20-021-A-10 Anatomie et physiologie du vestibule C. Chabbert La présente revue ambitionne de faire un point sur la physiologie du vestibule. L’idée n’est pas de reproduire ici les différentes présentations déjà disponibles dans de nombreux ouvrages de physiologie ou de médecine ou sur divers sites Internet, mais plutôt d’apporter un regard différent, plus mécanistique et moléculaire, en explorant le fonctionnement du vestibule « de l’intérieur ». Par cette approche, nous tenterons de décrire les principes et limites physiques qui gouvernent les processus de mise en place de l’information sensorielle vestibulaire. Nous présenterons également plusieurs approches technologiques originales qu’il a été nécessaire de développer pour appréhender les caractéristiques morphofonctionnelles des organes vestibulaires. Cette démarche a pour objectif de susciter l’intérêt, mais aussi de promouvoir de nouvelles questions et projets d’étude sur le fonctionnement de cet organe original qui ne cesse d’étonner. © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots-clés : Vestibule ; Transduction mécanoélectrique ; Otoconies ; Endolymphe ; Synapses en ruban Plan ■ Vestibule : organe complexe aux multiples fonctions 1 ■ Cellules ciliées vestibulaires et transduction mécanoélectrique Processus de transduction mécanoélectrique Encodage et transmission de l’information vestibulaire 2 2 3 ■ Endolymphe comme moteur électrochimique de la transduction mécanoélectrique et notion de flux endolymphatique Composition originale de l’endolymphe vestibulaire Flux endolymphatique : mythe ou réalité ? 4 4 5 ■ Otoconies, membrane otoconiale et notion de masse inertielle Notion de masses inertielles Métabolisme des otoconies 5 5 5 ■ Synapses afférentes et efférentes Zone de transfert et de codage Zone de contrôle Zone de plasticité Zone de fragilité 6 6 6 7 7 ■ Conclusion 7 Vestibule : organe complexe aux multiples fonctions Le vestibule est une merveille d’évolution et de miniaturisation qui rassemble dans le volume d’une noisette, un détecteur tridimensionnel d’une extrême sensibilité et un amplificateur de haute fidélité capables d’informer le cerveau en temps réel, sur les moindres accélérations auxquelles notre tête est soumise. Pour atteindre un tel degré de précision et d’efficacité, l’oreille s’est dotée au cours de l’évolution, de systèmes extrêmement perfectionnés, mettant en jeu des mécanismes moléculaires hautement EMC - Oto-rhino-laryngologie Volume 0 > n◦ 0 > xxx 2015 http://dx.doi.org/10.1016/S0246-0351(15)58501-2 spécialisés (canaux ioniques membranaires à activation mécanique, par le voltage ou par des ligands, rubans synaptiques), des adaptations biologiques sans équivalent (masses inertielles des macules, synapses en calice) et utilisant des échanges ioniques entre plusieurs compartiments distincts (endolymphe, milieu intracellulaire, périlymphe). Différentes zones effectrices (zones mécanoréceptrices, zones sécrétoires, zone de neurotransmission) contribuent de concert au fonctionnement de cette machinerie unique dans le système nerveux [1] . Des systèmes de rétrocontrôle nerveux (fibres efférentes cholinergiques en provenance du tronc cérébral), mais également endocrines (expression au niveau du vestibule de récepteurs à l’adrénaline, l’histamine, la sérotonine, aux estrogènes), ont également été développés afin d’assurer un réglage fin du fonctionnement du vestibule en fonction de la nature de notre interaction avec l’environnement. Au-delà d’une machine ultraperfectionnée, capable de reproduire à l’infini et de manière contrôlée la séquence des événements unitaires qui supportent le principe de transduction mécanoélectrique, le vestibule dispose de propriétés moins connues, mais tout aussi surprenantes, telles qu’une forte propension à la plasticité. Cette propriété lui permet d’adapter à la demande, ses capacités de neurotransmission, mais également sous certaines conditions, de réparer spontanément son réseau neuronal endommagé. De manière étonnante, ces propriétés plastiques, souvent limitées à la période développementale dans beaucoup de tissus, sont préservées dans le vestibule des mammifères adultes [2] . Le vestibule joue enfin un rôle de senseur de notre interaction avec l’environnement et assure en permanence, via la voie vestibulohypothamique, un contrôle neuroendocrine sur divers paramètres biologiques, tels que le rythme cardiaque, la température corporelle, ou encore le métabolisme osseux [3, 4] . Il n’est donc pas étonnant qu’un dispositif aussi précieux, impliqué à la fois dans le maintien de la posture et de la locomotion, dans l’orientation du corps dans l’espace comme dans la perception corporelle, soit protégé dans un « coffre-fort » osseux extrêmement résistant, l’os temporal. Pour de plus amples informations sur les 1 20-021-A-10 Anatomie et physiologie du vestibule différents aspects anatomiques et l’intégration fonctionnelle des informations vestibulaires, le lecteur est invité à se référer aux excellentes revues récemment publiées sur ce thème [5–7] . Cellules ciliées vestibulaires et transduction mécanoélectrique La cellule ciliée est l’élément de base de la transduction mécanoélectrique. C’est elle qui va assurer la détection des moindres déplacements de la tête, leur encodage en informations bioélectriques et la transmission de l’information sensorielle vers les centres supérieurs via le nerf vestibulaire. Les cellules ciliées sont présentes chez tous les vertébrés, depuis les poissons jusqu’aux