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ARTICLES FLE FDLM (1)

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« La langue, premier véhicule de la
diversité culturelle »
Posté le 10 mai 2020 par le français dans le monde
Dans le contexte de crise actuelle liée à l’épidémie de coronavirus, votre
revue a décidé de mettre chaque jour en ligne, depuis le 20 mars – journée
de célébration de la francophonie – et tous les jours à midi, un article du «
Français dans le monde » en libre accès. Aujourd’hui, l’entretien
d’ouverture du dossier « Langue française et action culturelle : le duo
gagnant », à retrouver dans le numéro 425 de de septembre-octobre 2019.
Bonne lecture à toutes et tous !
Délégué général à la langue française et aux langues de France
(DGLFLF), Paul de Sinety occupe un poste privilégié pour
observer, et agir, sur les interactions entre langue française et
culture, en France comme en dehors. Entretien avec un homme de
culture qui défend sa langue, la francophonie et le plurilinguisme.
La DGLFLF a un programme nommé « action culturelle et langue
française » : en quoi consiste-t-il ?
C’est un appel à projets sur le territoire
national. Il s’adresse à toute structure, issue souvent du monde associatif, qui
accompagne à travers des projets culturels des populations en position de
fragilité linguistique (publics allophones ou touchés par l’illettrisme) pour une
meilleure maîtrise de la langue. En effet, la langue constitue la première porte
d’accès à la culture. C’est pour cela, selon la feuille de route que m’a donnée le
ministre de la Culture Franck Riester, que le Délégation doit replacer la politique
de la langue française et des langues de France au cœur de nos poli- tiques
publiques. Cet appel à projets en offre une expérimentation vertueuse. À
travers 150 actions soutenues chaque année, il contribue ainsi à renforcer la
cohésion sociale de notre pays, prenant pleinement en compte une certaine
réalité des territoires et des fractures sociales. Pour le ministère de la Culture,
on comprendra que le sujet est central.
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Vous avez coécrit, avec l’un de vos prédécesseurs, Xavier North, un
rapport sur les artistes issus des mondes francophones (voir FDLM 421,
p. 26-27). Peuvent-ils aider les Français à se sentir plus intégrés à la
francophonie ?
Oui, et pourtant lorsque l’on voit l’attachement que les Français portent à leur
langue, on peut mesurer aujourd’hui quels bénéfices ils tire- raient à avoir
conscience que leur langue n’est plus uniquement inscrite dans un hexagone
mais qu’elle s’étend sur les cinq continents. Encore aujourd’hui, les Français se
disent trop souvent : « Les francophones, ce sont les autres. » Ils ne se sentent
pas nécessairement définis par cette francophonie. Or cette francophonie
s’ancre d’abord dans une langue mondiale et en partage, parlée par plus de
300 millions de locuteurs aujourd’hui. C’est tout l’enjeu du plan d’action proposé
par le président de la République « Une nouvelle ambition pour la langue
française et le plurilinguisme », le 20 mars 2018, sous la coupole de l’Institut de
France. Le ministère de la Culture est fortement associé à plus des deux tiers
des recommandations. La DGLFLF pilote notamment le formidable projet de
plate-forme du Dictionnaire des francophones (dont le conseil scientifique a été
confié à Bernard Cerquiglini) qui proposera, dès septembre, un accès à plus de
400 000 termes des variétés du français. Mais le projet le plus ambitieux, à mes
yeux, demeure la fondation d’une Cité internationale de la langue française, à
Villers-Cotterêts, pour faire découvrir à l’ensemble de nos concitoyens la
formidable richesse et l’exceptionnel potentiel de la francophonie. Ce projet
confié au Centre des monuments nationaux engage fortement la DGLFLF à un
travail passionnant de pédagogie et de créativité.
Se « sentir » francophone pour un Français, c’est donc s’ouvrir à la
diversité culturelle ?
