřaugmenter lřefficacité des facteurs capital et travail. Dans la fonction de COBB-DOUGLAS les trois formes de neutralité sont équivalentes. Cřest pourquoi les économistes lřutilisent généralement. En notant le capital K et le travail L la fonction de COBB-DOUGLAS s'écrit : Y AK L a â' dans laquelle A,a ', â sont les paramètres, A est le coefficient de proportionnalité ou le progrès technique, a ' et â des indices qui caractérisent l'influence de chacun des facteurs sur le volume de la production, c'est-à-dire, les coefficients d'élasticité de la production par rapport au capital et au travail. a ' et â sont calculés par la méthode des moindres carrés. Si l'on dérive la fonction Y AK L a â' par K et L , on obtient les indices correspondants des produits marginaux du capital et du travail. Y et a' K Y Y K Y â L L 1 6 La production augmente avec K et L , ce qui signifie que ces facteurs de production ont une productivité marginale positive. Par conséquent, les coefficients a 'et â caractérisent le rapport entre la productivité marginale et la productivité moyenne des facteurs. La transformation logarithmique de cette fonction de production permet de déterminer la part respective de chacun des deux facteurs dans l'explication de la production. On a alors sous forme logarithmique : logY log A a 'log K â log L Le tableau suivant donne les résultats qui ont été trouvés dans le cas de lřéconomie américaine. Tableau 8 : Part des facteurs travail et capital dans la fonction de production aux Etats-Unis entre 1899-1922 Y= A L K + a) Séries chronologiques Série I Série II Série III Série IV b) Analyses en coupes Instantanées 1889 1899 1904 1909 1914 1919 Moyenne A 0,81 0,78 0,73 0,63 0,23 0,15 0,25 0,30 1,04 0,93 0,98 0,93 0,84 1,38 1,21 1,35 0,51 0,62 0,65 0,63 0,61 0,76 0,63 0,43 0,33 0,31 0,34 0,37 0,25 0,34 0,94 0,95 0,96 0,97 0,98 1,01 0,97 58,34 106,43 107,40 90,99 81,66 24 4,21 La spécification de ce modèle a conduit de nombreux auteurs à procéder à des vérifications empiriques et statistiques du modèle de Solow. Les études empiriques ont montré aussi que la spécification de la fonction de production du modèle néo-classique semble incapable d'expliquer l'ampleur de la croissance. Dans son article publié en 1 6 1957, 89 Robert SOLOW a effectué une analyse empirique du taux de croissance en essayant dřimputer comptablement celui-ci aux croissances respectives du capital, du travail, et du progrès technique. En effet, en prenant la dérivée logarithmique de la fonction de production on aboutit à la formule : . . . . Y K L A a' â Y K L A Cette équation montre que la croissance de la production est une moyenne pondérée de la croissance du capital, du travail et du terme A. Le terme A A.est appelé croissance de la productivité totale des facteurs ou croissance de la productivité multifactorielle. Beaucoup dřéconomistes comme SOLOW, EDWARD, DENISON et Dale JORGENSON ont cherché à expliquer les sources de la croissance au moyen de cette équation. La plus part de ces travaux aboutissent à la même conclusion : les facteurs capital et travail expliquent une faible part de la croissance de la production. Pour Solow et Denison le terme A A.expliquerait 80% de la croissance américaine. Lřune des interprétations de la croissance de la productivité totale des facteurs consiste à lřattribuer au progrès technique. Pour ces économistes, le progrès technique est une variable qui est très difficile à cerner et à mesurer. Mais du fait de lřexistence d'un écart de taux de croissance inexpliqué on va assister vers la fin des années 80 au rejet du modèle de croissance néo-classique. Ce rejet va alors considérablement renouveler l'analyse des théories de croissance et sera à l'origine de ce qu'il est aujourd'hui convenu d'appeler les théories de la croissance endogène. J. TINBERGEN a introduit le facteur temps ert dans une fonction homogène pour refléter les mouvements de la fonction de production statique sous l'influence de tout un ensemble de changements qualitatifs réunis sous le terme général de progrès technique. Dans ce cas, la fonction s'écrit : Y AK L e a' 1 a' rt Dans l'hypothèse où á + â = 1 (puisque la fonction est homogène et linéaire) la différenciation logarithmique de cette fonction donne : y a k' 1 a l' r où y = taux de croissance de la production ou du revenu k = taux de croissance du capital l = taux de croissance de la main-dřœuvre r = taux de croissance de la production par suite de la hausse de l'efficacité générale ou du progrès technique Après les travaux de J. TINBERGEN, d'autres économistes notamment R. SOLOW, KENDRICK et E. DENISON ont approfondi l'analyse des facteurs de croissance sur la base de la fonction dynamisée de COBB-D 89 R.SOLOW : « Technological change and the Aggregate Production Function » 1 6 4°) Les facteurs institutionnels Ces aspects sont dřune importance déterminante. En effet, le gouvernement qui prône la croissance doit s'atteler à fournir un cadre macroéconomique et institutionnel incitatif, motivant, et en même temps favorable à l'entreprise et à l'investissement productif : dans l'infrastructure, l'éducation et la formation ; dans les industries naissantes (non pas indéfiniment et aveuglément mais temporairement) et les PMI et dans les activités exportatrices. II/ Comment mesurer la croissance Pour mesurer le taux de croissance de la production d'un pays, il faut comparer l'évolution du PIB entre deux périodes. Mais, il faut signaler que l'augmentation du PIB en valeur peut être la résultante d'un effet quantitatif (augmentation en volume: par exemple des tonnes de riz produits) ou d'un effet prix (accroissement du niveau général des prix), qui dans ce dernier cas masque une stagnation. C'est pourquoi, l'on retient le PIB en volume ou PIB réel pour mesurer la croissance (PIB en valeur corrigé de l'évolution des prix). Le taux de croissance se définit alors comme la variation relative du PIB en volume d'une année à une autre. D'ailleurs une fois connu, on peut projeter la production future selon la formule : Yt = Yo (1 + r)t où Yt = production à l'année terminale Yo = production à l'année de base r = taux de croissance. Un taux de croissance positif signifie que la production du pays a augmenté entre les deux périodes. Mais, le PIB étant une grandeur globale, son augmentation signifie t-elle pour autant que l'économie toute entière se porte bien ? Cela n'est effectivement pas le cas, car en dépit de l'augmentation globale de la production intérieure qu'il traduit, la croissance économique s'accompagne d'une modification des structures économiques. L'exemple du Sénégal est édifiant à ce sujet. En tant que pays agricole, la croissance économique du Sénégal peut être générée par une augmentation de la production agricole, tandis qu'au même moment la production industrielle et les services (tourisme par exemple) peuvent connaître un déclin. De même, au niveau du secteur agricole, l'augmentation de la production peut provenir du Bassin Arachidier tandis que la Zone du Fleuve connaît peut être une stagnation. Cela revient à dire que la croissance économique d'un pays repose sur la production de certains secteurs, régions et produits qui connaissent une augmentation soutenue. En d'autres termes, nous voulons montrer que la croissance économique ne signifie pas que tous les secteurs (agriculture, industrie, pêche, tourisme, etc.) connaissent une augmentation de leur production. C'est cela qui justifie la distribution établie par la théorie économique entre croissance équilibrée (investissement proportionnels dans tous les secteurs) et croissance déséquilibrée qui part des pôles moteurs (pétrole, mine). Une analyse de l'origine de la croissance permet éventuellement d'identifier les secteurs, les régions et les produits qui en sont la cause. Il suffit pour ce faire de calculer et de comparer les parts respectives de chaque produit, de chaque secteur et de chaque région dans le PIB global pour s'en apercevoir. En conséquence, il faut garder à l'esprit qu'un taux de croissance élevé du PIB en volume peut aussi s'accompagner de la baisse de certaines productions et du déclin économique de certaines régions. C'est pourquoi on souligne que la notion de développement est plus riche que la notion de croissance. 1 6 Section 3 : Le débat des années 70 sur la croissance des PSD: croissance déséquilibrée et croissance équilibrée I/ La thèse de NURSKSE et ROSENSTEIN-RODAN Pour ces deux auteurs, le développement doit se faire de façon équilibrée, cřestà-dire en lançant la quasi-totalité des activités industrielles et agricoles modernes simultanément. Cřest la thèse de la «croissance proportionnée» (NURSKE) qui est censée créer des complémentarités entre les firmes et entre les branches. Ainsi se créeront des économies externes pour les firmes. Par ailleurs, il est prévu que lřoffre simultanée dans une multitude de branches, en distribuant des revenus, constitue une demande nouvelle pour chaque production et permet le décollage du marché intérieur. Il faut enfin ne pas négliger les infrastructures économiques et sociales (IES) qui, seules, permettent les communications, les transports, lřéducation et la santé de la main-dřœuvre. Concrètement, il sřagit de créer un big push (ROSENSTEIN-RODAN) dont le financement ne peut être trouvé que dans lřaide extérieure, voire lřendettement. Au regard des principes de lřécole libérale, cette approche apparaît paradoxale pour trois raisons : elle néglige dřabord le principe de la spécialisation en fonction des avantages comparatifs, quřil sřinspire de RICARDO ou de HECKESCHEROHLINSAMUELSON ; elle renforce le dualisme des économies sous-développées dans la mesure où lřagriculture traditionnelle nřest pas directement concernée par le « big push » ; elle dilue la capacité dřinvestissement, par définition limitée, sur une masse de petits projets dont la viabilité nřest que rarement assurée (problèmes dřéconomies dřéchelle). II/ La thèse d’HIRSCHMAN et PERROUX Pour HIRSCHMAN, les difficultés du développement sont dřabord dues à lřindécision engendrée par des situations complexes et des comportements contradictoires. Si le planificateur pense le développement en fonction du groupe, la crainte dřun renforcement des inégalités inhibera bien des investissements. Inversement, si lřon favorise lřentrepreneur individuel, celui-ci sera rarement coopératif et cherchera plus quřailleurs son bénéfice personnel en spéculant sans contribuer au développement. Il faut donc «examiner dans quelles conditions les décisions peuvent être provoquées par des dispositifs dřentraînement ou des mécanismes dřinduction». Maximiser la part des décisions induites ou routinières devient alors lřobjectif du développement. Les effets dřentraînement induisent les décisions dřinvestissement. Ainsi, la création volontariste dřune industrie A diminuera les coûts de production pour une industrie B utilisant les produits de A comme consommations intermédiaires (effet dřentraînement en aval). Inversement, lřindustrie A constituera un débouché pour une industrie C approvisionnant A en consommations intermédiaires (effet dřentraînement en amont). Dans les deux cas, lřinvestissement sera considérablement facilité par la présence de lřindustrie A. 1 6 III /Des critiques de le développement. la croissance aux interrogations sur Cependant, dès les premiers temps, des voix sřélevèrent aussi bien au nord quřau Sud, pour rappeler que les êtres humains devaient être lřobjet du développement et non pas seulement son agent. On retrouve dřailleurs ces idées dans les écrits des plus grands philosophes. ARISTOTE déclare ainsi que «de toute évidence, la richesse nřest pas la chose que nous cherchons, car elle est seulement utile et sert à une fin autre». Quřest ce quřune «bonne» croissance économique ? Cřest une croissance qui favorise toutes les dimensions du développement humain. Cřest une croissance qui : - génère le plein emploi et la sécurité des moyens de subsistance ; - encourage la liberté et le contrôle de lřindividu sur sa destinée ; - distribue les avantages équitablement ; - favorise la cohésion et la coopération sociales ; préserve lřavenir du développement humain. Ce ne sont que des objectifs, et les pays peuvent réussir à en promouvoir certains et pas dřautres. Ce qui compte, cřest de les considérer comme des instruments permettant dřévaluer les progrès réalisés. Un pays qui réussit est capable de convertir lřaccroissement de sa richesse en progrès sur le plan du développement humain. Section 4 : Une nouvelle approche de l’économie politique du développement : les théories et modèles de la croissance endogène. Depuis le début des années 80, on assiste à une percée dřune nouvelle approche théorique de la croissance, notamment à travers les théories de la croissance endogène, suite aux travaux DE ROMER, BARRO ET LUCAS et autres. Ces théories accordent le primat à lřaccumulation du capital et une place prépondérante à la politique économique dont le champ est situé au niveau de lřaccumulation des connaissances, du capital humain, des dépenses dřinfrastructures publiques et de recherche pour créer et maintenir les conditions dřune croissance durable. La croissance économique doit être reliée aux caractéristiques internes de lřéconomie. Les auteurs sont en rupture avec la théorie néoclassique sur au moins trois points : dřabord, le taux de croissance dépend des comportements des agents et des caractéristiques du système économique, ensuite le taux ne sřannule pas à long terme malgré lřaccumulation de facteurs de production et enfin dans les modèles le progrès technique est rémunéré et lřinnovation technologique sřeffectue grâce à lřaccroissement du temps de formation ou des ressources consacrées à la recherchedéveloppement. Les théories de la croissance endogène identifient quatre déterminants de la croissance : le capital physique, le capital humain, le capital public et lřinnovation technologique. Cependant, lřaccumulation de tels facteurs ne suffit pas à engendrer une croissance auto-entretenue, encore faut-il la présence dřun mécanisme qui empêche ou compense la diminution des productivités marginales des facteurs de production au fur et à mesure de leur accumulation. Cřest en introduisant les externalités dans lřanalyse que les modèles parviennent à résoudre ce problème .Il y a externalité lorsque les décisions de consommation ou de production dřun agent affectent la situation autrement que par les relations de marché. 1 7 1 7 Figure 10 : Modèle de la croissance endogène Système d’accumulation : Investissements Capital physique Capital humain Innovations technologiques Institutions et capital social Externalités positives Efficacité des acteurs : productivité et compétitivité Croissance économique endogène Accès aux marchés Accroissement du PIB Développement humain par accès aux services sociaux de base Accroissement des emplois et des revenus Les théories de la croissance endogène ont élaboré trois modèles qui ont fortement contribué à éclairer les articulations des facteurs de la croissance comme les ressources humaines et les institutions qui génèrent les innovations technologiques servant de locomotive à la croissance économique. On peut rappeler quřil sřagit du modèle du prix Nobel, ROMER (1986 ET 1990), DE LUCAS (1988) et de BARRO (1990). Ces modèles ont une caractéristique commune qui est que lřexternalité positive peut provenir soit du capital physique (même si les biens en question sont publics), soit du capital humain «learning by doing», soit des innovations technologiques. Cela signifie que lřinvestissement dans lřéducation et la santé améliore directement le bien-être des populations mais contribue également au renforcement des différentes formes du capital humain. Dans une économie mondiale où les 1 7 capitaux, les biens et les technologies circulent librement, ce sont les ressources humaines qui vont différencier les performances. Dans ces conditions, les politiques éducatives comme celles relatives à la santé deviennent des composantes Les recherches économiques corroborent largement le retour dřun vieux débat entre croissance et développement. Ces nouvelles théories de la croissance plus adaptées au contexte de lřAfrique sont, par ailleurs, largement confortées par les expériences historiques de développement observées dans le monde, notamment aux États-Unis entre les années 50 et 70, en Europe dans la période dite des «Trente glorieuses» années de croissance (1945-1975) et dans les économies émergentes dřAsie. Ces expériences ont pour dénominateur commun lřutilisation pleine et entière des principales sources de la croissance, à savoir : le capital physique comprenant les infrastructures de base, cřest-à-dire les routes, les chemins de fer, les infrastructures portuaires et aéroportuaires, les ouvrages hydro-agricoles, les télécommunications et lřénergie ; et le capital humain dont les composantes sont lřéducation, la santé et la nutrition. Le concept de capital humain désigne la population valorisée par lřéducation et la santé. Il faut expliciter un peu plus les raisons qui fondent lřinvestissement dans le capital humain. Il est maintenant établi que dans un marché où les produits, les capitaux et les technologies circulent et sřéchangent librement, ce sont les ressources humaines qui différencient les performances des divers pays. En conséquence, lřinvestissement dans lřéducation se présente comme une composante essentielle de la politique économique. Il est bien établi que pour un niveau donné de PIB par tête, les pays à fort taux de scolarisation ont enregistré un taux de croissance plus élevé que celui des pays à faible taux de scolarisation. I/ Le facteur le plus déterminant de la croissance est le capital physique qui se compose des l’infrastructures de base De façon générale, ces infrastructures comprennent : les réseaux routiers (routes internationales reliant le pays à certains de ses voisins, routes nationales et départementales, routes urbaines et pistes de désenclavement) et le réseau dřassainissement ; les infrastructures portuaires et les projets dřextension des ports secondaires ; les infrastructures ferroviaires ; les infrastructures de télécommunication ; le réseau de fourniture dřeau et dřélectricité ; les infrastructures aéroportuaires; Dans la quasi-totalité des pays africains, la caractéristique marquante de ces infrastructures est leur insuffisance quantitative et leur état de délabrement très avancé : moins de 30% des routes revêtues sont en bon état, la plupart des ports secondaires ne sont plus fonctionnels, la fréquence des délestages sur la fourniture de lřénergie électrique en dit long sur la vétusté du matériel de production. 90 Lřétat actuel de ces infrastructures interdit de parler de marché et de libre circulation des biens, des personnes et des services. Elles constituent alors des contraintes sur la production et les exportations des entreprises installées et ajoutent à 90 Banque mondiale : RDM de 1994 : Une infrastructure pour le développement, 1994 1 7 la morosité du climat des affaires dans nos pays, en détournant ainsi les flux dřinvestissements directs étrangers. Cřest pourquoi le développement des infrastructures de base relance les enjeux de lřintégration. Plusieurs gains peuvent être associés à cette intégration qui découle entre autres facteurs, de lřélargissement des marchés, de lřaccroissement du stock de capital humain et de la meilleure répartition des ressources productives. En effet, le problème crucial que rencontrent les firmes implantées en Afrique demeure la faiblesse des débouchés pour leur production. Cela résulte dřune part de la faiblesse de la demande intérieure solvable, et dřautre part de lřétroitesse des marchés des facteurs de production, des biens et des services. En permettant lřextension et le décloisonnement de ces marchés dans une optique de croissance endogène, lřintégration serait très bénéfique. LřÉtat est le principal producteur des biens publics dřinfrastructures. En effet, ces biens publics ne peuvent pas être produits par le marché sauf dans les cas exceptionnels des biens publics mixtes comme les radios privées et les routes à péage. Les agents privés ne sont pas incités à les produire du fait quřils sont difficiles à rentabiliser. Par ailleurs, les consommateurs peuvent en bénéficier sans couvrir les frais dřaccès. De plus, en présence de bien public, il nřy a pas dřefficience parétienne, lřenvironnement économique devenant non décomposable. Globalement, les infrastructures, comme la sécurité nationale, la défense nationale, lřéclairage public, sont des biens publics que le marché nřest pas incité à produire. Ces biens publics produisent des externalités positives, cřest à dire que lřagent privé qui les produirait aurait un avantage marginal à le produire comparé à ce que la collectivité dans son ensemble tirerait comme avantage de cette production. Dřoù la nécessité pour lřÉtat de les offrir, dřautant plus que leur impact positif sur le processus de croissance et de développement est avéré. II/ Le capital humain variable principale de la croissance: Les modèles de ROMER, LUCAS et BARRO. Lřune des grandes découvertes de lřanalyse économique contemporaine est relative à la théorie du capital humain à partir des recherches de trois auteurs : SCHULTZ en 1983, G. BECKER, ROMER en 1986 et en particulier LUCAS en 1988 Lřinvestissement dans le capital humain est au cœur des stratégies mises en œuvre par de nombreux pays pour promouvoir la prospérité économique, lřemploi et la cohésion sociale. Les individus, les organisations et les nations sont de plus en plus conscients quřun haut niveau de connaissances et de compétences est essentiel pour leur sécurité et leur réussite. Lřaccord sur ces principes a suscité sur le plan politique aussi bien que social de nouvelles attentes concernant la réalisation dřobjectifs économiques et sociaux ambitieux, grâce à un investissement accru dans le capital humain. Cependant les investissements ne seront productifs que sřils sont bien adaptés à leurs objectifs. Manifestement, les insuffisances quantitatives et qualitatives des infrastructures physiques de base, les faiblesses des systèmes éducatifs et de santé comme la dégradation des sols sont les facteurs qui bloquent lřélévation de la productivité et de la compétitivité des économies africaines. Elles expliquent alors les faibles performances du continent. Considérons lřexemple des maladies tropicales endémiques. Non seulement celles-ci détériorent la qualité du capital humain mais 1 7 elles entraînent des coûts élevés. Ainsi, lřAfrique enregistre annuellement 300 à 500 millions de cas de paludisme qui occasionnent environ un million de décès et coûtent 2 milliards de dollars. Il en va de même pour le fléau que constitue le SIDA. De plus, vivant sous les Tropiques, environ 60% des africains souffrent dřendémies graves et paralysantes qui ont été éradiquées dans dřautres régions du monde. Les 45% de la population africaine sont âgés de 15 ans et vont alors exercer de fortes pressions sur les structures éducatives et de santé. Le concept de capital humain désigne la population valorisée par lřéducation et la santé. Par ailleurs, certains travaux sur le capital humain ont montré quřentre les années 50 et 70, la contribution de lřéducation à la croissance économique se serait élevée à 12% au Royaume-Uni, 14% en Belgique, 16% aux États-Unis. Plus récemment, une étude de la Banque Mondiale datant de 1993 et portant sur 113 pays révèle que lřéducation primaire est le facteur qui a contribué le plus à la croissance des économies, en particulier celle des pays dřAsie de lřEst. La corrélation est bien confirmée que pour un niveau donné de PIB par tête, les pays à fort taux de scolarisation ont enregistré un taux de croissance plus élevé que celui des pays à faible taux de scolarisation. Dès lors, dans un marché où les produits, les capitaux et les technologies circulent et sřéchangent librement, ce sont les ressources humaines qui différencient les performances des divers pays. Ce qui fait dire à L. STOLERU que lřinvestissement dans lřéducation se présente comme une composante essentielle de la politique économique. En somme, le développement du capital humain constitue un outil aussi bien pour assurer une croissance économique que pour lutter contre la pauvreté. De surcroît, dans un monde dominé par les Nouvelles Technologies de lřInformation et de la Communication (NTIC), le savoir est un facteur majeur de la productivité des individus et des nations. Les effets externes du type «learning by doing» qui découlent de lřactivité du capital humain permettent alors dřaccroître la productivité des agents qui en bénéficient. Ainsi, à lřéchelle globale, plus lřapprovisionnement en capital humain est élevé, plus la production par tête est importante. Les recherches théoriques comme empiriques (SCHULTZ, ROMER 91 ET LUCAS) établissent une corrélation positive entre éducation et croissance économique. En effet, lřéducation crée des facteurs et des comportements favorables à la croissance économique, contribue à lřamélioration de la productivité du travailleur, confère aux individus des capacités à saisir toutes les opportunités de production, dřimagination et de création, développe lřesprit dřentreprise, de compétition et de recherche du progrès et enfin permet à lřéconomie de disposer dřune main dřœuvre qualifiée. Dans une période caractérisée par les TIC et lřintelligence artificielle marquée, lřéducation devient un facteur déterminant de la performance et de la capacité compétitive des économies. Ces techniques ne peuvent être mises en œuvre que par des travailleurs ayant les compétences et les niveaux de qualification requis. Puisque lřéducation est un moyen privilégié dřaccumulation du capital humain, les dépenses publiques consacrées à ce secteur apportent alors une contribution essentielle au Paul ROMER note que « Les idées devraient constituer notre principale préoccupation car elles sont des biens économiques dřune importance extrême, bien plus grande que celle des éléments sur lesquels la plupart des modèles économiques mettent lřaccent. Dans un monde physiquement limité, cřest la découverte de grandes idées, conjointement avec la découverte de millions de petites idées qui rend possible une croissance économique durable. Les idées sont les instructions qui nous permettent d’organiser des ressources physiques limitées selon des combinaisons toujours plus performantes » (ROMER, 1996) 91 1 7 processus de croissance. Dřailleurs, ce rôle prépondérant de lřéducation est parfaitement confirmé au plan empirique par les recherches de SCHULTZ (1998) qui ont montré que les périodes de croissance soutenue de la production vont souvent de pair avec des améliorations en matière dřinstruction, de santé, de nutrition et de morbidité. Après le capital physique, le capital humain et le capital de la connaissance, certains économistes ajoutent maintenant aux déterminants de la croissance un capital social. Selon COLLIER (1998), la notion de capital social englobe la cohérence sociale et culturelle interne de la société, les normes et les valeurs qui gouvernent les interactions entre les individus et les institutions dans le cadre desquelles ces normes et valeurs entrent en jeu. 1 7 Encadré 7 : Le modèle de ROMER Le modèle de ROMER fait ressortir le rôle déterminant du capital humain, source dřaccélération de la croissance économique. Lřargument peut être résumé de la manière suivante : Lřéconomie produit trois biens : le premier est un bien de consommation produit à lřaide de main-dřœuvre, de capital humain et de biens durables ou dřéquipement. La production de ce bien se caractérise, en outre, par des rendements dřéchelle constants ; le deuxième bien, qui est le bien dřéquipement est produit de la même manière que le premier de telle sorte que les quantités de ressources que sa production nécessite soient proportionnelles à celles engagées dans la production dřune unité de bien consommable. La gamme de biens dřéquipement utilisable dépend toutefois du nombre ou de la quantité dřinventions ou de Ŗdesignsŗ disponibles. Cette quantité qui correspond au troisième bien, ne résulte pas dřefforts de recherche désintéressés, mais obéît plutôt aux mêmes activités de production des deux premiers types de biens. Lřintensité de lřactivité de recherche dépend évidemment de lřimportance du capital humain qui lui est affecté ou qui est attiré, mais elle dépend aussi de lřexpérience collective déjà acquise dans ce domaine. Alors quřil est vrai que toute invention donne lieu à un brevet dřinvention qui permet à son auteur de contrôler son utilisation, il reste néanmoins que, exploitable à travers lřinformation technique transmise par le nouveau bien dřéquipement, elle devient alors fonction à la fois du capital humain qui lui est alloué et du stock de technologie déjà disponible. À la différence du modèle traditionnel de SOLOW où le revenu et la consommation par habitant augmentent le long du sentier de croissance régulière au rythme dřun progrès technique exogène, lřintroduction de lřactivité de recherche dans le cadre dřanalyse permet une endogénéisation de la croissance et offre une explication de la diversité des rythmes observés entre pays. En effet, on peut définir la croissance régulière par lřégalité entre le taux de croissance du stock du capital matériel, de la production et du stock dřinvention (en supposant que la taille de la population active est constante). De ce fait, ce taux de croissance commun devient alors une fonction croissante du capital humain attiré dans lřactivité de recherche. Dès lors et de manière indirecte, compte tenu dřune répartition dřéquilibre du capital humain entre activité de production de biens et activité de recherche, il devient également une fonction croissante du stock de capital humain total. De cette analyse se sont dégagées des conclusions de politique économique assez importantes : La première est que bien quřelle soit un objectif généralement commercial, toute invention génère des effets externes positifs pour lřactivité de recherche et de développement de manière générale. Il en découle que sans intervention de lřÉtat, le marché nřest pas capable de fournir la quantité optimale dřinventions ; indirectement il nřest pas capable dřattirer suffisamment de capital humain vers la recherche et le développement. Lřobjectif dřefficience dicterait alors soit une subvention à cette dernière activité, soit une subvention à la formation du capital humain qui sřorienterait de lui-même vers une activité qui produit des effets externes. 1 7 Plusieurs pays en développement auraient alors des taux de croissance économique faibles parce quřils ont des dotations faibles en capital humain. L'intégration dans lřéconomie mondiale par lřouverture sur les échanges avec lřextérieur et la libéralisation leur permettraient, selon cette approche, de bénéficier de lřensemble du stock technologique disponible à lřéchelle internationale ainsi que des externalités qui en découlent. Le modèle de LUCAS met lřaccent sur lřinvestissement en capital humain, comme source de progrès technique et comporte deux secteurs : le secteur de la production et le secteur de la formation du capital humain. Les travailleurs consacrent une part de leur temps à lřactivité de production et lřautre part à la formation. Le niveau total de la production dépend ainsi du stock de capital physique disponible et du niveau de capital humain proportionné au temps consacré à la production par les salariés. Sřinspirant des travaux dřUZAWA (1965) LUCAS formule lřhypothèse de linéarité de lřaccumulation du capital humain. En effet, la formation de capital humain dépend des décisions des agents microéconomiques. Dans le modèle de LUCAS (1988) le progrès technique est endogène car dépend des comportements individuels. Toutefois il existe un effet externe de lřéducation car les individus en sous-estiment le rendement. En conséquence : la croissance trouve son origine dans les décisions individuelles même si à long terme les taux de croissance dépendent uniquement de paramètres exogènes. LřEtat qui gère les externalités, doit mettre en œuvre les politiques propres à aiguiller lřéconomie de lřéquilibre concurrentiel qui résulte des décisions individuelles vers lřoptimum social où la croissance est plus forte. Donc il faut des politiques publiques dřéducation agissant sur la croissance. Le modèle de BARRO (1990) illustre le rôle de lřEtat non plus comme gérant des économies externes et réconciliant équilibre concurrentiel et optimum social, mais comme le fournisseur de biens particuliers. Conception très ancienne qui remonte à A. SMITH pour qui lřEtat doit défendre le droit de propriété, assurer la défense nationale et entretenir les édifices publics. BARRO considère lřEtat comme le fournisseur de biens et services collectifs caractérisés par un manque dřincitation des privés à les produire. Lřhypothèse de BARRO est que les dépenses publiques permettent de financer des biens collectifs dont chaque agent consomme la même quantité. BARRO fait aussi lřhypothèse que les dépenses publiques sont financées par impôt proportionnel prélevé sur lřensemble des revenus. Ainsi, les dépenses publiques concourent à la productivité des facteurs (infrastructures, dépenses de recherche,…). Quand un individu investit, il accroît les recettes de lřEtat et donc permet de fournir plus de biens collectifs qui améliorent la productivité marginale du capital. Lřéquilibre concurrentiel est sous-optimal car les agents privés ne tiennent pas compte de cet effet qui est analogue à un effet externe et nřinvestissent pas suffisamment par rapport à lřoptimum en raison de la différence positive entre la productivité marginale sociale et privée du capital. LřEtat peut provoquer lřégalité des deux grâce à lřimposition dřune taxe proportionnelle sur la production. Lřanalyse de BARRO suggère dřétudier lřimpact de la fourniture de biens publics comme de bonnes institutions sur la productivité des facteurs et donc sur la croissance. En effet, si lřEtat définit un cadre institutionnel tel que le respect de lřEtat de droit soit assuré, les coûts de transaction seront réduits, les échanges accrus et la croissance stimulée. Cette analyse rejoint, de ce point de vue, les idées développées par les « néo-institutionnalistes ». 1 7 Section 5 : Les issues de la croissance Les recherches récentes tendent à créer un lien entre taux de croissance et réduction de la pauvreté et établissent quřune croissance longue viendra à bout de la pauvreté. Les études DE DEMERY ET WALTON (1998) montrent que si lřAfrique veut réduire de moitié la pauvreté, elle doit réaliser des taux de croissance réguliers dřau moins 7% sur une période de 25 ans. Lřinvestissement devrait alors passer de lřordre de 35 à 40% du PIB de chaque pays ce qui représente environ 65 milliards de dollars. Même en mobilisant le volume global de lřépargne intérieure, les excédents en devises, lřaide extérieure et les capacités dřendettement, le challenge est quasiment impossible. Il faut alors recourir à lřépargne extérieure et aux IDE pour atteindre cet objectif de croissance économique. Il suffit alors dřenclencher une telle croissance par des investissements lourds. Tableau 9 : Taux de croissance et d’investissement nécessaires afin de diminuer la pauvreté en Afrique de 50% d’ici à 2015 Il sřy ajoute que contrairement à dřautres régions notamment lřAsie et lřAmérique Latine, la production moyenne de lřAfrique, par habitant et en prix constants, à la fin des années 1990 était inférieure à ce quřelle était il y a trente ans et que sa production industrielle comme sa part dans le commerce mondial ont reculé. Plus grave encore, le Continent est en passe dřêtre laissé à la marge de la révolution mondiale des technologies de lřinformation et de la communication. À lřanalyse, il est peu probable quřune croissance, même rapide, résorbe la pauvreté dans des délais acceptables. Il est encore invraisemblable que cette croissance puisse être tirée par les seules exportations, comme la Banque mondiale lřa longtemps cru au mépris de lřhistoire économique- y compris celle des pays asiatiques. Ce qui est selon P. ENGELHARD un grand aveuglement intellectuel92. Lřauteur passe en revue les quatre postulats implicites ou explicites qui sous-tendent lřajustement : La croissance économique viendra à bout de la pauvreté. En admettant cette articulation, il convient de savoir ce quřil faut faire si la croissance ne suffit pas à réduire la pauvreté. La critique prend du relief quand on sait quřil faut 92 P.Engelhard : LřAfrique miroir du monde ? Édit. Arlea 1998, 222p 1 7 un taux de croissance minimal oscillant entre 7 et 10%, or celui-ci est bien en-dessous de ce chiffre La croissance des « riches » a nécessairement un effet dřentraînement sur le revenu des pauvres. Ce postulat est fragile car la structure de la distribution des revenus est mal connue dans tous les pays et au même moment. Ensuite, il nřexiste presque nulle part un État capable de redistribuer les richesses. Enfin mais pour ce quřon en sait, les inégalités sont telles quřelles exercent plutôt des effets négatifs93. Il nřy a de croissance que dans une économie non déficitaire. Engelhard a parfaitement raison de souligner le caractère fétichiste de ce postulat et qui nřest, de surcroît ; jamais vérifié historiquement94. La croissance saine est celle qui est tirée par les exportations et les IDE. Théoriquement comme pratiquement, cette assertion est fortement discutable Lřéchec des PAS et lřimpuissance des théories et praxis de la croissance ont relancé les recherches et réflexions sur de nouvelles visions et lřélaboration de programmes alternatifs pour lřavenir fondé sur le développement. Pour être complet, celui-ci ne peut avoir pour centre que lřhomme et sa volonté de transformation de la société dans laquelle il vit. En effet, durant les années 70 -80, la crise de la dette avait polarisé lřattention vers la recherche de solutions aux problèmes des déséquilibres externes et internes à court terme. Les réflexions sur le développement et la stratégie de développement à long terme sont totalement reléguées à lřarrière-plan. Conséquemment, lřanalyse économique du développement, comme le développement lui-même, sont passés aux oubliettes. Cřétait lřépoque où, selon PRENAB BARDHAN, lřéconomie du développement a été une jeune fille aux mauvaises fréquentations (lřanthropologie, la psychologie, la science politique, etc.) dans sa quête pour comprendre le changement structurel 95 . Les principaux sujets de préoccupation dřétudes et de recherches portaient sur les conditions de la croissance, la stabilisation, lřendettement, lřaide extérieure pour sřachever sur lřAjustement Structurel. Propos d’étape sur la Première partie Toutes les théories passées en revue des classiques à la synthèse néo-classique servent de cadre de référence à la fois aux analyses du sous-développement et aux politiques et stratégies du développement. Elles partent toutes de lřidée quřà lřintérieur dřune société, le développement se fonde sur la combinaison de la force de travail et des moyens de production dont une partie sert à reconstituer les moyens de production (amortissement du capital), à recomposer la force de travail (nourriture, logement, formation). Sur cette base le développement et la croissance sont régulés par des processus amples et profonds de génération et dřabsorption du surplus compris comme la différence entre la production quřune société veut ou peut réaliser et la part de cette production nécessaire pour recomposer les forces productives ayant permis cette production. En effet, ce surplus peut avoir trois (03) usages partiels : Mc Namara alors président de la Banque mondiale écrivait que « les politiques qui ont pour effet dřenrichir les riches nřenrichissent pas la nation. Au contraire, elles entraînent inévitablement le déséquilibre économique et lřinstabilité sociale. 94 Le postulat ne tient que si l’endettement est insoutenable au point de compromettre les équilibres à moyen et long terme. 95 Cité par Elsa Assidon 93 1 8 accroître les moyens de production, améliorer la force de travail, financer les dépenses improductives. Toutes les théories du développement et de la croissance avec des outils, des méthodes et des démarches différents sřefforcent dřapporter des réponses à la formation et à lřutilisation des surplus (encore appelés profits, plus-value, fonds accumulés selon les auteurs, les écoles, épargne). Dans cette optique, les théories de la croissance qui sřappuient sur lřaugmentation soutenue dřune grandeur de dimension nationale ont fini par sřimposer. Cřest dřailleurs la crise de 1929 qui a amené les économistes à « réinventer » la problématique de la croissance et à retrouver la trace des Grands Ancêtres A. SMITH, et D. RICARDO et mieux quelquefois, à sřapercevoir de lřexistence de MARX. Cela correspond à la première vague dont parlait R.SOLOW avec les modèles des néokeynésiens HARROD -DOMAR. Toutefois, il convient dřobserver aujourdřhui que les théories de la croissance, si elles ont amené une quantité impressionnante dřétudes empiriques rigoureuses sur la dynamique des sociétés (surtout capitalistes), si elles fournissent de formulations astucieuses et sophistiquées, elles ont quelque peu échoué devant ce qui étaient leurs deux (02) objectifs essentiels : donner une traduction simple mais totale de la dynamique de la croissance, et dégager les bases dřune politique effective de croissance optimale. Les modèles élaborés en direction particulièrement des PSD souffrent dřun excès de globalisme et de mécanismes qui les rend parfois impropres à lřexplication et à lřaction. Aucun dřeux nřa entièrement réussi à appréhender la complexité du phénomène de la croissance car ces modèles reposent pour la plupart sur un petit nombre dřhypothèses schématiques. Cřest la raison pour laquelle, aucun de ces modèles nřa pu véritablement mener à des découvertes théoriques de grande importance qui nřaient été faites sous dřautres formes avec dřautres méthodes. Ce sont ces insatisfactions qui expliquent la multiplication des recherches théoriques actuelles, cela dřautant plus que pour les pays sous-développés, la question centrale nřest pas : « Que faire pour assurer une croissance rapide et harmonieuse ? » mais « Que faire pour commencer à croître ? » Dans cette optique, la théorie doit changer de terrain et sřorienter vers des processus plus amples qui impliquent la prise en charge de la réalité des structures, des systèmes productifs et celles des acteurs de terrain. En effet, maintenant il est bien connu que la croissance est le produit de la combinaison de plusieurs facteurs dont le moteur est variable dřun pays à un autre. Egalement des changements doivent sřopérer au niveau des méthodes. Les processus de modélisation doivent être améliorés par des réflexions sur les hypothèses implicites dřhomoeconomicus et de rationalité. Ce sont là quelques corrections de trajectoire, de nouveaux axes de réflexion que tentent dřouvrir plusieurs auteurs regroupés sous le vocable de «structuralistes», qui partagent une vision historico-séquentielle du développement et qui incorporent dans lřanalyse aussi bien les structures que les institutions comme lřEtat dont ils font, désormais, une lecture économique et notamment sa double action dřabord sur la macroéconomie et ensuite sur lui-même. Lřétude de la morphologie du sous-développement devrait permettre de mieux appréhender les réalités de ces pays qui font lřobjet de multiples controverses au sein de la pensée économique du développement. 1 8 1 8 Cette partie de lřouvrage est certainement la plus importante car elle traite de la morphologie du sous-développement et présente une introduction générale aux objectifs, stratégies et instruments de gestion de ce phénomène. Depuis le temps que les économistes débattent des questions du sous-développement, ils sont encore dans lřincapacité de formuler une définition consensuelle du phénomène. Il est tantôt compris négativement comme tout ce qui est en dessous du développement ou alors plus positivement, il est analysé comme lřétat dřune économie qui ne peut surmonter le cercle vicieux de la pauvreté et enclencher un processus cumulatif de production de richesses pour satisfaire les besoins de base. Cette conception normative est souvent sévèrement critiquée et remplacée par un état de retard économique identifié par un certain nombre de critères quantitatifs et mesurables comme le PIB, le Revenu par habitant, etc. Cette méthodologie introduite par les Institutions financières internationales (Banque mondiale, FMI et autres) permet alors une classification des PSD en pays à faible revenu, pays à revenu moyen, pays moins avancé, pays pauvre très endetté, etc. Le sous-développement exprimant une réalité complexe et variée qui suscite autant de controverses, la meilleure démarche méthodologique est dřen établir une morphologie qui permet dřen cerner toutes les caractéristiques les plus essentielles. Cette connaissance factuelle du phénomène permettra alors de mieux comprendre « ce qui est et ce quřil faut faire ». Dans ce cadre on circonscrit plus clairement les objectifs que les pays se fixent, les stratégies et les politiques quřils mettent en place et les instruments de gestion du développement quřils utilisent. Les stratégies et politiques de développement vont apparaître comme des tests de validité des théories et des instruments de lřanalyse économique. Ces politiques et stratégies montreront leurs capacités à élever le niveau des forces productives matérielles et humaines ; construire des systèmes productifs performants et capables dřune insertion gagnante dans la mondialisation devenue inéluctable ; relever le niveau de vie des populations. Cřest en réalisant de tels objectifs, que ces politiques et stratégies sřavéreront pertinentes pour sortir les pays du sous-développement. Dans cette optique, cette deuxième partie comprendra cinq chapitres : Ce premier chapitre analyse précisément les traits typiques du sousdéveloppement quřil importe de prendre en compte dans lřélaboration des politiques économiques. Cette morphologie est présentée sous deux catégories de caractéristiques économiques et non économiques du sousdéveloppement. Le second chapitre traite des questions démographiques et dřurbanisation qui sont deux éléments que les analystes présentent souvent comme un handicap majeur au développement. Bien que le Continent soit relativement sous-peuplé, sa croissance démographique est explosive et, pendant un temps, supérieure à celle de la production. Cette expansion démographique est accompagnée par une urbanisation accélérée, deux phénomènes conjugués qui risquent de générer des problèmes socioéconomiques et environnementaux graves en somme des ruptures dřéquilibre comme lřamplification de la crise alimentaire. Alors où en est le débat théorique 1 8 autrement dit, la démographie est-elle un frein ou une opportunité pour le développement et social lřAfrique ? Le vieux débat introduit par Malthus ne réapparait-il pas aujourdřhui à savoir : « les hommes peuvent se reproduire plus rapidement que les ressources naturelles dont ils ont besoin pour survivre. En conséquence, la population humaine en arriverait finalement à dépasser les capacités de son environnement, ce qui pourrait conduire à sa propre disparition ? ». Le troisième chapitre est une introduction générale aux objectifs, stratégies et instruments de gestion du développement. Les objectifs du développement économique élément premier et déterminant de la stratégie dépendent dřune part des finalités de la société et, dřautre part de la structure socio-économique de celle-ci ainsi que des instruments dřaction et de gestion. Pour des PSD caractérisés par le faible niveau des forces productives matérielles et humaines, la croissance est lřobjectif auquel tout le système économique et social doit être subordonné. Le choix dřune stratégie est dřune importance capitale et devrait permettre de coordonner les objectifs, les moyens et les acteurs dans une société marquée par la coexistence de plusieurs structures obéissant à une pluralité de centres de décision et lřexistence de beaucoup de contraintes de nature diverse. Bien évidemment, la stratégie de développement et de croissance doit se traduire concrètement dřune part dans le choix de leviers qui la feront passer dans les faits et dřautre part, dans le choix des instruments adéquats de la politique économique et financière. La planification sřoffre alors comme un instrument de pilotage dřune gestion économique à moyen et long terme. Le quatrième chapitre est relatif aux institutions dřencadrement et de gouvernance et au retour de lřÉtat dans le jeu économique. Depuis longtemps la corrélation entre institutions et développement à été bien établie. Lřavènement du « tout marché » avait plus ou moins distendu ce lien que la recherche a maintenant parfaitement rétabli suite aux nombreux programmes de recherche sur les institutions. La stratégie du développement nřest plus uniquement dřordre économique ; elle est aussi dřordre humain et institutionnel, cřest ce que montrent les développements dans ce chapitre. LřEtat est ainsi réhabilité et réinséré dans le jeu économique et social. Le cinquième chapitre analyse le modèle proposé de libéralisation des économies africaines à savoir les Programmes dřAjustement Structurel issus du Consensus de Washington. Lřimportance et la diversité des questions soulevées dans cette partie rendent indispensable de repréciser les concepts de stratégie et de politique de développement pour éviter toute confusion sur ces idées clefs. Dřabord, le développement doit être strictement distingué du concept de croissance. La croissance économique est comprise comme «lřaugmentation soutenue pendant une ou plusieurs périodes longues … dřun indicateur de dimension ; pour la Nation, le produit national brut ou net en termes réels» 96 . En fait, dans une optique de croissance, ce qui croit, cřest directement le produit mais elle nřéclaire ni sur les facteurs causatifs qui auraient pu la rendre plus forte, ni sur le jeu des structures favorables ou non ; ni sur la répartition des fruits. Cřest pourquoi on peut bien concevoir, comme nous le verrons plus loin « une croissance appauvrissante » qui se produit lorsqu'un pays améliore ses 96 François PERROUX : lřÉconomie du XXe siècle, pp. 558-559. Édit. PUF. 1 8 performances sans que certains acteurs ou secteurs économiques en bénéficient. Au contraire, le développement est un phénomène moins répétitif et moins quantitatif. Selon François PERROUX, le développement débouche sur des structures sociales, des institutions, des habitudes dřesprit qui ne sont pas justiciables de formes courantes des équilibres micro et macroéconomiques. En somme, le développement englobe et soutient la croissance. Cřest sur cette base que, F. PERROUX définit alors le développement comme «la combinaison de changements mentaux et sociaux dřune population qui la rendent apte à faire croître cumulativement et durablement, son produit réel global». En dřautres termes, si la notion de croissance est partielle et strictement quantitative, celle de développement est plutôt synthétique, à la fois quantitative et qualitative. Cřest pourquoi le concept de développement est beaucoup plus riche que celui de croissance ; il peut sřobserver dans les expériences historiques des pays une croissance sans développement. Le concept de politique économique est, à son tour, assez controversé et fait lřobjet de plusieurs compréhensions. Ainsi, MEYNAUD la définit comme «lřensemble des décisions gouvernementales en matière économique, gouvernement étant pris au sens large comme couvrant les diverses autorités publiques dřun pays donné»97. Alors que pour O. FANTINI, la politique économique est «lřensemble des règles et dřactes par lesquels lřÉtat intervient au nom de lřintérêt général dans la vie publique et privée». Dans lřEncyclopédie de lřéconomie et de la gestion « la politique économique est une action délibérée de la puissance publique se traduisant par la mobilisation dřun certain nombre de moyens pour atteindre des objectifs définis en fonction dřune certaine philosophie ou idéologie » 98 . La définition proposée par le « Dictionnaire dřéconomie » est plus large encore « La politique économique vise à la réalisation dřun certain nombre dřobjectifs économiques et sociaux parmi lesquels figurent notamment la croissance du niveau de vie et du produit national brut, le pleinŔemploi des ressources en hommes et en équipements, la stabilité des prix, lřéquilibre des échanges et des paiements extérieurs. Une hiérarchie de ces divers objectifs est fréquemment établie en fonction dřune part des contraintes et de lřenvironnement économique et social du moment, dřautre part des conceptions politiques des dirigeants ». 99 Le Professeur TINBERGEN avance une parfaite synthèse en considérant, quřen définitive, «la politique économique consiste dans la manipulation délibérée dřun certain nombre de moyens mis en œuvre pour atteindre certaines fins». De cette claire définition, il peut ressortir que les politiques de développement pourraient être comprises comme les diverses options sectorielles initiées par les pouvoirs publics pour atteindre des objectifs préalablement définis. Cela suppose lřutilisation de moyens matériels et financiers appropriés mais aussi le recours à des techniques et structures institutionnelles de gestion du développement ainsi que des mutations des structures dřencadrement culturelles et mentales qui accompagnent ces politiques. CHAPITRE 10 LES CARACTÉRISTIQUES ÉCONOMIQUES ET NON ECONOMIQUES DU SOUS-DÉVELOPPEMENT MEYNAUD : Politique Économique comparée Encyclopédie de lřéconomie et de la gestion, Édit. Hachette, 1994, p.349 99 Dictionnaire dřéconomie et des faits économiques et sociaux, Édit. Foucher, 1999, p 464 97 98 1 8 Il est après tout assez facile de définir à priori une politique de développement et de se livrer à un volontarisme économique pour lřappliquer. Il nřest pas sûr quřune telle méthode puisse donner des résultats probants, réalistes et efficaces. Sans aucun doute, la meilleure démarche consiste à analyser au préalable les structures et le fonctionnement dřune économie sous-développée avant de définir les politiques de développement quřil importe de mener. Au départ, il sied de mettre en lumière les structures économiques et sociales auxquelles sřapplique la politique de développement dont il faut préalablement dégager les principes généraux qui guident son élaboration. Section 1 : sousdéveloppée. Les Caractéristiques d’une économie Lřanalyse du sous-développement et de ses diverses représentations constitue, depuis un quart de siècle, selon G.D. DE BERNIS, le microcosme de lřévolution de la théorie économique. En effet, lorsque lřon traite dřune économie sous-développée, on a lřhabitude dřénumérer un certain nombre de caractéristiques communes soit quantitatives (critères) ou/et qualitatives (typologie structurelle historique) ; toutefois, une énumération même exhaustive ne suffit pas à produire une définition cohérente. Or cřest dřune définition dont la théorie a besoin comme outil dřanalyse. René GENDARME a réuni 21 définitions du sous-développement, ce qui est une bonne indication de la complexité du phénomène mais également de sa diversité. Il est impossible de lister toutes ces définitions, mais au moins trois semblent assez caractéristiques. La première est celle des Nations-Unies qui comprennent le sous-développement comme « la non exploitation optimale de toutes les ressources économiques et humaines disponibles sur un territoire ». La limite saute aux yeux car lřoptimum de mise en valeur se retrouve sur tous les espaces territoriaux si tant est que ce concept ait un sens scientifique. La deuxième compréhension, la plus usuelle, assimile le sous-développement à un retard en comparaison avec des pays qui ont atteint un niveau avancé de production, de consommation et dřéchange. Cette vision est à la fois simpliste et artificielle, ce que nous avons souligné dans le découpage grossier des étapes de la croissance de W.ROSTOW. Une troisième tentative de définition provient des structuralistes, F. PERROUX, C.FURTADO qui voient dans le sous-développement un processus historique autonome et non pas une étape par laquelle serait passées les économies ayant déjà atteint un certain stade supérieur de développement. Il est un phénomène contemporain du développement, conséquence de la façon dont la révolution industrielle sřest déroulée jusquřà nos jours ». Cette définition nřest pas très éloignée de celle des marxistes qui considèrent le sousdéveloppement comme le produit du développement capitaliste, une déstructuration sectorielle issue de la domination impérialiste. Dans cette ligne de pensée, Samir AMIN estime que lřanalyse du sous-développement occulte la réalité qui est celle dřune formation sociale capitaliste dominée, exploitée et façonnée par lřimpérialisme. « La transition au capitalisme périphérique est alors la construction dřune formation sociale capitaliste spécifique à la périphérie à partir de la colonisation et de lřexportation de capital sur la base des modes de production précapitalistes » 100 Samir AMIN : Lřaccumulation à lřéchelle mondiale, IFAN-Dakar, Édit. Anthropos, 1971 pp163-193. Yves LACOSTE soulignera que « le sous-développement est un phénomène à la fois global et éminemment complexe qui se manifeste dans chaque territoire par une imbrication de symptômes économiques, sociologiques et démographiques et il procède dřune combinaison de facteurs imbriqués 100 110 1 8 Ces quelques trois définitions montrent lřimpossibilité dřun consensus sur lřappréciation du phénomène. 110 Maurice BYE avertit clairement que « La science est dřabord vocabulaire, ensemble de concepts clairement définis. Toute définition doit servir lřanalyse qui en usera. Il faut donc savoir, pour donner un sens au terme « sous-développement, à quel service ce mot se trouve destiné. » 101 Lřambiguïté et lřimprécision du concept explique, sans nul doute, que la littérature économique le concernant relève dřabord dřun domaine de controverses, dřévolution rapide des faits et de confusion de lřanalyse et de la norme.102 Pourtant, il faudrait pouvoir en rendre compte comme dřune pensée vivante, même lorsquřelle sřaccompagne inévitablement de branches mortes103. Beaucoup dřauteurs, face à la diversité des approches, finissent par traiter dřune économie sous-développée par une énumération de critères et dřindicateurs du sous-développement (voire la douzaine de critères répertoriés par Yves LACOSTE et qui constituent le fondement même de lřanalyse critériologique). Il reste quřune énumération, même exhaustive, ne suffit pas à offrir une définition cohérente. Or cřest dřune telle définition que nous avons besoin comme outil dřanalyse. Dans ce cadre, lřanalyse du sous-développement se présente comme une combinaison subtile de faits, dřintérêts, de théories, de pouvoirs et de mythes au sein de laquelle cependant, les enchaînements sřexpliquent fort bien. Pour dépasser cette diversité apparente et rechercher les éléments qui permettent une caractérisation acceptable de lřétat de sous-développement, on va considérer une économie sousdéveloppée dřabord par sa structure productive primaire et dualiste, ensuite par son fonctionnement instable et dépendant, et enfin par son incapacité à rompre le « cercle vicieux de la pauvreté ». Cette interprétation sřefforce de regrouper des traits de structures et de fonctionnement en vue de faire apparaître la conséquence majeure : le cercle vicieux de la pauvreté. I/ La première caractéristique est la structure primaire et dualiste 1°) L’économie sous-développée est une économie dominée par des activités productives primaires d’origine agricole et minière Toutes les statistiques établissent quřune économie sous-développée se caractérise par la prédominance des activités économiques primaires dřorigine agricole et minière correspondant à la valorisation des ressources du sol et du soussol. Ces activités occupent la plus grande partie de la population active et fournissent lřessentiel de la production intérieure et des exportations. En ce qui concerne la population active, plus de 60%, sont concentrés dans le secteur agricole et les exploitations minières. Le secteur des industries de transformation nřemploie quřune très faible partie de cette force de travail, tandis que lřon enregistre dans beaucoup de pays à une hypertrophie du secteur tertiaire composé essentiellement de lřéconomie informelle qui a connu une expansion extraordinaire dans la quasi-totalité des PSD. Ce qui sřexplique par le développement dřactivités les uns aux autres. Cette combinaison nřest pas statique, elle évolue sous lřeffet dřun jeu de forces complexes » 101 Maurice BYE : Préface à lřouvrage de J.FREYSSINET, Le concept de sous-développement 102 G.Destanne DEBERNIS : op. cit. p 103 103 G. Destanne DEBERNIS : Sous-développement, analyses ou représentations, Revue Tiers-Monde, tome XV, n°37 Janvier-Mars 1974 1 8 commerciales et dřexportation dans les régions côtières, les ports, les grandes agglomérations urbaines ; la prolifération dřintermédiaires de tous ordres, de courtiers, de changeurs, de prêteurs ou dřusuriers, de trafiquants divers et le développement des services personnels (domestiques) en raison du faible coût de la main-dřœuvre faisant suite à lřexode rural massif. Tableau 10 : Pourcentage de la main d’œuvre utilisée dans l’agriculture, l’industrie et les services en Afrique. Année 1980 1985 1990 1996 Agriculture (en%) 70 67 65 62 Industrie (en%) 11 12 13 15 Services (en%) 19 21 22 23 Source : BAD, Rapport sur le développement en Afrique, année 2005 La conséquence de cette répartition de la population active est une utilisation improductive de la force de travail et, plus particulièrement, le chômage déguisé dans lřagriculture qui se traduit par une productivité marginale du travail nulle et une baisse du rendement par actif rural. Il est devenu important pour les politiques agricoles dřévaluer avec exactitude le chômage déguisé. Cela peut se faire en calculant le nombre dřhommes quřil faut dans lřagriculture pour obtenir une certaine production, compte tenu des cultures, des techniques et de lřéquipement. La situation de sous-développement est aussi révélée par la structure primaire de la Production Intérieure du pays. Celle-ci se compose principalement de produits agricoles et miniers à savoir: les produits agricoles servant à la subsistance de la population ; les matières premières agricoles affectées à lřexportation; les matières premières minières destinées à lřexportation. Quant à la production industrielle, sa part dans le PIB est faible. Cette donne sectorielle sera approfondie dans lřanalyse des politiques économiques dans les deux secteurs que sont lřagriculture et lřindustrie Enfin les exportations sont révélatrices de la situation de sous-développement. Celles-ci se concentrent sur un ou deux grands produits de base (d'origine agricole ou minière). Lřétude de la structure de la production intérieure et des exportations fait apparaître le caractère paradoxal de la spécialisation dans les pays sous-développés : la spécialisation est très forte par rapport au commerce extérieur, mais elle est très faible par rapport au marché intérieur, de sorte que ces pays doivent importer de lřétranger certains produits de consommation quřils ne réussissent pas à produire eux-mêmes. 1 8 2°) Le sous-développement est marqué par un dualisme sectoriel de l’économie Lřéconomie sous-développée est dualiste en ce sens quřelle comprend deux secteurs économiques juxtaposés ayant de très faibles relations interindustrielles : un secteur précapitaliste et un secteur moderne dřessence capitaliste qui se subdivise en un sous-secteur constitué dřun capitalisme étranger et un sous-secteur capitaliste autochtone très faiblement industriel, mais surtout commercial et immobilier. Lřéconomie dualiste est une économie « désarticulée » selon lřexpression de M. François Perroux, cřest-à-dire quřil nřexiste entre les deux secteurs que de très faibles relations. Le premier secteur développé est articulé au système mondial dont il est le prolongement alors que le secteur autochtone stagne et ne reçoit pas de lřextérieur les impulsions nécessaires. Lřétude du caractère dualiste et désarticulé des économies sous-développées apparaît mieux encore quand on discute du rôle joué par les firmes étrangères dans le pays sous-développé : pour apprécier ce rôle, on peut se placer à divers points de vue de lřorientation des activités, de la distribution des revenus, des investissements et au point de vue social. II/ La deuxième caractéristique est relative au fonctionnement d’une économie sous-développée. 