mammifères. Leur forme et leur fonction de mécanotransduction ne varient globalement que très peu sur toute l’échelle des vertébrés. Chez l’homme, 134 000 cellules ciliées sont disposées de manière bilatérale, en cinq épithélia sensoriels qui assurent chacun des fonctions de détections complémentaires. Les crêtes ampullaires détectent les accélérations angulaires, tandis que les macules détectent les accélérations linéaires. La disposition et l’orientation de chaque cellule ciliée sur les différents épithélia sensoriels ne sont pas aléatoires. Elles répondent au contraire à un programme morphogénétique précis de développement qui commence à être déchiffré depuis quelques années [8] . Chaque cellule ciliée est séparée de ses congénères par des cellules de soutien dont la fonction dépasse largement le simple rôle de stabilisation et d’organisation de l’épithélium. Ces dernières présentent en effet à leur surface de petites microvillosités parfaitement ordonnées (Fig. 1) qui pourraient contribuer à la régulation de la composition ionique de l’endolymphe. Dans leur partie basolatérale, les cellules de soutien expriment des protéines membranaires impliquées dans le recyclage du glutamate de la zone synaptique [9] . Elles pourraient également avoir un rôle essentiel dans la stabilisation et le maintien des connexions synaptiques avec les neurones du ganglion de Scarpa, via la libération de neurotrophines [10] . Dans leur partie apicale, les cellules ciliées sont équipées d’une véritable antenne de réception des stimuli mécaniques : la touffe ciliaire (Fig. 1). Composée de 20 à 300 stéréocils selon les espèces, elle est capable, grâce à sa structure sur pivots, de ressentir les moindres mouvements et accélérations de la tête et d’enclencher une cascade d’événements qui vont conduire à un changement de l’état électrique de la cellule ciliée. Les stéréocils sont regroupés de manière hexagonale. Ils varient progressivement en longueur sur la surface de la cellule. Ils sont composés d’un squelette d’actine. Un seul vrai cil, le kinocil, possédant une armature de microtubule, est érigé à l’extrémité la plus haute de la touffe ciliaire. Il joue un rôle d’ancrage de la touffe ciliaire à la membrane otoconiale. De fins filaments d’actine disposés le long de chaque stéréocil permettent de les maintenir en position verticale et de préserver une distance d’environ 10 nm avec les stéréocils voisins. Ce dispositif permet de rigidifier la touffe ciliaire et de la rendre plus réceptive aux déplacements. De manière remarquable, les stéréocils ne sont pas uniformes (Fig. 1). Leur largeur varie selon les espèces, de 100 à 900 nm à leur apex à quelques dizaines de nanomètres à leur base. Ce rétrécissement joue un rôle de pivot autour duquel chaque stéréocil peut bouger librement [1] . Les stéréocils, grâce à leur squelette d’actine, sont ancrés dans la plaque cuticulaire. Ce socle protéique disposé dans la partie la plus haute du corps cellulaire et composé de filaments d’actine, de myosine et de tropomyosine forme les fondations de cet édifice. Son organisation de type musculaire pourrait permettre, selon le besoin, d’adapter la rigidité ou la position de la touffe ciliaire [11] . Processus de transduction mécanoélectrique Le processus de transduction mécanoélectrique est initié par la mise en mouvement de la touffe ciliaire [13] . Le glissement des stéréocils adjacents les uns par rapport aux autres exerce une traction sur de fins filaments protéiques, les liens apicaux, situés à l’apex de chaque stéréocil et reliés directement à des canaux ioniques membranaires mécanosensibles : les canaux de transduction [14] . L’ouverture de ces canaux ioniques à perméabilité non sélective permet l’entrée massive dans le cytoplasme de la cellule ciliée d’ions potassium (K+ ) et calcium (Ca2+ ) en provenance de l’endolymphe qui baigne la partie apicale des cellules ciliées (Fig. 2). Il est à noter qu’une partie des canaux de transduction (estimée à 15 %) reste ouverte au repos [1] . Ainsi, même en l’absence de mouvement, les cellules vestibulaires entretiennent une activité de repos qui maintient une décharge électrique de base dans le nerf vestibulaire. L’existence de cette activité de repos est importante si l’on considère que le basculement de la touffe ciliaire vers les cils les plus grands (appelé sens positif) provoque l’ouverture de la totalité des canaux de transduction, 2 3 4 5 1 A 6 B Figure 1. La touffe ciliaire: une merveille d’évolution au service de la transduction mécano-électrique. A. Photo microscopie électronique à balayage de la surface d’un utricule de crapaud buffle. La cohésion des stéréocils et leur disposition en fonction de leur taille sont particulièrement visibles sur cette photo. Noter également le rétrécissement en biseau à la base des stéréocils et le bulbe du kinocil (en haut à droite de la touffe ciliaire). De petites microvillosités parfaitement alignées sont visibles en surface des cellules de soutien. Échelle 2 m. B. Représentation schématique du processus d’adaptation au mouvement de la touffe ciliaire. Le déplacement de la touffe ciliaire (1) vers les stéréocils (6) les plus grands, provoque l’extension des liens apicaux (5) et l’ouverture des canaux de transduction (2). L’entrée de calcium au travers de ces canaux déclenche localement le glissement des molécules de myosine (3) sur les filaments d’actine (4) qui forment le squelette des stéréocils. Il s’ensuit un déplacement des canaux membranaires au sein de la membrane plasmique, un relâchement des liens apicaux et une refermeture automatique des canaux de transduction. Adapté de [12] . 