Paul de Sinety
Promouvoir la francophonie en France fait partie des priorités de la DGLFLF : il
s’agit de mieux accueillir, en français, la diversité culturelle. Et c’est
probablement aussi s’adresser à des publics qui n’ont pas forcément l’habitude
de fréquenter nos salles de spectacles. Dans notre rapport, avec Xavier North,
nous avons proposé des mécanismes en France de mises en réseaux
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francophones, facilitant les résidences, les productions et les diffusions
d’auteurs et de créations francophones. Sont notamment mobilisés, sous
l’impulsion de la Direction générale de la création artistique, l’Office national de
la diffusion artistique, l’Institut français, la Chartreuse de Villeneuve lez Avignon,
le Festival des francophonies à Limoges ou la Cité internationale des arts de
Paris. La Saison Africa 2020 doit également contribuer à cette ouverture
comme à cette reconnaissance nécessaire de la diversité culturelle qui
s’exprime au sein même de notre pays.
Pourquoi ces questions sont- elles parfois difficiles à aborder ?
Parce que notre mémoire a du mal à se réconcilier avec elle-même à travers
les questions postcoloniales. Il y a aussi les questions de la solidarité Nord/Sud,
de l’accueil des migrants en France et en Europe. Je suis convaincu que
l’amélioration de l’accueil de la francophonie en France, notamment dans le
domaine culturel, ouvre un dialogue sur les sujets mémoriels comme sur les
sujets tragiques de l’actualité. Par la culture, c’est toujours mieux que par
l’idéologie.
Apprendre le français hors de France amène-t-il à découvrir les cultures
francophones ?
La culture vient toujours de la diversité. Il n’y a pas de culture sans diversité, ce
n’est pas possible. La langue est le premier véhicule de la diversité culturelle. À
partir du moment où elle est autant partagée sur cette planète et où elle
s’exprime dans une telle variété, la langue française contribue à un
enrichissement formidable. Et les cultures elles-mêmes l’enrichissent de par
leur diversité. Accéder à la langue française pour un public étranger, c’est
accéder à la France, certes. Mais c’est aussi accéder aux horizons du monde.
D’Afrique en Amérique du Nord en passant par l’Asie du Sud-Est. Et cette
ouverture doit permettre, par la langue en partage, de constituer de nouveaux
réseaux. C’est une opportunité formidable dans le contexte de la
mondialisation. Le défi aujourd’hui est de travailler sur ces réseaux, de pouvoir
les accompagner et de favoriser leur développement.
Pour les étrangers, apprendre le français peut donc apporter une réelle
ouverture internationale ?
Si l’on est aujourd’hui étudiant dans une école de commerce en Argentine (a
fortiori en Chine), on n’apprend pas le français seulement parce que l’on est
intéressé par des perspectives de marché en France ou en Belgique, mais
aussi parce que l’on peut trouver des débouchés en Afrique ou dans l’océan
Indien. Le marché de la francophonie, qui est mondial, n’est pas assez quantifié
économiquement. Or, la francophonie ouvre un espace de négociations et
d’affaires qui peut être considérable si l’on sait l’exploiter. Là encore, la
constitution de réseaux francophones trace une piste intéressante.
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Le jeu vidéo « Romanica »
Langue et culture ne sont-ils pas inséparables, comme le recto et le verso
d’une même feuille ? L’une ne va pas sans l’autre. La langue française est
une langue de culture. C’est une langue d’usage, mais en même temps une
langue de culture. Une langue qui s’exprime dans le domaine des idées, de la
science, de la fiction, de la poésie et qui aide égaement à passer un marché,
d’une région du monde à l’autre, pour vendre des céréales par exemple… Cette
double spécificité, d’autres grandes langues ne l’ont pas. Il faut toujours
accompagner l’apprentissage de la langue dans sa dimension stricte- ment
linguistique par la promotion de la culture, c’est fondamental pour le français.
Mais cette démarche passe aussi par la promotion et la reconnaissance des
autres langues et du plurilinguisme.
Avec le jeu vidéo « Romanica » (voir FDLM 424, p. 46-47), nous avons ainsi
mis l’accent sur l’intercompréhension des langues romanes. Le jeu vidéo fait
partie des productions culturelles et créatives qui touchent aujourd’hui le plus
les jeunes dans le monde. La France a une excellence dans ce domaine. Le
succès rencontré par « Romanica » doit nous encourager à développer de
nouveaux outils numériques et des applications ludiques. Mon objectif est que
d’ici 2022, avec l’ensemble des partenaires francophones, la Toile soit
réinvestie en français avec des réseaux sociaux rajeunis et animés par des
nouveaux « influenceurs de la langue française ».
