RÉTABLISSEMENT ET PSYCHOSE DOSSIER
SANTÉ MENTALE |166 |MARS 2012 27
sur l’optimisation du devenir de la per-
sonne. Cela suppose donc d’admettre la
relative indépendance de ces dimensions,
contrairement au préjugé médical.
TROIS CONCEPTIONS DU
HANDICAP PSYCHIQUE
On peut également caractériser la pers-
pective du rétablissement comme un
changement de regard sur le handicap psy-
chique et une stratégie pour le dépasser.
Nous rappellerons donc les diverses
conceptions du handicap psychique, pour
saisir ce que chacune considère comme
les sources du handicap, ainsi que les stra-
tégies mises en œuvre pour tenter de le
réduire ou de le dépasser. Rentrer dans
la logique propre de chacune permet de
comprendre les conflits de priorités ou d’ob-
jectifs entre ces conceptions, qui ne sont
dès lors pas facilement conciliables.
• Le modèle médical
Le modèle médical (ou bio-médical), tra-
ditionnel, se focalise sur la ou les déficiences
qui, certes, entravent la personne dans
son autonomie, ses activités et sa vie quo-
tidienne, mais sont envisagées comme
des conséquences plus ou moins directes
de la maladie. Par conséquent, c’est en
s’attaquant à la maladie, en optimisant les
soins, que l’on espère réduire le handicap.
Cette approche médicale tend à s’élargir
avec la prise en considération des déficiences
cognitives induites par la maladie. Selon
la même logique, on adjoint alors aux
soins des pratiques de remédiation cogni-
tive, élargie à la cognition sociale, pour ten-
ter de réduire le handicap. Mais ce der-
nier reste compris comme la conséquence
directe des troubles et déficiences de la
personne.
• Le modèle social
Le modèle alternatif, qualifié de modèle
«social » du handicap, revendique que
soient considérées non seulement les
déficiences de l’individu imputables à
sa maladie, mais l’ensemble des consé-
quences de la maladie sur sa vie. Puis,
dans un second temps, il déplace l’atten-
tion des déterminants individuels ou per-
sonnels de ce retentissement vers ceux
situationnels ou environnementaux. Il
faut insister sur ce double changement
de perspective.
– En premier lieu, il s’agit d’un déplacement
d’attention de la maladie sur les répercus-
sions de celle-ci sur la vie de la personne,
sur ses activités et ses relations. Or cet
impact ne dépend pas seulement, ni
même prioritairement, de la maladie et
de son évolution. Un ensemble d’autres
facteurs, non médicaux, se révèlent être
des déterminants majeurs du devenir des
personnes, et constituent dès lors un
champ d’investigation et d’intervention
spécifique, propre au handicap, plus
large que le champ de la perspective
médicale.
– Le second changement de perspective
tient à la reconnaissance du rôle essentiel
des déterminants environnementaux ou situa-
tionnels sur le devenir de la personne,
sur ses limitations d’activité et d’accès
à des aspects importants de la vie sociale
(par exemple au travail). Dans le cas du
handicap psychique, le facteur environ-
nemental aggravant les limitations d’ac-
cès et d’activités tient pour l’essentiel à
l’impact négatif des représentations
sociales concernant la folie et les troubles
psychiatriques. Il en résulte une stigma-
tisation qui, en contribuant à la margi-
nalisation des personnes malades voire
à leur exclusion, participe largement au
handicap. (5)
Ce modèle social a émergé dans les pays
anglo-saxons comme une revendication
politique des mouvements de personnes
handicapées, pour s’opposer au « modèle
médical » et aux pratiques de prise en
charge qui leur étaient imposées (réadap-
tation et rééducation médicale, institu-
tionnalisation…). Le handicap y est com-
pris comme la conséquence des obstacles
posés par la société aux personnes pré-
sentant une déficience. Ce sont dès lors
ces circonstances matérielles ou sociales
qui doivent être amendées pour atténuer
le handicap.
• Le modèle du dépassement
du handicap
À ces deux principaux modèles du han-
dicap, on pourrait ajouter ce que nous
qualifierons de « modèle du dépassement
du handicap » lié à la perspective du
rétablissement (14). Cette approche
requiert un changement de regard car il
concerne la façon dont la personne elle-
même considère sa situation de handicap
(5, 6). Il s’agit en effet de ne pas en res-
ter à la prise de conscience des limitations
subies mais d’envisager les ressources
disponibles et les possibilités de parvenir
à une forme de dépassement du handicap.
Le facteur déterminant est alors subjectif.
Ce qui est essentiellement requis, c’est
un changement de regard de la personne
sur sa situation de handicap, et corréla-
tivement, un changement de posture. Il
s’agit de se départir d’une posture pas-
sive d’invalide, pour « reprendre en main »
le cours de sa vie et retrouver un contrôle
sur son destin. Le mouvement du « réta-
blissement » incarne ce changement d’at-
titude, qui doit être favorisé par l’environ-
nement, mais résulte prioritairement d’un
changement dans la façon dont la personne
considère sa situation et ses possibilités.
Il est important de noter que les princi-
paux penseurs de ce modèle sont des
personnes ayant elles-mêmes souffert
d’un handicap psychique. Elles sont sans
doute les mieux à même de spécifier tant
cette expérience du handicap psychique
que celle de ce changement de regard
sur leur situation, comme elles le reven-
diquent d’ailleurs (6, 15) (voir l’article de
C. Christiansen p. 48).
LA DIMENSION ÉTHIQUE
La démarche de rétablissement comporte
intrinsèquement une dimension éthique
pour au moins deux raisons.
– En premier lieu, se rétablir n’est pas seu-
lement « sortir de » la maladie mentale,
c’est d’abord « se réengager dans » une vie
active, satisfaisante et dotée de sens. Le
processus de rétablissement implique la
visée d’une vie accomplie, ce qui est le
propre ou la définition même de l’éthique,
dans sa forme téléologique du moins
(c’est-à-dire soucieuse des finalités), selon
une tradition qui s’étend d’Aristote à
Ricœur (16). Cette dimension éthique
est inhérente aux choix existentiels requis
par la démarche de rétablissement. Ou plus
précisément, cette démarche, en tant que
processus de redéfinition de soi, implique
un rapport évaluatif à soi, qui peut être
considéré comme la forme élémentaire
de l’expérience éthique (17).
– En second lieu, cette démarche a pour
condition une exigence d’autodétermination
des choix de vie ainsi que des moyens de
les atteindre. Cette exigence vaut pour les
personnes, pour leur entourage et pour les
professionnels de l’accompagnement,
comme exigence de respect de cette auto-
détermination. On pourra objecter qu’un
tel principe rencontre des limites avec
des personnes souffrant de troubles men-
taux avec parfois une altération de la
capacité d’appréciation de la réalité, il n’en
reste pas moins le principe du rétablis-
sement. Quant à ses limites, ou aux
conflits possibles avec d’autres principes
(la protection des personnes par exemple),
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