L’identification et la distanciation sont les deux mouvements par lesquels un spectateur doit
passer lors d’une pièce de théâtre classique. Victor Hugo s’en est inspiré pour écrire son roman.
Alors après que le lecteur ait repoussé le personnage de Frollo parce que sa déclaration d’amour l’a
terrifié. Il va s’identifier à Frollo et compatir pour lui.
Le lecteur, au travers du fait que Frollo sacrifierait tout pour Esmeralda et du fait qu’il ait
abandonner sa foi pour elle alors qu’elle le hait, peut s’apitoyer sur lui.
Frollo donnerait tout pour la femme qu’il aime. Tout d’abord, il sacrifierait sa liberté. En
effet, via l’antithèse aux lignes 5 et 6, Frollo dit clairement qu’il « regrett[e] de ne pas être roi,
génie, empereur, archange, Dieu pour lui mettre un plus grand esclave sous les pieds ». On peut
émettre l’hypothèse selon laquelle Frollo souhaiterait être quelqu’un d’influent et de riche pour que
son sacrifice soit plus important car simple prêtre qu’il est, son sacrifice n’est pas assez conséquent
selon lui et ne prouve pas à Esmeralda l’intensité de son amour. Ensuite, il serait prêt à renoncer à
sa dignité pour elle. En effet, il l’a supplie tout au long du texte au travers de phrases exclamatives
telles que « aie pitié de moi ! »(l.15) ou « Je t’en supplie […] ! »(l.19). Il l’a prie de l’épargner et de
l’aider. Et il se met à nu devant elle en lui dévoilant ses sentiments grâce à la répétition du verbe
« aimer » tout au long de son discours : « aimer une femme !»(l.2) ou encore « je t’aime !»(l.19). Il
perd aussi sa dignité lorsqu’il se traite de l’adjectif « misérable »(l.19). Enfin, il est prêt à s’offrir
lui, pour elle. En effet, il serait prêt à la suivre n’importe où, et il dit de manière antithétique que
« l’enfer où [elle] ser[a], c’est [son] paradis »(l.21). Il lui offrirait tout ce qui fait de lui un Homme,
comme en témoigne la gradation : «son sang, ses entrailles, sa renommée, son salut, l’immortalité et
l’éternité, cette vie et l’autre »(l.3-4). Donc, le lecteur mesure à quel point l’amour qu’il porte à
Esmeralda est si fort qu’il serait prêt à lui offrir tout ce qu’il possède.
La passion qu’il porte à Esmeralda est si forte qu’elle lui fait salir les idées auxquelles il a
donné sa vie. Tout d’abord, il parjure les vœux des prêtres. En effet, il blasphème le vœu de
pauvreté : il qualifie sa soutane dont il aurait dû être fier de porter, de l’adjectif « sale » (l.6). Il
renie ce pour quoi il a voué sa vie et il souhaiterait être riche, ce qui est contradictoire avec son vœu
de pauvreté, comme le prouve la gradation : « regretter de ne pas être roi, génie, empereur,
archange »(l.4-5). Et vouloir être « Dieu » en plus de ça, est une insulte à la religion chrétienne. Et il
blasphème le vœu de chasteté : il brûle de désir pour Esmeralda, comme en témoigne les hypallages
hyperboliques : « voir ce corps dont la forme vous brûle » et « ce sein qui a tant de douceur »(l.8).
Ensuite, il trahi la loi de Dieu. En effet, Dieu, dans ses dix commandements, dit que « Tu n’auras
pas d’autres dieux que moi ». Or, Frollo avoue qu’il l’idolâtre Esméralda et la considère au dessus
de Dieu, via la phrase superlative : « ta vue et plus charmante que celle de Dieu »(l.21-22). Enfin, il
commet le pire pécher pour un chrétien : il tue. En effet, Esmeralda évoque tout au long du texte
son crime via les adjectifs « assassin »(l.42) et « monstre »(l.42) et à la périphrase euphémique
« vous avez du sang sous les ongles », pour qu’il n’oublie pas son acte. Et c’est via la contamination
syncrétique « tâche éternelle » qu’elle montre à Frollo l’ampleur de son sacrilège. Par conséquent,
le lecteur plaint le pauvre Frollo qui a trahi tout ce pour quoi il a voué sa vie pour sa passion non-
réciproque pour Esmeralda.
Donc, la déclaration d’amour de Frollo à Esmeralda va susciter l’effroi du lecteur au travers
des tourments et de la folie que va lui affliger l’amour qu’il porte à la jeune femme. Mais cette
déclaration va aussi émouvoir le spectateur qui va s’identifier au personnage de Frollo qui serait
prêt à tout sacrifier pour celle qu’il aime ainsi qu’abandonner ce à quoi il a consacré sa vie, alors
même que sa passion si intense n’est pas partagée. On peut comparer cet extrait de Notre-Dame de
Paris de Victor Hugo à l’extrait de la tragédie classique de Racine, Phèdre (1677) dans lequel
Phèdre voue un amour impossible à Hippolyte, son beau-fils, et se transforme en personnage-
repoussoir qui, comme Frollo, inspire terreur et pité au spectateur.
Sebastien Sarah, 209