1°) le fonctionnement de l’économie sous-développée est instable Cřest le premier trait caractéristique du fonctionnement dřune économie sousdéveloppée. Il se manifeste à un triple niveau celui de la production, des exportations et des termes de lřéchange. Dřabord concernant la production, son instabilité provient de la forte corrélation de la production agricole aux aléas de la nature : de bonnes récoltes peuvent alterner avec de mauvaises. Pour ce qui est de la production minière, son volume est fonction du volume des exportations, qui elle-même dépend de la demande extérieure des acheteurs étrangers et des firmes étrangères qui dressent des plans de production pour lřensemble de leur espace mondial dřimplantation, sans tenir compte des intérêts particuliers des pays producteurs où elles exercent une partie de leurs activités. Ensuite pour ce qui est des exportations : les débouchés sont soumis à de fortes fluctuations liées à plusieurs facteurs qui échappent complètement aux pays producteurs : fluctuations du volume des exportations ainsi que celles des prix. Les conséquences de cette instabilité dans les exportations sont graves pour lřéconomie sous-développée : évolution erratique des recettes dřexportation qui provoquent dřune part des fluctuations décalées dans les importations et aggravent dřautre part la situation générale de lřéconomie sous-développée en ce sens que les phases dřexpansion favorisent le développement de productions marginales ou additionnelles qui provoquent en fin de compte une surproduction. De plus, lřinstabilité des prix des produits exportés incite les acheteurs étrangers à développer les produits de substitution (produits synthétiques) qui ont des prix prévisibles et facilitent ainsi le calcul des coûts de production. Enfin, dans le domaine des termes de lřéchange sur lesquels nous reviendrons plus en détail, dans le cas des PSD, les prix à lřexportation sont, en première analyse, les prix des produits primaires ; les prix à lřimportation sont les prix des produits 1 8 manufacturés importés. Dans ce contexte, lřinstabilité des prix à lřexportation des produits primaires explique lřinstabilité des termes de lřéchange de ces PSD. Le phénomène le plus important en ce qui concerne les termes de lřéchange est leur évolution de longue période qui peut être caractérisée par deux mouvements opposés : la détérioration et lřamélioration. Dans ses travaux M. Raul PREBISCH constate que les changements observés dans les termes de lřéchange indiquent que les PSD ont permis la croissance du niveau de vie dans les pays industrialisés sans recevoir, dans le prix de leurs propres produits, une contribution équivalente à leur propre niveau de vie. « Tandis que les centres gardèrent lřentier bénéfice du développement technique de leurs industries, les contrées périphériques transférèrent une part des fruits de leur propre progrès technique ». On notera que les théoriciens de lřéchange inégal sřinscrivent dans les mêmes lignes de conclusion. Cependant, pour C. P. KINDLEBERGER, le problème central des pays sous-développés nřest pas tant celui des termes de lřéchange que celui de la très faible mobilité des ressources. Cette immobilité relative est aggravée par la technologie utilisée dans les productions primaires, qui permet souvent une entrée facile dans une activité économique, mais une sortie difficile en raison des faibles possibilités dřadaptation de lřéconomie sous-développée : « le développement économique est accéléré davantage par la recherche dřune qualification pour la force de travail à tous les niveaux, par le flux de capitaux nouveaux, par la flexibilité et lřaction de lřentrepreneur, que par des efforts en vue de manipuler les termes de lřéchange ». 2°) le fonctionnement dépendant de l’économie. Lřéconomie des PSD est triplement dépendante de lřextérieur. Globalement ce sont des économies qui fonctionnent par et pour lřéconomie mondiale. La première dépendance se manifeste vis-à-vis des grandes firmes multinationales qui exploitent les matières premières agricoles et minières et qui en assurent les exportations. Cette dépendance est la conséquence de la spécialisation. La seconde dépendance concerne les importations de biens manufacturés et de services. En analysant les importations des PSD, on constate trois postes importants : les biens dřéquipement et de consommation intermédiaire destinés aux industries locales ; les importations de produits alimentaires destinées à couvrir le déficit alimentaire ; les biens de consommation finale de luxe de la minorité privilégiée par la fortune. Cette dernière catégorie de biens de consommation a fait lřobjet de plusieurs réflexions à cause de son incidence négative sur lřéquilibre extérieur. À lřheure de la mondialisation, beaucoup de moyens permettent le jeu de lřeffet de démonstration et un mimétisme de consommation se traduit dans les pays sous développés par une aspiration à des niveaux de vie de type américain ou européen. Cet effet entraîne un accroissement des importations de biens de consommation, souvent non essentiels, ce qui provoque des déséquilibres de la balance des paiements et une utilisation improductive des devises obtenues par les exportations ou par lřaide extérieure. 1 9 Tableau 11: Composition des exportations régionales : part des matières premières en %. RÉGION 2000 2002 Amérique du Nord 10 10,7 Europe Occidentale 9,4 9,4 Asie 6,5 6,6 Amérique Latine 18,4 19,3 Afrique 12,9 15,8 Source : BAD, Rapport sur le Développement en Afrique, 2005 La troisième dépendance est relative aux importations de capital en provenance de lřétranger. Le déficit dřépargne contraint les PSD à recourir aux Investissements Directs Étrangers pour financer les investissements, à lřAide Publique au Développement et aux divers prêts des Institutions Financières Internationales. Cette mobilisation de ressources externes demeure indispensable malgré les observations pertinentes et opportunes de A. LEWIS, qui écrit : « Aucune nation nřest assez pauvre pour ne pas pouvoir épargner 12% de son revenu national, si elle le désire ; la pauvreté nřa jamais empêché les nations de se lancer dans les guerres, ou de gaspiller leurs substances dřautres façons. Moins que les autres, ces nations ne peuvent plaider la pauvreté, dans lesquelles 40% environ du Revenu National sont détenus par les 10% supérieurs des titulaires de revenu, vivant luxueusement de leurs rentes. Dans de tels pays, lřinvestissement productif est faible, non pas parce quřil nřy pas de surplus, mais parce que le surplus est utilisé … à construire des pyramides, des temples et dřautres biens durables de consommation, au lieu de créer du capital productif. Si ce surplus allait sous forme de produits aux capitalistes ou, sous forme dřimpôts, à des gouvernements ayant une inclination pour la productivité, des niveaux beaucoup plus élevés dřinvestissement seraient possibles sans inflation » (p. 236). 104 Tableau 12 : Les IDE en Afrique et dans le monde de 1980 à 2005 en milliards de dollars EU aux prix courants. Années 1980 1990 2000 2001 2002 2003 2004 2005 Monde 55,3 201,6 1409,5 832,2 617, 7 557,8 710,5 916,3 35,9 254,6 210,5 162,1 172,8 260,2 320,7 Économies en développement 7,7 104 A. LEWIS: The Theory of Economic Growth (1956), 1 9 Afrique 0,4 Éonomies 0,66 en développement d’Asie 2,8 9,6 19,9 13 18,5 17,2 30,7 22,6 148 112 96,1 110,1 156,6 199,6 Source : CNUCED, Manuel de Statistiques 2006. III/ La troisième caractéristique : le sous-développement comme incapacité à briser le « Cercle Vicieux de la Pauvreté » Le cercle vicieux de la pauvreté se définit comme une sorte de causation circulaire selon laquelle la pauvreté engendre la pauvreté à travers des revenus très faibles et en conséquence une épargne faible pour permettre un investissement substantiel générateur de croissance, donc dřaccroissement des revenus. Tout se passe comme sřil existait des mécanismes qui empêcheraient le pays sous-développé de connaître un accroissement dřactivité. Cette notion peut revêtir deux aspects : un aspect stationnaire qui induit ce que R. NURKSE appelle un équilibre de sousdéveloppement et un aspect dynamique à partir de processus cumulatif renforçant la constellation circulaire de forces maintenant lřéconomie sous développée en état de pauvreté. Cet aspect a été mis en relief par G. MYRDAL qui a étudié ces processus cumulatifs de croissance ou de régression, qui augmentent les inégalités entre régions à lřintérieur des nations ou entre nations à lřintérieur de la communauté internationale. Figure 11 : Cercle vicieux de la pauvreté DU COTE DE L’OFFRE GLOBALE Faiblesse des revenus Manque de capital Faible productivité DU COTE DE LA DEMANDE GLOBALE Investissement réduit Faiblecapacité d’épargne Faible productivité Faiblesse des revenus Demande insuffisante Incitation à investir réduite 1°) L’aspect stationnaire Lřéquilibre de sous-développement peut sřexpliquer dřabord par la formation du capital nouveau, limitée par lřinsuffisance de lřépargne résultant du faible niveau du revenu réel, lřoffre de capital est alors déficiente. Également, la demande de capital est déficiente parce que les occasions dřinvestissement sont insuffisantes et lřincitation à investir inexistante. On constate au niveau des PSD trois situations : 1 9 une demande de consommation intérieure faible, par suite des faibles niveaux de revenus, ce qui déprime la demande dřinvestissement dans toutes ces branches, une absence de main dřœuvre qualifiée nécessaire à lřapplication des techniques modernes de production, une insuffisance des infrastructures économiques sans lesquelles une entreprise de type moderne ne peut sřétablir et se développer. Lesdites infrastructures sont les ports, les voies de communication, le système bancaire, les centres de production et de distribution de lřénergie. Pareille situation produit deux conséquences particulières : dřabord, lřinvestissement international privé se concentre dans les activités dřexportation et non dans la production pour le marché intérieur. En effet, les capitaux privés tendent toujours à se déplacer vers les pays où existe un marché massif et prospère, non vers les pays où le capital est peu abondant et où sa productivité marginale serait pour cette raison plus élevée. Ensuite, si une épargne se forme dans un pays sousdéveloppé, chez les titulaires de revenus élevés (et on sait combien la répartition du revenu est inégale dans un tel pays), elle nřest pas affectée à lřinvestissement productif, mais à des emplois souvent improductifs et peu favorables à la croissance de lřéconomie (placements dans les pays étrangers développés, thésaurisation sous des formes diverses, constructions résidentielles de luxe, encaisses spéculatives.) Dans les PSD, les titulaires de hauts revenus ont parfois des excédents substantiels dřépargne mais le principal problème est de savoir comment détourner cette épargne vers des emplois plus productifs. 2°) L’aspect dynamique du cercle vicieux Il sřagit dřun élargissement du cercle conformément à lřanalyse de G. MYRDAL qui considère quřautant le développement appelle le développement, la pauvreté appelle une plus grande pauvreté. G. MYRDAL a mis en relief ces processus cumulatifs de croissance ou de régression, qui augmentent les inégalités entre régions à lřintérieur des nations ou entre nations à lřintérieur de la communauté internationale. En effet, le jeu des forces du marché a pour conséquence que tout centre dřexpansion industriel ou commercial exerce une attraction dřhommes, de marchandises et de services, de capitaux, de vie intellectuelle et sociale et diffuse deux séries dřeffets : dřappauvrissement des régions moins favorisées (backwash effects), qui se manifestent sous des formes diverses : émigration des éléments jeunes et actifs de la population, émigration des capitaux, le système bancaire captant les épargnes des régions pauvres pour les orienter vers les régions en plein essor, disparition des industries concurrencées par celles des régions développées qui disposent de marchés plus vastes et travaillent dans la zone des rendements croissants, régressions de lřagriculture qui demeure lřactivité prédominante mais dont le niveau de productivité est en baisse, insuffisance des services publics (routes, voies ferrées, services sociaux, etc.) dřentraînement (spread effects) sur les régions environnantes, qui balancent les effets dřappauvrissement. Mais ces effets sont dřautant plus faibles que le pays est plus pauvre ; leur intensité est fonction du niveau de développement. En appliquant ce schéma à lřéconomie internationale, on en déduit que les relations internationales, les échanges dřhommes, de produits et de capitaux, se font en faveur des centres développés tandis quřils vont dans le sens dřun appauvrissement 1 9 progressif des régions sous-développées : élimination de lřartisanat local, développement des productions primaires en vue de lřexportation vers les régions développées, exportation de capitaux par les capitalistes des pays sousdéveloppées, qui justifie la formule selon laquelle on ne prête quřaux riches. Comme les effets dřentraînement sont faibles ou nuls dans les pays sousdéveloppés, les effets dřappauvrissement sřexercent sans y être de quelque façon contrebalancés. Lřétude du « cercle vicieux de la pauvreté » dans ses aspects statistique et dynamique nous conduit à deux conclusions : dřabord, elle met en relief les nécessités nationales dřune politique de développement et indique les voies dřaction qui doivent être suivies, et ensuite elle montre que la croissance des économies sous-développées impose une prise de vue mondiale des problèmes à résoudre et appelle des solutions à lřéchelle mondiale. De même que les phénomènes de sous-développement traduisent lřabsence dřune communauté internationale structurée et organisée, le succès de tout effort de développement dépendra de lřinstauration dans les consciences, dans les institutions et dans les politiques, du désir de réaliser une telle communauté. 3°) Une vision de la Banque mondiale des cercles de causalité. Cette approche très proche de lřanalyse « des cercles vicieux » consiste à proposer la configuration de notions à fortes interactions cumulatives des cercles de causalité qui peuvent être dits soit vertueux, soit vicieux. « La réussite dans un volet d'un des cercles facilitera l'amélioration dans d'autres, mais on peine à concevoir que l'Afrique prenne sa juste place au 21ème siècle à moins qu'il n'y ait progrès dans la résolution des problèmes dans tous les cercles. Le programme en chantier peut être réparti dans quatre de ces cercles : amélioration de la gouvernance et résolution des conflits; investissement dans la population; augmentation de la compétitivité et diversification de l'économie; enfin, réduction de la dépendance envers l'aide et renforcement des partenariats »105. 105 Banque mondiale : L’Afrique peut-elle revendiquer sa place au 21ème siècle p 47 et suivantes 1 9 Figure 12 : Cercles de causalité selon la Banque mondiale IV/ L’Approche marxiste du sous-développement à travers l’analyse de S. AMIN Les formations sociales périphériques constituent la partie centrale de lřouvrage de Samir AMIN qui mène son analyse non plus en termes de mode de fonctionnement, mais en termes de mode de production et de formations sociales. La construction dřune formation sociale capitaliste spécifique à la périphérie sřeffectue à partir de la colonisation et de lřexportation de capital sur la base des modes de production précapitalistes. La théorie de la transition au capitalisme périphérique livre deux séries de résultats: dřune part, en ce qui concerne les conditions nécessaires pour que sřétablisse le mode de production capitaliste à la périphérie « celles-ci sont au nombre de deux essentiellement : la prolétarisation et lřaccumulation du capital argent106 ce qui insiste sur la dissolution des anciens rapports pour libérer la force de travail nécessaire à lřétablissement de rapports de production capitalistes, libération obtenue le plus souvent par la violence, et dřautre part en ce qui concerne la dynamique de lřaccumulation : « Le mode de production capitaliste tend à devenir exclusif cřest-àdire à détruire les autres modes de production. Sur ce dernier point Samir AMIN développe la spécificité du mode de production capitaliste dans les formations sociales capitalistes de la périphérie qui réside dans la carence des rapports de production à dominer le développement des forces productives, ce qui conduit dřun côté à la non industrialisation, et de lřautre à la consolidation des rapports de production capitalistes. 106 S.AMIN : idem p 165 1 9 Le développement du capitalisme périphérique ou le développement du sousdéveloppement se manifeste selon S. AMIN par trois distorsions :107 une distorsion décisive en faveur des activités exportatrices qui absorberont la fraction motrice des capitaux en provenance du centre ; une distorsion en faveur des activités tertiaires qui traduit les contradictions particulières au capitalisme périphérique et les structures originales des formations périphériques ; une distorsion dans les choix des branches de lřindustrie en faveur des branches légères, accessoirement en faveur des techniques légères. Plus spécifiquement, les formations sociales capitalistes périphériques africaines partagent trois caractéristiques communes : la prédominance du capitalisme agraire et commercial dans le secteur national, la constitution dřune bourgeoisie locale dans le sillage du capital étranger dominant, la tendance du développement bureaucratique original, propre à la périphérie contemporaine. Cette troisième caractéristique engagerait les formations sociales vers un « capitalisme dřÉtat » parfaitement compatible avec les exigences du centre et la reproduction des rapports capitalistes internes aux pays sous-développés.108 Section 2 : Les caractéristiques développement extra-économiques du Le Japon est le seul pays de peuplement non blanc et de culture non occidentale à avoir réussi à faire fonctionner efficacement un système politique démocratique et une économie libérale performante en ne se fondant que sur ses valeurs propres de civilisation. Lřune de ces valeurs est lřinvestissement sur lřhomme considéré comme le capital le plus précieux. Dans ces conditions, un PSD ne peut entreprendre et réussir un développement durable que si les structures dřencadrement sont compatibles avec les stratégies et politiques de développement. On peut se demander au premier abord si lřéconomiste a quelque compétence pour étudier les rapports entre civisme et développement. Dans la pensée économique néo-classique dominante, le développement se réduit à des conceptions strictement économiques et ne met en jeu que des variables de même genre, techniques et quantifiables, découlant des postulats de rationalité de lřhomo- economicus qui est une créature se présentant de façon isolée sur le marché, dépourvu de passé historique, dřopinions politiques et de relations sociales en dehors des simples échanges marchands. Dans cette optique, les relations hors marché et les institutions nřentrant pas dans le cadre du marché sont supposées nřavoir aucune répercussion significative sur les activités de développement économique et social. En conséquence, les économies 107 108 S.AMIN : idem pp. 197-338 Moustapha KASSE : La transition du sous-développement au socialisme, Édit. Silex 1 9 ont une nature statique et dépourvue de passé, le changement et les évolutions marquantes ne résultent que des seules variables économiques et technologiques. Ainsi débarrassées des relations sociales et de leur dynamisme historique, les économies sont réduites à de simples appareils techniques servant à lřallocation des ressources rares. Cela permet aux théoriciens de sřinstaller dans un monde dřhypothèses universelles et de modèles formels. Toutefois, il est généralement admis que les performances économiques dérisoires des politiques de développement appliquées depuis plus de deux décennies prennent leur source pour lřessentiel dans le caractère réducteur de ces analyses étroites et simplistes qui ignorent la complexité des réalités socio-économiques des PSD. Cette vision technocratique du développement est fondamentalement erronée. Il est aujourdřhui globalement admis que la viabilité de toute stratégie de développement dépend dřune multitude de paramètres extra-économiques. En effet, il est impossible dřétudier les problèmes du développement sans prendre en considération le contexte social de lřactivité, les relations que les hommes nouent entre eux et les choses. En conséquence, tout développement économique doit, à mon sens, sřinsérer dans une synergie sociale. Deux attitudes sont alors possibles : celle de lřingénieur qui sřen remet à la mécanique et à la technique et celle du biologiste qui tient compte de tous les éléments de lřenvironnement. Cette deuxième vision est plus féconde et exige alors de compléter lřanalyse en intégrant des variables non économiques. Cette opinion peut être appuyée par le référentiel dřéconomistes classiques comme contemporains qui, dans leurs esquisses dřune théorie valable de la croissance et du développement, font une très grande place aux variables extra-économiques. Déjà, J. S. MILL, dans ses Principes dřÉconomie Politique (1848), observait quřau titre des moyens de réaliser lřaccumulation du capital dans les autres pays, il faut ajouter « 1°) un meilleur gouvernement ; 2°) lřamélioration de lřinformation du public, le déclin des usages ou des superstitions qui empêchent lřefficacité de lřindustrie ; la croissance de lřactivité mentale qui éveille les esprits à de nouveaux objets de désir ; 3°) lřintroduction des arts étrangers et lřimportation du capital étranger ». Dans la même lignée de réflexion A. MARSCHALL note que « la longue période est celle où il faut faire intervenir non seulement la possibilité de variation du capital fixe, mais encore de nombreux autres facteurs variables tels que lřétat des connaissances, les goûts des sujets économiques, etc.… ». Cřest surtout J. SCHUMPETER qui va insister sur ces variables non économiques déterminantes : « Abandonnons le domaine des considérations purement économiques, tournons-nous maintenant vers le complément culturel de lřéconomie capitaliste, si nous voulons parler de langage de Marx, et vers la mentalité qui caractérise la société capitaliste, en particulier la classe bourgeoise ». Cřest après avoir étudié la « Civilisation du Capitalisme » que Schumpeter répond à la question de savoir si le capitalisme peut survivre. Ce système dit-il nřest pas menacé sur le plan proprement économique, « il est en péril parce que les murs qui le soutiennent sont croulants : les structures sociales protectrices, les idéologies et les représentations mentales liées au capitalisme sont menacées de destruction ou en voie de transformation ». Le professeur YOSHIMORI sřest posé la question de savoir « Pourquoi les japonais se sont mis à se développer, à sřindustrialiser et pourquoi les japonais ont-ils réussi sur le plan économique ? Cřest paradoxalement la réponse japonaise donnée au défi occidental. Avant la moitié du siècle dernier, les japonais vivaient tranquillement, en paix, isolés du reste du monde, dans de petites îles où le système féodal avait réglé 1 9 la vie pendant près de trois siècles. Un jour, vers le milieu du siècle dernier, un bateau noir était venu. Il sřagissait dřun bateau des américains qui avait forcé la porte du Japon en raison du ravitaillement pour les Américains qui naviguaient entre les ÉtatsUnis et la Chine. Les japonais voyaient de plus en plus les pays asiatiques colonisés par les puissances occidentales (la Chine, dřautres pays), et ceci était ressenti par les japonais comme une réelle menace à lřintégrité nationale du Japon. La seule solution pour les japonais face à ce défi technologique tout à fait énorme est de concurrencer les Occidentaux sur leur propre terrain, cřest-à-dire en empruntant, en assimilant systématiquement les technologies occidentales. Les japonais étaient, et sont aussi fiers, fiers de la tradition, et ce nřétait pas facile pour les japonais, à cette époque-là, de faire quelque chose, dřadopter les produits de la civilisation occidentale. Donc, on a inventé une formule : même si on assimile au Japon les technologies occidentales. Cřest par le biais de lřâme japonaise que les japonais le feront. Cřest ainsi que lřâme japonaise et la technologie occidentale étaient devenues une espèce de slogan pour les japonais. Et le but de cette assimilation de la technologie occidentale était de préserver au Japon son intégrité territoriale et également son identité politique et culturelle dues. Ce sont ces deux éléments, lřun géographique et lřautre historique, qui sont à la base de la modernisation et de lřindustrialisation du Japon. » Dans le même sens, le Professeur LISSOUBA observe que « certaines réalités culturelles peuvent constituer de graves entraves aux efforts de développement. Il nous faut pour cela admettre dřemblée deux postulats : Tout dřabord, le développement nřest pas seulement croissance ni synonyme dřextension de marchés. Il appelle toutes les dimensions de lřhomme, comme lřont rappelé les précédents orateurs, une analyse simultanée des politiques au sens strict, des politiques économique, des idéologies, ce mot étant pris dans son acception qui privilégie le culturel, ou dialogue avec le réel ». 1 9 Encadré 8: Culture, créativité et marchés Dans son Rapport mondial sur la culture, A.SEN montre que la réussite qui était au départ l'apanage du Japon, s'est progressivement généralisée à toute la région et quřelle a donné naissance à de nouvelles théories sur le rôle de la culture asiatique dans la réussite économique aussi bien que dans l'affirmation politique. La question est donc d'évaluer le potentiel économique des valeurs culturelles de l'Asie. Sa démarche s'appuie sur les constatations suivantes : Les valeurs culturelles de l'Europe ont paru tout d'abord les plus fécondes pour expliquer sa suprématie; Ensuite, l'héritage des règles des traditions, et des valeurs propres aux Samouraï ont été invoqués pour expliquer l'industrialisation rapide du Japon; Récemment d'autres régions asiatiques ont connu la même réussite. L'attention s'est alors portée sur les vertus spécifiques du confucianisme, un lien culturelle qui unit le Japon, La Chine et la majeure partie de l'Asie orientale; Les valeurs du Bouddhisme radicalement différentes de celles du confucianisme, sont aujourd'hui sollicitées pour expliquer la réussite récente de la Thaïlande et de ses voisins on y ajoute le potentiel économique de l'Islam pour rendre compte de l'essor de l'Indonésie; Plus récemment encore, l'Inde connait une croissance économique supérieure à celle de l'Europe et de l'Amérique. Les interprétations passés qui présentaient l'apathie et le fatalisme comme les causes de la stagnation sont prises de court pour expliquer le dynamisme actuel. Amartya SEN en tire deux conclusions: la culture européenne n'est pas la seule voie vers une modernisation réussie et le développement de l'Asie orientale présente certaines particularités, notamment un rôle plus marqué de l'éducation et de la formation, ainsi que l'établissement des relations plus harmonieuses et plus coopératives entre le marché et l'État. Mais ceux ne sont pas là des aspects propres aux " valeurs asiatiques " en tant que telles, ni des exemples que d'autres pays ne peuvent suivre. À chacun ses valeurs, à chacun son idéal de progrès, à chacun sa route pour s'en approcher. Source : Amartya SEN (Prix Nobel 1998) Dès lors, il faut identifier lřensemble des conceptions, des valeurs éthiques, des croyances, des idéologies et des représentations des « faiseurs de développement » qui ont longtemps été masquées par des modèles de développement qui semblaient fonctionner sans elles. Ces variables sociologiques, morales, politiques et sociales ont la forte capacité de commander ou dřorienter lřactivité économique comme lřont clairement établi les travaux de Max WEBER sur lřinfluence de lřéthique protestante dans le décollage économique des pays capitalistes ou ceux de SOMBART sur la contribution de la mentalité juive dans la réalisation de la révolution industrielle en Europe. Pour ce deuxième auteur, trois attitudes paraissent essentielles pour le développement économique et social, du fait des valeurs quřelles véhiculent et qui influencent très fortement la croissance économique et le développement mais aux quelles il faut ajouter deux autres: lřattitude à lřégard du travail social considéré comme le principal créateur des biens matériels et des services ; lřattitude à lřégard du progrès perçu au double niveau dřune quête permanente des innovations créatrices et de lřaccumulation de ressources à des fins dřinvestissements productifs ; lřattitude à lřégard du temps, autrement dit le temps est-il un bien rare qui a un prix ou alors est-il lřattribut dřune divinité ? lřattitude face à la corruption 1 9 lřattitude à lřégard du service public. Attitude à l’égard du travail Attitude à l’égard du progrès matériel Attitude à l’égard du temps Attitude face à la corruption Volonté de transformer son état : acceptation du développement Acceptation de son état : refus du changement Attitude active à l’égard du développement Attitude à l’égard du travail Développement ou processus cumulatif de transformation Immobilisme Stagnation régression Attitude à l’égard de l’Etat et du service public Ces cinq attitudes forment les structures mentales ou lřoutillage mental compris comme lřensemble des concepts, des croyances et des représentations qui ont cours dans une société et que lřon peut infléchir dans un sens favorable au développement. Elles expliquent pour une très large part la conception que lřhomme se fait de ses relations avec les principaux facteurs de croissance, conception active ou conception passive, acceptation de son état ou volonté de le transformer et de lřaméliorer. Cřest pour cette raison quřil est souvent souligné que le développement est une question de mentalité. On comprend dans cette optique le rôle éminemment positif que peut jouer le civisme accepté comme un ensemble de valeurs et de comportements qui agissent sur la conscience de lřêtre humain, pour lui inculquer une attitude positive, se traduisant par le respect de soi-même, le respect dřautrui, le respect des institutions que les populations se sont données librement. Les règles de civisme invoquées ou imposées par un donneur dřordre peuvent alors entraîner des attitudes favorables au développement économique. La crise persistante des économies africaines malgré lřapplication par les pays africains depuis plus de deux décennies, des programmes dřajustement structurel ravivent le débat sur les modèles de développement et leur pertinence. Ceux-ci reposaient sur trois postulats majeurs à savoir : une conception mécaniste et linéaire de lřhistoire et du développement selon laquelle toutes les sociétés humaines passeront par les mêmes stades avant de décoller ; une approche technocratique de la gestion et du développement institutionnels, qui part de lřidée que la modernisation passe obligatoirement par un mimétisme à lřégard de la civilisation occidentale ; et une conception ethnocentrique de la culture fondée sur lřidée que toutes les sociétés doivent tendre à épouser les mêmes valeurs que celles des pays développés, notamment lřesprit dřentreprise, la recherche du profit maximum, la sécurité matérielle et lřintérêt personnel. La conclusion toute logique de cet ensemble de postulats est que le développement du continent africain devra être impulsé de lřextérieur. Il suffit 2 0 simplement dřorganiser la mobilité des capitaux, de transférer les technologies et les cultures qui les accompagnent. Pour rompre avec cette philosophie, il importe dřanalyser les valeurs socio-culturelles ainsi que les attitudes et comportements des acteurs face à ces valeurs. I/ Les attitudes à l’égard du travail Le travail est à la fois le fondement de la valeur des biens et services et la principale source de la richesse des nations. Ce propos peut être illustré par certains exemples bien édifiants : un exemple religieux : « tu gagneras ton pain à la sueur de ton front », recommandation du Tout-Puissant à Moïse sur le Mont Sinaï ; un exemple de théorie économique : la valeur dřun bien est déterminé par le temps de travail socialement utilisé pour sa fabrication ; des exemples de politique économique : les différentes révolutions industrielles en Europe et dans le Monde se sont déroulées dans des conditions de travail surexploité. Plus édifiant encore sont les « ateliers de sueur » qui ont permis aux pays asiatiques de vaincre le sousdéveloppement dans lřintervalle dřune génération et dřêtre le pôle émergent qui fournira plus de la moitié du surcroît de la production mondiale. La question qui découle de ces exemples est celle de savoir quelle est lřattitude des acteurs sociaux à lřégard du travail ? Trois faits massifs méritent dřêtre soulignés et sérieusement analysés. Le premier concerne les cérémonies familiales et les nombreuses activités de loisirs qui démobilisent tout le corps social et particulièrement sa composante la plus valide : la jeunesse. Le second est relatif à la multiplicité des fêtes officielles qui sont des charges exorbitantes pour les entreprises et partant diminuent, leur compétitivité structurale. Le troisième fait est la faible productivité du facteur travail dans tous les secteurs dřactivité. En prenant le cas de lřagriculture on sřaperçoit que les hommes consacrent au travail 103 jours, soit 600 heures par an et les femmes 155 jours, soit 1.100 heures. Dans les mêmes climats et sur les mêmes sols, le rendement moyen par actif rural et par hectare cultivé est presque 10 fois plus élevé en Asie. Que faut-il alors faire pour promouvoir une société de travail, cřest-à-dire une société qui se construit autour des valeurs qui agissent sur la conscience des citoyens pour leur inculquer en permanence des attitudes favorables au travail productif et créatif. Il faut certainement aller bien au-delà de simples appels à la conscience professionnelle. II/ L’attitude à l’égard du progrès matériel Si nous réduisons le progrès matériel à deux variables fondamentales, lřacceptation des innovations technologiques et lřaccumulation productive, il devient intéressant de savoir si la recherche de ce progrès est tenue pour une finalité de lřactivité des citoyens sénégalais. Pour ce qui est des innovations, la réceptivité des sénégalais est presque parfaite : vivacité dřesprit, intelligence ouverte à toutes mutations, très forte propension à lřinitiation, système éducatif et de formation de bon niveau. Toutes ces raisons font que la dotation de notre pays en ressources humaines est une des meilleures en Afrique 2 0 francophone. Cette situation est renforcée par la présence dřune Université qui est aujourdřhui un des pôles de compétence et dřexcellence de la sous-région. Concernant lřautre volet du progrès (à savoir lřaccumulation), elle soulève les questions suivantes : la richesse est-elle source de consommation, moyen de prestige ou instrument de progrès économique par accumulation et investissement ? Commençons par élucider le lien entre accumulation et développement. Notre pays a besoin dřune croissance rapide, accélérée, harmonieuse et aux taux le plus élevé possible compte tenu des ressources disponibles. Or, le taux de croissance est une fonction directe du taux dřaccumulation, donc de lřépargne. En conséquence, il ne peut exister de développement sans une conciliation entre les capacités de génération et dřabsorption des surplus. Historiquement, les richesses qui se formaient étaient systématiquement détruites par des mécanismes divers (cérémonies, legs, dons, …) ; cela pour maintenir la cohésion et empêcher toute différenciation sociale remarquable. Cette tradition sřest renforcée aujourdřhui entraînant une véritable dilapidation des ressources à lřoccasion de cérémonies de tous ordres. Lřinterférence de deux valeurs lřune traditionnelle et lřautre moderne le « pouvoir dřachat » entraîne une surenchère dans les dépenses somptuaires qui finissent par liquider ou amoindrir les capacités dřépargne des individus. Les ressources publiques comme celles provenant de la corruption seront détournées par les individus au profit de la famille élargie ou des groupes ethniques. La conséquence est que lřépargne sera faible ainsi que les possibilités de financer les investissements personnels. Il nous faut réfléchir sur les expériences des pays asiatiques dont le mode dřorganisation sociale nřest pas trop éloigné du notre. Lřindividu y acquiert son identité par son appartenance à la famille. La société est un tout où lřindividu, quel quřil soit, est enfermé dans un réseau de relations préétablies. Toutefois, les relations interpersonnelles sont très fortement hiérarchisées si bien que chacun cherchera à établir des liens sociaux verticaux (de supérieur à inférieur), plutôt quřhorizontaux (entre égaux). Selon la formule de CONFUCIUS « Que le prince soit prince, que le sujet soit sujet, que le père soit père et que le fils soit fils ». Dans ces sociétés asiatiques, les taux dřépargne sont très élevés car les agents économiques considèrent, dans un premier temps, que les surplus de revenus quřils obtiennent sont provisoires et quřil vaut mieux les mettre de côté pour les temps difficiles. Différemment, le système africain, par ses réseaux de solidarité, offre un filet permanent de sécurité sociale. Comment ajuster les comportements dřépargne des individus pour quřils soient dřune part plus favorables à lřinvestissement et dřautre part mieux corrélés aux risques et à lřincertitude ? Comment imposer un civisme dans la gestion des ressources individuelles ? Faut-il agir sur le modèle de consommation, sur lřenvironnement social ou sur les incitations ? III/ L’attitude à l’égard du temps La question est importante. Il sřagit de savoir si le temps est un élément sur lequel lřhomme nřa aucune prise ou alors si le temps est un bien rare qui doit être aménagé et qui a un prix. Dans la société sénégalaise dřaujourdřhui, cřest la première perception qui prévaut, ce qui se traduit par un attentisme dans lřélaboration comme dans lřexécution des décisions. 2 0 IV/ L’attitude à l’égard de la corruption Cette question est décisive dans les économies de marché où la transparence devrait permettre un fonctionnement efficace des relations marchandes et des règles de compétition. Les Institutions Financières Internationales sřintéressent bien après les théoriciens, à lřéconomie politique de la corruption. Analysant ce phénomène, un auteur comme le Prix Nobel G. BECKER estime quřil sřagit de la confrontation dřune offre et dřune demande selon les principes de lřéconomie du crime qui permet à des individus de disposer dřavantages indus sans payer ou dřune rente de situation. Les contractants comparent les gains probables et les risques potentiels. En revanche, pour la société comme pour les citoyens la corruption impose des coûts moraux, politiques, sociaux et économiques. Ces coûts économiques se traduisent par le gaspillage des fonds publics, lřoctroi de rentes de situation parasitaires, la concurrence déloyale pour les entreprises, des pertes de revenus budgétaires et de crédibilité pour lřensemble du système social. Par ailleurs, elle remet en question lřégalité de traitement des citoyens et lřégalité des chances des entreprises en régime de concurrence. En conséquence, si on laisse la corruption sřincruster et se développer, il va se former des échanges sociaux complexes avec des réseaux qui vont viser à sécuriser les transactions délictueuses hors marché au détriment de lřéconomie nationale. Que convient-il de faire ? Souvent les sociétés démocratiques organisent des mobilisations anti-corruption en appelant au civisme et aux valeurs républicaines. Est ce suffisant ? V/ L’attitude à l’égard de l’État et du service public Les économistes ont beaucoup discuté ces dernières années sur les fonctions de lřÉtat avec la critique de lřinterventionnisme par les institutions financières internationales. À la limite, lřÉtat doit se cantonner à un rôle de veilleur de nuit sur lřéconomie nationale. Il devrait se recentrer sur deux fonctions principales : lřune de production des externalités positives, à savoir la sécurité, lřéducation, la santé, lřenvironnement, et lřautre de corrections des dysfonctionnements des marchés. Cependant cette analyse est très partielle car lřÉtat est un instrument irremplaçable dans le développement économique et social. En Asie, il a joué un rôle massif et efficace dans lřorganisation de lřéconomie et dans lřallocation des ressources vers des projets porteurs. Les problèmes qui sont soulevés concernent plutôt lřÉtat africain qui accuse en vérité une faillite instrumentale par suite dřune marginalisation par le haut de la part du système mondial et dřune précarisation par le bas par le secteur informel. La faillite est aussi financière et se manifeste dans le déficit budgétaire chronique, le déficit du secteur public, lřendettement interne et externe. À la racine du mal on découvre le caractère patrimonial et prédateur du système étatique, du fait des comportements anti-civiques vis-à-vis des biens collectifs. À plusieurs occasions les hommes politiques dénoncent cette situation sans réussir à éliminer les malversations financières, la gestion non transparente et gabégique du secteur public, la démultiplication des passe-droits, la promotion et la protection de lřincompétence, la violation des règles dřune compétition stimulante, etc. Pour sûr, de tels comportements conduisent le pays à la ruine. 2 0 La formule consacrée est aujourdřhui la bonne gouvernance qui est un moyen et un objectif de développement garantissant la participation populaire, la stabilité politique, le développement institutionnel et le respect des droits de lřhomme. Les réformes et lřamélioration de lřéconomie sont donc indissociables des réformes de lřEtat et de son système de gouvernance. Sous ce rapport, les questions essentielles qui se posent au niveau de la gouvernance ont trait à : une organisation plus efficiente du secteur public, plus responsable, plus transparente et plus axée sur la satisfaction des besoins des populations ; une organisation et une gestion plus efficiente des ressources humaines ; un renforcement des capacités de formulation des politiques gouvernementales et de suivi de leur application ; un renforcement des systèmes de contre-pouvoirs (pouvoir législatif, judiciaire, société civile, groupe de pression) afin de leur donner la capacité de suivre et dřévaluer les politiques élaborées et appliquées ; un renforcement de lřétat de droit et des libertés fondamentales. La bonne gouvernance ainsi analysée appelle un ensemble de comportements civiques des citoyens concernés par la chose publique. Il reste beaucoup dřautres attitudes importantes qui devraient être analysées comme par exemple celles concernant la confiance qui facilite les transactions entre agents économiques et celles relatives à lřacceptation des décisions dans un système démocratique ou également « le patriotisme économique ». 2 0 2 0 Figure 13 FACTEURS HUMAINS FACTEURS MATÉRIELS Environnement très contraignant Contraintes socioculturelles Croissance très rapide de la population Manque de technologies appropriées et Manque de capital humain Manque d’infrastructure de base Contraintes Politiques Déficit Epargne et capital financier Mauvais fonctionnement des Institutions : Politiques de prix inadéquates Etat- Marché Evolution des marchés mondiaux FACTEURS ECONOMIQUES 2 0 Section 3 : Techniques sousdéveloppement de quantification du Un phénomène aussi complexe que le sous-développement est-il mesurable ? Beaucoup dřauteurs se sont essayés à trouver des indicateurs de mesure qui soient précis et quantifiables. I/ La critériologie Les premières tentatives sont réalisées par Yves LACOSTE 109 sous le nom de critériologie. Cette méthode selon J. FREYSSINET est née « dřune volonté dřobjectivité et dřempirisme, elle veut se débarrasser de tout préjugé scientifique, de tout postulat de valeur implicite pour se consacrer à lřobservation des faits. Cette méthode présente un double intérêt. En premier lieu, face à lřenchevêtrement souvent souligné des facteurs, la critériologie réalise une sélection et une mise en œuvre des facteurs communs à tous les pays sous-développés et, parmi ces facteurs, sélection de ceux qui sont jugés essentiels. En second lieu, la critériologie répond à un souci dřobjectivité, sřopposant à la partialité des analyses doctrinales.» La critériologie devrait fournir une base commune à tous les économistes quelle que soit leur orientation idéologique »110. Ces critères sont au nombre dřune quinzaine pouvant se classer en 6 catégories : les critères liés à la production et concernent la prééminence des activités agricoles et minières, lřhypertrophie des activités tertiaires, la faible industrialisation, la faible productivité, les techniques de production arriérées, etc. critères dřordre démographique ; taux élevé de natalité, de fécondité et de mortalité, explosion démographique, jeunesse de la population, etc. les critères relatifs à la consommation : faible consommation dřénergie, faible niveau de consommation alimentaire, etc. critères sociaux : structures sociales déséquilibrées avec faiblesse des classes moyennes, structures sociales désarticulées avec absence de mobilité sociale verticale, faibles niveaux de revenus, des infrastructures sanitaires, pauvreté de masse, chômage endémique affectant surtout les jeunes, précarité de la condition féminine, etc. critères politiques : détérioration de lřespace politique, faible démocratisation, régimes autoritaires, administration inefficiente et corruption, etc. critères dřordre spatial : territoires désarticulés. 109 110 Yves LACOSTE:Les pays sous-développés J. FREYSSINET : op.cit. p15 2 0 Encadré 9 : Les indicateurs du développement L’Arithmétique Politique fondée par William PETTY , établissait en "nombres, poids, mesures" la richesse relative des nations… sous le contrôle attentif des princes. Avec la naissance des comptabilités nationales, le développement comparé des nations s'évalue à coup d'agrégats macroéconomiques (Produit national, Disponibilité alimentaire globale...) et détermine les rapports macro- géographiques: Nord/ Sud, Tiers-Monde, Pays Moins Avancés, etc. En apparence, ce type d'évaluation a peu de sens sur le plan micro-économique: comment savoir que vous êtes plus sous- développé que moi ? Néanmoins, compte tenu de nouvelles exigences éthiques, les indicateurs du développement désignent autant la réussite économique d'une nation que l'amélioration du bienêtre d'une ou plusieurs personnes. Sur cette base macro et microéconomique, ces indices sont produits exclusivement par les grandes institutions du développement qui les inscrivent à la fois dans le passé par leurs constats, dans le présent par les modes de l'expertise dans le futur comme impératif suprême. Faut-il se contenter des indicateurs des institutions de développement ? Ces indicateurs sont dérivés de leurs conceptions théoriques, par exemple en matière de compétitivité internationale ou de développement humain. Depuis 1990, il existe une intense compétition sur le "marché des indicateurs" entre la Banque Mondiale et le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD). Ainsi le rapport du PNUD de 1992 est un modèle de contestation à la fois du FMI et de la Banque Mondiale. La première institution n'a pas exercé son autorité vis à vis des pays riches mais a abusé de la conditionnalité vis à vis des pays pauvres. La Banque n'a pas su être l'intermédiaire financier capable de recycler les excédents des pays riches en faveur du développement des pays pauvres. Réciproquement la Banque accuse le PNUD de normer son Indice du Développement Humain (IDH ) sur le niveau des pays les plus riches. Mais le développement ne passe pas forcément par les institutions. En considérant la pauvreté comme un des symptômes majeurs du sous développement, les agents économiques concernés n'attendent pas passivement les projets des experts et réagissent stratégiquement aux contraintes de leur milieu. Existe t-il des indicateurs du développement révélés ou décentralisés ? On peut ainsi distinguer le catalogue des indicateurs de développement autour du PNB, la recherche d'une vision synthétique du développement humain, et s'interroger enfin sur l'opposition entre les conceptions normatives du développement "décrété" et les paradoxes du développement "révélé". François Régis Mahieu II/ Les critères de la comptabilité nationale Parmi les indicateurs utilisés pour mesurer le sous-développement, on repère deux indices de la comptabilité nationale qui, principalement, a pour objet de représenter de façon simplifiée lřensemble des opérations qui se déroulent dans le cadre de lřactivité économique dřun pays. Ces deux indicateurs sont le Produit Intérieur Brut et le Revenu National. Ces deux indicateurs se retrouvent dans tous les Rapports des Institutions Financières internationales comme la Banque mondiale, le FMI et le PNUD et sont qualifiés dřinstruments fiables de mesure permettant une comparaison internationale du niveau dřactivités économiques et sociales des pays. Le sous-développement est alors repéré par un niveau faible du PIB ou du RN par tête dřhabitant. Ainsi tous les pays ayant un revenu national inférieur à 500 dollars rentrent dans la catégorie des PSD. Toutefois, le PNUD se démarque de plus en plus de cette appréciation et privilégie lřIndice de Développement Humain Durable qui est 2 0 annuellement calculé pour tous les pays membres de lřONU et qui sont classés en conséquence par le niveau que prend cet indicateur. À partir de cette méthode, la Banque mondiale établit un classement des pays en quatre groupes : le groupe de pays à faible revenu ayant moins de 785 dollars, le groupe de pays à revenu intermédiaire compris entre 786 et 3125 dollars, le groupe de pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure entre 3126 et 9655 dollars, le groupe de pays à revenu élevé au-delà de 9656 dollars. Quelle est lřorigine de ces indicateurs et surtout, ont-ils le degré de fiabilité et de pertinence qui leur est accordé ? 1°) le Produit Intérieur Brut (PIB), l’étalon international de mesure du niveau des activités économiques et sociales. Lřagrégat Produit National concerne plus précisément la production finale qui se rapporte à la valeur de lřensemble des biens et services produis et non utilisés à des fins de consommation intermédiaire productive. Autrement dit, il sřagit de lřensemble des richesses créées et affectées aux différentes utilisations finales (Consommation Finales, FBCF, variation des stocks, exportations)111. Ainsi peut-on écrire la relation suivante : Production Finale= CF+Investissements +Exportations nettes avec CF = Consommation Finale Investissements=FBCF+Variation des stocks Exportations nettes=Solde positif ou négatif de lřExcédent des Exportations sur les Importations. Le deuxième membre de cette égalité constitue la Demande finale qui recouvre tous les emplois en biens et services sauf la consommation intermédiaire. Dřun autre point de vue, cette production finale (qui exclut les utilisations intermédiaires productives) peut se concevoir comme représentant la sommation de la contribution productive nette de tous les secteurs institutionnels à la formation du produit global ; or cette contribution productive étant constituée par la valeur ajoutée du secteur, cela permet la deuxième relation suivante : Production Finale=Somme des Valeurs ajoutées Brutes marchandes et non marchandes Cette optique permet alors de calculer le Produit Intérieur Brut PIB =VAB (marchande et non marchande) + TVA grevant les produits +Droits de douane et taxes assimilées -Ajustement pour services bancaires imputés Dès lors, dans la sphère réelle on dispose de trois méthodes dřévaluation du Produit Intérieur Brut112 : Moustapha KASSÉ : « Éléments de Comptabilité Nationale », Polycopie de 1 ère Année de Sciences Économiques, FASEG, Dakar, 1994 112 André MARTENS-B. DECALUWE : Le cadre comptable macroéconomique et les pays en développement HMH, Canada 1996, p. 35 111 2 0 D’abord la Valeur ajoutée Valeur ajoutée=Valeur de la production- Dépenses intermédiaires afférentes à cette production Le Produit Intérieur Brut PIB= somme des valeurs ajoutées des activités PIB= somme des revenus distribués dans lřéconomie Le Produit Intérieur Brut PIB=somme des dépenses finales Encadré 10: Les problèmes liés à la mesure par le PIB Le PNB est toujours le principal indicateur malgré les critiques habituelles ayant trait à la distribution, la sous-estimation des services, la non prise en compte des activités non marchandes, la dégradation du capital écologique ou humain. Des critiques plus récentes montrent que l'augmentation du PNB peut diminuer le bien-être, soit à court terme (en aggravant le sort des plus pauvres) ou à long terme en dégradant la qualité de l'environnement et plus généralement de la vie. La relation PNB/ population doit être appréciée en fonction des deux éléments de la relation. À une richesse relativement faible du point de vue du PNB devrait être associée la richesse de la population (il n'est de richesse que d'hommes). Comment dès lors laisser des pays comme la Chine et l'Inde au milieu des pays les plus pauvres de la planète ? À un PNB très faible, peut correspondre un optimum, soit un état d'équilibre réalisable, préféré à tous les autres. Un développement décrété peut très bien se traduire par des situations sub-optimales par rapport à la situation précédente. En d'autres termes, les compensations du développement (l’augmentation du revenu national) ne rétablissent pas la mise en cause des préférences individuelles. D'autre part, il faut estimer ce PNB dans une unité de compte internationale, à savoir le $ US au risque de nombreuses distorsions. La correction la plus fréquente consiste à utiliser la Parité de Pouvoir d'achat (PPA). Le principal problème dans une économie ouverte tient à la prise en compte des prix (l’économie est fatalement price-taker). Comment calculer un PNB en dollars à partir des données en monnaie locale ? On propose alors, au moyen de la parité des pouvoirs d'achat (PPA) de corriger le PNB évalué au taux de change nominal par les prix et plus généralement par des facteurs de conversion. La Parité des Pouvoirs d'Achat équivaut au nombre d’unités d'une monnaie étrangère requises pour acheter les mêmes montants de marchandises et services sur un marché d'un pays donné qu'un dollar achèterait aux USA. Encore faut-il parier sur une valeur d'échange incontestable entre les deux marchandises, ce que contestait déjà RICARDO (1817). La PPA permet un premier reclassement qui favorise les USA (par définition), les NPI et un certain nombre de "petits" pays (Suisse, Belgique, Autriche, Luxembourg). Mais le calcul est déjà fluctuant et le calcul en PPA apporte quelquefois des surprises médiatiques, pouvant très bien faire apparaître la Chine ou la Russie dans les cinq premières "puissances" économiques mondiales ( Cf. la base des données du CEPII in fine.) Source : François Régis Mahieu 2°) le revenu national. En reprenant le tableau général des comptes intégrés des secteurs institutionnels, on observe quřà partir de la VAB et des subventions dřexploitation éventuellement reçues, sont assurés le règlement des salaires (y compris les charges sociales) ainsi que le paiement des impôts liés à la production. Ensuite lřEBE (excédent 2 1 brut dřexploitation) ainsi obtenu, avec lřapport éventuel de certains revenus complémentaires, servira à payer les dividendes, les intérêts, les loyers, les impôts sur le revenu et sur le patrimoine, les primes dřassurance, etc. Ainsi le compte dřexploitation et le compte de revenu des sociétés et quasi-sociétés non financières montrent comment la valeur ajoutée, cřest-à-dire la contribution des entreprises au produit intérieur, est répartie entre divers groupes dřagents économiques. Cette valeur ajoutée constitue donc la source des revenus des agents économiques. Ce qui permet dřécrire : Somme des Valeurs ajoutées= Somme des Revenus créés par la production Or, on avait démontré précédemment que Somme des Valeurs ajoutées=Production Finale. Alors dans lřoptique du revenu de la comptabilité nationale, on peut écrire : Production Finale=Somme des revenus créés par la production Au niveau du TEE, le calcul sřeffectue de la manière suivante : PIB =Rémunération des salariés +Impôts liés à la production et à lřimportation +EBE -Subventions dřexploitation De cette échelle de revenus, le circuit devrait se refermer par lřanalyse de la dépense, bien que cet indicateur ne bénéficie dřaucune importance. Étant donné que les utilisations finales faites de la production finale (somme des valeurs ajoutées) sont en valeur, elles constituent alors les dépenses des agents économiques. Cřest du reste ce qui justifie lřexpression optique de la dépense qui permet de décrire les relations suivantes : Production finale = somme des Dépenses à caractère finale De ce point de vue, on procède au niveau du TEE (Tableau économique dřensemble) pour la détermination du PIB de la manière suivante : PIB= Consommation finale +FBCF +Variations de stocks +Exportations de biens et services -Importations de biens et services En somme, le PIB ainsi calculé étant identique dans les trois méthodes dřévaluation, on remarquera que les trois optiques de la comptabilité nationale représentent en fait trois points de vue différents sur une même réalité. En effet, cřest au cours du processus productif que se forment les revenus et les emplois faits des biens et services ainsi créés, exprimés en valeur et qui forment les dépenses des agents économiques.113 3°) Ces instruments de mesure ont-ils le caractère infaillible et pertinent qui leur est prêté ? Ce nřest pas lřobjet de notre propos mais il faut souligner que la Comptabilité nationale nřest pas un instrument neutre et présente dřinnombrables limites techniques et même idéologiques surtout quant elle est appliquée aux PSD dont les économies sont désarticulées, déséquilibrées et les marchés touchés de part en part de 113 Moustapha KASSÉ : op.cit. Pp54 et suivantes 2 1 multiples distorsions qui leur donnent toujours un fonctionnement imparfait. Selon J. MARZEWESKI, la comptabilité nationale est à la fois utile à la théorie économique et indispensable à la politique économique des États. Lřinterdépendance de plus en plus étroite qui sřétablit entre ses agents fait quřune économie moderne ne peut fonctionner quřà condition de disposer dřun mécanisme de coordination. Or, le jeu du marché est souvent faussé, obligeant lřÉtat à prendre à sa charge la tâche ingrate mais indispensable dřarbitre général.114La comptabilité nationale est le produit de lřanalyse néo-classique qui situe dans le marché (au sens large) le point de départ et le point dřarrivée de lřactivité économique et donne de ce fait une définition particulière des sujets et des rapports de production. Dans cette optique, observe une critique de la CN, « comme lřactivité économique y est censée avoir pour objet, la satisfaction de ses besoins ou de ceux des autres (production pour la consommation), le personnage essentiel en est le consommateur, défini par un revenu, un pouvoir dřachat (contrainte budgétaire). Les rapports qui sřétablissent entre les hommes pris comme une collection dřindividus, sont des rapports de comparaison des besoins et des possibilités de les satisfaire en fonction de la plus ou moins grande rareté des biens et services disponibles révélés par les quatre grands marchés des biens et services, du travail, de la monnaie et de change. La société ainsi décrite est une société sans classes, sans groupes dřaucune sorte, où les individus exercent tour à tour des fonctions de production, de consommation, dřépargne, dřinvestissement, etc.»115 Il existe des remarques plus techniques encore, relatives au cadre comptable, à la définition des agents économiques, aux comptes et à leur articulation, au secteur financier et à lřallocation par les marchés. À ces limites viennent sřajouter dřautres propres aux structures des PSD : caractère désarticulé de lřéconomie, les trop fortes inégalités de revenu, lřimportance des relations hors marchés (autoconsommation), les multiples distorsions des marchés et la montée dřune nébuleuse : le secteur informel. Lřinsuffisance de lřappareil statistique de collecte et de traitement des données vient couronner cette kyrielle dřinsuffisances qui appelle une utilisation prudente des indicateurs de la CN. III/ Les critères du développement humain À partir de son Rapport de 1994, le PNUD va jouer un rôle déterminant dans la réflexion théorique, la conception et la définition de la problématique du développement. Ce Rapport en dissociant le cycle de la croissance de celui du développement, marque un tournant significatif dans la rupture avec lřéconomisme dominant. Il est observé que «le nouveau paradigme du développement devra être axé sur les gens, considérer la croissance comme un moyen et non comme une fin, préserver les perspectives offertes aux générations actuelles comme aux générations futures, et respecter les écosystèmes dont dépend lřexistence de tous les êtres humains. Ce paradigme du développement doit permettre à tous les individus de développer pleinement leurs capacités pour les utiliser au mieux dans tous les domaines : économique, social, culturel et politique». (PNUD, 1994). Lřhomme est ainsi replacé au cœur de la logique du développement. Désormais, la qualité de la vie dřune population ne se réduit plus à lřimportance de son PIB. Le contenu de ce dernier, la façon dont il est réparti avec plus ou moins dřinégalités, la 114 115 J MARZEWSKI : La Comptabilité nationale, Édit. Cujas J.C. DELAUNAY : Essai marxiste sur la Comptabilité nationale, Édit. Sociales. 