Tiers-Monde Endettement et ajustement structurel : la nouvelle canonnière Marie-France L'Hériteau Citer ce document / Cite this document : L'Hériteau Marie-France. Endettement et ajustement structurel : la nouvelle canonnière. In: Tiers-Monde, tome 23, n°91, 1982. pp. 517-548; doi : https://doi.org/10.3406/tiers.1982.4141 https://www.persee.fr/doc/tiers_0040-7356_1982_num_23_91_4141 Fichier pdf généré le 31/03/2018 ENDETTEMENT ET AJUSTEMENT STRUCTUREL LA NOUVELLE CANONNIÈRE par Marie-France L'hériteau* L'endettement du Tiers Monde est un sujet d'alarme depuis déjà plusieurs années, et alimente deux grands axes de critiques. Pour une grande partie de l'opinion, notamment tiers mondiste, la croissance rapide de la dette, son importance démesurée par rapport à des économies naissantes, les difficultés de son remboursement constituent un fardeau supplémentaire pour les pays en développement. Le service de la dette apparaît alors comme une nouvelle perte de substance, s'ajoutant au caractère défavorable des termes de l'échange, pour des économies qui doivent y consacrer une partie notable de leurs recettes d'exportations. Pour d'autres au contraire, si problème il y a, ce n'est pas celui des pays emprunteurs qui trouvent dans l'endettement une source indispensable de financement de leur développement. La vraie question se pose plutôt du côté des banques prêteuses et concerne les difficultés financières auxqueUes elles s'exposent en cas de défaillance des débiteurs. Les banques, en effet, finissent toujours par devoir accepter l'accumulation d'arriérés de paiement et le report des échéances, la faillite étant une procédure mal adaptée au cas d'un pays dans son ensemble et la politique de la canonnière étant depuis longtemps révolue. C'est ce deuxième point de vue qui ressort de la lecture de la presse financière internationale, plus préoccupée des répercussions en chaîne d'un défaut de paiement que du souci que donnent au pays débiteur les échéances de sa dette. Cependant un aspect du problème de l'endettement est trop souvent laissé de côté par l'une et l'autre approche : c'est celui du coût de la dette, non pas seulement en termes de flux financiers, mais en termes de struc* Maître-Assistante à l'Université de Paris I, iedes. Bévue Tiers Monde, t. XXIII, n° 91, Juillet-Septembre 1982 5 l8 MARIE-FRANCE l'hÉRITEAU ture imposée. Car si la politique de la canonnière a fait son temps, ce qu'il est convenu d'appeler la « communauté internationale » a trouvé d'autres moyens de faire respecter ses règles du jeu, et même de faire entrer dans le jeu de nouveaux partenaires, plus ou moins volontaires. C'est cet aspect de l'endettement qu'il s'agit d'aborder ici en portant sur la dette un regard qui, au-delà de ses aspects strictement financiers, cherche à voir de quel avenir elle est porteuse, quel type de développement elle véhicule, lorsque la canonnière porte le beau nom de Fonds monétaire international. DETTE, RENÉGOCIATIONS, ET ROLE DU FMI Caractéristique de la dette Contrairement à une idée répandue, l'aggravation récente du problème de l'endettement des pays en développement ne réside pas essentiellement dans sa croissance en volume, mais dans l'évolution de ses modalités. L'examen de quelques grandeurs caractéristiques permet en effet de relativiser les dimensions spectaculaires du problème et de mieux situer ses implications réelles. Certes, entre 1971 et 1980, l'encours de la dette des pvd a quintuplé, passant de 78 milliards de dollars us à 439 milliards1, avec un taux de croissance annuel moyen de 21 %, bien supérieur à celui, de l'ordre de 14 %, prévalant dans les années i960. Mais il saute aux yeux que ce différentiel des taux de croissance est inférieur à la différence des taux d'inflation entre les deux périodes et, ramenée en termes réels, la croissance de la dette est de l'ordre de 9 % par an dans les années 70 contre 12 % par an dans la décennie précédente : il s'agit alors non plus d'un emballement mais d'une décélération de l'endettement dans la période récente. En passant des grandeurs nominales aux grandeurs réelles on donne au phénomène un éclairage différent. De même, selon les variables macro-économiques auxquelles on rapporte le volume de l'endettement, obtient-on une appréciation différente de son poids dans les économies des pays en voie de développement. Ainsi, en comparant le montant de la dette à celui du pnb des pays du Tiers Monde on revient à une vision plus alarmante : le taux de croissance de l'endettement ayant été largement supérieur à celui des pnb, c'est un alourdissement du ratio que l'on observe, de 12,3 % en 1970 à 17,8 % en 19792. Mais là encore l'éclairage 1. Banque mondiale "Rapport sur le développement dans le monde, 1981. 2. Banque mondiale, Rapport sur le développement dans le monde, 1981. LA NOUVELLE CANONNIÈRE 519 change si l'on prend pour référence non plus le pnb mais le volume des exportations de pays considérés3. Le rapport de la dette au volume des exportations était passé de 48 % à 122 % entre i960 et 1970, conséquence à la fois d'une forte croissance de la dette et d'une détérioration des termes de l'échange des pays en voie de développement dans la décennie. Il connaît au contraire une tendance à la baisse dans les années 1970 : après une forte chute, à 68 %, en 1974, provenant essentiellement d'une revalorisation du prix des matières premières en 1972 et 1973, il se situe à 97 % en 1979. C'est donc plutôt un allégement du poids de la dette par rapport au volume des exportations que l'on observe dans la dernière décennie : les exportations des pvd ont augmenté plus vite que l'endettement et cette relation, qui est d'ailleurs, on le verra, une conséquence obligée de l'endettement4 donne un éclairage plus optimiste au problème de la dette dans la mesure où s'améliore le rapport entre les recettes de devises nécessaires au remboursement (volume des exportations) et la somme de capital due par les pvd (encours de la dette). Mais attention : l'éclairage va encore changer si on passe du montant de capital emprunté (encours de la dette) au montant des remboursements et intérêts dus annuellement par les pvd (service de la dette), car il s'agit là très clairement d'une aggravation dans la période 1970-1980, aussi bien en termes réels qu'en termes nominaux : tandis que le volume de la dette était multiplié par 5, celui du service de la dette était multiplié par 8 (de 9,6 milliards de dollars en 1971 à 78,6 milliards en 19805), connaissant un taux de croissance de 28 % par an en moyenne. Dès lors, si les exportations croissaient plus vite que le capital emprunté, elles étaient néanmoins prises de vitesse par les charges de remboursement et d'intérêt qui en absorbaient 7 % en i960, 15 % en 1970, 17 % en 19796 (en moyenne pour l'ensemble des pvd). L'origine de cet alourdissement du service de la dette est maintenant bien connu : il réside dans la privatisation croissante des sources de financement extérieur, avec en particulier le rôle dominant des grandes banques privées internationales et des marchés financiers internationaux (dont la part dans l'encours de la dette est passé de 46 % en 1971 à 63 % en 1980)6 avec une aggravation des conditions d'emprunts : taux d'intérêts plus élevés et délais de remboursement plus courts que ceux des prêts de source officielle. 3. FMI, Occasional paper n° 3, External indebtedness of developing countries, mai 1981. 4. En ce sens que la croissance de la part des exportations dans le pnb est le principal pilier du modèle de développement de l'orthodoxie dominante. 5. Banque mondiale, World Debt Tables, 1981. 6. External Indebtedness of developing countries, op. cit. 52О MARIE-FRANCE L HERITEAU Les renégociations de dette Avec l'accroissement du volume et surtout du service de la dette, une autre série de phénomènes a marqué la décennie 1970, particulièrement dans sa deuxième moitié : la multiplication des opérations de renégociations multilatérales de l'endettement dans un cadre officiel et l'apparition de renégociations multilatérales de l'endettement dans un cadre privé, celui des grandes banques internationales. Le premier type de renégociation est ancien. C'est en 1956 que l'Argentine demande pour la première fois la réunion de ce qui devait devenir le principal cadre de discussion des restructurations des dettes, sous le nom de « Club de Paris ». Entre cette date et fin 1980 il y a eu 47 renégociations de dettes multilatérales couvrant des prêts publics concernant 1 5 pays débiteurs ; elles avaient lieu surtout dans le cadre des clubs de créditeurs où 35 de ces réaménagements prirent place (Club de Paris pour l'essentiel, mais aussi Club de La Haye pour la dette brésilienne, Club de Londres pour la dette ghanéenne), où moins fréquemment elles prenaient la forme de discussions sous l'égide d'une organisation internationale (la bird pour la dette pakistanaise, Pocde pour la dette turque). Or, si le cadre institutionnel et les modalités de ces renégociations sont restés pour l'essentiel inchangés depuis la fin des années 1950, on a pu observer un accroissement de la fréquence de ces réaménagements de dette dans la deuxième moitié des années 1970 : sur les 47 renégociations depuis 1956, 18 ont pris place entre 1975 et 1980, c'est-à-dire que plus du tiers du total a eu lieu dans une période de six ans. Et sur les 11 pays concernés par ces renégociations récentes, 67 avaient recours pour la première fois à ce type d'opération. La privatisation des sources de l'endettement de son côté a normalement entraîné l'apparition d'un nouveau type de renégociation : celui par lequel un pays débiteur s'adresse à ses créditeurs étrangers privés, c'est-à-dire aux grandes banques commerciales. Il ne s'agit plus seulement de discussions ponctuelles par lesquelles un gouvernement demande aux banques commerciales de refinancer des crédits spécifiés, mais de l'élaboration d'un cadre nouveau, où sont mises en œuvre des discussions globales par lesquelles un pays demande une restructuration générale de sa dette auprès des banques commerciales. Six pays8 s'étant 7. Gabon, Libéria, Sierra Leone, Soudan, Togo, Zaïre. Les cinq autres pays étant : Chili, Inde, Pakistan, Pérou, Turquie. 