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Gestion, volume 32, numéro 3, automne 2007 100 ANS DE GESTION
dont les rapports de force se sont ren-
versés entre fabricants et distributeurs
de masse. Entre ces derniers, le gros du
pouvoir est aujourd’hui dans les mains
des seconds, alors que c’était le contraire
il y a une trentaine d’années. Et ici
comme ailleurs, la raison du plus fort
(lisez du plus gros quant au chire d’af-
faires) est toujours la meilleure. Alors
on peut se demander ce qu’il advient
des petits fabricants, en tant que four-
nisseurs. La conséquence nale est que,
le long de la chaîne de la valeur et de la
structure des prix, allant du fabricant
jusqu’au client nal, il arrive souvent
que la marge du distributeur soit bien
plus importante que celle du fabricant,
alors que celui-ci a tout inventé et déve-
loppé en matière de nouveaux produits
et services et que celui-là, nalement,
ne fait que distribuer… Contre vents
et marées, la règle est de toujours lier
innovation et provenance. Vendre des
produits sans marques n’est pas ce qu’il
y a de plus motivant pour le personnel
des fabricants. Mais bon, le choix social
pour la survie d’une entreprise n’est pas
toujours aussi simple, n’est-ce pas?
Événement historique no 4 :
l’enracinement de la distribution
virtuelle
Le commerce virtuel est là pour
rester, n’en déplaise à ses détracteurs, à
ceux qui, au tout début des années 2000,
ont cru qu’à la suite de l’explosion de la
bulle des sociétés point-com, Internet
et toutes les technologies numériques
n’avaient été qu’une mode passagère,
une «bulle» en matière de marketing
(et de finance). Quelle erreur! S’il est
vrai que bon nombre d’experts en mar-
keting (mais aussi d’investisseurs) ont
rêvé durant les années 1990, la plu-
part des sites commerciaux en ligne
sont devenus rentables. Qu’on se le
dise enn! Dans le développement de
nouveaux modèles d’affaires, l’atten-
tion était accordée trop exclusivement
au caractère attrayant des nouvelles
offres. Si cette dimension est restée
importante, elle a cédé sa place à l’exé-
cution, qui est devenue la clef de voûte
du succès et de la viabilité. Le com-
merce électronique répond bel et bien
à des besoins réels, que ce soit dans le
domaine de la grande consommation
ou dans celui des biens industriels. En
matière de grande consommation, on
avait dit que ce marché serait surtout
masculin. Faux : les femmes sont tout
aussi présentes. On avait dit aussi que
ce serait un marché de jeunes et de per-
sonnes d’un niveau de scolarité supé-
rieur à la moyenne. Encore faux : le phé-
nomène se massifie et les personnes
âgées s’y adonnent de plus en plus. On
avait dit, en plus, que l’on ne vendrait
jamais de vêtements et de chaussures
en ligne. Toujours faux : c’est dans le
domaine vestimentaire que les taux de
croissance des ventes ont été parmi les
plus élevés. Pour ce qui est des services,
on avait dit qu’Internet n’était pas fait
pour vendre des produits nanciers à
forte valeur ajoutée : une erreur de plus.
Et ainsi de suite.
Certains allégueront que, dans le sec-
teur de l’automobile, la part du marché
des voitures neuves vendues en ligne
est minime. C’est vrai. Mais l’activité
de recherche d’information est phéno-
ménale. Or, cette phase précède celle de
l’achat. Alors, mieux vaut que les choses
s’y passent bien, non? Et puis encore, en
ce qui concerne le marché des voitures
d’occasion, eBay est devenu le princi-
pal revendeur nord-américain. De quoi
faire virer de bord toute la profession de
la revente d’automobiles. En matière de
marketing industriel maintenant (ou
B2B), le développement des places de
marché électroniques suit son cours.
Elles peuvent être privées, appartenir
à des conglomérats ou être gérées par
des pays, comme la Chine. Là encore,
le virtuel n’éliminera pas les échanges
traditionnels et les rencontres entre
humains, mais toutes les activités com-
merciales d’échange, y compris celles
qui sont connexes et liées par exemple
à la logistique, doivent être, elles aussi,
revues en profondeur.
Les entreprises se penchent de plus
en plus, et avec raison, sur les stratégies
multicanaux : les clics seulement, ou
l’inverse; ou encore les clics et les bri-
ques? L’idée centrale est de donner un
accès rapide et aisé des produits et des
services de l’entreprises à ses clients, le
tout à un meilleur coût, c’est-à-dire en
dégraissant les canaux de distribution,
en limitant autant que faire se peut les
stocks. L’intégration numérique doit
être totale en amont et en aval du dis-
tributeur ou, à l’extrême, la distribu-
tion peut devenir uniquement directe
(Dell).
Enn, cet avènement du virtuel en
général entraîne dans son sillage la
reconfiguration des milieux profes-
sionnels de la communication et de la
publicité. Là encore, les modèles tra-
ditionnels explosent. Madison Avenue,
symbole du monde des agences de
publicité traditionnelles, doit revoir
sa copie de fond en comble. Le cas le
plus intéressant à cet égard est peut-
être la dernière publicité des croustilles
Doritos qui, lors du plus récent Super
Bowl, a présenté les quatre meilleu-
res publicités réalisées par ses propres
consommateurs et distribuées, parmi
des centaines d’autres, sur YouTube au
cours de l’année précédente. Le coût
total de l’opération fut celui du place-
ment média lors du Super Bowl. Les
coûts de production furent nuls, zéro
cent à une agence et en prime une visi-
bilité qui se compte par millions de
consommateurs sur YouTube.
Certes, il y a encore bien des pro-
blèmes majeurs à régler en matière de
publicité virtuelle, comme la comptabi-
lité des clics engendrés par les diérents
types de messages virtuels, et donc la
mesure de leur efficacité réelle et la
facturation qui s’y associe. Finalement,
le problème de la mesure nette de l’ef-
ficacité de la publicité perdure. Mais
dans le cas de la publicité virtuelle, il y a
l’espoir d’en arriver à mesurer (et donc
à facturer, ne l’oublions pas) les actes
de consommation réels qui ont résulté
d’une campagne donnée. Un acte peut
être un achat, mais aussi le fait de rem-
plir une che d’information. Les mesu-
res actives sur Internet l’emportent
ainsi sur les mesures passives. On passe
donc du PPC (le pay per click) au CPA
(click per action). En plus, les messages
virtuels, sur Internet ou placés dans des
jeux vidéo, sont de plus en plus ciblés et
continueront de l’être. Leurs contenus
seront de plus en plus taillés sur mesure
et individualisés. Certains moteurs de
recherche (notamment celui de Google)
présentent les besoins des clients avant
même que ces derniers ne les aient res-
sentis eux-mêmes. C’est tout dire! Si ce
phénomène est planétaire, il n’en reste
pas moins que son intensité s’accroît
dans les pays où la pénétration d’Inter-
net et des technologies telles que celle
du WiFi est la plus forte. Il est inutile
de dire ici que l’Asie n’est pas en reste;
la dépendance des individus envers la
technologie y a atteint son paroxysme.
© HEC Montréal | Téléchargé le 06/02/2021 sur www.cairn.info via Université du Québec à Montréal (IP: 132.208.246.237)
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