Propos recueillis par Sébastien Langevin
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Texte 02
Continuer la classe en période de
confinement
Posté le 17 avril 2020 par le français dans le monde
Dans le contexte de crise actuelle liée à l’épidémie de coronavirus, votre
revue a décidé de mettre chaque jour en ligne, depuis le 20 mars – journée
de célébration de la francophonie – et tous les jours à midi, un article du «
Français dans le monde » en libre accès. Aujourd’hui, un texte inédit
d’Aurora Peña Méndez, professeure de français à Vilalba, en Espagne.
Pour faire le plein d’initiatives en période de « classe virtuelle ». Bonne
lecture (et bon courage) à toutes et tous !
De nouveaux mots débarquent en force dans le contexte sociolingüistique du
FLE. Encadrés par un bouleversement planétaire, dans le champs lexical de la
maladie, de nombreux articles, documentaires, émissions spéciales – à la radio,
à la télé, sur Internet – avertissent, renseignent, alertent, enquêtent sur la
nouvelle pandémie du Covid-19.
Dans un contexte où plus d’un tiers de la population mondiale, selon l’ONU, est
confinée (mot dorénavant habituel), l’éducation scolaire prend un tournant. Les
pays les plus touchés ferment leurs écoles physiquement parlant mais, bien
heureusement, pas virtuellement. La plupart des élèves scolarisés des pays
développés ont accès aux nouvelles technologies via leurs téléphones
portables et leurs ordinateurs et s’en servent déjà quotidiennement.
Des pages web gratuites telles que www.lepointdufle.net ou des applications
mobiles gratuites comme celle de TV5Monde
(https://apprendre.tv5monde.com/fr/article/lapplication-mobile-apprendre-avectv5monde) permettent au sein d’une classe virtuelle aux élèves d’acquérir une
certaine autonomie dans leur apprentissage, suivi de près par leurs
professeurs. Les réseaux sociaux tels que Facebook, Instagram, WhatApps,
Messenger, YouTube, etc., permettent aussi de jouer un rôle dans
l’apprentissage immédiat du français, dans l’intéraction instantanée. En temps
de confinement, voici quelques références classées par thématiques :
Actualité :
Brut. Un média en ligne français indépendant à destination principalement des
jeunes, sous format de courtes vidéos d’analyses et d’entretiens ainsi que
de lives (directs), habituellement sur Facebook. Faire participer les apprenants
à l’actualité : résumer par écrit des vidéos, ou bien en commentaire des sujets
exposés à rendre par courriel au professeur ou à l’ensemble de la classe
virtuelle.
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Cuisine :
Cook&Record, Marmiton ou Cuisine AZ permettent de travailler des recettes de
cuisine en français avec nos élèves du point de vue de la culture comme des
compétences linguistiques. Les étudiants peuvent les préparer à la maison et
créer un tutoriel vidéo sur leur téléphone portable qui leur permettra de
pratiquer l’expression orale tout en apprenant à réaliser des bons petits plats J
Musique :
Raptoonn sur Instagram, des extraits de dessins animés de Disney posés sur
des refrains de rap français. Souvent drôle et très bien fait. Idéal pour connaître
des expressions familières (parfois un peu trop !) à réutiliser dans d’autres
contextes par écrit ou à l’oral en mini-dialogues.
Sur Instagram et Facebook, l’initiative #ensembleàlamaison, permet de vivre
quelques « Concerts Live » improvisés par des artistes : M Pokora, Aloïse
Sauvage, Matthieu Chedid, Jean-Louis Aubert… Écouter, rechercher des
musiques, des chansons, des chanteurs et musiciens sur les réseaux. Partager
avec le groupe classe virtuelle.
Sur arte.tv, écoutez Les Indes Galantes de Rameau à L’Opéra de Paris
Histoire :
Dans la rurique Histoire d’arte.tv, ne ratez pas « Les Espionnes racontent »,
des épisodes vidéo de 5-6 minutes qui reviennent en animation sur l’histoire
d’une espionne. Exercices de compréhension orale avec questions du
professeur.