8. Jamaïque, Nicaragua, Pérou, Soudan, Turquie, Zaïre; les quatre derniers menaient parallèlement des discussions pour le réaménagement de leur dette envers des créditeurs officiels. LA NOUVELLE CANONNIERE 5 21 trouvés dans ce cas au cours des années 1975-1980 ont conclu de tels accords globaux avec leurs banques créditrices. Le propos n'est pas ici de dégager les caractéristiques des procédures ni des arrangements financiers obtenus par les pvd dans ces renégociations9. Il est de souligner un trait commun aux deux types de réaménagement de l'endettement : Le rôle crucial du FMI dans le dénouement des discussions et dans la mise en œuvre des arrangements. Le rôle du FMI dans les opérations de renégociation Le FMI est en effet très présent dans les processus de renégociation de dette, qu'il s'agisse de créditeurs officiels ou privés, et ceci aussi bien au niveau des discussions que de la mise en œuvre des accords. Ainsi dans le cadre des discussions de renégociation de dette officielle, où le fmi intervient généralement comme consultant, les experts du Fonds présentent la situation économique du pays, la vision développée par ceux-ci étant fréquemment reprise dans les Agreed Minuts des négociations officielles comme un argument sur lequel se sont appuyées les délibérations (Chili, 1975 ; Pérou, 1978 ; Sierra Leone, 1980; Soudan, 1979; Togo, 1979; Turquie, 1979 et 1980; Zaïre, 1976, 1977 et 1979). De même en ce qui concerne les six renégociations avec les banques privées ayant abouti entre 1975 et 1980, on observe que le personnel du fmi participe à des réunions entre le pays débiteur et les banques dans quatre cas, et joue le rôle de médiateur entre ceux-ci dans un cas. Mais l'intervention du Fonds prend une importance plus fondamentale dans la mise en œuvre des arrangements négociés dans la mesure où ceux-ci sont le plus souvent conditionnés à l'accès du pays à des tranches supérieures de crédits du fmi, qu'il s'agisse d'aménagement de la dette officielle ou, de plus en plus, de l'aménagement de la dette auprès des banques. En matière de dette officielle, la plupart des Minutes d'accords conclus stipulent l'existence d'un programme de stabilisation conclu par le pays avec le fmi à l'appui d'un crédit par accord de confirmation, soit que le pays débiteur exprime son engagement de respecter ce programme (Pérou, 1978; Sierra Leone, 1977 et 1980; Soudan, 1979; Togo, 1979), soit que les pays créditeurs expriment leur satisfaction de voir mis en œuvre un tel programme (Chili, 1975 ; Turquie, 1979), soit enfin que les 9. Signalons simplement que la politique suivie par les créditeurs est celle dite « de la courte laisse » qui consiste en principe à ne rééchelonner que le principal dû pour la seule année (ou année et demie) à venir avec quelquefois un rééchelonnement conditionnel pour une durée supplémentaire. TM — 18 522 MARIE-FRANCE L HERITEAU deux types de formulation figurent dans le même accord (Zaïre, 1979; Turquie, 1978 et 1980). Les autres cas étant celui de l'Inde où les négociations dans la période n'étaient pas liées à des problèmes de remboursement de la part du débiteur mais à une volonté des pays créditeurs d'utiliser la formule du rééchelonnement comme technique d'octroi d'aide officielle nouvelle, celui du Zaïre en 1976 et 1977 où la délégation du FMI faisait simplement observer que le programme en cours conclu avec le Fonds n'était pas respecté, celui enfin du Gabon en 1978 où l'octroi d'un stand by de h. part du fmi était une condition préalable mise par les créditeurs à l'ouverture même des négociations et où il n'y eu pas de Minutes officielles de l'accord conclu. En outre, dans le cadre des renégociations de la dette officielle, on observe de nombreux cas de rééchelonnement d'une partie de la dette à échoir, avec la stipulation explicite dans les Minutes d'une condition d'obtention de crédit par accord de confirmation du fmi : ainsi Pérou, 1978; Sierra Loene, 1980; Soudan, 1979; Togo, 1979; Turquie, 1980; Zaïre, 1976 et 1979, ont obtenu l'engagement des banques de rééchelonner leur dette échue dans l'année suivant celle de la renégociation, pourvu que les gouvernements débiteurs obtiennent des autorisations de tirage du fmi. Enfin, en matière de dette privée, la pratique tend à s'aligner très précisément sur celle des renégociations de dette officielle : l'exemple du Pérou est à cet égard riche d'enseignements. Lors des discussions, en 1976, entre le gouvernement péruvien et les banques commerciales créditrices celles-ci d'abord exigèrent la conclusion d'un accord sur un programme de stabilisation. L'impossible réalisation de ce programme pour les raisons de politique intérieure, l'incapacité des banques à imposer son application faute de toute légitimité politique devaient amener cellesci à exiger, en 1977, que le Pérou obtienne un crédit par accord de confirmation du fmi. Le Fonds, en effet, de par ses statuts et le consensus international autour de son rôle, pouvait négocier et voir appliquer un plan d'ajustement conforme aux vœux de la communauté financière internationale. Les négociations entre les banques et le Pérou devaient finalement aboutir, après la conclusion de cet accord de confirmation en novembre 1979. De même, dans tous les cas de renégociation globale de la dette bancaire, sauf celui du Nicaragua, l'accord final fut signé après qu'un accord de confirmation, ou une facilité de financement élargie, eut été accepté par le Fonds. Ainsi selon les accords conclus pour la Jamaïque, le Pérou, la Turquie, le Soudan, le déblocage de nouveaux fonds et la consolidation de la dette à moyen terme sont subordonnés à la capacité LA NOUVELLE CANONNIERE 523 de tirage sur le fmi, celui-ci fournissant aux autorités gouvernementales, à dates précises, des communications écrites attestant que le pays a tiré — on avait l'autorisation de le faire — dans le cadre de son accord avec le Fonds. Puis ce « bulletin de note » décerné par le professeur fmi à l'élève gouvernement débiteur est remis par ce dernier aux banques... qui décernent la « récompense » promise. Et quant au Zaïre on sait que le gouvernement Mobutu en 1978 a dû accepter la mise en tutelle des organismes directeurs de l'économie (Banque centrale, ministère des Finances) par abandon de postes clés aux experts du Fonds. La période des dernières années 1970 n'a été cependant, dans une grande mesure, qu'une période de rodage de ce dispositif, appelé à se renforcer et à s'élargir si l'on en juge par les tendances récentes dans la pratique et dans le discours du fmi. Le tournant des années 80 Au niveau du discours, à travers son directeur général, son rapport annuel, et ses nombreuses publications, le fmi développe le thème de sa nécessaire intervention dans de multiples domaines de la vie financière internationale, en développant deux axes d'argumentation : celui d'une critique de certains aspects du rôle des banques dans les années 1970, et celui d'un besoin accru de programmes d'ajustement sévères et contrôlés. Le Fonds fait remarquer10 d'abord que le rôle important que les banques ont joué dans le transfert international des capitaux a parfois tendu à donner à ces flux financiers un caractère déstabilisateur. Il fait observer par exemple que les prêts de nature commerciale s'accéléraient brutalement quand les prix des matières premières exportables connaissaient une hausse (cas du Pérou, du Zaïre, de la Jamaïque, du Nicaragua) pour refluer lorsque les recettes d'exportation déclinaient. Il souligne aussi le délai généralement long s'écoulant entre l'identification du problème et les conclusions d'un accord avec les banques, ainsi que les difficultés de maintien ou de restauration des flux bancaires vers les pays lorsque les programmes d'ajustement étaient mis en œuvre. Dans certains, cas précise-t-il, le transfert net vers les banques par le débiteur durant les premières phases du programme était du même ordre de grandeur que le montant des ressources fournies par le Fonds. Outre qu'un tel reflux pouvait miner les possibilités de réalisation de l'ajuste10. fmi : Occasional paper n° 3, External Indebtedness of Developing countries, mai 1981. 524 MARIE-FRANCE l'hÉRITEAU ment, il donnait l'impression que le fmi et les créditeurs officiels finançaient le reflux de fonds vers les banques... Plus généralement le fmi émet des doutes sur la validité, en matière d'ajustement, de la « main invisible » de la concurrence sur le marché des capitaux. Le système lui paraît adapté à la protection des institutions de prêts mais non à la préservation contre une mauvaise utilisation des ressources par les emprunteurs individuels, sans que cela, par soi-même, menace la stabilité du système : le grand nombre de banques impliquées dans une opération de prêt, donc le faible montant engagé par chacune d'elles, n'était pas pour inciter à une grande prudence les prêteurs qui ont plutôt « sur-répondu » aux demandes. Cependant, à travers cette critique du comportement des banques, il s'agit pour le Fonds de réaffirmer avec force la nécessité d'un accroissement de son rôle dans les politiques d'ajustement des pays membres. Il suffit à cet égard de citer le Directeur général du Fonds11 à propos du rôle du Fonds dans les circonstances actuelles. « ... Il importe tout d'abord, dit-il, de rappeler que le Fonds n'est pas un organisme d'aide ou une institution de financement du développement... Le rôle du Fonds est d'assurer la coopération monétaire internationale et d'aider ses pays membres à faire face à leurs difficultés de balances des paiements au moyen d'une assistance technique et financière accordée à V appui de programmes ď ajustement économique^... « Bien que les institutions financières privées demeurent la principale source de financement des balances des paiements, le Fonds a été conduit à jouer un rôle plus actif dans les circonstances actuelles en raison de la forte augmentation des déséquilibres de paiements ainsi que de leur complexité et de leur persistance. Le Fonds a un rôle crucial à jouer en aidant les pays à concevoir des programmes d'ajustement appropriés et en dosant dans des proportions judicieuses l'ajustement et le financement ». Et le rapport du fmi pour 1981 souligne aussi : « Dans le domaine de l'ajustement et du financement le rôle que joue le Fonds devient de plus en plus important. Etant donné que l'on prévoit, au cours des prochaines années, des déséquilibres de paiements importants et persistants, l'ajustement est devenu un impératif dans de nombreux pays; il se peut qu'il doive s'effectuer sur une période plus longue et inclure des mesures visant à résoudre les problèmes structurels. » On reviendra sur cet aspect structurel... 