2 EMC - Oto-rhino-laryngologie Anatomie et physiologie du vestibule 20-021-A-10 K+ Figure 2. Schéma illustrant le principe de transduction mécano-électrique. L’ouverture des canaux de transduction à perméabilité non sélective permet l’entrée massive dans le cytoplasme de la cellule ciliée d’ions K+ et Ca2+ en provenance de l’endolymphe qui baigne la partie apicale des cellules ciliées. Le déplacement de la touffe ciliaire vers les cils les plus grands (gauche) provoque l’ouverture de la totalité des canaux de transduction, une entrée massive de K+ dans la cellule, une augmentation de voltage de la cellule ciliée et une activation de la décharge des neurones primaires. Une partie des canaux de transduction ouverte au repos (centre) assure une activité de décharge de repos dans les neurones primaires. Un basculement de la touffe ciliaire vers les cils les plus petits (droite) provoque la fermeture de ces canaux. Selon la direction de l’accélération reçue par la tête, l’activité de repos des cellules ciliées est ainsi modulée dans le sens d’une excitation ou une inhibition. K+ K+ Mouvement de la cupule ou des otoconies Endolymphe Périlymphe K+ K+ Ca2+ K+ K+ -60 -60 Voltage cellulaire -100 -20 millivolts Décharge neurone primaire Excitation -100 -60 -20 millivolts Repos tandis qu’un basculement dans le sens opposé (sens négatif) provoque la fermeture de ces canaux (Fig. 2). Selon la direction de l’accélération reçue par la tête, l’activité de repos des cellules ciliées sera ainsi modulée dans le sens d’une excitation ou d’une inhibition. L’arrangement varié des cellules ciliées sur l’épithélium sensoriel permet ainsi à tout moment et, quelle que soit l’orientation du mouvement de la tête, de détecter, encoder et transmettre une information sensorielle aux centres supérieurs. Afin de pouvoir répondre à des stimulations mécaniques répétées et rapprochées dans le temps, la touffe ciliaire dispose d’un mécanisme original dit « d’adaptation ». Ce phénomène assure la refermeture automatique des canaux de transduction à l’image d’une porte équipée d’un groom [12] . Ce mécanisme d’adaptation est basé sur l’interaction de molécules de myosine présentes à l’intérieur de chaque stéréocil [15] et sur lesquelles sont amarrées les protéines membranaires constituant les canaux de transduction. L’ensemble est rattaché aux filaments d’actine qui forment le squelette des stéréocils (Fig. 1). L’entrée de Ca2+ depuis l’endolymphe permet localement le glissement des molécules de myosine le long des filaments d’actine. Cette opération entraîne le glissement des canaux de transduction le long des stéréocils et leur repositionnement en position fermée après relâchement de la traction sur les liens apicaux. Ce phénomène d’adaptation est crucial pour réinitialiser la micromécanique de la touffe ciliaire en vue des stimulations suivantes. Encodage et transmission de l’information vestibulaire L’encodage de l’information sensorielle vestibulaire consiste à conserver lors du processus de transduction mécanoélectrique, les différents paramètres des déplacements de la tête (vitesse, amplitude, durée). Cette opération est cruciale afin de discriminer entre les différents types d’accélérations reçus. La mise en forme de l’information sensorielle débute évidemment à l’apex de la cellule sensorielle, au niveau de la touffe ciliaire, où amplitude et durée du déplacement déterminent le degré d’ouverture des canaux de transduction, la quantité d’influx de K+ et, par conséquent, le degré de dépolarisation de la cellule ciliée. L’encodage se poursuit ensuite dans la partie basolatérale de la cellule sensorielle où EMC - Oto-rhino-laryngologie -100 -20 millivolts Inhibition sont exprimés différents types de canaux ioniques membranaires activés par le voltage. Le flux d’ions K+ entrés via la touffe ciliaire envahit progressivement tout le corps cellulaire de la cellule sensorielle, provoquant un changement de son état électrique. Selon le degré de dépolarisation, il s’en suit une ouverture de canaux calciques membranaires activés par le voltage (type L sensibles aux dihydropyridines). L’influx d’ions Ca2+ , déterminé par le gradient électrochimique local, participe ensuite à la mobilisation des vésicules synaptiques et au relargage du glutamate dans la fente synaptique. Cette étape est déterminante pour le transfert de l’information sensorielle vers les fibres nerveuses afférentes des neurones vestibulaires primaires (neurones du ganglion de Scarpa). Le glutamate libéré par chaque vésicule présynaptique se fixe alors sur les récepteurs spécifiques du glutamate exprimés sur la membrane des terminaisons nerveuses afférentes. La fixation du glutamate sur ses récepteurs spécifiques provoque un changement de conformation de ces protéines canaux et permet l’entrée massive de sodium ou de calcium selon le type de récepteur considéré (récepteurs alpha-3-amino-OH-5-méthyl-4-isoxazole propionique [AMPA] et N-méthyl-D-aspartate [NMDA] respectivement) dans la terminaison nerveuse afférente [16–19] . C’est principalement l’influx de Na+ au travers des récepteurs AMPA qui est à l’origine des changements transitoires et locaux du potentiel de membrane appelés potentiels postsynaptiques excitateurs (PPSE). Après cheminement et sommation au niveau du premier demi-nœud de Ranvier, ces PPSE vont contribuer au déclenchement d’un potentiel d’action