Secrets d’Histoire, l’émission de France Télévision, a sa chaîne YouTube. Les
élèves peuvent choisir un documentaire, le résumer et ensuite en créer un autre
en faisant des recherches sur l’époque de l’Histoire de France choisi. Ils
pourront ainsi expliquer par écrit ou à l’oral l’histoire d’un personnage important
de leur choix. Avec possibilité d’un exposé écrit ou oral, vidéo ou travail écrit,
envoyé ensuite au groupe classe virtuelle.
Création, interaction :
Sur YouTube, prenez exemple sur Elia Blanc et son journal d’un adolescent
confiné. Ton satirique, humoristique. Relever le sujet d’actualité des jours et
enregistrer son propre journal en racontant sa journée sur la caméra du
portable. À partager avec le professeur et ses camarades de classe sur un
groupe de travail, WhatsApp ou équivalent.
En s’inspirant de la page de Cuarentena Film Festival sur Instagram, créer un
court-métrage de 2 minutes maximum sur le thème « Je reste à la maison ».
Parler d’un souvenir, d’un voyage en montrant des photos, faire un jeu en
français, parler avec sa sœur ou son frère ou une personne de sa famille,
décrire sa maison, les vêtements de son armoire ou de celle de son frère ou sa
sœur, faire parler ses jouets ou ses animaux de compagnies….
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Jeux
Jeux vidéo : http://www.jeuxvideo.com ou sur Instagram jvcom. Outils
d’information à destination des joueurs : actualités, dossiers, tests de jeux
vidéo, forums modérés…
Jeux pour la coopération, pour des séances gaming entre amis avec Portal 2
Jeux de lettres, comme le Scrabble Go.
Dans le cadre du temps du confinement, il existe plein initiatives merveilleuses
via le mot-dièse de rassemblement virtuel #restezchezvous : de nombreuses
librairies, maisons d’éditions, bibliothèques, ainsi que différents sites Internet
proposent le téléchargement gratuit de livres, de BD, de concerts, d’interviews,
de documentaires, de jeux… permettant ainsi aux jeunes de s’épanouir, de
s’amuser, de faire des rencontres, de découvrir, d’apprendre et de rêver.
A noter également, l’ouverture d’une page Facebook de la Francophonie
solidaire au temps du Covid-19
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TEXTE 03 :
Mettre en pratique la grammaire de
l’oral
Posté le 16 avril 2020 par le français dans le monde
Dans le contexte de crise actuelle liée à l’épidémie de coronavirus, votre
revue a décidé de mettre chaque jour en ligne, depuis le 20 mars – journée
de célébration de la francophonie – et tous les jours à midi, un article du «
Français dans le monde » en libre accès. Aujourd’hui, l’article
EXPERIENCE de Suzanne Fradette, à retrouver dans le numéro 421 de
janvier-février 2019. Bonne lecture (et bon courage) à toutes et tous !
Comment mettre l’accent sur l’interaction langue-discours dans l’enseignement
et sur l’interaction situation de communication-langue ? Par une mise en
pratique de la grammaire de l’oral.
Grammaire au sens traditionnel, grammaire de l’oral, qu’est-ce qui les unit et
qu’est-ce qui les distingue ? La grammaire au sens traditionnel est un ensemble
de catégories, de règles et de cas particuliers qui régissent la syntaxe et le
code orthographique de la langue. La grammaire de l’oral est un ensemble
d’éléments linguistiques et de régularités qui sont transférables et applicables à
des situations de communication orale diverses et qui sont communs à l’espace
francophone.
La terminologie grammaire de l’oral est peu présente dans la littérature qui
traite de la didactique du français, particulièrement dans les publications portant
sur la compréhension et la production orales pour les personnes non
francophones. Par ailleurs, on s’interroge dans ces ouvrages sur la pertinence
d’une grammaire de l’oral, alors qu’il y a parallèlement des tentatives d’en
identifier les composantes. L’argument qui revient alors est que l’oral ne peut
être normé au même titre que la grammaire envisagée traditionnellement, entre
autres, en raison des variations linguistiques dans l’espace francophone. Sous
cet angle, la relation grammaire et oral devient par conséquent improbable.
Or, nous pensons qu’il convient de faire plutôt ressortir les éléments communs
et non les variations. La nécessité d’aller plus loin s’impose alors : c’est une
proposition, c’est un risque assumé.
