L'Hériteau Marie-France. Endettement et ajustement structurel la nouvelle canonnière.

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Tiers-Monde
Endettement et ajustement structurel : la nouvelle canonnière
Marie-France L'Hériteau
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L'Hériteau Marie-France. Endettement et ajustement structurel : la nouvelle canonnière. In: Tiers-Monde, tome 23, n°91,
1982. pp. 517-548;
doi : https://doi.org/10.3406/tiers.1982.4141
https://www.persee.fr/doc/tiers_0040-7356_1982_num_23_91_4141
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ENDETTEMENT
ET
AJUSTEMENT
STRUCTUREL
LA
NOUVELLE
CANONNIÈRE
par
Marie-France
L'hériteau*
L'endettement
du Tiers
Monde
est
un
sujet
d'alarme depuis
déjà
plusieurs
années,
et
alimente
deux
grands
axes
de
critiques.
Pour
une
grande
partie de
l'opinion,
notamment
tiers
mondiste,
la
croissance
rapide
de
la
dette,
son
importance
démesurée
par
rapport
à
des
économies
naissantes,
les
difficultés
de
son
remboursement
constituent
un
fardeau
supplémentaire
pour
les
pays
en
développement.
Le
service
de
la
dette
apparaît
alors
comme une
nouvelle
perte de
substance,
s'ajoutant
au
caractère
défavorable
des
termes
de
l'échange,
pour
des
économies
qui
doivent
y
consacrer
une
partie
notable
de leurs
recettes
d'exportations.
Pour
d'autres
au
contraire,
si
problème
il
y
a,
ce
n'est
pas
celui des
pays
emprunteurs
qui
trouvent
dans
l'endettement
une
source
indispensable
de
financement
de
leur
développement.
La
vraie
question
se
pose
plutôt
du côté
des
banques
prêteuses
et
concerne
les
difficultés
financières
auxqueUes
elles
s'exposent
en
cas
de
défaillance
des
débiteurs.
Les
banques,
en
effet,
finissent
toujours
par
devoir
accepter
l'accumulation
d'arriérés
de
paiement
et
le
report
des
échéances, la
faillite
étant
une
procédure
mal
adaptée
au
cas
d'un
pays
dans
son
ensemble
et
la
politique
de
la
canonnière
étant
depuis
longtemps
révolue. C'est
ce
deuxième
point
de
vue
qui
ressort
de
la
lecture de
la
presse
financière
internationale,
plus
préoccupée
des répercussions
en chaîne
d'un
défaut de
paiement
que
du
souci
que
donnent
au
pays débiteur
les
échéances
de
sa
dette.
Cependant
un
aspect du
problème
de
l'endettement
est
trop
souvent
laissé
de
côté
par
l'une
et
l'autre
approche
:
c'est
celui
du
coût
de
la
dette,
non
pas
seulement
en
termes
de
flux
financiers,
mais
en
termes
de
struc-
*
Maître-Assistante
à
l'Université
de
Paris
I,
iedes.
Bévue
Tiers
Monde,
t.
XXIII,
91,
Juillet-Septembre
1982
5
l8
MARIE-FRANCE
l'hÉRITEAU
ture
imposée.
Car
si
la
politique
de
la
canonnière
a
fait
son
temps,
ce
qu'il
est
convenu d'appeler
la
«
communauté
internationale
»
a
trouvé
d'autres
moyens
de
faire
respecter
ses
règles
du
jeu,
et
même
de
faire
entrer
dans
le
jeu
de
nouveaux
partenaires,
plus
ou
moins
volontaires.
C'est
cet
aspect
de
l'endettement
qu'il
s'agit
d'aborder
ici
en
portant
sur
la
dette
un regard
qui,
au-delà
de
ses
aspects
strictement
financiers,
cherche
à
voir
de
quel
avenir
elle
est
porteuse,
quel
type
de
développement
elle
véhicule,
lorsque
la
canonnière
porte
le
beau
nom
de
Fonds
monétaire international.
DETTE,
RENÉGOCIATIONS,
ET
ROLE
DU
FMI
Caractéristique
de
la
dette
Contrairement
à
une
idée
répandue,
l'aggravation
récente
du
problème
de
l'endettement
des
pays
en
développement
ne
réside
pas
essentiellement
dans
sa
croissance
en
volume,
mais
dans
l'évolution
de
ses
modalités.
L'examen
de
quelques
grandeurs
caractéristiques
permet
en
effet
de
relativiser
les
dimensions
spectaculaires
du
problème
et
de
mieux
situer
ses
implications
réelles.