qui cheminera ensuite le long du nerf vestibulaire vers le tronc cérébral. Il est à noter que les cellules ciliées disposent d’un système original de libération de glutamate, que l’on ne retrouve que dans les cellules sensorielles (y compris les photorécepteurs). Ces systèmes appelés « rubans présynaptiques » agissent comme des tapis roulants permettant d’approvisionner en continu les synapses vestibulaires et de maintenir un rythme de libération rapide et soutenu du neurotransmetteur [20, 21] . Afin de ne pas obstruer les récepteurs du glutamate et bloquer le processus de neurotransmission, le glutamate se décroche ensuite rapidement des récepteurs et est évacué de la « zone active » grâce à l’action de transporteurs du glutamate. Ces protéines membranaires exprimées sur la membrane des cellules de soutien fixent le glutamate et le transbordent vers leur cytoplasme. Là, il est 3 20-021-A-10 Anatomie et physiologie du vestibule transformé en glutamine, puis exporté à nouveau vers la cellule ciliée. Cette opération constitue ce que l’on appelle le « cycle du glutamate ». Dans le cas particulier des synapses en calice, où la terminaison nerveuse s’étale sur la totalité de la membrane basolatérale de la cellule ciliée, l’action des transporteurs du glutamate des cellules de soutien ne peut s’effectuer. Dans ce cas précis, d’autres types de transporteurs du glutamate (EAAT4 et EAAT5) exprimés à la fois en pré- et postsynapse assurent la recapture du glutamate directement par la cellule ciliée, ou encore son évacuation vers la terminaison nerveuse [9] . En parallèle du processus de neurotransmission, la dépolarisation initiée par l’influx de K+ en provenance de l’endolymphe active des canaux K+ membranaires sensibles au voltage [22] . En raison du gradient électrochimique local, leur ouverture provoque une sortie massive de K+ depuis le cytoplasme de la cellule ciliée vers la périlymphe qui l’entoure. Cette fuite de charges électriques positives provoque une hyperpolarisation progressive de la cellule ciliée et un retour à son potentiel de repos (de l’ordre de −80 mV à −90 mV selon le type cellulaire). La cellule est alors prête pour réagir à la prochaine accélération. Endolymphe comme moteur électrochimique de la transduction mécanoélectrique et notion de flux endolymphatique L’endolymphe baigne la touffe ciliaire des cellules sensorielles. De par sa composition ionique particulière (riche en K+ 140 mM), elle constitue le moteur électrochimique de la transduction mécanoélectrique. Comme dans l’ensemble du corps, les mouvements ioniques à ce niveau sont gouvernés par la combinaison d’un gradient électrique et d’un gradient chimique. Le gradient électrique repose sur le principe que deux charges électriques de signes opposés s’attirent, tandis que deux charges de mêmes signes se repoussent. Le cytoplasme de la cellule ciliée étant chargé négativement (potentiel intracellulaire de l’ordre de –80 mV), les cations situés à l’extérieur de la cellule (dans l’endolymphe comme dans la périlymphe) auront ainsi tendance à entrer dans la cellule, si un canal ionique membranaire, assez large pour les laisser passer, s’ouvre. Le gradient chimique est basé sur le principe de diffusion d’un composé. Ce principe implique qu’un ion tend à diffuser d’une zone où il est très concentré, vers une zone où il l’est moins. Les ions K+ très concentrés dans le cytoplasme de la cellule auront tendance à sortir vers la périlymphe où ils sont bien moins représentés (5 mM), si tant est qu’ils en aient là encore, la possibilité. Au niveau des différentes zones du vestibule, l’association et quelques fois l’opposition de ces deux gradients régit les échanges ioniques entre l’endolymphe et le cytoplasme, et entre le cytoplasme et la périlymphe (Fig. 2). Composition originale de l’endolymphe vestibulaire La composition originale de l’endolymphe vestibulaire est le résultat d’échanges ioniques qui s’exercent en différentes zones du vestibule [23] . Des études utilisant des électrodes à sélectivités ioniques ont permis de démontrer qu’une sécrétion massive de K+ s’effectue au travers de canaux potassiques (KCNQ1/KCNE1) exprimés par les cellules sombres qui bordent les crêtes ampullaires et l’utricule (Fig. 3). La dérégulation pharmacologique de cette sécrétion ou encore l’altération du fonctionnement de ces canaux (cas des syndromes de Jervell et Lange-Nielsen et du QT court) à la suite de mutations génétiques est susceptible de perturber considérablement les échanges de K+ dans l’endolymphe, avec la conséquence dans certains cas de provoquer des désordres vestibulaires importants [24–27] . L’expulsion de ce même K+ du compartiment endolymphatique vers la périlymphe via les cellules ciliées contribue au cycle du K+ dans le vestibule (Fig. 3) [26] . Les cellules épithéliales qui forment la paroi du labyrinthe membraneux sont également une zone d’échange ionique importante. Des entrées de Cl– , ainsi que des sorties de Ca2+ et de Na+ s’effectuent à ce niveau. De même, des entrées de K+ et de Na+ s’effectuent au travers des cellules transitionnelles qui bordent les épithélia sensoriels [23] . Contrairement aux autres épithélia sensoriels vestibulaires, le saccule ne possède pas de cellules sombres. Le K+ , indispensable à la transduction mécanoélectrique à ce niveau, est en majeure partie acheminé depuis l’endolymphe cochléaire via l’aqueduc cochléovestibulaire. En conditions normales, le saccule bénéficie ainsi du K+ sécrété dans l’endolymphe au travers