Partir du dialogue
Le dialogue s’intègre à une situation de communication, offre un modèle de
communication réaliste, s’inscrit dans un modèle conversationnel. Il se prête à
une application dans des activités d’enseignement/apprentissage.
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En didactique des langues, le dialogue est un support contextuel privilégié.
Associé avant tout aux arts théâtral, cinématographique et romanesque, il en
reflète les principes organisateurs dans l’enchaînement réglé des répliques et
dans le caractère fictionnel de la situation : des tours de parole qui sont définis
et assignés, une réalité qui est simulée.
Le dialogue fait également partie du monde réel : celui entre autres des médias,
des relations professionnelles et de la vie quotidienne. Il s’agit de situations de
communication dont l’échange s’inscrit dans une forme de régularité à laquelle
les interlocuteurs se soumettent naturellement et y participent afin de créer des
échanges signifiants. Pour ces raisons, les pôles fictionnel et réel sont ici
réunis.
La situation de communication conditionne et détermine le choix des éléments
linguistiques que doit effectuer le locuteur. La langue intègre la situation de
communication qu’elle reflète. La transmission d’un message présuppose une
interaction entre un émetteur et un récepteur que nous désignons ici sous
l’étiquette d’interlocuteurs. La transmission du message se fait sous forme
d’échange auquel les interlocuteurs participent volontairement. Cet échange,
qui est interactif, vise l’élaboration d’une communication porteuse de sens et
satisfaisante. Le discours émerge de l’association situation de
communication/langue. C’est dans cet environnement d’apprentissage que
l’élève, par le biais d’une langue qui lui est étrangère, doit créer un monde de
références autre que celui dans lequel il évolue habituellement. De ce fait, il doit
apprendre comment faire partie de la conversation de manière signifiante,
comment y contribuer. La structure en réseaux d’interaction du dialogue et de la
conversation représente en soi autant de filtres à la compréhension, de bruits
cognitifs auxquels l’élève est confronté dans une situation réelle de
communication. L’élève doit intégrer des savoirs, en particulier des
connaissances explicites qui sont associées à des situations de communication.
« L’élève doit apprendre comment faire partie de la conversation de
manière signifiante, comment y contribuer »
De la théorie à la pratique
C’est la raison pour laquelle l’ouvrage La grammaire de l’oral : une grammaire
pas comme les autres propose une réflexion et des pistes d’exploitation afin de
répondre à ce questionnement : comment mettre l’accent sur l’interaction
langue/discours dans l’enseignement et sur l’interaction situation de
communication/langue ?
Cinq composantes touchant la langue et la communication sont
ciblées : représentation de la chaîne parlée ; chaîne parlée ; structure
dialogique; communication et interjection ; communication non verbale.
Pour chacune des composantes, on établit le passage du quoi au comment,
soit de la théorie à la pratique, en respectant la séquence suivante : un cadre
théorique adapté, une application du cadre théorique et des suggestions, qui
ouvrent sur une exploitation élargie du contenu pour la salle de classe.
Précisons que le développement des composantes est soutenu par un souci
d’exemplification afin de favoriser la compréhension du contenu et son
intégration le cas échéant dans la pratique pédagogique.
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Suzanne Fradette est aujourd’hui consultante. Elle a été professeure à l’Université de
Montréal, au Québec (Canada). Son site : www.suzannefradette.com
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TEXTE 04 :
« Avec la francophonie, le travail des
enseignants est moins facile mais plus
passionnant »
Posté le 26 mars 2020 par le français dans le monde
Dans le contexte de crise actuelle liée à l’épidémie de coronavirus, votre
revue met en ligne tous les jours à midi, depuis le 20 mars – journée de
célébration de la francophonie –, un article du « Français dans le monde »
en libre accès. Aujourd’hui, l’entretien avec Bernard CERQUIGLINI,
linguiste, recteur honoraire de l’Agence universitaire de la Francophonie
et ancien Délégué général à la langue française et aux langues de France.
Un entretien à retrouver dans notre dossier consacré à « ENSEIGNER LES
FRANCOPHONIES » du numéro 428 de mars-avril 2020. Bonne lecture (et
bon courage) à toutes et tous !
Les différentes variétés du français de la francophonie représentent un défi
pour les enseignants de français qui souhaitent les intégrer dans leurs cours.
