Le dossier En d ocard ite in fectieu se Traitement chirurgical de l’endocardite infectieuse RÉSUMÉ : Environ la moitié des patients victimes d’endocardite infectieuse sont opérés pendant la période aiguë de la maladie, avant la fin de l’antibiothérapie. Les indications restent souvent difficiles à poser, elles nécessitent une étroite collaboration entre le cardiologue, le spécialiste des maladies infectieuses et le chirurgien cardiaque. Les indications principales restent la mauvaise tolérance hémodynamique, le non contrôle du processus infectieux, les embolies, les abcès et les végétations volumineuses. L es statistiqu es récen tes m on tren t qu e 40 % à 55 % d es m alad es attein ts d ’EI son t op érés p en d an t la p ériod e aigu ë d e la m alad ie, avan t la fin d e l’an tibioth érap ie, ce p ou rcen tage étan t p lu s élevé d an s les cen tres m éd icoch iru rgicau x sp écialisés où il attein t et p arfois d ép asse 75 % . Les exp erts d e la Société fran çaise d e card iologie on t p rop osé récem m en t u n gu id e d es in d ication s d e la ch iru rgie valvu laire d an s l’EI (ta b le a ux I e t II) [1]. ➞ F. DELAHAYE, O. ZOUAGHI, V. CART-REGAL, G. DE GEVIGNEY Service de Cardiologie, Hôpital Louis Pradel, BRON. Indications et détermination du moment de l’intervention Le ch oix d es m alad es à op érer et la d éterm in ation d e l’h eu re op tim ale d e l’in terven tion d oiven t être gu id és p ar l’évalu ation d es risqu es en cou ru s. 1. Risque hémodynamique C’est le p rem ier à p ren d re en com p te, et, globalem en t, 60 % à 70 % d es in d ication s d e la ch iru rgie valvu laire p récoce d an s l’EI son t ju stifiées p ar ce risqu e. L’in su ffisan ce card iaqu e est liée essen tiellem en t à d es lésion s locales n on cu rables p ar l’an tibioth érap ie. Dan s ses form es sévères, l’in su ffisan ce card iaqu e n e régresse p as, ou régresse in com p lètem en t, sou s traitem en t m éd ical ad équ at, et la ch iru rgie s’impose sans retard, voire d’urgence, dans les formes avec choc cardiogénique. A l’extrême opposé, les EI sans insuffisan ce card iaqu e n e ju stifien t évid em m en t au cu n recou rs ch iru rgical d an s l’im m éd iat : la d ysfon ction valvu laire résiduelle sera évaluée après la guérison bactériologique, et éventuellement soumise à correction chirurgicale d’indication élective. Dans les insuffisances cardiaques bien contrôlées initialement p ar le traitem en t m éd ical, l’in terven tion peut souvent être différée en cas d’atteinte mitrale isolée, mais pas dans les localisations aortiques ou mitro-aortiqu es. La m ortalité p ériop ératoire, au trefois en core très lou rd e ch ez les malades opérés en insuffisance cardiaque sévère, est aujourd’hui inférieure à 10 % dans la plupart des séries. 2. Risque infectieux 20 à 30 % d es in d ication s d e la ch iru rgie p récoce d an s l’EI son t liées d irec- Le dossier En d ocard ite in fectieu se Indications formelles ● Insuffisance cardiaque persistante sous traitement médical, en rapport avec une fuite valvulaire ou l’apparition d’une communication anormale. ● Persistance d’un syndrome infectieux non contrôlé malgré une antibiothérapie adaptée. ● EI fongique. Indications admises ● Lésions para-annulaires sévères ou évolutives (abcès annulaires ou septaux, lésions sousaortiques). ● Présence d’une végétation volumineuse (> 15 mm) et/ou mobile après un épisode embolique (symptomatique ou non) en l’absence de contre-indication neurochirurgicale. ● Insuffisance cardiaque régressive sous traitement médical en rapport avec une fuite volumineuse. Indications discutées 3. Risque lié aux lésions cardiaques ● Présence d’une végétation volumineuse (> 15 mm) et mobile en l’absence d’embolie. ● Petit abcès, à micro-organisme sensible, sans insuffisance cardiaque, stable et d’évolution favorable sous traitement médical. TABLEAU I : Indications opératoires dans l’EI du cœur gauche sur valve native à la phase hospitalière [1]. Indications formelles ● Insuffisance