2 1 capacité de chacun à pouvoir accéder aux services de base que sont lřécole, la santé, le logement ou lřeau courante et la qualité des services en question, tous ces éléments jouent autant, sinon davantage que le simple niveau du PIB. 1°) Définition et structure de l’IDH Le développement humain étant défini comme étant le processus d'élargissement des possibilités s'offrant aux individus de la collectivité (une longue vie, une bonne santé, une accession à la connaissance, aux biens matériels, à l'emploi et au revenu) pour un niveau de vie décent. Toute mesure du niveau du développement humain atteint par cette collectivité doit tenir compte nécessairement de ces différents éléments. Lřindicateur du développement humain (IDH) sera alors un indice composite qui apprécie la situation moyenne dřun pays à partir de trois dimensions représentées à travers : le niveau de longévité exprimé par lřespérance de vie à la naissance le niveau dřéducation mesuré aux 2/3 par le taux dřalphabétisation et au 1/3 par le taux de scolarisation toutes catégories confondues ; et le niveau décent évalué par le revenu par habitant exprimé en francs constants, cřest-àdire corrigé des différences de pouvoir dřachat (PPA). Pour calculer l'indice du développement humain (IDH) pour une population ou une catégorie de population donnée, on doit disposer de ces trois variables: soit X1 la mesure de la longévité et de la bonne santé de cette population: l'espérance de vie à la naissance étant la variable la plus appropriée au stade actuel de la recherche pour refléter cet aspect du développement humain; X2 l'acquisition des connaissances: le taux de scolarisation et celui d'alphabétisation; et X3 la richesse de la population: le revenu. Pour le calcul de l'IDH, on définit pour chacune des ces variables un seuil (ici on a retenu le maximum et le minimum) jugé acceptable au sein de la population à étudier. Puis on calcule pour chaque individu j de la population la valeur des écarts ou le manque (en pourcentage) pour chaque variable i par rapport au seuil défini (indice Iij). Pour chaque individu j on fait la moyenne arithmétique simple (Ij). Alors l'IDH; l'indicateur recherché pour l'individu j est égal à la différence par rapport à l'unité de cette moyenne Ij : La 1ère étape On calcule pour chaque catégorie de la population un indicateur de manque (I ij) par rapport à chaque variable. Cet indicateur est défini comme suit: I ij = ( max X ij - X ij ) ( max X ij - min X ij ) 2 1 La 2ème étape Pour chaque tranche j de la population, on calcule la moyenne arithmétique simple des indicateurs Iij de manque sur les trois variables X1, X2 et X3; soit Ij La 3ème étape Alors l'indice du développement humain (IDH) pour la catégorie j de la population est égal à: (IDH)j = 1 - Ij Modalités de calcul de l’IDH Des valeurs minimales et maximales ont été fixées pour chacun des indicateurs cités plus haut: Espérance de vie à la naissance: 25 ~ 85 ans; Alphabétisation des adultes: 0% ~ 100% ; Taux de scolarisation: 0% ~ 100% ; PIB réel par habitant: 100$ ~ 40.000$ Les indicateurs qui entrent dans la composition de l'IDH se calculent selon la formule générale: IDH = (val. réelle xi - val. minimale xi)/(val. maximale xi - val. minimale xi) Par exemple, si l'espérance de vie à la naissance est de 47,7 ans au Sénégal, la valeur de l'indicateur d'espérance de vie du Sénégal sera alors : (47,7 - 25)/(85 - 25) = 0,378 La composition de l'indicateur de revenu est un peu plus complexe. La valeur du seul (y*) est fixée au revenu mondial moyen de 1992, soit 5120 dollars en PPA (parité pouvoir d'achat), et tout revenu supérieur à ce seuil est ajusté en appliquant la formule de l'utilité marginale décroissante du revenu : W(y) = y* pour 0<y<y* = y* + 2[(y-y*)1/2] pour y*£y£2y* = y* + 2(y*1/2) + 3[(y-2y*1/3] pour 2y*£y£3y* La valeur corrigée du revenu maximum de 40.000$ PPA se calcule comme suit: W(y) = y* + 2(y*1/2) + 3(y*1/3) + 4(y*1/4) + 5(y*1/5) + 6(y*1/6) + 7[(40.000 - 6y*)1/7] Selon cette formule, la valeur corrigée du revenu maximum de 40.000$ PPA s'établit à 6311 PPA. Le principal problème est quřelle opère une très forte correction du revenu au delà de la valeur de seuil, ce qui pénalise de fait les pays dans lesquels le revenu est 2 1 supérieur à cette valeur. Cřest pour cette raison que des perfectionnements ont été apportés pour le traitement de la variable revenu afin de remédier à ce problème. Cřest ainsi que lřindicateur du revenu est calculé selon la formule suivante : W(y) = (LOG(y) – LOG(ymin)) / (LOG(ymax) – LOG(ymin)) Cette façon de procéder comporte plusieurs avantages. Tout dřabord, la correction du revenu est moins sévère que la formule utilisée précédemment. Ensuite, elle sřapplique à tous les niveaux de revenus et non à ceux qui dépassent un certain seuil. Enfin, elle évite de pénaliser les pays à revenu intermédiaire. L'IDH est alors la moyenne arithmétique de la somme des indicateurs de durée de vie, du niveau d'éducation et du PIB réel corrigé par habitant 2°) Le classement des pays selon l’IDH. Quels enseignements peuton tirer de l’IDH annuellement calculé par les RMDH. Pendant une bonne décennie, les Rapports Mondiaux sur le Développement Humain (RMDH)116 se sont attelés à la conception et à la construction dřindicateurs de mesure et de comparaison des niveaux de pauvreté et de développement humain dans le monde qui dépassent le cadre restrictif du PNB. Lřélaboration de ces indicateurs a permis de mesurer lřénorme retard des pays dřAfrique subsaharienne en matière de développement humain et conséquemment, lřétat de leur pauvreté. Tableau 13 : Indicateurs économiques et sociaux dans le monde PIB/hbt en 1998 Espérance de Taux IDH vie (en francs dřalphabétisation français de 1999) (en années) des plus de 15 ans (en %) Pays de lřOCDE 134 000 76,4 97,4 0,89 Europe de lřEst et 40 900 68,9 98,6 0,78 CEI Amérique Latine 43 000 69,7 87,7 0,76 Asie de lřEst 23 500 70,2 83,4 0,72 (Chine incluse) Pays arabes 27 300 66 59,7 0,63 Asie du Sud (Inde 13 900 63 54,3 0,56 incluse) Moustapha KASSÉ : Consultation pour le PNUD sur « Le Rapport Mondial sur le Développement Humain : quelques éléments de réflexion sur sa pertinence pour lřAfrique subsaharienne » 116 2 1 Afrique 10 600 48,9 58,5 subsaharienne Ensemble du 43 000 66,9 78,8 monde Source : Rapport mondial sur le développement humain, 2000 0,46 0,71 Le RMDH de 2000 révèle ainsi que lřIDH de lřAfrique subsaharienne atteint en moyenne 0,46 ; ce qui traduit un gap de 0,536 en matière de développement humain. Depuis 1990, environ 35 des 50 pays classés derniers en fonction de lřIDH sont africains. Compte tenu de lřaggravation de la pauvreté et des inégalités dans le monde, et particulièrement dans les PVD, il apparaît aujourdřhui nécessaire dřaller au-delà de lřaspect statistique des analyses menées pour adopter une démarche dynamique qui fasse le lien entre ces indicateurs de qualité de vie et le profil de la croissance économique. Cela renvoie aux différents acteurs pouvant améliorer le niveau des indicateurs. En effet, on peut difficilement nier quřil est plus facile dřêtre en bonne santé dans un pays riche que dans un pays de lřOCDE : lřensemble des pays de cet espace affiche un niveau dřIDH plus élevé (0,9 soit 10 % en dessous du meilleur niveau). En revanche, pour la quarantaine de pays les moins avancés du point de vue du revenu par tête, lřIDH moyen est à 0,44. De plus, on constate que les vingt pays où lřIDH a reculé depuis 1990 sont tous des pays où le revenu par tête a également diminué, à lřexception du Botswana. On ne peut arguer quřil existe forcément un lien de cause à effet. Seulement, la pandémie du sida qui frappe massivement lřAfrique subsaharienne provoque à la fois une chute de lřespérance de vie et une baisse de la capacité productive des pays concernés. Alors quřà lřinverse, les pays où lřIDH a le plus augmenté sont aussi ceux où la croissance du revenu par tête a été particulièrement forte, telle la Corée du Sud. 2°) Quelles sont les limites de l’IDH ? Dřabord, lřétat actuel des statistiques montre que les bases de données sociales sont inexistantes ou alors totalement dérisoires. Les deux premiers indicateurs peuvent être évoqués pour illustrer les problèmes liés à la qualité des données, et le dernier à sa significativité quand on sait que non seulement les revenus et leur répartition sont inconnus mais que les activités du secteur informel pouvant aller jusquřà 60% du PNB sont non prises en compte dans lřévaluation de lřindice. Le PNUD nřutilise que les données disponibles. Toutefois pour avoir lřespérance de vie à la naissance, il faut disposer dřune table de mortalité récente qui se calcule lors de lřanalyse des données de recensement. Cependant la plupart des pays Africains nřont pas respecté la périodicité décennale des recensements, par exemple le dernier recensement du Togo date de 1984, celui de la République démocratique du Congo date de 1984, celui du Cameroun date de 1987, celui du Sénégal date de 1988 pour ne citer que ceux-là. On a besoin des effectifs de la population récente pour avoir le dénominateur de la plupart des indicateurs qui rentrent dans le calcul de lřIDH. Les effectifs sont obsolètes, ce qui augmente lřimprécision de la qualité des résultats. Ensuite, à lřéchelle globale, lřIDH présente un grand intérêt en ce quřil permet de classer les pays, mais au plan strictement intérieur, il demande des corrections multisectorielles. Si par exemple un pays est dernier du point de vue de lřIDH, sur quelle variable devra-t-il sřappuyer pour redresser sa situation ? Il existe dřautres indicateurs spécifiques du développement humain : pour mieux faire ressortir les 2 1 disparités entre sexes ou inégalités de genre, les indicateurs de base (espérance de vie à la naissance, alphabétisation et taux de scolarisation, revenus) ont été ajustés en tenant compte des écarts entre hommes et femmes. Enfin, une limite de lřIDH est lřimportance secondaire accordée aux revenus dans le calcul de lřindice. En prenant lřexemple de la France et de lřArgentine, le premier pays a un revenu de 18430 dollars par habitant (corrigé PPA) avec une note de 0,948 et le second pays a un PIB de 5120 dollars avec une note IDH de 0,948. La différence de 13310 entre ces deux pays se réduit à 225 dollars une fois lřajustement réalisé. En fait, la déflation des revenus rend lřindice très peu expressif. En définitive, il apparaît nettement que lřIDH est un instrument de comparaison internationale. Toutefois, il ne permet pas de savoir quelle est sa composante qui sera la cible du programme pour améliorer le niveau ou le classement du pays dans la hiérarchie internationale établie. Si lřindicateur est performant pour faire des comparaisons entre pays, il lřest moins au niveau opérationnel dans le pays. On sait que dans tel pays, ou tel district sanitaire, la qualité des soins est mauvaise, mais on ne sait pas sur quelle variable jouer pour améliorer la qualité des soins (7). Encadré 11 : Un indice synthétique de bien-être économique soutenable ? La notion de "développement soutenable" a été introduite en 1987 par la commission mondiale sur l'environnement et le développement dans son rapport sur " Our common future". Après que la Banque Mondiale lui ait consacré son rapport sur le développement de 1992, l'écologie sera sans doute l'une des principales entrées de l'IDH. Le rapport sur le développement humain tente de donner quelques indices sur l'environnement et la pollution mais ceux-ci restent épars dans les premières versions. Les problèmes du " développement soutenable" sont analysés dans le rapport annuel du World Resources Institute des Nations Unies sans pour autant fournir un indice synthétique. À ce titre, l'indice du développement économique soutenable ( Index of Sustainable Economic Welfare, ISEW) de Herman Daly et John Cobb tente de mesurer le bienêtre économique à long terme en corrigeant l'indicateur de la consommation des ménages par des facteurs environnementaux et sociaux. Cet indice renforce le constat pessimiste sur la divergence entre la croissance économique et le bien-être. Il permet de pénaliser les pays les plus destructeurs du cadre de vie. Par exemple, le Royaume-Uni n’a pas augmenté son ISEW depuis 1950 malgré une augmentation du PNB de 200 %. François R. MAHIEU 2 1 CHAPITRE 11 : DÉMOGRAPHIE ET URBANISATION ACCÉLÉRÉE : FREIN OU CHANCE DU DÉVELOPPEMENT « Avec 5 milliards et demi répartis pour un quart dans les pays riches et trois quarts dans les pays pauvres, nous avons déjà d’énormes problèmes. Qu’en sera-t-il demain avec à peu près la même population dans les pays riches mais 4 à 5 milliards de plus dans les pays pauvres ? Ce rapport sera de 1 à 9. Et aux tensions géopolitiques s’ajouteront avec acuité des problèmes écologiques…Face à ce problème certains cherchent une solution démographique. Or, c’est elle qui conduit à 10 milliards en 2050 et à 12 milliards en 2050. Car si rien ne changeait on pourrait être à 70 milliards. » Jacques VALIN117 « Un nénuphar sur un étang double sa surface tous les jours. Sachant qu’il lui faut trente jours pour couvrir tout l’étang, étouffant alors toute vie aquatique, quand en aura-t-il couvert la moitié, dernière limite pour agir ?»… Les riches s’enrichissent et les pauvres ont des enfants….Existe-t-il des limites physiques à la poursuite de l’expansion démographique ? Combien d’êtres humains peuvent être accueillis par notre planète avec quelles conditions d’existence et pendant combien de temps ?». Club de Rome : Halte à la croissance118 La démographie a de tout le temps préoccupé tous les chercheurs en sciences sociales : économistes, philosophes, sociologues et politiques. Cela sřest traduit dans lřextrême variété des doctrines et théories démographiques malheureusement réduites souvent à lřapproche de MALTHUS119 qui su paniquer des générations de personnes sur les effets de lřexplosion des « bouches à nourrir » sur notre propre bien-être. Cette vision contraste avec celle dřA. SMITH qui lie la loi du peuplement avec celle de lřoffre et de la demande. « Cřest ainsi que la demande dřhommes règle nécessairement la production des hommes, comme fait la demande à lřégard de toute autre marchandise : elle hâte la production quand celle-ci marche trop lentement et lřarrête quand elle va trop vite. Cřest cette demande qui règle et qui détermine lřétat où est la propagation des hommes dans tous les pays du monde dans lřAmérique septentrionale, en Europe et en Chine».120 Cřest pourquoi, « Il n'est de richesses que dřhommes » cette idée émise par Jean BODIN (1530-1596) dans un contexte de mercantilisme, révèle toute lřimportance attachée à la question démographique dans la stratégie de création de richesses. Elle sera reprise par différents auteurs à des moments historiques déterminés. LřHomme joue un double rôle : dřun coté il est le bénéficiaire ultime et de lřautre il constitue lřintrant essentiel du mouvement de croissance et de transformation de la production. J.VALIN : Pratiques de fécondité, Revue Histoire de Développement, n° d’octobre 1993. Club de Rome : Ce mot ouvre la préface du Rapport MEADOWS, cette formule de pure logique appelle la limitation des naissances avant quřil ne soit trop tard. 119 LřEssai sur la Population de Malthus, a souvent été interprété en dehors de son contexte de la « Révolution démographique en Europe » au XIXème siècle et sa pression sur lřéconomie. 120 A. SMITH : La richesse des Nations 117 118 2 1 Lřhomme est ainsi placé au cœur du processus de développement économique car les deux entretiennent des rapports très étroits. Pour que le développement économique soit effectif il convient dřorienter la variable démographique par un ensemble de mesures qualitatives et quantitatives à savoir la formation, lřéducation, les politiques natalistes et antinatalistes. Ce qui mène vers les conceptions du capital humain comme composante essentielle des théories de la croissance. Presque tous les économistes, depuis lřÉcole classique jusquřaux contemporains, se sont intéréssés aux problèmes démographiques pour découvrir les logiques dřévolution des populations. Dans sa réflexion sur l'unité et la diversité du Tiers-Monde, Yves LACOSTE en est venu, vers la fin des années 1970, à considérer qu'un critère commun et presque unique unissait ses constituants : l'ampleur de la croissance démographique. Dans les PSDS, ce phénomène n'a jamais eu d'équivalent, la croissance démographique toujours supérieure à 2% par an, elle reste sensiblement inférieure à ce seuil dans le reste du monde. Elle n'a jamais dépassé 1% l'an dans l'Europe du XIXe siècle. À cette époque, la croissance démographique résultait dřune évolution endogène de la société dans sa production, ses techniques médicales et sa pratique de l'hygiène. Pour la plupart des PSD marqués par une explosion démographique, ce phénomène est analysé à la fois comme signe et cause de sous-développement. Dřabord, elle est signe de sous-développement en ce quřelle traduit des attitudes à l'égard de la vie quotidienne, des relations personnelles et sociales (plus de mise dans des sociétés marquées par l'allongement de l'espérance de vie), de l'investissement dans l'éducation ou encore de la sécurité sociale (où l'enfant est coûteux plus qu'utile). Ensuite, elle est cause dans la mesure où elle provoque des tensions supplémentaires dans des économies peu productives où la proportion d'inactifs s'est brutalement accrue, tant par l'accroissement du nombre des personnes âgées que par le fourmillement des enfants : deux conséquences des progrès «importés» de la médecine de masse. Dans les années 70, le Club de Rome sřappuyant sur lřanalyse néo-classique de lřoptimum économique (versus optimum de population) alerte lřopinion mondiale, dans un style extrêmement malthusien, que lřhumanité court à la catastrophe si on ne limite pas les naissances. Les enjeux démographiques sont de nouveau posés en relation avec la croissance et le développement économique et social. La démographie mondiale a connu au fil des temps de nombreuses mutations quřil faut comprendre et intégrer dans les processus de développement. Ces mutations dues à de nombreux et complexes facteurs comme les guerres, les maladies, les calamités naturelles, les progrès de la médecine constituent-elles un avantage ou un handicap pour le développement et la croissance ? Les individus comme les pays nřayant pas le même niveau dřavancement, lřinégalité ainsi observée entraîne des mouvements de populations des pays moins développés vers ceux qui sont plus développés. Cette migration qui prend de plus en plus de lřampleur au cours de ces dernières années se fait entre continents, entre pays, au sein du même pays. Elle est alors un des facteurs de la croissance des grandes métropoles africaines, qui a, par moment atteint 10 % par an et serait difficilement supportable avec les normes convenables d'équipement et dřinfrastructures sociales de l'Europe d'avant-guerre ; elle est, bien évidemment, inconcevable selon les références de l'Europe d'aujourd'hui. De là découlent plusieurs interrogations : Quels sont les facteurs de la croissance démographique ? Quřest ce qui explique les migrations à lřéchelle nationale et 2 1 internationale ? Quelles en sont les conséquences ? Les tendances démographiques globales et urbaines en Afrique sont-elles un handicap ou une chance ? Section 1 : Les théories et pratique démographiques. Les relations entre la croissance démographique, les changements technologiques et le niveau de vie ont donné lieu à de multiples analyses. La plus célèbre, celle de MALTHUS soutient que le niveau de la population sřauto-équilibrera et surtout stagnera. Si elle a pu être pertinente pour une grande partie de notre histoire, les changements observés depuis 1750 la remettront en cause. Nous y considérons plusieurs modèles couvrant la transition entre les trois régimes distincts ayant caractérisé le processus de développement économique : les régimes « malthusien », « post-malthusien », et « croissance moderne». Tableau 14 : quelques éléments théoriques le courant Le courant L’optimum de malthusien populationniste population ► L’ouvrage de Malthus : Essai sur le principe de population (1798), dont la première édition était anonyme est d’abord un pamphlet contre les partisans de la loi sur les pauvres. ► Pour Malthus, la population croît selon une progression géométrique (double tous les vingt-cinq ans) tandis que les subsistances croissent selon une progression arithmétique. ► Dès lors, soit la population accepte volontairement de limiter sa croissance (soit la morale restreinte ou abstention du mariage), soit la population sera détruite par la guerre, la famine, la peste. Aider les ► Ce sont les mercantilistes qui initient ce courant. Ils reprennent la formule de J. Bodin selon laquelle « il n’est de richesse que d’hommes ». ► Pour Marx, la surpopulation n’est pas liée à une démographie trop dynamique des classes les plus pauvres de la société. Elle résulte ► La croissance de la du mode population a une influence ► Du point de vue économique, le d’organisation des positive par plusieurs économies et de la critère de canaux : répartition des l’optimum de richesses. l’augmentation de la peuplement est la réalisation du demande qui en résulte ► La surpopulation produit (ou du incite à accroître la est le produit du revenu) maximal production ; par habitant. mode de production capitaliste parce elle pousse à une qu’elle est utile à ► Certains organisation plus efficace l’accumulation de éléments de la production d’où des richesse. définissent le gains de productivité ; niveau optimal de ► Les capitalistes une population plus la population : ont, en effet, intérêt état des grande permet d’étaler les techniques, volume à avoir des hommes frais généraux d’une des ressources en trop qui société. utilisables, constitueront équipement l’armée de réserve ► Par opposition aux technique, industrielle. Cette malthusiens, A. Sauvy possibilités du dernière permet un souligne qu’à « chaque fois commerce maintien d’un taux que se produit une extérieur). de chômage élevé et différence, un écart entre bloque le niveau de deux grandeurs, deux ►D’autres salaire. Ce dernier choses qui devraient être au reste ainsi au même niveau, il y a 2 2 ► L’idée d’optimum de population cherche à réconcilier les deux courants précédents. Le courant marxiste pauvres revient à encourager la croissance démographique et à terme sa destruction. ► La théorie malthusienne de la population est un des piliers de la théorie de l’Etat stationnaire de Ricardo. Schumpeter dans son ouvrage : Histoire de l’analyse économique, souligne combien Malthus doit à Botero et à Quesnay pour la construction de sa théorie. deux façons de rétablir l’équilibre, aligner vers le haut ou vers le bas. En annonçant qu’il y a excès de quelque chose, l’optique malthusienne suggère instinctivement de niveler par le bas ». éléments définissent la structure optimale de la population : structure par âge, rapport entre la population active et non active, entre consommateurs et producteurs, structure professionnelle de la population, répartition géographique de la population. ► Enfin, des éléments définissent l’optimum dans le temps : rythme de croissance de la population, rythme du progrès technique, taux de croissance du revenu national. minimum vital et permet l’augmentation de la plus-value. ► La pauvreté est une logique du mode de production capitaliste et non d’un excès de population. L’accroissement démographique peut être absorbé à condition que le système de répartition des revenus se trouve modifié. Toute politique démographique serait ainsi inutile. Source : Problèmes économiques, (Mars 2000), « Six milliards d’hommes… et après ? », n° 2656-2657 p. 30-31 I/ Les approches Malthusiennes et néo malthusiennes Thomas MALTHUS (1766-1834)121 était un prêtre britannique, mais également un économiste libéral. Sa thèse est bien connue de tout le monde : la population croît selon les termes dřune suite géométrique (1, 2, 4, 8, 16…), alors que les subsistances (la production agricole) croient selon les termes dřune suite arithmétique (1, 2, 3, 4, 5…). Dřoù le fait est quřil y aura nécessairement pénurie ! MALTHUS ici se sert de la « loi des rendements décroissants » de la production agricole pour expliquer ce décalage entre les ressources et la population. On notera cependant que MALTHUS écrivait à une période où la transition démographique était à son paroxysme en Angleterre, cřest-à-dire avec un accroissement naturel considérable. Il est alors important de prendre en compte ce contexte pour mieux comprendre le caractère alarmant de la thèse de MALTHUS. Pour lui, la seule solution (radicale) reste la contrainte morale, cřest-à-dire lřabstinence et la chasteté, puisquřil faut à tout prix limiter la croissance démographique, pour éviter quřelle ne dépasse les potentialités de la production. Ces idées de MALTHUS ont été poursuivies et approfondies par les néomalthusiens qui avancent un certain nombre dřarguments qui plaident en faveur dřune croissance démographique faible (mais ces arguments concernent plus 121 Problèmes économiques, (Mars 2000), « Six milliards dřhommes… et après ? », n° 2656-2657 p 3031 2 2 directement le développement que la croissance économique en tant que telle). Ainsi à lřéchelle microéconomique, le premier argument consiste à dire que réduire le nombre dřenfants par femmes permet dřaugmenter le niveau de vie. Au niveau macroéconomique, les ressources naturelles étant limitées, le fait de ne pas maîtriser la croissance démographique, implique que lřon surexploite le sort des générations futures. Finalement le malthusianisme préconise une faible croissance démographique pour assurer une meilleure croissance économique (ou en tous les cas ne pas l'entraver). Mais les arguments du courant « récent » restent des arguments essentiellement qualitatifs, cřest-à-dire qui concernent le développement plutôt que lřaugmentation des richesses (quantitatifs). Mais aujourdřhui, si ce discours néo-malthusien est particulièrement alimenté par la forte croissance démographique des pays du Tiers-monde, il est pourtant théoriquement critiqué par un ensemble dřauteurs qui sřappuient sur des arguments développés dřabord par les contemporains de MALTHUS et approfondis par les théoriciens de la croissance endogène qui voient en lřhomme « le capital le plus précieux ». 1°) Les critiques de l’approche malthusienne et le populationnisme Jean BODIN (1530-1596)122 développait, bien avant MALTHUS, lřidée quř« Il nřest de richesses que dřhommes ». Cette thèse populationniste est lřopposé de la thèse de MALTHUS. Des auteurs comme VAUBAN, F. QUESNAY et J. BODIN voyaient dans lřhomme la seule richesse dřun royaume. Leurs théories étaient que si les hommes sont la force dřune nation et que leur nombre augmente, la production suivra et le pays nřen sera que plus puissant. Ce qui revient à dire que la croissance démographique est un facteur permissif de la croissance économique. Cřest surtout Karl MARX (1818-1883)123 qui fut un des premiers à rejeter les thèses de MALTHUS et surtout lřidée de « loi naturelle » indépendante des conditions de production. Pour lui, la surpopulation nřest que relative et la conséquence de lřétat des techniques à un moment donné. Pour lui, les limites de la planète évoluent avec le progrès technique et le niveau de développement : « La surpopulation relative nřa pas la moindre relation avec les moyens de subsistances comme tels mais avec la manière de les produire »124 Le courant néo populationnisme est souvent illustré par la thèse dřEsther BOSERUP (milieu des années soixante), encore appelée la thèse de la pression créatrice : la croissance de la population fait pression sur lřamélioration des techniques de production (hausse du progrès technique et de lřinnovation favorisée). En fait, pour cet auteur, ce nřest pas la richesse qui détermine la population, mais la population qui détermine la richesse, grâce notamment à cette pression créatrice quřelle génère. En définitive, pour les néo populationnistes, la croissance démographique ne constitue en rien un frein mais plutôt un stimulant pour la croissance économique. 2°) La thèse d’A. Sauvy ou la thèse de l’optimum de population Selon les études de cet auteur, il nřy a pas de corrélation directe entre croissance démographique et croissance économique, puisque tous les cas existent. Voir Problèmes économiques (op. cit.) Voir Problèmes économiques (op. cit.) 124 K. MARX, Œuvres, tome 2, « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard, 1977). 122 123 2 2 En effet, on peut avoir le cas dřune faible croissance démographique avec en parallèle une faible croissance économique (exemple de la France entre les deux guerres) ou bien encore la situation dřune forte croissance de la population avec une faible croissance économique (exemple du Tiers-Monde) ou enfin le cas dřune faible croissance démographique et dřune forte croissance économique (exemple du Japon dans les années soixante-dix, quatre-vingt). Pour A. SAUVY 125, il est nécessaire de faire une étude cas par cas, puisquřil nřexiste pas de cas général où la corrélation entre croissance démographique et croissance économique serait directe. Tout dépend du pays et de sa situation (pyramide des âges, choix sociaux et politiques, etc.). II/ Les thèses natalistes Les politiques natalistes ou antinatalistes peuvent aussi influencer la fécondité et la natalité. Il est possible ainsi, que le fait de verser des allocations familiales à des familles en difficultés matérielles, permette de soutenir la fécondité. Rares sont pourtant les pays qui consacrent des sommes très importantes à soutenir massivement la fécondité. En France, une politique nataliste timide a été mise en place pendant la seconde guerre mondiale, sous le gouvernement PETAIN126, et semble avoir joué un rôle dans la reprise de la natalité. Elle n'explique cependant pas le baby boom, car celuici a été observé dans d'autres pays où aucune politique nataliste n'avait été mise en place. À l'inverse, il semble bien clair que les politiques anti-natalistes, comme celles mises en oeuvre par le gouvernement Chinois, puissent exercer des effets très nets sur la fécondité et la natalité, avec des conséquences sévères sur la pyramide des âges, comme l'illustre cette pyramide des âges de la Chine. Figure 14 : Pyramide des âges de la Chine en 2005 125 126 Voir Problèmes économiques (op. cit.) Gouvernement installé en France après lřoccupation allemande en 1940 2 2 Quelques statistiques commencent à être recueillies sur des indicateurs qui peuvent renseigner sur les comportements en matière de reproduction. Mais l'interprétation de ces indicateurs reste limitée par l'absence de données systématiques et par la difficulté même de comprendre les décisions liées à la fécondité. Ces indicateurs sont les suivants : Pourcentage de femmes d'une population qui vivent en union consensuelle (terme utilisé pour désigner la vie en couple par consentement mutuel), ce qui inclut non seulement les femmes mariées, mais aussi toutes les autres formes de vie en couple durable. Pourcentage de femmes d'une population qui ont entre 15 et 49 ans (l'âge de la fécondité). C'est le seul indicateur clair, plus il y a de femmes d'âge fécond dans une population, plus il y a de naissances dans cette population, en raison de l'effet de taille. Le tableau 1 nous donne ici lřévolution de la proportion de femmes fécondes au niveau mondial. Tableau 15 : Pourcentage de femmes fécondes (15-49 ans) au niveau mondial Année Milliers Pourcentage 1950 623 947 49,4 1960 706 966 46,8 1970 855 325 46,4 1980 1 058 712 47,9 1990 1 315 357 50,2 2000 1 559 721 51,6 2010 1 763 267 51,8 2020 1 878 362 49,7 2030 1 984 651 48,5 2040 2 037 965 46,8 2050 2 063 159 45,3 Source: World population Prospects: the 2004 revision population database Les chiffres après 2005 sont des prévisions basées sur une hypothèse moyenne d'évolution de la fécondité. On comprend mieux en regardant ces chiffres pourquoi la population mondiale va augmenter jusqu'en 2050, alors que pourtant les taux de reproduction ou les indices de fécondité sont en dessous du seuil de reproduction dans déjà la moitié de l'humanité. Pourcentage de femmes qui utilisent des moyens contraceptifs : il existe des chiffres dans les pays occidentaux, basés sur des enquêtes ou sur des chiffres recueillis par les services de santé, mais les données restent fragmentaires, pas nécessairement fiables et de toute façon difficiles à interpréter. On profitera ici de l'occasion pour faire la distinction entre la fertilité et la fécondité, deux mots qui sont parfois considérés comme synonymes mais qui pourtant ont un sens différent en démographie. La fertilité, désigne normalement la possibilité biologique d'avoir des enfants. C'est donc le contraire de la stérilité. La fécondité, c'est le fait d'avoir effectivement des enfants. Une femme fertile peut donc rester inféconde. Par contre, une femme féconde est forcément fertile. Pour comprendre la différence, il suffit 2 2 de songer au cas des femmes fertiles (qui peuvent avoir des enfants parce que non stériles) mais qui restent infécondes parce qu'elles ne veulent pas avoir d'enfants et qu'elles utilisent par exemple des moyens contraceptifs. Nombre d'avortements : le nombre d'avortements déclarés, dans les pays où l'avortement est légal, comme en France (où il reste néanmoins encadré sévèrement par la loi et souvent mal accepté par les populations dans les faits), reste assez peu élevé. Il est difficile de penser que c'est la possibilité légale d'avorter qui est à l'origine de la baisse de la fécondité. Section 2 : La démographie au niveau mondiale À partir des années 1950, les pays industrialisés sont rentrés dans une transition démographique. Avant dřaborder ce sujet, il convient de faire lřhistorique de la population mondiale. I/ Historique de la population humaine. La population humaine a connu une augmentation plus ou moins permanente depuis l'apparition de la vie sur la terre, mais la croissance s'est accélérée depuis deux cents ans et jusqu'à une période très récente. On peut distinguer quatre phases dans l'histoire démographique de l'humanité: L'ère préagricole : elle a duré certainement cinq cent mille ans et se caractérise par une densité démographique assez faible: le taux de natalité était probablement élevé, mais le taux de mortalité l'était également presque, le rythme d'accroissement naturel était très faible. A la fin de cette phase la population du globe atteignait peut être un maximum de cent millions d'habitants. La phase de l'agriculture sédentaire à la Révolution industrielle est marquée par l'introduction de l'agriculture sédentaire. La Révolution industrielle, survenue à la fin du XVIIIème siècle et au début du XIXème siècle voit lřaccroissement de la production alimentaire ce qui va entrainer une baisse du taux de mortalité, une élévation de l'espérance de vie et lřaccélération progressive de la croissance démographique. En 1800, la population mondiale s'élève à environ 1.7 milliards d'habitants. La troisième phase va de la Révolution industrielle à la Seconde Guerre Mondiale avec le démarrage de la croissance économique moderne et le renforcement du potentiel démographique de la terre. Aux innovations industrielles correspondent des innovations agricoles, qui permettent le transfert d'actifs vers l'industrie, tout en élevant suffisamment vite la productivité des travailleurs agricoles restant pour assurer l'alimentation d'une population urbaine en expansion. Les importants progrès dans beaucoup de domaines vont améliorer la croissance démographique : la médecine, l'hygiène et l'industrie pharmaceutique, facteurs qui réduisent le taux de mortalité. La croissance démographique s'accélère pour atteindre 1% par an environ au moment de la Seconde Guerre Mondiale. Quand cette troisième ère démographique prend fin, en 1945, la population mondiale est légèrement inférieure à 2.5 milliards d'habitants. La dernière phase est celle l'après-guerre marquée par de nouveaux développements révolutionnaires dans la production alimentaire et la lutte 2 2 contre les maladies. Les techniques introduites au cours de l'ère précédente dans les pays développés connaissent une extension mondiale. La chute brutale des taux de mortalité dans de nombreuses régions porte le taux d'accroissement naturel à 2%, voire 3% ce qui instaure désormais lřère du doublement de la population mondiale qui va atteindre 5 milliards d'habitants en 1987 pour dépasser dans ce troisième millénaire 6 milliards d'habitants. À l'évidence, cette quatrième ère sera marquée par un ralentissement de lřaccroissement démographique. De nombreux pays en développement suivent les pays industriels sur la voie d'une transition démographique. II/ La transition démographique depuis 1950 Le demi-siècle qui vient de sřécouler est marqué par la généralisation et lřaccélération de la démographie dans lřensemble du monde. Dans le même temps, la croissance de la population mondiale sřest sensiblement ralentie. En moins de cinquante ans elle aura tout de même doublé passant de 3 milliards en 1960 à 6 milliards en 1999. Si le chiffre des 7 milliards dřhabitants devrait être atteint entre 2010 et 2015, la croissance devrait, au-delà, nettement ralentir sauf en Afrique. Deux «révolutions» ont provoqué ces rapides bouleversements démographiques : la révolution sanitaire et la révolution contraceptive. Dřabord lřamélioration des conditions sanitaires (accès à lřeau potable, construction dřégouts, ou encore couverture vaccinale) a été déterminante dans lřallongement de lřespérance de vie. Les pays en développement ont ainsi gagné en moyenne près de vingt deux années. Il reste aujourdřhui peu de pays dans lesquels lřespérance de vie demeure inférieure à 45 ans. Ensuite un mouvement de baisse de fécondité a lieu en lřespace de quelques décennies sur lřensemble de la planète, quelle que soit, la culture ou la géographie des pays. La transition démographique cause une augmentation dramatique des disparités démographiques dřun pays à lřautre avec des pays surpeuplés et des pays sous peuplés comme lřindique le tableau qui suit : Tableau 16 : répartition de la population mondiale. Les régions à taux de fécondité élevé comme l’Afrique et l’Amérique Latine ont un produit national brut (PNB) par habitant plus bas et une croissance démographique annuelle plus élevée que les régions plus développées. Principales régions Population courante Accroissement naturel du monde 1998 (en millions) annuel de la population 5926 Monde 1,4 1178 Pays développés 0,1 4748 Pays moins développés 1,7 763 Afrique 2,5 301 Amérique du Nord 0,6 500 Amérique Latine et Caraïbes 1,8 30 Océanie 1,1 3604 Asie 1,5 728 Europe -0,1 Source: Population Reference Bureau (1998), World Population Data Sheet. Section 3 : Les tendances démographiques globales en Afrique. 2 2 Le continent Africain, à lřopposé du Nord est caractérisé par une croissance relativement importante de sa population. Déjà en 1995, la population de lřAfrique était estimée par les Nations Unies à 728 millions dřhabitants. À la même date la population du monde était de 5,72 milliards de personnes. LřAfrique représentait ainsi 12,7% de la population mondiale. En 1998, dřaprès lřhebdomadaire « Problèmes économiques », elle est estimée à 763 millions soit une croissance moyenne annuel de 1,18%. Ainsi, les taux de croissance les plus élevés se situent dans les pays les plus pauvres, donc en majorité en Afrique, qui sont les moins préparés à offrir les services de base et les emplois nécessaires aux effectifs croissants des jeunes. Dans 62 pays dřAfrique principalement, dřAsie et dřAmérique latine, plus de 40% de la population sont âgés de moins de 15 ans. LřAfrique, région du monde où la croissance démographique est la plus rapide, est aussi la plus jeune : lřâge moyen y est seulement de 18 ans. On peut exprimer le potentiel de croissance dřune population en calculant son temps de doublement. Pour une population au rythme dřaugmentation constant, celui-ci sřélève à 70 environ, divisé par le taux de croissance. Ainsi, la population qui sřaccroît de 1% par an double en 70 ans, tandis que celle qui augmente constamment de 2% par an doublera exactement en 35 ans. La formule de lřaccroissement exponentiel est : Pt = P0 ert où P0 représente la population de lřannée de référence, Pt la population au bout de t années, e la base du logarithme et r le taux dřaccroissement annuel. Si Pt =2P0, alors : 2P0 = P0 ert 2 = ert Il sřensuit que 2 = e7 (approximativement). Cela signifie que rt, égal à la multiplication du taux dřaccroissement et du nombre dřannées, doit être égal à 0,7. Par exemple, avec un taux dřaccroissement annuel de 2%, 0,02 X 35 = 0,7. I/ Le recul de la mortalité et l’amélioration de l’espérance de vie Tous les pays africains ont entamé leur transition dans la mesure où la baisse de la mortalité est un constat général partagé par tous. Mais les situations sont très diverses : si dans certains pays la mortalité a beaucoup baissé, dřautres payent encore un lourd tribut. Tableau 17 : Évolution des indicateurs de mortalité Taux brut de mortalité Espérance de vie Période (en %0) Afrique Monde Afrique Monde 1950 - 1955 26,8 19,8 37,8 46,4 1960 Ŕ 1965 22,9 15,6 42,0 52,3 1970 Ŕ 1975 19,2 11,7 46,0 57,9 1980 Ŕ 1985 16,5 10,3 2 2 49,4 61,3 1990 Ŕ 1995 13,7 9,3 53,0 64,4 Source : Francis GENDREAU, Démographies africaines, Éditions ESTM. II/ La transition démographique, conséquence modernisation économique et sociale. du processus de Le taux brut de natalité du continent est encore élevé (42% 0) même si son évolution récente marque une tendance à la baisse : il aurait diminué de près de 15% depuis les années cinquante. Les différents pays africains connaissent ainsi une fécondité encore forte. En 1999, dans onze dřentre eux, tous situés dans lřAfrique continentale noire, les femmes ont en moyenne au moins 7 enfants. À lřopposé, six pays ont un indice synthétique de fécondité inférieur à 4. Les théoriciens de la transition démographique font de la démo-économie et tentent alors dřétablir le lien entre évolution générale de la population et celle de lřéconomie. Les auteurs accordent aux facteurs économiques et sociaux un rôle prépondérant (NOTESTEIN, DAVIS, THOMPSON, A. LANDRY). Pour ces auteurs, les changements démographiques apparaissent comme la conséquence de la « vie industrielle-urbaine » (NORSTEIN, 1945), de lř « industrialisation »(THOMPSON), de la « modernisation ou du développement socio-économique ». Selon Annie VIDAL « paradigme central de la science démographique, la transition sřentend comme le passage dřun régime traditionnel dřéquilibre démographique à mortalité et fécondité fortes, à un régime moderne dřéquilibre, à mortalité et fécondité basses » 127 Mais a-ton affaire à une théorie, à un schéma, à un modèle ? Sřil y a accord sur la signification du concept, la question de son statut demeure controversée. Pour J. C. CHESNAIS, trois paradigmes peuvent être envisagés : dřabord, le principe dřantériorité de la baisse de la mortalité, ensuite le modèle de la transition reproductive en deux phases (limitation des mariages, puis limitation des naissances) et enfin lřinfluence de lřentrée dans la croissance économique moderne… sur le déclenchement de la baisse séculaire de la fécondité. Cela apparaît dans les trois phases qui montrent que la corrélation entre développement économique nřest pas figée et passe par trois phases. La première est celle que MALTHUS a bien analysé et elle se traduit par des taux de natalité et de mortalité élevés. La croissance démographique est alors rythmée par les phénomènes naturels comme les famines et les épidémies. Dřoù la fameuse boutade de MALTHUS : « Au banquet de la nature, il nřy a point de couverts pour eux ; la nature leur commande de partir et elle ne manquera pas de mettre ce commandement en exécution ». Dans la deuxième phase interviennent deux phénomènes : dřune part les progrès de la médecine abaissent le taux de mortalité et dřautre part les ménages prennent conscience des charges des enfants et de lřamélioration du statut social de la femme pour adopter des comportements qui vont faire baisser la natalité. La troisième phase est celle dřun équilibre de bas niveau démographique. 127 Annie VIADAL : La pensée démographique, Édit. PUG, Collection Lřéconomie en plus, 1994 2 2 Figure 15 : La transition démographique LřAfrique est au début de la seconde phase avec cependant un écart entre taux de natalité et de mortalité pas encore assez écrasé particulièrement au niveau des couches populaires où lřon observe encore des rigidités des comportements démographiques. Différentes statistiques démographiques concordent pour établir que lřexplosion démographique africaine va se poursuivre pour les années avenir comme en témoigne le tableau qui suit établissant les évolutions marquantes dřici 2025 : Tableau 18 : Population rurale et urbaine de l’Afrique par grande région en 1990 et 2025 (en milliers d’habitants). Rurale Est Centre Sud Ouest Sud du Sahara Urbaine Totale 1990 2025 1990 2025 1990 2025 154 013 43 596 17 761 130 740 345 970 288 398 70 014 21 010 213 290 592 712 42 860 26 458 22 465 62 962 154 745 254 138 122 328 59 123 294 165 729 754 196 873 70 054 40 086 193 072 500 715 542 536 192 342 80 133 507 455 1322 466 Source : Nations-Unies, World Urbanisation Prospects. La population de lřAfrique Sud Saharienne devrait passer de 500 millions dřhabitants en 1990 à 1,300 milliard en 2025 ce qui équivaut à une multiplication par 5 dans la période. Selon E.V. de WALLE, lřAfrique détient le record mondial de la fécondité avec 2 2 6 à 8 enfants par femme en moyenne… Du côté de la mortalité, les projections supposent que lřespérance de vie continuera à augmenter de deux ans tous les 5 ans. Les progrès de la médecine, de lřhygiène, de lřagriculture ont contribué à lřaugmentation de la population. Cette dernière est inégalement repartie dans lřespace dřun pays, dřune région ou dřun continent. Dans la plupart des cas la ville reste le principal bénéficiaire. Cřest autant dire que lřun des corollaires de la croissance démographique est sans conteste lřurbanisation. Cette dernière correspond à lřarrivée des populations rurales dans les principales villes provoquant ainsi une explosion démographique. La question qui se pose alors est celle de savoir : la ville est-elle un facteur ou un frein au développement ?quels sont les problèmes posés et les solutions préconisées ? Pour répondre à ces questions nous allons analyser comment la ville pourrait être un facteur de croissance ou un frein au développement. Section 4 : Urbanisation et développement : la ville est-elle encore un facteur de croissance et de développement ? Au niveau des pays industrialisés, la ville a joué un rôle primordial. Le phénomène dřurbanisation semble être déclenché en Angleterre pendant la seconde moitié du 18ème siècle par la naissance de lřindustrie à laquelle elle a fortement contribué. Tirant les leçons de cette expérience, la pensée économique, toutes tendances confondues, a considéré la ville comme un important facteur de développement et dřémancipation économique et sociale du fait précisément des inégalités favorables des revenus, des effets dřattraction et de polarisation des activités industrielles et des infrastructures de base, de la meilleure connexion avec les marchés internes et externes etc. Egalement, dans les villes sřétablit un nouveau type de division du travail. À une répartition des tâches fondées sur lřâge, le sexe, lřethnie, succède une organisation liée aux aptitudes des individus. La ville connaît par voie de conséquence une structuration en classes sociales qui nřexistait pas toujours dans la société rurale. Les migrations réalisées vers la ville provoquent un brassage ethnique qui favorise lřévolution des structures sociales. La ville constitue également un centre de décision économique, politique et administrative. La concentration des élites qui sřy réalise est un facteur de dynamisme. La ville diffuse son influence sur le milieu rural ambiant et contribue à lřévolution de celui-ci. On note en particulier que les structures foncières, les techniques de production se transforment plus rapidement à proximité de la ville et que la mobilité de ces structures se réduit au fur et à mesure que lřon sřéloigne. Partout dans le monde les tendances à lřurbanisation sont devenues lourdes : actuellement plus de 45% de la population vivent dans des zones urbaines et ce chiffre pourrait passer à 60% vers 2030. Dans les faits, la dynamique urbaine est particulièrement portée par les PSD dřAsie, dřAfrique et dřAmérique Latine. Toutefois, contrairement au rôle quřa joué la ville dans le développement des pays industrialisés, dans les pays du tiers monde, la ville apparaît comme un poids, un cancer, un frein au développement. En effet, dans ces pays le phénomène urbain commence à poser de sérieux problèmes relatifs à lřemploi, au logement, aux transports, à lřassainissement, à la santé, à lřéducation. Cela présage que les villes sont des volcans en ébullition. I/ Urbanisation accélérée et chaotique en Afrique. 2 3 Sřil est vrai que lřexistence des villes est un phénomène ancien en Afrique, cřest néanmoins la colonisation qui lui a imprimé le caractère quřelle connaît de nos jours. Les grandes villes actuelles ont été choisies en fonction des considérations liées aux besoins de la colonisation. Les ports maritimes ont été généralement favorisés : Lagos, Dakar, Abidjan, Luanda… et la localisation des grands centres urbains reste marquée par cette extraversion. Dès cette époque, les investissements ont été concentrés dans des capitales où résidait lřessentiel des cadres dirigeants de lřadministration coloniale. En dehors des vieilles villes marchandes sahélosoudanaises et de la civilisation Yoruba, les villes de l'Afrique noire sont nées avec la colonisation comme ville-capitale administrative ou ville-portuaire. Elles ont pour site des points privilégiés de la ligne d'interface océan-continent, les intersections de lignes de transport intérieur et les points de rupture de fret : escales sur les fleuves (Kinshasa 1881), intersection ferroviaire, contact fleuve/chemin de fer et lac (Kisangani). Depuis les indépendances, la croissance urbaine a été explosive et chaotique avec un taux de croissance dřenviron 10% par an jusque dans les années 1990. En 1950, on dénombrait pour l'ensemble de l'Afrique, 3 villes millionnaires, 25 en 1990, 30 en 1995 et 42 en l'an 2000. Elles concernent maintenant plus de 40 % de la population totale. De 1950 à 1990, la population urbaine a été multipliée par 10 en Afrique subsaharienne, tandis que la population totale triplait. Cette dynamique urbaine procède de la conjugaison de plusieurs facteurs : forte concentration des activités économiques et sociales et des infrastructures, faillites des politiques agricoles etc. Les initiatives peuvent aussi provenir de décision politique pour décongestionner la grande agglomération ou alors se démarquer de l'empreinte coloniale : la capitale de la Côte d' Ivoire transférée à Yamoussoukro (1983) et celle du Nigeria à Abuja (1974), Ouagadougou 2000. Aujourdřhui, les plus grandes villes dřAfrique se hissent dans le groupe des 10 villes les plus peuplées du monde dépassant les 10 millions dřhabitants parmi elles, le Caire et Lagos. Cette dernière agglomération au rythme actuel de sa croissance comptera 25 millions en 2025. A ces mégalopoles sřajoutent Kinshasa (4 million dřhabitants), Alexandrie et Alger (3,5 million dřhabitants), puis viennent Casablanca, Tripoli, Abidjan et le Cap. En définitive, si lřurbanisation africaine a été tardive, elle est en train de sřaccélérer avec rapidité. Cette évolution apparaît clairement dans le tableau qui suit : Tableau 19 : Proportion de la population urbaine de 1960 à 2006 (en %). 2 3 Sous-régions Afrique Occidentale Afrique Orientale Afrique du Nord Afrique Centrale Afrique Australe Total Afrique Monde Régions développées Régions en développement 1960 1975 1985 2000 2004 2005 2006 13,4 7,3 30,0 18,2 42,2 20,0 12,8 40,5 29,6 46,5 26,0 18,9 47,7 39,3 52,1 18,4 25,6 32,1 33,6 60,3 21,4 8,3 68,7 7,1 1,6 72,4 31,7 36,6 29,4 58,1 52,2 61,1 - - - - 39,1 - 39,6 - 40,1 8,2 77,8 40,4 Sources : Afrique contemporaine du 1er trimestre 1988, BAD statistics pocketbook 2007. Ce tableau révèle que lřAfrique connait un rythme élevé dřurbanisation depuis les indépendances. En effet, la population urbaine est passée logiquement de 18,4% en 1960 à 40,1% de nos jours. Le Maghreb reste la région la plus urbanisée avec 58,1% de citadins en 2000. %. Malgré cette accélération urbaine, le continent compte parmi les moins urbanisés. En effet, le monde affichait en 2000 un taux dřurbanisation de 48,2% pour les PSD et une moyenne de 77,8% pour les pays développés. Certains économistes et urbanistes tentent de démontrer que la ville est un moteur indispensable du développement, de la modernité et de la socialisation et la campagne en est le pourvoyeur de sa main-d'œuvre, éventuellement de ses approvisionnements surtout alimentaires. Pourtant, pour le Bureau International du Travail (BIT), au delà dřun million dřhabitants, la ville pose de nombreux problèmes de gestion avec des charges de plus en plus lourdes pour les différents équipements urbains, les réseaux dřeau, dřassainissement, dřélectricité, de voies publiques, de transports. De façon globale, toutes les villes africaines posent à des degrés divers des problèmes liés : aux infrastructures de base : routes, électricité, écoles, structures de santé au foncier et à la crise du logement l'étalement spatial et la fragmentation du tissu urbain manifestent lřimpossibilité des autorités à canaliser lřavancée anarchique du front dřurbanisation ou la surdensification des centres. On rappellera que 40 à 70 % des citadins vivent dans des constructions illégales. aux transports la question est posée en termes dřinégalité spatiale pour les classes populaires rejetées en périphérie qui doivent effectuer de longs déplacements journaliers vers le centre pour y exercer leurs activités marchandes. A l'environnement : accès à l'eau potable, évacuation ou traitement des déchets. A lřinsécurité donnée importante de la vie urbaine : lřinsécurité sanitaire plane sur les quartiers dřhabitat spontané et se double de lřinsécurité foncière menaçant les familles récemment installées A la pauvreté et au chômage Tous ces problèmes montrent que le phénomène urbain constitue une préoccupation majeure, même dans le cas des centres urbains moins peuplés car le rythme de leur croissance démographique est sans rapport avec des capacités de productions économiques. Cřest surtout sous la pression des émeutes des banlieues que le monde a pris conscience de lřampleur du phénomène urbain avec les implosions des bidonville, taudis, gourbi, ghetto, slum, township, favela, mocambo…Des vocables 2 3 qui évoquent les espaces quřon pourrait qualifier dřinfraurbains qui exprime lřextrême précarité.128 Une urbanisation accélérée a des effets négatifs sur le développement : importance du chômage, impossibilité dřassurer une croissance urbaine cohérente, développement des bidonvilles dans lesquels vit un prolétariat misérable, coût considérable des infrastructures urbaines, prélèvements en moyens financiers et en personnel qui aboutissent à un sous équipement du reste du pays. Lřhypertrophie urbaine peut ainsi devenir une cause nouvelle de mauvais développement en entretenant et en amplifiant les inégalités. Dřautre part le développement ne peut résulter de la simple croissance dřune ville tentaculaire. Il implique un aménagement de la hiérarchie urbaine de manière à ce quřil se crée une spécialisation fonctionnelle des villes et une complémentarité dans leurs activités et dans leurs zones dřinfluences. Or cette condition est rarement satisfaite dans les pays en voie de développement : de nombreuses régions ne sont soumises à lřattraction dřaucun centre urbain important. Les zones dřattraction urbaine sont souvent isolées et non intégrées ni hiérarchisées, la grande ville tend à exercer son emprise sur lřensemble du pays (voir indice de primatie tableau 4) et empêche ainsi lřindustrialisation des centres secondaires en lřabsence de politiques volontaristes. Il apparaît donc en conclusion sur ce point que la politique dřaménagement urbain devrait être lřune des principales préoccupations des responsables du développement, mais lřobservation nous montre que dans la réalité lřurbanisation est souvent le domaine de lřanarchie. II/ Corrélation entre défis démographiques et crise économique. Quel est le rapport existant entre la démographie et lřéconomie ? La démographie estelle une variable favorable ou défavorable à la croissance économique ? Quřen est-il aujourdřhui des analyses malthusiennes ? Yřa-t-il une corrélation entre démographie et économie (démo économie) ? Plus précisément encore, la croissance économique africaine est-elle capable dřabsorber le croît démographique ? La question nřest pas nouvelle bien quřelle ne trouve pas encore une réponse adéquate cřest-à-dire la population optimale en relation avec les ressources disponibles. A. SAUVY a tenté de trouver lřoptimum de population en relation avec les disponibilités en ressources dans un espace donné. Les résultats des recherches dans le domaine sont assez minces. On sait seulement que pour résorber le croît démographique, un pays doit maximiser sa croissance économique et minimiser la variable démographique. La Chine, le Japon et même lřInde jadis surpeuplés sřen sortent, aujourdřhui, en réalisant des processus soutenus de croissance souvent supérieur à deux chiffres et en tentant de limiter de manière drastique leur accroissement démographique. Un Nigéria de 400 millions dřhabitants, un Mali, un Sénégal et Burkina de 40 à 50 millions, un Kenya avec 100 millions peuvent-ils sřen sortir au regard de leur situation de crise économique, du caractère très peu diversifié de leurs systèmes productifs, de lřextrême faiblesse de leur rythme de croissance et de leur taux élevé croît démographique ? Comme le note E.V. de WALLE « aujourdřhui, confrontés à une masse croissante de main-dřœuvre sousemployée, il faut raisonner en termes de capital humain, de productivité, de Mike DAVIS: Le Pire des mondes possibles. De lřexplosion urbaine au bidonville global, traduit de lřanglais par Jacques MAILHOS Editions La Découverte, 252 pages. 128 2 3 qualification et de niveau dřinstruction. Lřaccumulation de paysans illettrés sur des terres fragiles nřoffre guère de potentiel de croissance économique pas plus que le trop-plein qui sřécoule vers des villes sans infrastructures et sans industries». 129 Il semble que la jeunesse de la population africaine est un atout de taille. Quřen est-il exactement ? III/ La jeunesse de la population africaine est-ce vraiment un atout ? À l'heure actuelle, on compte 1,3 milliard de jeunes âgés entre 12 et 24 ans dans l'ensemble des pays en développement. La question de la jeunesse est relativement nouvelle dans le domaine de lřéconomie du développement. Cependant, elle nřest autre quřune nouvelle facette des théories sur le capital humain de la nouvelle école de Chicago. La théorie du capital humain « aide à rendre compte des phénomènes comme les différences de salaires selon les personnes et selon les lieux, la forme des profits des salaires selon lřâge, la relation entre âge et salaires, et lřeffet de la spécialisation sur la compétence. Dans les pays en développement, particulièrement en Afrique ou les jeunes constituent une large part de la population, la question de la jeunesse commence à être une préoccupation majeure. Mieux, on commence à prendre conscience du poids quřelle pourrait jouer dans le processus de développement à long terme, bien que, selon la Banque mondiale, près de la moitié de cette population est actuellement sans travail. En plus, un nombre considérable de jeunes ne sait ni lire ni écrire. Cřest dire que la scolarité secondaire et l'acquisition des compétences correspondantes ne peuvent avoir de sens que si la scolarité primaire a pleinement porté ses fruits. Dřoù lřimpérieuse nécessité de porter les efforts dřéducation à ce niveau. Figure 16 : Représentation du chômage dans le monde Source : Banque Mondiale, RMD 2007. Note : La barre pleine dénote le taux de chômage des jeunes dans un seul pays; la portion claire indique le taux de chômage des adultes dans le même pays. 129 Etienne van de WALLE : La démographie de l’Afrique au Sud du Sahara, Revue Etude, octobre 1993. 2 3 Dans son Rapport de 2007 portant sur « Le développement et la prochaine génération », la Banque mondiale souligne que la prédominance de la jeunesse comporte des risques mais ouvre aussi des opportunités immenses. En effet, comme le souligne Paul WOLFOWITZ, Président de la Banque mondiale, « Le fait qu'un nombre aussi important de jeunes vivent dans les pays en développement présente de grandes opportunités, mais aussi des risques. Cela présente de grandes opportunités dans la mesure où de nombreux pays auront une main-d'œuvre plus nombreuse et plus qualifiée, et moins de personnes à charge. Mais il faut que ces jeunes soient bien préparés de manière à créer et trouver de bons emplois»130 Le premier aspect soulève le volume important dřinvestissements à consentir sur la jeunesse et qui ne sont pas toujours à la portée des Etats. En prenant simplement le cas de lřéducation, les investissements requis pour le primaire et le secondaire se chiffrent à environ 70 milliards de dollars pour les PED : cela représente 3% de leur PIB. Il convient dřy ajouter dřautres charges comme la préservation contre les grandes pandémies et la création dřemplois. Aussi, la situation de la jeunesse actuelle en Afrique offre une opportunité unique pour accélérer la croissance et réduire la pauvreté que moyennant trois actions déterminantes : Investir massivement dans lřéducation avec une amélioration permanente de la qualité des systèmes éducatifs en évitant les effets dřéviction Répondre à la demande de compétences Faciliter lřaccès au marché du travail Toutes ces mesures rentrent dans la politique de formation dřun capital humain plus productif capable de porter les innovations. Il sřagira principalement dřinvestissements dans lřéducation, mais aussi dans la santé, garantir lřaccès au marché par une meilleure planification de lřemploi, auxquels la Banque mondiale ajoutera lřexercice du civisme. Encadré 12 : L’investissement dans les jeunes est très rentable : Estimation des effets à long terme et interactifs de l’investissement dans le capital humain Des chercheurs ont adapté un modèle à générations imbriquées qui a servi à estimer lřimpact macroéconomique du sida pour lřappliquer récemment à une gamme plus élargie dřinvestissements dans le capital humain en Afrique : « En tuant essentiellement les jeunes adultes, le sida ne fait pas que détruire le capital humain quřils incarnent, il prive leurs enfants des choses mêmes dont ils ont besoin pour devenir des adultes économiquement productifs ŕ les soins des parents, leurs connaissances et leur capacité à financer lřéducation ». Dans une étude récente qui modélise explicitement les effets de lřenseignement secondaire, les auteurs estiment que lřépidémie du sida, qui a frappé le Kenya en 1990, a réduit le capital humain et le revenu par habitant à tel point que lřon ne retrouvera pas les niveaux de 1990 avant 2030. Un investissement dans lřéducation ŕ sous la forme dřun programme de 30 ans pour subventionner lřenseignement secondaire, dřun coût de lřordre de 0,9 % du PIB, à compter de 2000 et passant à 1,8 % du PIB en 2020 ŕ se traduira par un revenu par habitant supérieur de 7 % au niveau qui aurait été atteint sans cette intervention, les avantages continuant de se produire bien au-delà de 2040. La valeur actuelle nette des avantages, à des taux dřactualisation réalistes, serait 2 à 3,5 fois supérieure à celle des coûts ŕ un investissement fort rentable. En raison de la synergie qui a toujours existé entre lřenseignement post-primaire et la santé des jeunes adultes, il serait encore plus avantageux dřassocier à cette subvention des mesures directes pour lutter contre lřépidémie du sida et traiter François Bourguignon, économiste en chef et premier vice-président de la Banque mondiale pour l'économie du développement. 130 2 3 ses victimes. Un programme associant une subvention moins importante et des mesures pour lutter contre la pandémie et traiter ses victimes permettrait dřobtenir, avec le même montant dřargent, des avantages encore plus spectaculaires. Ces avantages sont imputables non pas seulement au fait que lřon sauve des vies humaines, mais aussi au fait que lřon est encouragé à investir davantage dans lřéducation suite à la réduction de la mortalité. Source: Banque mondiale, Rapport mondial sur le développement 2007 Section 5 : La problématique de la migration internationale « Pour l’émigration, on peut se poser la question de savoir si elle est gérée collectivement ou si elle est uniquement la réponse d’individus face à des problèmes économiques ou sociaux. Que peut-on dire par exemple de la grande migration européenne vers l’Amérique du Nord ? Etait-ce la gestion collective d’un excédent démographique ou un exutoire pour des problèmes individuels ? Ce mouvement a, en fin de compte, été bénéfique, et pour l’Europe et pour les nouvelles populations d’Amérique du Nord…. Si l’on imagine comme l’ont dit certains sans aucun fondement que 50 millions d’africains débarquent en Europe, qu’est ce que cela va changer ? En soit le chiffre paraît important mais que représente-t-il par rapport à 500 millions d’européens ? Un dixième. Si nous ne sommes pas capables de gérer cela, nous sommes vraiment minables. Cela ne modifiera pas nos problèmes…Les mouvements migratoires sont indispensables pour renouveler une société ». Jacques VALIN. I/ Le phénomène migratoire Les facteurs explicatifs des migrations sont à la fois nombreux et très complexes. Certains sont dus à des situations dřordre économique, des troubles, des guerres, aux famines, aux effets dřimitation, bref, à la recherche de meilleures conditions de travail et de bien être. Lřune des causes principale de la migration des personnes est lřamélioration des conditions de vie des migrants. En effet, ces populations vivant dans la misère, sans travail ne trouvent dřautres solutions que de quitter leur région, leur pays, voire leur continent. En agissant ainsi, les migrants espèrent trouver ailleurs, mieux que ce quřil y a chez eux. Les personnes quittent aussi leur lieu dřorigine pour une meilleure gestion du risque. Le modèle HARRIS-TODARO montre le passage du secteur rural au secteur urbain et soulève le passage du domaine du certain au domaine risqué. Selon BAUDASSE131 (2003), il est clair en effet que si lřespérance de revenu dans le secteur urbain est suffisamment grande, celle-ci peut compenser le risque encouru : il faudra pour que les individus acceptent de migrer que lřéquivalent certain (espérance de gain diminuée de la prime de risque) de la loterie constituée par lřactivité urbaine soit supérieure au revenu rural (supposé certain), il faut et il suffit donc que lřespérance de gain en ville soit supérieure à la somme du revenu rural et de la prime de risque. BAUDASSE T., « Les théories économiques des migrations », laboratoire dřéconomie dřOrléans, document n° 2003-01 131 2 3 Encadré 13 : Modèle Harris-Todaro Dans leur article pionnier de 1970, Harris et Todaro présentent un modèle d’équilibre général à deux secteurs : rural et urbain, ce dernier se caractérisant par la persistance du chômage à l’équilibre. Les stocks de capital par secteur sont fixes, de même que l’offre totale de travail. Le problème central à analyser est celui de l’allocation de la main-d’œuvre entre les secteurs. Leur conclusion est que le mouvement de la main d’œuvre du milieu rural vers le milieu urbain se poursuit jusqu’à ce que le salaire agricole (W A) égalise le salaire espéré en milieu urbain (WEU). Ce dernier est égal au salaire urbain (WU) que multiplie le taux d’emploi en milieu urbain, qui mesure la probabilité perçue par un chercheur d’emploi d’être embauché dans le secteur manufacturier. LU WA = WEU = WU (LU + CU) LU , CU: respectivement l’emploi et le chômage en milieu urbain. Source : MAROUANI M. A., (1999), « Libéralisation commerciale et emploi en Tunisie : un modèle d’équilibre général avec salaire d’efficience ». http//www.dial.prd.fr Les individus migrent également afin dřaméliorer leur revenu relatif dans un groupe de référence. Ce groupe de référence est selon certains auteurs, le secteur dřémigration, par exemple le village de provenance des migrants potentiels. La migration est vue comme une manière dřaccroître la place de la famille ou du ménage dans le village. Ceci se fait alors en envoyant certains membres de cette famille en ville pour travailler. Notons que la migration se fait le plus souvent des pays en développement vers les pays développés. Les migrants sont en majorité des jeunes, et de plus en plus de femmes. Encadré 14 : La migration comme gestion du risque Si on reprend les observations faites par Fiels (1975), le revenu urbain serait plus de deux (2) fois supérieur au revenu rural, tandis que le taux d’emploi serait rarement inférieur à 80 %. Supposons un individu risquophobe dont la fonction d’utilité dans l’incertain serait U(x) = x , supposons que l’activité urbaine fournisse un revenu de 200 avec la probabilité de 0.8 et 0 avec une probabilité de 0.2, et l’activité agricole un revenu de 100 avec certitude : - l’espérance d’utilité de l’activité agricole est de 100 = 10 - l’espérance d’utilité de l’activité urbaine est 0.8* 200 + 0.2* 0 = 11.31 La migration est donc avantageuse dans un tel cas, malgré l’aversion pour le risque. Source : Thierry Baudasse (2003), « Les théories économiques des migrations », Laboratoire d’économie d’Orléans, document N° 2003-01, pages 14 et 15 La migration volontaire a débuté il y a 200 ans. On distingue différentes typologies de migrations : La migration de travail qui est difficile à évaluer en 2 3 raison du manque de chiffres dû à lřexistence du secteur informel. Ces flux migratoires concernent 100 millions dřindividus. Selon des évaluations récentes, les principaux foyers dřaccueil des migrants de travail se trouvaient en Inde et au Canada. De nombreux pays tels que lřEspagne, lřItalie, La France, les États-Unis emploient une main dřœuvre abondante saisonnière étrangère au moment de la culture ou de la récolte manuelle de certains fruits et légumes. Ces travailleurs sont le plus souvent mal logés, mal payés et avec une couverture sociale imparfaite ou inexistante, tout en étant exposés aux pesticides et à diverses infections. La migration des réfugiés est justifiée par des mouvements de contrainte telles les persécutions ethniques, religieuses, régimes politiques injustes, les guerres civiles. 