hiérarchisée ne méritent, rétrospectivement, que le mépris. Les opinions d'Aragon étaient aussi
illusoires que celles de Brasillach, on ne peut dire que leur qualité humaine soit égale.
Toutes les illusions de posséder une vérité ne se valent donc pas sur le plan humain, même si, sur le
plan de la connaissance elles demeurent équivalentes.
Mais l’opinion ne se résume pas à ces degrés inférieurs de connaissance. Bien entendu, opiner, c’est
ne pas savoir, mais c’est parfois également croire raisonnablement être dans la vérité. Platon lui-
même, dans Le Menon parle d’opinion droite, et on pourrait alors déterminer des hiérarchies.
On peut bien entendu avoir une opinion sur ce que l’on sait ignorer, mais dont la vérification est
possible. La valeur de l’opinion résidera alors surtout dans une vérification ou un degré d’expertise.
C'est en ce sens, et dans cette mesure, qu'il peut y avoir des "opinions autorisées". Il est par exemple
extrêmement probable que l'opinion d'un médecin sur une maladie soit plus valable que celle d'un
ignorant.
Il existe également des opinions qui peuvent recevoir de l’avenir leur vérification, et dans ce cas, leur
valeur résidera surtout sur leur confirmation. Il est des opinions auxquelles l’avenir donne raison, et
pour lesquelles il peut, avec bien entendu certains critères de lucidité, faire office de discriminant.
C’est le cas lorsqu’il s’agit de disciplines projectives, de celles qui sollicitent l’intelligence pour
prévoir le mieux possible, entre autres, les évolutions sociales, politiques, économiques ou
écologiques.
Sur le plan historique par exemple, l’opinion de ceux qui, en 1933 préconisaient qu’il fallait dialoguer
avec Hitler s’est avérée de peu de valeur.
Plus proche de nous sur le plan économique, l’opinion de ceux qui estimaient souhaitables que des
banques investissent dans des domaines spéculatifs, sans avoir de fonds propres suffisants, a
également reçu un démenti par l’évènement extérieur.
Les opinions qui cherchent à se prononcer sur l’avenir n’ont certes pas la même valeur : leur valeur
dépend, avant l’évènement, de la lucidité, de l’impartialité, et du sérieux de l’expert qui les émet.
Mais après l’évènement ces mêmes opinions sont aussi évaluées en fonctions de leur proximité avec
ce qui est advenu.
Dans les deux cas précédents, l’évaluation est, soit évidente, soit possible.
Il semblerait beaucoup plus délicat de considérer la valeur des opinions dans des domaines où
aucune vérification, ni actuelle ni future, n’est possible.
De telles opinions existent et demeurent parfois d’une importance majeure : ce sont celles qui
touchent aux questions métaphysiques. Or, avant même le travail critique effectué par Kant, la
contradiction possible de tous ceux qui croient pouvoir emporter une détermination dans le
domaine montre l’impossibilité de considérer qu’une opinion l’emporte en raison sur une autre,
Pascal le dit bien : « Dieu est, Dieu n’est pas, la raison n’y peut rien déterminer » Pensées,
Brunschvicg 233.
En ce qui concerne, donc, les domaines où la vérité est structurellement indiscernable, la seule
différence de valeur entre deux opinions ne pourrait venir que de deux choses : la profondeur de la
réflexion et la conscience de cet impossible discernement : au cas où un individu croirait pouvoir
démontrer, par exemple, que Dieu existe ou qu’il n’existe pas, son opinion n’aurait que peu de
valeur, car elle constituerait une ignorance d’ignorance ; sans compter les torts qu’elle pourrait faire
aux tenants d’une autre opinion. Tel était par exemple le sens d’un scepticisme de Montaigne, qui
après avoir vu les bûchers allumés par ceux qui étaient certains de détenir la vérité, rappelait que «
Après tout c'est mettre ses conjectures à bien haut prix, que d'en faire cuire un homme tout vif ».
Essais Livre III, ch. XI
En revanche les opinions dans ce domaine, peuvent être divergentes, toutes avoir une certaine
valeur, et une valeur égale, ce qui invite, dans le domaine religieux par exemple, au respect de
toutes les opinions...tant qu'elles respectent la possibilité de l'opinion inverse.