de la strie vasculaire [26] . Endolymphe K+ Cupule Cellules épithéliales K+ KCNQ1/ KCNE1 CC CS Périlymphe A CT K+ Cellules sombres B Figure 3. Métabolisme et dynamique de l’endolymphe. A. Photographie en microscopie optique d’un vestibule isolé de tortue pseudemys scripta adulte. Les crêtes ampullaires et une partie des canaux semicirculaires emplis d’endolymphe sont bien visibles sur la photographie. À cause de l’élasticité du vestibule membraneux, les mouvements liquidiens de l’endolymphe lors d’un mouvement de la tête sont très limités. B. Schéma illustrant le « cycle du K+ » au niveau d’une crête ampullaire. Le K+ sécrété par les cellules sombres via les canaux KCNQ1/KCNE1 est expulsé depuis l’endolymphe vers la périlymphe au travers des cellules ciliées (CC). CS : cellules de soutien ; CT : cellules transitionnelles. 4 EMC - Oto-rhino-laryngologie Anatomie et physiologie du vestibule 20-021-A-10 Flux endolymphatique : mythe ou réalité ? On a longtemps pensé que la sécrétion ionique au niveau de la strie vasculaire s’accompagnait de la génération d’un courant liquidien ou « flux longitudinal », prenant naissance dans la cochlée et se propageant vers le sac endolymphatique, après circulation dans les différents compartiments du vestibule. De récents travaux réalisés par l’équipe d’Alec Salt de l’Université de Washington à Saint Louis (États-Unis) viennent d’infirmer ce postulat. En injectant au moyen de micropipettes de verre des marqueurs chimiques à différents niveaux du compartiment endolymphatique et en utilisant des électrodes à sélectivité ionique, cette équipe a pu suivre les déplacements de ces molécules au cours du temps selon leur zone d’injection [28, 29] (voir aussi http://oto2.wustl.edu/cochlea/res1.htm). Leurs résultats démontrent clairement que les déplacements de liquide dans l’endolymphe sont infimes, voire inexistants. En absence de flux endolymphatique, la répartition ionique de l’endolymphe est donc régie d’une part par la simple loi de diffusion des molécules en milieux liquidiens, et d’autre part par les échanges ioniques qui s’exercent à différents endroits du vestibule. Ces travaux sont particulièrement précieux pour appréhender la cinétique de diffusion des composés administrés par voie générale ou de manière locale, et pour relier leurs effets thérapeutiques à leur action effective sur les organes concernés. Étant donné que les mouvements liquidiens de l’endolymphe sont limités, ou pour le moins extrêmement lents, on peut se demander comment s’effectue le déplacement des touffes ciliaires au cours d’un mouvement de la tête. Ce point est illustré dans le paragraphe suivant. Otoconies, membrane otoconiale et notion de masse inertielle Notion de masses inertielles Contrairement à l’anémone de mer dont les tentacules sont mis en mouvement par les flux et reflux de la mer, les touffes ciliaires des cellules sensorielles vestibulaires ne sont pratiquement pas sensibles aux mouvements liquidiens de l’endolymphe. Ceci pour la simple raison que ces mouvements sont extrêmement limités, même lors de mouvements violents de la tête. Pour transmettre efficacement les mouvements de la tête aux touffes ciliaires, le vestibule s’est doté de masses inertielles qui amplifient le mouvement subi. Leur déplacement provoque le basculement de la touffe ciliaire et le cisaillement des cils nécessaire à l’ouverture des canaux de transduction et à l’initiation de la transduction mécanoélectrique. Les masses inertielles jouent donc un rôle amplificateur de mouvement. Au niveau des crêtes ampullaires, les masses inertielles sont appelées cupules. Elles sont constituées d’une masse gélatineuse dans laquelle sont insérés les kinocils des touffes ciliaires. Au niveau des macules, les masses inertielles sont constituées d’amas de cristaux de carbonates de calcium appelés « otoconies » disposés sur une structure protéique en forme de filet, « la membrane otoconiale ». La membrane otoconiale repose à la surface des épithélia sensoriels et les kinocils des touffes ciliaires y sont amarrés (Fig. 4). L’action de ces masses inertielles dans l’élaboration de l’information sensorielle vestibulaire est essentielle. On a pu constater sur des modèles de souris génétiquement modifiées que l’absence d’otoconies suffit à elle seule à abolir totalement le processus de transduction mécanoélectrique, même si les différents acteurs de la transduction mécanoélectrique (endolymphe, cellules ciliées, contacts synaptiques, neurones primaires) restent parfaitement fonctionnels [30] . Métabolisme des otoconies À l’image des perles de culture qui naissent à partir d’un grain de sable au cœur d’une huître, les otoconies présentes au creux de notre vestibule sont produites dans l’endolymphe maculaire par des concrétions de carbonate de calcium autour de l’otoconine [31] . Cette protéine est sécrétée par les cellules transitionnelles qui bordent l’épithélium sensoriel [32] . Cette opération est favorisée par la concentration en calcium et le pH particulier à cette zone qui résultent de l’action combinée des canaux TRPV5/TRPV6 et de la pendrine respectivement [33] . Une fois formées, les otoconies se déposent sur la membrane otoconiale où elles sont prises dans le gel otoconial. Ce gel se comporte ainsi comme une colle qui assure leur maintien en position sur les épithélia sensoriels des macules [33, 34] . On peut ici se demander, au regard de la théorie des cupulolithiases, si les otoconies sont réellement en mesure de se détacher de la