cardiaque liée à une dysfonction prothétique. ● Persistance d’un syndrome infectieux non contrôlé malgré une antibiothérapie adaptée. Indications admises ● EI compliquée – Dysfonction prothétique sévère (obstruction ou fuite périprothétique). – Abcès périprothétique sévère ou fistule. – Présence d’une végétation volumineuse (> 15 mm) et/ou mobile après un épisode embolique (symptomatique ou non) en l’absence de contre-indication neurochirurgicale. ● de l’EI est sévèrement aggravé lorsque le d élai d ’obten tion d e l’ap yrexie est lon g ; en cas d ’éch ec d ’u n traitem en t antibiotique correctement conduit (fièvre p ersistan te et/ ou h ém ocu ltu res d em eu ran t p ositives ap rès 1 sem ain e), il con vien t d e n e p as d ifférer u n e in terven tion d on t la m ortalité n ’est au jou rd ’h u i p as sign ificativem en t p lu s élevée lorsqu ’elle est réalisée en p h ase bactériologiqu e active, – les com p lication s sep tiqu es card iaqu es et extracard iaqu es son t le troisièm e facteu r à p ren d re en com p te. Il est au jou rd ’h u i m ieu x évalu é, grâce à son d ép istage p récoce p ar l’éch ocard iograp h ie. Les végétation s volu m in eu ses et/ ou m obiles com p orten t u n risqu e em boliqu e accru . Les abcès p érian n u laires et les fu sées p u ru len tes créatrices d e p erforation s sep tales ou d e fistu les aortocavitaires ju stifien t h abitu ellem en t le recou rs à l’in terven tion . Cep en d an t, u n e étu d e m u lticen triqu e fran çaise a m on tré qu e les p atien ts exem p ts d ’in su ffisan ce card iaqu e et d e fu ite valvu laire sévère, d on t l’abcès est d e faible volu m e et d ’étiologie n on stap h ylococciqu e, p eu ven t gu érir p ar le seu l traitem en t m éd ical lorsqu e l’an tibioth érap ie a obten u rap id em en t l’ap yrexie. EI à Staphylococcus aureus ou EI fongique. Indications discutées ● EI postopératoire non compliquée. ● EI non compliquée avec végétation volumineuse (> 15 mm). ● Petit abcès, à micro-organisme sensible, sans insuffisance cardiaque, stable et d’évolution favorable sous traitement médical. TABLEAU II : Indications opératoires dans l’EI sur prothèse à la phase hospitalière [1]. tem en t à l’évolu tion d e l’in fection . Ces in d ication s “in fectieu ses” p ren n en t en com p te p lu sieu rs facteu rs : – le m icro-organ ism e in fectan t d ’abord : l’in terven tion p récoce est très sou ven t n écessaire d an s les EI fon giqu es à végétation s volu m in eu ses, d an s les EI à m icro-organ ism es à Gram n égatif et d an s les EI à stap h ylocoqu es su r p roth èse, – l’efficacité de l’antibiothérapie est un au tre facteu r im p ortan t : le p ron ostic Le traitem en t ch iru rgical d es EI abcéd ées, su rtou t lorsqu e l’exten sion paravalvulaire de l’infection a été resp on sable d ’u n e d iscon tin u ité aortoven tricu laire et/ ou m itro-aortiqu e, ou d’une fistule aortocavitaire ou intercavitaire, est difficile. La reconstitution de la continuité aortoventriculaire est obtenue soit en recourant aux homogreffes aortiques cryopréservées, soit en pratiquant la transposition de l’orifice pulmonaire en position aortique selon la technique de Ross. Le traitement des EI compliquées de fistule aortocavitaire ou intercavitaire reste difficile et grevé d’une mortalité périopératoire lourde (40 % ). D’au tres com p lication s card iaqu es p eu ven t con d u ire à l’in terven tion : – l’ap p arition d ’u n bloc atrioven tricu laire su ggère l’existen ce d ’u n abcès sep tal, y ajou tan t le risqu e syn cop al qu i p eu t im p oser d ’associer la m ise en p lace d ’u n stim u lateu r card iaqu e, – l’in farctu s m yocard iqu e p ar em bolie coron aire con d u it à l’in terven tion valvu laire s’il aggrave irréversiblem en t l’état h ém od yn am iqu e d u m alad e. qu e est con sid érable d an s les qu atre p rem ières sem ain es, p u is il d im in u e len tem en t au -d elà d e la qu atrièm e sem ain e. Ces d on n ées con d u isen t à recom m an d er d ’éviter la ch iru