50% de ces déplacements concernent lřAfrique subsaharienne. II/ Les mutations et tendances de la migration internationale. La migration mondiale a connu quatre grandes mutations au cours des 50 années qui ont suivi la seconde Guerre Mondiale. La première concerne la chute de lřémigration des citoyens européens, en raison dřimportants mouvements au sein de lřEurope (y compris la Turquie). En 2000, les étrangers dřorigine européenne constituent 10.3 % contre 1.3 % en 1950. LřEurope de lřOuest et du Sud ont accueilli des migrants provenant de lřAsie, du Moyen-Orient et de lřAfrique. Aussi, depuis lřeffondrement de lřUnion Soviétique, lřEurope de lřOuest a reçu les migrants de lřEurope de lřEst. Lřeffectif des migrants de lřEurope est donc monté en flèche dépassant celui des États-Unis, et ceci sans compter lřeffectif des clandestins. La seconde mutation est celle de lřimmigration de lřEurope de lřEst vers lřOuest, avec lřouverture des économies Polonaises et Roumaines, et la chute du mur de Berlin. Les flux provenant de ces économies ont quadruplé entre 1985 et 1989, plus dřun million de personnes par an jusquřen 1993. La troisième mutation est celle qui concerne lřAmérique Latine dřantan, grand pôle dřimmigration, est devenue un important foyer dřémigration. En 1960, elle comporte 1.8 million dřimmigrés.Cette situation est causée par la présence de son voisin au Nord plus prospère. La quatrième mutation a lieu après la seconde Guerre Mondiale. Une importante vague de migrants en provenance dřAsie, dřAfrique et du Moyen Orient a été observée. La première phase du processus dřindustrialisation et de transition démographique a fait le piège de la pauvreté et déclenché une importante poussée dřémigration. En 2005, le nombre de migrants dans le monde est évalué entre 185 et 192 millions, soit environ 2.9 % de la population mondiale totale. 63 % des migrants vivent dans les pays développés contre 34 % dans les pays en développement. LřAmérique de Nord et lřOcéanie comptent plus de 10 % de migrants, lřAfrique, lřAmérique Latine et lřAsie moins de 2% de la population de chaque région. En 2050, les démographes prévoient 230 millions de migrants pour une population totale de 9 milliards. Le tableau 14 retrace lřeffectif et le pourcentage des migrants dans le monde. Tableau 19 : Effectif des migrants dans le monde Pop. totale Migrants Régions (milliers) (milliers) 2 3 % Réfugiés (milliers) Pays développés 1 193 872 104 119 59,57 5 008 Pays en développement 4 876 709 70 662 40,43 13 631 (dont pays les moins avancés) Afrique (667 757) (10 458) (5,98) (6 551) 795 671 16 277 9,31 6 060 Asie 3 679 737 49 781 28,48 8 450 Europe 727 986 56 100 32,09 5 649 Amérique Latine et Caraïbes Amérique du Nord Océanie 520 229 5 944 3,40 576 315 915 40 844 23,37 1 051 31 043 5 835 3,34 85 Monde 6 070 581 174 781 100 21 871 Source : Migration humaine. Une des nouvelles tendances de la migration internationale est le nombre croissant des femmes migrantes. Selon le Fonds des Nations Unis pour la Population, (UNFPA) 132 , les femmes représentent aujourdřhui près de la moitié des migrants internationaux dans le monde entier, elles sont 95 millions. Pour certaines femmes, la migration ouvre les portes dřun monde nouveau, leur apportant plus dřégalité, un soulagement à lřoppression et à la discrimination qui limitent leur liberté et réduit leur potentiel. Chaque année, ces femmes envoient dans leur pays dřorigine des centaines de millions de dollars. Cet argent permettra de nourrir des personnes, de les habiller mieux, dřinstruire des enfants, bref à lutter contre la pauvreté. Plus dřun (1) million de dollars en rapatriement de salaire ont été envoyés au Sri Lanka en 1999, 62 % ont été versés par les femmes. Aux Philippines, six (6) milliards sont envoyés par an, dont le tiers par les femmes. Ces dernières envoient un montant moindre que les hommes, mais elles le font régulièrement. III/ Les effets des mouvements migratoires Les migrants échappent aux impôts dans leur pays dřorigine, mais sont imposés dans les pays dřaccueil. De même, ils renoncent à certains services pour en bénéficier dans les pays dřimmigration. Ces services peuvent être la défense nationale, la protection policière, lřenvironnement naturel, les écoles publiques. Cependant, les migrants ne peuvent pas déterminer à leur niveau le gain ou la perte due à lřémigration. UNFPA, (2006), « État de la population en 2006, les femmes et la migration internationale ». http// www.unfpa.org 132 2 3 1°) Effets dans le pays d’origine Lřémigration suppose quřun ou plusieurs individus renoncent à certains services dans leur pays dřorigine. Le poids de cette renonciation ne se sent pas dans la mesure où la protection policière par exemple, ne va pas croître. Par contre, le fait dřéchapper aux impôts peut avoir des conséquences pour les finances du pays. En effet, les individus ont tendance à migrer au début de lřâge adulte ; ce qui signifie quřils nřauront pas à payer lřimpôt sur le revenu, alors quřils ont bénéficié de lřenseignement public aux frais du contribuable. 2°) Effets dans les pays d’accueil En général, lřon pense que les émigrés utilisent plus de services quřils ne payent dřimpôts dans les pays dřaccueil ; ce qui nřest pas le cas. Aux États Unis, au Canada et même dans lřUnion Européenne, jusquřà la fin des années 80, les immigrés payaient plus dřimpôts par rapport aux services dont ils bénéficiaient. Mais la situation sřest inversée au cours de ces dernières années. Les immigrants utilisent plus de ressources par rapport aux impôts quřils versent. Les immigrés illégaux payent plus dřimpôts que les légaux. Le continent Africain est lřun des continents dont le flux migratoire est de plus en plus croissant. Depuis 1990, on observe une expansion des migrations clandestines dans toute lřAfrique. IV/ Les flux migratoires africains Les pays africains sont confrontés à de nombreuses difficultés. En effet, ces pays enregistrent le taux de croissance démographique le plus rapide (3%) pour un taux mondial de 1.7 %. Lřeffectif de la population qui était de 221 millions en 1950 sera de 1.3 milliards en 2025 et 1.76 milliards en 2050. La pauvreté est quasi présente dans presque tous ces pays. Aussi, le taux de croissance du PIB qui était de 6% par an entre 1965 et 1970 est passé à près de 0% à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Comme nous lřavons déjà vu, globalement, la proportion des populations vivant dans lřextrême pauvreté avec moins dřun dollar par jour, est passée de 56 % entre 1965 et 1969, à 65 % entre 1995 et 1999. Lřendettement extérieur de ces pays est en forte croissance ; Il a multiplié de 3,3 fois en 20 ans, passant de 60.6 milliards de dollars en 1980, à 206.1 milliards de dollars en 2000. Devant les difficultés auxquelles ils font face dans leur pays, les jeunes africains, filles et garçons, espèrent trouver en Europe et aux Etats-Unis de meilleures conditions de vie et de travail. Les principaux continents de migration sont alors lřEurope et les États-Unis. Il existe une pluralité de voies de passage particulièrement pour lřimmigration clandestine. Les chiffres tirés de différentes sources montrent que le nombre de migrants sud sahariens accédant au Maghreb par ses frontières sahariennes est entre 65000 et 80000 annuellement au cours des dernières années. 80% des migrants se dirigent vers la Libye et 20 % vers lřAlgérie. En ce qui concerne les Etats-Unis, les immigrants africains sont en majorité des professionnels, des cadres et des techniciens. Le nombre des immigrants entre 1980 et 2 4 1990 a doublé, passant de 2 900 à 5 800 annuellement (figure 2). 133 Selon lřorganisation Internationale du Travail (OIT) en 2005, 160 à 250 milliards de dollars sont envoyés par les émigrés dans leur pays dřorigine. Figure 17 : Immigrants africains admis aux États-Unis 1988- 1998 Source : ARUN P.L., (2006), « Le visas de diversité des États-Unis provoque une fuite des cerveaux en Afrique ». http//www.prb.org Les migrations internationales des africains, c'est-à-dire les migrations ordinaires de travail sans compter les guerres civiles se font surtout sur le continent lui-même. LřAfrique de lřOuest en est un exemple. V/ La migration interne : le cas de l’Afrique de l’Ouest La carte migratoire en Afrique de lřOuest se présente comme suit : 133 Après avoir échappés « aux passeurs escrocs », à la noyade, aux barbelés, les candidats arrivent enfin à destination. Une fois en Europe ou aux États-Unis, certains déchantent. En effet, pour la plupart sans formation, ni diplôme, certains ont du mal à trouver un travail, dřautres plus chanceux arrivent à travailler mais dans la clandestinité en effectuant des travaux agricoles, de gardiennage. Ils arrivent par conséquent à faire des transferts dans leur pays. Cependant, les moins chanceux seront rapatriés faute de papiers. Lors de leur rapatriement, les migrants sont abandonnés à leur sort. Lřexemple le plus récent est celui du rapatriement des immigrés africains par le canal du désert. Ceuxci sont balancés dřun pays à un autre, abandonnés aux frontières maghrébines, dont les autorités sřempressent de sřen débarrasser. 2 4 de l’Ouest en 1990 Source: GENTLINI C., « Etude de cas : A la découverte du Sénégal », Académie de Rouen. Encadré 15: Les principaux mouvements migratoires en Afrique La mobilité a joué un rôle important dans lřadaptation des populations Ouestafricaines aux mutations de leur environnement. En effet, les indépendances et lřentrée dans lřéconomie de marché ont entraîné des changements dans le paysage économique. Les exportations se développent très rapidement, entraînant une croissance rapide dans les zones de culture de rente. Selon le Club du sahel (1998), on a surtout assisté à une taxation de cette richesse par les jeunes États, et à sa redistribution pour la création de relais administratifs dans le territoire et pour le développement dans les capitales. Cette mutation a entraîné la migration de la population Ouest-africaine, qui a suivi trois (3) grandes directions : un mouvement du Nord vers le Sud du pays, un mouvement général de lřintérieur de la région vers les zones côtières, un mouvement rapide des campagnes vers les villes. On observe sur lřencadré 7 un déplacement des populations des pays enclavés tels que le Niger, le Mali, le Burkina Faso, mais aussi côtiers, tels la Mauritanie, la Guinée (en raison de la répression), le Ghana (en raison du déclin) vers les pays côtiers notamment la Côte dřIvoire, le Cameroun, le Nigeria. Cette attractivité était due au développement des cultures de rente pour le cas de la Côte dřIvoire, de lřexploitation du pétrole pour le Nigeria. Ces pays ont connu la plus forte croissance de ces dernières années avec un taux dřimmigration de 0.4 % par an. En 1990, lřeffectif de la population étrangère en Côte dřIvoire est de 4.512.515 pour une population résidante totale de 12.568.011. Cinq ans plutôt, les étrangers étaient de 3.175.585 pour une population résidante de 10.092.735 comme nous le montre le tableau 4. On peut observer que les migrants sřétablissent aussi bien dans le milieu rural que dans le milieu urbain. En 1990, on compte 2.485.124 étrangers résidants dans le milieu rural contre 1.496.687 dans le milieu urbain. 2 4 Tableau 20 : Perspectives d’évolution de la population résidente totale et de la population étrangère (par milliers) en Côte d’Ivoire de 1965 à 1990. Population résidente 1965 1975 1980 1985 1990 Effectif 4 210 000 6 709 600 8 189 544 10 092 735 12 568 011 Population étrangère totale Effectif 980 000 1 506 020 2 218 651 3 175 585 4 512 515 Population étrangère en milieu rural % 23.3 12.4 27.1 31.5 35.39 Effectif 764 128 1 152 591 1 678 898 2 485 124 % 16.7 23.0 28.8 36 Population étrangère en milieu urbain Effectif 741 892 1 066060 1 496 687 2 027 392 % 34.6 34.31 35.2 35.8 Source : CODESRIA, (1987) « Population et développement en Afrique », édité par Hedi JEMA, page 149 Les flux migratoires nécessitent donc une meilleure gestion de la part des différentes parties concernées. VI/ Gestion efficace de la migration Plusieurs études scientifiques, conférences et initiatives ont été mises en œuvre afin de trouver des solutions, qui permettront de mieux gérer la migration. 1°) Les études scientifiques de gestion de la migration HARRIS ET TODARO134 ont essayé de trouver des solutions à travers diverses études. Ils préconisent une Policy mix 135 . Ceci permettra dřune part de limiter physiquement les migrations et dřautre part à la distribution dřune subvention aux salaires urbains. En procédant à une limitation de la migration, on sřassure quřaucune ressource ne sera gaspillée du fait de la non utilisation de facteur de production (chômage) et en subventionnant de manière adéquate lřemploi urbain, on sřassure que la production manufacturière sřétablira au niveau désiré par la société, malgré lřexistence du salaire minimum urbain. BHAGWATI ET SRINIVASAN (1974) 136 proposent une politique qui consiste à distribuer un subside au salaire aussi bien dans le secteur urbain que le secteur rural. Cette politique permettra dřaugmenter lřemploi et la production dans le secteur urbain, cette augmentation dřemploi ne va pas attirer Voir encadré 13 Traditionnellement, le concept de policy mix est entendu au sens large à savoir l’ensemble des combinaisons possibles entre politique budgétaire et politique monétaire. Ici, il renvoie à une stratégie croisée, une combinaison deux politiques pour gerer la migration. 134 135 Thierry Baudasse (2003), « Les théories économiques des migrations », Laboratoire d’économie d’Orléans, document N° 2003-01 136 2 4 dřavantage de ruraux qui sont à la quête dřun emploi en ville, du fait de lřexistence dřun subside aux salaires ruraux. 2°) L’initiative de Berne et la conférence Euro- Africaine de Rabat LřInitiative de BERNE lancée les 14 et 15 Juin 2001 lors du symposium international sur la migration a pour objectif dřinstituer un processus de consultation propre aux États, afin de stimuler lřéchange de vues et de promouvoir la compréhension des diverses réalités et des divers intérêts dans ce domaine. Le symposium international a conclu quřil pourrait être utile de mettre sur pied un cadre international informel de principes directeurs afin de faciliter la gestion de la migration. Ces principes seraient une compréhension des pratiques réelles dont les gouvernements pourraient sřinspirer pour gérer plus efficacement la migration aux niveaux national et international. À la conférence ministérielle Europe-Afrique tenue à RABAT en Juillet 2006, sur la migration et le développement, les Ministres se sont engagés à : « créer et à développer un partenariat étroit entre nos pays respectifs pour travailler de façon conjointe, suivant une approche globale, équilibrée, pragmatique et opérationnelle dans le respect des droits fondamentaux et de la dignité des migrants et des réfugiés, sur le phénomène des routes migratoires qui touchent nos peuples ». Encadré 16 : La communauté internationale face à l’immigration A l'aube du XXIème siècle, la communauté mondiale comprend désormais beaucoup mieux comment gérer de telles tensions - et c'est par la collaboration internationale et par le respect et la promotion des droits humains. L'une des plus grandes conquêtes du XXème siècle a été l'élaboration d'un système international des droits humains qui défend la dignité humaine et la satisfaction des besoins fondamentaux à laquelle tout être humain a le droit de prétendre - quelles que soient ses origines nationales. Ce legs tire son origine de la fondation même de l'Organisation des Nations Unies, qui comprend aujourd'hui une communauté de 191 nations chargées de trouver des solutions humainement acceptables aux difficultés que comporte le fait de vivre dans un univers mondialisé. Une gestion efficace de la migration internationale suppose une coopération mondiale, régionale et bilatérale. Ces dernières années, le dialogue intergouvernemental s'est intensifié. Grâce à l'élan communiqué par les récents engagements de haut niveau, l'année 2006 est importante pour la migration internationale et la définition de politiques mondiales, qui atteindra son point fort avec le dialogue de haut niveau sur la migration internationale et le développement. C'est là où réside le défi. Les gouvernements, les parlementaires, les employeurs et la société civile tiendront-ils la promesse des droits humains faite à près de 200 millions de migrants internationaux ? Le monde aura les yeux fixés sur eux. Source : UNFPA, (2006), « État de la population en 2006, les femmes et la migration internationale, chapitre 5 ». http//www.unfpa.org Ces mouvements migratoires ont pris de lřimportance pendant ces dernières années à cause de nombreux facteurs dont la mondialisation qui a accentué la pauvreté des uns et la richesse des autres. Au niveau international, les efforts doivent être orientés vers lřinsertion des pays dřorigine des migrants dans le commerce international. Mais cela soulève une autre question, celle de savoir si les investissements réalisés dans les pays dřorigine des migrants sont capables de réduire ou dřarrêter les flux migratoires entre les villes et entre les pays. 2 4 CHAPITRE 12 : INTRODUCTION GÉNÉRALE AUX OBJECTIFS, STRATÉGIES ET INSTRUMENTS DE GESTION DU DÉVELOPPEMENT. Jamais dans lřhistoire, la planète nřa accumulé autant de richesses matérielles, financières et techniques. Jamais les hommes et les femmes nřont été aussi conscients des perspectives réelles pour la satisfaction de leurs besoins, non seulement au sens strictement économique mais encore au sens social et humain plus large. Et pourtant, jamais les disparités nřont été aussi fortes entre le Nord et le Sud. Jamais la pauvreté nřa été aussi massive. La mondialisation caractéristique dans la production, les finances et les échanges apparaît ainsi comme un phénomène fortement asymétrique et clivé. Les stratégies suivies par les pays riches comme pauvres semblent toutes conduire lřhumanité à des impasses, du point de vue des perspectives nationales comme de celui de lřordre mondial.137 Les stratégies de développement telles quřelles se sont déployées durant le dernier quart de siècle ont multiplié les problèmes des nations et des individus qui les peuplent. Paradoxalement, lřabondance nřa pas apporté de manière substantielle lřamélioration du niveau ou de la qualité de vie aux populations. Elle a plutôt pollué lřenvironnement, gaspillé de gigantesques ressources, engendré la peur et le doute relativement aux relations intergénérationnelles. Lřincapacité à maîtriser les turbulences des systèmes économiques et financiers, à gérer les risques et les incertitudes et à gouverner lřordre mondial sont quelques manifestations évidentes du fait que des changements fondamentaux sont, aujourdřhui, indispensables et urgents, dans toutes les sphères des sociétés. Concernant les PSD, non seulement la pauvreté est grandissante, mais les populations sont de plus en plus insatisfaites et impatientes et les jeunesses frustrées de leur pénurie quant aux nécessités les plus élémentaires de la vie : éducation, emploi, nourriture, soins médicaux, logement, eau potable. Or, il est bien connu quřun monde qui désespère est un monde qui va exploser. Que faire ? À quoi servent toutes les théories et les modèles ? Sont-ils capables de transformer pareille situation par la force des idées ? La question de la scientificité de lřéconomie est à nouveau posée. En vérité ce nřest pas une question désincarnée : lřéconomie nřest une science que si elle aide à comprendre le monde (théorie positive) et à dégager des instruments pour le transformer (théorie normative). En conséquence, la communauté des économistes, surtout africains, devrait partager un système de référence et des informations suffisantes, relatives au cadre conceptuel qui a influencé le processus du développement et qui a abouti à lřélaboration du Consensus de Washington, fondement doctrinal des Programmes dřAjustement Structurel. Toutefois, les résultats mitigés et les multiples contestations de cette épure imposent aujourdřhui, un nouveau questionnement sur les stratégies du développement qui, tenant compte des enseignements du « grand miracle » des pays dřAsie, devraient déboucher sur de nouvelles formulations du développement africain. Moustapha KASSÉ : Consultation du BIT sur « La mondialisation et ses conséquences sociales », Dakar, et Arusha, 2004 137 2 4 Section 1 : Les objectifs en matière de développement Ces objectifs sont ceux que les techniciens du développement posent à lřappréciation des décideurs et autres acteurs chargés de conduire les politiques économiques et de choisir, en dernière instance, les instruments et moyens de leur mise en œuvre. Ces objectifs sont reliés aux facteurs ou structures de nature économique, politique ou sociale qui facilitent ou au contraire brident les politiques économiques. Ils peuvent être classés en deux catégories ceux qui sont relatifs à lřéconomie interne et ceux concernant les relations avec lřextérieur dans une économie ouverte. I/ Les objectifs internes Lřanalyse des caractéristiques économiques et même extra-économique des PSD a montré à souhait que les structures économiques, politiques et sociales des PSD sont traversées par des distorsions structurelles et des dysfonctionnements qui constituent autant de handicaps ou de freins pour le succès des politiques économique et sociale. Ces éléments sont bien connus et fonctionnent comme des contraintes quřil faut préalablement lever. Il sřagit de la croissance, de l'intégration de l'économie et sa diversification, de la mise en place dřinstitutions démocratiques et de la formation des ressources humaines. 1°) La croissance comme la priorité des priorités. Quelle que soit la société dans laquelle les citoyens désirent vivre, seule la croissance permet de sortir des manques issus du sous-développement et de donner des marges de manœuvres aux politiques. Aujourdřhui et dans le cadre des PSD, elle nřest plus le résultat dřun système économique (libéral, socialiste ou tout autre) mais un objectif que vise tout pays lancé sur les sentiers du développement pour accroître le niveau des forces productives matérielles et humaines et le bien-être des populations. Étant le produit de la combinaison de plusieurs facteurs, il revient aux économistes et aux techniciens du développement dřélaborer les politiques possibles de croissance, de fixer le taux que durablement le pays peut soutenir, compte tenu des ressources dont il peut disposer. Il leur revient également de sélectionner les moyens cohérents pour atteindre les objectifs retenus. Tous ces schémas et leur réalisation sont alors soumis à lřarbitrage des décideurs qui les transforment en volonté politique. 2°) Le deuxième objectif interne est l'Intégration et la diversification de l'Économie La plupart des pays africains présente un ensemble de désarticulation structurelle de lřespace quřil faut corriger pour créer une plus grande cohérence permettant une libre circulation des hommes et des biens préalable au fonctionnement dřun marché. On observe une véritable fracture territoriale qui procède à une distribution très inégale de la population par suite dřune urbanisation rapide et chaotique avec plus de 50% se concentrant sur un espace bien réduit du territoire. Cet effet de polarisation sera aggravé par le gigantisme des mégalopoles africaines : de grosses têtes sur de petits corps. Ce mouvement sřaccompagne avec son corollaire : le déclin continu des régions. De plus, la mégalopole exerce des effets dřattraction sur les hommes, les capitaux, les marchandises, les services, la vie intellectuelle et sociale. 2 4 Alors, il sřopère un double jeu : dřun côté des effets dřattraction (spread effects) et de lřautre des effets dřappauvrissement (backwash effects) pour les régions de lřintérieur. Ces derniers effets se manifestent sous des formes diverses : émigration des éléments les plus jeunes et les plus actifs vers la mégalopole, émigration des capitaux, faibles opportunités dřinvestissements et dřindustrialisation, régression de lřagriculture et insuffisance des services publics. Pour corriger ces déséquilibres, il faut alors développer conséquemment les infrastructures de base, les moyens de communication et de transport qui brisent les petites économies fermées et autarciques et les rattachent au réseau des échanges internes, promouvoir la décentralisation des infrastructures et institutions de modernisation de la vie économique et sociale : école, santé, réseau d'institutions de crédit spécialisées et adaptées aux conditions existantes. Ce point est important pour la formation dřune économie monétaire et dřune bonne propagation des flux monétaires. Un sous-objectif décisif est la recherche de la diversification de l'économie. La forte spécialisation des économies sous-développées est régressive et renforce la dépendance et lřinstabilité de la croissance économique. Il importe alors d'y remédier par lřorganisation dřune économie diversifiée, avec le développement d'activités économiques qui se soutiennent mutuellement et suscitent une demande suffisante. Cela appelle un développement équilibré et articulé des divers secteurs économiques : agriculture, industrie et tertiaire. Comme lřobserve J.K. Galbraith, «un pays purement agricole a toutes les chances d'être non progressif, même dans son agriculture»138 3°) Le troisième objectif cadre démocratique est la construction d’un Il y eut une époque, où dans la pensée économique la conviction la plus forte était que la gestion de l'économie ne relevait pas d'un processus de négociation politique, mais au contraire, cřétait l'immixtion des questions politiques dans la sphère économique qui perturbait cette dernière. Il était alors exclu d'évoquer toute question qui n'était pas strictement économique, et notamment les questions politiques et sociales. Progressivement pourtant, il est apparu qu'il était extrêmement difficile de mener des réformes économiques sans considération de leur environnement normatif et institutionnel, ni de leur légitimité politique et sociale. 139 Beaucoup de pays africains ont parcouru un long chemin sur la voie de l'achèvement d'une démocratie ouverte, libérale, pluraliste, favorable au développement de l'initiative privée et à la bonne marche des affaires. Dans la bonne moyenne des pays africains, la construction d'un État de Droit appuyé sur des institutions administratives et judiciaires indépendantes est une condition sine qua non du développement. Dans ce cadre comme le note Eric Weil, «l'administration doit être l'organe de la rationalité technique dans la société particulière»150 Le pluralisme politique, le contrôle de la légalité, ainsi que, désormais, la décentralisation, ont fini par former un cadre juridique au sein duquel les "prérogatives exorbitantes du droit commun", le "fait du prince" et autres privilèges dont la puissance publique pouvait se prévaloir, ont été progressivement limités. Il doit être loisible aux J.K. GALBRAITH: Conditions for Economic Change in Under- developed countries. Journal of Fam Economies, p. 690, nov. 1951 139 Pr. Moustapha KASSÉ: Démocratie et développement, Collection « Le Point Sur » NEA, 1991 150 1) Philosophie politique, (Éd. Vrin). 138 2 4 citoyens dřaller et venir, de participer à la gestion des affaires publiques comme dřentreprendre, sans que ces libertés puissent être obstruées ni remises en cause par la puissance publique. Cette dernière tentera au contraire dřaccompagner leurs efforts en les gênant le moins possible. La meilleure preuve en est la souplesse avec laquelle lřadministration contrôle le développement des activités économiques, que ces dernières relèvent ou non du secteur formel. Au lieu dřadresser des commandements tatillons, et suivant en cela des choix politiques, elle tente plutôt dřaccompagner les initiatives privées dans la voie de leur croissance et de leur modernisation. Également, le transfert à lřéchelon local de compétences auparavant détenues par le pouvoir central témoigne de la volonté de gérer les affaires publiques au plus près des besoins des populations, dans le respect de lřintérêt général. Le fonctionnement régulier dřun cadre démocratique doit se généraliser en Afrique et se mesurer à l'aune de lois et règlements qui assurent et facilitent : Dřabord, la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire ; Ensuite, lřexistence et le fonctionnement de contrepouvoirs comme une société civile forte et active, un organe anti-corruption indépendant, une commission indépendante des droits de lřhomme et des structures dřharmonisation et dřexécution des activités liées aux femmes ; En outre, la mise en place dřun système électoral transparent capable dřorganiser des élections libres et disputées pour que la sanction démocratique puisse effectivement s'exercer ; Enfin, le fonctionnement sans entrave dřune administration publique à la fois compétente, efficace, souple et transparente. Bien souvent, si les politiques tardent à produire des résultats, ce serait essentiellement à cause d'une administration inefficiente dont il faut limiter l'inclinaison à la corruption. 4°) Le troisième objectif est la formation des ressources humaines de qualité pour le développement économique et social Dans un monde où les produits, les capitaux et les technologies circulent et sřéchangent librement, ce sont les ressources humaines qui font la différence. Comme lřobserve Samuel PISAR cřest la ressource humaine qui différenciera les performances des divers pays. Dans ces conditions, il devient nécessaire dřopérer des investissements massifs dans la formation des hommes. II/ Les objectifs externes Ils se réduisent à la recherche de voies et moyens pour tirer grand profit de la mondialisation. Il est complètement douteux que les PSD puissent se déconnecter du système mondial d'échanges et de paiements : ils le sont déjà de fait. Le problème est plutôt de sřouvrir par des exportations en vue de trouver les recettes nécessaires au financement des importations dřéquipement. Également, ils doivent aménager leur environnement pour le rendre plus incitatif pour attirer les IDE surtout dans le contexte actuel de baisse drastique de lřaide publique au développement. Dans le cas de lřAfrique il faudra développer le commerce intra africain par des processus dřintégration dont lřanalyse sera approfondie ultérieurement. 2 4 Section 2 : Les stratégies de développement économique : le débat entre anciens et nouveaux économistes, entre orthodoxes et hétérodoxes. I/ Les anciennes approches des stratégies de développement. Le cadre intellectuel qui a influencé les différentes approches des processus de développement économique du dernier quart de siècle gravitait autour de la croissance économique considérée comme voie unique de sortie du sousdéveloppement. Les pays qui sřengageaient dans ce processus devaient réaliser une croissance accélérée, au taux le plus élevé possible compte tenu des ressources disponibles. De plus, il était souhaité que cette croissance fût harmonieuse, équilibrée et débarrassée de toute fluctuation trop forte en baisse comme en hausse. Lřadaptation du modèle aux pays en développement allait inclure dřautres facteurs comme la quantité et la qualité «réelles» de lřaide étrangère et des transferts de technologie destinés à compléter le capital local insuffisant. Les faibles efforts de mobilisation internes des ressources, rendaient les estimations concernant les possibilités de croissance rapide sans grande valeur pratique dans le modèle. Les études de la Banque Mondiale (BM) et du Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD) ont largement montré que les aides et les transferts de technologie ont principalement servi à créer des sociétés «molles» et à augmenter lřendettement extérieur qui devient aujourdřhui insoutenable. Cřest pourquoi, le Président Abdoulaye WADE, dans «Le Plan Oméga pour lřAfrique» montre justement que le binôme aideŔendettement était entré dans une impasse totale, ce qui impose de nouvelles formules pour le financement du développement. En ce qui concerne la fameuse question du transfert de technologie, les firmes multinationales qui furent les principaux vecteurs de cette politique ont tiré de leur «know-how» et de leurs équipements un prix excessif. En conséquence, la technologie «empruntée» pour la substitution aux importations et qui est à haute intensité de capital, nřavait que de très faibles liens avec la valorisation des ressources naturelles et la main-dřœuvre, ou avec le reste de lřéquipement technologique existant dans les pays récepteurs. Cřest pour enquêter sur la réalité et les résultats des efforts dřaide et de développement international des années 50 à 60 et pour les ajuster aux besoins de modernisation des pays pauvres que la COMMISSION PEARSON fut créée en 1968 par la Banque Mondiale. Le Rapport Pearson jugea que lřécart grandissant entre pays développés et pays en développement était devenu lřun des principaux problèmes de notre temps. Comme solution, il recommandait pour ces derniers pays un taux de croissance de 6% par an, une réduction des barrières douanières des pays développés, lřaugmentation de lřaide étrangère privée et un transfert de 1% du PNB des pays développés aux pays en développement. Il fut dès le départ évident que la Commission avait sous-estimé lřimportance de la crise mondiale menaçante et minimisé les extraordinaires privilèges des pays riches dans une tentative de restaurer lřancien mythe dř«un monde unique». Ses vues sur le développement se situaient dans le vieux cadre intellectuel décrit ci-dessus et ne cherchaient nullement à aller au-delà. 2 4 II/ Le Consensus de Washington : l’instauration d’un modèle d’économie de marché. La crise économique des années 70 et 80 réactive le débat de fond sur «le sousdéveloppement et ses solutions», en particulier entre groupes de spécialistes des sciences sociales désireux dřune part, dřaller au-delà du Rapport Pearson et de son référentiel normatif dřanalyse économique et dřautre part, dřexaminer toutes les réalités économiques, mais aussi sociales et historiques dissimulées par lřancien schéma analytique du développement. Tandis que le débat se développait, deux Ecoles pouvaient clairement être identifiées. 1°) L’École orthodoxe et les réformes pour une économie de marché. La première École, celle des tenants de lřorthodoxie de lřéconomie libérale, estime quřil faut redéfinir la philosophie et les objectifs du développement qui se réduisent pour lřessentiel à la croissance économique. Dans les années 80, suite à la crise de la dette, lřintervention des Institutions de Bretton Woods dans le débat sur le développement va s'accompagner de profondes transformations, tant dans la pratique que dans la réflexion. Une nouvelle ère en matière de développement est ouverte, que les spécialistes vont assimiler au "Consensus de Washington" qui remettait en cause la théorie du développement et la spécificité des sociétés sousdéveloppées. Il constitue en somme une sorte de revanche de la théorie néo-classique qui, sur la base de l'échec des stratégies de développement et des théories qui les portent, va étendre le champ d'application de son cadre d'analyse aux sociétés sousdéveloppées. Encadré 17: Le Consensus de Washington. Lřexpression consensus de Washington est née sous la plume de John WILLIAMSON (1990). Elle constitue le couronnement de la doctrine néo-libérale « recommandée » par la communauté financière internationale aux pays en voie de développement pour les amener à sřouvrir au processus de mondialisation. Elle est fondée sur une série de principes dont le plus importants sont la discipline fiscale cřest-à-dire des équilibres budgétaires et la baisse des prélèvements fiscaux ; la libéralisation financière avec la fixation des taux dřintérêt administrés en faveur des investissements prioritaires ; la libéralisation commerciale avec la suppression des protections douanières ; lřouverture totale des économies aux mouvements des capitaux et, en particulier à lřinvestissement direct ; la privatisation de lřensemble des entreprises ; la déréglementation cřest-à-dire lřélimination de tous les obstacles à la concurrence ; la protection légale des droits de propriété intellectuelle des multinationales. Le consensus de Washington a constitué le fondement des politiques menées par la Banque mondiale et le Fonds Monétaire International (FMI) basé sur le triptyque stabilisation, libéralisation, privatisation. Mais cette doctrine a fait lřobjet de vives critiques par suite des dégâts quřelle a causés. Au début des années 2000, à la suite de leurs échecs, la Banque mondiale et le FMI ont infléchi leur doctrine reconnaissant quřil faut également sřinquiéter de la démocratie, des inégalités et du fonctionnement de lřEtat. Dominique PLIHON : Le nouveau capitalisme, Collection Repères, La Découverte, Paris 2003. p 24 2 5 Du point de vue théorique, le Consensus de Washington remet en cause toute forme d'interventionnisme étatique et proclame la suprématie du marché dans l'allocation des ressources. Ce discours se rattache à la doctrine de l'équilibre général qui conçoit la possibilité d'une économie décentralisée suite, à l'émergence des prix d'équilibre résultant de la confrontation sur le marché de l'offre et de la demande des agents économiques. D'autre part, le consensus de Washington remet à l'ordre du jour les théories de l'avantage comparatif pour critiquer les choix d'importsubstitution ou d'industrialisation liée au marché interne, et pour justifier une insertion internationale basée sur les dotations en facteurs des pays sous-développés. Ainsi, désengagement de l'État, régulation marchande et avantages comparatifs seront les maîtres-mots des années 80, mais aussi les piliers de lřajustement structurel. Confrontés aux déséquilibres financiers, à la montée de lřendettement et à la stagnation de la production pendant la décennie des années 80, les pays dřAfrique ont été contraints de privilégier les politiques dřajustement et de stabilisation par rapport aux politiques de développement et aux plans à moyen et long terme. Lřapproche en termes dřajustement structurel est largement justifiée par le gaspillage des ressources, lřinefficacité de lřéconomie administrée et le poids des distorsions introduites dans le système de formation des prix et des revenus sur les marchés des biens et services, du travail, des capitaux et des changes. Les PAS cherchaient à mettre en place un volet stabilisation afin de réduire les déficits et de promouvoir une série de réformes structurelles pour assurer une plus grande régulation privée de l'économie et accroître l'insertion des économies nationales dans une mondialisation jugée incontournable et irréversible. Pour cette École orthodoxe les PAS constituent une solution appropriée à la crise économique africaine des années 80 et de celle provenant en grande partie des politiques économiques erronées des années 60 et 70. Après plus dřune décennie de réforme introduite par les PAS dans les pays subsahariens, la Banque Mondiale (World Bank, 1994) conclut, en se basant sur les éléments dřappréciation recueillis dans 29 pays engagés dans la voie de lřajustement, que les réformes ont été payantes et que les pays qui ont fait un effort particulier ont bénéficié dřun retournement tant au plan de la croissance que de la situation socio-économique, bien que ce retournement soit encore fragile. Les contre-performances (ou lřabsence de développement) observées dans les années 90 seraient alors en grande partie attribuées au fait que les politiques «rationnelles» que comportaient les PAS nřont pas été correctement appliquées. Les facteurs qui paraissent avoir empêché le bon déroulement des réformes sont nombreux. Diverses études de la Banque Mondiale notent des contraintes telles que : les difficultés à faire passer des réformes institutionnelles politiquement délicates (en raison de la puissance des groupes de pression) ; le fait que les gouvernements concernés nřont pas assumé la paternité des réformes ; lřinsuffisance des financements extérieurs ou de crédits pour la mise en œuvre des programmes ; pour les pays subsahariens, la faiblesse des moyens administratifs et institutionnels disponibles pour la mise en œuvre des réformes ; et, dans certains cas, le manque de réalisme des concepteurs des divers programmes quant à la rapidité et la chronologie des réformes à mettre en œuvre. 2 5 Au demeurant, si les PAS ont permis à certaines économies d'améliorer et de rétablir leurs déséquilibres macroéconomiques, ils n'ont pas réussi à initier de nouvelles dynamiques de croissance durable, suite à l'essoufflement des stratégies d'import-substitution. Par ailleurs, ces réformes se sont traduites par une détérioration des conditions de vie des populations et par un accroissement de la pauvreté. Également, les programmes n'ont pas favorisé la construction de nouvelles normes économiques et sociales pour succéder aux normes en crise. Au contraire, ils ont accéléré la décomposition des normes en crise et approfondi ainsi la régression économique et sociale. Cette crise économique et sociale a eu des conséquences politiques importantes à travers la contestation de la légitimité de l'État. Par ailleurs, le désengagement de l'État et la libéralisation économique se sont traduits par l'émergence, dans la plupart des pays, de nouveaux acteurs politico-financiers qui ont cherché à contrôler l'économie. L'affaiblissement de l'Etat et son extinction programmée dans certaines régions ont conduit parfois au développement de la corruption et à la constitution de fortunes sur la base de situation de rente. 2°) L’École hétérodoxe et la réhabilitation de l’État Ces médiocres résultats ont été à l'origine de la remise en cause des fondements théoriques et des choix de développement du consensus de Washington par lřÉcole dite hétérodoxe. En effet, une ère nouvelle est ouverte dans le champ de l'économie du développement depuis le milieu des années 90 qu'on qualifiera de période de postajustement qui est caractérisée par des interrogations sur la pertinence et les performances des PAS et la recherche dynamique et plurielle de nouvelles stratégies de développement. À ce niveau, les derniers Rapports de la Banque Mondiale sur le Développement offrent une illustration de cette évolution. Désormais, lřÉtat et les institutions sont réintégrés dans le champ de lřanalyse et de la praxis. Un Rapport dřun groupe dřexperts de lřUniversité des Nations-Unies sur le Développement Humain et Social avait contesté cette approche des fondamentalistes en déclarant catégoriquement que «le développement nřa fondamentalement rien à voir avec les chiffres de revenu national et sa croissance; il nřa rien à voir avec seulement les taux dřépargne et les coefficients de capital; il a à voir avec les êtres humains, par eux et pour eux. Le développement doit, par conséquent, commencer par lřidentification des besoins humains. Son but est de relever le niveau de vie des masses et de donner à tous les hommes une chance de développer leurs potentialités. Cela implique que lřon réponde à des besoins comme ceux dřun travail permanent, de salaires réguliers et convenables, dřécoles plus nombreuses et de meilleure qualité, dřun meilleur service médical, de transports bon marché, dřun niveau général de revenu plus élevé. Cela implique aussi que lřon satisfasse les besoins et désirs non matériels : auto-détermination, autonomie, liberté politique et sécurité, participation à la prise des décisions affectant travailleurs et citoyens, identité nationale et culturelle, et désir de sentir que la vie et le travail ont un sens». LřÉcole hétérodoxe composée pour lřessentiel des différents courants marxistes et néo-marxistes ainsi que des institutionnalistes et des «tiers-mondistes», reprend à son compte certaines de ces critiques de lřUniversité des Nations-Unies mais avec des formulations techniques nettement améliorées. Malgré son caractère idéologiquement hétérogène, les auteurs s'éloignent du modèle walrassien en reconnaissant les imperfections du marché et l'incapacité des politiques de stabilisation et d'ajustement orthodoxe à opérer les transformations nécessaires à une reprise durable de la croissance dans le Tiers-Monde. 2 5 Dans ce sens, J. STIGLITZ, ancien économiste principal de la Banque mondiale estime que «si les politiques économiques issues du consensus de Washington se sont avérées aussi peu performantes dans ce qui était leur objectif principal à savoir lřinstauration dřun processus vertueux de croissance économique harmonieuse ; cřest parce quřelles ont confondu les moyens avec les fins». En effet, même «un taux de croissance élevé nřa constitué et ne constitue pas une garantie contre une aggravation de la pauvreté» (MAHBUB UL HACQ : Banque mondiale). La libéralisation, la recherche des grands équilibres, les privatisations sont prises comme des fins plutôt que comme des moyens dřune croissance durable et équitable. De plus, ces politiques se sont beaucoup trop focalisées sur la stabilité des prix plutôt que sur celle de la croissance et de la production. Elles nřont pas su reconnaître que le renforcement des institutions financières est aussi important pour la stabilité économique que la maîtrise des déficits budgétaires et de la masse monétaire. Elles se sont concentrées sur les privatisations, mais elles nřont guère attaché assez dřimportance à lřinfrastructure institutionnelle nécessaire au bon fonctionnement des marchés, et particulièrement à la concurrence et à la compétitivité. Depuis les années 90, la médiocrité persistante des performances économiques et financières a continué de se manifester à travers la détérioration généralisée des indicateurs macroéconomiques, la désintégration des structures de production et des infrastructures et la détérioration rapide du bien-être social notamment lřéducation, la santé publique et le logement, a appelé le nécessaire ajustement de lřajustement. En effet, pour beaucoup dřéconomistes partisans de cette approche hétérodoxe, lřéchec du développement dans les pays subsahariens est avant tout le produit : de lřéchec des politiques économiques adoptées après lřindépendance, dans les années 60 et 70 ; de lřéchec des PAS mis en œuvre dans les années 80 pour remédier aux faiblesses structurelles des économies et des institutions des pays subsahariens. Ces faiblesses tiennent pour lřessentiel à la distorsion de la structure des échanges (à cause de la place excessive des produits primaires), au manque de modernisation de lřagriculture, à lřétroitesse et à la faiblesse de la base industrielle, et avant tout au niveau extrêmement faible de développement des ressources humaines ainsi quřà lřinsuffisance du réseau des transports et des équipements dřinfrastructure dans les régions rurales (CORNIA, 1991). Pour ces économistes, lřanalyse de la stratégie de développement à long terme montre quřil est vital de trouver des solutions pour remédier à lřinsuffisance des ressources humaines et des infrastructures. Dřailleurs, si les analystes ne semblent pas imputer totalement la stagnation économique des pays subsahariens aux seuls programmes dřajustement en tant que tels, ils soulignent cependant quřen accordant une prépondérance quasi absolue aux mesures de stabilisation à court terme, au lieu de sřattaquer aux problèmes structurels fondamentaux, ces programmes ont en fait amené les économies africaines à sřécarter de la voie dřune croissance durable (CORNIA, 1991 ; STEWART, 1992). Certains estiment même avec force arguments tirés de lřanalyse économique quřun cadre de développement modifié peut encore fonctionner «efficacement» : si la justice sociale ou distributive est intégrée dans les modèles ; sřil existe des institutions fiables, démocratiques et transparentes de coordination des transactions des acteurs, et qui soient capables de faire fonctionner un système de planification techniquement rénové essentiellement du haut vers le bas («top down») ; si la participation populaire dans la gestion du développement est assurée ; et si les Institutions Financières Internationales et le système économique 2 5 des Nations Unies assurent un processus continu de transfert pour une part raisonnable des ressources des pays riches aux pays pauvres. En définitive le continent africain est à la recherche dřune nouvelle vision, dřun paradigme et dřun programme alternatif de développement considéré comme une transformation de la société. La question centrale est alors : comment mettre en place un système économique et financier performant et jeter les bases de fonctionnement dřune société démocratique ? Dans ce contexte, il faut tirer, pour le continent africain, toutes les leçons du miracle asiatique. La croissance rapide des pays dřAsie de lřEst a montré que le développement était possible et quřil pouvait sřaccompagner dřune réduction de la pauvreté, dřune amélioration largement partagée du niveau de vie et même dřun processus de démocratisation. Évidemment, dans la phase ascendante des PAS les expériences du miracle Estasiatique étaient considérablement dérangeantes pour les défenseurs des solutions orthodoxes, car ces pays ne se sont pas conformés aux prescriptions habituelles des Institutions Financières Internationales. Dans la plupart des cas, lřÉtat a joué un rôle efficace de création et dřorientation des ressources vers des projets à long terme. Cet État a été qualifié dřÉtat «pro» cřest-à-dire promoteur, producteur, prospecteur et programmeur. Les gouvernements ont suivi certaines des prescriptions techniques habituelles, comme la politique macroéconomique stable, mais ils ont ignoré les autres. Par exemple, au lieu de privatiser, ils ont crée des entreprises hautement productives et plus généralement ils ont mené une politique industrielle pour développer certains secteurs. Les pouvoirs publics intervenaient dans le commerce, même si cřétait plus pour favoriser les exportations que pour limiter les importations. Également, ils se sont engagés dans un timide encadrement du secteur financier, en abaissant les taux dřintérêt et en augmentant la rentabilité des banques et des entreprises. III/ La nouvelle stratégie de l’émergence dans le contexte africain. Théoriciens et praticiens sont de plus en plus dřaccord sur le fait quřun nouveau cadre de concepts tels que celui évoqué ci-dessus est nécessaire pour la remise en cause des phénomènes critiques (et interdépendants) qui affectent partout le développement et pour nous aider à comprendre la nature des nouvelles forces qui apparaissent partout dans le monde et qui poussent au changement. Cette remise en cause ne doit pas seulement refléter une réforme de lřancien cadre du développement économique, rendu un peu plus efficace par lřincorporation dřun peu plus de justice sociale et distributive. Elle doit également redéfinir les orientations (approche positive) et les politiques à mettre en œuvre (approche normative). Cette redéfinition doit être tentée en étudiant lřexpérience historique des pays développés ou en développement, et non plus à partir de théories a priori totalement détachées des réalités. Des sous-modèles spécifiques à un pays pourraient être élaborés pour chercher à opérationnaliser le nouveau cadre. Un cadre de concepts différents, constitué par un nouvel ensemble dřobjectifs et par un nouveau processus, reste cependant une condition préliminaire et nécessaire pour que les sous-modèles puissent être applicables et politiquement valables. Un cadre international de soutien devrait également être élaboré. Mais avant que ce nouveau cadre international puisse apparaître, il faudra peut-être le détacher dřabord des relations globales existantes pour le faire rentrer, à de nouvelles conditions, dans de nouvelles institutions. 2 5 La tâche des économistes, toutes options idéologiques confondues, est dřappréhender la situation dřensemble des pays africains, dřidentifier les éléments sur lesquels il y a accord afin de définir le nouveau cadre général de concepts en phase parfaite avec lřaxiomatique de la rationalité économique. Les éléments à inclure dans ce cadre de concepts peuvent être jugés en fonction des critères ci-après : la définition dřobjectifs strictement économiques qui permettent de sřengager dans la voie dřun développement durable et dřéchapper au piège de la pauvreté; la restructuration des institutions de gouvernance et la reconstruction de lřÉtat en vue de la création dřun environnement institutionnel plus incitatif pour les politiques de développement ; la mise en œuvre de politiques sectorielles pertinentes dans le cadre dřune estimation réaliste de la dotation en ressources naturelles, et qui accordent à lřagriculture et aux technologies un rôle moteur dans la réalisation de la croissance ; lřélaboration de politiques publiques efficaces dřallocation optimale des ressources en faveur des activités productives; le choix dřune politique de redistribution des revenus qui maximise les potentialités endogènes de développement ; la mobilisation de la communauté internationale dans le cadre dřun nouveau ; partenariat qui accroisse les ressources financières à long terme et les investissements privés directs étrangers. 1°) Approche positive de l’émergence économique Dans la littérature, il nřexiste pas de définition universelle du concept dřéconomie émergente. Les conceptions diffèrent dřun auteur à un autre et surtout dřune institution à une autre. Lřémergence nřest pas seulement un concept dynamique, elle est un concept plus global qui ne se polarise pas seulement sur un marché, une bourse, une place financière, elle concerne le pays tout entier. Dès lors, un pays peut être considéré comme émergent pour deux raisons bien distinctes. Dřune part, il connaît un taux de croissance relativement élevé sur une période longue, parce quřil a réussi à développer son commerce extérieur et à accroître sensiblement ses exportations ; notamment de produits manufacturés dans lesquels il sřest spécialisé : il sřest alors intégré au marché mondial. Dřautre part, il a institué ou réactivé un marché financier sur lequel les transactions peuvent se développer parce quřil a incité les entreprises à se financer de cette façon à partir de lřépargne aussi bien nationale quřétrangère; il a probablement rendu sa monnaie convertible et libéré les flux de capitaux : il sřest intégré à la finance internationale. Le maintien de ce double mouvement devrait déclencher un processus de rattrapage économique des pays développés. Vu sous cet angle, quatorze pays sont retenus comme pays émergents ; Hong Kong, Singapour, Malaisie, Taïwan, Thaïlande, Indonésie, Philippines, Corée du Sud, Colombie, Chili, Mexique, Brésil, Argentine et Venezuela (Banque Mondiale dans sa revue «Working Paper»). Pour couper court à toute confusion entre pays émergents et nouveaux pays industrialisés, la Banque Mondiale retient seulement les pays émergents dřAsie de lřEst comme les nouveaux pays industrialisés. La célèbre revue«The Economist» dans sa section «Emerging 2 5 Market Indicator» publie des informations statistiques sur un ensemble de pays comprenant en plus des pays retenus par la Banque Mondiale, la Grèce, Israël, le Portugal, la Pologne, la Turquie, la Hongrie, la Russie, la République Tchèque et lřAfrique du Sud. Dřautres auteurs, tout en acceptant le point de vue de la Banque Mondiale, se demandent si la Tunisie, le Botswana, et lřÎle Maurice ne peuvent pas être considérés comme des pays émergents du Contient africain. Au regard des deux critères avancés, ils ne le sont pas, ce qui permet alors dřintroduire le concept médian de pays subémergents cřest-à-dire des pays qui mettent toutes les conditions en place pour devenir des pays émergents. 2°) Approche normative et pré-requis de l’émergence. Lorsquřon analyse la performance supérieure de lřAsie, pendant ces 30 dernières années, elle est attribuable selon LINDAUER ET ROMER (1993) à trois éléments interdépendants comme le mode de gouvernance et la qualité des institutions de lřéconomie, lřutilisation optimale des facteurs de production disponibles et le contenu de la stratégie de développement. La conjugaison de ces éléments a généré lřouverture sur les marchés extérieurs, le dynamisme du secteur privé, lřefficience de lřadministration, des systèmes financiers, de la main dřœuvre, les infrastructures et les institutions dřencadrement. Il faut chercher à quantifier tous ces éléments pour mieux comprendre le processus de génération de cette croissance durable en Asie. Dans leur essence, les réformes entreprises qui ont doté ces économies des caractéristiques suivantes : a) L’ouverture sur le marché international La théorie économique depuis ses pères fondateurs Adams Smith et David Ricardo a toujours mis lřaccent sur le commerce international ; les avantages rattachés à une ouverture se résument à : une plus forte spécialisation basée sur la théorie ricardienne des avantages comparatifs ; un plus grand accès aux innovations technologiques ; une pression plus forte pour lřamélioration de la compétitivité des entreprises locales ; une réduction des activités improductives. b) Le développement du système financier À travers la théorie du multiplicateur, lřanalyse keynésienne a montré que lřinvestissement est un élément clé de la croissance, or lřinvestissement nřest optimal que si le système bancaire accorde des crédits. Pour le développement du système financier, les pays dřAmérique Latine ont procédé dans une première étape à une libéralisation tous azimuts avant de mettre en œuvre des mesures dřaccompagnement à la libéralisation initiale. Le dynamisme du secteur financier sera mesuré par le ratio de crédits alloués au privé sur le PIB. 2 5 c) La libéralisation du marché du travail Le cadre de concurrence accru liée à la mondialisation rend indispensable que les entreprises aient le moins de contraintes possibles. Ces contraintes allant de la rigidité des salaires à cause de puissantes organisations syndicales et de normes institutionnelles (salaire minimum) à des conditions dřembauche et de licenciement très onéreuses. En fait, lřobjectif de plein emploi nřest réalisable quřavec un marché du travail flexible qui permet lřajustement entre lřoffre et la demande de travail. Les réformes qui ont eu lieu dans ce domaine visaient à lever lřensemble des distorsions, y compris celles relatives aux effectifs pléthoriques de lřadministration. Pour tenir compte de cet aspect, on retiendra comme indicateur le ratio constitué de lřemploi dans le secteur public sur lřemploi total dans le secteur non agricole. d) La réduction de la taille du secteur public Lřobjectif visé est dřune part, le remplacement du grand nombre dřentreprises publiques extrêmement protégées et inefficientes par des entreprises privées plus compétitives et, dřautre part, la suppression des monopoles pour que la fonction allocative du marché puisse être optimale. Au début des années 80, les pays émergents ont réduit significativement leurs emprunts publics, ce qui a attiré un tiers (1/3) des fonds privés destinés aux infrastructures en Amérique Latine et la moitié (1/2) en Asie de lřEst. e) L’utilisation efficiente et optimale des ressources publiques La littérature économique atteste quřune bureaucratie lourde ne rime pas avec des performances économiques car en fait, une large part des ressources devant servir à lřinvestissement est utilisée pour entretenir cette bureaucratie à des fins de consommation somptuaire. En vue de mesurer les progrès obtenus dans ce domaine par les pays émergents, le ratio des salaires de lřadministration sur les dépenses primaires est utilisé. f) La répartition équitable des fruits de la croissance Pour ce faire, les gouvernements ont dû convaincre les élites économiques de la nécessité de partager les fruits de la croissance avec les couches pauvres. Cřest ainsi que le pourcentage des populations vivant au dessous du seuil de pauvreté nřa cessé en effet de baisser dans ces pays : il est passé de 59% en 1962 à 26% en 1986 en Thaïlande et de 58% en 1972 à 17% 10 ans plus tard en Indonésie. Dans tous ces pays, la stratégie économique a été lřœuvre de technocrates compétents, propres et à lřabri des ingérences publiques. En plus, les gouvernements ont mis en place des cadres juridiques et réglementaires favorables à lřinitiative privée. Ils ont également favorisé un dialogue permanent entre les milieux dřaffaires et le pouvoir public, ce qui a permis de rendre les règles du jeu claires et transparentes et de susciter la confiance du privé. 