surface des macules en conditions normales, ou si des conditions pathologiques particulières, affectant par exemple la qualité du gel otoconial ou modifiant la structure des otoconies peuvent favoriser un tel phénomène. À ce sujet, plusieurs études réalisées sur modèles animaux ont montré que des altérations métaboliques, telles que la suppression de la sécrétion d’œstrogènes [35] ou l’altération génétique de la production de pendrine [33] étaient susceptibles de déréguler le métabolisme des otoconies. Dans ces différentes conditions, des otoconies géantes étaient observées au centre des macules. De telles altérations du Gel otoconial TRPV5/ TRPV6 Endolymphe Otoconies Ca2+ Membrane otoconiale Ca2+ Ca2+ Ca2+ Otoconine CM HCO3Pendrine CC CS A CT B Figure 4. Les otoconies et leur métabolisme. A. Photo microscopie électronique à balayage d’otoconies de cochon d’inde. Échelle 10 m (cliché A. Sans avec permission). B. Représentation schématique du microenvironnement nécessaire à la formation des otoconies. CC : cellules ciliées ; CS : cellules de soutien ; CT : cellules transitionnelles ; CM : cellules épithéliales du mur. EMC - Oto-rhino-laryngologie 5 20-021-A-10 Anatomie et physiologie du vestibule Cx Endolymphe Ach Ca++ + ++ E CS AMPA-R NMDA-R EAAT1-GLAST Ca++ CC2 EAAT4/5 CC1 - -- - nACh-R K+ E CKAC E Zone de projection des fibres afférentes R Cx G Zone d’origine des fibres efférentes Figure 5. Les synapses vestibulaires : une zone privilégiée pour le contrôle de l’information sensorielle. Représentation schématique du pattern d’afférentation des cellules ciliées vestibulaires. CC1 : cellule ciliée de type 1 ; CC2 : cellule ciliée de type 2 ; Cx : terminaison afférente en calice ; B : terminaison afférente en bouton ; NGS : neurones primaires du ganglion de Scarpa ; E : fibres efférentes ; CS : cellule de soutien ; R : ruban présynaptique ; G : glutamate ; AMPA-R : récepteur glutamatergique de type AMPA ; NMDA-R : récepteur glutamatergique de type NMDA ; EAAT4/EAAT5 : transporteurs du glutamate ; EAAT1-GLAST : transporteur du glutamate exprimé par les CS ; ACh : acethylcholine ; nAChR : récepteurs cholinergiques de type nicotinique ; CKAC : canal potassique activé par le calcium. Zone de projection des fibres afférentes : noyaux vestibulaires du tronc cérébral ; zone d’origine des fibres efférentes : proche noyau abducens dans tronc cérébral. B NGS Tronc cérébral Ca++ Na+ volume des otoconies pourraient favoriser leur expulsion depuis la membrane otoconiale et leur diffusion vers les canaux semicirculaires, légitimant les « manœuvres libératoires » utilisées de longue date dans le traitement des vertiges paroxystiques positionnels bénins. Synapses afférentes et efférentes Les contacts synaptiques entre les cellules ciliées et les neurones vestibulaires primaires constituent à la fois une zone de transfert, de codage et de contrôle de l’information sensorielle. C’est aussi une zone de grande fragilité qui présente des propriétés de plasticité étonnantes. Zone de transfert et de codage En premier lieu, la première synapse vestibulaire, encore appelée synapse sensorineurale, est une zone de transfert d’information. C’est à ce niveau que l’information sensorielle mise en forme par la cellule ciliée va être transmise au neurone primaire grâce à la mise en jeu d’un médiateur chimique, le glutamate. Libéré via un système unique de mobilisation de vésicules synaptiques (les rubans présynaptiques), le glutamate va activer ses récepteurs spécifiques localisés sur la membrane des terminaisons nerveuses en provenance du ganglion de Scarpa et permettre le départ de l’information sensorielle le long du nerf vestibulaire. Les propriétés biophysiques de chacune des étapes unitaires de la neurotransmission (libération vésiculaire du glutamate, fixation sur ses récepteurs spécifiques, recyclage via les transporteurs du glutamate, déclenchement des potentiels postsynaptiques excitateurs et transfert vers la zone d’initiation du potentiel d’action) vont avoir un impact direct sur le codage de l’information sensorielle, en termes d’amplitude, de fréquence et de durée des décharges électriques dans le nerf vestibulaire. Ainsi, la synapse sensorineurale est aussi une zone clef du codage de l’information sensorielle vestibulaire. Deux types de synapses coexistent dans le vestibule des vertébrés supérieurs. Les synapses dites en « bouton » sont formées par l’apposition de plusieurs terminaisons nerveuses du même nom sur les cellules ciliées dites de « type 2 ». Ces contacts synaptiques similaires à ceux rencontrés dans la cochlée sont présents 6 sur toute l’échelle des vertébrés. Les synapses dites en « calice » sont caractérisées par l’apposition d’une terminaison nerveuse unique, sur toute la partie basolatérale de la cellule ciliée de « type 1 » (Fig. 5). L’apparition développementale de la synapse en calice accompagne la conquête des milieux terrestres et aériens par les vertébrés supérieurs. Pourtant, le rôle de cette adaptation reste encore énigmatique. Une élégante étude réalisée récemment par l’équipe d’Elisabeth Glowatzki du département d’ORL de l’Université Johns-Hopkins de Baltimore (États-Unis) vient de démontrer, au moyen d’enregistrements électrophysiologiques en « patch-clamp » réalisés directement au niveau du terminal en calice sur des crêtes ampullaires de rat, que la stimulation de la cellule ciliée de type 1 provoque une accumulation progressive de glutamate dans la « citerne » synaptique [17] . Cette accumulation induit