3 Pachoud Rétablissement

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DOSSIER RÉTABLISSEMENT ET PSYCHOSE
24 SANTÉ MENTALE |166 |MARS 2012
Bernard PACHOUD
Psychiatre, chercheur et enseignant,
Université Paris-Diderot.
Le rétablissement est d’abord une
réalité, encore étrangement sous-esti-
mée, négligée voire méconnue, qui bou-
leverse et contredit en partie ce que nous
croyons savoir des troubles psychiatriques
sévères comme la schizophrénie. Cette réa-
lité, c’est que la majorité des personnes
qui ont fait l’expérience de tels troubles
se rétablissent, c’est-à-dire qu’elles par-
viennent à se réengager dans une vie
relativement autonome et satisfaisante,
qui leur donne une place sociale autreque
le statut de malade mental. Des recherches
sur le devenir à long terme des schizo-
phrènes en attestent (voir l’article de
J. Favrod et al. page 32) (1, 2, 3). Certes,
cette issue résulte d’un processus lent,
parfois chaotique, et requiert pour être
observée des échelles de temps longues,
sur plusieurs années. D’une façon qui
heurte nos présupposés médicaux, ce
rétablissement peut survenir sans que la
maladie ait complètement disparu et
s’avèremême en partie indépendant des
formes résiduelles que prend la maladie
car fondamentalement, il dépend de nom-
breux autres facteurs (4).
UNE PERSPECTIVE NOUVELLE
Pour les « malades mentaux », le réta-
blissement constitue un considérable
message d’espoir. Il atteste de la possi-
bilité d’un avenir favorable en dépit d’une
pathologie psychiatrique chronique et
leur ouvre ainsi une perspective (5). Si
un rétablissement est possible et ne
dépend pas essentiellement de l’évolution
de la maladie, pourquoi ne pas privilégier
cet objectif et les moyens stratégiques
qu’il requiert, plutôt qu’un objectif médi-
cal de rémission, qui nécessitera de toute
façon une réinsertion sociale ?En fait, si
la rémission médicale et le rétablisse-
ment personnel sont deux objectifs dis-
tincts, ils sont en réalité complémen-
taires plutôt qu’en concurrence et on peut
discuter au cas par cas de la façon de les
coordonner, voire de les hiérarchiser. Mais
l’intérêt à terme se focalise sur l’engage-
ment dans ce processus de rétablisse-
ment, ainsi que sur la stratégie qui favo-
rise et soutient cette démarche.
Un certain nombrd’anciens malades »,
dans le souci de partager leur expérience,
et pour soutenir ceux qui s’engagent dans
cette démarche, ont témoigné de façon
détaillée de leur rétablissement (4, 6).
Dans le monde anglo-saxon en particu-
lier, il fait aujourd’hui l’objet de nom-
breuses recherches, afin d’en spécifier
les ressorts. C’est ainsi que se trouvent asso-
ciées à cette notion de rétablissement un
courant de pensée militant, mais aussi
des pratiques, une théorisation du pro-
cessus, et des données scientifiques sur
ses déterminants (4, 5, 15).
Cette notion de rétablissement et les
recherches qu’elle suscite ne sont cepen-
dant pas isolées. Elles s’inscrivent dans l’in-
térêt croissant porté en psychiatrie au
retentissement de la maladie mentale sur
les activités et la vie quotidienne des per-
sonnes, ainsi qu’au désavantage social qui
en résulte : ce qu’on appelle aujourd’hui
le handicap psychique (7). Intérêt croissant
par conséquent aussi pour les pratiques dites
de « réhabilitation psychosociale », qui
visent à faire face à ce handicap, à le com-
penser ou à le dépasser (8).
Resituer le rétablissement dans le champ
des théories du handicap psychique et de
la réhabilitation psychosociale présente
l’intérêt de montrer en quoi cette pers-
pective, concept clé de la réhabilitation
psychosociale, en incarne une conception
« radicale ». Cette conception ne saurait
se limiter à des techniques ou des pra-
tiques sociales de soutien à la réinsertion
et fait en réalité rupture avec une concep-
tion médicale traditionnelle de la mala-
die mentale et de son pronostic (8). Cela
permet alors d’entrevoir certaines des
raisons au moins pour lesquelles cette notion
de rétablissement peut avoir été négligée,
mécomprise, objet de scepticisme ou de
réserves, de la part notamment des pro-
fessionnels de santé.