2 5 Encadré 18 : Les "Six E" de la réussite de l'Asie orientale : Une originalité usurpée Malgré la crise financière d'août 1997 et les retombées récentes, les performances de l'Asie Orientale restent remarquables ces dernières décennies. Les origines de la forte croissance ont été répertoriées et résumées par les " six E " de la réussite qui sont les suivantes : 1État interventionniste et autoritaire dans le domaine social 2Épargne prioritaire et frugalité des consommateurs 3Éducation efficace largement financée par les ménages 4Entrepreneurs choyés par le régime 5Exportations évolutives et flexibles à la demande mondiale 6- Exploitation de la main d'œuvre. En fait, ces conditions ont été déjà réunies ailleurs dans le passé. Par exemple: L'État guidait les entrepreneurs japonais au début de l'ère Meiji. Il crée lui même des entreprises puis les cède aux Zaibatsu enrichies dans le négoce. Il reste fortement présent par la suite. Partout l'État contrôle de près le mouvement ouvrier. L'épargne est la vertu cardinale de la bourgeoisie entrepreneuriale dans l'Europe du ème XIX siècle L'éducation est considérée comme une composante du progrès dès la fin du XVIIIe siècle. Danton affirmait quř « Après le pain c'est de l'instruction qu'à besoin le peuple ». Lřentrepreneur est dans tout lřOccident le héros schumpétérien de lřindustrialisation. Les exportations sont devenues le moteur de la croissance industrielle en Allemagne et au Japon dès la fin du XIXe siècle. Enfin aucun pays capitaliste dans le passé, n'a réalisé sa première industrialisation sans favoriser l'épargne des entreprises au détriment des salaires et de la consommation. Dřoù le slogan « affamer pour développer ». Paul KRUGMAN, Professeur au Massachusetts Institut of Technology (MIT) présentait dans une entrevue avec la presse en juillet 1998 la réussite du modèle asiatique, plutôt comme le fruit de la transpiration que de l'inspiration et concluait certes, l'Asie finira par représenter la majeure partie du produit mondiale mais pour la seule raison qu'elle regroupe la plupart des hommes de la planète (CINCEE international, n° 465, juillet1998). Section 3 : Les préalables d’une politique de développement. Il peut paraître assez facile de définir de manière volontariste une politique de développement et de chercher les moyens de la réaliser ; pareille démarche nřest ni réaliste ni efficace. Le développement requiert des préalables économiques, financiers, technologique et institutionnels qui doivent être sérieusement analysés à la lumière des options idéologiques que les décideurs politiques se sont librement données. La démarche la plus rigoureuse consiste à réaliser un diagnostic complet et sans complaisance : des options idéologiques adoptées par les décideurs politiques : libéralisme, socialisme, voie intermédiaire en relation avec les autorités politiques et les agents du développement dont la collaboration est indispensable car, 2 5 comme lřindique F.PERROUX, une politique de croissance économique est impérativement une œuvre collective. des structures et du fonctionnement de lřéconomie pour connaître avec exactitude ses potentialités réelles, les institutions qui les gouvernent des options sectorielles consistant à la définition de la politique agricole, industrielle, à lřélaboration des politiques économiques de services, de technologie, de financement interne et externe des cadres chargés de lřélaboration des politiques économiques dřadministration et de gestion de la définition des instruments et techniques de gestion du développement Ce diagnostic constitue le point de départ obligé de toute politique de développement, surtout pour les PSD nouvellement indépendants. Cřest cette importance qui explique quřelles ont suscité de vives polémiques dans la pensée économique marxiste et universitaire. Ces réflexions théoriques de quelque côté idéologique que lřon se situe, tournent autour dřune triple problématique : les voies de lřindustrialisation, la stratégie de développement agricole et ses relations avec lřindustrie, la place des relations économiques internationales dans le processus interne de transformation. Chaque problématique implique diverses options qui nřont pas les mêmes conséquences : les dilemmes qui en résultent ne peuvent rester ouverts en permanence et sont autant de questions auxquelles il faut apporter des réponses très précises. Il nous faut en conséquence les analyser pour déceler les solutions adéquates sur lesquelles peuvent se fonder des politiques économiques claires. I/ Quel modèle d’industrialisation ? La politique dřindustrialisation est une composante essentielle de toute stratégie de développement économique et social. Elle consiste à mettre en place des capacités physiques de production susceptibles non seulement de valoriser les matières premières afin dřen tirer le maximum de plus-value mais aussi de garantir lřautonomie économique nationale en biens industriels. Lřobjectif primordial est de créer une capacité dřoffre de substitution aux importations et de valorisation à lřexportation, après transformations industrielles des productions agricoles et minières. Conformément aux théories économiques dominantes dans les années 50, lřindustrie avait pour fonction dřassurer la transformation de la production agricole et minière, et de fournir aux agriculteurs les intrants et le matériel dont ils avaient besoin pour élever la productivité. En retour, le surplus dégagé par le secteur primaire devait servir à financer lřindustrie naissante, laquelle devait être en mesure dřemployer une main-dřœuvre excédentaire libérée par lřaccroissement de la productivité dans le monde rural. Lřexportation des produits agricoles et miniers devait de leur côté servir à lřachat de biens dřéquipement importés nécessaires à lřindustrie tandis que celle-ci devait générer elle-même les devises indispensables. Dans ce contexte, le modèle dřindustrialisation par substitution aux importations et celui des industries industrialisantes (développement de filières) appliqué depuis les années 30 en Amérique Latine avaient séduit de nombreux pays en développement. Dans ce modèle, les industries de produits finis ont été vigoureusement protégées au moyen de barrières douanières (tarifaires ou non) accompagnées de taux de change multiples et surévalués (pénalisant pour les 2 5 exportations), de subventions et de monopoles. Incontestablement, cette politique a permis à certains grands pays dřAmérique Latine (Brésil, Mexique, Venezuela) de se doter dřun tissu industriel diversifié (sidérurgie, automobile, chimie, agroalimentaire, etc.) sans prendre en compte leurs avantages comparatifs. Aujourdřhui, il apparaît nettement que cette stratégie dřindustrialisation sřest essoufflée en produisant un ensemble de conséquences négatives dans les économies notamment : des déséquilibres internes et externes avec déficit budgétaire, hyperinflation et surendettement; dépendance accrue vis-à-vis de lřextérieur (biens dřéquipements et biens intermédiaires) ; faible compétitivité et fragile positionnement commercial dans le système international. La crise de la dette, lřapprofondissement des déséquilibres internes et surtout, lřisolante expansion de lřAsie du Sud-est à partir dřune stratégie dřindustrialisation par promotion des exportations (IPE) amènent à sřinterroger sur les possibilités réelles de lřISI, notamment pour des PVD. Plus gravement on peut se demander si aujourdřhui lřindustrialisation est possible, particulièrement pour les PSD africains ? Théoriquement le modèle dřindustrialisation dans la pensée économique est une conséquence issue des schémas de la reproduction élargie développés par K. MARX. Sans reprendre le fonctionnement des schémas, on peut apporter quelques précisions pour comprendre les formes industrielles quřils impliquent. En effet, dans la reproduction élargie, la totalité de la plus-value qui se forme nřest pas improductivement consommée, une part est utilisée pour lřachat dřéléments additionnels du capital productif ; ce qui suppose que le montant du capital variable et de la plus-value de la section qui produit les biens de production doit être supérieur au capital constant de la section productrice des biens de consommation. Cřest là la condition de base de la reproduction élargie. La réalisation de cette condition exige que le capital variable et la plus-value de la première section augmentent plus rapidement que les mêmes éléments de la section deuxième. En clair, un modèle dřindustrialisation est précisément rapide parce que la production des moyens de production est plus rapide que celle des biens de consommation, ce qui sřexprime dans lřélévation permanente de la composition organique du capital. Cet aspect de la question a été développé dans le «Capital » de Marx»qui raisonnait à partir dřune composition organique invariable. Dans le système capitaliste, ce qui croît avec le plus de rapidité, cřest la production des moyens de consommation et le plus lentement, la production des moyens de production» À partir de ces considérations, la loi de la priorité de lřaccroissement de la production des moyens de production a été mise en œuvre Ŕ G. DESTANNE DE BERNIS lřappelle « les industries industrialisantes » ? En faisant un peu dřhistoire, on constate que ce schéma a permis lřindustrialisation accélérée des pays du socialisme réel. Les théoriciens post-Marxistes ont surtout développé cette idée selon laquelle le socialisme ne peut être édifié que sur la base de la grosse industrie mécanisée qui est seule capable de réorganiser lřagriculture 140 . Cela se comprenait parfaitement car lřexpérience socialiste se déroulait dans des pays agraires donc industriellement arriérés. Cřest surtout STALINE qui a élevé cette conception au rang dřune option rigide selon laquelle une prépondérance absolue doit être accordée « à lřaccroissement de la production des moyens de production » car cette production a le devoir dřassurer 140 Idem. : Thèse développée lors du lřIIIe Congrès de lřInternationale Communiste. 2 6 lřéquipement de ses propres entreprises et des entreprises de toutes les autres branches économiques ; mais aussi parce que sans elle, il est absolument impossible de réaliser la reproduction élargie141. Désormais, le centre de lřindustrialisation aura sa base dans le développement de lřindustrie lourde 142 . Lřavènement de ce dogme sřest fait sur la liquidation successive de deux conceptions qui se dessinaient depuis la NEP : celle de N. BOUKHARINE et celle de lřopposition de la gauche représentée par L. TROTSKY et E. PREOBRAJENSKY. Le premier soutenait que la priorité dans le développement devait être accordée à lřagriculture qui peut créer un surplus disponible pour lřexportation et lřexpansion du secteur industriel. Ce développement de lřagriculture permettrait une nourriture correcte des villes et de plus, fournirait les matières premières nécessaires pour lřindustrie. Cette dernière disposerait de débouchés pour ses produits. Ces positions théoriques ont été vivement prises à partie par lřopposition de gauche qui défendait lřidée quřil fallait développer lřindustrie par une mobilisation des ressources disponibles. Celles-ci doivent nourrir de nouveaux investissements productifs. Elles proviendraient dřune restriction des consommations au niveau dřune agriculture intégralement socialisée. Une synthèse de ces deux positions théoriques est réalisée avec l »imposition dřune collectivisation forcée de lřagriculture permettant une mobilisation obligatoire des surplus pour le financement de lřindustrialisation. Cřest donc sur cette base que se développe la croissance prioritaire de lřindustrie lourde qui doit permettre de rattraper et de dépasser le pays capitaliste le plus avancé : les États-Unis. Les théoriciens soviétiques de lřépoque remarquaient que lřUnion Soviétique était en retard dřune cinquantaine dřannées sur les pays avancés et quřelle devait parcourir cette distance en dix ans. Sur cette base va se consolider la thèse selon laquelle lřindustrialisation véritable a pour fondement la loi de la croissance prioritaire du secteur I que Marie LAVIGNE formule de la manière suivante «dans les conditions de la grande production moderne, la croissance plus rapide de la production du secteur I par rapport à celle du secteur II est une nécessité»143. II/ Les relations entre l’industrie et l’agriculture Ces relations sont apparentes à partir de lřélucidation du rôle de lřagriculture dans la stratégie de développement économique et social. En fait, dans les PSD, les activités agricoles occupent une place décisive et accomplissent les fonctions économiques et sociales exorbitantes. Lřagriculture est lřactivité dominante de la majorité de la population active. Elle fournit lřessentiel des recettes dřexportation qui assurent les finances publiques. Pourtant, le rang de lřagriculture dans la hiérarchie sociale est bien en-deçà de cette place dans le procès de production. Toutes les statistiques établissent que dans les formations sous-développées, le niveau de vie des paysans est extrêmement faible par suite dřune distribution trop inégalitaire des revenus et des diverses ponctions opérées par lřÉtat et les autres couches sociales intervenant dans le secteur agricole. Plus grave, le capitalisme périphérique accentue cette situation au lieu de lřaméliorer. Il en résulte que la participation effective des masses rurales au développement est faible car lřagriculture ne remplit pas sa triple fonction de centralisation des surplus pour le secteur. Lřaccomplissement normal de ces fonctions permet lřamorce dřun J. STALINE : Les problèmes économiques du Socialisme. Idem. : La situation économique de lřUnion Soviétique et la Politique du parti. 143 Marie LAVIGNE : Les économies socialistes soviétiques et européennes, p. 190. 141 142 2 6 développement autocentré et dřautres avantages, dont lřamélioration des conditions dřexistence et de travail du monde rural. Dès lors, la transition appelle une stratégie impliquant une politique économique claire dans le secteur agricole. Cette stratégie passe par une remise en question des structures, de lřorientation de la production et des conditions de travail. En effet, on a déjà vu que la distorsion en faveur des activités exportatrices était à la base de la spécialisation dans la dépendance. La production sřeffectue dans des conditions de très faible productivité préjudiciable aux producteurs immédiats et à lřéconomie nationale. Lřextension de telles activités se fait au détriment des cultures vivrières et il en résulte une accentuation du déficit alimentaire. Lřagriculture est placée dans une situation de crise. On lřa réellement condamné à ne plus accomplir les autres fonctions vitales, notamment les investissements productifs pour lřélargissement de la production. Il est dřailleurs arrivé à un seuil limite de pression où les agriculteurs se sont révoltés en refusant systématiquement dřassurer lřapprovisionnement des villes. Cřest dire toute la délicatesse du problème qui est un élément fondamental de la répartition des revenus dans la transition. LřÉtat doit veiller au respect dřun certain équilibre qui assure une reproduction normale dans tous les secteurs économiques. LřÉtat a pour autre tâche de trouver une place aux relations économiques internationales pour que celles-ci ne reproduisent les mécanismes de lřéchange inégal qui entraînerait un transfert de ressources des formations sous-développées vers le système capitaliste mondial. Il importe alors dřavoir une orientation précise en matière de relations commerciales avec lřextérieur. III/ Les relations économiques internationales dans la stratégie de développement Ce problème analysé sous plusieurs angles montre chaque fois, que les relations extérieures dans les PSD occupent une place centrale en matière dřexportations des matières premières, dřimportations des biens dřéquipement et de consommation mais aussi de recherche de transferts financiers et technologiques. La politique des échanges extérieurs a pour objectifs principaux de corriger les conséquences d'une spécialisation fâcheuse- et de préparer l'adaptation de l'économie au commerce international en facilitant sa diversification et la formation du capital. Cřest ainsi que J. VINER affirme que la théorie de la division internationale du travail et du commerce international de Smith et de Ricardo avait mieux résisté à lřépreuve du temps que les autres aspects de leur doctrine. G. HABERLER, autre auteur contemporain, faisant autorité en la matière, considère lui aussi quřen comparaison des autres éléments de la doctrine classique. Cette théorie « a conservé sa valeur dřune manière étonnante. Elle a survécu à la révolution marginaliste et keynésienne sans grand dommage pour ses thèses essentielles ». Selon G. MEIER, « la théorie classique du commerce international a fait preuve quřelle était capable dřassimiler les modifications apportées par le progrès de la théorie économique générale ». La principale conclusion à tirer de la théorie dřHECKSCHER-OHLIN, est que chaque pays a intérêt à se spécialiser dans la fabrication et lřexportation de marchandises exigeant des facteurs de production qui y sont relativement abondants et, de ce fait, relativement bon marché. Ces deux auteurs ont déduit leur analyse de lřexpérience de la Suède qui était parmi les pays les plus « commerçants » du monde. Le contingent dřexportation de lřindustrie suédoise était très élevé, environ 55 à 60% de la production du pays sont vendus à lřétranger. Cette dépendance du pays à lřégard 2 6 du marché extérieur explique le grand intérêt que les économistes suédois avaient porté aux problèmes du commerce extérieur. Les théories néo-classiques estiment que les relations extérieures doivent compenser les infériorités relatives dans les dotations comparées en facteurs à partir dřun commerce sans entraves. Cependant, il reste et, ce sera démontré plus loin, que les chances de développement sont inégales et se répartissent en fonction de la taille des nations. Les relations commerciales ont-elles permis de réduire les écarts technologiques et de développement, le déficit extérieur et lřendettement des formations sous-développées ? Les théories de lřéchange inégal, affirment que les relations économiques internationales opèrent diverses formes de transferts de ressources des PSD vers les pays développés. La détérioration des termes de lřéchange est présentée comme une manifestation de tels transferts. Pourtant, elle ne représente que la partie visible de lřiceberg, il y a bien dřautres formes cachées et parfois occultes de transferts. Cřest dire que lřéconomie mondiale ne régule pas harmonieusement et égalitairement les ressources financières comme lřaffirme la théorie de la croissance transmise. Dans ces conditions, les PSD doivent trouver une stratégie du commerce avec lřextérieur qui nřannule point les effets positifs de la politique économique interne par le transfert de ressources rares au système mondial. Les éléments dřune telle stratégie sont dřune conceptualisation facile et consistent en une double action dialectiquement liée à lřaccroissement de lřoffre des biens dřexportation et dřautre part, à une diminution des importations. Si en lřapparence, les actions sont simples, elles suscitent dans leur concrétisation dřénormes difficultés que seule une planification adéquate peut résoudre. Pour que cette planification ne soit point une coquille creuse, elle doit être portée par des politiques claires dřexportation et dřimportation. Au niveau des exportations, le problème est dřabord de connaître les biens exportables qui fournissent pour un pays des avantages comparatifs importants. Sur cette base, on pourra développer une industrie et des activités agricoles travaillant exclusivement pour lřextérieur. Une fois le choix opéré sur les biens, le plan pourra fixer un seuil dřefficience des exportations. Ensuite, il sřagira de dégager les allocations dřinvestissements destinées au secteur exportateur. Pour les importations, le problème nřest point de les minimiser dans lřabsolu, mais plutôt dřopérer une sélection sur les biens importés en fonction de deux (02) critères de nécessité dans le processus dřexpansion et dřopportunité alternative. Le premier pose que certains biens indispensables dans la structure nationale doivent être nécessairement importés. Cřest donc un choix impératif car lřexpansion dans ce cas ne peut se poursuivre que par un accroissement des importations, il nřexiste pas dřautre choix. Le second suppose que lřimportation soit réalisée lorsquřelle présente des avantages plus grands que si les biens concernés étaient localement produits. Dans un cas comme dans un autre, le planificateur procède à des arbitrages tenant compte des avantages économiques réels que lřéconomie nationale peut tirer les importations. Globalement dřailleurs, les formations sous-développées qui sont pour la plupart de petits pays « ne peuvent développer la production de toute la gamme de machines nécessaires à une économie moderne et fabriquer tous les produits intermédiaires, étant donné le coût du capital requis et les déséconomies dřéchelle». Le planificateur doit avoir en matière de commerce extérieur des objectifs précis à réaliser. Bien que ceux-ci soient multiples et multiformes, un au moins nous semble essentiel : la couverture des importations ou la diminution de leur niveau réel. En effet, dans des formations sociales où existe un déficit systématique et chronique de la 2 6 balance commerciale, une politique de couverture des importations est une impérieuse nécessité, mais elle passe par un développement des activités exportatrices. Dans cette optique, la problématique des relations avec lřextérieur pose lřallocation des ressources aux secteurs dřexportation. Lřobjectif visé peut être également une diminution des importations obtenue par des mesures administratives, protectionnistes ou monétaires. Dans un cas comme dans lřautre, une planification efficiente exige un contrôle, une maîtrise des opérateurs économiques établissant le joint avec lřextérieur. En plus, la planification appelle une rigoureuse politique monétaire dřaccompagnement, laquelle doit être assise sur lřétat effectif des réserves disponibles au moment où le pays amorce la transition. À titre illustratif, Serge KOLM estime que différentes actions sont possibles selon les réserves héritées de la société antérieure. Dans une situation, par exemple, de liquidités excessives, on peut envisager une politique dřachat de biens utiles ; ce qui aurait pour conséquence immédiate un alourdissement du déficit de la balance commerciale, mais qui nřentraîne pas en réalité une baisse de la valeur internationale de la monnaie. La dévaluation peut également se présenter comme une autre formule dřutilisation des excédents de liquidités surtout lorsque la situation de sous-emploi est caractéristique. Elle contribue alors à augmenter les prix extérieurs et partant à décourager les importations. Ces considérations, sans doute très vagues, ne peuvent refléter toutes les situations particulières des formations sociales en transition et les diverses attitudes que prend lřenvironnement international. Disons simplement que toute planification efficiente du commerce extérieur sřaccompagne nécessairement dřune politique monétaire, car comme lřobserve S.C. KOLM, «ce problème monétaire extérieur peut être anodin ou mortel selon quřon en tient compte à temps ou trop tard»144. Nous avons passé en revue les divers domaines où des options très claires doivent être prises. Ces options éclairent et conditionnent les actions conjoncturelles à court terme que les autorités (qui ont en charge la politique économique) doivent comprendre. Ces diverses actions sont réalisées avec des instruments techniques au premier rang desquels on a la planification et ceux liées au marché. Section 4 : Fonctions et techniques de la planification, de la prévision et de la prospective au niveau des PSD. Il est difficile de trouver une définition consensuelle de la planification bien quřelle occupe dans plusieurs pays une place centrale et joue un rôle déterminant pour les pouvoirs publics qui, parfois, en font un instrument technique dřéclairage de leur processus décisionnel, de la cohérence et de la pertinence de leurs choix économiques et sociaux. Approximativement, la planification est un interventionnisme de lřÉtat visant à organiser lřéconomie nationale en sřassurant de lřatteinte des objectifs poursuivis dans une période de temps. Dans un système socialiste caractérisé par une appropriation collective des moyens de production, elle doit rendre possible ce que le marché ne permet pas, à savoir la définition dřune vision à long terme et la recherche de lřintérêt général. À cette planification impérative sřoppose une planification indicative qui a eu ses lettres de noblesse avec Pierre MASSE et tente de concilier Plan et marché cřest-à-dire que le Plan est impératif pour lřÉtat mais indicatif pour tous les Serge Christophe KOLM : La transition socialiste, la politique économique de gauche, p. 137. Édit. Cerf, Paris, 1977. 144 2 6 autres acteurs de lřéconomie nationale. Ses objectifs sont de trois ordres : réduire les incertitudes, servir de cadre à moyen terme à la politique économique et servir à lřÉtat de budget pluriannuel. Socialistes comme libéraux en ont une compréhension et une utilisation au service de la réalisation de leurs objectifs : planification centralisée et rigoureuse au service dřune économie largement appropriée par lřÉtat et planification indicative, directive et incitative en complémentarité avec les mécanismes du marché dans la pure tradition libérale. La mixture des deux conceptions est utile aux pays qui ne sont ni dans lřune, ni dans lřautre des deux situations idéologiques et qui rejettent le manichéisme et tentent une synthèse utilisable. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, la planification connut une diffusion et une application de plus en plus importantes, sous des formes diverses, à travers le monde et plus particulièrement dans les pays sous-développés dont certains venaient dřaccéder à lřindépendance nationale. Cette évolution tient essentiellement à lřinfluence conjuguée de trois principaux facteurs : dřabord, la planification soviétique commencée depuis 1928 et dont les résultats spectaculaires vont influencer largement la théorie du développement naissante ; ensuite, la planification européenne dřaprès-guerre mise en place pour lřaccélération de la reconstruction notamment en France et Hollande ; enfin, la théorie keynésienne et néo-keynésienne dont les mécanismes cumulatifs dřinvestissement, de création de richesse et de distribution de revenus permettent de relancer et de dynamiser à fond les économies. Cřest ainsi que de 1950 à nos jours, il a été recensé quelques 300 plans nationaux de développement à travers lřensemble des PVD. En 1983, 80 pays du Tiers-Monde avaient un plan. Le Mali (de 1960 à 1967) et lřAlgérie représentent en Afrique les plus grandes expériences en matière de planification. Globalement, les objectifs visés par les plans, bien que très divers, peuvent être regroupés en quatre catégories : La promotion de lřaccumulation primitive interne en vue de lřinvestissement : pour cela, les plans devaient sřemployer à mobiliser toutes les ressources nationales en vue du financement du développement. De la sorte, on espérait accélérer lřélévation des forces productives sur des bases endogènes. La valorisation maximale des effets dřentraînement des investissements sur lřéconomie nationale : à ce titre, cette priorité devait être accordée aux projets ayant dřimportants effets multiplicateurs et suffisamment intégrés en vue du renforcement des relations inter-sectorielles. Elle devait également lřêtre à lřutilisation de technologies appropriées qui évite de désarticuler lřéconomie à travers des effets pervers indésirables. Lřédification dřune économie nationale mieux articulée, à forte capacité de résistance vis-à-vis des chocs exogènes et à redistribution plus équitable des richesses produites : pour ce faire, lřinvestissement se devait dřêtre prioritairement orienté vers des productions (de biens et services) destinées à satisfaire les besoins de base des populations (alimentation, habitat social, éducation, santé entre autres…). De même, il revenait au plan dřexplorer et dřexpliquer utilement lřensemble des voies et moyens susceptibles de réduire le plus possible la dépendance extérieure du pays. La mise en place de dispositifs complémentaires dřordre administratif pour lutter contre les tendances à lřinégalité économique et sociale dans le cadre de la croissance économique. 2 6 I/ Considérations générales sur le processus de planification La généralisation de lřutilisation du concept et de la pratique de la planification dans les pays sous-développés est un trait dominant de la vie sociale. Au double point de vue pratique et théorique, la planification est dřorigine soviétique, même si les idées quřelle recouvre peuvent remonter très loin dans lřhistoire. La pratique démarre avec le premier plan de 1928 qui était établi selon une prévision des rythmes et des proportions de développement économique. Dans la nouvelle République des Soviets en pleines mutations structurelles et totalement coupées de la division internationale capitaliste du travail, il fallait trouver une technique de mise en œuvre consciente et rationnelle des ressources nationales en vue de leur utilisation optimale au service des objectifs socio-économiques nettement spécifiés. La planification se perfectionnera pour devenir en dernière instance lřinstrument qui définit les tâches et objectifs du développement ainsi que les méthodes et moyens de les réaliser. Enfin, il fixe les ressources à mobiliser et détermine les délais de réalisation. Le plan est alors un instrument de régulation et de direction de la vie économique et sociale. Pourtant, les fondements théoriques de départ de la planification étaient extrêmement réduits. Cřest une discipline dans laquelle la pratique a devancé la théorie. On ne trouve pas dans les travaux scientifiques des économistes une solide, complète et cohérente formulation du processus planifié dřune économie nationale. Tout au plus, dans tel ou tel ouvrage théorique, on peut découvrir quelques allusions, quelques approximations totalement incapables de fonder une praxis consistante. Autant la position implicite de MARX au sujet du principe de la planification est claire, autant il est difficile de trouver dans ses ouvrages des références explicites, mêmes indirectes, tandis que fait défaut toute prise de position directe et générale. En clair, les planificateurs sont partis uniquement armés des instruments quřils se sont forgés eux-mêmes145. Ce sont toutes ces raisons qui ont naguère fait apparaître la planification comme un attribut des économies socialistes. Après leur accession à lřindépendance, les PSD ayant opté pour des politiques de croissance accélérée en vue de combler leur retard économique, moderniser leur système productif dans tous ses secteurs et résoudre les problèmes dřemploi de la main-dřœuvre, ont eu recours à la planification mais à la suite de vives polémiques et controverses. Lřadhésion à lřidée de planification nřest pas tombée sous le sens et a été accueillie au départ avec méfiance. Deux tendances aux visions très différenciées se sont vivement opposées sur lřopportunité et la nécessité dřamorcer un processus planifié des économies146 . La première tendance était parfaitement hostile, estimant que la planification est une technique impossible à appliquer dans les formations sahéliennes caractérisées par le sous-développement économique et social. Une série dřarguments est avancée pour appuyer cette thèse. BOBROWSKY souligne avec pertinence que ni la théorie soviétique, ni à plus forte raison la théorie bourgeoise ne leur ont fourni des instruments valables et utilisables. Ils ont donc été leurs propres maîtres. 146 Voir le point réalisé par Michel GAUD : Les premières expériences de la planification en Afrique Noire. 145 2 6 Dřabord, la planification est un instrument de réduction des incertitudes et sřappuie sur un appareil statistique et des modèles scientifiques de prévisions. Or, ces éléments déterminants sont encore très loin dřêtre réunis. Ensuite, elle est une technique de maîtrise du développement. Là encore, la dépendance qui est un trait dominant au niveau des économies subsahariennes fait que celles-ci fonctionnent par et pour lřéconomie mondiale qui est le centre de décision ultime. Enfin, la lecture des expériences de planification centralisée établit que la planification est souvent synonyme de lourdes bureaucraties inefficientes et coûteuses. Également, elle apparaît comme liée à la démultiplication de procédures stérilisantes qui annihilent toute initiative. À tout cela sřajoutent aussi les déficiences quantitatives et qualitatives des cadres susceptibles dřactionner le plan. Pour toutes ces raisons, les tenants de cette conception recommandent lřobservation dřune démarche prudente et la prise en considération de préalables sans lesquels le processus de planification est irrémédiablement voué à lřéchec, à savoir : la disposition dřune base statistique large et de cadres compétents, le contrôle de lřéconomie et lřexistence dřune structure institutionnelle, fonctionnelle. La seconde tendance développe des arguments inverses. Elle part de lřidée que lřaction de lřhomme dans un environnement instable et hostile ne saurait être abandonnée à la turbulence des forces de la nature et du marché. La technique de la planification doit permettre lřorganisation de cette nécessaire maîtrise du développement dans cet environnement incertain et à risque. En plus, elle est la seule alternative à lřanarchie héritée des mécanismes et rouages de lřéconomie coloniale de traite. Elle seule permet dřindiquer les voies et moyens pour discipliner les efforts collectifs et atteindre les objectifs de croissance économique et sociale préalablement fixés. En conséquence, non seulement le plan indique les actions à entreprendre, mais également désigne explicitement ou implicitement «une éthique des valeurs sociales et une philosophie de la condition humaine». Comme on le voit, ces controverses théoriques passionnées sont empreintes dřarrière-pensées et préjugés idéologiques et politiques. Cependant, elles seront déterminantes quant à la fixation des cadres mêmes de la planification et des conditions de mise en œuvre dřun processus planifié des économies sousdéveloppées. Le débat établira, en dernière analyse, que si la planification est une nécessité pour une accélération et un contrôle du développement, pour une utilisation optimale et efficiente des ressources et la promotion au niveau global du principe de non gaspillage. Son instauration dans les PSD appelle lřadaptation de ses méthodes et techniques aux réalités socio-économiques quřelle doit servir, et la progressivité quant à lřinstauration des mécanismes et structures institutionnelles caractéristiques du processus planifié. Sur le premier point, tout le monde sřaccorde pour reconnaître quřil nřexiste pas de planification en soi, autrement dit, il ne saurait exister un modèle universel de planification car cette technique est « appliquée pour résoudre des problèmes socioéconomiques bien déterminés»… Ainsi, le pessimisme relatif à lřutilisation éventuelle, par les pays dřAfrique, de la planification occidentale ne signifie en aucune manière le recours à lřautre lřextrémité : copier aveuglément la planification socialiste. En effet, il semble que la transplantation automatique dans les pays dřAfrique des formes et des méthodes de la planification contemporaine socialiste relève de lřaventurisme économique147. Les méthodes et techniques de la planification doivent, en toute conséquence, sřadapter aux particularités historiques, sociales et économiques du pays. Même en 147 Youri POPOV : Aspects méthodologiques de la planification. Revue algérienne, n° 1, mars 1967. 2 6 sřinspirant des expériences entreprises dřailleurs qui peuvent conduire au succès, le planificateur africain est condamné à trouver la juste mesure entre les traits universels de sa science et les traits particuliers. La seconde condition concerne la progressivité du processus planifié des économies. Elle prend appui sur les déficiences des statistiques, permettant dřéclairer les décisions, la méconnaissance des mécanismes économiques et lřinsuffisance de cadres techniques compétents et de structures institutionnelles effectivement appropriées. Ces éléments constituent des obstacles, des goulots dřétranglements qui imposent lřobservation dřun étatisme dans lřinstallation des mécanismes et techniques de la planification. Les débats théoriques qui ont induit certaines conditions pour lřaccession à la planification ont, en définitive, imposé partout dans les PSD, des systèmes hybrides tenant à la fois de la planification souple appliquée dans les pays à économie de marché et de la planification centralisée des pays socialistes. La méthodologie dans un tel cadre est forcément à mi-chemin entre le pragmatisme et lřéconométrie. Le pragmatisme découle du fait que : le marché est libre et détermine le système des prix qui restent ainsi des indicateurs de rareté, les moyens de production et les unités économiques ne relèvent pas de la propriété sociale même sřil existe un secteur public, les économies sont articulées à la division internationale du travail, ce qui leur interdit dřavoir une conjoncture autonome. Les moyens dřaction dont disposent les planificateurs sont extrêmement réduits. Le plan se présente alors comme un conglomérat de projets publics et privés et ne lie que très peu les divers agents économiques. Il mémorise les actions à entreprendre. Quant à lřaspect économétrique, il réside dans lřutilisation de modèles simples établissant les liens entre les variables décisives de lřéconomie et le recours à la prévision normative. Ainsi, si lřon retient un taux de croissance estimé suffisamment performant, le planificateur procède à des déductions lui permettant de fixer le volume désiré dřinvestissement, dřépargne, le besoin de financement complémentaire, le volume de lřemploi, etc. Lřéconométrie permet dřétablir le niveau de toutes les grandeurs macroéconomiques. Si toutes les choses restent comme voulues par les hypothèses retenues de croissance économique, ce niveau ainsi calculé des grandeurs indique les actions à entreprendre en matière de politique fiscale et budgétaire, de relations économiques internationales. En définitive, tout aussi bien en matière de fixation des objectifs et des indices à atteindre, de prévision macroéconomique quřen matière dřélaboration et dřapplication de mesures destinées à atteindre les objectifs, la planification sahélienne reste très empirique. Cřest cela qui explique que les plans de cette région sont considérés, par certains auteurs, comme des coquilles creuses, élaborées par les techniciens du développement, sans aucune participation populaire. Ces dernières années, il y a eu de sérieuses amélioration portant sur : les méthodes dřélaboration, dřexécution et de contrôle, les cadres institutionnels et organes de gestion de la planification. Au niveau des méthodes, les planificateurs de la "deuxième génération" appréhendent avec plus de clarté les problèmes quřils doivent résoudre à savoir : 2 6 II/ Synopsis des étapes d’élaboration d’un Plan Lřélaboration du Plan de lřéconomie nationale pourrait suivre les 6 étapes qui suivent : 1. Évaluation du cadre socio-économique du pays, évaluation des ressources, analyse de lřétat de lřéconomie au début du plan et des tendances du développement économique qui se sont faits jour dans la période précédente ; 2. Prévision des options fondamentales du développement, du niveau des besoins sociaux et des ressources pour lřavenir, prévision du progrès scientifique et technique ; 3. Définition des objectifs et des tâches du développement économique pour la période du plan, coordination de ceux-ci avec les objectifs du développement à long terme, définition des options fondamentales du développement de lřéconomie nationale et des méthodes de la politique économique. 4. Définition des taux et des coefficients de proportionnalité du développement, projection des grands agrégats retenus de lřéconomie sur la période considérée ; 5. Rédaction détaillée du plan de lřéconomie nationale et ses démembrements au niveau local, régional ; 6. Définition des tâches des organes de suivi et dřévaluation des tâches du plan à tous les échelons de concrétisation. Si des efforts remarquables ont été réalisés au niveau méthodologique en Afrique, ils le sont beaucoup moins dans la définition de cadres institutionnels de gestion du processus planifié. Au plan politique, on peut observer la création du Ministère du Plan dans tous les pays. Cela constitue incontestablement un important pas en avant par rapport à la situation antérieure où la planification était confiée souvent à une simple direction rattachée au Ministère de lřÉconomie et des Finances. Le plus important dans cette nouvelle gestion devrait être le renforcement des tendances nettes à la décentralisation du plan. Ce sera peut être la conception la plus positive des plans de la deuxième génération. Les objectifs proclamés se résument à : la répartition spatiale plus rationnelle des activités productives, la promotion de lřinitiative locale en matière dřélaboration, dřexécution et de contrôle du plan ; cela permet alors une meilleure prise en considération des conditions et potentialités économiques des régions, une meilleure répartition des secteurs et de lřinfrastructure. Dans cette optique, la planification peut désormais aider à la promotion économique de chaque collectivité locale, de chaque région en exploitant toutes les potentialités, ce qui permettrait de résoudre progressivement le dualisme structurel et les distorsions de lřéconomie sous-développée. En effet, lřhéritage économique et structurel se caractérisait par les traits suivants : grands écarts de revenus entre les différentes régions148, répartition inégale des infrastructures économiques et sociales, répartition inégale des activités productives, faibles liens économiques entre les diverses régions. Ces déséquilibres sont à la base de lřexode rural, de lřinégalité des niveaux de vie et de revenu, des tendances et velléités sécessionnistes, etc. Une On se souvient de la boutade célèbre du Professeur René DUMONT : Dakar, une grosse tête sur un petit corps, entendez les sept autres régions du Sénégal. 148 2 6 décentralisation bien menée devrait permettre à terme dřapporter quelques corrections149 aux multiples distorsions et lourdes conséquences socio-politiques. Cela exige au moins trois tâches importantes : Lřétude et dřanalyse : la réalisation des recherches et des études sur les structures sociales du Sahel, les systèmes de production, les modes de consommation et les visions philosophiques du monde ; Lřélaboration de programmes économiques à long terme. Ces Programmes donnent aux planificateurs non seulement une marge de certitude, mais facilitent la recherche de la cohérence intertemporelle du Plan ; Lřétablissement dřinstruments expressifs de quantification, comme les paramètres de la production de la consommation, de la répartition du revenu, les taux dřaccroissement des divers secteurs et le taux de croissance de lřéconomie, les indices et paramètres dřévaluation du commerce extérieur et la fixation des indicateurs sociaux et de mesure du bien-être et de la qualité de la vie ; La définition des domaines, normes et formes dřintervention de lřÉtat. Ces tâches ne se posent pas de façon identique dans tous les pays. Elles ressortent au titre des préoccupations spécifiques, des questions auxquelles les planificateurs doivent trouver réponse sřils veulent avancer. Cřest pour cette raison que tous les plans en Afrique comportent des volets de financement de recherches sociales, de perfectionnement des appareils de collecte et de traitement de la statistique, dřévaluation des indicateurs socio-économiques. Les études prospectives ont eu un regain dřintérêt dans tous les PSD. Les décideurs et planificateurs comprennent que la complexité des problèmes que soulève la dynamique de développement économique et social nécessite une analyse prospective ; cela dřautant plus que lřenvironnement est très instable. Elles permettent en effet dřenvisager tous les scénarios possibles de développement et en conséquence éclaire les choix, les domaines dřaction, les mesures qualitatives et quantitatives et les moyens à mobiliser. Elle est alors un auxiliaire indispensable et irremplaçable de la planification161. Il y a là un travail extrêmement difficile qui exige dřabord une assez solide organisation, et ensuite la définition des liens entre plan nationale et plan régional ; cela pour éviter toute velléité dřautonomie préjudiciable à lřéconomie dans son ensemble. Dřautres nécessités sřimposent : des méthodes et formes de répartition de moyens de développement, des facteurs de production, des infrastructures, des critères de rationalité et dřefficacité du développement régional, des rapports entre les gestionnaires nationaux et régionaux de la planification. Ce sont des éléments de structuration du plan régional qui entraînent des modifications profondes. La planification telle quřelle est conçue et organisée dans les pays africains peut-elle assumer de tels changements ? Pour y répondre, il sřavère nécessaire dřen dégager les limites. III/ Les limites du processus planifié des économies sous-développées La régionalisation a tout logiquement entraîné une collaboration de plusieurs services : forme pratique dřune organisation interdisciplinaire. 149 2 7 Il sřagit de sřinterroger sur les obstacles véritables au processus planifié avant dřapprécier plus loin les résultats obtenus par vingt (20) années de planification des économies. À réfléchir sur la planification, trois (03) éléments méritent de retenir lřattention : dřabord, la construction théorique qui fixe les bases profondes de la praxis, ensuite, les méthodologies et instruments employés, enfin, les cadres institutionnels et administratifs de gestion de la planification. Moustapha KASSÉ : Les stratégies alternatives au Sahel. Institut du Sahel, Bamako. Il est indiqué dans ce projet les problèmes auxquels la prospective doit sřattaquer dans le Sahel à savoir : 1°) Les zones géographiques et leurs potentialités agricoles, pastorales et hydrauliques. 2°) Lřévolution démo-économique et démo-alimentaire. 3°) Les stratégies des équilibres globaux. Les réflexions sont faites en direction de la réalisation de lřautosuffisance alimentaire. 161 1°) Les faibles constructions théoriques en matière de planification La planification au Sahel et dans la plupart des pays sous-développés est au service des politiques de croissance que lřon veut régulière, équilibrée, harmonieuse et rapide. Ces politiques elles-mêmes sont portées par des modèles dřinspiration néoclassique et keynésienne 150 , cřest-à-dire qui reposent sur les hypothèses conjuguées : de complémentarité et de la substitualité des facteurs dans la fonction de production ; de la concurrence pure et parfaite ; de la rationalité des entreprises fondées sur la recherche du profit maximal ; du comportement de consommation motivé par la recherche de la satisfaction optimale ; de la répartition optimale du revenu national ; du libre jeu absolu de tous les mécanismes et rouages économiques ; de la non intervention systématique de lřÉtat. Dans une telle approche, lřÉtat est présenté comme une espèce dřinterprète de lřintérêt général et comme un agent de synthétisation des références individuelles, et la planification devient le substitut de main invisible. En effet, si toutes les conditions dřune économie concurrencée sont réunies, les prix du marché se présentent comme les instruments dřallocation des ressources « les signaux en fonction desquels sont prises et coordonnées les décisions individuelles des agents économiques ». Il existe une tendance extrêmement malheureuse à réduire et à assimiler toutes les théories non marxistes à la théorie néo-classique. Cela procède dřune lecture et dřune réflexion peu profonde sur les divers courants de la pensée économique contemporaine où tous les grands courants se diluent en nuances et variantes. Cřest également être complaisant de la récupération théorique opérée notamment par P. SAMUELSON. Dans tous les cas, les paradigmes néo-classiques son trop éloignés. Le fait que les formulations théoriques de la croissance soient néo-classiques et les politiques économiques dřinspiration keynésienne, ne doit nullement mener à des dissimulations abusives et théoriquement fausses. KEYNES est plus près de MARX que celui-ci est éloigné des conceptions néoclassiques. Il faudra voir sur ce point les critiques faites par les keynésiens (J. ROBINSON, L. PASSIREETH) de lřédifice théorique néo-classique mais aussi des points établis entre KEYNES et MARX par P. BARAN et Maurice DOBB. 150 2 7 En définitive, «le système des prix par des ajustements incessants assure la coordination des décisions individuelles» 151 . Lřunivers hypothétique nřétant pas effectif, notamment dans les pays sous-développés du Sahel, les fonctions de coordination des marchés seront assumées par le plan. On voit que ce qui limite particulièrement la planification, cřest son soubassement théorique qui fait du plan une cellule plus ou moins complexe dřenregistrement des projets décidés en toute autonomie par des agents privés ou lřÉtat. Cela va sřen dire que les critères échappent totalement au planificateur dont le rôle se réduit à vérifier si le projet contribue ou pas à la réalisation des grands équilibres. Le système de planification ne pouvait alors quřêtre indicatif donc absolument pas à mesure de réaliser et de gérer les transformations structurelles indispensables pour lřamorce dřun processus irréversible et soutenu de développement économique et social. La planification ne possède ni les orientations, ni les techniques, ni les structures pour opérer de telles transformations. Il sřavère donc nécessaire dřinfléchir les orientations et options de politique économique et les théories qui les portent. La planification suivra automatiquement car quelles que soient ses qualités intrinsèques, elle ne saurait être le substitut dřune politique économique adéquate, cohérente et intégrale, cřest-à-dire qui prend en ligne de compte toutes les dimensions de la vie socio-économique trace des objectifs et spécifie les moyens matériels et financiers de leur réalisation. Elle nřest quřun moyen, certes puissant, mais nřest pas la fin qui est le développement. Si on abandonne alors dans les PSD dřAfrique les théories et les pratiques limitées menées en termes de croissance économique, la seule alternative dřune stratégie du développement sřarticulerait autour : du développement prioritaire de lřagriculture pour la rendre apte à satisfaire les besoins fondamentaux des populations ; dřun modèle dřindustrialisation fondé principalement sur des filières de valorisation des produits agricoles et de mise à la disposition de lřagriculture des facteurs modernes de production ; dřune ouverture maîtrisée sur lřéconomie mondiale. La réalisation dřune telle stratégie sera incorporée dans un profond processus de planification. Bien sûr, même sřil faut sřinspirer des expériences des pays socialistes152, il faut bien admettre que les pays africains caractérisés par une pluralité structurale ne possèdent ni les moyens, ni lřhomogénéité structurelle nécessaire pour lřapplication dřune planification centralisée. Lřexistence nécessaire dřun secteur privé comme centre autonome dřinitiative de production et de consommation impose la prise en compte dans la planification du caractère mixte de lřéconomie. LřÉtat, à partir du plan, déterminera les orientations générales du développement économique en sřappuyant sur un secteur public important. On ne soulignera jamais assez que plus le domaine dřaction directe de lřÉtat est restreint, plus il est difficile de mettre sur pied et de réussir une politique économique cohérente et intégrale. La planification devra organiser la coexistence de lřensemble de ces structures et secteurs diversement impliqués dans le développement. Théoriquement se trouve ainsi formulée la nécessité dřune option qui pourrait concilier lřorientation et la détermination des objectifs généraux par lřÉtat et le secteur J.C. BERTHOLON : Méthode ONUDI et théorie économique, in Méthodologie de la Planification. Dans ce sens, BOROWSKY a certainement raison de considérer que «les pays, hier sous-développés, aujourdřhui socialistes dont lřéconomie se caractérise par une croissance rapide et une transformation profonde des structures peuvent servir de référence». 151 152 2 7 privé. Cette voie moyenne de partenariat public/ privé comme toute formule hybride, est forcément complexe et difficile à mettre en œuvre. Toutefois, cřest lřalternative la plus crédible pour longtemps dans les pays africains. Les objectifs économiques et sociaux à atteindre se réduisent à lřaccroissement soutenu des forces productives, matérielles et humaines, la mise en valeur des ressources pour une satisfaction des besoins de base des populations. Pour les atteindre, de profondes transformations structurelles sont indispensables. Cela va se traduire par la fixation dřobjectifs quantitatifs sectoriels et dřobjectifs qualitatifs structurels. De fait, la planification devra embrasser les indices essentiels de la production agricole et industrielle des transports et des services, des sources dřaccumulation et leur utilisation dans les différentes branches économiques, des équilibres, des relations avec lřextérieur, des besoins en main dřœuvre et en cadres, de la santé, de lřenseignement et du pouvoir dřachat. Elle devra également insister sur les mesures, les réformes et les moyens à mettre en œuvre pour atteindre les objectifs fixés. Encore une fois, tout cela est la conséquence rémanente de lřabandon des hypothèses de raisonnement fondées sur la croissance économique153. 2°) Les limites méthodologiques et instrumentales de la planification Dans la quasi-totalité des pays africains, la planification est indicative et sřinspire du modèle français de planification indicative selon lequel les organes de planification indiquent une série dřobjectifs estimés désirables au double plan micro et macroéconomique. À partir de cette base, les planificateurs tentent, par divers moyens et instruments mis à leur disposition, de diriger lřensemble des forces économiques et sociales vers ces objectifs. Sřil y a des efforts certains dřadaptation de la méthodologie, des instruments et des formes dřintervention aux conditions spécifiques des pays africains, les limites dřun tel type de planification sont lourdes. Les systèmes planifiés nřatteignent jamais leurs objectifs et finissent par être un catalogue de vœux pieux destinés plus à convaincre les bailleurs de fonds quřà servir le développement. Par ailleurs P. JACQUEMOT résume les critiques les plus fréquemment adressées à la planification du développement : Les plans sont trop formalistes et prétendent vainement embrasser lřensemble des activités ; Les plans sont un catalogue de projets mal évalués au niveau des coûts et des charges récurrentes non hiérarchisés ; Absence de mécanismes institutionnels qui leur permettraient de coordonner les activités liées à la gestion financière à court terme avec lřanalyse des politiques dřinvestissement à long terme ; Le plan mobilise très peu dřacteurs sociaux ; Liens non définis avec le Budget de lřÉtat ; Ces critiques renvoient à la trop grande faiblesse de la base méthodologique et instrumentale de la planification indicative et cela, particulièrement pour trois (03) séries de raisons : dřabord, cette planification nřa pas rompu avec la logique et les structures de lřéconomie de marché ; Il faut réaffirmer que ce qui est en cause dans les théories de la croissance, cřest dřune part cette glorification des objectifs quantitatifs, cette volonté de rattraper les pays capitalistes en imitant leurs propres formes de développement et surtout dřune industrialisation qui sacrifie systématiquement les 153 2 7 ensuite, la méthode de détermination des variables et indices essentiels se fonde principalement sur lřitération ; enfin, les instruments dřaction sont inefficients. Il nous faut considérer de plus près ces raisons qui sont révélatrices des limites, des techniques mais aussi de lřinefficacité de la planification qui nřa su ni pu endiguer les catastrophes socio-économiques du Sahel. Pourtant, si on mobilise tant de ressources humaines, matérielles et financières dans la planification, cřest bien pour mieux lutter contre les aléas et incertitudes et infléchir dans la bonne direction les évènements économiques par une action volontaire à moyen ou long terme166. Nous devons donc savoir situer les raisons de cette inefficience au plan méthodologique et instrumental. intérêts de larges souches sociales. Si les théories de la croissance sont rejetées, cřest dřabord à cause de leurs fragiles bases méthodologiques et cřest ensuite parce que les préoccupations quřelles soulignent ne sont pas celles des pays sous-développés et enfin parce quřelles se trompent de domaine et dřinstruments dřaction. 166 Michel DUMAS : dans «Où en est la planification en Afrique Noire». (Présence Africaine n° spécial 1971) a raison de ne point sous-estimer les difficultés auxquelles on se heurte mais les meilleurs gouvernements et plans doivent pouvoir faire quelque chose contre lřeffondrement brutal des cours mondiaux. Sřil nřen était pas ainsi, la planification du commerce extérieur nřaurait absolument aucun sens. Si les contraintes extérieures sont considérables, il faut en tenir compte. a) La première série de raisons tient au fait que la planification indicative en cours nřa rompu ni avec la logique, ni avec les structures de lřéconomie de marché. Dans les formations sous-développées du Sahel, le marché est en pleine formation et en conséquence, il se trouve dans lřincapacité de remplir normalement toutes ses fonctions. Dès lors, on a fini par penser que le plan pouvait parfaitement combler ces lacunes et fixer les bases sur lesquelles les mécanismes du marché pourront fonctionner. Cette importance accordée au marché est sans rapport avec son effectivité et ses possibilités. On finit par ne plus savoir qui du marché ou du plan doit réduire les incertitudes et rationaliser les anticipations. Le marché a été incidemment retenu, il a fourni des réponses à la fois mauvaises et assez partielles. Même si lřon sřaccorde, comme le fait Ota SIK à reconnaître quřil existe une corrélation dialectique entre le plan et le marché, il faut affirmer la primauté du plan comme instrument de cohérence éclairant la rationalité collective et préparant les grandes décisions pour contrer les aléas et les incertitudes 154. Ce problème devra être clairement résolu dans les plans de la troisième génération qui doivent alors opérer cette espèce de répartition des tâches décisives pour la prise de certaines décisions. b) La deuxième série de raisons de l’échec des plans africains provient de la fragilité de leur base méthodologique. Si nous partons de la nécessité de lřorganisation dřune économie mixte, la planification ne peut fonctionner sans un fonctionnement du marché, cřest-à-dire quřil sera difficile dřaboutir à lřéquilibre économique sans une mise en jeu, le mécanisme du marché qui est la meilleure régulation dans certains domaines. Bien entendu, il ne faut pas attendre que le marché résolve des problèmes qui le dépassent comme la réalisation de la nationalité collective, la prise de décision pour réduire les aléas et lřincertitude, etc. Il faut donc que marché et plan procèdent ensemble et parallèlement. 154 2 7 Sur ce point, trois observations peuvent être faites : dřabord, le plan est confectionné à partir de techniques itératives ; ensuite, le choix des investissements nřest pas déterminé par les organes centraux de la planification ; enfin, la prévision du développement économique et social nřest pas envisagée objectivement. Sur le premier point, on peut dire que tous les plans des pays du Sahel, notamment ceux de la première génération ont été élaborés sur la base dřune méthode itérative procédant donc par approximations successives pour aboutir à la version finale. Cřest ainsi que lřon a déterminé les variables essentielles comme le taux de croissance globale de lřéconomie et de la démographie. Une fois les indices retenus, on procède à des tests macroéconomiques dřacceptabilité et de faisabilité des taux. Donc, on recherche les cohérences : des équilibres fondamentaux des agrégats caractéristiques ; des équilibres entre ressources et emplois ; des implications pour les divers sous-systèmes de production ; des procédures. En définitive, les choix fondamentaux et les objectifs déterminants ne sont pas établis sur la base dřétudes exhaustives des économies nationales et de leurs potentialités, mais déduits de simples hypothèses. Le plan confectionné sur cette base est une série de vœux pieux, «un art de cultiver des illusions dans le jardin des hypothèses» 155 . Il est alors un document à usage externe et non un instrument désignant les changements de structures et de comportements et les prenant en charge. Le second point concerne la détermination du volume et de la répartition des investissements. Cette variable-clé dans les politiques de croissance nřest pas contrôlée par le planificateur qui ne dispose que des moyens dřaction indirecte souvent totalement inefficaces pour la susciter ou lřorienter. Dès lors, les choix dřinvestissement, donc des techniques de production échappent au plan. Dans dřassez rares cas, le planificateur peut proposer des critères de choix cadrant avec les objectifs et contraintes du développement. Dřune manière générale, les organes de planification ne disposent que de très faibles bases de manœuvres pour stimuler, dissuader, répartir les investissements. La conséquence sera que le plan ne pourra point opérer une intraversion véritable des activités économiques, notamment celles des firmes étrangères. Celles-ci décident en toute autonomie de leur domaine dřaction, de leur forme dřintervention et de la répartition de leurs surplus. Les mesures de rétorsion nřexistent pas. En effet, les instruments sont principalement dřaction indirecte. Le troisième point de la faiblesse méthodologique est lřabsence de leviers dont pourrait disposer le Plan pour réaliser les objectifs impartis. La planification indicative, se proposant de préserver un fonctionnement sans entrave des mécanismes du marché, se dote de trois moyens à savoir : les finances publiques, les interventions monétaires, le contrôle sur les prix et le commerce extérieur. Lřutilisation de la fiscalité sřest faite principalement dans le sens positif dřencouragement à lřinvestissement. Au niveau mondial, le mouvement de flux et de reflux des capitaux obéit à des lois très complexes, des conditions qui ne relèvent pas toujours dřune logique économique pure. Pour promouvoir les investissements privés Dans cette direction, le groupe AMIRA observe que le doute sřaccentue si la planification utilise non plus seulement des techniques dřoptimisation car, il apparaît illusoire de rechercher à maximiser une fonction objective à un niveau très agrégé comme le niveau national. Une solution optimale est presque toujours sensible aux contraintes et aux aléas de lřenvironnement. 155 2 7 directs étrangers (IDE), les décideurs prennent des mesures juridiques dérogatoires au droit des sociétés, accordant de larges concessions fiscales qui sřaccompagnent de clauses de garantie contre toute forme de nationalisation. Le code des investissements se présente ainsi comme une sorte dřappel dřoffres, un contrat de désarmement fiscal qui va avoir pour conséquence une perte de recettes. En effet, pour apprécier si le désarmement fiscal et douanier était justifié, il aurait fallu savoir au préalable si lřinvestissement nřaurait pas eu lieu même en lřabsence de code, et si par ailleurs dřautres moyens de stimulation nřétaient pas disponibles. Quoi quřil en soit, les codes des investissements nřont pas produit les effets attendus156. Quant aux interventions monétaires, elles ne peuvent se faire que dans les limites extrêmement étroites des engagements souscrits dans le cadre des Zones Monétaires auxquelles les monnaies africaines sont rattachées. Cependant, il nřest pas évident, quřen lřabsence des accords, les responsables des politiques économiques auraient des initiatives hardies, tellement ils sont obnubilés par lřorthodoxie monétaire selon laquelle la stabilité monétaire est une fin en soi. La preuve est apportée par le fait que les faibles possibilités dřaction monétaire qui leur sont offertes ne sont nullement exploitées. Par contre, les plans mentionnent la nécessité dřune lutte contre lřinflation, comme si elle était forcément la priorité des priorités dans le domaine monétaire et financier (stérilisante et perturbatrice). Au total, dans les politiques économiques, la monnaie est considérée comme un élément passif. Les axes de la politique monétaire et financière se réduisent à encourager lřaccroissement de lřépargne et à définir une politique de crédit qui ne pérennise pas les fondements de lřéconomie de traite car ne sřexerce véritablement que pour les grands produits agricoles et les facteurs de productions nécessaires à ce secteur. Dans un cas, lřobjectif visé est dřassurer une stabilité des revenus des producteurs directs et dans lřautre, de diminuer les prix par des subventions pour généraliser lřutilisation des facteurs. La méthode administrative de contrôle des prix ne fonctionne que partiellement. Pourtant, la structure des prix dans les pays du Sahel est très loin de refléter les conditions de production et dřéchange. Par ce contrôle, il devrait être possible de maintenir une certaine correspondance entre cette structure des prix et les conditions économiques dřensemble. Il en va de même pour le commerce extérieur, qui bien quřil occupe une place importante, nřest nullement lřobjet dřune planification rigoureuse qui nřexiste dřailleurs que pour les grands produits agricoles et les facteurs de production agricole. En repassant en revue ces instruments utilisés, on se rend compte quřils sont liés, peu efficaces pour opérer les mutations et modifications structurelles. Ils ne permettent même pas de bien orienter toutes les décisions des agents économiques vers la réalisation des objectifs. Manifestement, ni la méthodologie, ni les instruments ne confèrent à la planification une utilité et une efficacité. Dès lors, on comprend les réajustements incessants dont les plans sont constamment lřobjet et qui sont autant de réadaptations par suite de défaillances des partenaires privés ou de lřÉtat. c) La troisième série de raisons qui limitent la base méthodologique et instrumentale tient aussi à l’absence d’une prévision scientifique du développement économique et social. Moustapha KASSÉ : Tourisme international : évaluation de lřimpact sur le développement. Tome 2, pp. 220-237. 156 2 7 Tout effort sérieux de planification est une exploration qualitative du futur pour projeter lřimage globale de la société à édifier. Cette vision à long terme permet, comme lřaffirme Mouhamed DOWIDAR, de donner au planificateur une marge de certitude et, en même temps, de lui faciliter le travail de la cohérence intertemporelle 157. Cette nécessité de la prévision nřest pas reconnue particulièrement par les défenseurs de la planification indicative. Ils estiment que dans les pays comme ceux qui composent le Sahel, qui se caractérisent par lřexistence de plusieurs structures, des rapports de production transitoires et plusieurs centres de décisions autonomes, la prévision est totalement impossible même si on établit sa nécessité objective. Il sřagit là dřune grave erreur qui constitue une entrave grave au processus planifie des économies. Dans cette optique comme lřobserve S. KOUZMINE «tout phénomène de quelque importance dans lřévolution de la Société a son germe ou son prototype dans les réalités et lřexpérience du passé et du présent. Par conséquent, la connaissance des lois du développement actuel définit déjà en soi les limites plus ou moins nettes des changements possibles, établissant ainsi des "repères" ou des "points dřappui" pour ces jugements, arguments sur lřavenir» 158 . Cřest donc la recherche de ces points dřappui qui constitue la prévision et qui doit indiquer les actions à entreprendre. Bien entendu, la qualité de la prévision "dépendra des travaux ou de lřanalyse structurale du système socioéconomique, du degré de précision et de profondeur de la détermination des liens de cause à effet, du dégagement des paramètres fondamentaux qui agissent sur le sens et la rapidité des transformations qualitatives de ce système". Dès lors, pour atteindre ces buts, il faut opérer : lřétude des structures socioéconomiques, des systèmes productifs, des formes et structures économiques qui coexistent, la détermination des principaux indices macroéconomiques et leur dynamique, lřanalyse des facteurs externes du développement, cřest-à-dire du rôle et de la place des rapports réels et monétaires avec lřextérieur, lřétude des aspects territoriaux du développement, cřest-à-dire la répartition des forces productives, de lřinfrastructure de base, lřurbanisation et ses tendances, les marchés effectifs et potentiels. De telles études permettront une parfaite connaissance des sociétés sahéliennes, des structures et systèmes de production, des habitudes et modes de consommation, elles permettront non seulement de savoir les décisions à prendre dans lřespace et dans le temps, mais aussi les obstacles à lever et les contraintes. Cřest seulement maintenant, cřest-à-dire après les catastrophes que lřon sřaperçoit que le Sahel est sous étudié, sous analysé et que lřon ne sait que très peu de choses sur les écosystèmes, le milieu agro-climatique, le bilan hydrique. Cette méconnaissance ne permettrait pas une effective planification du développement rural, cřest-à-dire de lřactivité qui concerne plus de 80% de la population et fournit plus de la moitié des ressources. Voilà une faiblesse caractéristique du processus planifié des économies sahéliennes quřil faut redresser. Mouhamed DOWIDAR : Les schémas de reproduction et la méthodologie de la planification socialiste, Éd. Tiers-monde, Alger. 