rgie valvu laire en cas d ’h ém orragie cérébrale et d e n e la réaliser, en cas d ’in farctu s cérébral, qu e si l’in d ication est im p érative, au qu el cas il est p référable d ’op érer soit avan t le 3 e jou r, soit ap rès la 4 e sem ain e. 4. Risque lié aux complications extracardiaques La con d u ite à ten ir en cas d e complication splénique est bien cod ifiée. L’in farctu s sp lén iqu e n e m od ifie n i l’in d ication , n i le m om en t d ’u n e éven tu elle ch iru rgie valvu laire, car le risqu e d ’h ém orragie in tra-abd om in ale est faible en cette circon stan ce. La sp lén ectom ie n e d oit être p ratiqu ée qu ’en cas d e ru p tu re d e rate ou d ’in farctu s sp lén iqu e, abcéd é ou n on , volu m in eu x et sou s-cap su laire. C’est le p lu s d ifficile à évalu er. Le p ron ostic très sévère d es accid en ts cérébrovascu laires et les in d ication s d ifficiles d e la ch iru rgie valvu laire ch ez les p atien ts qu i on t p résen té u n tel accid en t con d u isen t à p ratiqu er u n e tom od en sitom étrie et/ ou u n e IRM d u cerveau ch ez tou t p atien t attein t d ’EI, car les em bolies cérébrales m u ettes son t fréqu en tes. Le dilemme, en cas d’accident cérébrovasculaire, est le suivant : ou bien l’on évite la ch iru rgie valvu laire en raison d u risqu e qu ’elle fait cou rir d ’aggravation d e l’état n eu rologiqu e, et l’on p ren d alors le risqu e d ’u n e aggravation su r le p lan h ém od yn am iqu e ou in fectieu x, ou d e récid ives em boliqu es ; ou bien l’on réalise l’in terven tion valvu laire, m ais à qu el p rix su r le p lan n eu rologiqu e ? En cas d ’in farctu s cérébral, le risqu e d e tran sform ation h ém orragiqu e d e l’in farctu s (h ém orragie d e rep erfu sion secon d aire à la fragm en tation secon d aire d u th rom bu s em boliqu e, risqu e aggravé p ar l’an ticoagu lation p ériop ératoire) est faible (< 20 % ) lorsqu e l’in terven tion valvu laire est réalisée d an s les 72 h eu res su ivan t l’accid en t cérébral. Il au gm en te beau cou p les jou rs su ivan ts, p ou van t attein d re 20 % à 50 % d u 4 e au 14 e jou r, p ou r d im in u er à p artir d u 14 e jou r et d even ir qu asi n u l à p artir d e la qu atrièm e sem ain e. En cas d ’h ém orragie cérébrale, le risqu e d ’aggravation d e l’état n eu rologi- Les embolies artérielles périphériques p eu ven t im p oser u n geste d e d ésobstruction artérielle d’urgence, voire une rép aration artérielle en cas d ’an évrysm e m ycotiqu e. Leu r su rven u e implique une recherche des végétations valvu laires p ar éch ocard iograp h ie transœsophagienne, et conduit à discuter l’indication de chirurgie valvulaire. 5. Risque lié à la localisation de la greffe infectieuse Il est aujourd’hui bien évalué. Dans les EI sur valve native, la d étérioration hémodynamique est plus fréquente et plus précoce en cas de localisation aortique ou mitro-aortique, et l’indication d e ch iru rgie valvu laire p récoce y est p lu s sou ven t p osée qu e d an s les EI mitrales. Dan s ces d ern ières, l’in terven tion rép aratrice est p ossible d an s 80 % des cas, avec d’excellents résultats : m ortalité p ériop ératoire in férieu re à 5 % , tau x d e su rvie à 5 an s d ép assan t 90 % , m ais risqu e d e récid ive in fectieu se et/ ou d e réop ération assez élevé d an s la p rem ière an n ée postopératoire. Les EI tricuspidiennes requièrent rarement le recours à la ch iru rgie, qu i p eu t sou ven t être con servatrice. Les in d ication s ch iru rgicales d an s les EI sur prothèse valvulaire so n t so u v e n t p lu r ifa c to r ie lle s : h ém od yn am iqu es (d ésin sertion d e la p r o th è se a v e c fu ite im p o r ta n te ), in fectieu ses (m icro-organ ism e résistan t, abcès p arap roth étiqu es) et/ ou em boliqu es. Techniques chirurgicales Les tech n iqu es ch iru rgicales u tilisées sont très variées. Autrefois, la chirurgie de l’EI se limitait aux remplacements valvu laires. Le ch oix en tre p roth èse mécanique et biologique est largement in flu