une dépolarisation lente des PPSE avec pour conséquence une augmentation de décharge des terminaisons en calice. Ce phénomène permet d’expliquer les différences d’activité de décharge observées entre les fibres en bouton et en calice. Si le mode de décharges électriques s’échelonne de manière continue depuis des activités très irrégulières vers des activités très régulières, on peut distinguer trois ensembles d’activités de décharges corrélées à la structure des synapses formées avec les cellules sensorielles. Les fibres possédant uniquement des terminaisons en bouton présentent des activités de type régulier. Les fibres possédant uniquement des terminaisons en calice présentent des activités de type irrégulier. Les fibres dimorphiques, c’est-à-dire présentant à la fois des terminaisons en bouton et en calice, présentent des activités intermédiaires. Cet équipement synaptique varié, associé à cette vaste gamme d’activité de décharge, permet au vestibule de coder avec une haute fidélité l’ensemble des accélérations auxquelles la tête est soumise dans l’environnement terrestre. Zone de contrôle Les synapses vestibulaires constituent une zone privilégiée pour le contrôle de l’information sensorielle. C’est en effet à ce niveau que s’exerce l’action des fibres efférentes en provenance du tronc cérébral. Ces fibres libèrent principalement de l’acétylcholine (ACh) qui interagit avec les récepteurs nicotiniques et muscariniques exprimés par les cellules ciliées de type 2, ainsi que les terminaisons nerveuses en calice qui recouvrent les cellules ciliées de type 1 (Fig. 5). Leur action est différente selon la cible EMC - Oto-rhino-laryngologie Anatomie et physiologie du vestibule 20-021-A-10 considérée. Au niveau de la paroi des cellules de type 2, l’activation des récepteurs cholinergiques de type nicotiniques (nicotinic acetylcholine receptor, nAChR) provoque une entrée massive de Ca2+ dans la cellule ciliée. Cet influx de Ca2+ est responsable de l’ouverture de canaux K+ activés par le Ca2+ (CKAC) qui provoque à son tour une sortie de K+ selon son gradient électrochimique. Il s’en suit une hyperpolarisation responsable d’une diminution, voire d’un arrêt de la neurotransmission afférente. Au niveau du terminal en calice, en revanche, l’activation des récepteurs cholinergiques est essentiellement dépolarisante de par l’absence de CKAC à proximité de cette zone. Ici, l’action des efférences va conduire à une activation de la neurotransmission afférente. Ainsi en situation statique ou de faibles déplacements de la tête, ce sont les synapses en bouton, présentant un gain de réponse élevé (forte sensibilité à de faibles stimulations mécaniques de la cellule ciliée) qui vont être principalement responsables du transfert de l’information sensorielle vestibulaire. En revanche, lors de la mise en jeu de mouvements plus rapides et plus amples, l’activité de saturation des synapses en bouton parvenant au tronc cérébral va activer la boucle efférente qui sera responsable d’une part de l’inhibition des synapses en bouton, et d’autre part de l’activation des synapses en calice. Ces dernières, non saturables et beaucoup mieux adaptées au codage et à la transmission des mouvements amples, pourront informer les centres supérieurs pour la mise en jeu de réactions motrices adaptées. Cette boucle efférente est un exemple parfait de réglage de l’activité des capteurs vestibulaires en fonction de la demande [36] . Il est à noter que les fibres efférentes libèrent également d’autres neuromédiateurs, comme la substance P, les enképhalines et le calcitonin gene-related peptide ou CGRP (peptide relié au gène de la calcitonine), tandis que les cellules ciliées expriment plusieurs autres types de récepteurs membranaires, tels que les récepteurs cholinergiques de type muscarinique, les récepteurs à l’histamine, ou encore les récepteurs à l’adénosine triphosphate (ATP) dans leur partie apicale, ce qui laisse supposer de capacités modulatrices encore plus complexes à ce niveau [37] . Zone de plasticité Différentes expériences d’altération du stimulus primaire réalisées sur modèles animaux ont démontré que les synapses vestibulaires représentent une zone de plasticité étonnante. Lors de gestation de rats en conditions de gravité modifiée (gestation effectuée à 2G en centrifugeuse), des retards de plusieurs jours dans la mise en place des contacts synaptiques au sein des macules vestibulaires (qui se produit chez ces rongeurs au cours de la première semaine postnatale) ont été observés au sein des macules [38, 39] . De manière plus étonnante encore, des modifications constitutives de l’organisation synaptique vestibulaire ont été relevées chez des rats adultes soumis à des séjours en microgravité lors de vols orbitaux (Space shuttle, Nasa). Deux jours après la suppression des informations gravitaires, une augmentation significative (de près de 50 %) du nombre de rubans présynaptiques était visible dans les cellules ciliées vestibulaires des deux types. Ces altérations transitoires disparaissaient en quelques jours après le retour en normogravité [40] . Ces observations suggèrent qu’un réarrangement des contacts synaptiques entre les cellules ciliées et leurs afférences est possible chez le mammifère au cours du développement, ainsi qu’à l’âge adulte. Il n’est pas impossible que ce type de disposition puisse être responsable de certains désordres vestibulaires, tels que le syndrome de « mal du débarquement », induit lors de changements soutenus des