158 Stanislas KOUZMINE : La méthodologie de la prévision du développement du Tiers-Monde. Revue Sciences Sociales, n° 1, 1975, de lřAcadémie des Sciences de lřURSS. 157 2 7 Il importe après ces considérations, dřanalyser la dernière limite liée au cadre administratif et institutionnel. IV/ Les limites liées au cadre administratif de gestion du processus planifié On a souvent assimilé le système planifié à la création dřune lourde machine bureaucratique qui écrase toute initiative individuelle et à la multiplication des normes nécessitant des appareils coûteux de transmission et de contrôle. Un tel système dřadministration, pensait-on, serait inefficient et risquerait dřabsorber les surplus déjà maigres et dřimmobiliser les rares compétences techniques. Un tel excès se manifeste dans le système centralisé. Pour le Sahel, cřest le phénomène contraire qui prédomine. Ils ont hérité de lřancien régime colonial un appareil dřÉtat peu maniable dont les vocations étaient principalement une gestion administrative et politique. Les nouveaux dirigeants ont pensé que la tâche essentielle était de réaménager lřappareil et dřinstaller les nouveaux cadres aux anciennes fonctions. On était donc convaincu quřainsi sřamorcerait un nouveau style de modernisation et dřafricanisation de lřadministration qui la rendrait apte à gérer la nouvelle situation politique et économique. Il a fallu, cependant très vite désenchanter car les processus de transformations et les nouvelles tâches économiques exorbitantes ne pouvaient nullement être assumées par le vieil appareil dřÉtat colonial. Le problème des structures administratives adaptées était ouvert et lřest encore dans une très grande mesure. La planification devrait nécessiter des changements assez profonds dans le sens de la création : dřorganismes administratifs spécialisés chargés de préparer le plan, de tracer les domaines et les directions des modifications des conditions de fonctionnement et de développement de lřéconomie ; dřorganismes locaux, maillons décisifs du plan ayant vocation de promouvoir lřéconomie régionale ; de cadres institutionnels rendant possible une concertation de tous les services et techniques du développement ; dřorganismes de participation et de mobilisation des populations car la planification doit susciter et discipliner les efforts productifs de toutes les couches de la nation. En clair, il sřimposait de créer un tout autre appareil administratif capable de garantir de meilleures conditions de fonctionnement et de gestion de la planification de lřéconomie nationale. Cette tâche nřa jamais été clairement perçue par les responsables des politiques économiques. Ils se sont réduits à créer des bureaux centraux de planification qui étaient des excroissances des ministères chargés de lřéconomie et des services de la statistique. Ces bureaux avaient des responsabilités extrêmement limitées dans la conduite de lřéconomie et se présentaient plutôt comme des cellules dřenregistrement des projets privés et publics. Lřabsence dřun appareil dřadministration économique avec lřexistence dřorganes compétents pour exécuter des tâches et opérer une gestion des ressources est une limite essentielle des plans de la première génération. Des corrections sřamorcent mais peuvent-elles être efficaces tant que la forme indicative de la planification est maintenue ? En effet, cette forme ne sřaccommode pas de lřexistence de leviers économiques et administratifs fonctionnels et impératifs. 2 7 En conclusion, cette analyse nous aura particulièrement révélé les faibles bases méthodologiques et techniques de la planification dans le Sahel qui font quřelle sřest totalement avérée incapable dřindiquer et dřamener les transformations structurelles. Comme elle a été incapable de prévoir les calamités, de gérer lřimprévisible ou dřen déduire les effets. Seulement, il ne pouvait en être autrement car depuis vingt (20) ans, la planification est au service de stratégies de développement fondamentalement erronées. Section 4 : L’indispensable réhabilitation de la planification et des études de prospective stratégique. « Il n’y a pas de vent favorable pour celui qui ne sait où il va » SENEQUE « L’Avenir appartient à ceux qui ont la mémoire la plus longue » NIETCHZE « Préparer l’avenir ce n’est pas y rêver. C’est choisir, dans le présent, ce qui est capable d’avenir ». G. BERGER I/ La planification, instrument de management des crises et des risques La mondialisation que vivent les économies en développement est marquée du sceau des incertitudes et de la montée des risques dřune rare gravité. Lřéconomie mondiale est marquée de turbulences quotidiennes au triple niveau économique, financier et technologique. Les éléments de fragilité du système mondial sont à la fois multiples et complexes et ont le pouvoir de déstabiliser tous les pays et particulièrement les plus faibles dřentre eux. Ils conduisent inexorablement au crash, à la catastrophe économique et financière aux conséquences sociales incalculables. Observons quřen 40 ans lřéconomie mondiale a connu 4 crises majeures : La crise des années 1970-1975 qui fait suite aux « Trente glorieuses années ». Elle est celle du premier choc pétrolier et désordre monétaire La crise des années 80 qui correspond au second choc pétrolier, au resserrement de la politique monétaire américaine (1979) et au déclenchement de la crise de la dette. La crise du début des Années 90 subséquente à la politique monétaire indûment expansionniste et aux excès dřinvestissements, avec la multiplication des créances douteuses La crise issue dřun dysfonctionnement du Système financier international Cette situation dřinstabilité avait conduit Robert FOGEL (prix Nobel dřéconomie) à se demander sřil y avait un pilote dans lřavion mondial. Paradoxalement, les marchés financiers sont à la base de dysfonctionnements aux conséquences incalculables (crise financière mexicaine et asiatique). Elle appelle dans le fond trois interrogations majeures : Les Institutions Internationales de Régulation (FMI, BM, OMC, BRI, OCDE, Groupe des 7) peuvent-elles et ont-elles les moyens de gérer les risques et toutes incertitudes nées de la libéralisation internationale ? Peuvent-elles encore veiller sur la santé de lřéconomie mondiale ? Quel modèle de gouvernance de lřordre économique et financier international faudra-t-il instaurer ? 2 7 Comment prendre en charge les préoccupations de lřAfrique prise dans le tourbillon de la mondialisation, de lřinstabilité monétaire, des crises financières à répétition, des fluctuations incessantes des cours des matières ? Dès lors, la crise de la gouvernance mondiale (que devraient exercer les institutions internationales) nřassure point la protection des plus faibles par des mécanismes non marchands et nřapporte guère de correction aux déséquilibres qui naissent des rapports de force inégaux. Les PSD doivent gérer toutes ces incertitudes et risques. Cela requiert une planification plus rigoureuse appuyée sur des études de prospective pour prévenir les crises et tirer le plus grand profit des opportunités quřoffre le système mondial pour la solution de problèmes comme le transfert de ressources et de technologie, lřendettement etc. Dans ce cadre, la planification se présente comme un instrument essentiel de réduction des incertitudes et de maîtrise du Futur. Elle aide à explorer des avenirs économiques possibles, à construire un nombre limité dřimages du futur et de cheminements possibles et à élaborer des scénarios contrastés qui reposent sur une hiérarchisation des variables significatives traitées comme pouvant être certaines, ou incertaines, probables ou aléatoires, possibles ou plausibles. Lřampleur du travail de planification impose une reconstruction technique des schémas adossés sur des études prospectives complètes et bien menées. II/ Impérative nécessité d’opérer des études prospectives au niveau national, régional et continental Les études prospectives sur le futur doivent retrouver un nouvel élan grandissant en Afrique. Dans le passé, plusieurs travaux de prospective ont été effectivement entrepris depuis la fin des années 70 : Études présentées au Colloque de Monrovia en 1979159, le Plan dřaction de Lagos de 1980160, le Rapport Berg174 et lřétude ILTA161., lřÉtude du Club de Rome162 . Aujourdřhui, plus que jamais, avec la montée des instabilités et des incertitudes, la multiplication des crises et des risques, (ainsi que leur relatif rapprochement), les changements multiples dans les règles du jeu économique et financier mondial, lřélargissement de la sphère de la spéculation dans les domaines réels et monétaires de lřéconomie mondiale et la progression fulgurante des Technologies de lřInformation et de la Communication, tous ces facteurs rendent lřexercice de prospective indispensable.163 Le PNUD a parfaitement compris les enjeux OUA, 1979. Quelle Afrique pour l’an 2000 ? Rapport final sur les perspectives du Développement de l’Afrique à l’horizon 2000. Monrovia 12-16 février 1979 - Genève, Institut International d’études sociales 159 OUA, 1981. Lagos Plan of Action for the Economic Development of Africa 1980-2000. OUA Banque mondiale, 1981. Le développement accéléré de lřAfrique au Sud du Sahara. World Bank, Washington D.C. 161 SCET International, SCET Agri, SEDES, 1984. Une image à long terme de lřAfrique au Sud du Sahara. Commission des Communautés européennes, Caisse des Dépôts et Consignation, Paris. 162 Club de Rome:lřAfrique face à ses priorités, Éditions Économica, 1987 163 Giri J. (1989), Le Sahel au XXIème siècle. Un essai de réflexion prospective sur les sociétés sahéliennes. Paris, Karthala. Godet, Michel, 1997. Manuel de prospective stratégique. 2 tomes. Dunod, Paris. 160 174 2 8 de la Prospective avec le financement du Projet dřétude du Futur Africain 164. Il sřagira principalement de penser différents cheminements évitant "la myopie du marché et la dictature de lřinstant". Il est très important, sous les angles théorique et pratique de définir les grandes tendances de lřévolution dřun système économique, quand on veut donner une valeur scientifique à la stratégie du développement économiques. 164 2 8 CHAPITRE 13 LE RETOUR DE L’ETAT ET DES QUESTIONS DE GOUVERNANCE POUR LA BONNE GESTION DU DEVELOPPEMENT « Aujourd’hui, ce sont les fanatiques du marché qui dominent le FMI. Ils sont persuadés que le marché, très généralement, ça marche et que l’État, très généralement, ça ne marche pas… Dans les cinquante dernières années, la science économique a expliqué quand et pourquoi les marchés fonctionnent bien, et quand ils ne le font pas. Elle a montré pour quelles raisons ils peuvent aboutir à sous-produire certains facteurs Ŕ comme la recherche fondamentale Ŕ et à en surproduire d’autres Ŕ comme la pollution. Leurs échecs les plus dramatiques sont les crises périodiques, les récessions et les dépressions qui ternissent le blason du capitalisme depuis deux cents ans : elles laissent un grand nombre de travailleurs sans emploi et une grosse partie du stock de capital sous-utilisé… L’État peut jouer un rôle essentiel - et il l’a fait-, non seulement pour tempérer ces échecs du marché, mais pour assurer la justice sociale… Dans les pays qui ont le mieux réussi Ŕ les ÉtatsUnis, l’Asie Orientale Ŕ l’Etat a pris en charge ces tâches et, dans l’ensemble, s’en est relativement bien acquitté. Il a assuré à tous une éducation de qualité, et a mis en place une grande partie des infrastructures Adam Smith était bien plus conscient des limites du marché Ŕ notamment des menaces de la concurrence imparfaite Ŕ que ceux qui s’en disent aujourd’hui les disciples. Il était aussi beaucoup plus conscient du contexte social et politique dans lequel toute économie doit opérer. Pour qu’une économie fonctionne, la cohésion sociale compte. » Joseph STIGLITZ165 Que recouvre exactement ce terme « institutions » ? De quelle manière peuton créer de bonnes institutions favorables à la croissance et au développement? Depuis les économistes classiques du 17ème siècle, les facteurs et les structures institutionnels sont considérés comme déterminants dans le processus de la croissance économique. Ainsi, A. SMITH, dès 1776, estimait que lřÉtat était indispensable car il doit protéger la société de la violence et de lřinvasion dřautres sociétés, protéger chaque membre de la société de lřinjustice et de lřoppresseur et enfin entretenir certaines constructions et institutions publiques. Plus explicitement encore, Stuart MILL (1848) dans ses « Principes dřEconomie Politique » observe que les moyens de réaliser lřaccumulation du capital sont : un bon gouvernement, lřamélioration de lřinformation du public, le déclin des usages ou des superstitions qui empêchent lřefficacité de lřindustrie, la croissance de lřactivité mentale qui éveille les esprits à de nouveaux objets de désir et lřintroduction des arts étrangers et lřimportation du capital étranger. LřÉtat est le lieu de fortes controverses autour de ses sens, de sa nature et de ses fonctions. La première controverse oppose la conception marxiste de lřÉtat comme lřinstrument de domination de classe et les autres conceptions, lřÉtat mou, lřÉtat surchargé, lřEtat patrimonial et lřEtat prédateur. Il est intéressant de mettre en 165 J. STIGLITZ179 : La Grande Désillusion, 2002 2 8 évidence, dřune part les théories de lřÉtat développées par les grands courants de pensée qui ont traversé ou qui traversent encore les études économiques et dřautre part, lřintérêt des réflexions en termes de propriété. La théorie néoclassique analyse lřÉtat comme la somme des individus agissant collectivement. (Lřintérêt collectif étant considéré comme un intérêt individuel commun à plusieurs personnes). En principe, le marché détermine un équilibre unique et stable et dans ce cas, lřÉtat nřintervient que pour réduire les obstacles techniques qui empêchent la réalisation de lřallocation optimale des ressources (monopoles, effets externes, biens collectifs purs). Lřaction de lřÉtat dans la politique économique est donc subsidiaire en tout cas déterminée par les contraintes du marché et la prééminence des actions décentralisées. La théorie keynésienne accorde à lřÉtat un rôle essentiel dans lřactivité économique. La théorie marxiste souligne le comportement déséquilibré et conflictuel du fonctionnement du capitalisme qui conduit à lřaccroissement des dépenses de lřÉtat qui nřest en fait que lřémanation de la classe dirigeante. En ce qui concerne J.M.KEYNES, il théorise lřinterventionnisme de lřÉtat en dégageant une politique économique menée par lřÉtat avec ses deux instruments traditionnels : la monnaie et le budget. Il propose tout à la fois une méthode : la macroanalyse, un but : le plein emploi et un moyen : lřinvestissement. Cette conception procède dřune volonté « dřéconomie concertée et « dřéconomie contractuelle » car pour KEYNES. « lřÉtat devra faire ce que les entreprises ne peuvent pas faire » en leur créant, par exemple, des externalités positives qui les rendent plus compétitives et en favorisant leurs fusions et concentrations. Figure 18 : L’État dans la pensée économique Etat neutre Au service de l’intérêt général Régulation néoclassique Keynes École de Cambridge : Robinson développement : Rostow, Chenery Économie Économique Économie du bien être : Pigou, Arrow, Debreu Économie publique : Musgrave, Samuelson Economie Libéralisme : Friedman, Hayek Supériorité de l’ État Marx Supériorité marché Nouvelle Économie Politique École française de la Régulation : Boyer Recherche de rente : Krueger, Bhagwati Théorie de groupes : Olson Choix publics : Buchanan, Tullock Théorie de la bureaucratie 2 8 État « politisé » Au service de groupes particuliers Source : SophieThoyer, Courier de la planète n°41, juillet-Aout1997. Au plan strictement technique et schématiquement, toute croissance économique est le produit des politiques publiques qui doivent réaliser une combinaison optimale des déterminants que sont le travail, le capital, la technologie et les ressources naturelles. De lřÉcole classique anglaise (A. Smith, Ricardo) jusquřaux théoriciens contemporains de la croissance endogène (ROMER, LUCAS, BARRO) en passant par les keynésiens (KEYNES, HARROD-DOMAR, KALECKI, HICKS) et les néo-classiques (SOLOW, VON MISES ET HAYEK), les différentes formulations théoriques enseignent que croissance et développement dépendent fondamentalement de lřaccumulation de capital physique, humain, technique et social. Si les déterminants quantitatifs sont bien connus puisque assez bien analysés, il nřen va pas de même pour le capital social compris comme un ensemble de valeurs, normes comportementales, dřobligations et de canaux dřinformations visant à instaurer la confiance, à garantir lřapplication des contrats, à instituer des mécanismes dřassurance et à favoriser lřapprentissage social (PUTNAM, 1993) et les institutions. Si ces variables quantitatives et mêmes qualitatives sont bien connues, ce qui lřest moins, cřest la compréhension de leurs enchaînements, de leur mise en œuvre dans les politiques économiques appropriées. La combinaison de ces déterminants qui fixent le niveau de la croissance économique et social dépend de la qualité des institutions publiques qui devient en conséquence le facteur essentiel du développement. Suite au triomphe mondial du néo-libéralisme, le débat des années 1980 tournait autour du démantèlement de lřÉtat et de ses institutions au profit dřune libéralisation de tous les secteurs par privatisation. Les nouvelles exigences du modèle mondialo-libéral se résument à imposer le marché comme instrument exclusif de régulation. Cette vision est fortement contestée par le Président brésilien Fernando H. CARDOSSO qui estime tout au contraire que la mondialisation impose de nouvelles tâches à lřÉtat qui « au lieu de sřaffaiblir devrait plutôt se renforcer pour être à même de promouvoir le développement. En réalité, le rôle de lřÉtat est bien complexe. Outre les fonctions de sécurité, de santé, dřéducation, il doit accueillir dans un cadre démocratique les demandes croissantes pour plus dřéquité, pour plus de justice, pour un environnement sain, pour le respect des droits de lřhomme. Une citoyenneté plus exigeante doit correspondre aussi un raffinement plus grand des actions de lřÉtat. Un État uni et organisé donc fort, aura de meilleures conditions de faire face aux besoins de la mondialisation » Dans le cas de lřAfrique, au moment des indépendances des années 60, la stratégie de développement appliquée par la plupart des pays visait notamment à transformer profondément le système productif et lřappareil administratif. Les politiques publiques avaient alors réalisé de lourds investissements dans lřéquipement et lřinfrastructure sociale mais également dans les secteurs dřactivités économiques. Ces investissements se sont révélés, par la suite, massifs, peu réalistes, coûteux et dřune faible efficacité. Dans le même temps, la grave rupture survenue entre les structures de production Ŕ alimentaires en lřoccurrence Ŕ et les structures de consommation, a fondamentalement contribué à opérer une double extraversion : celle de la production et celle de la consommation. Il en est résulté un approfondissement du déséquilibre 2 8 entre la production intérieure et la demande globale au sein de laquelle prédominait une consommation finale excessive, entraînant un accroissement du déficit en ressources. Celui-ci sera artificiellement entretenu et financé par lřendettement extérieur et lřaide publique. Le boom pétrolier avait favorisé des emprunts publics à des taux relativement faibles. À la faveur de l'augmentation de la dette publique dans les années 70/80, les marchés financiers sont arrivés aux commandes. Cela s'est traduit par une augmentation des taux d'intérêt dont le niveau avait dépassé non seulement l'inflation, mais la croissance. Les États qui avaient un fort niveau d'endettement sans être producteurs de pétrole ont alors eu de plus en plus de mal à clore leurs exercices budgétaires. Il a fallu emprunter pour rembourser les emprunts passés, à des taux qui promettaient d'engendrer de nouvelles difficultés. Faute de remèdes radicaux, cette situation vouait irrémédiablement les pays africains à la faillite. Sřy ajoutait dans la plupart des cas, une énorme distorsion entre lřaffectation théorique et lřutilisation effective de la dette extérieure, qui nřa pas favorisé la création de conditions adéquates dřextorsion de surplus nécessaires à lřamortissement régulier du service de la dette (principal et intérêts échus). Cette situation risquait de constituer assurément le fondement dřune crise de paiements dont la perpétuation, si rien nřétait entrepris, pouvait déboucher sur une crise sérieuse de solvabilité. La cessation de paiements se traduirait alors par un retrait des financements extérieurs et un effondrement des importations qui aurait des incidences sur la production par le biais des nombreux secteurs qui recourent à des biens d'équipement importés. Ces difficultés ont été le propre de la majorité des États qui avaient financé leur croissance sur l'endettement. Elles ont naturellement été plus aiguës au Sud, mais les problèmes n'ont pas épargné le Nord, où l'Etat Providence a subi de nombreuses attaques, tandis que les politiques d'offre se sont partout substituées à la régulation par la demande. Cette montée des déséquilibres, de lřendettement et la stagnation de la production ont rendu inéluctable les politiques de stabilisation et l'ajustement structurel. Aussi a-t-elle fait durement ressentir ses conséquences, du fait de la compression drastique des dépenses en vue dřune réduction des créances futures. Le choix, à l'époque, n'était pas entre le refus d'une telle politique et son acceptation passive, mais entre la possibilité d'entrevoir, au prix de sacrifices, un avenir meilleur, et la certitude de s'enfoncer dans la voie du déclin. La conjugaison de toutes ces situations avait conduit progressivement tous les États africains à adopter des programmes de stabilisation et dřajustement et les mécanismes de gestion qui les accompagnent, avec lřappui de la Banque mondiale et du FMI au détriment des stratégies planifiées de développement. À une politique volontariste orientée vers la modernisation des bases du développement a ainsi succédé un ensemble de programmes de gestion des déséquilibres macroéconomiques qui ont conduit à la remise en cause de la capacité de régulation macroéconomique, de lřefficacité des politiques redistributives et du niveau de dépenses publiques et parfois même de la capacité réglementaire des États. La régulation macroéconomique menée par les États passait jadis par la maîtrise de leur politique budgétaire et du taux d'intérêt ; or la globalisation financière semble exiger lřabandon de cette intervention. En ce qui concerne la redistribution, la remise en cause procède de la mondialisation de haute compétition qui impose aux entreprises une exigence de rentabilité au niveau de l'embauche, ce qui entraîne les exclusions permanentes du marché du travail. Enfin pour les dépenses publiques, elles doivent être maintenues tant quřelles concernent les infrastructures publiques, les 2 8 services publics et l'administration efficaces, le niveau d'éducation et de santé des ressources humaines qui sont des facteurs-clés de compétitivité. Cette vision qui a dominé pendant les années 80 et 90 a été ébranlé par lřéchec des PAS appuyée par les IFI et lřavènement des nouvelles théories de la croissance endogène qui remettent fortement en question les politiques inspirées de lřanalyse néo-classique dominante inscrite dans un monde virtuel où la concurrence est pure et parfaite, lřenvironnement stable, le chômage uniquement volontaire et où lřindividu responsable et organisé peut se mettre à lřabri de lřincertitude. Les nouvelles recherches ont alors rétabli le rôle de lřÉtat et des institutions dans la croissance économique. Les institutions sont ces ensembles complexes de normes, de règles, et de comportements conçus pour une fin collective et qui permettent de réduire les coûts des transactions. Elles sont de trois ordres : la mise en place dřarrangements institutionnels compatibles avec les objectifs fixés ; les investissements importants dans le capital humain (éducation et santé) et un bon État géré par un bon gouvernement. Tableau 21: Fonctions de l’Etat Fonctions minimales Fonctions intermédia ires Pour remédier au disfonctionnement des marchés Fournir des biens publics purs : Défense Protection de la propreté Stabilité macroéconomique Santé publique Se soucier des externalités : Réglementer les monopoles : Éducation de base Protection de l’environnement Réglementation des services d’intérêt public Politique antitrust Combler les lacunes de l’information : Assurance (santé, vie, retraites) Règlementations financières Protection du consommateur Coordonner les activités du secteur privé : Fonction de type interventio nniste Promotion du marché Renforcement des filières Pour assurer l’équité sociale Protéger les pauvres : Programme de lutte contre la pauvreté Secours aux sinistrés Fournir une assurance sociale : Retraites par redistribution Allocation familiale Assurance chômage Assurer une redistribution : Redistribution des actifs Source : Banque mondiale, Rapport sur le développement dans un monde, 1997 : L’État dans un monde en mutation. Ces institutions sont accompagnées par des règles et comportements éthiques compatibles avec les objectifs de développement. Elles doivent être socialement acceptés et appliqués par les principaux acteurs de la vie économique et sociale. Les règles appliquées dans la pratique sont au nombre de quatre : sřappuyer sur ses propres 2 8 forces, concentrer ses ressources là où on a un avantage concurrentiel, choisir le domaine le plus étroit possible et avoir la détermination. Quant aux acteurs, ils se subdivisent en trois catégories : les entrepreneurs qui sont des hommes de talents exceptionnels caractérisés par leur souplesse et leur agilité ; les élites intellectuelles et techniques issues des politiques de valorisation des ressources humaines permettant dřélever le niveau de qualification de la main-dřœuvre et lřÉtat qui est le principal architecte du développement et des transformations Du point de vue du rôle de lřÉtat dans le développement, trois questions méritent examen (SADOULET, 1991, J.P. LAFFONT 1998). : Comment faire participer les acteurs au développement ? Beaucoup de travaux récents Ŕen particulier à la suite de recherches dřhistoire comparative menées par EVANS, RUESCHMEYER et SKOCPOL (1985) et WADE (1990)- ont porté sur les mesures que peut prendre un État pour favoriser le développement, notamment lřaffectation de fonctionnaires et de responsables élus ayant pour objectifs la croissance et la satisfaction des besoins fondamentaux. Ce sont les États asiatiques qui ont surtout retenu lřattention. Comment préserver la primauté de lřÉtat sur les groupes de pression ? Sřil est vrai que lřaction des groupes de pression a un coût en termes de gaspillage des ressources, elle est inévitable en ce sens que les incitations de ces groupes et de lřÉtat sont compatibles entre elles (cřest-à-dire cohérentes avec un optimum individuel contraint). Comment assurer lřefficacité de la politique ? Pour un État, le pouvoir est la capacité de mener à bien ses décisions : il doit pour cela maintenir sa primauté face aux demandes des groupes de pression et mener une politique qui assoit sa crédibilité. La non-crédibilité peut avoir son origine dans une information imparfaite du secteur privé sur lřengagement réel de lřÉtat, ou dans la facilité avec laquelle lřÉtat change dřorientation, ce qui condamne la continuité dans le temps. La mondialisation dont aucun pays ne peut s'exclure sans se priver des bénéfices des progrès technologiques et des échanges, impose aux acteurs engagés dans le processus à produire de façon compétitive, à attirer les investissements directs et les capitaux. Cela appelle la présence dřun État qui devient l'élément crucial des réussites économiques. Section 1 : Les aspects institutionnels de la croissance et le retour de l’État dans le jeu économique. « Le développement est le fait de changement dans les institutions. Les décisions qui déterminent les grandes lignes directrices du développement concernent aussi les cadres qui régissent les activités de l’homme. Il faudrait insister sur la nécessité d’adapter ces cadres et de ne point se limiter à une copie servile des pays industrialisés. Se contenter de transplanter des appareils de production, sans tenir compte des comportements, des attitudes et des valeurs traditionnelles, c’est probablement susciter des entraves supplémentaires préjudiciables au développement ». F. PERROUX 2 8 Quand on tente de formuler une politique de développement on se heurte à une série de problèmes auxquels les autorités responsables nřont pas toujours accordé lřattention nécessaire. Préoccupés par les aspects économiques du développement, les dirigeants orientent leurs efforts sur les options à prendre en matière dřindustrialisation ou de modernisation de lřagriculture, de pratique dřune économie ouverte ou repliée sur elle-même. Ils se penchent aussi sur les questions monétaires et fiscales, sur les problèmes stratégiques de financement. Toutefois écrit E. GANANGE, les éléments dřune telle politique économique restent de faible efficacité, sřils ne sřaccompagnent pas de transformations dans les structures de base. Le développement ne se limite pas à lřéconomie ; il plonge ses racines aussi dans les institutions.166 Les recherches contemporaines sont revenues sur les questions institutionnelles avec D. NORTH ET WILLIAMSONS si bien que nous avons maintenant une meilleure connaissance des structures institutionnelles et organisationnelles qui permettent dřobtenir le rythme et les caractéristiques voulues du changement économique. Ainsi, D. NORTH (1994, 1997) souligne que les institutions représentent « les règles du jeu dans la société ou les contraintes humainement disponibles pour former les interactions humaines. Il ne sřagit pas seulement des règles formelles (constitution, lois et règlements) mais aussi des contraintes informelles (normes de comportement, conventions, codes de conduite auto-imposés). Cřest de lřensemble de ces règles, normes et conditions de mise en pratique que dépend la performance économique ». À partir dřun objectif dřéconomie de coûts de transaction, les entreprises et les marchés mettent en place des institutions pour la gestion des contrats, de lřinvestissement et des affaires privées (O. WILLIAMSON, 1995). Plusieurs modes dřorganisation sont possibles : organisation de marché, organisation mixte, organisation hiérarchique, action publique. Chacun de ces modes déterminent des incitations et des contrôles différents qui entraînent différents degrés de coopération ou de concurrence, différentes conditions crédibles dřinvestissement et de contrats. Ces institutions améliorent lřefficacité de lřallocation des ressources Les années 80 vont voir le triomphe théorique de lřanalyse néo-classique et conséquemment lřacceptation du marché comme mode quasi exclusif de régulation de la vie économique. Au-delà de sa fonction allocative analysée par N. KALDOR, il est souligné que le marché sřadapte plus facilement aux changements quřun système dřautorité et de plus il favorise les innovations, le progrès technique, la mobilité. Dans cette fonction créative, il contribue à la croissance en déplaçant vers le haut la courbe des possibilités de production. Enfin, lřéconomie de marché entraîne lřhabitude de la décentralisation et de lřindividualisme liés à terme à la montée des institutions pluralistes et démocratiques. Dans ce contexte, le marché se présente alors comme un instrument dřefficacité et dřallocation optimale. Cependant, il va révéler des imperfections, des défaillances et des insuffisances qui vont justifier le retour de lřÉtat à une période ou les économistes institutionnalistes commencent à souligner que lřéconomie de marché a besoin dřinstitutions et dřun pouvoir pour les faire respecter. Les imperfections du marché communément soulignées sont de trois ordres: Les imperfections liées aux marchés financiers et dřassurance qui peuvent empêcher de réaliser certains projets socialement rentables mais trop risqués par rapport aux possibilités de couverture privée, 166 E.GANNAGE : Institutions et développement, Revue du Tiers-Monde, 1966 2 8 Les imperfections tenant à la présence dřexternalités positives, cřest-àdire de situation où lřaction de lřentreprise a un impact positif sur le reste de lřéconomie, sans que lřentreprise soit capable de récupérer la totalité des bénéfices, Les imperfections issues de lřexistence des rendements croissants et dřéconomies dřéchelle. Dans ce cadre, les théoriciens de la croissance endogène et ceux des institutionnalistes vont alors réhabiliter lřintervention publique pour favoriser certaines formes dřaccumulation du capital, des infrastructures, de la recherche et de la formation. La pratique des politiques économiques a fait le reste en conférant dans des pays à fortes performances économiques (Asie) un rôle prépondérant à lřÉtat. La question de lřÉtat dans le développement de lřAsie est, selon E.BOUTEILLER et M. FOUQUIN, lřoccasion dřune grande confusion. En bien comme en mal, lřEtat a joué et joue toujours un rôle essentiel dans le développement. Il demeure le grand ordonnateur sans lequel les différents éléments du puzzle ne se mettraient pas en place spontanément. Rien nřest plus étranger aux conceptions libérales que lřexpérience japonaise ou celle de la Corée du Sud, de Taiwan ou même de Singapour avec son système dřépargne forcée et sa planification omniprésente. LřÉtat en Asie est un Etat développeur … Lřindustrie lourde, lřindustrie de haute technologie, les infrastructures ne sauraient apparaître spontanément. Dans ces domaines, lřÉtat est moteur, les entreprises publiques omniprésentes…LřÉtat décide, le marché sanctionne, lřun ne va pas sans lřautre. Toutefois pour lřAfrique, le problème réside plutôt dans la mauvaise qualité de lřÉtat précarisé en amont par la mondialisation et informalisé à lřintérieur par le volume de ses déficits et un secteur informel qui lui échappe totalement, alors même quřil est écrasé par lřampleur des surcharges sociales. Dans ce contexte, sa réforme est indispensable. Il reste que lřÉtat doit agir avec le marché et non contre lui. Par rapport aux autres agents selon le mot de J. M. KEYNES : « lřimportant pour lřÉtat nřest pas de faire ce que les individus font déjà et de le faire un peu mieux ou un peu moins mal, mais de faire ce que personne dřautre ne fait pour le moment ». LřÉtat en tant quřinstitution doit être organisé officiellement pour protéger les contrats entre privés et instaurer ainsi une bonne efficacité contractuelle, condition sine qua non pour retrouver la confiance des investisseurs tant étrangers que nationaux. Il sřagit ici dřun ensemble de règles permettant dřinstaurer un climat sain, susceptible dřattirer et de stimuler les investissements, qui à leur tour déterminent la croissance. Ces mesures sont maintenant connues sous le vocable de « bonne gouvernance » qui signifie selon la Banque Mondiale Ŗlřusage de lřautorité politique, la pratique du contrôle sur une société et la gestion de ses ressources pour le développement économique et socialŗ. LřÉtat doit aussi sřatteler à faciliter et à contribuer à la mise en place dřun système financier nécessaire à la collecte et à lřaffectation de lřépargne à des investissements privés. Le système financier, particulièrement le système bancaire, est très déterminant dans le financement des investissements et des entreprises privées qui sont au centre du processus de production ; par conséquent, ils constituent les moteurs de la croissance. Toutefois, il faut éviter que le système financier ne subisse les pesanteurs de lřÉtat car cela aboutirait à des effets dřéviction sur lřinvestissement productif. La crise bancaire des années 80 en apporte la meilleure preuve. Enfin, la mondialisation selon Président Henrico CARDOSO impose de meilleures tâches à lřÉtat. Outre les fonctions classiques, il doit accueillir dans un cadre démocratique des dépendances sociales pour plus dřéquité. 2 8 Au demeurant, lřintervention de lřÉtat soulève toujours plusieurs interrogations. LřÉtat devra alors être rénové, maîtriser ses coûts dřintervention et se montrer convaincant par la qualité de ses politiques. Section 2 : L’État dans le développement Selon le professeur J. LAFFONT, un bon État est un Gouvernement bienveillant et informé. Ce Gouvernement se compose alors des hommes politiques qui contrôlent lřappareil dřEtat, utilisent les fonctionnaires des administrations centrales et des collectivités locales, ainsi que les agents des entreprises publiques pour mener à bien leurs politiques. Celles-ci devraient tourner, pour lřessentiel, autour de la mise en oeuvre des moyens pour réaliser les promesses dřamélioration du bien-être faites lors des campagnes électorales. . Quoi quřil en soit, dans une démocratie, la bienveillance doit être avérée sinon, les hommes politiques risquent de perdre leur emploi. Il faut alors savoir quelles politiques mettre en place pour maximiser le bien-être social compte tenu des moyens disponibles et de la nécessaire préservation des équilibres fondamentaux de lřéconomie. Les questions sont bien connues en ce qui concerne lřéconomie : Comment réaliser les arbitrages entre le souhaitable et le possible ? Comment ordonner et planifier les priorités retenues? Comment allouer les ressources entre préférences individuelles et biens collectifs? Comment organiser le processus décisionnel pour arbitrer entre les erreurs du premier type (prendre une mauvaise décision) et les erreurs du second type (rejeter une bonne décision). Paradoxalement, les réformes institutionnelles sont beaucoup plus compliquées à définir et à résoudre que les problèmes économiques. Quel est le modèle institutionnel qui apporte aux populations une autre organisation sociale et un niveau de bien-être supérieur à lřancien ? L'émergence des marchés libres, en l'absence de toute évolution institutionnelle, n'a pas résolu les problèmes économiques et sociaux auxquels les pays d'Afrique se trouvent confrontés. Paradoxalement, l'approfondissement de la crise économique et sociale ainsi que la mondialisation ont relancé le débat sur le rôle de l'État. En effet, le modèle libéral induit par l'ajustement structurel en Afrique, montre quř «Instituer la libre concurrence, la propriété privée et le contrat ne suffit ni pour imposer une modification spontanée des comportements, ni surtout, pour réussir une évolution naturelle vers un régime de croissance stable et de concurrence raisonnablement équitable. La transition n'est donc pas portée par une loi naturelle ou par un attracteur, mais demande au contraire l'intervention d'un agent ou d'un sujet historique, qui est assez aisément identifiable : ce n'est ni un horloger universel ni une force sociale mobilisée mais l'État pour autant que ses institutions soient restées ou redevenues suffisamment fortes ou légitimes». Les Institutions Financières Internationales semblent préconiser désormais un rôle plus accru à l'État, ce qui apparaît clairement dans les recommandations sur la bonne gouvernance. Quelles sont les raisons profondes qui ont motivé ces changements d'orientation et quelles sont les nouvelles fonctions attendues de l'État ? Il semble que les déficiences des marchés ainsi que les nouvelles théories de la croissance endogène ont réintroduit l'État au cœur des mécanismes économiques. I/ Les imperfections du marché et l'affaiblissement du fondamentalisme de 2 9 marché Sur le plan théorique comme sur le plan empirique, les recherches révèlent de graves défaillances des marchés qui se traduisent selon Lall (1994) dans les faits qu'ils ne donnent pas les signaux corrects dans l'allocation des ressources entre activités simples et complexes et entre l'investissement physique, la technologie achetée et les efforts technologiques internes. Le marché, a priori reconnu efficace, est considéré aujourd'hui comme pouvant se révéler myope laissant apparaître des déficiences trop évidentes. Ces défaillances ont été analysées depuis longtemps PAR N. KALDOR qui soulignait son double échec dans sa fonction allocative et dans sa fonction créative. En effet, soulignait-il, en ce qui concerne la fonction allocative, «premièrement, les prix peuvent donner de mauvais signaux car ils subissent des distorsions de la part de monopoles ou d'autres influences. Ensuite, le travail et d'autres facteurs de production peuvent répondre, de façon inadéquate ou même perverse aux incitations du marché. Enfin, bien que pouvant répondre de manière appropriée aux signaux de prix corrects, les facteurs de production peuvent être immobiles, incapables de se déplacer ou se déplacent trop lentement». Il importe alors, comme l'observe A. TOURRAINE, de cesser de voir dans le triomphe de l'économie de marché le fondement d'un nouveau type de société car "l'économie de marché n'entraîne pas elle-même la formation d'entrepreneurs et d'un large marché national ; de la même manière, politiquement, elle peut se combiner avec un régime autoritaire comme avec une démocratie limitée à des élections formellement pluralistes ou, au contraire, avec une démocratie modifiant en profondeur la répartition des droits, des revenus et du pouvoir". Toutes ces défaillances et imperfections conduisent à des interventions justifiées des pouvoirs publics qui vont devenir des agents capables de transformer à leur avantage les règles du jeu et les conditions de leurs interventions. À cela s'ajoute que les marchés, par essence, ignorent les besoins non solvables et négligent gravement toute vision à long terme. Ensuite des lacunes apparaissent souvent lorsque les conditions de la concurrence sont imparfaites (et donc accompagnées d'une asymétrie d'informations) et génèrent des externalités négatives. Dans le cas de l'Afrique, les dualités structurelles et divers facteurs, obstacles naturels ou sociologiques empêchent la formation et le fonctionnement de marchés libres. Ce sont ces défaillances qui réhabilitent aujourd'hui l'État comme un outil parfaitement indispensable. Toutes ces imperfections soulignées peuvent être groupées en cinq catégories : les imperfections des marchés internationaux en termes d'offre comme de demande qui conduisent les pouvoirs publics à contrôler par divers biais (barrières douanières, normalisation, etc.) la concurrence ; les imperfections des marchés financiers et d'assurances qui empêchent la réalisation de certains projets socialement rentables mais trop risqués ou trop peu rentables pour le secteur privé ; la restructuration industrielle qui fait appel au concept dř "avantage construit" : l'absence d'une concurrence internationale, suite à l'existence d'oligopoles mondiaux créateurs de rente, amène l'État à subventionner ses entreprises pour les aider à entrer ou à rester dans l'oligopole mondial afin de pouvoir capter pour la collectivité nationale une partie des profits de la rente ; les externalités positives qui contribuent à l'amélioration de la productivité et de la compétitivité de l'entreprise sans que celle-ci ne puisse en supporter les coûts car n'étant pas assurée d'en récupérer la totalité des bénéfices avec le seul jeu du marché, de telles externalités se rencontrent dans l'éducation et la formation, dans la 2 9 recherche pour le développement, dans la diffusion de l'information et dans la mise en place d'un environnement stable et incitatif ; l'existence de rendements croissants et d'économies d'échelle pouvant conduire à une situation de monopole qui prive l'économie des bienfaits d'une saine croissance. Les théories de la croissance endogène qui s'appuient sur ces externalités ont remis en piste l'intervention de l'État. Les recherches de P. ROMER ont particulièrement exploré les zones où peuvent exister ces externalités : dans le capital privé lui-même, par la technologie et l'information qu'il incorpore, dans le capital public de type infrastructurel qui vient compléter le capital privé, dans la recherche du développement où la production de chaque agent bénéficie de l'ensemble de la connaissance, dans la santé et dans le capital humain (théorie de G. BECKER). La théorie de la croissance endogène réhabilite donc l'intervention publique pour favoriser certaines formes d'accumulation du capital en général, des infrastructures, de la recherche, de la formation. D'autres facteurs motivent encore davantage l'intervention de l'État, particulièrement quand il s'agit des économies en voie de développement. À ce niveau, trois situations supplémentaires peuvent être soulignées où l'État est le seul instrument de régulation : d'abord, la réalisation de la stabilité monétaire dans un cadre macroéconomique et macro-financier assaini ; la lutte contre toute les formes d'exclusion et la production de services sociaux et de biens collectifs que les utilisateurs ne peuvent pas payer, et l'insertion dans le système mondial de très haute compétition. Sur ce dernier point, le Président H. CARDOSO note que «la mondialisation impose de nouvelles tâches à l'État qui, au lieu de s'affaiblir, doit plutôt se renforcer pour être à même de promouvoir le développement. En réalité, le rôle de l'État est bien plus complexe. Outre les fonctions classiques comme la sécurité, la santé et l'éducation, il doit accueillir dans un cadre démocratique, les demandes sociales croissantes pour plus d'équité, plus de justice, pour un environnement sain, pour le respect des droits de l'homme. À une citoyenneté plus exigeante, doit correspondre aussi un raffinement plus grand des actions de l'État. Un État uni et organisé, donc fort, aura de meilleures conditions de faire face aux besoins de la mondialisation». A l'appui de cette idée on avance généralement deux arguments, d'une part, la constitution d'oligopoles mondiaux créateurs de rentes pour ses membres et d'autre part, le nouveau rôle de l'avantage comparatif qui est un élément d'un enjeu plus général : l'avantage compétitif. Les théoriciens de l'avantage construit (BRANDER et SPENCER, 1986) ont montré qu'en l'absence d'une concurrence parfaite sur le marché mondial, avec l'apparition d'oligopoles, l'État est parfaitement fondé "à subventionner ses entreprises pour les aider à entrer (ou à rester) dans l'oligopole mondial afin qu'elles puissent capter à leur profit (et à celui de la collectivité) une partie de la rente prélevée sur les consommateurs étrangers, c'est-à-dire que, si l'avantage compétitif est construit, l'État sera désormais placé au cœur d'une vaste stratégie de promotion et d'insertion de ses entreprises et autres acteurs économiques dans le système mondialisé. Il lui revient la mission d'aider à la mise en place des conditions d'une compétitivité structurelle permettant, au-delà des prix, de positionner les entreprises nationales sur les marchés porteurs. Le temps de l'État est loin d'être fini. Non seulement le nombre des institutions étatiques augmente passant de 50 en 1945 à 225 en 1996 mais les de ses structures se renforcent. En somme, si les "économies nationales se sont transformées, elles n'ont pas disparu même si leur marge 2 9 d'autonomie s'est réduite et si leurs instruments d'intervention ne sont plus nécessairement adaptées aux impératifs de la période. L'ensemble de ces raisons explique le retour de l'État comme gestionnaire de l'économie ou créateur de règles. La Banque Mondiale, à travers son approche de la gouvernance, adhère de plus en plus aux théories institutionnelles car elle considère que l'État peut fournir des biens et services qui remplissent des fonctions économiques centrales. De même, la gouvernance désigne les aspects institutionnels et politiques qui permettent à un gouvernement de créer un cadre d'ordre et de stabilité, de formuler et d'exécuter une stratégie. Sous ce rapport, l'État et ses structures organisationnelles, ainsi que les modes de gestion des ressources publiques sont concernés au premier chef. Appliquée à l'ajustement, la bonne gouvernance retrouve toute son importance en sens que dans la nouvelle mouvance, l'efficacité économique et sociale ne peut être atteinte que si on réforme tous les lieux de concentration des pouvoirs : pouvoirs économiques, pouvoirs politiques, pouvoirs judiciaires, etc. Dès lors qu'il est admis une nécessaire redéfinition des rôles et des missions publiques, il faut s'interroger sur l'ampleur des réformes de l'État qu'il importe d'introduire. II/ La réhabilitation et la redéfinition du rôle de l'État «Il est impossible de mener une action durable de modernisation de l'appareil de production, de procéder à de larges réformes sociales, de modifier la culture des entreprises et d'accomplir un véritable effort pour accroître la compétitivité du pays à l'échelle internationale, sans l'aide et le soutien de l'État - mais d'un État complètement rénové» 1°) Les réformes indispensables de l’État Il est connu aujourd'hui que la réforme de l'État ne saurait se limiter au paradigme simple du mieux d'État qui prendrait sa signification dans la déflation des effectifs de la fonction publique, à la privatisation des entreprises publiques déficitaires ou mal gérées. Bien que de telles mesures soient importantes, la réforme devrait aller bien au-delà de ces quelques actions ponctuelles et s'insérer dans une vision globale d'édification d'une organisation sociale de type nouveau. En partant de l'idée que le développement économique requiert plusieurs conditions préalables : l'existence d'un projet national cohérent qui puisse mobiliser les acteurs autour de politiques économiques et financières pertinentes et gérer l'insertion au système mondial en exploitant toutes les opportunités que celui-ci offre en termes de capitaux, de technologie et de marché ; la mise en place d'un système politique décentralisé et la création d'un appareil judiciaire fonctionnel et efficace ; l'existence d'une politique sociale qui garantisse l'égalité des chances, la justice sociale et la solidarité vis-à-vis des plus faibles. L'État s'avère comme un instrument indispensable de mise en cohérence de ces préalables. Cependant, au-delà de cette nécessité bien évidente, des questions se posent et que P. JACQUEMOT énumère comme suit : Quelle est la taille optimale de lřÉtat ? 2 9 Quelles taches doivent lui être confiées et lesquelles est-il préférable de les laisser au secteur privé ? Doit-il produire lui-même les prestations qu'il fournit ou peut-il en confier la production à des entreprises privées ? Dans quelles conditions faut-il étatiser des entreprises privées ou au contraire privatiser des entreprises publiques ? Faut-il accroître ou réduire la réglementation régissant la plupart des activités privées ? Faut-il vendre les prestations publiques ? Par quels moyens doit-il être mis au service des équilibres macroéconomiques ? Quelles sont les limites de l'endettement public ? À cette série de questions, on peut ajouter celles-ci : s'il faut réformer l'État, pourquoi le faire ? Avec qui ? Pour qui ? Et Comment ? Encore une fois comme le souligne JUDET (1994) la recherche de « l'État minimum » préconisé par la Banque Mondiale est moins à l'ordre du jour que celle de « l'État optimum », allégé sans doute, mais toujours efficace. La crise des économies africaines des années 80 ainsi que les expériences d'ajustement structurel montrent que les stratégies de développement durable et de croissance dépendent à la fois de la transformation des appareils de production par des politiques sectorielles pertinentes et par l'utilisation des acquis de la révolution technologique, de la libéralisation des échanges par des avantages construits à partir des dotations factorielles et du renforcement de la compétitivité, de l'organisation d'une nouvelle approche de la productivité des secteurs public et privé, de la création d'un environnement institutionnel incitatif, de l'élaboration et de la gestion d'une politique sociale. Ces problèmes économiques et sociaux d'une telle ampleur et d'une telle complexité ne peuvent être résolus par la simple émergence des marchés libres. LřÉtat africain doit impérativement s'engager, mais sur de nouvelles bases et après avoir réglé sa double crise financière et fonctionnelle qui l'empêche de disposer de capacités d'analyse et des systèmes d'information permettant l'élaboration de stratégies de modernisation à long terme. En conséquence, l'État devrait se réformer et réadapter ses orientations et structures aux nouveaux processus de développement. Le consensus dégagé par la Banque Mondiale visant à imposer des limites à l'intervention de l'État, à alléger les administrations pléthoriques, à atténuer l'ouverture économique et à accorder une priorité accrue aux ressources humaines est notoirement insuffisant. 2°) L’État «PRO » en Asie exemple désigné par la Banque mondiale La Banque Mondiale offre quelques signes bien évidents de changement de vision allant dans le sens d'une réhabilitation de l'État. Dans son Rapport "The Asian Miracle" (1993), elle montre que le succès des économies asiatiques de haut rendement sont dus avant tout à la fixation correcte des fondamentaux macroéconomiques (épargne et investissements élevés, exportations croissantes, stabilité macroéconomique, régime concurrentiel, fortes dépenses d'éducation) et à une intervention de l'État en harmonie avec le marché (market friendly). Toutefois, il faut aller bien au-delà de ce qu'il est convenu d'appeler le gouvernement du marché par l'État rendu nécessaire pour garantir les conditions de fonctionnement du marché en imposant des normes, des règles. C'est vers un État 2 9 mobilisateur qu'il faut s'orienter : un État qui soit capable d'assumer des missions de transformation de l'économie, de régulation, de mobilisation des acteurs et de gestion de la cohésion sociale. Ce type d'État devrait réussir l'intégration de la vie politique, de la vie économique et celle des acteurs sociaux. Au regard des expériences asiatiques, cette conception n'est pas loin de celle de l'État « PRO » (promoteur, producteur, prospecteur, programmateur) qui a joué un rôle central dans le développement économique et social. La question fondamentale est alors de savoir quelles sont les réformes à introduire pour opérer une transition d'un État faiblement interventionniste ou en voie de désengagement à un État ayant pour missions essentielles de créer les conditions favorables au développement et à la croissance et qui soit capable de corriger positivement toutes les imperfections des marchés. Dans cette période d'ajustement structurel, ces réformes doivent conduire à doter l'État d'une capacité endogène de formulation et de gestion des politiques macroéconomiques d'une part, et de régulation sociale d'autre part. Toute politique économique dépourvue de contenu social va manquer de légitimité, de durabilité et d'efficacité. Partant de l'expérience de l'Afrique V. K. JAYCOX (1992) note qu'elle n'a pas bénéficié du même traitement que les autres régions. En Afrique, on s'est borné à "gérer la crise" et à quelques exceptions près, les bailleurs de fonds n'ont fait que "répondre à la crise" par des projets d'assistance technique ponctuels et à court terme. Peut-on vraiment se féliciter que l'assistance technique à l'Afrique ait augmenté de 50% depuis le milieu des années 80 et qu'elle atteigne aujourd'hui 4 milliards de dollars par an ? Peut-on accepter la présence de 100.000 conseillers techniques expatriés dans la région, c'est-à-dire plus qu'à l'indépendance" En effet, la capacité d'analyse de la politique économique et la gestion du développement sont les lacunes les plus criantes de l'État. Or, ces capacités sont essentielles au processus d'ajustement. Elles sont au coeur de la dynamique du développement puisqu'elles identifient les changements, les analysent, y réagissent et les gèrent. Dotés de telles capacités, les pays assumeraient mieux leurs politiques de développement et seraient beaucoup plus motivés pour les faire aboutir. À partir de ces missions diverses et des fonctions managériales de l'État, les réformes à entreprendre peuvent se résumer pour l'essentiel à : la mise en place d'un véritable programme de réforme de l'État pour en faire un instrument efficace capable de gérer un système économique performant et un régime démocratique de liberté ; l'instauration d'une administration de développement à même de créer un environnement favorable au développement et à la croissance ; l'élaboration d'une politique sociale suffisamment expressive de l'idée que toute réforme économique et démocratique qui n'induit pas de changement social ne sera pas viable ; en d'autres termes, l'État doit inclure la gestion du social dans sa stratégie de réforme et mettre en place des mécanismes de solidarité ; la décentralisation ou le transfert du pouvoir réel à la base qui permet la mobilisation de cette myriade d'acteurs et d'organisations de la société civile pour un développement participatif. La décentralisation va alors devenir l'école du citoyen réellement actif. III/ De quelques formes d’État acteur principale de la politique économique. Jadis, lřÉtat avait fortement enflé à la fois au niveau économique (constitution dřun secteur public hypertrophié) et au niveau social (en tentant de protéger tous les 2 9 citoyens contre tous les dangers). Ce dernier aspect a entraîné une surcharge des finances publiques de manière parfaitement inefficaces : on ponctionne les citoyens par de multiples prélèvements obligatoires sans pouvoir améliorer ni la pauvreté, ni le chômage, ni les infrastructures sociales. Il sřagit de choix national qui a conduit à deux types dřÉtat : lřÉtat justicier et protecteur et lřÉtat partenaire, chaque type idéal pouvant comporter différentes variantes 1°) L’État justicier et protecteur Lřinterventionnisme social a pour soubassement théorique le réformisme qui a pris aujourdřhui plusieurs significations selon les écoles philosophiques, politiques et religieuses qui lřinspirent. Cřest la justice sociale surtout lřéquité au niveau de la redistribution des richesses qui est le justificatif, le ciment de toutes les Écoles de pensée. La première forme de lřinterventionnisme a concerné la protection des travailleurs contre les graves abus de la révolution industrielle du capitalisme naissant en matière de droits des travailleurs, de volume de travail, de niveau de salaire et de la protection du travail. Cette protection passait dřune part par lřélaboration dřun droit du travail protecteur du travailleur et de son outil de travail et dřautre part par le recours à des allocations correctrices de toutes les distorsions qui naissent de lřorganisation économique et sociale. Aujourdřhui, une bonne partie des risques sociaux sont couverts par la Sécurité sociale qui partant brasse des Fonds substantiels qui en font un acteur financier de premier ordre dans le système financier international. La seconde forme concerne la fiscalité qui est devenue au fil du temps lřinstrument privilégié de lřÉtat : la justice par lřimpôt. Il sřagit de réduire les inégalités sociales par une taxation spéciale des grandes fortunes. La socialdémocratie suédoise est basée sur cette philosophie. Il faut écrivait Olaf PALM « un Etat plus doux pour les pauvres et plus exigeant pour les riches ». Dřautres États ont élaboré des politiques de redistribution du revenu car selon le mot de Jacques DELORS « Le gâteau social ne sort pas bien découpé du four de la production. Or, mieux découpé plus il sera grand ». La troisième forme est celle de lřÉtat protecteur de lřéconomie nationale au niveau interne par les nationalisations des secteurs clefs et à même exercé un monopole sur certains dřentre eux comme lřeau, lřélectricité et le transport et à lřéchelle externe par lřapplication de politiques protectionnistes vis-à-vis de lřextérieur : protection des industries naissantes et des avantages relatifs. Dans la mondialisation, le protectionnisme est loin dřêtre éteint, il a changé de forme et se déroule entre les blocs de haute compétition qui configure la mondialisation multipolaire : ALENA, UE, ASEAN, MERCOSSUR. J. M. KEYNES théorise lřinterventionnisme de lřÉtat en dégageant une politique économique menée par lřÉtat avec ses deux instruments traditionnels : la monnaie et le budget. Lřauteur offre tout à la fois une méthode : la macroanalyse, un but : le plein emploi et un moyen lřinvestissement à un niveau de vie. Lřinterventionnisme va alors devenir monétaire et financier et sřexprime par les actions exercées par les organismes publics sur le marché financier ou le crédit à moyen terme. Les émissions dřemprunts publics ou semi publics permettent de mobiliser une bonne partie de lřépargne en vue de financer lřinvestissement. Progressivement lřEtat a cherché de protéger tout le monde contre tous les risques qui pourtant ne cessent de sřélargir. Ce sera le début de sa dégénérescence : les 2 9 citoyens de plus en plus nombreux demandent de plus en plus de prestations sociales et veulent payer de moins en moins dřimpôts. Ces deux aspirations sont contradictoires. 