ÉVOLUTION DE LA MALADIE
ET DEVENIR DE LA PERSONNE
L’intérêt porté à la notion de handicap psy-
chique dépend de l’importance que l’on
accorde aux conséquences de la maladie
et à leurs déterminants. Pendant longtemps,
la psychiatrie académique, essentiellement
hospitalière et centrée sur les soins, s’est
relativement peu intéressée à cette dimen-
sion, qui n’était pas l’expression directe
de la maladie. Sa prise en charge était
déléguée à l’assistante sociale du ser-
vice et aux « relais » sociaux : foyers, Éta-
blissement spécialisé d’aide par le travail
(Esat)… En confrontant les cliniciens
plus directement aux conditions de vie des
malades, la désinstitutionalisation et le
développement des pratiques de secteur
ont eu pour effet la prise en considéra-
tion croissante du retentissement social
Le rétablissement doit être reconnu comme une réalité, un processus, une perspective nouvelle.
La possibilité d’un avenir favorable, en dépit d’une pathologie psychiatrique, constitue un
message d’espoir considérable. Pourtant, en France, ce modèle du rétablissement, qui redonne
du pouvoir d’agir à ceux qui n’en ont plus, se heurte à une forme de résistance.
Se rétablir de la
maladie mentale
© Aimily Muzy.
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die mentale
© Aimily Muzy.
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de la maladie. Mais pour autant cette
dimension ne s’est pas constituée véri-
tablement comme un nouveau domaine
de recherche. Cette relative négligence
au plan académique et de la recherche
n’est pas à imputer à une désinvolture
envers les patients et leur devenir, mais
au présupposé médical que la maladie est
le principal déterminant de ces « consé-
quences » sociales et qu’il reste donc
prioritaire de s’attaquer à cette cause.
C’est là que se joue la méprise à l’égard
du handicap psychique, et l’échec à l’ap-
préhender en tant que dimension autre
que celle de la maladie. Si la maladie et
ses conséquences sont bien distinguées,
la méprise consiste à poser une sorte de
continuité entre ces deux dimensions. Cela
conduit à penser que la connaissance des
conséquences fonctionnelles de la mala-
die, auxquelles on assimile le handicap, est
comprise dans celle des maladies et de leurs
évolutions. Cela se traduit par deux préju-
gés courants : d’une part la croyance que
le handicap est étroitement corrélé à l’évo-
lution de la maladie, notamment au degré
de rémission des symptômes ; d’autre part
que la spécification du handicap est fina-
lement assez triviale : les conséquences pra-
tiques et sociales de la maladie sont tenues
pour évidentes, facilement observables, et
déléguées aux « relais sociaux ».
Ces préjugés, qui sont l’expression même
d’une non-reconnaissance du handicap
psychique en tant que dimension propre,
irréductible à la dimension médicale, s’avè-
rent aujourd’hui profondément invalidés
par les travaux de recherche empiriques (7,
9). Il est désormais établi que le retentis-
sement de la maladie, sur l’activité ou le
travail par exemple, n’est que faiblement
corrélé à la symptomatologie résiduelle
(10, 11). Par ailleurs, il n’est que modes-
tement explicable par les troubles cogni-
tifs (11, 12) car il dépend d’un ensemble
d’autres facteurs et dimensions qui ne
sont pas d’ordre médical : par exemple, le
rapport au travail et l’expérience acquise
dans ce domaine, des facteurs motivation-
nels tels que le sentiment d’efficacité, le
soutien social, et des facteurs environne-
mentaux tels que les conditions de réin-
sertion ménagées par l’entreprise (13).
Enfin, le handicap n’est pas réductible à
ce retentissement fonctionnel, et le deve-
nir de la personne encore moins.
Aujourd’hui, l’appréciation des consé-
quences sociales de la maladie mentale
est donc devenue une préoccupation de
premier plan et fait l’objet d’une attention
prioritaire dans le champ de la recherche
empirique. Le nombre considérable de publi-
cations consacrées en particulier aux
conséquences de la maladie et aux fac-
teurs de la réinsertion sociale et profes-
sionnelle en témoigne.