11. Discours prononcé par M. de La Rosière le 8 août 1981 à Salzburg (Autriche). 12. Souligné par moi (M.-F. L.). LA NOUVELLE CANONNIERE 525 U élargissement des financements Ce discours est bien le reflet d'une nouvelle pratique, amorcée avec le début des années 1980, lisible au niveau du volume d'activité financière du Fonds. D'abord, de manière globale, on peut observer un considérable accroissement des engagements de prêts et autres utilisations des ressources du Fonds, de 0,6 milliard de dts en 1973 à 9,5 milliards de dts en 1980 et 17 milliards de dts pour 198 1. Cet accroissement est essentiellement le fait des accords de confirmation et des accords élargis (passant de 0,4 milliard de dts à 1 5 milliards de dts entre 1973 et 1981), et tout particulièrement des accords conclus avec les pays en développement puisque ceux-ci absorbent la totalité de ce type de financement (sauf en 1974, 1975 et 1977), cf. tableau. Tableau I Nouveaux engagements de prêts Autres utilisations des ressources du Fonds (milliards de dts) 197З 1974 1975 1976 1977 1978 Nouveaux engagements de prêts au titre d'accords de confirmation ou de facilités élargies (y compris éventuel financement supplémentaire et accès Illustration non autorisée à la diffusion 1,2 5,2 i,4 élargi) 0,4 o,9 1,9 dont : — Pays industrialisés 1,0 0,8 3,8 °,i — Pays en développement 0,4 1,8 o,4 0,4 o,9 i,4 Autres achats 0,2 3,6 4,6 i,9 o,3 o,7 Versements au titre de prêts du Fonds fiduciaire 0,2 o,7 4,8 Total 0,6 5,5 5,7 3,3 3,3 1979 1980 1981 2,2 7,o 15,2 2,2 o,7 7,o !,O 15,2 o,9 o,5 3,4 i,3 9,5 0,4 17,1 Source : bulletin du FMI, Ier février 1982. Ainsi, outre l'accroissement des volumes financiers engagés par le FMI, une seconde caractéristique importante de ce début de décennie est la part accrue des crédits conditionnels dans le total des concours du Fonds. Alors qu'entre 1974 et 1978 les deux tiers de l'aide fournie par le 526 MARIE-FRANCE l'hÉRITEAU Fonds consistaient en concours à faible conditionnalité, octroyés surtout par le mécanisme pétrolier et le système de financement compensatoire, de 1979 à 198 1 plus des trois quarts du financement sont accordés dans le cadre de programmes assortis d'une conditionnalité analogue à celle des tirages dans les tranches supérieures de crédit. Cette accélération est particulièrement notable dans le cadre de la facilité élargie de crédit du Fonds créée en 1975, et qui est assortie du degré le plus élevé de conditionnalité : entre 1975 et avril 1980, 11 accords furent approuvés pour un montant total de 2,4 milliards de dts. Dans l'exercice 1980-198 1, ce sont 12 accords qui furent approuvés, pour le volume global de 6,9 milliards de dts13. Et actuellement14 se trouvent en vigueur 25 accords de confirmation et 15 accords de financement élargis, ce qui signifie 38 pays sur la politique économique desquels le Fonds exerce une surveillance étroite15 (comparé à une moyenne de 10 pendant la période 19741978). Cette évolution est le résultat d'un certain nombre de mesures prises par le Fonds pour élargir sa capacité de financement et donc d'intervention. D'abord au niveau des ressources ordinaires, où le Fonds a procédé à une septième révision générale des quotes-parts, entrée en vigueur en novembre 1980 et portant le total de celles-ci de 39 à 60 milliards de dts. Néanmoins cet élargissement des quotes-parts n'a récupéré qu'une faible partie de l'érosion du « capital » du Fonds en valeur réelle, puisque celui-ci était passé d'un rapport de 1 2 % du commerce mondial en 1965, à environ 4 % en 198 1. En attendant l'aboutissement d'une huitième révision des quotes-parts, c'est donc surtout du côté d'un aménagement de l'accès au crédit du Fonds qu'a été cherché un renforcement de son rôle. Alors que dans les années 1970 un pays pouvait acheter des devises convertibles contre sa monnaie nationale, c'est-à-dire opérer un tirage (emprunt) sur le Fonds, jusqu'à 100 % de sa quote-part (et 165 % dans le cadre d'une facilité élargie), depuis janvier 198 1 il peut tirer 150 % par an pendant une période de trois ans, compte non tenu des achats au titre des mécanismes à faible conditionnalité (mécanisme pétrolier, financement compensatoire et des stocks régulateurs). Et pour financer cette nouvelle politique « d'accès 13. Cf. rapport FMI, 1981, tableau I.7 de l'appendice I. 14. Plus précisément janvier 1982. Cf. Bulletin du FMI, Ier février 1982. 1 5. A noter aussi la part accrue d'un continent sur lequel l'intervention du fmi n'était pas traditionnellement importante, celui des pays africains. La part de l'Afrique a atteint 53 % du nombre des accords de confirmation et des accords élargis approuvés en 1979-1980, contre 20 % en 1970-1978. Et dans le montant total des concours au titre de ces mécanismes les pays africains absorbaient 30 % en 1979-1980 contre 3 % en 1970-1978 (cf. Finances et développement, septembre 1981). LA NOUVELLE CANONNIÈRE 527 élargi » aux ressources du Fonds (ressources ordinaires et ressources empruntées) il a été décidé d'accroître la masse prêtable par une politique d'emprunts du Fonds auprès des pays excédentaires : l'Arabie Saoudite pour un montant de 8 milliards de dts, puis 1 3 pays industriels pour un montant de 1 milliard de dts, directement ou par l'intermédiaire de la bří, se sont portés partenaires du Fonds pour ces Accords généraux d'emprunt en 1981. Enfin le fmi continue d'examiner la question d'un recours éventuel au marché international privé des capitaux pour capter une part accrue des capitaux à recycler et les distribuer en fonction des critères de « bonne conduite » économique suivis par les pays débiteurs. Le directeur général du fmi a d'ailleurs souligné très clairement et à plusieurs reprises que telle était la philosophie actuelle du Fonds : « Je considère l'accord financier avec l'Arabie Saoudite comme une forme de collaboration exemplaire »16. Cet accord « permet le recyclage, par l'intermédiaire du fmi, d'un large volume de fonds, en provenance d'un pays à forte position extérieure, à destination de pays qui ont mis en œuvre de vigoureux programmes d'ajustement de leur économie »17. Il s'agit bien d'un souci du fmi de ne pas laisser le financement des balances de paiement s'égarer trop largement hors des sentiers de la politique d'ajustement qu'il préconise, comme ce fut en grande partie le cas dans les années 1974- 197 8. U allongement des périodes d'ajustement Outre cet élargissement quantitatif (volume de fonds engagés par le fmi) et géographique (nombre de pays impliqués) on observe aussi une tendance ces dernières années à rallongement des périodes couvertes par les programmes d'ajustement. « Etant donné que les problèmes de balance des paiements revêtent de plus en plus des aspects structurels et sont, par conséquent, plus longs à résoudre, il est indispensable d'avoir une perspective à moyen terme des politiques à mettre en œuvre », déclare le directeur général du fmi18. Déjà la facilité élargie de crédit du Fonds permettait depuis 1975 de fournir aux pays membres une aide financière portant sur des sommes plus élevées mais aussi pour des périodes plus longues que celles résultant du régime de tranches de crédit. Dans l'un et l'autre cas, il s'agit de crédits consentis à l'appui d'un programme d'ajustement, les tirages étant échelonnés et subordonnés à la réalisation de certains critères 16 Discours à Salzbourg (Autriche), Bulletin du FMI, 24 août 1981 (souligné par nous). 17. Discours à Palm Beach (Etats-Unis), Bulletin du FMI, 13 avril 1981 (souligné par nous). 18. Discours à Salzbourg (Autriche), Bulletin du FMI, 24 août 1981. 528 MARIE-FRANCE l'hÉRITEAU stipulés dans le programme. Les tranches de crédits étant normalement consenties par des accords de confirmation valables un an, la facilité élargie a consisté à allonger à trois ans la période sur laquelle porte l'accord — et à augmenter les fonds prêtés. Déjà aussi on a pu observer dans la fin des années 1970 la fréquence de cas d'accords de confirmation successifs conclus par le même pays, couvrant au total plusieurs années (cas du Pérou, du Portugal, des Philippines, de la Turquie, de l'Uruguay par exemple). Les nouvelles dispositions prises avec la formule dite ď « accès élargi » (450 % du quota pour une période de trois ans) viennent donc renforcer ce qui s'était mis en place de façon plus ou moins « informelle » dans les dernières années. Mais c'est aussi un seuil qualitatif qui est franchi à travers ces nouvelles modalités accompagnant le financement du fmi, symbolisé dans la terminologie du Fonds par le passage d'un mot clé à un autre; on ne parle plus en effet de stabilisation (nécessaire stabilisation, programmes de stabilisation...) comme dans la plus grande partie des années 1970, mais toujours désormais d'ajustement. Le même mot ne peut s'appliquer selon qu'il s'agit de remédier à des incidents de parcours par quelques mesures à court terme (programmes de stabilisation) ou d'imprimer un nouveau cours à un ensemble de variables socio-économiques dans le cadre d'un programme à moyen terme (programme d'ajustement). En ce sens, à des interventions ponctuelles du fmi, pouvant s'analyser comme des coups de pouce à la conjoncture, se substitue actuellement une emprise généralisée et normalisatrice, créatrice de structures. LES PROGRAMMES DU FMI Les programmes d'ajustement du Fonds sont assez bien connus pour reposer sur un petit nombre de principes essentiels tirés de la doctrine libérale et de la théorie économique néo-classique. On peut résumer ceux-ci en trois thèmes : avantages comparatifs, monétarisme, rôle privilégié de l'entreprise privée. Les trois piliers du modèle Le premier aspect est donc celui de Y ouverture des frontières. Il est au premier abord conforme à la vocation du fmi de faciliter les échanges internationaux en parant aux désajustements monétaires que ceux-ci peuvent provoquer. Néanmoins le fmi conçoit son rôle de façon plus active que ne l'impliquerait une conception de la vie économique où les pays échangeraient entre eux un surplus après satisfaction des besoins LA NOUVELLE CANONNIÈRE 529 nationaux, et où la problématique serait la solution ex post des problèmes nés du commerce international. Au