2°) L’État partenaire : vers un partage de rôle entre l’État et le Privé Cette nouvelle forme dřintervention sřest manifestée dřabord par une volonté « dřéconomie concertée et « dřéconomie contractuelle ». La planification française en a été lřoccasion. Il sřagit profondément dřune sorte de partage de rôle entre Secteur public et Secteur privé. Keynes dira que « lřÉtat devra faire ce que les entreprises ne peuvent pas faire ». Le secteur public de la recherche-du développement et de la Défense nationale crée des externalités positives. En plus pour rendre les entreprises plus compétitives, lřÉtat favorise les fusions et les concentrations de celles-ci Lřinterventionnisme va profondément changer de nature et de fonction. LřÉtat nřimpose plus mais propose et régule pour le bon fonctionnement de lřéconomie. Au niveau des structures formelles les choses ne vont pas mieux suite à la crise profonde du système public de sécurité sociale, symbole de «l’État-providence» qui accuse une triple crise dřefficacité (effets pervers de prélèvements excessifs) ; une crise de légitimité avec côté recettes une redistribution à rebours et côté dépenses la solidarité déviée avec des difficultés dřévaluation et une crise dřadaptation. Pris en tenaille entre lřaccroissement soutenu des dépenses et le tarissement des sources de financement du fait de lřassainissement économique et financier, le fonctionnement du système de redistribution et de protection sociale est de plus en plus bloqué. Section 3 : La décentralisation ou la connexion avec le local I/ La décentralisation La décentralisation apparaît comme une réponse à la crise de gouvernabilité observée au niveau de lřÉtat central. La décentralisation est en effet considérée comme une des modalités les plus sûres de modernisation des États, et une des voies possibles pour accélérer le développement, notamment en Afrique. La décentralisation correspond à la reconnaissance aux collectivités territoriales locales d'un certain niveau de responsabilité sur la gestion de leurs affaires. Cette responsabilité peut prendre la forme d'un transfert de certaines compétences exercées auparavant par l'État central, ou se traduire par la reconnaissance à la collectivité territoriale d'une compétence générale, à l'exclusion d'un nombre limité de domaines gérés exclusivement par lřÉtat central (affaires étrangères, sécurité publique, gestion macro-économique ...). Cette vision de la décentralisation est en fait avant tout un système de partage de pouvoirs entre l'Etat et ses démembrements. Elle est donc essentiellement reliée à la sphère institutionnelle publique. Mais il existe une autre conception de la décentralisation. Dans la littérature anglo-saxonne, la décentralisation est décrite comme un processus graduel de transfert de pouvoirs aux populations, qui va de la déconcentration à la privatisation, en passant par la délégation et la dévolution des pouvoirs. Vue de cette manière la décentralisation n'est donc plus réservée à la sphère publique, elle concerne de fait tous les acteurs, y compris les organisations et associations de base, les ONG, les intervenants du secteur privé... Dans un cas comme dans lřautre, la décentralisation inscrit le niveau local au cœur de toute stratégie de développement durable. Cřest en effet à ce niveau que le développement est 2 9 expérimenté au quotidien, dřoù lřengouement actuel pour les questions de développement économique local. Pratiquement tous les pays de la région ont adopté et mettent en œuvre des politiques de décentralisation par lesquelles les collectivités locales deviennent des acteurs importants du développement. Tous attendent des collectivités locales un second souffle dans la mobilisation des populations pour la bataille du développement, en même temps quřune meilleure redistribution des fruits de la croissance. Cřest la raison pour laquelle la plupart des lois de décentralisation demandent aux collectivités de définir un plan de développement local qui fixe le cadre et la stratégie de lřorganisation territoriale du développement local. Le besoin dřune mobilisation politique des acteurs à tous les niveaux autour de la problématique territoriale de la Nation implique un effort important de production dřune information de base localisant les principaux enjeux du développement et les espaces de projets, dans lřobjectif dřidentifier les collectifs dřacteurs capables de porter les différents projets. Ces espaces-projets sont différents des espaces administratifs et doivent inclure des dimensions supra et intra territoriales. On remet de la sorte les thèmes de lřaménagement du territoire au cœur du débat démocratique. II/ L'aménagement du territoire, un impératif du développement africain Un territoire, au sens économique, est le siège géographique des activités humaines. La population qui occupe cet espace procède spontanément à son organisation, en fonction de données naturelles, culturelles, militaires et économiques. Aujourd'hui, l'état de développement, les progrès technologiques de même que la nécessité de la décentralisation ont rendu nécessaires un aménagement programmé et créatif du territoire, pour au moins trois sortes de raisons: des raisons économiques, des raisons sociales et des raisons politiques. D'abord le modèle d'aménagement obéit à une nécessité économique dans des pays en voie de développement comme les nôtres. Les activités économiques et financières tendent spontanément à la concentration géographique. C'est cela qui explique la bipolarité Dakar Ŕ reste du Sénégal. Il en est de même pour les autres capitales. Les producteurs comme les commerçants ont intérêt à se rapprocher de l'espace polarisant. L'industrie appelant l'industrie de même que les services et l'administration, tout finit par se concentrer spontanément dans les grandes villes; ce qui soulève beaucoup de problèmes. Ensuite, le schéma d'aménagement du territoire est une nécessité sociale. En effet, la concentration des activités crée une inégalité géographique devant l'accès à l'emploi. Elle entraîne des migrations qui vident certaines régions et conduisent au surpeuplement d'autres régions. Pour trouver un emploi ou pour en changer, les travailleurs doivent de plus en plus quitter leur lieu de naissance, cela devient une mobilité forcée avec tout ce que cela comporte comme conséquences sociales. Enfin, l'aménagement du territoire procède d'une nécessité politique. Sur ce plan, il faut redéfinir le rôle que l'État doit jouer dans le fonctionnement de lřéconomie. En effet, l'État moderne est à la fois l'élément stabilisateur, l'instrument de création des externalités positives et le garant de la cohésion sociale et de l'unité nationale. C'est pour ces raisons que lřÉtat doit intervenir dans la localisation des activités en cherchant à les orienter par des incitations et par le financement d'infrastructures de base ou bien en cherchant à les planifier par des moyens « autoritaires » 2 9 Dans ce cadre, pour éviter les disparités régionales trop fortes et le développement des inégalités, il ne suffit pas de protéger des régions pauvres en leur distribuant par des moyens artificiels des ressources financières ou autres. Il faut plutôt concevoir autrement l'aménagement du territoire pour non seulement changer d'échelle mais également mettre en réseau acteurs et territoire. Une politique de redistribution des revenus en faveur des populations rurales opérée par les autorités ne semble pas indiquée pour une économie aux ressources limitées, du moins elle nřest pas une solution de long terme. Il revient à lřÉtat de définir une stratégie novatrice pour amener les ruraux à participer à la croissance de manière en en recueillir les fruits. J.LAFFONT ne dit-il pas « quřun bon État est un Gouvernement bienveillant et informé, se composant dřhommes politiques qui contrôlent lřappareil dřÉtat, utilisent les fonctionnaires des administrations centrales et des collectivités locales ainsi que les agents des entreprises publiques pour mener à bien leurs politiques ». Celles-ci devraient tourner, pour lřessentiel autour de la mise en œuvre des moyens pour réaliser les promesses dřamélioration du bien-être faites lors des campagnes électorales. Section 4 : L instauration de la bonne Gouvernance politique, économique et sociale Dans la vision keynésienne, lřÉtat est un agent économique très spécifique, dont lřintervention est légitimée par lřexercice de trois fonctions majeures (selon la typologie de MUSGRAVE) : la production (ou allocation) de biens et services, la redistribution des revenus, la stabilisation ou régulation de lřactivité économique. Il doit définir et mettre en œuvre les programmes dřaction que sont les politiques publiques indispensables pour assurer les ajustements de structures et les cohérences entre secteurs dřactivité. De plus, il doit développer, outre lřinfrastructure publique, les règles qui assurent la libre concurrence, la démocratie et une répartition plus égalitaire des actifs dans le secteur privé, témoignant ainsi la confiance reconnue au jeu du marché et à ses fonctions régulatrices. En tant quřinstitution, il doit protéger les contrats entre privés et instaurer ainsi une bonne efficacité contractuelle, condition sine qua non pour retrouver la confiance des investisseurs tant étrangers que nationaux. Il établit un ensemble de règles permettant dřinstaurer un climat sain, susceptible dřattirer et de stimuler les investissements qui, à leur tour, déterminent la croissance. Ces mesures sont maintenant connues sous le vocable de « bonne gouvernance ». Celle-ci doit particulièrement veiller à légitimer lřaction de lřÉtat par une stricte observance des règles dřéquité et lřinstauration dřinstitutions judiciaires indépendantes intervenant après échec des médiations préalables et des organes de prévention des conflits. Le volet économique consiste à construire des systèmes, des procédures et des organisations socialement acceptables et capables de réguler dans la transparence et lřéquité, la production et la redistribution des richesses économiques, ainsi que les ressources nécessaires au développement de lřensemble de la société à long terme. Dès lors, la gouvernance économique se décline en quatre grands domaines, reliés entre eux mais distincts dans leurs champs respectifs, leurs méthodes et leurs principes généraux de fonctionnement : 2 9 Le premier domaine est relatif à la gestion macroéconomique, la bonne gouvernance est souvent mesurée à lřune des simples indicateurs de performance économique, à savoir : la gestion des déficits publics internes et externes, la politique de maîtrise de lřinflation, la politique monétaire et politique de change, les politiques sectorielles incitatives aux activités productives, Le second domaine concerne la création et le développement dřun environnement favorable aux producteurs. Dans ce sens, les aspects les plus couramment évoqués par les opérateurs concernent : le système financier et de crédit, le régime fiscal applicable aux entreprises, la législation du travail, Le troisième domaine intéresse la régulation économique pour laquelle trois éléments semblent devoir être privilégiés pour améliorer la gouvernance économique globale : le système financier, la concurrence, les moyens comptables et dřaudit. Le quatrième domaine se rapporte à lřédification et au développement dřune société civile forte, dynamique et capable de demander des comptes aux gouvernements. Elle doit être encouragée par la mise en place dřun cadre institutionnel ouvert sur le pluralisme, la promotion de la dimension genre, lřindépendance de la magistrature et dřautres entités telles que les commissions électorales, les organes chargés des droits de lřhomme et les dispositifs anticorruption. Au demeurant, lřintervention de lřÉtat soulève toujours la question de son efficacité ce qui fait penser aux coûts directs de fonctionnement de lřadministration, aux coûts imposés au secteur privé, aux distorsions causées dans lřéconomie. À ce niveau, on peut transposer la formule de la subsidiarité dans la définition des missions de lřÉtat africain : lorsque les ménages et les entreprises ont plus de capacité à exercer une activité, lřÉtat doit sřabstenir dřintervenir. Cette position était déjà défendue par J. M. KEYNES lorsquřil observait que « lřimportant pour lřÉtat nřest pas de faire ce que les individus font déjà et de le faire un peu mieux ou un peu moins mal, mais de faire ce que personne dřautre ne fait pour le moment ». À cela, M. Chatelus ajoute que pour être efficace, lřÉtat doit, intégrer les enseignements de la théorie des organisations, les concepts de système et de stratégie. Il lui faut moderniser sa gestion (approche management public), en partant dřune définition claire des objectifs et non des moyens. Cela suppose la réhabilitation des travaux de planification et de prospective. I/ La notion de bonne gouvernance Cela fait une bonne dizaine dřannées que le concept de « Bonne gouvernance » a fait irruption dans le domaine du développement. La notion est apparue en 1989, dans une étude de la Banque mondiale. Elle nřa cessé, depuis, dřêtre évoquée dans les publications des chercheurs, les injonctions des bailleurs de fonds ou les discours des gouvernements. Comment expliquer pareil succès aussi rapide ? Pour quřun concept soit aussi rapidement popularisé par des milieux aussi divers, il faut quřil réponde précisément à des préoccupations centrales du système dont il est issu. On serait donc tenté de croire que lřapparition de la gouvernance correspond à un changement de paradigme dans la problématique du développement. Il sřagissait à lřépoque, pour les promoteurs des programmes dřajustement structurel (PAS), de corriger lřapproche « 3 0 économiciste » de ces programmes et de mettre davantage lřaccent sur lřimportance de leur environnement normatif et institutionnel. Dans les années 90, la dislocation de certains États Ŕ tant en Afrique quřen Europe de lřEst Ŕ ainsi que les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre des PAS, ont conduit la Banque mondiale è redécouvrir la dimension institutionnelle du marché, déjà très présente chez Adam SMITH On sřest alors enthousiasmé pour les questions touchant au bon fonctionnement des institutions. Lřenjeu consistait à trouver les moyens de faire fonctionner efficacement les mécanismes de marché, donc dřéliminer les dernières rigidités qui auraient pu gêner lřajustement de lřoffre et de la demande par les prix. Cřest dans un tel contexte, caractérisé par le regain de vigueur de la théorie institutionnelle du marché et la défiance persistante vis-à-vis dřune gestion gouvernementale jugée responsable de la crise, que la Banque mondiale a recouru pour la première fois au concept de bonne gouvernance. Les distorsions qui caractérisent le fonctionnement des marchés ne pouvaient avoir quřune origine, à savoir : les décisions arbitraires et imprévisibles des États. Responsabilité, transparence, décentralisation et participation, autant de concepts dont lřapplication nřa concerné quřun seul acteur : lřÉtat. Le concept a été par la suite affiné par de nombreuses institutions internationales et partenaires au développement (PNUD, Banque Mondiale, OCDE,) comme cela apparaît dans lřencadré qui suit : Encadré 19 : Différentes définitions du concept de gouvernance Agence Canadienne de Développement International (ACDI) : l’ACDI utilise les termes «bon gouvernement» ou «saine gestion des affaires publiques» pour désigner la façon dont un gouvernement gère les ressources sociales et économiques d’un pays. Le bon gouvernement (ou la saine gestion des affaires publiques) désigne un exercice du pouvoir, à divers échelons du gouvernement, qui soit efficace, intègre, équitable, transparent et comptable de l’action menée. 3 0 Banque Asiatique de Développement : Pour la Banque Asiatique de Développement, la gouvernance se réfère à l’environnement institutionnel dans lequel les citoyens interagissent entre eux et avec les agences gouvernementales. Même si les aspects reliés aux politiques sont importants pour le développement, le concept de bonne gouvernance tel que définie par la Banque aborde essentiellement les ingrédients reliés à une gestion efficace. La Banque perçoit la gouvernance comme un synonyme de gestion du développement efficace. Banque Inter-américaine de Développement : La Banque Inter-américaine de développement est concernée par les aspects économiques de la gouvernance et la capacité de mise en œuvre de l’appareil gouvernemental. Ceci implique la modernisation du gouvernement et le renforcement de la société civile, la transparence, l’équité sociale, la participation et l’égalité des sexes. Banque Mondiale : La Banque Mondiale définit la gouvernance comme la manière dont le pouvoir est exercé dans la gestion des ressources économiques et sociales d’un pays, et dans un but de développement. Cette définition fait ressortir les trois axes de la gouvernance à savoir : la forme du régime politique, la manière dont l’autorité est exercée dans la gestion d’un pays, et la capacité du gouvernement à déterminer et appliquer les politiques. Comité d’aide au développement de l’Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE – CAD). Le CAD utilise une définition de la gouvernance qui rejoint celle de la Banque mondiale, et qui désigne «l’exercice du pouvoir politique, ainsi que d’un contrôle dans le cadre de l’administration des ressources de la société aux fins du développement économique et social». Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD). Pour le PNUD, il faut entendre par gouvernance, l’exercice d’une autorité politique (la formulation de politiques), économique (la prise de décisions à caractère économique) et administrative (la mise en œuvre de politiques) aux fins de gérer les affaires d’un pays. Suivant cette définition, la gouvernance repose sur des mécanismes, des processus et des institutions qui permettent aux citoyens et aux groupes d’exprimer des intérêts de régler des litiges et d’avoir des droits et obligations. Le PNUD a de plus cerné les trois paliers de gouvernance, à savoir l’Etat qui créée un environnement politique et légal propice ; le secteur privé qui crée emplois et revenus, et la société civile qui facilite l’interaction politique et sociale. Il apparaît alors que la gouvernance renvoie pour certains à une amélioration de la gestion du secteur public ; une responsabilité économique ; la prédictibilité et lřautorité de la loi et la transparence dans la gestion des affaires publiques. Pour dřautres, elle signifie «bon gouvernement» caractérisé par les vertus de responsabilité, de légitimité et de compétence (Banque Mondiale, 1989 ; ODA, 1993). Également, la gouvernance rattachée de façon explicite à la démocratie (USAID, 1991). Cependant, une autre tentative visant à synthétiser la définition renvoie à la gouvernance en tant quřexercice de lřautorité politique, économique et administrative dans la gestion des affaires nationales à tous les niveaux (PNUD, 1997). Appuyée sur trois concepts clefs : la responsabilité, la décentralisation et la transparence, la bonne gouvernance a donc consisté en une sorte de « juridicisation » de lřaction publique. Depuis son apparition, la notion de bonne gouvernance est étroitement liée à la recherche de solutions à la crise de lřÉtat avec, cependant, des variantes selon les priorités des organisations intervenant dans lřoctroi et la gestion de lřaide internationale. Or, aujourdřhui, deux principales conceptions de lřÉtat émergent : la vision jacobine, inspirée de ROUSSEAU, qui repose sur une conception utopique du pouvoir politique et de la vie démocratique, autrement dit sur un postulat général de bienveillance des hommes politiques et de lřadministration. Cette conception est caractérisée par lřabsence dřincitations monétaires et de sanction ; la conception 3 0 inspirée de MONTESQUIEU, qui consacre lřabsence de bienveillance des gouvernements et prend compte, à cet effet, de lřinfluence des groupes dřintérêt. Lřorganisation de lřÉtat est repensée en termes de contre pouvoirs. La plus ou moins bonne gouvernance étant indéniablement liée à la forme dřorganisation de lřÉtat, force est de reconnaître que le modèle jacobin, utile à une certaine époque, est devenu inadapté voire inefficace à cause essentiellement de la complexité de la société et de lřéconomie. Or, les pays africains semblent prisonniers de la vision jacobine quřils ont héritée de colonisation française et qui devient un véritable vecteur de corruption Les institutions internationales sont elles aussi prisonnières de cette vision jacobine. Les politiques dřajustement dont elles préconisent lřapplication prônent une réduction des salaires réels Ŕ déjà très bas Ŕ dans la fonction publique, mettent en place des incitations au départ volontaire des fonctionnaires, incitations dont profitent les employés de lřÉtat les plus dynamiques qui peuvent saisir les opportunités des conditions de travail plus favorables qui leur sont offertes hors de la fonction publique (le secteur privé). La théorie du choix public, outre la nouvelle économie publique dont elle fournit une marque, postule que les décideurs politiques ne sont guidés que par la poursuite de lřintérêt général. En lieu et place de cette vision platonique, la théorie du choix public insiste sur le fait que ces décideurs, comme on le suppose dans la théorie économique standard, se comportent comme «lřhomo-économicus» : ils maximisent leur bien-être économique personnel. Sans doute, il serait excessif dřaller jusquřau bout de la logique de la nouvelle économie politique qui déboucherait sur ce que JAGDISH BHAGWATI 1989 a appelé «le paradoxe du déterminisme » (paradox determinacy). Si les politiciens et les bureaucrates déterminent leurs actions dans le but de maximiser leur bien être personnel, alors lřanalyse normative nřa aucune chance dřinfluencer la politique. Il faut sřinterroger sur les conditions préalables à la mise en place des politiques de bonne gouvernance qui sont dans une large mesure liées à lřapplication des politiques économiques profondes dont lřAfrique a besoin. En effet, le schéma de la bonne gouvernance est appliqué aux pays en développement en général et à lřAfrique en particulier sous lřinstigation des partenaires au développement et des institutions internationales. Des efforts louables sont entrepris en Afrique pour mettre en œuvre la bonne gouvernance ; ils sont orientés vers plus de participation, de responsabilité, de décentralisation et de transparence. De nombreux programmes visant à étendre le champ de la responsabilité publique (politique ou administrative) ont été mis en œuvre ces dernières années. Les donateurs ont voulu tout à la fois rapprocher les décisions du lieu de leur mise en œuvre et accroître la soumission au droit des autorités publiques et ce, tant au niveau local que national, à travers la décentralisation et le contrôle de légalité qui lřaccompagne, comme par le truchement de mesures tendant à renforcer lřindépendance de la justice. Ils ont cherché à obtenir une plus grande transparence, via lřappui aux médias indépendants, la publication des procédures de passation des marchés publics, ou lřappui à la création de structures dřobservation des élections. Lřensemble de ces stratégies a contribué à promouvoir et à renforcer lřÉtat de droit, support essentiel de la bonne gouvernance. II/ Les différents volets de la gouvernance 1°) Le volet institutionnel 3 0 Il constitue aujourdřhui un enjeu important de la recherche et un volet déterminant de la bonne gouvernance. Comprises comme des ensembles complexes de normes, de règles et de comportements, les institutions sont conçues pour des fins collectives. Cřest pourquoi, elles sont souvent assimilées à des organisations cřest-àdire des unités de coordination ayant des frontières identifiables et fonctionnant de façon relativement continue en vue dřatteindre des objectifs partagés par les divers acteurs de la vie économique, politique et sociale. LřÉtat et son administration, les marchés et les ONG sont au cœur même du dispositif institutionnel. Quelles sont leur composition et leurs principales missions, particulièrement dans les réformes économiques et politiques ? Le volet institutionnel comprend les éléments suivants : la création dřune commission électorale indépendante ; lřexistence dřun médiateur ; lřauditeur général ; la direction des crimes économiques et de la corruption ; la commission des droits humains ; une autorité indépendante pour les médias ; lřexistence dřune société civile active, etc. Cependant, le simple fait de créer ces institutions ne suffit pas. Leur fonctionnement réel est essentiel. La raison en est quřen dépit de la diversité qui caractérise leurs passés et leurs expériences, les pays africains dans leur ensemble commencent à accepter lřidée quřil y a urgence à créer et à renforcer un cadre institutionnel pour une bonne gouvernance. Les progrès déjà réalisés sous le multipartisme doivent maintenant être sauvegardés par un tel cadre institutionnel. Au nombre des éléments clés de ce cadre figurent : un système électoral transparent ; un pouvoir judiciaire indépendant ; un organe anti-corruption indépendant ; une commission indépendante des droits de lřhomme ; des structures dřharmonisation et dřexécution des activités liées aux femmes ; - une société civile forte et active. 2°) Le volet économique, La prise en charge des problèmes de gouvernance économique requiert, de lřÉtat et de tous les acteurs politiques, économiques et sociaux, de la volonté, de lřénergie, du temps et une stabilité institutionnelle minimale. Ces conditions sont nécessaires pour créer progressivement un environnement de gestion économique et sociale cohérente, adapté, diversifié et prévisible. Cela implique le développement rapide de capacités dřélaboration de politiques et de stratégies cohérentes à court, moyen et long termes, combinant lřaction de lřÉtat au marché et visant à mobiliser sans conflits sociaux majeurs toutes les ressources internes et externes en vue du développement. Par-delà les carences en tous genres dont souffre structurellement le continent africain, sur lesquelles il nřest pas nécessaire de revenir, lřun des déficits les plus graves réside dans les capacités dřorganisation de la société en général et de lřactivité économique en particulier. Il appartient aux États, chacun pour ce qui le concerne et en considération de ses conditions spécifiques, dřévoluer, de combler ce déficit et de créer pour ce faire, les conditions internes et externes dřémergence de capacités propres dřingénieries économique, sociale et institutionnelle à mettre au service des objectifs de lřÉtat, des Entreprises et de la société civile. Cette tâche est certes complexe et de longue haleine, mais elle constitue un objectif incontournable à moyen terme pour introduire et pérenniser les processus de développement de la gouvernance économique. 3 0 Sur le fond, celle-ci consiste à construire des systèmes, des procédures et des organisations socialement acceptables et capables de régulariser dans la transparence et lřéquité, la production et la redistribution des richesses économiques, ainsi que les ressources nécessaires au développement de lřensemble de la société à long terme. La gouvernance économique peut notamment se décliner autour de quatre grands domaines, reliés entre eux mais distincts dans leurs champs respectifs, leurs méthodes et leurs principes généraux de fonctionnement : La gestion macro-économique. La création et le développement dřun environnement favorable aux producteurs. La régulation économique. Lřédification et le développement de la société civile a) La gestion macro-économique Pour lřÉtat, en matière de gestion macro-économique, au moins quatre domaines requièrent une attention particulière pour une bonne gouvernance. Il sřagit respectivement de la gestion des dépenses publiques, de la collecte des ressources publiques notamment les ressources fiscales et assimilées, des régimes de taux de change et des arrangements monétaires. Dans le domaine des dépenses publiques une bonne gouvernance peut sřorganiser autour de règles, de dispositions législatives et réglementaires, de mécanismes de contrôle qui puissent assurer : Des processus transparents, démocratiques et largement décentralisés dřexpression des besoins dans les différents secteurs et régions de la société ; Des processus administratifs et politiques dřarbitrage entre les priorités, qui soient clairement affichés et respectés pour leur conférer toute la légitimité souhaitable ; Des processus décisionnels permettant le contrôle de leur effectivité par les différents échelons centraux et décentralisés de lřÉtat, en volume de dépenses et en destination, en conformité avec les arbitrages arrêtés ; Lřéquilibre global des dépenses publiques au niveau, si possible, des ressources budgétaires collectées ou sinon, à de faibles niveaux de déficits compatibles avec des objectifs clairement visés de croissance économique ultérieure génératrice de futurs rééquilibrages ; Lřéquité en faveur des régions et des populations les plus démunies ; Lřorientation préférentielle des dépenses publiques vers la création et/ou la consolidation dřexternalités profitables aux producteurs et aux entreprises, avec lřappui des représentants de la société civile ; La réduction ou lřélimination des dépenses clairement improductives, et notamment des subventions dřactivités notoirement contre-productives et assurées de déficits chroniques ; Lřamélioration de la cohésion sociale par la promotion de la solidarité, de la prévention, de la santé, de lřéducation et de la communication ; La rentabilisation et/ou la création dřinfrastructures de base et des moyens humains et logistiques nécessaires au développement local ou national ; Lřamélioration de la sécurité publique. 3 0 Lřensemble de ces objectifs appelle la mise en place dřorganisations adéquates de concertation politique et sociale, dřautant plus efficaces quřelles sont ancrées dans des expressions de la légitimité populaire et des règles de droit. Faute de cela, les processus budgétaires et les réalisations peuvent être frappés de contestations et de soupçons dřarbitraire nuisibles à la bonne gouvernance et à lřatteinte des objectifs fixés. Il reste cependant que lřinsertion inéluctable des pays africains dans les processus de globalisation économique (et notamment financière) doit inciter à la mise en place de mécanismes et structures assurant, à terme, la libre circulation des capitaux, des garanties suffisantes et attractives pour les investissements directs étrangers, et une autonomie affichée des autorités monétaires, même fondée sur des mécanismes de surveillance en usage à lřéchelle internationale. b) La création et le développement d’un environnement favorable aux producteurs La création dřun environnement favorable aux entreprises est un élément essentiel dřune bonne gouvernance économique et, dans ce cadre, les domaines les plus couramment évoqués par les opérateurs sont ceux du système de crédit, du régime fiscal applicable aux entreprises et la législation du Travail. Structure et politique des crédits La plupart des pays africains disposent de systèmes de crédit insuffisamment développés et insuffisamment incitatifs au regard des objectifs traditionnels de mobilisation de lřépargne intérieure, de financement dynamique et adapté de lřinvestissement et de monétarisation des économies. À ces objectifs sřajoutent aujourdřhui des exigences de stabilité, de fiabilité, de transparence et dřobservation de règles prudentielles généralement admises. Et à lřheure de la globalisation financière, une bonne gouvernance dans ce domaine nécessite dřabord lřexistence de cadres juridiques et de normes de gestions bancaires connues des opérateurs économiques, ainsi que de systèmes de supervision bancaire sur les transactions nationales et internationales. Cette instrumentation est nécessaire pour pallier les risques systématiques devenus aujourdřhui plus graves et pour accroître la compétitivité ou lřattractivité des économies africaines. Le régime fiscal Lřenvironnement fiscal de lřentreprise est déterminant pour une bonne gouvernance économique dans les pays en développement en général et lřAfrique en particulier. Cette sensibilité particulière est liée à la faiblesse et lřextrême fragilité des ressources financières des entreprises sur lesquelles des prélèvements inconsidérés agissent négativement. Cřest pourquoi lřensemble des pays africains ont mis en place des dispositifs fiscaux particulièrement incitatifs, exonérant les nouvelles entreprises du paiement de lřimpôt sur des périodes plus ou moins longues. Cela constitue déjà un cadre de gouvernance positive, qui doit cependant sřélargir dans des conditions compatibles avec les équilibres budgétaires souhaitables. Une bonne gouvernance dans le domaine du régime fiscal applicable aux producteurs, quřils soient personnes physiques ou morales, doit notamment veiller à ce que : 3 0 Les dispositions fiscales arrêtées dans un domaine à des fins incitatives ne soient pas annihilées par dřautres dispositions dans des domaines connexes. Une nécessaire cohérence globale dans les objectifs, les moyens et les dispositifs opérationnels de prélèvement doit être constamment recherchée et mise en œuvre. Une attention particulière doit être prêtée à ce titre aux interfaces entre régimes fiscal et régime douanier, notamment pour ce qui concerne les inputs importés ; Les activités productives effectives bénéficient dřavantages fiscaux significativement plus marqués que les activités purement commerciales et/ou spéculatives ; Une écoute permanente soit accordée aux doléances des organisations et corporations de producteurs, à lřeffet dřidentifier notamment les effets éventuellement pervers de dispositions fiscales incitatives ; Les marges dřinterprétation des services fiscaux soient aussi minces que possible, à lřeffet dřéviter des iniquités, des incompréhensions et des arbitraires administratifs toujours préjudiciables au développement des initiatives. À ce titre, une bonne gouvernance doit veiller à organiser des processus dřaudits, de contrôle et dřévaluation permanents et professionnels pour corriger les effets pervers des dispositions prises ; La plus grande simplicité possible des textes et de lřarchitecture des prélèvements fiscaux soit visée. Lřadhésion des opérateurs est incompatible avec lřopacité et/ou la trop grande complexité des règles de droit fiscal ; Les voies claires de recours soient juridiquement établies et mises en œuvre selon des conditions de célérité et dřéquité devant lřadministration, qui puissent conforter lřentrepreneuriat tout en sauvegardant les attributions régaliennes de lřÉtat. En particulier, lřinstauration et/ou la dynamisation de tribunaux administratifs ou encore dřorganes ouverts de conciliation et de médiation peuvent constituer des axes de travail sur une bonne gouvernance dans le domaine du régime fiscal ; Créer des structures de conseil, dřaide professionnelle et dřexpertise fiscale en faveur des opérations économiques dans le domaine fiscal. Ces structures dřappui sont dřautant plus nécessaires que la culture économique moderne est carante dans de nombreux pays africains, et que lřanalphabétisme est encore trop répandu ; Vulgariser (par les moyens adéquats à chaque pays et chaque culture) les dispositions essentielles des lois fiscales encadrant les actes dřinvestissement, de production et de commercialisation. En particulier, il doit être veillé à la contribution des médias lourds à cette vulgarisation, en sus des mobilisations de vulgarisateurs professionnels. La législation du travail Une bonne gouvernance dans le domaine des relations professionnelles doit dřabord veiller à la création et la préservation de lřéquilibre des droits entre employeurs et salariés. Cet équilibre est variable selon les conditions historiques et sociales de chaque pays, mais des règles universelles minimales ont été édictées à lřéchelle internationale et ratifiées par la plupart des pays africains. Ces règles couvrent des domaines très larges et diversifiés, allant de la reconnaissance des syndicats et du droit de grève à lřinstauration de minimum salarial, en passant par les droits à la protection sociale en matière de vieillesse, de maladie et dřaccidents du travail. 3 0 Une bonne gouvernance dans ces différents domaines consiste dřabord en lřorganisation de cadres de concertation et de dialogue entre partenaires sociaux, où lřÉtat arbitre en dernier ressort sur la base de règles de droit clairement affichées et dřinstitutions de médiations préalables. La gouvernance économique doit particulièrement veiller à légitimer lřaction de lřEtat par une stricte observation des règles dřéquité et lřinstauration dřinstitutions judiciaires indépendantes intervenant après lřéchec des médiations préalables et des organes de prévention des conflits. La régulation économique Au niveau de la régulation économique, trois domaines semblent devoir être privilégiés pour améliorer la gouvernance économique globale : le système financier, la concurrence et les normes comptables et dřaudit. Sřagissant du système financier qui a déjà été évoqué partiellement à propos des institutions de crédit, un premier axe de bonne gouvernance consiste à institutionnaliser de façon irréversible lřautonomie des instituts dřémission à lřégard des gouvernements, et affecter à ces instances financières la plénitude des attributions de régulation des contrôles des établissements financiers, de contrôle de la masse monétaire en circulation, de gestion des réserves de change et de fixation des règles prudentielles. Il appartient aux instituts dřémission de veiller, en coordination avec les exécutions, à la stabilité des prix et à la mise en place des dispositifs de régulation et la minimisation des déficits budgétaires. Ces attributions tendent à sřuniversaliser avec les contraintes de globalisation financière et les exigences légitimes des organisations financières multilatérales. Le captage de ressources longues dans un cadre réglementaire robuste et transparent peut sřeffectuer à travers des mesures visant à faire émerger un marché des capitaux telles que la démonopolisation des systèmes de pension et de retraite, la recapitalisation Ŕ restructuration des banques de développement de manière à attirer les prises de participation privées et les soustraire à lřingérence politique, la création de fonds de garanties pour amortir les risques bancaires, la mise en place des stimulations pour le retour des capitaux fugitifs. Normes comptables et audit Le renforcement systématique de la transparence financière et des pratiques comptables des secteurs public et privé est un atout important de gouvernance des pays africains et une condition pour lřinstauration de relations saines et rapides avec les institutions financières internationales. Concurrence et compétitivité Il est aujourdřhui universellement admis que lřinstauration dřéconomies de marché saines et dynamiques est indissociable du développement de règles de concurrence loyale entre opérateurs économiques. Ces règles visent, notamment, à rendre transparentes et équitables les conditions dřentrée et de fonctionnement de tous les acteurs dans les marchés nationaux, et à éliminer les obstacles générateurs de rentes indues et dřabus de position dominante. Mais de nombreuses contraintes pèsent sur les économies et sociétés africaines pour lřinstauration et la mise en œuvre effective de règles de concurrence économique, aux niveaux interne et externe. Au niveau interne, les économies africaines sont marquées par lřexistence de secteurs informels extrêmement importants, la persistance dřactivités de subsistance pure, de très faibles niveaux de productivité des facteurs, la prédominance de 3 0 microentreprises et dřactivités modernes naissantes et peu compétitives, une faible monétarisation des échanges et enfin la persistance ou le développement de la corruption. Ces handicaps sont autant de défis pour une bonne gouvernance économique. La gouvernance de la concurrence dans les pays africains nécessite, par conséquent, des efforts considérables dřinsertion des économies informelles dans les circuits légaux, lřidentification et lřélimination progressive des situation de rentes et de prélèvements indus, le développement de lřinformation économique et des dispositions particulières permettant dřasseoir lřattractivité des capitaux internationaux tout en préservant, par les voies appropriées, le développement des capitaux locaux de production de biens et de services. Le libre jeu de la concurrence doit donc être analysé au cas par cas et adapté aux objectifs de croissance et de développement. 3°) Le volet social. Ce volet intègre le développement de la santé, de lřéducation et de lřhabitat ; en somme trois facteurs constituent les éléments pertinents dřappréciation du développement humain et surtout de la nouvelle dimension de la pauvreté. Tous ces développements ont permis de mesurer toute la complexité de la gouvernance qui devrait permettre de mobiliser toutes les ressources matérielles et humaines de façon efficiente et appropriée afin de libérer toutes les énergies et les forces vives, les compétences, les talents, lřentreprise et lřesprit dřentreprise des populations. Ainsi la bonne gouvernance devient alors lřutilisation efficiente et démocratique de lřÉtat pour la gestion de la société dans ses différents aspects politiques, économiques et sociaux. Quel est lřétat de la bonne gouvernance et du développement humain au Sénégal qui vient de connaître une alternance politique remarquable à lřissue dřélections démocratiques? 4°) L’encouragement et le soutien à l’établissement d’une société civile Une société civile forte et active appelle un cadre institutionnel ouvert sur le pluralisme, la promotion de la dimension Genre, lřindépendance du pouvoir judiciaire et dřautres entités telles que les commissions électorales, les organes chargés des Droits de lřHomme et les dispositions anti-corruption. Parmi les indicateurs qui peuvent mesurer la performance de la gestion et de la participation figurent le contenu et lřimpact des politiques ainsi que les programmes de valorisation des nationaux. La promotion dřorganisations professionnelles et de syndicats est à même de sceller une étroite corrélation entre la croissance économique et la bonne gouvernance qui la sous-tend. Cet enjeu recèle une dimension et un enjeu où lřÉtat lui-même se trouve interpellé dans ses responsabilités historiques. Dans les pays africains, lřÉtat postcolonial est en effet mis au défi de continuer à assurer plus efficacement que par le passé la mission essentielle dřagent de développement et de réaliser cette entreprise en favorisant un rôle croissant du secteur privé comme vecteur de croissance. Cette présentation permet de se prononcer sur lřefficacité des réformes économiques entreprises ainsi que leur impact social. En résumé, on tente de mesurer, 3 0 à travers ces développements, lřincidence des institutions, surtout publiques, sur le développement. CHAPITRE 14 LIBÉRALISATION DES ECONOMIES AFRICAINES PAR LES PROGRAMMES D’AJUSTEMENT STRUCTUREL La crise des économies africaines dont la manifestation la plus intangible réside dans la montée et la persistance de multiples déséquilibres internes et externes, trouve son origine dans les bouleversements des structures économiques intervenus durant la période coloniale et qui ont imposé partout des modes spécifiques de valorisation conforme à la logique de la division internationale du travail. Cette situation, du fait dřun ensemble dřincertitudes optionnelles, sera entretenue et même amplifiée au lendemain des indépendances en 1960. Ainsi, dans la période 1960/1980, es les économies primaires devenues fortement aléatoires et stagnantes avec une chute de la production, une détérioration en termes réels des prix entraînant un appauvrissement des producteurs. La baisse de la rente agricole qui a résulté de cette situation nřa pas été relayée par de nouveaux secteurs productifs, dynamiques et générateurs de surplus et dřemplois. En dehors du secteur pétrolier, les secteurs miniers nřont produit quřune rente épisodique (1973) et les secteurs industriel et tertiaire sont restés encore marginaux. Le secteur industriel nřa pas atteint non plus de grandes performances, ni un dynamisme lui permettant dřaller à la conquête des marchés extérieurs et de contribuer positivement à lřamélioration de la balance commerciale167. Ces différentes évolutions avaient abouti à un ralentissement de la croissance du PIB et une accentuation des déficits chroniques et cumulatifs des Finances Publiques et de la Balance des Paiements. Avec un croît démographique proche de 3 % par an de 1960 à 1980, la croissance du PIB par tête devint négative dans la période de 1970-85. Lřexcès de demande sur les ressources produites fut accentué par un accroissement continu de la part des dépenses de consommation dans le PIB. La part de l'épargne intérieure dans le PIB est restée partout assez faible. Le déficit du compte courant sřest fortement élevé pendant que celui des finances publiques continue de sřapprofondir dans la même période. La perte de compétitivité de lřéconomie a tendu à faire des capitaux extérieurs une source indispensable de financement des déficits commerciaux. Le service de la dette a pris des proportions considérables alors que la dette extérieure devenait insoutenable. Ce constat laisse apparaître que lřéclatement de la crise économique mondiale des années 70, en déréglant le système économico-financier international, viendra extérioriser toutes les faiblesses structurelles des économies africaines quasi déliquescentes et parfaitement incapables de sřajuster à la conjoncture. Ainsi, au moment dřaborder le début des années 80, les pays vont connaître une grave et insoutenable crise de paiement. Lřajustement économique et financier devenait presque un impératif indiscutable. Cřest dans ce contexte quřen 1979, les gouvernements démarrent partout des processus ininterrompus dřajustement devant permettre la stabilisation des déficits par assainissement des structures dřintervention coûteuses et peu productives, et poser les bases dřun développement censé être soutenu à long terme. Lřenjeu est décisif et sa contrainte est de minimiser les risques sociaux liés au rétablissement des grands équilibres. 167 Moustapha KASSÉ : Sénégal de la crise à l’ajustement structurel, Édit. Nouvelles du Sud, Paris 1991 3 1 Les déséquilibres à caractère macroéconomique ont des causes plurielles et profondes qui, à y regarder de près, se rapportent principalement à lřinefficience des investissements réalisés pour la plupart sur concours extérieurs publics et privés, aux distorsions entre structures de production et structures de consommation ainsi quřaux dérapages de la demande de consommation publique et privée. Des investissements impertinents et non rentables : le temps des éléphants blancs La rationalité économique et financière voudrait que toute décision dřinvestissement Ŕ surtout lorsque celle-ci est fondée sur un emprunt extérieur Ŕ soit subordonnée à un nécessaire calcul coûts/avantages. Plus précisément la viabilité Ŕ surtout financière Ŕ dřun projet implique que le taux de rentabilité de lřinvestissement dépasse le coût de lřemprunt. Or, dans le cas des pays africains, ce principe de base semble avoir été peu ou très mal appliqué et cela en pleine période de flambée des taux dřintérêt internationaux, de dégradation et dřinstabilité chronique de lřenvironnement extérieur, toutes choses qui rendent aléatoires la rentabilisation des projets économiques internes. La multiplication des chocs exogènes, en renchérissant notamment les coûts internes de production, a contribué à amoindrir, voire annuler la rentabilité des investissements. Cřest la période des « éléphants blancs » cřest-dire des investissements massifs sur des projets de rentabilité douteuse. En fait cette baisse de rendement des investissements reste essentiellement due, à partir de 1974, à lřextension du secteur public et à la création dřun vaste secteur parapublic, dont le mode de gestion nřétait pas des plus orthodoxes. Ce secteur public et parapublic absorbait annuellement la plupart des crédits bancaires internes et des emprunts extérieurs. En outre, il convient de noter que lřaccroissement, dans la production interne, des biens non commercialisables internationalement (comme la construction dřédifices publics sur emprunts extérieurs) a également été déterminant dans la chute de rendement des investissements. En effet, la diminution des produits nationaux échangeables (comme corollaire de ce qui précède) implique une baisse conséquente des recettes dřexportation et donc des difficultés à honorer les échéances du service de la dette, le renouvellement des investissements sur fonds propres et la poursuite de la croissance. Les distorsions entre structures productives et structures de consommation Liée principalement à des contingences historiques, à des traditions productives technologiquement attardées, ainsi quřà des comportements de consommation largement conditionnés par lřextérieur, la liaison sphère de production/structure de consommation présente partout en Afrique une double distorsion. Celle-ci demeure liée dřune part à la nature des produits et dřautre part au coût de production des biens considérés. Cřest ainsi que dans le domaine agricole, la perpétuation après 1960 des agricultures de rente au détriment de lřagriculture vivrière a inexorablement conduit les pays à une crise agro-alimentaire. Cette rupture a engendré une explosion des importations de produits alimentaires. Dans le secteur des activités industrielles, la distorsion sřexprime en termes de coûts pour les produits de lřindustrie légère de transformation et en termes de nature du produit pour les biens manufacturés livrés par lřindustrie lourde des pays 3 1 développés. En effet, la politique de promotion dřindustries légères substitutives dřimportations a généré dans la plupart des cas des coûts de production non compétitifs ; cela a engendré des importations massives de biens manufacturés pourtant localement fabriqués. Par ailleurs, lřinexistence dřindustries lourdes intégrées implique la nécessaire importation des biens de consommation de luxe comme les voitures etc. En somme, la distorsion industrielle se traduit dřune part par la production locale de biens manufacturés « légers » difficilement écoulables tant à lřintérieur quřà lřextérieur parce que non compétitifs, et dřautre part par lřimportation massive de biens industriels Ŗlourdsŗ que le tissu industriel national ne produit pas. Cette double distorsion à pour inévitable corollaire lřaccentuation du déficit commercial du pays et du solde de la balance des paiements lorsque les mouvements compensatoires de flux de capitaux demeurent insuffisants. L’Expansion non maîtrisée de la demande publique et privée Le déficit en ressources, lorsquřil y en avait, se maintenait en deçà de 5% du PIB. Toutefois, après lřéclatement de la crise en 1973 et plus particulièrement à partir de 1975, une série de déséquilibres vont sřenclencher, entraînant la rupture brutale de lřéquilibre économico-financier. Il sřagit notamment de : lřeffondrement brutal de la croissance lié aux fluctuations spectaculaires de la production agricole et au ralentissement survenu dans lřindustrie ; Ŗlřenvoléeŗ du tertiaire (notamment le gonflement des effectifs de lřadministration publique par essence fortement improductive) qui enregistre un taux de croissance plus rapide quřavant 1975 ; le maintien des niveaux de consommation individuels et lřexploitation de la consommation publique alors même que la production par tête était en très net recul. La conséquence ne se fit pas attendre : lřépargne intérieure devint négative impliquant un recours massif à lřendettement extérieur pour financer les investissements et une part importante des dépenses de consommation publique et privée. Par ailleurs, outre lřaugmentation rapide de la masse salariale de la fonction publique, on assiste à une extension des subventions dřexploitation accordées aux entreprises publiques. Ces subventions ont eu pour effet de réduire le coût unitaire réel du produit ou service fourni aux consommateurs privés. Cřest dire que lřÉtat, en accroissant son déficit budgétaire sur la base dřemprunts extérieurs, a favorisé lřexpansion du secteur public et le maintien du niveau de la demande privée de consommation. En réalité, lřaide et les emprunts extérieurs vont de fait jouer le rôle de fonction dřinvestissement avec, en conséquence, un impact extrêmement limité faute de pouvoir se greffer sur des projets productifs rentables et capables dřengendrer des effets dřentraînement sur les activités économiques tournées vers le marché intérieur et lřemploi. Cette politique dřemprunt et dřaide ne peut se poursuivre que moyennant des réformes dont le pacquage constitue le Programme dřajustement structurel. Cřest dire alors que la crise de la dette est à lřorigine de la vague dřajustement structurel qui, à partir des années 1980, a submergé dans tous les PSD en général, et à lřAfrique en particulier. Ces Pays en voie de développement (PVD) et les Institutions financières multilatérales (IFM) vont implicitement passer le contrat suivant : maintien des financements et réduction du montant des échéances contre politiques de stabilisation macro-économique (privatisations, dérégulation, réduction des dépenses publiques etc.). 3 1 Lřobjectif ultime restait principalement le rétablissement de lřéquilibre des comptes extérieurs alors que les objectifs intermédiaires se ramenaient à la réduction du déficit budgétaire et au renforcement de la compétitivité externe du pays. Section 1 : Les fondements théoriques d’ajustement structurel : la recette libérale. des politiques Lřintervention des institutions de BRETTON WOODS dans le débat sur le développement va sřaccompagner de profondes transformations, tant dans la réflexion que dans la pratique. Une nouvelle ère en matière de développement par le fameux « consensus de Washington » qui est de fait une remise en cause de la théorie du développement et la spécificité des sociétés sous-développées. II constitue en somme une sorte de revanche de la théorie néo- classique qui va étendre le champ dřapplication de son cadre dřanalyse aux sociétés sous- développées. I/ Le référentiel théorique et les recommandations du consensus de Washington : une épure séduisante168. Les programmes d'ajustement s'inspirent de la théorie néo-classique et de la doctrine libérale: théorie quantitative de la monnaie, théorie des parités de pouvoir d'achat et théorie des coûts comparatifs169. 1°) La théorie quantitative de la monnaie Elle est invoquée pour expliquer et justifier que tout processus d'inflation est ruineux et entraîne de multiples distorsions qui auront une incidence négative à la fois sur la balance des paiements et sur l'allocation des ressources pour la croissance. Or, la demande excessive de monnaie est la source principale de l'inflation et des difficultés de paiements. Dès lors, les experts du Fonds s'efforcent d'évaluer un agrégat monétaire déterminant dont le niveau dépend à la fois du volume du crédit intérieur, de la dette extérieure et du déficit budgétaire. Ces trois éléments vont alors constituer des variables macro-économiques sur lesquelles il faut agir pour enrayer ou amoindrir l'inflation. Ainsi la limitation du crédit devra avoir une incidence sur les décisions du secteur privé et public. Elle pourra contraindre le secteur public à réduire de ce fait ses déséquilibres. Quant à la restriction de l'endettement, elle doit se traduire par une compression de crédit et un contrôle de ses effets sur l'accumulation interne car en fait, il faut veiller à ce qu'une dette excessive ne vienne compromettre la réalisation des investissements productifs. Le déficit budgétaire constitue le dernier élément de la demande excessive de monnaie. Ce déséquilibre, pour le Fonds, procède de l'entretien d'une fonction publique pléthorique et surtout, de subventions au secteur public et parapublic. Ces trois variables macro-économiques seront surveillées strictement et maintenues à des niveaux relativement bas pour empêcher une élévation de la masse monétaire qui serait génératrice d'inflation. Confère annexe 1 pour un exposé détaillé du référentiel théorique. Voir également Hakim Ben Hammouda : L’économie politique du post-ajustement, Éditions Karthalla, 1999. 169 Moustapha KASSÉ : L’Afrique endettée, Édit. NEAS-CREA, 1992, chapitre1 de la Partie 2 pp72-73 168 3 1 2°) La théorie de la parité des pouvoirs d'achat. Elle montre que l'évolution du change doit refléter le différentiel d'inflation existant entre deux pays. Alors, la PPA permet dřanalyser comment le niveau des prix agit sur les taux de change. Elle constitue la référence dans l'élaboration des politiques des taux de change et de l'intérêt. Les taux d'intérêt selon le FMI sont souvent maintenus dans les pays en voie de développement à des niveaux bas. Il en résulte alors une érosion et une mauvaise affectation de l'épargne intérieure. La PPA permet dřexpliquer le taux de change de long terme. Il sřagit du taux de change réel qui est défini comme étant le taux auquel on peut échanger un bien ou un panier de biens dřun pays contre le même bien ou le même panier de biens dans un autre pays. Par exemple si 1 kg dřarachides coûte 5 euros en France et 3000 FCFA au Sénégal, alors le taux de change réel doit être égal à 600 FCFA/euros pour que le pouvoir dřachat des monnaies soit la même dans les deux pays. La PPA est utilisée dans lřétude de la surévaluation ou de la sous-évaluation dřune monnaie dans une économie en développement. Dans ce cadre, BALASSA et SAMUELSON ont analysé les mécanismes dřappréciation du taux de change réel dans le cas dřune économie protégée si bien que lřeffet BALASSA-SAMUELSON désigne la distorsion dans la PPA due aux différences internationales de productivité relatives entre les secteurs des biens échangeables et des biens non échangeables. Elle montre que l'évolution du change doit refléter le différentiel d'inflation existant entre deux pays. Lřinconvénient majeur des taux de PPA est quřils sont plus difficiles à mesurer que les taux de marché. Les taux PPA font lřobjet dřestimation avec le risque dřincertitude que cela comporte. Dřailleurs la qualité des biens peut changer dřun pays à lřautre. De plus les structures de consommation ne sont pas les mêmes pour tous les pays. Ainsi, il semble difficile de définir un panier de biens standard. 3°) La théorie des coûts comparatifs Elle est évoquée pour justifier la nécessité d'un commerce sans entrave sur la base d'une spécialisation des pays dans les productions où elles ont les meilleures dotations factorielles naturelles, car le commerce extérieur élève la rémunération des facteurs. Il est alors avantageux pour tous les partenaires à l'échange. En conséquence, les pays doivent sřouvrir aux relations économiques internationales car l'ouverture des frontières confère les mêmes chances de développement aux partenaires. Les techniciens du Fonds évoquent la théorie des coûts comparatifs pour recommander la promotion des échanges internationaux qui sont un moyen pour réaliser le bien-être mondial. Cřest sur ce fond doctrinal d'apparence très cohérente, que le FMI élabore une politique générale d'ajustement qui a la prétention d'être valable pour tous les pays confrontés à des déséquilibres macroéconomiques. Le caractère universel de ces solutions procède du fait que pour le FMI, le diagnostic permet d'établir pour tous les pays du Tiers-Monde un mal identique: les difficultés de balance des paiements. Ainsi, les économies sont considérées comme des « boîtes noires » qui réagissent de façon uniforme aux mêmes stimulants : prix, taux dřintérêt, taux de change. À partir de tels diagnostics les PAS doivent permettre de parvenir dans un délai raisonnable à une situation de paiements extérieurs équilibrés. 3 1 Dés lors, le rétablissement de lřéquilibre passe par des modifications structurelles renforçant le rôle du marché dans la régulation de lřéconomie. Le consensus de Washington va remettre alors en cause toute forme dřinterventionnisme étatique et proclamer la suprématie du marché dans lřallocation des ressources. 4°) Les trois approches des Institutions Financières Internationales L’approche monétaire de la balance des paiements Dans cette approche, les déséquilibres de la balance des paiements sont mis en relation avec lřexcès de création monétaire : le modèle, au demeurant très simple, permet de calculer le montant de crédit compatible avec un objectif fixé a priori de niveau des réserves extérieures. Il repose sur deux hypothèses : la constance de la demande de monnaie par rapport au revenu et le caractère exogène de lřoffre de monnaie résultant dřune décision autonome des autorités monétaires qui fixent le niveau de la composante interne de la base monétaire. Un déséquilibre extérieur ne serait donc que le symptôme dřun mal plus profond, dřorigine monétaire. Le rétablissement de lřéquilibre de la balance des paiements passe donc, soit par la réduction du crédit intérieur (crédit à lřÉtat et crédit à lřÉconomie), soit par lřajustement du taux de change. Dans un premier temps, il sera donc préconisé de réduire le financement monétaire de lřÉtat (ce qui élimine aussi un éventuel effet dřéviction du secteur privé de lřaccès aux financements) et, si cela sřavère insuffisant, de réduire aussi le crédit à lřéconomie. Ce dernier objectif peut sřatteindre de diverses manières, soit par un plafonnement de la progression des crédits, soit par le jeu du taux dřintérêt : le FMI préconise ainsi fréquemment le rétablissement de taux dřintérêt positifs, dans le double but de réduire le crédit et de stimuler lřépargne, supposée sensible au taux dřintérêt. L’approche en termes d’absorption Cette deuxième approche, dřorigine keynésienne, correspond à la situation dřune économie en situation de plein-emploi où le déséquilibre résulte dřun excès de revenus distribués. En simplifiant à lřextrême, on peut écrire que le solde de la balance courante (assimilée à la balance des biens et services) est égal à la différence entre le PIB et lřabsorption A, définie comme la somme de lřinvestissement et de la consommation. Soit Y+M = A+X B = X-M = Y-A Avec Y : PIB ; M : importations ; X : exportations et B : solde de la balance des biens et services. La première équation présente le déficit extérieur comme le simple reflet du déséquilibre intérieur, caractérisé par un excès dřabsorption par rapport à la production : la fixation dřun niveau trop élevé de consommation privée ou publique ou de lřinvestissement (du fait, par exemple, de taux dřintérêt réels trop bas) conduira à un niveau de PIB élevé, et donc (en admettant une proportionnalité au moins approximative entre Y et M) à un niveau dřimportations trop élevé par rapport aux 3 1 exportations, considérées comme exogènes et fixes à court terme. Les racines du déséquilibre devront donc être recherchées au niveau de la demande interne «effective», et renvoient à des niveaux de revenu trop élevés (nécessité dřune réduction des salaires réels) ou de lřépargne trop faible (nécessité de relever les taux dřintérêt). Bien que dřorigine différente, les deux analyses précédentes se rejoignent pour désigner comme cause principale du déséquilibre externe le financement monétaire du déficit budgétaire. L’approche centrée sur l’offre et les prix relatifs Lřapproche de lřoffre est la référence des programmes de la Banque Mondiale. Elle distingue deux types de biens produits par lřéconomie considérée : les biens échangeables (bien dřexportation, dřimportations et dřimport-substitution) et les biens non directement échangeables Ŕou domestiques-, cřest-à-dire les biens nřentrant pas dans le commerce international : autoconsommation, petite production marchande, logement, certains commerces, … Deux conclusions fondamentales peuvent être tirées de ce modèle simple : 1. Par rapport aux modèles monétaristes, cette approche accorde une très grande importance aux conditions micro-économiques de lřactivité et sřintéresse aux mouvements de substitution, tant au niveau de la production que la consommation. 