Certes,
entre
1971
et
1980,
l'encours
de
la
dette
des
pvd
a
quintuplé,
passant
de
78
milliards
de
dollars
us
à
439
milliards1,
avec
un
taux
de
croissance
annuel
moyen de
21
%,
bien
supérieur
à
celui,
de
l'ordre
de
14
%,
prévalant
dans
les
années
i960.
Mais
il
saute
aux
yeux
que
ce
différentiel
des
taux
de
croissance
est
inférieur
à
la
différence
des
taux
d'inflation
entre
les
deux
périodes
et,
ramenée
en
termes
réels,
la
croissance
de
la
dette
est
de
l'ordre
de
9
%
par
an dans
les
années
70
contre
12
%
par
an
dans
la
décennie précédente
:
il
s'agit
alors
non
plus
d'un
emballement
mais
d'une
décélération
de
l'endettement
dans
la
période
récente.
En
passant
des
grandeurs
nominales
aux
grandeurs
réelles
on
donne
au
phénomène
un
éclairage
différent.
De
même,
selon
les
variables
macro-économiques
auxquelles
on
rapporte le
volume
de l'endettement,
obtient-on une
appréciation
différente
de
son
poids
dans
les
économies
des
pays
en
voie
de
développement.
Ainsi, en
comparant
le
montant de
la
dette
à
celui
du
pnb
des
pays
du Tiers
Monde
on
revient
à
une vision
plus
alarmante
:
le taux
de
croissance
de
l'endettement
ayant
été
largement
supérieur
à
celui
des
pnb,
c'est
un
alourdissement
du
ratio
que l'on
observe,
de
12,3
%
en
1970
à
17,8
%
en
19792.
Mais
là encore
l'éclairage
1.
Banque
mondiale
"Rapport
sur
le
développement
dans
le
monde,
1981.
2.
Banque
mondiale,
Rapport
sur
le
développement
dans
le
monde,
1981.
LA
NOUVELLE
CANONNIÈRE
519
change
si
l'on
prend
pour
référence
non
plus
le
pnb
mais le
volume
des
exportations
de pays considérés3.
Le
rapport
de
la
dette
au
volume
des
exportations
était
passé
de 48
%
à
122
%
entre
i960
et
1970,
conséquence
à
la
fois
d'une
forte
croissance
de
la
dette
et
d'une
détérioration
des
termes
de
l'échange
des
pays
en
voie
de
développement
dans
la décennie.
Il
connaît
au
contraire
une
tendance
à
la
baisse
dans
les
années
1970
:
après
une
forte
chute,
à
68
%,
en
1974,
provenant
essentiellement
d'une
revalorisation
du
prix
des
matières
premières
en
1972
et
1973,
il
se
situe
à
97
%
en
1979.
C'est donc
plutôt
un
allégement
du
poids
de
la
dette
par
rapport
au
volume
des
exportations
que
l'on
observe
dans
la
dernière
décennie
:
les
exportations
des
pvd
ont
augmenté
plus vite
que
l'endettement
et
cette
relation,
qui
est
d'ailleurs,
on
le
verra,
une
conséquence
obligée
de
l'endettement4
donne
un
éclairage
plus
optimiste
au
problème
de
la
dette
dans la
mesure
s'améliore
le rapport
entre
les
recettes
de
devises
nécessaires
au
remboursement
(volume
des exportations)
et
la
somme
de
capital
due
par
les
pvd
(encours
de
la
dette).
Mais
attention
:
l'éclairage
va
encore
changer
si
on
passe
du
montant de
capital
emprunté
(encours
de
la
dette)
au
montant
des
remboursements
et
intérêts
dus
annuellement
par
les
pvd
(service
de
la
dette),
car
il
s'agit là
très
clairement
d'une
aggravation
dans
la
période
1970-1980,
aussi
bien
en
termes
réels
qu'en
termes
nominaux
:
tandis
que
le
volume
de
la
dette
était
multiplié
par
5,
celui
du
service
de
la
dette
était
multiplié
par
8
(de
9,6
milliards
de
dollars en
1971
à
78,6
milliards
en
19805),
connaissant
un
taux
de
croissance
de
28
%
par
an
en
moyenne.
Dès
lors,
si
les
exportations
croissaient
plus vite
que
le
capital
emprunté,
elles
étaient
néanmoins
prises
de
vitesse
par
les
charges
de
remboursement
et
d'intérêt
qui
en
absorbaient
7
%
en
i960,
15
%
en
1970,
17
%
en
19796
(en
moyenne
pour
l'ensemble
des
pvd).