contraire le Fonds entend sa mission comme promotion des échanges internationaux, compte tenu d'une philosophie générale qui veut que ceux-ci, loin d'être à l'origine des problèmes économiques, en soient au contraire la solution sine qua non, le seul moyen d'arriver à un bien-être généralisé sur la planète : on a reconnu le thème de Yavantage comparatif dans sa version moderne de la dotation de facteurs... Chaque pays est appelé à se spécialiser dans les productions pour lesquelles il dispose d'une dotation de facteurs favorables, et à cet effet d'ouvrir ses frontières pour que le jeu du marché impose cette spécialisation. L'ouverture des frontières satisfait donc à un double impératif : accroissement de la « coopération » internationale (entendons le commerce...) qui est la mission du Fonds, et poursuite du bien-être mondial à travers la spécialisation rationnelle des économies. Et le premier acte de toute intervention du fmi est de jeter un regard sévère sur les entraves au commerce extérieur. « Les détails du programme varient selon les pays et selon les cas, mais il existe des exigences communes, disait un ancien directeur général du Fonds19 : on ne doit pas résoudre le problème des paiements en renforçant les restrictions au commerce extérieur et aux paiements. Bien au contraire c'est l'élimination des restrictions naissantes et peut-être l'assouplissement des restrictions plus anciennes qu'il faut rechercher. » La deuxième cible20 du fmi est le niveau de la demande globale jugée responsable à la fois de l'inflation et du déficit de la balance des paiements. Citons encore M. Wittenveen : « L'inflation et le déséquilibre de la balance des paiements viennent l'un et l'autre de ce que la société prise dans son ensemble cherche à se procurer plus de ressources qu'elle n'en peut produire. » Cela a le mérite de la simplicité... mais ouvre la porte à deux possibilités... s'intéresser à savoir pourquoi on ne produit pas « plus de ressources » ou s'intéresser seulement à savoir comment limiter la demande. Au moins jusqu'au début des années 1980 le fmi privilégie largement la seconde, étant somme toute plus facile la démarche qui consiste à comprimer la demande21 que celle qui s'interrogerait sur les raisons profondes de l'insuffisance de l'offre. Et le monétarisme théorique est l'instrument de cette politique. On identifie comme responsable de cette demande excessive une trop forte création monétaire et comme mode 19. M. Wittenveen, bulletin du FMI, 29 mai 1978. 20. Le mot anglais Target désigne en effet, outre la cible d'un exercice de tir, les critères de réalisation des programmes du fmi... 21. On verra plus loin que le fmi a inauguré une nouvelle politique d'ajustement, plus axée sur l'offre. 53° MARIE-FRANCE L HERITEAU d'action privilégiée la limitation de l'augmentation du crédit. A l'appui de cette limitation globale de la création de monnaie et de la demande intérieure, on ne dédaigne pas toutefois de restreindre plus particulièrement les taux de salaires et le niveau des dépenses publiques bien que, dans la pureté du modèle, le monétarisme comme technique ne puisse pas incriminer ces variables plutôt que les autres composantes de la demande globale. Car l'action du fmi repose enfin sur un troisième pilier, celui-ci plus philosophique que technique, reflétant un choix politique plutôt qu'une analyse objective; le rôle fondamentalement bon au profit et de Ventreprise privée. Ainsi la plupart des programmes du fmi tendent à mettre en œuvre le principe du caractère subsidiaire de l'Etat22, et à remettre celui-ci à sa place lorsqu'il a cherché à élargir son rôle et outrepassé certaines limites étroites : on observe alors, sous l'égide des programmes d'ajustement, une diminution des dépenses publiques et des subventions aux produits de large consommation, une diminution de la part du secteur public dans la production nationale, souvent même une reprivatisation d'activités socialisées précédemment (cas notoires du Chili, du Pérou, du Portugal, actuellement de la Turquie). Faut-il voir un paradoxe dans le fait que le fmi prône en même temps que l'effacement de l'Etat dans la fixation des prix l'affirmation de ce même Etat dans la limitation des salaires lorsque les conditions politiques ne le rendent pas impossible ? Le « laissez-faire - laissez-passer » ne s'applique pas en effet symétriquement au marché des biens et au marché du travail et derrière le modèle théorique apparaît son fondement politique : la doctrine du rôle subsidiaire de l'Etat dans la production et dans la satisfaction des besoins s'accommode de la reconnaissance d'un rôle eminent de l'Etat dans la répression des revendications salariales. lues inflexions du modèle La permanence de ces trois piliers dans l'intervention du fmi ne doit pas cependant laisser penser que celle-ci est partout et toujours identique. D'abord parce que d'un pays à l'autre les conditions socio-économiques sont différentes et entraînent plus ou moins de résistance à l'application du modèle dans toute sa pureté. Ensuite parce que selon les époques on peut voir privilégier tel ou tel aspect de la politique d'ajustement. Dans la mesure en effet où la priorité des priorités est l'ouverture du pays 22. Traduction lourde du terme de subsidiaridad del Estado cher aux orthodoxies argentines et chiliennes. LA NOUVELLE CANONNIERE 53 I se pose immédiatement la question : ouverture... à quoi ? et de la réponse à cette question va dépendre le type de stabilisation mis en œuvre. Or ce à quoi doit s'ouvrir le pays en difficulté n'est rien d'autre que les conditions dominantes de l'accumulation du capital à l'échelle mondiale, et le plan préconisé par le fmi reflète nécessairement à sa manière les changements survenus dans la structure productive mondiale depuis l'aprèsguerre. Une étude complète de ce thème nécessiterait de reprendre cas par cas les différents programmes pour les situer dans le contexte international de l'époque, et exigerait la mise en œuvre d'une recherche systématique. Mais déjà au niveau très global on a pu observer23 une évolution en ce qui concerne la question du degré d'austérité préconisé (car si l'ouverture sur l'extérieur et la privatisation sont ces points de doctrine sur lesquels le fmi ne peut transiger, le niveau d'austérité apparaît comme un problème plus technique, lié aux nécessités de la mise en œuvre des deux précédents : ainsi le capitalisme austère du xixe siècle a-t-il pu devenir un capitalisme « fordiste », privilégiant la consommation de masse, au xxe siècle, dans les pays industrialisés). Deux études du fmi24 permettent de comparer les programmes des années 1963-1972 avec ceux des années 1973-1975. On constate alors que dans la première période un grand nombre de programmes étaient conçus « pour résoudre des problèmes autres que celui de politiques trop favorables à l'expansion de la demande intérieure » : soit 39 programmes sur 79, qui se préoccupaient de l'ajustement du taux de change, de l'assouplissement du régime des changes, de l'aménagement de la dette, de la lutte contre une récession, mais ne comportaient pas de limitation du crédit intérieur. Seulement 30 programmes, soit moins de la moitié, étaient destinés principalement à limiter une demande intérieure jugée trop forte. Dans la deuxième période, au contraire, sur 21 programmes examinés, 15 signalaient l'excès de demande intérieure comme cible principale, et tous comportaient des plafonds limitant l'expansion du crédit. Et, sans avoir en main une étude exhaustive des programmes de la période des dernières années 1970 on peut avancer l'idée que la tendance reste celle d'une priorité à la compression de la demande intérieure à travers le resserrement du crédit, la réduction des dépenses publiques et le blocage des salaires lorsque c'est possible (Portugal, 1977; Egypte, 1977; Pérou, 1977 et 1978; Mexique, 1976; Argentine, 1976; Jamaïque, 1977 et 1979; Maroc, 1980...). 23. Cf. M.-F. L'Hériteau, Dette extérieure et modèle de développement, Revue Tiers Monde, n° 80, octobre-décembre 1979. 24. Finances et Développement, mars 1977, décembre 1978. 532 MARIE-FRANCE L HERITEAU On observe donc une inflexion des politiques du fmi en direction d'un renforcement de V austérité dans les années 1970 : inflexion qui « coïncide » avec la crise économique de chômage et d'inflation, mais qui privilégie certains aspects des politiques anti-crise possibles (la réduction du chômage par exemple n'est pas un objectif) et surtout s'inscrit dans un tournant que connaît l'accumulation mondiale internationale dans cette décennie. Au moment où le capital s'internationnalise sur la base d'une stratégie de délocalisation, de dissociation entre le lieu de production de la valeur et le lieu de sa réalisation, le mot d'ordre de développement par promotion des exportations industrielles devient le thème dominant des politiques économiques orthodoxes. Il faut pour les pays du Tiers Monde utiliser au maximum cet avantage comparatif que constitue une dotation en main-d'œuvre abondante... pourvu qu'elle reste bon marché. Il ne s'agit plus, comme dans les deux décennies précédentes, de voir dans la distribution de salaires à la fois un coût et un débouché, mais seulement un coût puisque les marchandises produites seront le plus possible exportées. Et ce coût est à limiter absolument par l'application de politiques d'austérité. La résistance au modèle et le réexamen de la conditionnante Cette inflexion des programmes d'ajustement n'a pas été sans poser problème à de nombreux pays. On a pu y voir aussi, parallèlement au rôle joué par l'érosion du niveau réel des ressources du fmi, une raison expliquant le faible recours des pays du Tiers Monde à l'aide conditionnelle du Fonds dans la fin des années 1970 : les pays étaient loin d'utiliser toutes les aides potentielles du Fonds, et certaines années (1978, 1979, 1980) les rachats effectués par le pays (c'est-à-dire les remboursements) ont largement dépassé les achats (c'est-à-dire les tirages sur le fmi)25. Car le type de conditionnante prévalant dans les années 1970 a fait l'objet de nombreuses critiques et d'un mécontentement latent de la part des pays en développement, qui s'est exprimé de façon réitérée dans la deuxième moitié des années 1970, à travers notamment les déclarations du Groupe des Vingt-Quatre26. Celui-ci, en janvier 1976 à Kingstown, notait déjà que « les conditions qui régissent l'utilisation des ressources du Fonds dans les tranches de crédits supérieures sont excessives à l'heure actuelle et devraient être assouplies » et revenait 25. Cf. Rapport ipSi du FMI, tableau 13 de l'annexe I. 26. Représentant le point de vue des pays en développement dans le cadre du fmi. Cf. Sid Ahmed, La conditionnante des tirages sur le FMI, dans l'ouvrage collectif Dette et Développement, J.