Retour sur cette mondialisation de la langue française, sa construction et ses
enjeux avec le linguiste Bernard Cerquiglini. (Propos recueillis par Sébastien
Langevin.)
En tant que linguiste, quel regard portez-vous sur la francophonie ?
Bernard Cerquiglini : Nous assistons au triomphe
paradoxal de Rivarol ! En 1783, l’académie des sciences et des belles lettres de
Berlin lance un concours de dissertations. Elle propose le sujet suivant : «
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Qu’est-ce qui a rendu le français universel ? » L’académie donne le prix au
Français Antoine de Rivarol ainsi qu’à un Allemand du nom de Schwab, qui a
produit une dissertation très sérieuse. Il explique que cette langue est devenue
universelle parce que Louis XV a gagné des batailles, parce qu’il y a Voltaire et
Rousseau… Mais tout le monde raconte en France que notre Rivarol a eu seul
le prix. Lui explique cette langue est universelle parce que c’est la langue de la
clarté, la langue de l’espèce humaine, c’est « la langue même », selon lui. Et au
fond, les Français ont été rivaroliens pendant longtemps. Le rivarolisme, c’était
le paradigme de la réflexion sur le français : les qualités intrinsèques de clarté,
d’élégance, le purisme…
Pourquoi la francophonie serait-elle donc « le triomphe paradoxal de
Rivarol » ?
Que voulait dire universel à l’époque ? D’une part, une universalité en Europe,
et d’autre part dans les salons. En France même, qui parle le français en 1783
? Les villes. Les campagnes parlaient les langues régionales. Et l’Europe des
savants, des intellectuels : c’est un universalisme relatif. Le triomphe de Rivarol,
c’est que désormais on peut dire que le français est vraiment universel. En
France, tout le monde parle français. Et en Europe, il y a plus de gens qui
parlent français qu’à l’époque de Rivarol. Et puis c’est surtout le cas dans le
monde entier : l’Organisation internationale de la Francophonie dénombre 300
millions de locuteurs partout dans le monde. Cet idiome est mondial, et c’est
une langue de commerce, de vie quotidienne, de culture, de travail… Antoine
de Rivarol a été dépassé par son propre succès.
« L’OIF dénombre 300 millions de locuteurs partout dans le monde. On a
une langue qui est mondiale, et c’est une langue de commerce, de vie
quotidienne, de culture, de travail… Donc Rivarol a été dépassé par son
propre succès. »
Le rapport à la norme parisienne a-t-il été modifié au fil du temps ?
Ni Rivarol ni l’académie de Berlin n’avaient imaginé que le français allait devenir
une langue vivante et naturelle, dans le monde entier, et qu’elle développerait
des variantes dans l’indifférence absolue à la norme parisienne. Or, c’est cela la
force du français : sa vitalité et sa diversité. Tout le paradoxe, c’est que le
français de France devient minoritaire. Il serait intéressant de savoir quand les
Français sont devenus minoritaires en francophonie : sans doute au cours du
XXe siècle. Les Français et les Belges, car il ne faut pas oublier que le berceau
du français, selon moi, c’est la France du Nord et la Belgique du Sud. Les
variétés française et belge sont dépassées par des variétés autres qui
progressent, qui inventent des mots…
Cette diversité du français n’est-elle pas difficile à enseigner ?
Quel français enseigne-t-on ? Et à qui ? On enseigne à des jeunes gens qui ne
vont pas aller seulement à Paris, et encore, dans les salons : à Belleville, on ne
parle pas le français de l’Académie. Grâce aux grammairiens du XVIIe siècle, on
a solidifié la langue française : il n’y a pas de grandes différences syntaxiques
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entre les variétés du français. On peut donc ouvrir l’enseignement à la variété.
Et puis, il faut être cohérent : la francophonie, c’est la diversité. Comment
pourrait-on vanter la diversité et n’enseigner que la norme parisienne ? Il
faudrait des méthodes pédagogiques ouvertes à la variation, c’est un nouveau
chantier. Mais grâce à Internet désormais, il est très facile de voir un film
québécois ou africain sur son téléphone ! Avant, la francophonie, c’était de
l’exotisme, au mieux. Maintenant, c’est la réalité.