L'origine
de
cet
alourdissement
du
service
de
la
dette
est
maintenant
bien
connu
:
il
réside dans
la
privatisation
croissante
des
sources
de
financement
extérieur,
avec
en
particulier
le
rôle
dominant
des
grandes
banques
privées
internationales
et
des
marchés
financiers
internationaux
(dont
la
part
dans
l'encours
de
la
dette
est
passé
de 46
%
en
1971
à
63
%
en
1980)6
avec
une aggravation
des
conditions
d'emprunts
:
taux
d'intérêts
plus
élevés
et
délais
de
remboursement
plus
courts
que
ceux
des
prêts
de
source
officielle.
3.
FMI,
Occasional
paper
3,
External
indebtedness
of
developing
countries,
mai
1981.
4.
En
ce
sens
que
la
croissance
de
la
part
des
exportations
dans
le
pnb
est
le
principal
pilier
du
modèle
de
développement
de
l'orthodoxie
dominante.
5.
Banque
mondiale,
World
Debt
Tables,
1981.
6.
External
Indebtedness
of
developing
countries,
op.
cit.
52О
MARIE-FRANCE
L
HERITEAU
Les
renégociations
de
dette
Avec
l'accroissement du
volume
et
surtout
du
service
de
la
dette,
une autre
série
de
phénomènes
a
marqué la
décennie
1970,
particulièrement
dans
sa
deuxième
moitié
:
la
multiplication
des opérations
de
renégociations
multilatérales de
l'endettement
dans
un
cadre
officiel
et
l'apparition
de
renégociations
multilatérales
de
l'endettement
dans
un
cadre
privé,
celui des grandes
banques
internationales.
Le
premier
type
de
renégociation
est
ancien.
C'est
en
1956
que
l'Argentine
demande pour
la
première
fois
la
réunion
de
ce
qui
devait
devenir
le
principal
cadre
de
discussion
des
restructurations
des
dettes,
sous
le
nom
de
«
Club
de
Paris
».
Entre
cette
date
et
fin
1980
il
y
a
eu
47
renégociations
de
dettes
multilatérales
couvrant
des
prêts
publics
concernant
1 5
pays
débiteurs
;
elles
avaient
lieu
surtout
dans
le
cadre des
clubs
de créditeurs
35
de
ces
réaménagements
prirent
place
(Club
de
Paris
pour
l'essentiel,
mais
aussi Club
de
La
Haye
pour
la
dette
brésilienne,
Club
de
Londres
pour
la
dette
ghanéenne),
moins
fréquemment
elles
prenaient
la
forme
de
discussions
sous
l'égide
d'une
organisation
internationale
(la
bird
pour
la
dette
pakistanaise,
Pocde
pour
la
dette
turque).
Or,
si
le
cadre
institutionnel
et
les
modalités
de ces
renégociations
sont
restés
pour
l'essentiel inchangés
depuis
la
fin
des
années
1950,
on
a
pu
observer
un
accroissement
de
la
fréquence
de
ces
réaménagements
de
dette
dans
la deuxième
moitié
des
années
1970
:
sur
les
47
renégociations
depuis
1956,
18
ont
pris
place
entre
1975
et
1980,
c'est-à-dire
que
plus
du
tiers
du
total
a
eu
lieu
dans
une
période
de
six
ans.
Et
sur
les
11
pays
concernés
par
ces
renégociations
récentes,
67
avaient
recours
pour
la
première
fois
à
ce
type
d'opération.
La
privatisation
des sources
de
l'endettement
de
son
côté
a
normalement
entraîné
l'apparition
d'un
nouveau
type
de
renégociation
:
celui
par
lequel
un pays
débiteur
s'adresse
à
ses
créditeurs
étrangers
privés,
c'est-à-dire
aux
grandes
banques
commerciales.
Il
ne
s'agit
plus
seulement
de
discussions
ponctuelles
par
lesquelles
un
gouvernement
demande
aux
banques
commerciales
de
refinancer
des
crédits
spécifiés,
mais
de
l'élaboration
d'un
cadre
nouveau,
sont
mises
en
œuvre
des
discussions
globales
par
lesquelles
un pays
demande une
restructuration
générale
de
sa
dette
auprès des
banques
commerciales.
Six
pays8
s'étant
7.
Gabon,
Libéria,
Sierra
Leone,
Soudan,
Togo,
Zaïre.
Les
cinq
autres
pays
étant
:
Chili,
Inde,
Pakistan,
Pérou,
Turquie.
8.
Jamaïque,
Nicaragua,
Pérou,
Soudan,
Turquie,
Zaïre;
les
quatre
derniers
menaient
parallèlement
des
discussions
pour
le
réaménagement
de
leur
dette
envers
des
créditeurs
officiels.
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