-C. Sanchez Arnau, coordonnateur, éd. Publisud, 1982. LA NOUVELLE CANONNIERE 533 sur ce thème en octobre 1976 à Manille, en avril 1977 à Washington, à Mexico en avril 1978, et dans le cadre de l'Assemblée générale du Fonds en septembre 1978 à Washington. Le Groupe des Vingt-Quatre évoquait alors la conditionnante de l'emploi des ressources du Fonds pour souligner son « inquiétude devant la multiplicité des critères de réalisation et devant certaines autres formes de conditionnante qui empêchent les pays membres d'utiliser les ressources de l'organisation »27. Il priait « instamment le conseil d'administration du fmi de définir des orientations générales convenables » et, à cet égard, estimait que « ces orientations devraient restreindre l'application des critères de réalisation aux seules variables macro-économiques pertinentes et tenir dûment compte des modalités de la croissance des pays membres et de leur situation socio-économique ». A travers cette formulation très diplomatique on retrouvait les principaux griefs généralement exprimés par les pvd à l'encontre des plans du fmi : une trop grande ingérence dans le détail des politiques économiques des pays membres (d'où la revendication d'application aux « seules variables macro-économiques ») et l'accent mis essentiellement sur la contraction de la demande au mépris des exigences du développement et du niveau de vie déjà extrêmement bas des populations (d'où la revendication de la prise en considération « des modalités de la croissance des pays membres et de leur situation socio-économique »). La réponse du fmi est venue à un premier niveau, officiel, sous la forme d'une décision28 adoptée par le conseil d'administration au terme d'un examen de la conditionnante. Ce texte développe un certain nombre de propositions du Fonds, certaines étant la réaffirmation de principes de fermeté, d'autres des éléments de réponse aux remarques des pays en développement, d'autres enfin ayant un statut plus délicat à établir. Ainsi le Fonds réaffirme la nécessité de mesures correctrices et de programmes d'ajustement pour que soient approuvés les accords de confirmation (point 1), voire même l'application de telles mesures avant que soient conclus les accords de confirmation (point 7). Il précise aussi que de tels accords ne sont pas des accords internationaux et qu' « aussi conviendra-t-il d'éviter que son libellé, ainsi que celui de la lettre d'intention aient une connotation contractuelle »29 (point 3). D'autres points sont plus ambigus : ainsi est-il affirmé que les critères 27. Cf. Bulletin du FMI, 9 octobre 1978. 28. Cf. Bulletin du FMI, 26 mars 1979. 29. Faute de précision dans les textes du Fonds, faut-il interpréter cette formulation négative comme l'affirmation implicite d'un rapport non pas d'égalité mais de vassalité entre fmi et pays emprunteurs ? 534 . MARIE-FRANCE L HERITEAU de réalisation seront « normalement » limités à des variables macroéconomiques... sauf cas « exceptionnels » où ils pourront être liés à d'autres variables essentielles en raison de leur incidence macro-économique (point 9). Ainsi encore l'affirmation du principe de « traitement uniforme » des pays (point 8) se garde bien de soulever la délicate question de savoir si un critère « uniforme» de réalisation de l'ajustement peut être neutre par rapport au système économico-social des différents pays... Et c'est d'une façon limitée que le fmi a répondu positivement à certains des thèmes soulevés par le Groupe des Vingt-Quatre. Il est ainsi stipulé que la durée de l'accord de confirmation pourra être portée, si nécessaire, de un an à trois ans (point 2). Et le Fonds tiendra dûment compte des objectifs politiques et sociaux (des pays) sur le plan national et de la situation dans laquelle ils se trouvent, y compris les causes de leurs difficultés de balance des paiements » (point 4) — ce qui, au niveau de la déclaration de principe, est la moindre des choses... Ainsi, pour l'essentiel, comme le Fonds entend étendre son rôle sur la scène financière internationale en accroissant ses possibilités d'intervention, il entend réaffirmer sa présence comme guide des politiques économiques. A travers le texte « diplomatique » de la décision du conseil d'administration, donc à travers une formulation visant à gommer les aspérités du contenu sans rien « lâcher » sur l'essentiel, on peut voir plus un renforcement qu'un assouplissement de la conception que se fait le fmi de son rôle dans l'ajustement. A l'élargissement de la tutelle, au nombre croissant des pays concernés, s'ajoute un approfondissement, voire un raidissement du modèle de développement qu'il s'agit de promouvoir à travers les plans de stabilisation. Ce que le directeur général du Fonds a clairement exprimé30 en déclarant à propos de l'adaptation de la conditionnante : « Nous avons également modifié les conditions de nos concours financiers. Il faut voir là un approfondissement du champ de nos interventions plutôt qu'un affaiblissement de nos prescriptions en matière d'ajustement de balances des paiements... Si nous continuons à souligner l'importance d'une bonne gestion de la demande, nous mettons désormais l'accent systématiquement aussi sur le développement de la base productrice de l'économie et nous prévoyons d'apporter aux pays membres nos concours financiers pour des périodes plus longues. » Car on peut ainsi résumer les grands axes de la nouvelle pratique du fmi en matière d'ajustement : crédits et programmes à terme plus long, et accent nouvellement mis sur les politiques relatives à l'offre. 30. Discours à Davos le 3 février 1 98 1 . Cf. Bulletin du FMI, supplément consacré au Fonds, mai 1981 (souligné par nous). LA NOUVELLE CANONNIÈRE 535 Lue nouveau rôle du FMI : la normalisation des structures Certes, à un certain niveau, ces deux axes répondent aux préoccupations exprimées par les pays du Tiers Monde lorsqu'ils soulignent le délai d'ajustement trop court et le peu de souci des programmes pour les objectifs de croissance : l'allongement de la durée des crédits et le souci des politiques relatives à l'offre peuvent apparaître à cet égard comme des succès des pays en développement. Mais plus profondément ils constituent un moyen pour le fmi de passer d'un stade où il jouait surtout le rôle d'un régulateur de la conjoncture à un stade où il tend à jouer le rôle d'un normalisateur de structures. Ceci apparaît assez clairement lorsqu'on considère déjà dans la décennie 1970 l'allongement de la durée des programmes et l'existence de plus en plus fréquente de programmes successifs pour un même pays. Le Fonds reconnaît le caractère structurel de la plupart des déséquilibres de balance des paiements des pays membres en voie de développement et donc la nécessité d'un certain temps pour y remédier. Mais aussi la nécessité (beaucoup moins explicitée...) d'une certaine violence sur les structures existantes pour les soumettre, pour les ajuster précisément aux contraintes d'équilibre externe, comme on ajuste une pièce qui doit être un élément d'un ensemble déjà conçu. Et ce n'est pas un hasard si les plans de stabilisation les plus exemplaires, les plus réussis, sont notamment ceux du Chili depuis 1974 et de l'Argentine depuis 1976. Dans les deux cas l'action sur les structures et la violence apparaissent clairement, d'abord par l'utilisation de la force armée, mais aussi parce que l'échec des expériences des années précédentes (l'unité populaire et le second gouvernement péroniste) avait entraîné la chute des organisations représentatives des forces sociales31 et laissé le champ libre à l'application d'un modèle exogène32. La même observation peut être faite à propos du cas plus récent de la Turquie : désagrégation du climat politique, coup d'Etat militaire de septembre 1980, plan d'ajustement en voie de réussite, avec répression syndicale et privatisation de secteurs traditionnellement publics depuis leur origine. Et si l'on regarde du côté du second aspect des politiques du fmi récemment affirmées, celui de la prise en considération des problèmes relatifs à l'offre, la volonté d'intervenir sur les structures socio-économiques des pays est tout aussi présente quoique moins évidente. En 31. Cf. Aldo Ferrer, El monétarisme en Argentinay Chile'e. Commercio Exterior (Mexique), janvier 1981. 32. Ce caractère « exogène » du modèle n'exclut pas qu'il serve les intérêts de certains groupes de l'intérieur et que les coups d'Etat aient été largement de source « endogène ». 536 MARIE-FRANCE l'hÉRITEAU effet, à un premier niveau cette préoccupation de l'offre répond au souci des pays de ne pas ruiner leurs chances de croissance par une compression drastique de la demande, donc apparaît comme une marque de respect du projet socio-économique du pays. Mais la perspective est toute différente lorsqu'il s'agit de préciser ce que devront être ces politiques axées sur l'offre, et dont le contour général apparaît dans les publications du FMI (de façon, il est vrai, moins claire que dans le cas plus rodé et largement analysé des politiques de régulation de la demande). Il apparaît alors qu'il s'agit de privilégier une offre dirigée principalement vers Y exportation et une offre d'origine essentiellement privée. Parcourons les textes du fmi qui donnent des indications à cet égard : « Les programmes d'ajustement attirent l'attention sur les mesures liées à l'offre telles les politiques de promotion des exportations ou les mesures visant à accroître l'efficacité des dépenses publiques »33. « Ces mesures (propres à résoudre les problèmes liés à l'offre) pourraient notamment, les unes accroître l'efficacité du marché des produits et du travail par l'élimination progressive des contraintes et des anomalies qui subsistent; les autres non seulement supprimer les éléments qui freinent l'épargne et l'investissement mais y substituer des encouragements »u. « Le bien-fondé et l'importance des politiques axées sur l'offre sont des points sur lesquels insistent de plus en plus les gouvernements ainsi que le Fonds, à l'occasion des programmes qu'il soutient. Au nombre des mesures adoptées ou proposées par les autorités de divers pays industrialisés figurent d'importantes réductions des taux marginaux d'imposition destinés à accroître les gains nets que les particuliers et les entreprises peuvent affecter à l'investissement, l'augmentation substantielle des amortissements autorisés pour les biens d'équipement, enfin, des mesures aptes à rétablir la confiance dans le libre jeu des forces du marché »35. Certes, le recul manque encore pour apprécier complètement le contenu de ces politiques d'offre, et les indications données par ces documents du fmi sont bien générales, de même que les communiqués de presse annonçant périodiquement les accords de confirmation entre les pays et le Fonds. Néanmoins le ton général indique plus un renforcement des tendances déjà existantes dans les politiques traditionnelles de régulation de la demande (ouverture et privatisation) qu'un élargissement des perspectives prenant en compte d'autres problématiques de croissance 33. Bulletin du FMI, supplément consacré au Fonds, mai 1981 (souligné pat nous). 