« La langue est vivante, elle bouge. Le travail des enseignants est moins
facile, mais plus passionnant. Moins facile car il faut enseigner les
variétés, la règle est moins intangible. Mais plus passionnant car on peut
faire écouter à des élèves des extraits de conversation québécoise ou
congolaise »
Peut-on aller jusqu’à dire qu’il existe « des » langues françaises ?
Comme beaucoup de langues, le français existe en variétés. On peut
difficilement parler « des langues françaises » car une langue se définit par un
certain nombre de traits. Et quel que soit le français, qu’il soit québécois, belge
ou dakarois, il a les mêmes traits qui le distinguent de l’italien, certainement la
langue la plus proche. C’est une même langue, donc, mais avec des variétés,
qui ont même dignité. Il faut enseigner que la langue dans sa réalité est faite
d’une partie fixe, comme la syntaxe ou la morphologie verbale. Et puis elle est
faite d’une partie variable, la phonétique – les accents, l’intonation –, le
vocabulaire… La langue est vivante, elle bouge. Le travail des enseignants est
moins facile, mais plus passionnant. Moins facile car il faut enseigner les
variétés, la règle est moins intangible. Mais plus passionnant car on peut faire
écouter à des élèves des extraits de conversation québécoise ou congolaise
par exemple.
Concernant le lexique, comment appréhender les néologismes
francophones qui sont légion ?
On n’invente pas de mots n’importe comment : en fait, il y a une néologie
francophone très dynamique qui respecte les règles de la néologie. Par
exemple, la conjugaison des verbes du premier groupe, en « -er » produit
naturellement de très nombreux verbes, alors que la norme française utilise des
périphrases. Par exemple, en Suisse : « agender un rendez-vous », pour
« inscrire dans un agenda ». Et même « agender une réunion », ou « réagender
une réunion ». En Afrique, « siester » pour « faire la sieste », « gréver » pour
« faire la grève »…. C’est ce que j’appelle les francophonismes universels,
c’est-à-dire que l’on comprend avec les règles du français ce que chaque
francophone a en tête. C’est l’inverse des régionalismes, incompréhensibles
pour qui ne les connait pas. C’est à la fois du stable et du variant. Du variant,
car le mot n’existait pas, et du stable car nous avons tous les mécanismes
linguistiques pour comprendre. Parler une langue, c’est aussi comprendre
comment on forme de nouveaux mots. C’est l’une des vitalités du français. Il
existe des francophonismes universels virtuels.
« Nous avons l’intention de montrer les différentes variétés du français, et
c’est possible avec un outil numérique. (…) l’idée première est donc de
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faire un wiki collaboratif le plus large possible : nous avons tellement été
puristes… »
Vous conseillez le Dictionnaire des francophones : quel est le but de ce
nouvel outil de référence ?
Le président français Emmanuel Macron a beaucoup insisté sur le monde
francophone lors de son discours du 20 mars 2018. Il a une formule qui
ressemble à du Édouard Glissant : « Le français s’est au fond émancipé de la
France. Il est devenu cette langue-monde, cette langue-archipel. » Réflexe
français, il a commandé un dictionnaire. On m’a demandé de constituer le
comité scientifique et de le présider. Ce sera un dictionnaire en ligne et donc
évolutif. Il a deux caractères principaux : d’une part, il sera cumulatif pour
reprendre ce qui existe déjà, et surtout il mettra toutes les variétés du français
sur un pied d’égalité. Il y aura des bases françaises, belges, africaines,
québécoises, dès son lancement. Et troisième chose, ce sera un dictionnaire
collaboratif. Chacun avec son téléphone pourra entrer des mots qu’il aime, qui
ne se pratiquent que dans son environnement. Le mot d’ordre sera : « Rentrez
vos mots ! » Nous avons l’intention de montrer les différentes variétés du
français, et c’est possible avec un outil numérique. Dans un premier temps, il
s’agit de rassembler le plus de vocabulaire possible. Ensuite, il nous faudra tout
de même filtrer toutes ces données, avec des experts. Mais l’idée première est
de faire un wiki collaboratif le plus large possible : nous avons tellement été
puristes…
Bernard Cerquiglini, « Enrichissez-vous : parlez francophone ! Trésors des
expressions et mots savoureux de la francophonie », Larousse, 2016
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