2. Dans cette optique, le non-respect du système des prix intérieurs tel quřil résulterait des mécanismes de marché est la source des déséquilibres constatés. Cřest le système administratif de formation des prix qui, en Afrique, génère les disfonctionnements dans lřévolution respective des secteurs et entrave la croissance de lřoffre sur des bases saines. Trop dřadministration des prix et des échanges (subventions, protections aux frontières, contrôle de la commercialisation), instaurée pour protéger les producteurs ou les consommateurs, introduit des biais dans le fonctionnement des marchés, conforte les secteurs protégés dans une structure de coûts non concurrentielle, et enfin entrave lřexpansion des secteurs ouverts vers lřextérieur trop mal rémunérés. En vertu de cette approche, la libéralisation des prix et des échanges est donc une condition absolue pour le retour à la croissance équilibrée. II/ Les axes de l'ajustement structurel : les enchaînements de l’épure libérale Les PAS sont formulés en trois étapes par les experts des Institutions Financières Internationales : la première consiste pour les experts à établir un bilan diagnostic de l'économie et à identifier toutes les causes de la montée des déséquilibres ; la deuxième concerne l'élaboration des objectifs économiques et financiers ainsi que la fixation de la durée de réalisation des programmes arrêtés ; la troisième est celle de la formulation des ajustements nécessaires des politiques économiques. Les PAS s'articulent souvent en cinq mesures qui agissent et se renforcent mutuellement pour permettre de restaurer les grands équilibres internes et externes et surtout d'améliorer la solvabilité extérieure de l'État : La première mesure porte sur la croissance économique : le taux doit être le plus élevé possible, elle doit être régulière et harmonieuse. Elle est une fonction du taux d'accumulation du capital donc du volume d'investissement qui lui- même 3 1 dépend de l'épargne. Il faut réallouer les ressources au profit des projets productifs au détriment des projets sociaux ; La deuxième mesure concerne la monnaie et le crédit : ils doivent être manipulés pour aboutir d'une part au maintien de la demande intérieure à un niveau compatible avec l'équilibre et d'autre part à la réduction des pressions inflationnistes. Cela nécessite alors le contrôle du crédit de la Banque Centrale au Trésor, la réduction du volume du crédit bancaire aux secteurs de l'économie et l'élévation des taux d'intérêt souvent artificiellement maintenus à de bas niveaux ; La troisième mesure est relative aux distorsions des marchés et la vérité des prix. Il faut sur tous les marchés des mécanismes de libre détermination des prix afin qu'ils reflètent les raretés relatives qui s'y expriment ; La quatrième mesure concerne la politique budgétaire qui devrait s'organiser autour d'une régénération des recettes par amélioration de l'administration fiscale, de la réalisation d'économies budgétaires par compression des dépenses et de la masse salariale La cinquième mesure est relative à l'ajustement monétaire et la dévaluation, moyen privilégié, face à la surévaluation des monnaies, pour relancer la croissance par les exportations. Ces cinq volets forment le Programme dřAjustement proposé comme une taille unique aux pays qui recourent aux services du FMI. Mais, à y regarder de prés, ils constituent un ensemble de mesures qui affectent de façon irréversible les orientations et les structures dřun pays. Il sřagit en fait de la mise en place, parfois jusque dans les moindres détails, de politiques économiques dřun modèle de développement qui repose sur lřidéologie et les principes du libéralisme dont le fonctionnement est lié à la Division Internationale du Travail. Cřest la référence à cette philosophie économique et à ses présupposés théoriques qui explique la cohérence apparente des PAS. Les causalités privilégiées ont abouti à ces certitudes combinant les enseignements de la Théorie Quantitative de la Monnaie et ceux de la Parité du Pouvoir dřAchat. Elles peuvent être schématisées comme suit170 : Figure 19 : Tableau des enchaînements du référentiel théorique Politiques de crédit laxiste Déficit budgétaire Endettement Création monétaire Hausse des prix et/ou Dévaluation de la monnaie nationale Hausse de la masse salariale Source : Moustapha Kassé : L’Afrique endettée p.77 170 Déficit de la balance des paiements Moustapha Kassé : LřAfrique endettée Édit. NEAS-CREA p77 3 1 À partir de cette épure, on saisit mieux les divers enchaînements des réformes préconisées par le FMI pour le rétablissement des grands équilibres171. Cřest alors à la Banque mondiale que revient la responsabilité de la création préalable dřun cadre institutionnel incitatif et la réforme de tous les centres de pouvoir pour accompagner la mise en œuvre des politiques sectorielles et de la bonne gouvernance. Cette dernière est considérée comme la capacité institutionnelle de gestion des affaires de lřÉtat fondée sur une logique entrepreneuriale et reposant essentiellement sur des principes de transparence, de participation, de responsabilité, dřéquité et de probité. Elle est alors une sorte de catalyseur qui doit réconcilier lřefficacité économique et lřéquité, lřÉtat et les citoyens et ériger la démocratie comme noyau dur de la participation des individus à la vie de la cité. Globalement, différentes mesures ont ainsi été décidées, visant à rendre opératoire cette stratégie de conquête des marchés mondiaux : lřélimination des distorsions dans le libre jeu de tous les marchés ; la promotion du secteur privé dans toutes les activités productives ; lřouverture de lřéconomie sur le système des relations économiques et financières internationales ; la réduction du rôle de lřÉtat dans les choix de production et dřallocation des ressources ce qui implique la réduction du secteur public, le démantèlement des monopoles publics naturels et la privatisation. On a donc opté en faveur dřun scénario de croissance externe, où lřaugmentation du volume des exportations était censée stimuler la demande de travail et de biens dřéquipement de la part des entreprises tournées vers le marché mondial. En principe, le processus de déversement industriel aurait dû agir comme courroie de transmission, et diffuser lřimpulsion initiale vers lřensemble de lřéconomie. Pratiquement, lřensemble de ce qui caractérisait le Ŗ compromis keynésien ŗ, processus de négociation politique qui déterminait la gestion de lřéconomie dans le giron de lřÉtat-Providence, a brutalement été remis en cause comme dans les pays développés, mais dans une plus grande mesure. Section 2 : Synoptique des politiques sectorielles Il existe entre les deux institutions une division des tâches et une collaboration fixées par une directive de 1986. Les attributions ne se chevauchent pas : le FMI a pour responsabilité première lřexamen de la politique macroéconomique, alors que la Banque mondiale intervient dans le domaine des réformes structurelles et institutionnelles et dans lřappui aux secteurs privés et publics (voir R.SEROUSSI, Les nouveaux gendarmes du monde, Édit. Dunod, 1994) 171 3 1 Figure 20 Objectifs généraux VOLETS DE POLITIQUE ECONOMIQUE Vérité des prix : aller vers la vérité des prix Court terme Rétablir les grands équilibres de la balance des paiements et des finances publiques Politique des prix Fluctuation des prix : permettre certaine fluctuation des prix Libéralisation de l’économie d’Etat Politique institutionnelle : vers moins Efficience de l’Etat : vers un meilleur Etat Stabilisation et assainissemen Long terme : efficacité et croissance une Rétablissement des finances publiques : baisse des dépenses Augmentation des recettes Rétablissement finances publiques et balance des paiements Rétablissement de la balance des paiements : Balance commerciale : Diminution des importations Augmentation des exportations Balance des capitaux : Augmentation de l’entrée de capitaux Diminution de la fuite de capitaux I/ Dette et ajustement Trois aspects importants du lien dette et ajustement seront analysés : analyse des facteurs de massification de la dette et qui ont rendu l'ajustement inévitable dans de nombreux pays. L'apparition des crises d'endettement (insolvabilité et non pas illiquidité) va conduire à l'ajustement ; les objectifs des PAS en relation avec l'endettement. Les politiques et programmes d'ajustement abordent le problème des crises d'endettement selon trois (03) axes complémentaires : Dřabord la réduction des déséquilibres macroéconomiques majeurs Ensuite, la réorientation des structures économiques dans un sens plus favorable à la croissance et aux exportations ; * contrôle de l'évolution de l'encours, de la structure et des conditions; * définition des conditions de rééchelonnements, * les stratégies en matière de dette. L'évolution de la crise de l'endettement depuis 1982 a conduit les acteurs économiques internationaux à adopter différentes stratégies au fur et à mesure qu'évoluaient la crise de la dette et la perception qu'en avaient les principaux acteurs. II/ La politique commerciale 3 1 Le premier axe de la politique commerciale consiste à faire le bilan des politiques de protection qui ont été menées jusque dans les années 80. Les traits caractéristiques sont de trois (03) ordres : Son niveau est élevé et elle incite à la production d'un bien alors que le pays peut souffrir d'un désavantage absolu pour cette production ; La politique commerciale multiplie les exonérations qui finissent par constituer un régime dérogatoire au régime de droit commun ; Elle recourt de manière abusive aux restrictions quantitatives destinées à compenser les désavantages relatifs. Le deuxième axe est relatif aux réformes recommandées pour une libéralisation intégrale du secteur commercial. Ces réformes sont de trois ordres : Réformer tous les dispositifs afin dřavoir un système de protection uniquement tarifaire ; La réforme du tarif lui-même, en vue dřune suppression progressive de tous les régimes dérogatoires ainsi que les restrictions quantitatives ; La réforme de la réglementation du commerce extérieur. Ces changements essentiels en faveur de la mise en œuvre dřune libéralisation intégrale appellent des mesures d'accompagnement particulièrement en faveur des acteurs du secteur. Cřest tout un dispositif transitoire qui doit se mettre en place pour un apprentissage de la nouvelle réglementation surtout par les entreprises qui bénéficiaient de la protection et qui, désormais, doivent faire face à la compétition extérieure. Cela soulève de fait deux questions majeures : en combien de temps et comment les faire appliquer ? III/ Les problèmes budgétaires Le budget est, et a toujours été, un souci permanent des pouvoirs publics. À cause de sa complexité, il soulève de nombreux problèmes ainsi bien en pays développés quřen pays sous développés, même si au niveau de ces derniers les problèmes se posent de façon quelque peu différente suivant les niveaux de développement économique, financier, social, juridique. Lřanalyse doit être menée avec une extrême prudence et de nombreuses précautions pour au moins une série de trois raisons : la fragilité des concepts utilisés, les ambiguïtés des indicateurs disponibles et les incertitudes propres aux sources dřinformation, Tout cela confère aux finances publiques africaines une évidente spécificité renforcée par deux éléments additifs : dřune part le déficit budgétaire constant ne peut être résorbé que par recours à lřemprunt et /ou réaménagement de la dette ou par financement extérieur (banques et /ou institutions non bancaires) et dřautre part la soutenabilité de ce déficit (solvabilité, inflation) est entachée par des investissements publics très peu productifs, et la mobilisation des ressources, notamment lřépargne en faveur du secteur privé. En analysant les grandes masses budgétaires les recettes comme les dépenses, on sřaperçoit de lřimpérative nécessité dřentreprendre des réformes budgétaires. Jugée excessive et nocive, la part des impôts directs doit selon les réformateurs des années 80 baisser. La compensation de lřallègement des impôts directs (sur les revenus) est recherchée à travers lřaccroissement de la charge fiscale indirecte. Ainsi avec lřintroduction de la TVA, les impôts et taxes de la consommation (impôts directs) ont été alourdis. Une étude réalisée par le FMI portant sur 94 programmes financés par le FMI entre 1980 et 1984 révèle que 79 programmes (soit 84 %) ont comporté des 3 2 mesures concernant la fiscalité. Parmi celles-ci les plus nombreuses sont de loin celles qui génèrent des recettes supplémentaires de manière rapide et commode tout en contribuant à limiter la consommation privée ce qui concorde parfaitement avec les objectifs immédiats poursuivis alors (contraction de la demande, réduction du déficit budgétaire). Cřest le cas des droits et taxes à la consommation qui ont augmenté dans la quasi-totalité des programmes évoqués (77 sur 79). Les taux des taxes spécifiques (tabac, alcool, bière ...), des taxes pétroliers, des taxes générales sur les ventes et des droits de douane à lřimportation ont été relevés dans respectivement 61% ,43% ,46% et 51% des programmes comportant des mesures fiscales (26). Encore plus dřautres mesures sans toucher au taux, vont dans le même sens telles celles relatives à lřadministration de lřimpôt qui ont consacré 52 programmes (soit les deux tiers) et œuvrent à améliorer les conditions de son recouvrement, renforcer les moyens dřidentifications et de contrôle des contribuables, rénover des procédures légales de traitement des litiges (27). On constate donc que le levier fiscal a tout de même été actionné de manière appréciable et conséquente dans le cadre de la phase de stabilisation. Il reste que la reforme fiscale a surtout un caractère stratégique. Elle sřinscrit dans la perspective du projet à long terme de restructuration des économies et des finances des PVD. Un modèle de reforme fiscale a été élaboré à cette fin. Ces pays ont été acculés à mettre en œuvre des politiques dřajustement car confrontés à une crise de leurs finances publiques. Les reformes fiscales recommandées aux PVD dans le cadre des Programmes dřAjustement Structurels ne puisent pas seulement leur inspiration des théories élaborés dans les PD, mais en pratique aussi se déploient selon un modèle conçu par ces derniers puis exportés sans une véritable réflexion préalable quand à sa pertinence dans les pays dřaccueil .De prime abord, il nous faut citer Alan A. TAIT, Directeur adjoint au FMI qui situe parfaitement le problème par cet aveu édifiant : « traditionnellement, fonds a semblé admettre tacitement que tout système dřimposition nationale se développe à partir de taxes commerciales primitives et finit par comporter des impôts sophistiqués sur lřensemble des revenus . Plus récemment les services du Fonds, reflétant les préoccupations expérimentées en Amérique du Nord et en Europe, ont manifesté dřavantage dřintérêt sur les questions axées sur lřoffre. Les résultats de lřévaluation empirique des effets positifs sur lřoffre dřune baisse des impôts ont été peu concluants ; le fond a néanmoins conseillé de réduire les taux des personnes physiques, de supprimer les exonérations spéciales et de cesser de recourir au régime fiscal pour atteindre un trop grand nombre dřobjectifs ». La reforme fiscale qui leur est proposée, soulève au préalable un problème ardu : comment réduire la pression fiscale sans courir le risque dřaggraver le crédit budgétaire ? Peut être en transférant une partie des charges du contribuable sur lřusager, on espère dans ce cas outre lřextension de la logique du marché, desserrer les contraintes qui pèsent sur lřajustement des finances publiques, notamment en conciliant entre la réduction du déficit budgétaire et celle de la pression fiscale. Ceci étant, la sphère de la fiscalité demeure soumise à son tour à des impératifs contradictoires qui nřen rendent la reforme que plus difficile. Comment atteindre les objectifs que sont : le rendement financier, efficacité économique et équité sociale. Que vise toute reforme fiscale ? 1°) le Rendement fiscal 3 2 Elle peut lřillustrer par la courbe de LAFFER : lřobjectif « de rendement financier peut être atteint en accroissant les recettes fiscales sans alourdir la pression fiscale. Lřobjectif à cet égard des PAS est de dégager un surplus fiscal permettant de rembourser la dette extérieure principalement publique. Cependant le problème est que force est de constater à quelques exceptions près, la Pression Fiscale a déjà atteint ou dépassé ses limites. De sorte quřon affirme quřune nouvelle évaluation des taux peut rapporter un montant inférieur de recettes fiscales, si le niveaux dřimposition et les taux marginaux sont élevés ». Cřest dire que la référence de « lřimpôt qui tue » est omniprésente. Par ailleurs, on affirme que le coût de lřimpôt augmente dans une plus forte proportion que le taux dřimposition débouchant sur le risque de voir lřépargne intérieure diminuer, lřardeur au travail baisser, la croissance ralentir .... 2°) L’efficacité Aménager les conditions de lřefficacité en choisissant des bases dřimposition qui augmentent parallèlement aux dépenses et non au PIB semble être une bonne stratégie .Les dépenses pouvant augmenter les recettes devraient alors provenir dřun petit nombre dřinstruments assis sur une large base « il suffira alors de modifier quelques taux dřimposition pour ramener le total des recherches au niveau voulu ». Toujours du point de vue de lřefficacité il est préférable de recruter une structure fiscale relativement neutre c'est-à-dire qui procure des recettes nécessaires tout en influençant le moins possible lřaffectation des ressources. À cet effet Vito TANZI énonce 5 conditions qui assurent lřefficacité dřun système fiscal. 1ère condition : Présenter un indice de concentration élevé (collecter une grande part des recettes à partir dřun petit nombre dřimpôt) ; 2ème condition : Présenter des indices dřérosion faible, de sorte que lřassiette ponctionnée approche le plus possible son niveau potentiel ; 3ème condition : De brefs retards dans le recouvrement de lřimpôt ; 4ème condition : Prévoir des pénalités sérieuses pour les fraudeurs ; 5ème condition : Éviter des prélèvements spécifiques. 3°) L’équité Les experts de la BM et du FMI mettent lřaccent sur le financement des dépenses distributives car estiment que la justice peut être davantage une question de réduction des différences entre dépenses des ménages, quřentre des revenus personnels et ils précisent dans la pratique que les impôts ne semblent guère être un moyen de modifier la répartition générale des revenus , leur rôle important du point de vue dřéquité et quřils fournissent les recettes nécessaires pour payer les dépenses distributives en particulier , en vue dřaméliorer les conditions des pauvres. En dřautres termes il revient à la politique dřajustement structurel de faire évoluer les systèmes fiscaux pour les moderniser les rendre plus simples, plus cohérentes et surtout les permettre de favoriser lřextraversion des économies dřune part et la promotion dřun capital privé dřautre part. Cependant, la réalité est tout autre les ajustements réalisés se sont révélés souvent inadéquats ou inefficaces, et presque toujours régressifs. Mais la reforme réalisée durant les années 80 nřa pas que des défauts, elle est à lřorigine de progrès notables dont le plus important est le fait quřelle ait enfanté de nouveaux outils qui bien que sensiblement amandés, pourraient constituer de bons instruments. 3 2 En somme tous les États africains avaient une caractéristique commune : des déficits budgétaires qui ont tendance à sřamplifier ce qui précarise totalement les finances publiques. Par ailleurs, les Finances publiques partagent toutes dřune part une grande spécificité des finances publiques avec des recettes budgétaires différentes en Afrique relativement aux autres PVD ? Les dépenses budgétaires également sont spécifiques avec la particularité de la soutenabilité du déficit et les modes particuliers de la réalisation de lřéquilibre. L'État est le principal facteur de déséquilibre. Dans les périodes d'instabilité, le comportement de l'État aboutit souvent à une baisse des recettes budgétaires et à une hausse des dépenses ce qui contribue au creusement du fait et le recours à lřendettement extérieur avec par moment des conditions de prêts défavorables. Cřest dire que les finances publiques souvent stabilisées mais rarement ajustées: conséquences économiques et sociales ce qui va entrainer deux conséquences: la première se situe au niveau des dépenses courantes qui imposent la réduction de la masse salariale et lřarbitrage sévère des dépenses de matériel et d'entretien ce qui va entraîner la baisse d'efficacité de l'administration et le gâchis de certains investissements, contrôle des dépenses sociales. La seconde conséquence se situe au niveau des investissements qui ont besoin dřune allocation prioritaire. IV/ La politique de change Elle comporte au préalable la restructuration des services publics et des services financiers avec la mise en place de mesures d'assainissement et de diversification des systèmes financiers. La politique de change, instrument de politique économique, comporte deux (02) volets: la définition du régime du taux de change et les réglementations des opérations de change. - Les objectifs de la politique du taux de change : le taux de change d'équilibre à long terme la stabilité du taux de change Les options en matière de régime de change change fixe et change flottant rattachement des monnaies Les choix et leurs conséquences l'intégration économique et la coordination des politiques économiques Figure 21 : Ajustement structurel du volet de la politique institutionnelle 3 2 Libéralisation de l’économie Vers le moins d’Etat Efficience de l’Etat Désengagement de l’Etat des secteurs économiques : Production agricole Institutions de support Commercialisation et transformation agricole Désengagement de l’Etat dans le reste de l’économie : Infrastructures et biens publics (routes, ports, éducation, santé) ; Réduction des effectifs de la fonction publique Amélioration du contrôle financier Amélioration du recouvrement des recettes fiscales Vers un «meilleur» Etat Amélioration de la gestion financière, du personnel, du matériel et des équipements Section 3 : Les coûts sociaux de l’ajustement. En fait, les programmes dřajustement structurel, partout où ils sont appliqués, et quel que soit le résultat a induit des conséquences négatives sur les dépenses sociales. Aussi bien en matière de revenus, dřemploi, de logement, de santé et dřéducation, les coûts unitaires ont été fortement augmentés. Selon les analystes du développement, les pays en développement qui ont le mieux réussi à réduire la pauvreté, notamment les pays de lřAsie, ont dû engager très tôt leur transition démographique mais surtout sont parvenus à fournir des services essentiels de santé et dřéducation à la majorité de la population aussi bien en milieu urbain quřen milieu rural et ont lourdement investi dans les services sociaux. Or, dans les années 80, les politiques de stabilisation appliquées en Afrique se sont avérées très coûteuses du point de vue social et elles se sont conjuguées aux facteurs d'environnement défavorables pour réduire la qualité de vie des populations des PSD. La pauvreté est devenue la réalité dominante du monde contemporain. Toujours présentes dans l'histoire économique et sociale du monde, les inégalités entre le Nord et le Sud, entre les pays, les villes et les campagnes, entre les individus ont pris des dimensions extrêmement graves. Une question qui vient immédiatement à l'esprit quand on parle de pauvreté est celle de savoir comment identifier les pauvres. Pour répondre à cette interrogation, différentes études sur la pauvreté ont été proposées et elles permettent de répondre à cette question et à certaines autres comme: Qui sont les pauvres ? Combien y a t-il de pauvres et quelle proportion représentent-ils dans la population ? Quel est leur degré de pauvreté ? Où vivent-ils ? 3 2 Quels groupes socio-économiques sont les plus pauvres ? Quels groupes sont exposés à la pauvreté ? La pauvreté augmente-t-elle ou diminue- t-elle dans le temps ? Répondre à la première question à savoir qui sont les pauvres, revient généralement à déterminer le seuil de pauvreté. Le seuil de pauvreté peut être déterminé à partir des revenus ou de dépenses de consommation alimentaire ou totale. La première méthode consiste à classer les ménages par fractile de revenu (quintile, décile, ...) et à déterminer pour chaque fractile le niveau de revenu en deçà duquel le ménage ou l'individu est considéré comme pauvre, c'est-à-dire incapable d'assurer le minimum vital. La deuxième méthode basée sur les dépenses de consommation consiste à déterminer le niveau de dépenses minimum qui permet à l'individu d'assurer le minimum vital, c'est-à-dire les 2.400 calories par équivalent adulte. Il est important de souligner que chaque méthode de détermination du seuil de pauvreté comporte des avantages et des limites. La méthode de détermination du seuil de pauvreté basée sur les revenus n'est pas adaptée aux pays africains. D'abord, les pays africains ont une importante population agricole. Les revenus des ruraux sont fortement dépendants des aléas climatiques et des cours du marché international. L'autoconsommation est un élément important qui contribue à la survie des populations, notamment à travers les systèmes de solidarité familiale, de culture vivrière d'autosubsistance, etc. Le niveau du revenu monétaire n'est pas suffisamment accoutumé pour savoir si un ménage est dans une situation de pauvreté ou non. La détermination du seuil de pauvreté à partir des dépenses de consommation des ménages présente l'avantage de refléter mieux le niveau de vie des populations. Cette méthode permet d'évaluer les dépenses effectives des ménages qu'il s'agisse de dépenses alimentaires ou non alimentaires, quelque soit la source de financement de ces dépenses. Il ne faudrait pas perdre de vue que même les indicateurs calculés à partir de la consommation sont des mesures moyennes qui portent généralement sur des données annuelles. Ainsi, n'appréhendent-ils pas le caractère saisonnier de la pauvreté ? Certains ont été donc amenés à distinguer entre la pauvreté chronique et la pauvreté transitoire. La première renvoie au caractère structurel de la pauvreté alors que la seconde en saisit le caractère saisonnier. Le phénomène de la disette, bien connu dans les pays du Sahel, relève de la pauvreté transitoire. Les sources de données utilisées dans ce genre d'exercice sont les enquêtes budget-consommation qui commencent à être disponibles dans beaucoup de pays en développement. Ces enquêtes ont l'avantage de fournir beaucoup d'informations sur les dépenses et revenus des ménages, l'accès aux infrastructures de base (santé, éducation). Mais ils ne présentent pas tous la même robustesse. Mais on a pendant longtemps pensé qu'une forte croissance économique était suffisante pour l'éliminer. L'après deuxième guerre mondiale a montré la coexistence de la montée des inégalités, de la pauvreté et de l'augmentation continue du produit par tête. Le regain d'intérêt de la littérature économique pour la problématique de la pauvreté est un reflet de la préoccupation grandissante des opinions publiques, nationales et internationales, à l'égard de la montée de ce phénomène. Section 4 : Limites des politiques d'ajustement et l’amorce du post-ajustement 3 2 Lřajustement structurel a généralement été assez bien admis puisque tous les États africains se sont dotés de PAS largement inspirés des thèses néo-libérales en vogue dans les années 80. Ces PAS, aux résultats très médiocres, ont fait lřobjet de critiques sévères concernant leur mise en œuvre concrète : réformes imposées de lřextérieur sans mobilisation des acteurs et des ressources internes, prescriptions standards ignorant lřhistoire et les réalités socio-économiques locales, ignorance ou impasse complète des structures institutionnelles indispensables à la mise en œuvre des PAS. Mais au-delà de ces critiques empiriques, émerge dans les années 90, une remise en cause plus fondamentale du néo-libéralisme monétariste et de lřensemble de lřanalyse néo-classique. Les critiques formulées peuvent être présentées sous les 04 axes qui suivent : 1°) L’aggravation de la pauvreté et l’absence d’un modèle de répartition des revenus La mise en œuvre des politiques dřajustement structurel a conduit les Institutions Financières Internationales à oublier la lutte contre la pauvreté qui constituait pourtant lřobjectif essentiel revendiqué dans les années 1970. En pratique, ces politiques, du fait de leur priorité macro-économique, nřont comporté aucun filet de sécurité, aucune mesure spécifique de correction, visant à endiguer lřaggravation de la pauvreté et la dégradation des conditions de vie des couches les plus démunies, directement et fortement touchées par les économies budgétaires (voir A.H. SARRIS). Le constat de la montée de la pauvreté, comme constaté au chapitre précédent, débouche sur une question théorique nouvelle : lřobjet de lřéconomie peut-il se résumer à la recherche de lřefficience maximale dans lřallocation des facteurs de production par le marché, indépendamment de toute préoccupation quant à la répartition des richesses ainsi créées ? Ce postulat ne sous-entend-il pas que la distribution sociale sřopère selon des critères socio-politiques, exogène donc à la rationalité économique ? Ne faut-il pas partir du postulat opposé et considérer au contraire que la répartition des richesses est un facteur économique endogène déterminant, qui contribue à définir lřefficience des facteurs de production ? Comment ignorer, par exemple, que lřaccès à lřéducation ou à la santé, largement façonné par les politiques de répartition, modèle de manière fondamentale la productivité du travail et des ressources humaines ? Comment ignorer également lřimpact quřà la répartition des richesses sur lřorientation sectorielle des investissements et de la production, du fait de la diversité des comportements dřépargne et consommation des différentes couches sociales ? Ces questions font apparaître que le paradigme sur lequel se sont fondées les politiques dřajustement ignore des pans essentiels du champ de lřanalyse économique. 2°) Le marché possède un pouvoir d’incitation limité La foi exclusive dans les vertus du marché a souvent conduit à surestimer les capacités de réponse des agents économiques, et notamment des agriculteurs, aux incitations par les prix. Force est de constater que, dans bien des cas, lřoffre agricole nřaugmente pas toujours de manière aussi importante ou aussi rapide que prévu. Non parce que les agriculteurs seraient insensibles aux prix mais parce que lřincitation par les prix, si elle est une condition nécessaire, nřest pas toujours une condition suffisante au développement de la production. Interviennent dřabord les comportements 3 2 antirisque de producteurs, avant tout soucieux de se protéger contre lřinstabilité des prix inhérente aux marchés des produits agricoles (voir notamment les travaux de BOUSSARD). Interviennent aussi les contraintes structurelles extérieurs au marché final (accès aux intrants, à la technologie, au financement surtout) qui limitent la capacité dřaugmentation de la production de chaque agriculteur. Le coût du crédit, et surtout la couverture du risque (garantie exigée par les organismes prêteurs), sont ici des freins puissants à lřaccumulation des moyens de production par les producteurs les plus démunis, les moins à même précisément de fournir les garanties de crédit exigées. Peut-on espérer que le seul jeu du marché du crédit, qui tend à renchérir le coût des prêts lorsque les risques augmentent, puisse répondre à ce besoin essentiel de couverture du risque des producteurs les moins nantis (souvent la grande masse de la paysannerie) en dehors de toute institution publique ou coopérative dřassurance et de péréquation des risques ? 3°) L’impératif de la mondialisation : discours libéral et pratiques protectionnistes Lřouverture à la concurrence internationale par la réduction des taxes à lřexportation et des subventions à lřimportation constitue un levier essentiel des politiques dřajustement structurel. En effet, la recherche de lřefficience maximum dans la valorisation des facteurs dont chaque pays est doté suppose une spécialisation internationale dans les productions pour lesquelles le pays est comparativement le mieux placé. Cette doctrine, théorisée par Ricardo, il y a plus dřun siècle, est essentiellement statique. Elle suppose une immobilité internationale complète du capital et du travail et une rémunération homogène des facteurs dans les différents pays échangeurs (qui est loin dřêtre réalisées aujourdřhui). Elle implique encore une réciprocité complète et une symétrie parfaite dans la manière de traiter les échanges internationaux dans les différents pays partenaires. Or, en matière dřéchanges agricoles en tout cas, les pays développés, conduits par les États-Unis et lřUnion européenne, continuent de protéger activement leurs marchés. De ce point de vue, le nouvel accord de lřOMC, bien quřinduisant les changements importants dans la distribution des soutiens agricoles, ne modifie pas de manière déterminante lřavantage considérable que confère aux agriculteurs des pays industriels le maintien dřimportants transferts publics à leur profit (voir K. ANDERSON). Comment dans ces conditions, avec une productivité du travail initiale bien inférieure, les pays soumis à lřajustement structurel peuvent-il espérer être compétitifs sinon par une sous-rémunération accrue de leur main- dřœuvre, qui ne pourra que renforcer la paupérisation et la crise dřaccumulation dans leur agriculture et, au plan macro-économique, la récession par la demande que la pression sur le revenu agricole induit ? Cette libéralisation inégale, par delà la question de morale politique quřelle pose, soulève des questions de théorie économique. À partir du moment où les marchés ne sont plus des marchés de libre concurrence mais des marchés oligopolistiques, la théorie ricardienne perd sa validité. Comme le montrent certaines formulations théoriques nouvelles (théorie du protectionnisme stratégique développée par P. KRUGMAN), dans ce cas lřoptimisation de lřemploi des facteurs de production passe par une certaine dose de protectionnisme ou, en tout cas, par une intervention active des pouvoirs publics et économiques pour créer les structures favorables à lřavantage concurrentiel (les travaux de PORTER). 3 2 Ces quelques considérations appellent, par-delà le doute sur le bien-fondé dřune ouverture systématique sur les marchés internationaux, à revoir le lien indissoluble quřétablissent les politiques dřajustement structurel entre le rétablissement des équilibres macroéconomiques internes et lřouverture externe. Cet aggiornamento théorique ne ferait dřailleurs que retrouver la pratique : de lřaveu même des bailleurs de fonds internationaux, la libéralisation se réduit le plus souvent à une réduction des protections à un niveau «raisonnable». 4°) L’économie politique oubliée La plupart des experts et des chercheurs reconnaissent aujourdřhui que lřéconomisme étroit des analyses, justifiant les politiques dřajustement structurel, bute sur une réalité économique, sociale et politique beaucoup plus complexe que ne le laissent entrevoir les schémas mécanistes de lřajustement macro-économique. Conçu au départ pour favoriser les couches sociales productives les plus nombreuses, à commencer par la paysannerie, lřajustement structurel se heurte à des rapports sociaux bien vivaces. Dans bien des cas, les couches sociales dominantes, bien représentées dans lřappareil dřÉtat, détournent les mesures dřajustement susceptibles de les pénaliser et reportent sur les couches les moins organisées et souvent les plus démunies (dont la paysannerie), le poids de la contrainte dřajustement. De ce fait, lřanalyse économique ne peut continuer à ignorer lřéconomie politique (voir J. BEGHIN et M. FAFCHAMPS). Dès lors, on peut manquer de noter le contraste entre lřambition des ajustements économiques proposés et la modestie, voire lřinexistence, des recommandations concernant les ajustements politiques nécessaires. Peut-on alors concevoir une libéralisation économique sans une libéralisation politique parallèle, qui rende aux citoyens, aux collectivités territoriales et aux groupes socio-professionnels la capacité de sřorganiser librement pour avancer dans la construction dřune économie de marché régulée de manière socialement plus équitable et politiquement plus conforme au schéma pluraliste ? Certes, la dimension politique, pour essentielle quřelle soit, échappe au domaine dřintervention des organismes financiers internationaux. Ce sont ces critiques qui ont poussé à la recherche de nouvelles voies alternatives à la politique dřajustement structurel ; ce que BEN HAMMOUDA appelle le post-ajustement dont il faut analyser les quelques idées fondatrices. Propos d’étape de la Deuxième Partie Lřanalyse du sous-développement reste toujours dřune grande importance du simple fait que ce phénomène est divers dans le temps comme dans lřespace. Relevant dřun domaine dřévolution extrêmement rapide des faits, son appréciation (évaluation) exige de disposer dřoutils dřinvestigation pertinents pour en connaître lřétat à la fois économique et social. La variété des définitions, en lřabsence dřun type idéal au sens de M.WEBER, nous a conduit à qualifier le sous-développement dřabord par sa structure économique qui est primaire et dualiste, ensuite par son fonctionnement instable et dépendant de paramètres surtout externes et enfin son incapacité à rompre le « cercle vicieux de la pauvreté ». Cette démarche a permis dřétablir la morphologie du sous-développement et de dégager ses caractéristiques à la fois économiques et sociales. Et surtout dřétudier la question démographique souvent considérée comme un handicap au développement. Cette analyse dřensemble permet alors de mieux 3 2 cerner ce quřil faut faire pour sortir de cette situation. Quels sont les objectifs, les stratégies et les instruments ? La théorie économique comme les expériences pratiques semblent indiquer que la croissance est un des objectifs cruciaux puisquřelle donne les moyens dřélever le niveau des forces productives matérielles et humaines, de valoriser les dotations en facteurs et dřaméliorer le bien-être. Toutefois, pour les PSD, la question centrale nřest pas souvent que faire pour assurer une croissance rapide et harmonieuse; mais que faire pour commencer à croître ? Cet objectif peut être évalué de façon optimiste ou de façon pessimiste selon le critère que lřon a choisi. Par exemple, on pourrait constater une accélération du taux de croissance des PSD par rapport à leur passé, et être optimiste, ou constater que le taux est inférieur à celui des pays développés, et donc que lřécart entre pays pauvres et pays riches sřélargit et être pessimiste. Théoriquement et pratiquement la croissance se distingue du développement pour lequel, la théorie économique présente trois définitions : dřabord il est souvent assimilé à la croissance soutenue du revenu (ou de la production) par habitant, ensuite, il est considéré comme lřensemble des changements structurels qui rendent la croissance économique pérenne et enfin, il est décrit par la recherche de lřindépendance pour des pays pauvres qui ont souvent peu dřautorité sur des aspects importants de leur économie soumise à des facteurs externes qui ne sont pas sous leur contrôle. Chacune de ces définitions représentent un aspect du développement qui pourrait signifier lřensemble des transformations économiques, technologiques, politiques et sociales qui rendent la croissance durable. Que faire alors pour lancer le processus ou lřauto entretenir ? Cela renvoie à la définition de stratégies et de politiques claires, pertinentes et planifiées. Ce qui suppose la définition des orientations générales précises et la mobilisation dřinstruments adéquats de gestion comme la planification quřil importe de réhabiliter. Il reste alors à soulever les bonnes questions sur les choix à faire pour amorcer le développement à savoir: Le développement doit-il être orienté vers la croissance accélérée du PIB ? Peut-il sřaccommoder de la satisfaction des besoins sociaux ? Doit-il reposer sur lřindustrie, sur lřagriculture, sur les services ou sur le commerce extérieur? Quelle est la place de la technologie de pointe et des savoirs traditionnels et locaux ? Peut-on se dispenser de la constitution dřun Etat fort pour amorcer le développement ou lřaccompagner et dřinstitutions robustes et efficaces ? Quelle est la place faite à lřinitiative privée à lřinitiative publique ? En lřabsence, de « modèle prêt-à-porter », ne faut-il pas tenir compte dřautres expériences pouvant constituer des points de référence riches dřenseignement tant sur les actions à entreprendre que sur les écueils à éviter ? Les réponses à chacune font apparaître des clivages fondamentaux que ce soit dans les stratégies globales de développement mises en œuvre ou dans les types de réponse apportés à certains problèmes cruciaux pour les PSD. A la recherche de nouvelles stratégies et politiques de développement, il est apparu nécessaire dřanalyser celles des économies émergentes dřAsie et dřAmérique Latine qui paraissent exemplaires à plus dřun titre : ils constituent aujourdřhui des références pour nombre de PSD. Dans ce contexte, il faut tirer, pour le continent africain, toutes les leçons du miracle asiatique. En effet, la croissance rapide des pays dřAsie de lřEst a montré que 3 2 le développement était possible et quřil pouvait sřaccompagner dřune réduction de la pauvreté, dřune amélioration largement partagée du niveau de vie et même dřun processus de démocratisation. Evidemment, dans la phase ascendante des PAS les expériences du miracle est-asiatique étaient considérablement dérangeantes pour les défenseurs des solutions orthodoxes, car ces pays ne se sont pas conformés aux prescriptions habituelles des Institutions Financières Internationales. Dans la plupart des cas, lřEtat et ses institutions ont joué un rôle efficace de création et dřorientation des ressources vers des projets à long terme. Cet Etat a été qualifié dřEtat «pro» cřest-à-dire promoteur, producteur, prospecteur et programmeur. Les gouvernements ont suivi certaines des prescriptions techniques habituelles, comme par la politique macroéconomique stable, mais ils ont ignoré les autres. Par exemple, au lieu de privatiser, ils ont crée des entreprises hautement productives et plus généralement ils ont mené une politique industrielle pour développer certains secteurs. Les pouvoirs publics intervenaient dans le commerce, même si cřétait plus pour favoriser les exportations que pour limiter les importations. Egalement, ils se sont engagés dans un encadrement du secteur financier, en abaissant les taux dřintérêt et en augmentant la rentabilité des banques et des entreprises. En définitive le continent africain est à la recherche dřune nouvelle vision, dřun paradigme et dřun programme alternatif de développement considéré comme une transformation de la société. La question centrale est alors comment mettre en place un système économique et financier performant et jeter les bases de fonctionnement dřune société démocratique. La tâche des économistes, toutes options idéologiques confondues, est dřappréhender la situation dřensemble des pays africains, dřidentifier les éléments permettant de définir le nouveau cadre général de concepts en phase parfaite avec lřaxiomatique de la rationalité économique. Les éléments à inclure dans ce cadre de concepts peuvent être jugés en fonction des critères ci-après : La définition dřobjectifs strictement économiques qui permettent de sřengager dans la voie dřun développement durable et dřéchapper au piège de la pauvreté; La restructuration des institutions de gouvernance et la reconstruction de lřEtat en vue de la création dřun environnement institutionnel plus incitatif pour les politiques de développement ; La mise en œuvre de politiques sectorielles pertinentes dans le cadre dřune estimation réaliste de la dotation en ressources naturelles et qui accordent à lřagriculture et aux technologies un rôle moteur dans la réalisation de la croissance ; Lřélaboration de politiques publiques efficaces dřallocation optimale des ressources en faveur des activités productives; Le choix dřune politique de redistribution des revenus qui maximise les potentialités endogènes de développement ; La mobilisation de la communauté internationale dans le cadre dřun véritable partenariat qui accroisse les ressources financières à long terme et les investissements privés directs étrangers. 3 3 TABLES DES MATIERES ACRONYMES ET ABREVIATIONS .............................................................................. 2 Avant Propos ........................................................................................................................ 6 INTRODUCTION GENERALE ...................................................................................... 10 I. Naissance de l'Economie du Développement .................................................................... 10 II. La difficulté de trouver un statut à lřéconomie du développement dans la science économique qui est devenue une entreprise gigantesque. .............................................. 11 1. Le premier courant considère lřéconomie du développement comme un simple prolongement de lřanalyse macroéconomique .................................................. 12 2. La deuxième attitude théorique considère lřéconomie du développement comme un chapitre récent de la science économique ................................................... 14 3. La troisième thèse considère que lřéconomie du développement doit se constituer en discipline autonome en sřassignant un double objectif : offrir une représentation théorique cohérente du sous-développement et indiquer les voies et moyens pour en sortir .................................................................................. 15 III. Que recouvre lřEconomie du Développement ? ............................................................. 16 1. A première approximation quřest que le développement ? ......................................... 16 2. Le développement peut aussi se définir à partir de facteurs plus quantitatifs que qualitatifs ............................................................................................................. 17 IV. De la crise du développement à lřavènement du développement durable ........................ 19 V. Les courants de pensée en économie du développement .................................................. 20 VI. P.HUGON a tenté dřétablir une périodisation de lřévolution de la pensée du développement depuis les indépendances africaines (1960) à la crise des années 80 ....... 21 1. Les années 70 : le moment de la radicalisation avec les succès politiques et économiques de la tricontinentale qui revendique un Nouvel Ordre Economique mondial. ......................................................................................................................... 21 2. Le moment de la crise des années 80 et lřavènement de la libéralisation et de la gestion capitaliste ................................................................................................. 22 3 3 VII. Quelle est la structure de cet ouvrage ? ................................................................... 24 PARTIE INTRODUCTIVE. AFRIQUE, CONTEXTE DE MONDIALISATION ET DE SOUSDEVELOPPEMENT ……………………………………..29 CHAPITRE 1. CONFIGURATION MULTIPOLAIRE DE LA MONDIALISATION .............. 33 Section 1. Lřinterdépendance relative à la production dans un système productif dominé par les firmes multinationales ............................................................... 34 Section 2. Lřinterdépendance des échanges ....................................................................... 35 Section 3. Interdépendance et globalisation des marchés financiers ................................ 36 Section 4. Lřinterdépendance relative au facteur déterminant des Technologies de lřInformation et de la Communication ................................................. 38 Section 5. Mondialisation multipolaire par formation de vastes blocs régionaux véritables pôles de compétition ........................................................................ 40 Section 6. Des conséquences non économiques de la mondialisation ………………………..41 I. Mondialisation et déstructuration des identités et valeurs culturelles par lřéchange inégal des cultures .................................................................................. 41 II. Mondialisation libérale : système économique libéral doit rimer avec société démocratique ............................................................................................ 43 Section7. La société civile mondiale en gestation et la revendication dřune mondialisation maîtrisée et équitable ....................................................... 43 Section 8 : La question sécuritaire suite aux évènements du 11 Septembre : La gestion des nouveaux risques ....................................................................... 45 CHAPITRE 2. L’AFRIQUE PARIA DE LA MONDIALISATION ENTRE MARGINALISATION, PAUVRETE ET PRECRITE .................................. 47 Section1. Les inégalités et leur portée : la difficulté de réduire la fracture sociale ............ 47 Section2. LřAfrique paria de la mondialisation ................................................................... 49 I. Pauvreté de masse aggravée par la défaillance des systèmes traditionnels et modernes de protection sociale ................................................................................ 50 II. Etranglement et hypothèque du développement par lřendettement .......................... 52 III. Synoptique des défaillances et des risques de lřAfrique dans la mondialisation ........ 53 IV. Face au déclin de lřAide Publique au Développement (APD) à la fois insuffisante et mal orientée, la recherche de systèmes et de politiques monétaires flexibles .......................................................................... 54 3 3 Section 3. Les perspectives africaines dřinsertion dans la mondialisation ........................ 56 I. Exigence de construction dřéconomies libérales et compétitives ................................. 57 II. Exigence dřune régionalisation de gré ou de force ...................................................... 58 CHAPITRE 3. MAÎTRISE DU PÉTROLE ET DE L’ÉNERGIE DANS LA GÉOSTRATÉGIE DE RÉGULATION DE LA MONDIALISATION .................. 60 Section1 : Le pétrole, une variable Ŕ clé dans la géostratégie et la et la compétitivité de lřéconomie mondiale avec des accroissements des prix sans fin...................... 60 Section2 : Les choix énergétiques à moyen et long terme .................................................. 62 Section3 : Les États africains et le pétrole : handicap majeur au développement à la fois pour les producteurs et les déficitaires .................................................. 64 Section 4 : Résorption de la fracture énergétique et valorisation des potentialités par la coopération et lřintégration ................................................ 66 Section 5 : Quelle solution pour les questions énergétiques? ......................................... 68 Propos d’étape sur la partie introductive………………………………………................69 PREMIERE PARTIE THEORIES ECONOMIQUES DU DEVELOPPEMENT ET DU SOUSDEVELOPPEMENT : LES GRILLES D’ANALYSE. ....................... 71 CHAPITRE 4. L’ÉCOLE CLASSIQUE : PRÉCURSEURS DU MODÈLE LIBÉRAL ET THÉORICIENS DE LA RICHESSE DES NATIONS, DES MARCHÉS LIBRES ET DE LA SPÉCIALISATION INTERNATIONALE ................................... 75 Section 1 : Les analyses du développement et de la croissance chez les classiques ........... 76 I. Problématique théorique du développement ramenée à lřaccumulation productive ..................................................................................................................... 76 II. La question de l’état stationnaire : les risques de crise et de stagnation………………….77 Section 2 : A. Smith fondateur de lřEconomie politique et père spirituel du libéralisme contemporain ................................................................................................... 77 I. Sur quoi repose la richesse dřune nation ?..................................................................... 78 II. Le rôle primordial du marché libre .............................................................................. 79 Section3 : D.RICARDO : la « grosse tête » de lřEcole Classique, la référence de la théorie de la rente et du commerce international ........................................... 81 I. La Théorie de la rente ................................................................................................... 81 3 3 II. Les perspectives à long terme ................................................................................... 83 III. RICARDO découvre le commerce international et formule la loi de lřavantage comparatif ................................................................................................ 83 CHAPITRE 5. ANALYSE MARXISTE : ACCUMULATION PRODUCTIVE, BAISSE TENDANCIELLE DU TAUX DE PROFIT ET SURVIE DU CAPITALISME ....................... 89 Section 1 : Bref rappel des principales thèses de lřanalyse approfondie du stade capitaliste ........................................................................................... 90 I. Les quatre conditions de base pour atteindre lřétape capitaliste : lř «aliénation » des moyens de production .......................................................................................... 90 II. La réévaluation critique de la théorie de la valeur ................................................. 91 Section 2 : Le marxisme comme première pensée critique de lřéconomie politique de lřEcole Classique ........................................................................ 97 Section 3 : Les modèles marxistes de développement ....................................................... 99 I. Le concept dřaccumulation primitive : transition vers le capitalisme ........................ 99 II. Lřalternative socialisme ou voie non capitaliste du développement ....................... 100 Section 4. Deux limites du marxisme originel : la baisse tendancielle et la chute inéluctable du capitalisme ..................................................................... 107 I. Les implications de la deuxième version de la détermination des prix sur la loi de la baisse tendancielle du taux de profit ................................................ 107 II. Pourquoi les sociétés capitalistes ne se sont elles pas effondrées ? Pourquoi « le capitalisme moribond se porte-t-il toujours bien ? » ............................ 109 Section 5. La contribution positive du marxisme à la pensée du développement .…………111 I. Le premier aspect positif de la théorie marxiste est la concentration sur le «surplus» économique : les analyses de P. BARAN et P. SWEEZY .................. 111 II. Un deuxième aspect positif de lřapproche marxiste est sa concentration sur les liens entre politique et économique ............................................................... 112 III. Un troisième aspect positif de la théorie marxiste est la constatation que les «lois» économiques changent avec la société ............................................. 112 IV. La théorie économique marxiste répond à différentes questions que les théories économiques non marxistes nřenvisagent pas .............................. 113 CHAPITRE 6. LA REVOLUTION KEYNESIENNE ET NEO- KEYNESIENNE DE LA CROISSANCE ET DU DEVELOPPEMENT ........................................................................... 115 Section 1 : Lřanalyse keynésienne ...................................................................................... 115 I. La politique dřinvestissement ....................................................................................... 117 II. La politique monétaire de stimulation de lřinvestissement ....................................... 117 III. La politique budgétaire de stimulation de lřinvestissement ...................................... 119 3 3 Section 2 : Lřapproche post-keynésienne du développement et de la croissance .............. 119 I. Le modèle HARROD-DOMAR ....................................................................................... 12 II. Les autres modèles de croissance des autres néo-keynésiens .................................... 122 III. Mise à mort et réhabilitation de la pensée keynésienne ............................................ 124 CHAPITRE 7 : L’ANALYSE NEO-CLASSIQUE : LES NOUVEAUX FONDEMENTS THEORIQUES DU LIBERALISME ET DU LIBRE ECHANGE ................ 125 Section 1 : Les fondements théoriques de lřanalyse néo-classique..................................... 127 Section 2 : Synthèse néo-classique et développement : pourquoi et comment faire une croissance durable ......................................... 129 CHAPITRE 8. THÉORIES STRUCTURALISTES ET INSTITUTIONNALISTES DU SOUS-DÉVELOPPEMENT ET DU DÉVELOPPEMENT : APPROCHES TIERS-MONDISTES ET NÉO- MARXISTES ......................... 133 Section 1 : La première véritable Ecole de pensée économique latino-américaine autour de lřapproche structurale : lřorgane des Nations-Unies, la CEPAL .......... 136 Section 2 : La riposte libérale de lřanalyse du sous-développement : les thèses de C. CLARK à W.W. ROSTOW ....................................................................................................... 137 Section 3: Les néo-marxistes et les formulations dřune approche du développement à la lumière de lřœuvre de Marx ............................................... 139 I. Le capitalisme à la périphérie ou la définition du sous-développement comme une structure plutôt que comme un niveau du revenu par habitant .................... 141 II. Lřaccumulation à lřéchelle mondiale permet dřéviter la chute du capitalisme au Centre .................................................................................................... 143 III/ La question des relations (spécialisation et échange inégal) entre le centre et la périphérie .................................................................................................. 147 Section 4 : Structuralisme et Institutionnalisme ............................................................... 147 I. Vers un renouveau de lřapproche structuraliste et institutionnaliste du développement ...................................................................................................... 148 II. Le rôle des institutions ............................................................................................... 149 III. Lřévolution des thèses structuralistes: le néo- structuralisme .................................. 151 CHAPITRE 9. ENTREMÊLEMENT DES THÉORIES ET MODÈLES DE LA CROISSANCE .............................................................. 154 Section 1 : Rappel des théories de la croissance et des schémas dřaccumulation productive .......................................................................................................................... 156 I. Les théories de la croissance après KEYNES ............................................................... 161 II. Les modèles de croissance endogène ......................................................................... 162 Section 2 : Les facteurs déterminants et mesure de la croissance ....................................... 163 3 3 I. Les déterminants de la croissance ................................................................................ 163 II. Comment mesurer la croissance .................................................................................. 167 Section 3. Le débat sur la croissance au niveau des PSD: croissance déséquilibrée et croissance équilibrée ...................................................................................................... 168 I. La thèse de NURSKSE et ROSENSTEIN-RODAN ..................................................... 168 II. La thèse dřHIRSCHMAN et PERROUX ...................................................................... 169 III. Des critiques de la croissance aux interrogations sur le développement .................. 169 Section 4. Une nouvelle approche de lřéconomie politique du développement : les théories et modèles de la croissance endogène ........................................... 170 I. Le facteur le plus déterminant de la croissance est le capital physique qui se compose de lřinfrastructure de base ........................................................................ 172 II. Le capital humain variable principale de la croissance: Les modèles de ROMER, LUCAS et BARRO ............................................................... 173 Section 5. Les issues de la croissance ................................................................................. 177 Propos d’étape sur la première partie..................................................................... 178 DEUXIEME PARTIE MORPHOLOGIE DU SOUS-DEVELOPPEMENT ET INTRODUCTION AUX OBJECTIFS, STRATEGIES ET INSTRUMENTS DE GESTION………………………………………………………………..181 CHAPITRE 10. LES CARACTERISTIQUES ECONOMIQUES ET NON ECONOMIQUESDU SOUS-DEVELOPPEMENT ............................................... 185 Section 1 : Les Caractéristiques dřune économie sous-développée ................................... 185 I. La première caractéristique est la structure primaire et dualiste .............................. 186 II. La deuxième caractéristique est relative au fonctionnement dřune économie sous-développée ......................................................................................... 188 III. La troisième caractéristique : le sous-développement comme incapacité à briser le « Cercle Vicieux de la Pauvreté » ……………………………………….191 IV. LřApproche marxiste du sous-développement à travers lřanalyse de S. AMIN………………………………………………………………………………………..194 Section 2. Les caractéristiques extra-économiques du développement ............................. 195 I. Les attitudes à lřégard du travail ................................................................................... 199 II. Lřattitude à lřégard du progrès matériel ...................................................................... 199 3 3 III. Lřattitude à lřégard du temps .................................................................................... 200 IV. Lřattitude à lřégard de la corruption ......................................................................... 200 V. Lřattitude à lřégard de lřEtat et du service public ........................................................ 201 Section 3. Techniques de quantification du sous-développement .................................... 204 I. La critériologie ............................................................................................................. 204 II. Les critères de la comptabilité nationale……………………………………………………………205 III. Les critères du développement humain .................................................................... 209 CHAPITRE 11. DEMOGRAPHIE ET URBANISATION ACCELEREE : FREIN OU CHANCE DU DEVELOPPEMENT ............................................................................ 215 Section 1. Les théories et la pratique démographiques ...................................................... 217 I. Les analyses théoriques ................................................................................................218 II. Les analyses natalistes ................................................................................................ 220 Section2. La démographie au niveau mondiale ................................................................. 222 I. Historique de la population humaine…………………………………………………………………222 II. La transition démographique depuis 1950 ................................................................ 223 Section 3. Les tendances démographiques globales en Afrique ........................................ 223 I. Le recul de la mortalité et lřamélioration de lřespérance de vie.................................. 224 II. La transition démographique, conséquence du processus de modernisation économique et sociale……………………………………………………………………………………..225 Section 4. Urbanisation et développement : la ville est-elle encore un facteur de croissance et de développement ?................................... 227 I. Urbanisation accélérée et chaotique en Afrique ......................................................... 227 II. Corrélation entre défis démographiques et crise économique................................... 230 III. La jeunesse de la population africaine est-ce vraiment un atout ? .......................... 230 Section 5. La problématique de la migration internationale ............................................ 232 I. Le phénomène migratoire............................................................................................ 233 II. Les mutations et tendances de la migration internationale ....................................... 234 III. Les effets des mouvements migratoires ................................................................... 236 IV. Les flux migratoires africains .................................................................................... 237 V. La migration interne : cas de lřAfrique de lřOuest ...................................................... 238 VI. Gestion efficace de la migration ................................................................................ 239 CHAPITRE 12. INTRODUCTION GENERALE AUX OBJECTIFS, STRATEGIES ET INSTRUMENTS DE GESTION DU DEVELOPPEMENT ............................................... 242 3 3 Section 1. Les objectifs en matière de développement ...................................................... 243 I. Les objectifs internes .................................................................................................. 243 II. Les objectifs externes ................................................................................................. 245 Section 2. Les stratégies de développement économique : le débat entre anciens et nouveaux économistes, entre orthodoxes et hétérodoxes ............................ 246 I. Les anciennes approches des stratégies de développement ...................................... 246 II. Le Consensus de Washington : lřinstauration dřun modèle dřéconomie de marché 247 III. La nouvelle stratégie de lřémergence dans le contexte africain ............................... 251 Section 3. Les préalables dřune politique de développement ............................................ 255 I. Quel modèle dřindustrialisation ? .............................................................................. 256 II. Les relations entre lřindustrie et lřagriculture ........................................................... 258 III. Les relations économiques internationales dans la stratégie de développement..... 259 Section 4. Fonctions et techniques de la planification, de la prévision et de la prospective au niveau des PSD ................................................................... 261 I. Considérations générales sur le processus de planification ........................................ 262 II. Synopsis des étapes dřélaboration dřun Plan.............................................................. 265 III. Les limites du processus planifié des économies sous-développées ........................ 267 IV. Les limites liées au cadre administratif de gestion du processus planifié ................ 274 Section 5. Lřindispensable réhabilitation de la planification et des études de prospective stratégique ................................................................................. 275 I. La planification, instrument de management des crises et des risques ..................... 275 II. Impérative nécessité dřopérer des études prospectives au niveau national, régional et continental ................................................................................................ 276 CHAPITRE 13. LE RETOUR DE L’ETAT ET DES QUESTIONS DE GOUVERNANCE POUR LA BONNE GESTION DU DEVELOPPEMENT .................................... 278 Section 1. Les aspects institutionnels de la croissance et le retour de lřEtat dans le jeu économique ............................................................. 283 Section 2. LřEtat dans le développement........................................................................... 285 I. Les imperfections du marché et l'affaiblissement du fondamentalisme de marché ..................................................................................................................... 286 II. La réhabilitation et la redéfinition du rôle de l'Etat ...................................................... 289 III. De quelques formes dřEtat acteur principale de la politique économique ................................................................................................................ 291 3 3 Section 3. La décentralisation ou la connexion avec le local ............................................ 293 I. La décentralisation ...................................................................................................... 293 II. L'aménagement du territoire, un impératif du développement africain ................... 294 Section 4. L instauration de la Bonne Gouvernance politique, économique et sociale .... 295 I. La notion de bonne gouvernance ................................................................................. 296 II. Les différents volets de la gouvernance...................................................................... 299 CHAPITRE 14. LIBERALISATION DES ECONOMIES AFRICAINES PAR LES PROGRAMMES D’AJUSTEMENT STRUCTUREL .............................................................. 305 Section 1 : Les fondements théoriques des politiques dřajustement structurel : la recette libérale ............................................................................ 308 I. Le référentiel théorique et les recommandations du consensus de Washington : une épure séduisante ................................................................................ 308 II. Les axes de l'ajustement structurel : les enchainements de lřépure libérale ................ 311 Section 2 : Synoptique des politiques sectorielles .............................................................. 313 I. Dette et ajustement ........................................................................................................ 314 II. La politique commerciale ............................................................................................. 314 III. Les problèmes budgétaires…………………………………………………………………………………314 IV. La politique de change ................................................................................................. 317 Section 3. Les couts sociaux de lřajustement ...................................................................318 Section 4. Limites des politiques d'ajustement et lřamorce du post-ajustement .................. 320 Propos d’étape de la Deuxième Partie………………………………………………………323 3 3