conditions de stimulations vestibulaires et dont l’origine reste pour l’instant à élucider. Zone de fragilité Les synapses vestibulaires représentent enfin une zone de fragilité importante. Différentes études réalisées sur modèle animal ont permis de démontrer que dans les premières phases d’une intoxication par des composés ototoxiques, la synapse est la première zone touchée [41] . Des gonflements, détachements et rétractions des terminaisons nerveuses sont observés avant même que les atteintes des cellules ciliées ne soient visibles. Ces atteintes EMC - Oto-rhino-laryngologie pourraient résulter du relargage excessif de glutamate par les cellules ciliées en souffrance et de son accumulation dans la fente synaptique. Ces mêmes phénotypes sont constatés dès lors que les tissus de l’oreille interne sont maintenus en situation d’excitotoxicité [42, 43] . Il est possible que ce type d’atteinte soit un mécanisme commun à différents types d’atteintes vestibulaires rencontrées chez l’homme, qu’elles soient d’origines infectieuses, traumatiques, ischémiques ou ototoxiques. L’identification des mécanismes physiopathologiques à la base des atteintes excitotoxiques est ainsi primordiale pour le développement de thérapies protectrices adaptées, en particulier dans les cas de syndromes de désafférentations vestibulaires unilatérales [44] . Au-delà des possibilités de protections pharmacologiques, des opportunités de restauration fonctionnelle sont également envisageables. De nombreux cas de restauration du fonctionnement de la cochlée et du vestibule dans les jours et les semaines suivant une atteinte périphérique ont été constatés chez l’homme [45, 46] . Différentes études réalisées sur modèles animaux d’atteintes ischémiques ou excitotoxiques de l’oreille interne ont démontré que la restauration fonctionnelle reposait au moins en partie sur une réparation spontanée des contacts synaptiques entre cellules ciliées et neurones primaires [42, 43, 47, 48] . Là encore, l’identification des mécanismes cellulaires impliqués dans ces processus est un prérequis au développement de futures thérapies pour stimuler la restauration fonctionnelle après dommages périphériques. Conclusion L’essentiel de l’approche thérapeutique des pathologies vestibulaires est aujourd’hui centré sur les possibilités de compensation et de réhabilitation vestibulaire suite à une atteinte des capteurs vestibulaires de l’oreille interne. Si le bénéfice de ces approches est réel et aucunement remis en cause, il reste cependant dans “ Points essentiels • La touffe ciliaire des cellules sensorielles constitue une véritable antenne de réception des accélérations subies par la tête. • Grâce à l’organisation sur pivots des stéréocils et la présence de masses inertielles, la touffe ciliaire est capable de ressentir les moindres mouvements et accélérations de la tête et d’enclencher une cascade d’événements qui vont conduire à un changement de l’état électrique de la cellule ciliée. • Grâce à leur équipement en canaux ioniques sensibles aux étirements, au voltage et au calcium, les cellules ciliées sont capables d’encoder précisément les paramètres de la stimulation mécanique. • Les rubans présynaptiques agissent comme des tapis roulants permettant d’approvisionner en continu les synapses vestibulaires et de maintenir un rythme de libération rapide et soutenu du neurotransmetteur. • L’endolymphe constitue le moteur électrochimique de la transduction mécanoélectrique. • Les déplacements de liquide dans l’endolymphe sont infimes, voire inexistants. En l’absence de flux endolymphatique, la répartition ionique de l’endolymphe est régie par la simple loi de diffusion des molécules en milieux liquidiens et par les échanges ioniques qui s’exercent à différents endroits du vestibule. • Les synapses vestibulaires constituent à la fois une zone de transfert, de codage et de contrôle de l’information sensorielle. C’est aussi une zone de grande fragilité qui présente des propriétés de plasticité étonnantes. 7 20-021-A-10 Anatomie et physiologie du vestibule bon nombre de cas incomplet. Pour ne citer qu’elle, la prise en charge thérapeutique de la maladie de Ménière est loin d’être satisfaisante, et des déficits et instabilités vestibulaires sont encore présents cinq ans après corticothérapie dans plus de la moitié des cas de névrite [49, 50] . Par manque d’outils pharmacologiques efficaces, le clinicien reste impuissant dans bon nombre de cas de désordres vestibulaires face à l’expression des symptômes. Cette situation résulte du manque de connaissances sur les substrats pathogéniques des différents types d’atteintes vestibulaires, sur les cibles pharmacologiques à moduler pour réduire significativement les épisodes aigus du vertige, pour protéger efficacement les cellules sensorielles et leur afférentation nerveuse ou encore pour restaurer la fonctionnalité d’un système endommagé. Une meilleure connaissance des mécanismes cellulaires qui sont mis en jeu dans l’élaboration, l’encodage et le transfert de l’information vestibulaire, mais également sur les voies possibles pour dispenser des molécules actives de manière appropriée aux zones d’intérêt, est indispensable pour intervenir efficacement en cas de dysfonctionnements. Ceci devra passer impérativement par une plus grande coopération entre cliniciens, scientifiques et industriels. Déclaration d’intérêts : l’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet article. 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