Ce tableau sombre prédit que Kairouan allait connaître, au début du Vème siècle de l’hégire,
une grave régression et annonce que cet édifice allait s’ébranler. Les invasions hilaliennes lui
portèrent le coup de grâce et la ville ne put résister, malgré l ’importance des remparts édifiés
par le prince El Muizz , devant la poussée des tribus hilaliennes, constituées par les Athbaj,
Riah et Sulaym qui la saccagèrent en l’an 449H/1057J.C et chassèrent ses populations. Depuis,
elle ne cessa de péricliter et le flambeau de la civilisation musulmane au Maghreb passa entre
les mains d’autres villes telles que Béjaïa, Fez et Tunis. Les voies commerciales désertèrent la
ville et Kairouan devint un simple vestige du passé.
2.1) Une renaissance relative
Cependant, Kairouan dont la renommée avait atteint les horizons les plus lointains, ne s’était
pas totalement effondrée. Son patrimoine, légué par ses savants et ses théologiens, lui permit
de perpétuer son souvenir et de devenir l’objet d’une vénération particulière. Les Hafsides lui
accordèrent une grande attention. Dès le VIIéme siècle, la ville fut de nouveau protégée par
des remparts d’une longueur de 3kms, mais ils couvraient à peine le un dixième de sa
superficie initiale au moment de son apogée. Al Mustansir et les princes qui lui avaient
succédé se sont occupés du sort de la Grande Mosquée, ils consolidèrent ses murs et
renouvelèrent ses plafonds. Mausolées, marabouts et coupoles, édifiés par des soufis, des
ascètes et des hommes de religion, se répandirent dans la ville lui offrant un cachet d’une
grande spiritualité.
Les habitants y affluèrent, des bédouins s’y installèrent. Les mosquées telles que la Mosquée
d’Ibn Khayrun et la mosquée Al Muallaq se réanimèrent. Les souks, tel le souk des citernes, se
réorganisèrent et les Kairouanais s’adaptèrent au contexte environnant. La ville se transforma
en centre de tannage, de pelleterie et de tissage : elle devint un marché commercial qui
approvisionnait l’arrière pays.
Alors que El Hassen El Ouazzan qui visita Kairouan en 1516, ne remarqua que la misère de ses
habitants qui s’adonnaient au tannage et à la maroquinerie, le Wazir al-sarraj (m.1736)
rapporte dans ses «hulal» à propos de Kairouan: «Nous ne connaissons pas de ville en
Ifriqiyya après Tunis,qui soit plus grande, ses habitants sont les plus savants, les plus habiles et
les meilleurs connaisseurs du négoce.»
Kairouan bénéficia de la sollicitude des Husseinites qui remédièrent à la négligence dont la
ville était l’objet à l’époque des gouverneurs ottomans et des Mouradites, à l’exception de
Hammouda Pacha qui édifia le mausolée du compagnon du prophète.
Si Mourad III se fâcha contre les Kairouanais et rasa leurs demeures, Husseïn Ben Ali prodigua
une attention particulière à Kairouan en reconstruisant ses remparts et en édifiant la Medersa
Husseinite. Ses successeurs suivirent son exemple en signe de reconnaissance pour la position
prise par la ville, lors de la rébellion de Ali Pacha. Le voyageur français Des Fontaines qui visita
la ville en 1784, note qu’elle était «la plus grande du royaume après Tunis. Elle est même
mieux bâtie et moins sale que celle-ci. Le commerce de Kairouan consiste principalement en
pelleteries que les habitants savent employer à divers usages. On y fait des brides, des selles,
des souliers à la mode du pays. Ils fabriquent aussi des étoffes de laine appelées baracan. Le
peuple y mène une vie plus heureuse que partout ailleurs. »