34. Rapport FMI 1981, p. 43 (souligné par nous). 35. Rapport FMI 1981, p. 5. LA NOUVELLE CANONNIÈRE 537 (création d'un marché intérieur, rôle d'un secteur public dynamique, etc.). C'est pourquoi, loin de calmer les inquiétudes sur l'ampleur et la nature de la normalisation que le fmi imprime aux pays en développement, l'évolution récente rend encore plus urgente l'élaboration d'une analyse systématique et approfondie des ajustements imposés par le Fonds, dans une perspective critique susceptible de dégager des alternatives à ce modèle. La logique du modèle d'ajustement On se bornera ici à évoquer quelques points sur lesquels il nous semble que devrait s'engager la réflexion théorique, en s'appuyant sur l'immense matériel empirique que constituent les expériences d'ajustement. La démarche générale étant de décrypter le discours officiel du fmi et des experts orthodoxes et le confronter avec la réalité, puis de donner aux phénomènes économiques un autre éclairage que celui qu'ils reçoivent depuis Washington. Autrement dit, essayer de chausser d'autres lunettes que celles de l'économie néoclassique pour analyser les politiques mises en œuvre au nom de cette même économie néoclassique. Des causalités privilégiées En ce sens on pourrait d'abord interroger le mode de fonctionnement de la causalité mise en lumière dans l'analyse de déséquilibres : causalités entre déficit des paiements et endettement extérieur, entre création monétaire et inflation, entre inflation et taux de change, sur lesquelles courent des certitudes... pour le moins discutables. Ces certitudes, combinant les enseignements de la théorie quantitative de la monnaie et ceux de la théorie de la parité des pouvoirs d'achat, peuvent, sans raccourci excessif, être schématisées ainsi : du1 crédk 4 budgétaire" тл'с • Deficit XCreation , . ^ Hausse TT "monétaire des prix , "' Hausse de salaires ^ Endettement ^e gajance Déficit et/ou _, des Paiements -— *^ Dévaluation de la monnaie nationale 5 38 MARIE-FRANCE l'hÉRITEAU Ainsi notamment sont établies l'antériorité logique de l'inflation sur le taux de change et celle du déficit des paiements sur l'endettement. Mais sont-elles établies ou... postulées ? Balance des paiements et endettement En ce qui concerne les rapports entre déficit de balance des paiements et endettement de nombreux arguments existent pour un renversement de l'ordre de cette causalité. Au niveau logique, d'abord, on peut imaginer un pays connaissant une situation d'équilibre interne et externe, où la variable qui « bouge » la première n'est pas la quantité de monnaie en circulation, ni un déficit de balance des paiements mais une apparition sui generis d'endettement extérieur. Et il n'est pas absurde de prévoir que cet afflux de fonds étrangers va entraîner — ceteris paribus — les deux déséquilibres postulés originellement par l'analyse orthodoxe; déséquilibre externe par l'accroissement des importations de biens et services que cet endettement permet de financer, déséquilibre interne par l'accroissement de la masse monétaire due à la conversion d'une partie des devises en monnaie locale. En d'autres termes, endettement extérieur et déficit de balance des paiements étant liés par une relation č? interdépendance, le premier qui bouge entraîne l'autre dans son mouvement, et il y a un choix théorique à privilégier l'un ou l'autre comme cause. Au niveau empirique, le problème est, à l'évidence, plus complexe puisqu'il n'existe pas de situation d'équilibre servant de point de départ. Néanmoins, alors que les analyses orthodoxes présentent toujours l'endettement du Tiers Monde comme une conséquence de son déficit de balance des paiements, certains éléments s'inscrivent contre cette vision un peu simple. Notons l'existence d'un endettement des pays excédentaires, c'est-à-dire de l'entrée comme débiteurs, dans le processus de financement international, de pays disposant au début de la décennie 1970 d'un commerce extérieur au moins équilibré (Venezuela, Inde, Iran, Gabon, Taïwan, Syrie, etc.). Notons aussi le fait que les formidables déséquilibres de balances des paiements des pays en développement importateurs du pétrole ayant commencé en 1974 on aurait dû voir l'endettement de ces pays franchir un seuil à cette date. Or l'évolution de la dette a été d'une remarquable constance au cours des années 1970, à un taux stable déjà signalé de l'ordre de 21 %. Rappelons enfin que les pays qui ont dû procéder à des renégociations de dettes avec les banques privées avaient connu un financement bancaire évoluant comme LA NOUVELLE CANONNIÈRE 539 le cycle des prix des exportations36. Ce n'était donc pas à proprement parler un flux compensatoire de déficit mais bien plutôt un flux se situant en phase avec la progression des recettes en devises — et cessant assez brusquement lorsque ces recettes venaient à diminuer. C'est notoirement le cas du Pérou et du Zaïre où la hausse de prix du cuivre en 19731974 s'accompagne d'un endettement bancaire croissant et où la chute du prix du cuivre en 1975 s'accompagne d'une chute du financement bancaire. Le cas aussi de la Jamaïque où les prêts bancaires culminent en 1974- 197 5 avec les recettes élevées du sucre et de l'aluminium, et refluent en 1976 avec la chute des recettes d'exportation, ou encore du Nicaragua où de 1972 à 1975, le bon niveau des exportations est parallèle à un niveau élevé de financement bancaire. On a donc dans tous ces cas une séquence bien différente de la vision dominante selon laquelle c'est le déficit qui préexiste au financement international. Prix et taux de change Une autre idée reçue de l'orthodoxie est celle de l'antériorité du mouvement des prix sur le mouvement du taux de change. C'est la formule, en forme d'adage, selon laquelle « un taux de change ne se décrète pas, il se constate ». Or, sans nier le fait qu'un processus inflationniste interne ne peut laisser inchangé le taux de change d'une monnaie, il serait intéressant de ne pas négliger les éléments ďune causalité inverse, les effets de la manipulation du taux de change sur le mouvement des prix internes. En particulier ne pas oublier que lorsqu'une bourgeoisie est menacée dans son pouvoir économique sa première réaction est toujours de spéculer contre la monnaie nationale, c'est-à-dire d'acheter des monnaies étrangères représentatives de rapports sociaux « stables » ; que ce faisant elle provoque une baisse du taux de change de la monnaie nationale et un processus inflationniste induit. Il se produit ainsi une redistribution du revenu et de la richesse favorable aux détenteurs de devises, et une diminution rapide du pouvoir d'achat des catégories dont le revenu n'est pas indexé sur le cours des changes37. Dès lors l'attitude du FMI prohibant les taux de change multiples, le contrôle des changes, et toute tentative de la part d'un Etat de « décréter » son taux de change 36. Cf. External indebtedness of Developing Countries, Occasional Paper, n° 3. 37. Cf. M. Aglietta, L.<t parité des pouvoirs ď achats et ses ambiguïtés, doc. ronéo, insee, Service des Programmes, novembre 1978, n° 320/4147, pour une analyse des hyperinflations allemande et chilienne. Voir aussi M. Aglietta et A. Orlean, Lut violence de la monnaie, puf, 1982. 54° MARIE-FRANCE L HE RITE AU peut bien s'analyser comme un moyen de faciliter le renforcement de la position des catégories qui ont accès au marché des changes — capitalistes étrangers et nationaux. En particulier on peut noter le fait que le fmi désapprouve plus nettement les pays qui ont un taux de change « surévalué» (défavorable aux détenteurs de devises, sauf si le marché noir est très développé) que ceux qui acceptent un taux de change « sous-évalué » (tout aussi inesthétique théoriquement mais favorable aux détenteurs de devises)... Alors même que le « Rapport sur le développement dans le Monde » reconnaît une sous-évaluation générale de monnaie des pays du Tiers Monde38. Car c'est plus en termes ďeffets-revenus qu'en termes d'effets-prix qu'il faut sans doute examiner la question des ajustements de taux de change. C'est le deuxième point sur lequel on souhaite attirer l'attention pour une critique de l'orthodoxie, et il est d'importance si l'on considère que dans la plupart des cas c'est la dévaluation imposée par le fmi qui soulève le plus de réticences des gouvernements sollicitant une aide, et l'accord sur un taux de change apparaît comme la clef de fonctionnement (ou de verrouillage...) de l'ensemble des autres dispositions du programme. Et d'ailleurs le rôle de la dévaluation dans l'ajustement est en train d'être reconsidéré, y compris par le fmi lui-même, par rapport aux enseignements de la théorie économique courante. La vraie nature de la dévaluation En effet, on reconnaît généralement que la première conséquence d'une dévaluation est une détérioration plutôt qu'une amélioration de la balance des paiements en devises : « A vrai dire, reconnaît le Fonds39, une dépréciation du taux de change se traduit souvent à court terme par une détérioration de la balance commerciale parce que dans la plupart des pays les prix à l'importation ont tendance à varier plus rapidement en termes de monnaie locale que le prix à l'exportation et que le volume des exportations et importations réagit plutôt lentement. » Une amélioration de la balance commerciale à la suite de la dévaluation impliquerait en effet que soient vérifiées deux hypothèses implicites : celle de l'influence réelle du taux de change sur le prix des exportations et importations et celle de l'élasticité du volume des échanges extérieurs par rapport aux prix. Or il n'en est rien, et le fmi en est bien conscient. 