Ces recherches ont l’ambition d’appréhen-
der l’ensemble des conséquences de la
maladie sur la vie de la personne et fina-
lement sur son devenir. Elles conduisent
donc à un élargissement de cette notion
de « conséquences » (outcomes) à l’en-
semble des aspects de la vie quotidienne
et sociale. Les résultats de ces travaux
renforcent cette conception élargie des
effets de la maladie : ils établissent que
les déterminants du devenir de la personne
ne sont plus seulement des facteurs
médicaux (la réduction des symptômes,
la prévention des rechutes, la restaura-
tion des performances cognitives…), mais
dépendent de l’environnement matériel
et surtout humain de la personne (stig-
matisation, marginalisation, exclusion,
ou au contraire qualité du soutien apporté
à la personne), ainsi que de ses res-
sources propres pour surmonter ses limi-
tations (facteurs de résilience, forces et
ressources de rétablissement…) (9).
Un autre argument vient en faveur de la
distinction à effectuer entre l’évolution
de la maladie et le devenir de la per-
sonne : l’observation clinique, aujour-
d’hui très courante, qu’une atténuation
souvent satisfaisante des symptômes sous
traitement ne préjuge pas d’une amélio-
ration de la vie sociale de la personne,
qui reste parfois, en dépit de cette amé-
lioration symptomatique, désœuvrée, iso-
lée, socialement exclue ; alors qu’à l’in-
verse, certains patients dont les symptômes
sont résistants au traitement (qui par
exemple conservent « leurs voix »), retrou-
vent une activité régulière et une inser-
tion sociale dans des environnements
qui leur sont adaptés.
Si la réhabilitation psychosociale se sou-
cie de réduire les troubles psychiatriques
mais aussi de soutenir la démarche de réin-
sertion sociale, la perspective du rétablis-
sement radicalise ce déplacement de
focus en privilégiant une stratégie de
réengagement dans une vie active, de
reprise de contrôle sur sa vie. En ce sens,
on peut dire qu’elle prend acte et tire toutes
les conséquences de cette disjonction
entre l’évolution de la maladie et le deve-
nir de la personne. Adopter la perspec-
tive du rétablissement, c’est se focaliser
non plus sur la réduction des troubles mais
© Aimily Muzy.
Lartiste :
Aimily Muzy
« La création artistique est pour moi un
moyen d’expression sans pareil. Depuis mon
enfance, le dessin et la peinture m’ont
naturellement attirée. Ils m’ont permis
d’appréhender le monde alentour avec un
regard curieux, puis de le retranscrire selon
mon opinion propre. » Le travail d’Aimily
Muzy s’attache à la beauté des formes du
vivant. À travers les portraits, sa peinture
donne à voir le visage de l’homme face à
l’univers qui l’entoure, dans un espace
indéfini, un espace que chacun peut
s’approprier. Les expressions du visage, du
corps, sont universelles ; c’est ce que nous
avons tous en commun, par-delà les langues
et les cultures. Les portraits réalistes d’Aimily
Muzy relèvent de l’exigence de l’artiste à
traduire la complexité d’un être, à travers la
plus simple attitude du modèle, afin d’en
extraire la personnalité essentielle.
Après cette expérimentation picturale,
Aimily Muzy a évolué vers la sculpture (à
découvrir sur son site). En recyclant des
matériaux de récupération, ceux qui pour
beaucoup n’ont plus de valeur ou d’utilité,
elle sculpte des animaux de métal dont la
présence ou le regard sont troublants de
réalisme. Cette démarche est une nouvelle
façon de replacer le vivant devant le regard
humain, souvent saturé par le flux actuel
d’images, en transformant un matériau
obsolète en une rencontre intrigante avec
l’animal, dans ce qu’il a de plus parlant.
Née dans l’Ain en 1984, Aimily Muzy vit
et travaille à Besançon. Elle est diplômée
de l’Institut supérieur des beaux-arts
de Besançon.
• En savoir plus sur www.aimilymuzy.com
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RÉTABLISSEMENT ET PSYCHOSE DOSSIER
SANTÉ MENTALE |166 |MARS 2012 27
sur l’optimisation du devenir de la per-
sonne. Cela suppose donc d’admettre la
relative indépendance de ces dimensions,
contrairement au préjugé médical.
TROIS CONCEPTIONS DU
HANDICAP PSYCHIQUE
On peut également caractériser la pers-
pective du rétablissement comme un
changement de regard sur le handicap psy-
chique et une stratégie pour le dépasser.
Nous rappellerons donc les diverses
conceptions du handicap psychique, pour
saisir ce que chacune considère comme
les sources du handicap, ainsi que les stra-
tégies mises en œuvre pour tenter de le
réduire ou de le dépasser. Rentrer dans
la logique propre de chacune permet de
comprendre les conflits de priorités ou d’ob-
jectifs entre ces conceptions, qui ne sont
dès lors pas facilement conciliables.
