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Jusqu’à maintenant nous avons pu discuter la perspective économique et sociale du
parti de Lénine sur la base de ses programmes, des thèses, des décisions des congrès, de celles
proposées dans les réunions ouvrières, dans les congrès des Soviets. À partir de ce point nous
avons à notre disposition deux types de matériaux : les programmes que le parti continue à
élaborer et les mesures qu’il fait effectuer par les organes de l’État, les lois, les décrets qui
sont émis. On comprend bien qu’un tel matériel complète celui plus important des données
effectives de l’économie russe, des changements qui se vérifient dans son cadre après la
révolution et en rapport à la politique du nouveau pouvoir – de même que, auparavant
également, les caractères de la société russe des dernières décennies et de ses données ayant
trait à la production, au travail et à la consommation ont été d’une grande importance, ils
furent mis en évidence à partir des études des marxistes russes eux-mêmes.
Toute manifestation du parti contient, mais dans des mesures différentes, deux
éléments inséparables : l’élément descriptif et scientifique sur lequel les possibilités
immédiates et concrètes sont étroitement greffées, et l’élément d’agitation qui doit
nécessairement aller plus loin et poser des revendications plus importantes même si leur
réalisation est plus lointaine. Quand nous passons du programme de parti au décret d’État, ce
caractère d’agitation, qui dans les phases historiques actives et fertiles est de première
importance, ne peut totalement disparaître ; dans certains cas le rapport peut même s’inverser,
et une thèse d’économie théorique élaborée par le parti pour guider son action peut être moins
radicale qu’un décret qu’il fait promulguer et qui doit non seulement assurer des mesures
pratiques, mais également parler aux masses, les éveiller et les exercer aux tâches des phases
ultérieures.
Sans cela – alors que ce que nous déduirions des données, même quantitatives, des
faits économiques, quand on en dispose, resterait valide - tout le matériel législatif de la
nouvelle république révolutionnaire, non seulement quand il s’agit de déclarations de
principes et de droits mais également quand il s’agit de mesures techniques effectives, ne
serait pas bien utilisé. Et l’on ne comprendrait rien si l’on ne savait donner le juste poids à cet
élément d’agitation révolutionnaire qui est, disons-nous, non seulement légitime mais
nécessaire et inévitable ; on ne peut l’omettre d’autant plus que l’on parle au monde entier et
au prolétariat mondial. Il ne s’agit pas de donner à cet élément d’agitation des modèles à
imiter, et l’on ne doit pas même passer sous silence que les mesures pratiques sont
absolument hybrides et impures en comparaison de celles que pourrait prendre une république
prolétarienne allemande ou anglaise. Mais alors que l’on doit dire que la forme qui se réalise
est d’aventure une forme totalement bourgeoise, l’on doit rappeler en toute occasion qu’on ne
l’admet et qu’on ne la favorise qu’à cause de l’exigence de la voie générale que doit prendre
le monde dans sa totalité, et donc la Russie elle-même sur cette voie, vers le programme
socialiste intégral, postcapitaliste.
Cela doit surtout être appliqué avec une dialectique vigoureuse aux matériaux de la
politique révolutionnaire des premières années, des années avec Lénine, dans lesquelles la
guerre menée contre le monde capitaliste battait son plein, soit parce que ses émissaires et
agents en Russie étaient encore les armes à la main, soit parce que les communistes en dehors
de la Russie visaient encore au cœur de l’ennemi et pouvaient être à la veille de s’emparer de
la totalité du pouvoir sur des structures économiques de la puissance de celles de l’Allemagne
par exemple, où les décrets du pouvoir socialiste, de la même façon, auraient précédé d’un
demi-siècle ceux de la Russie, et auraient donné à l’apparition de ceux-ci une anticipation
d’un quart de siècle au moins par rapport à ceux d’une Russie isolée, prétendu modèle, baptisé
de façon grotesque « paradis ».
Dans notre époque moderne infâme, époque de la diplomatie, des Nations Unies dans
lesquelles Lénine vivant ne serait jamais entré, de la coexistence pacifique, de la non-