38. Banque mondiale, 1981 : « En effet, pour tenir compte des différences de pouvoir d'achat il faudrait doubler au moins (les chiffres des pnb) des pays en développement. » 39. fmi, Rapport annuel ip8i, p. 58. LA NOUVELLE CANONNIERE 541 Au niveau ďabord de la formation des prix : « La plupart des pays en développement n'ont aucun moyen d'action sur les prix en monnaie étrangère des importations et des exportations. Quelle que soit la politique qu'ils adoptent, notamment en matière de changes, les termes extérieurs de l'échange ne s'en trouvent pas modifiés л40, car l'essentiel des exportations d'un grand nombre de ces pays étant composé de matières premières dont le prix est fixé directement en monnaie étrangère sur le marché international, la modification du taux de change ne modifie en rien ni le prix ni la recette en devises, tandis que les importations continuent à représenter elles aussi la même quantité de devises à dépenser. Et quant aux produits exportés sur le prix desquels une modification du taux de change d'un pvd peut avoir quelque effet — produits industriels et certains produits agricoles — on reconnaît de plus en plus que l'élasticité/prix agit de façon dissymétrique selon le type de produits : « L'observation a permis de déceler que les variations de prix relatifs influent davantage sur le volume des exportations et importations de produits manufacturés que sur celui des matières premières »a. Et on reconnaît en outre qu'elle est peu significative même pour les produits plus sensibles : des travaux empiriques aboutissent à la conclusion que « sur des périodes de moins d'un an la somme de l'élasticité de la demande d'importations et celle de la demande d'exportations par rapport au revenu sont deux à quatre fois plus grandes que la somme de leurs élasticités par rapport aux prix relatifs л42. En conséquence de quoi le solde courant s'améliore dans les pays qui ont une position cyclique faible plutôt que dans ceux qui procèdent à des dévaluations. Ce n'est donc pas d'une action mécanique (sur les recettes et dépenses de balance des paiements à travers un effet immédiat sur les prix relatifs) que vient « l'efficacité » pourtant encore reconnue à la dévaluation : elle vient de ce que la dévaluation impulse une réallocation des ressources favorables à l'équilibre de la balance des paiements des pays en développement. Car si une politique de taux de change est sans influence sur les prix en devises et donc sur les termes extérieurs de l'échange elle a en revanche une influence sur les prix relatifs entre produits échangés et produits non échangés43. « Un pays, dont la politique attire l'inflation et en porte le niveau à un taux supérieur à celui de ses partenaires commerciaux, 40. Rapport 41. Rapport 42. Rapport 43. Rapport internationalement.) du FMI 19 Si, p. 63. du FMI 1981, p. 59. FMI 19 Si, p. 58. FMI 19 Si, p. 63. (Il s'agit de produits échangés ou non échangés 542 MARIE-FRANCE l'hÉRITEAU verra sa compétitivité (ou sa rentabilité intérieure relative) diminuer dans les secteurs d'où proviennent les produits de remplacement des importations et les biens d'exportations. Ce fléchissement, s'il persiste, risque de provoquer à la longue une redistribution des ressources au détriment de ces secteurs. » II s'agit donc d'un problème d'allocation des ressources dans lequel taux d'inflation et taux de change jouent un rôle central. Et si l'on admet que, comme on l'a vu, le taux de change ne joue pas à travers les effets-prix et les élasticités, c'est à une redistribution directe de revenus que procède la dévaluation. Sommairement, ce n'est pas parce qu'elle améliore la traduction en devises du prix des exportations, et par là la demande d'exportation, qu'elle contribue au développement du secteur exportateur, mais parce qu'elle permet aux détenteurs de devises (obtenues par l'exportation) de s'approprier une part plus grande du revenu national, et constitue à ce titre un encouragement au développement de la production pour l'extérieur. Et cet accroissement de revenu accaparé par les exportateurs est « financé » par une « baisse du revenu réel des autres groupes, notamment les groupes urbains consommant des produits importés et les agriculteurs ne produisant pas pour l'exportation mais utilisant des produits importés »и. On assiste alors à un « ajustement » qui est loin de se limiter à quelques corrections de la réalité, à quelques améliorations du « laisser-faire », mais qui est une action, une intervention, une violence sur les structures internes du pays. D'autant plus que la dévaluation s'accompagne d'une série de mesures : « Un pays doit remplir certaines conditions pour que la modification du taux de change aboutisse à l'ajustement durable. Il convient qu'il n'existe pas : « i) d'indexation généralisée des salaires nominaux sur un indice de prix tenant compte des prix à l'importation; « 2) de demande démesurément gonflée par le caractère expansionniste des politiques monétaire et budgétaire; « 3) de réglementation des prix qui empêche les prix intérieurs des biens échangeables essentiels de refléter les cours mondiaux de ces biens, et, « 4) de règlements ou contraintes structurelles qui gênent considérablement la redistribution des ressources productrices disponibles. » On aura reconnu en 1) et 2) l'austérité et en 3) et 4) le « désengagement » de l'Etat. 44. Rapport FMI 19 Si. (On a là aussi une explication de la misère croissante des cultures vivrières...) LA NOUVELLE CANONNIERE 543 En d'autres termes le discours du fmi est le suivant : non aux distorsions créées par les règlements publics, les contrôles de prix, l'indexation des salaires, etc. Terrain libre pour que joue pleinement la fantastique distorsion que constitue une dévaluation. La violence du taux de change ne doit pas rencontrer d'autre violence en face d'elle. Et il est significatif que la « compétitivité» soit pour le FMI synonyme45 de « rentabilité intérieure relative », ce qui représente un sérieux glissement analytique ! Car si compétitivité renvoie à : situation relative d'un pays dans la production d'un bien quant à ses coûts et autres conditions de production — en d'autres termes de la performance ďun pays par rapport aux autres pays pour tel ou tel produit — « rentabilité intérieure relative » renvoie à toute autre chose. Il ne s'agit plus de la situation du pays par rapport aux autres, mais, dans le pays, de la situation de certaines catégories par rapport aux autres. Il s'agit, par la dévaluation, d'imposer une redéfinition des normes de répartition46 dans le pays et par la redistribution du surplus de favoriser un certain type de génération du surplus. La place des exportations Ceci appelle une troisième question à partir de laquelle devrait être abordée la critique des modèles fmi : celle du rôle et de la place des exportations dans le discours économique orthodoxe. A quoi correspondent cette idéologie d'ouverture à tout prix, ce primat du commerce extérieur sur toute autre forme de développement, ce « credo » des coûts comparatifs sous leur forme la plus discutable, celle de la « dotation de facteurs » ? Certes il ne s'agit pas de nier le développement accéléré des moyens de transports dans les dernières décennies, ni l'existence d'économies d'échelle pour certains types de production permettant et appelant une internationalisation de la production et un développement des échanges. Il s'agit de s'interroger sur la nature de cette « fuite en avant » qui va bien au-delà des données techniques et relève d'une nouvelle règle du jeu social et économique. Lorsque le fmi définit comme norme de comportement pour les pvd le développement de leurs secteurs d'exportation, lorsque ces mêmes pvd, de leur côté, se plaignent du protectionnisme des pays industrialisés, quel « jeu » se joue dont chacun reproche à l'autre de ne pas appliquer les règles ? Car la nécessité vitale pour une économie de donner la primauté 45. Cf. plus haut la citation de la p. 63 du Rapport zp 46. Cf. M. Aglietta, op. cit. 544 MARIE-FRANCE L HERITEAU au développement des exportations n'est vraie que dans le cadre d'une ouverture totale du pays aux importations. Et cette ouverture totale n'est justifiée que si l'on admet la validité non seulement de la loi des coûts comparatifs — qu'on ne peut nier en courte période et qui à l'origine n'a pas d'autre objet que la courte période — mais le développement abusif qui en a été fait ultérieurement sous la forme de la « loi de proportion des facteurs ». Alors que la loi des coûts comparatifs enseigne qu'à un marnent donnê3 et toutes choses égales par ailleurs, un pays a intérêt à produire un excédent dans la branche où il a un avantage comparatif, pour l'échanger contre des produits de la branche où il n'en a pas, minimisant ainsi le coût d'une même quantité de valeurs d'usage, la loi de proportion des facteurs repose sur l'idée de la pérennité d'une certaine « dotation en facteurs de production », préexistant à l'échange. Or, déjà très contestable dans le court terme car elle suppose l'immobilité desdits facteurs (et l'on connaît la mobilité déjà bien éprouvée du capital et du travail...) cette loi perd tout sens à long terme puisque la « dotation de facteurs » évolue avec le temps, en particulier sous l'effet des échanges extérieurs qu'elle est censée régir ! Д y a alors une certaine contradiction logique à essayer de justifier les programmes d'ajustement structurels par l'existence d'une dotation de facteurs qu'ils auront précisément pour effet de modifier, souvent profondément. Il serait plus exact de dire que ces programmes visent à créer une dotation de facteurs en ce sens que toute population nombreuse n'est pas un « facteur travail » mais le devient dans certaines conditions, que « l'abondance » du facteur terre ne se juge que par rapport à la « rareté » du facteur capital industriel47, etc., et qu'il ne s'agit donc pas de respecter un état de fait mais de le bouleverser pour en instaurer un autre. Les ambiguïtés du discours orthodoxe II faudrait enfin s'interroger sur certaines ambiguïtés dans le discours dominant mais aussi dans la réalité que la critique doit chercher à analyser. On peut déjà en désigner trois : Respect ou destruction de la réalité Comme certaine héroïne de J.