• Le modèle médical
Le modèle médical (ou bio-médical), tra-
ditionnel, se focalise sur la ou les déficiences
qui, certes, entravent la personne dans
son autonomie, ses activités et sa vie quo-
tidienne, mais sont envisagées comme
des conséquences plus ou moins directes
de la maladie. Par conséquent, c’est en
s’attaquant à la maladie, en optimisant les
soins, que l’on espère réduire le handicap.
Cette approche médicale tend à s’élargir
avec la prise en considération des déficiences
cognitives induites par la maladie. Selon
la même logique, on adjoint alors aux
soins des pratiques de remédiation cogni-
tive, élargie à la cognition sociale, pour ten-
ter de réduire le handicap. Mais ce der-
nier reste compris comme la conséquence
directe des troubles et déficiences de la
personne.
• Le modèle social
Le modèle alternatif, qualifié de modèle
«social » du handicap, revendique que
soient considérées non seulement les
déficiences de l’individu imputables à
sa maladie, mais l’ensemble des consé-
quences de la maladie sur sa vie. Puis,
dans un second temps, il déplace l’atten-
tion des déterminants individuels ou per-
sonnels de ce retentissement vers ceux
situationnels ou environnementaux. Il
faut insister sur ce double changement
de perspective.
– En premier lieu, il s’agit d’un déplacement
d’attention de la maladie sur les répercus-
sions de celle-ci sur la vie de la personne,
sur ses activités et ses relations. Or cet
impact ne dépend pas seulement, ni
même prioritairement, de la maladie et
de son évolution. Un ensemble d’autres
facteurs, non médicaux, se révèlent être
des déterminants majeurs du devenir des
personnes, et constituent dès lors un
champ d’investigation et d’intervention
spécifique, propre au handicap, plus
large que le champ de la perspective
médicale.
– Le second changement de perspective
tient à la reconnaissance du rôle essentiel
des déterminants environnementaux ou situa-
tionnels sur le devenir de la personne,
sur ses limitations d’activité et d’accès
à des aspects importants de la vie sociale
(par exemple au travail). Dans le cas du
handicap psychique, le facteur environ-
nemental aggravant les limitations d’ac-
cès et d’activités tient pour l’essentiel à
l’impact négatif des représentations
sociales concernant la folie et les troubles
psychiatriques. Il en résulte une stigma-
tisation qui, en contribuant à la margi-
nalisation des personnes malades voire
à leur exclusion, participe largement au
handicap. (5)
Ce modèle social a émergé dans les pays
anglo-saxons comme une revendication
politique des mouvements de personnes
handicapées, pour s’opposer au « modèle
médical » et aux pratiques de prise en
charge qui leur étaient imposées (réadap-
tation et rééducation médicale, institu-
tionnalisation…). Le handicap y est com-
pris comme la conséquence des obstacles
posés par la société aux personnes pré-
sentant une déficience. Ce sont dès lors
ces circonstances matérielles ou sociales
qui doivent être amendées pour atténuer
le handicap.
• Le modèle du dépassement
du handicap
À ces deux principaux modèles du han-
dicap, on pourrait ajouter ce que nous
qualifierons de « modèle du dépassement
du handicap » lié à la perspective du
rétablissement (14). Cette approche
requiert un changement de regard car il
concerne la façon dont la personne elle-
même considère sa situation de handicap
(5, 6). Il s’agit en effet de ne pas en res-
ter à la prise de conscience des limitations
subies mais d’envisager les ressources
disponibles et les possibilités de parvenir
à une forme de dépassement du handicap.
Le facteur déterminant est alors subjectif.
Ce qui est essentiellement requis, c’est
un changement de regard de la personne
sur sa situation de handicap, et corréla-
tivement, un changement de posture. Il
s’agit de se départir d’une posture pas-
sive d’invalide, pour « reprendre en main »
le cours de sa vie et retrouver un contrôle
sur son destin. Le mouvement du « réta-
blissement » incarne ce changement d’at-
titude, qui doit être favorisé par l’environ-
nement, mais résulte prioritairement d’un
changement dans la façon dont la personne
considère sa situation et ses possibilités.