en cé p ar l’âge d u p atien t, son espérance de vie et les risques des anticoagu lan ts (accid en t n eu rologiqu e récent…). Au niveau mitral, les réparations valvulaires doivent toujours être préférées. L’utilisation de patchs péricard iqu es ou d ’h om ogreffes m itrales partielles permet d’en étendre les indications. A l’étage aortique, le choix de la tech n iqu e d ép en d essen tiellem en t de la gravité et de l’étendue des dégâts valvulaires d’origine infectieuse. Lorsqu e les lésion s resten t p u rem en t valvu laires, san s abcès an n u laire, u n geste sim p le, p ar rem p lacem en t p roth étiqu e, d oit être p référé. Lorsqu ’il existe u n abcès an n u laire m ajeu r, d es tech n iqu es p lu s com p lexes son t requ ises. Il fau t u n e exérèse com p lète d e l’en sem ble d es tissu s sep tiqu es, ce qu i p eu t d an s certain s cas être très d élabran t. Les h om ogreffes p erm etten t d e rem p lacer la valve in fectée m ais au ssi les tissu s ad jacen ts com m e l’aorte et le toit d e l’oreillette gau ch e ou le rid eau sou s-aortiqu e. Cep en d an t, il n ’est p as certain qu e l’h om ogreffe ou l’in terven tion d e Ross (risqu e d e réin terven tion secon d aire) ap p orten t u n avan tage d écisif à lon g term e p ar rap p ort au x p roth èses m écan iqu es. Le dossier En d ocard ite in fectieu se Résultats 1. Mortalité périopératoire Elle est d an s les cas les p lu s favorables (EI n on abcéd ée su r valve n ative, EI m itrale avec in terven tion rép aratrice ou h om ogreffe) in férieu re à 5 % . Elle est h abitu ellem en t p lu s lou rd e d an s les EI su r p roth èse valvu laire (> 10 % ). Les facteu rs d e m ortalité p ériop ératoire accru e son t l’in su ffisan ce card iaqu e sévère (classe IV d e la NYHA), l’état d e ch oc, sep tiqu e ou card iogén iqu e, l’in su ffisan ce rén ale, p ré- ou p ostop ératoire, et le d élai d ’obten tion – ou la n on obten tion – d e l’ap yrexie avan t l’in terven tion . 2. Evolution à moyen et long termes A lon g term e, la ch iru rgie valvu laire p récoce est grevée d ’u n e m orbim ortalité p lu s lou rd e qu e la ch iru rgie valvu laire “à froid ”, d ’in d ication élective. Les récid ives d ’EI y son t fréqu en tes, su rtou t lorsqu e l’in terven tion a p orté su r d es lésion s abcéd ées : leu r in cid en ce est d e l’ord re d e 1 % p ar an d an s les EI “tou t-ven an t” op érées, m ais elle attein t 3 % p ar an d an s les EI abcéd ées. Le p ou rcen tage d e réop ération s, p ou r d ésin sertion d e p roth èse et/ ou récid ive d ’EI essen tiellem en t, est voisin d e 2 % à 3 % p ar an . La lectu re d es séries ch iru rgicales m on tre d e gran d es d ifféren ces qu an t au x tau x d e su rvie à lon g term e. Ces d ifféren ces s’exp liqu en t p ar les d ifféren ces d e gravité d es p atien ts op érés, d e d u rées d e su ivi, d es p ériod es d e recru tem en t et d e tech n iqu es ch iru rgicales u tilisées. On peut retenir des taux de survie à 5 ans : – voisin s d e 90 % p ou r les EI m itrales su r valve n ative traitées p ar ch iru rgie rép aratrice et p ou r les EI su r p roth èse aortiqu e traitées p ar rem p lacem en t p ar h om ogreffe, – voisin s d e 75 % à 80 % p ou r les EI aortiqu es su r valve n ative, – n e d ép assan t p as 60 % à 70 % d an s les EI su r p roth èse. La sévérité d e l’in su ffisan ce card iaqu e p réop ératoire, l’existen ce d ’u n e in su ffisan ce rén ale avan t l’in terven tion , l’âge élevé au m om en t d e l’in terven tion , l’EI su r p roth èse son t les p rin cip au x facteu rs d e m au vais p ron ostic à lon g term e. Bibliographie 1. Société fran çaise d e card iologie. Recom m an d ation s con cern an t la p rise en ch arge d es valvu lop ath ies acqu ises et d es d ysfon ction s d e p roth èse valvu laire. In d ication s op ératoires et in terven tion n elles. A rch Mal Cœ u r, 2005 ; 98 (2 Su p p l.) : 5-61. L’au teu r a d éclaré n e p as avoir d e con flit d ’in térêt con cern an t les d on n ées p u bliées d an s cet article.