-P. Sartre, l'idéologie libérale se présente avant tout comme « respectueuse » (respect des grands équilibres, 47. Ainsi en Argentine pour retrouver la dotation « naturelle » en facteur, c'est-à-dire la primauté de l'agriculture, la politique économique orthodoxe a-t-elle systématiquement laminé l'industrie existante. Cf. Aldo Ferrer, art. cité. LA NOUVELLE CANONNIÈRE 545 respect de la dotation de facteurs, respect de la loi du marché...). Elle prétend, par les modèles d'ajustement, fonder la construction d'économies nationales saines car basées sur le respect de ces lois « naturelles », s'imposant à tous et particulièrement aux gouvernements des pvd. Mais l'observation des programmes du fmi montre que ceux-ci ne sont pas des modes d'adaptation de quelques variables à une réalité interne mais des modes d'ajustement de la réalité interne à une contrainte externe. Ce qu'il s'agit de « respecter » n'est pas intérieur au pays (soit qu'il ne l'ait jamais été faute de développement capitaliste assez ancien, soit qu'il vienne d'être fortement remis en cause par des luttes sociales ayant abouti à une redistribution des richesses et des pouvoirs économiques), mais réside dans un ensemble de normes internationales dont le programme doit provoquer Г intériorisation par le pays. La réalité interne doit être pliée aux exigences de la normalisation internationale, et elle sera d'autant mieux pliée... qu'elle sera détruite. Dès lors les programmes d'ajustement sont d'abord des programmes de démolition des règles sociales existantes, traduisant les rapports sociaux internes au pays et régissant au plan économique le mode de génération et de répartition du surplus. Et il y a en quelque sorte une division du travail : le programme d'ajustement détruit ouvre les portes et laisse le champ libre à la normalisation. L'effet de la contrainte externe sera de construire un ensemble de relations économiques et sociales répondant aux critères internationalement dominants en matière de productivité, rentabilité du capital, et en dernier ressort partage salaires/ profits. Et l'on aura avec la normalisation économique une tendance à la normalisation culturelle, l'uniformisation des modes de vie et des rapports de la production, le gommage des différences entre formations sociales... avec la préservation de réserves touristiques qui restent rentables et intéressent les banques internationales. Ce dernier aspect, peu analysé par les économistes, n'étant peut-être pas le moins sinistre, ni le moins porteur de conflits sociaux en puissance (cf. l'Iran et le monde islamique en général). Libéralisme et police des Etats Une deuxième ambiguïté riche d'enseignements est celle de la conciliation, dans le discours orthodoxe, du libéralisme doctrinal avec l'exercice par le fmi d'une sorte de « police » des Etats. On sait que l'orthodoxie prône le retrait des Etats de la vie économique, leur caractère « subsidiaire » et au contraire le recours maximum au secteur privé dans tous les domaines, au nom d'une philosophie individualiste et d'une théorie fondée sur le caractère auto-régulateur des activités marchandes. 546 MARIE-FRANCE l'hÉRITEAU Et on a déjà signalé que cet effacement de l'Etat n'a pas cours lorsqu'H s'agit pour celui-ci de procéder à un contrôle voire à une diminution des taux de salaires réels. La contradiction logique est plus large : l'Etat est aussi appelé par la doctrine néo-classique à contrôler très étroitement la progression de la masse monétaire, sans que jamais on ne sache au nom de quoi il est admis que Y activité privée peut tout... sauf réguler la quantité de monnaie qui est pourtant considérée comme un bien analogue aux autres, objet de « préférences » plus ou moins fortes de la part des agents. La philosophie individualiste et la théorie économique laissent ici la place à des justifications « pratiques », le noble jeu des lois naturelles cède le pas aux considérations institutionnelles. La même observation peut être faite au sujet des autres interventions de l'Etat autorisées ou favorisées par les programmes du fmi : politiques de promotion des exportations, d'incitation fiscale à l'investissement et à l'épargne par exemple. Et cette contradiction entre présupposés théoriques et applications pratiques atteint un niveau qui donne le vertige si l'on considère que la mise en œuvre de cette conception soi-disant « subsidiaire » de l'Etat passe par le rôle du FMI qui, sans être à l'évidence un Etat, s'apparente encore moins à une organisation privée, et dont l'objectif actuellement n'est manifestement pas de s'effacer de la scène internationale pour laisser jouer les tendances « naturelles » : on a vu comment le Fonds met tout en œuvre actuellement pour se faire l'intermédiaire obligé entre les emprunteurs et les sources de fonds prêtables, et se donner un rôle que lui avaient enlevé les marchés financiers privés dans les années 70. C'est alors à un autre niveau le même hiatus entre théorie justificative et pratique réelle : entre l'affirmation de l'excellence des mécanismes de décision privés et le manque de confiance effective dans les marchés financiers (« théoriquement » efficaces mais « pratiquement » inefficaces pour l'allocation des ressources...); entre l'affirmation (« théorique ») du caractère subsidiaire de l'Etat et la nécessité de l'intervention d'une entité au-dessus des Etats mais émanation des Etats pour faire respecter (« pratiquement »)... la maxime de non-intervention. Cette contradiction ne peut être levée en pure logique mais nécessite de faire appel à d'autres modes d'analyse que celles de l'approche orthodoxe : elle implique en particulier de distinguer dans la mission du superorganisme public qu'est le fmi un objectif explicite qui est d'endiguer une intervention étatique excessive et un objectif réel qui est d'abord et surtout de définir le type d'intervention étatique. C'est-à-dire poser le problème non plus en termes quantitatifs {plus ou moins d'intervention étatique dans l'économie ?) mais en termes qualitatifs {quel sens doit avoir l'intervention étatique ?). LA NOUVELLE CANONNIÈRE 547 Ouverture et redistribution La troisième articulation à rechercher, enfin, permet sans doute d'éclairer les deux précédentes. C'est celle qui existe entre le « credo » d'ouverture et le fait de redistribution interne de revenus, de richesses et de pouvoirs, liée à cette ouverture. Selon le discours orthodoxe il faut redistribuer pour assurer l'ouverture, la redistribution loin d'être un objectif est un moyen pour l'économie de « tenir », face à l'environnement international. Mais si on n'accepte pas le postulat selon lequel l'ouverture est un objectif pour soi-même, faute de validité de la fameuse « loi de proportion des facteurs », on peut se demander si là encore on n'a pas la possibilité de voir une causalité inverse. Ce ne serait plus : il faut redistribuer les cartes pour ouvrir l'économie du pays, mais il faut ouvrir l'économie du pays pour obtenir une redistribution des cartes. Et là, point besoin de chercher une théorie justifiant cette redistribution, elle porte en ellemême sa logique qui est celle des rapports de force sociaux et politiques. Dès lors l'ouverture des frontières économiques devra être perçue (peutêtre pas de façon exclusive mais en tout cas de façon essentielle) comme un instrument d'installation ou de restauration de certaines normes de répartition du pouvoir et des richesses. A cet égard les jugements portés sur la dimension du pays ont un sens politique. On a pu observer que le courant orthodoxe au pouvoir en Argentine48 depuis 1976 défendait l'idée de la faible dimension économique du pays (malgré l'existence d'une réelle infrastructure industrielle) pour justifier l'adoption d'un modèle d'adaptation à l'économie mondiale. On peut généraliser en disant qu'en monétarisme tous les pays sont petits (... sauf les Etats-Unis) et que cette approche « économique » converge avec une approche « politique » quant à la distribution de pouvoir et des richesses dans le pays : à petit pays ouverture nécessaire, le corollaire de l'ouverture étant la redistribution nécessaire des richesses (austérité) et des pouvoirs de décision (privatisation)49. Dès lors, il n'est pas étonnant de voir les mêmes forces sociales défendre au plan théorique le monétarisme et l'approche néo-classique et au plan doctrinal le libéralisme économique et le conservatisme social, et se conforter dans la conviction que ces choix sont les seuls possibles dans un « petit » pays. On ne peut conclure qu'en appelant à l'approfondissement des questions soulevées, par une réflexion collective. Et en soulignant l'urgence 48. Cf. Aldo Ferrer, art. cité. 49. C'est ainsi que l'ancien Président de la République française, M. Giscard d'Estaing, signalait il y a quelques années que la France était un pays à peine « moyen ». 548 MARIE-FRANCE l'hÉRITEAU de ces questions au regard du modèle de développement proposé au Tiers Monde. Car tout, dans l'idéologie et dans la pratique des interventions du FMI — de plus en plus nombreuses et de plus en plus structurelles, on l'a vu — , tout renvoie à une perspective de développement capitaliste inégalitaire, porteur de la misère sous toutes ses formes — avec en plus une aliénation culturelle accélérée —, c'est-à-dire au type de développement qu'a connu l'Europe du xixe siècle et qui est présenté implicitement comme le lieu de passage obligé de toute société. La critique du modèle est donc indispensable : pour en « dénoncer » les présupposés théoriques et doctrinaux, pour en analyser les effets sur les pays dits en développement, pour le situer dans la logique actuelle de l'économie mondiale. Mais aussi, dans une perspective pratique, pour dégager ce qu'il y a de « noyau dur », de réalité incontournable dans l'économie mondiale avec quoi toute expérience socio-politique doit compter, même et surtout si elle veut s'inscrire en rupture des rapports sociaux dominants.