Il est important de noter que les princi-
paux penseurs de ce modèle sont des
personnes ayant elles-mêmes souffert
d’un handicap psychique. Elles sont sans
doute les mieux à même de spécifier tant
cette expérience du handicap psychique
que celle de ce changement de regard
sur leur situation, comme elles le reven-
diquent d’ailleurs (6, 15) (voir l’article de
C. Christiansen p. 48).
LA DIMENSION ÉTHIQUE
La démarche de rétablissement comporte
intrinsèquement une dimension éthique
pour au moins deux raisons.
– En premier lieu, se rétablir n’est pas seu-
lement « sortir de » la maladie mentale,
c’est d’abord « se réengager dans » une vie
active, satisfaisante et dotée de sens. Le
processus de rétablissement implique la
visée d’une vie accomplie, ce qui est le
propre ou la définition même de l’éthique,
dans sa forme téléologique du moins
(c’est-à-dire soucieuse des finalités), selon
une tradition qui s’étend d’Aristote à
Ricœur (16). Cette dimension éthique
est inhérente aux choix existentiels requis
par la démarche de rétablissement. Ou plus
précisément, cette démarche, en tant que
processus de redéfinition de soi, implique
un rapport évaluatif à soi, qui peut être
considéré comme la forme élémentaire
de l’expérience éthique (17).
– En second lieu, cette démarche a pour
condition une exigence d’autodétermination
des choix de vie ainsi que des moyens de
les atteindre. Cette exigence vaut pour les
personnes, pour leur entourage et pour les
professionnels de l’accompagnement,
comme exigence de respect de cette auto-
détermination. On pourra objecter qu’un
tel principe rencontre des limites avec
des personnes souffrant de troubles men-
taux avec parfois une altération de la
capacité d’appréciation de la réalité, il n’en
reste pas moins le principe du rétablis-
sement. Quant à ses limites, ou aux
conflits possibles avec d’autres principes
(la protection des personnes par exemple),
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ils ne peuvent que faire l’objet d’une déli-
bération, mais on reste dans le registre du
questionnement éthique.
La dimension éthique apparaît donc à la
fois comme la condition du rétablisse-
ment, qui suppose le respect de l’auto-
détermination, et comme sa visée propre,
celle d’une vie accomplie. Elle est mise
en exergue et explicitement revendiquée
dans la plupart des pratiques cherchant
à promouvoir le rétablissement (5). Au
plan individuel, le respect et l’encourage-
ment à l’autodétermination valent comme
reconnaissance de la personne à laquelle
les usagers sont d’autant plus sensibles qu’ils
ont vivement souffert de l’avoir perdue
(18). Au plan collectif également, les usa-
gers qui partagent cette expérience reven-
diquent d’être associés à l’étude et à la théo-
risation du rétablissement, comme l’exprime
leur slogan Nothing about us, without us
(« Rien à notre propos sans nous »). Une
façon de rappeler que le rétablissement est,
dans son principe, l’affaire des usagers, et
qu’il doit le rester.
Notons enfin que ce passage au premier
plan des préoccupations éthiques reflète
le changement de registre rencontré avec
la notion de handicap : le passage d’un
objectif médical à un objectif social et
existentiel.
Ce changement d’objectifs justifie le
recours à des stratégies faisant appel à
des ressources et des principes diffé-
rents. Dans le cadre médical, il s’agit
d’exigences d’ordre épistémique : connaître
la nature des troubles, leur étiologie éven-
tuelle, leurs mécanismes générateurs,
en vue d’optimiser l’efficacité du traite-
ment. Dans la perspective du rétablisse-
ment, l’objectif de reprendre un contrôle
sur sa vie requiert une priorisation de
l’exigence éthique (l’autodétermination en
particulier) sur le savoir.
Cette irréductible différence est souli-
gnée par certains auteurs qui opposent
la stratégie de soins, laquelle doit être fon-
dée sur des données probantes (c’est
l’Evidence Based Medecine, « médecine
basée sur des preuves »), et celle visant
à optimiser le devenir de la personne,
au plan social par la réinsertion, et au plan
existentiel par le rétablissement. Ce sont
des principes éthiques qui guident ces pra-
tiques, et non un savoir scientifique.
À ce titre, elles relèvent d’un nouveau cou-
rant qualifié de « médecine fondée sur des
valeurs » (Values Based Medecine) (19,
5), et non seulement sur des valeurs, mais
dans une nouvelle hiérarchie de celles-ci.
© Aimily Muzy.
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