L'ÉVOLUTION DU MARKETING
Retour vers le futur
Christian Dussart, Jacques Nantel
HEC Montréal | « Gestion »
2007/3 Vol. 32 | pages 66 à 74
ISSN 0701-0028
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-gestion-2007-3-page-66.htm
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Gestion, volume 32, numéro 3, automne 2007 100 ANS DE GESTION
Dans le cadre de ce numéro thé-
matique de la revue Gestion qui vise à
souligner le centenaire de notre école,
il nous a été demande disserter sur
l’évolution du marketing. Il s’agit de
répertorier un certain nombre d’évé-
nements majeurs, ou de ruptures (cinq
ou six), ayant jalon son passé, pour
ensuite nous interroger sur son avenir.
Cette flexion a donc pour but non
seulement de faire le point sur l’état
actuel davancement du marketing,
mais aussi de mieux envisager ses déve-
loppements à venir. C’est pourquoi
nous avons choisi comme sous-titre
«retour vers le futur» en référence au
lm de Robert Zemeckis, produit par
Steven Spielberg (1985), qui montre
bien à quel point tout choix fondamen-
tal passé exerce une inuence cisive
sur le devenir d’un individu (dans le
lm), mais aussi sur celui d’une science
de la gestion comme le marketing.
Il est inutile de souligner que cette
mission constitue un véritable défi
étant donné que l’évolution du marke-
ting ne s’est pas faite de façon linéaire,
mais a été marquée par de très nom-
breux apports et nouveautés, de toutes
natures et de toutes constitutions. Au
nal, le tout débouche sur un véritable
écheveau dicile à démêler.
Puisque nous parlons ici de «ges-
tion», notre attention se portera sur
la fonction «marketinet son appro-
che gestionnaire. Nous avons décidé de
mettre de la multiplication à l’in-
fini des champs de spécialisation du
marketing. Cela aurait pu constituer, en
soi, une tendance lourde de cette évolu-
tion. Cependant, il n’est pas évident que
cette dynamique interne se soit accom-
pagnée d’un discours clair et homogène
qui nous aurait conduits à donner une
plus grande cohérence à notre domaine
et nous aurait menés vers un point
central précis. Ce faisant, il nous a été
possible de dégager un l conducteur.
Mais en plus, nous redonnons à l’appro-
che gestionnaire la place qu’elle devrait
avoir par rapport à la recherche.
Il est toujours ts ardu de faire
ressortir leffet net de telle ou telle
évolution majeure sur l’ensemble de
l’évolution de la fonction, tant les rami-
cations partielles et les eets secon-
daires peuvent être multiples. Nous
avons été amenés à faire des choix et,
donc, à trancher. Pour éviter que les
coupages auxquels nous avons pro-
cédé soient trop catégoriques et se pré-
sentent faussement sous la forme de
silos, nous nhésiterons pas, au fur et à
mesure de la présentation des grands
énements que nous avons perto-
riés, d’en montrer, pour chacun, les
liens et les interactions avec les autres.
Cela devrait nous permettre de dessi-
ner une image d’ensemble qui soit plus
compréhensible pour le lecteur.
Enn, et avant d’entrer dans le vif
du sujet, nous tenons à préciser que
nous avons aussi choisi de ne pas être
exhaustifs sur le plan des références.
Nous n’en présenterons qu’un nombre
limité, celles que nous avons jugées
les plus importantes ou pertinentes
pour notre argumentation. Cet article
constitue notre perception des choses.
Ce nest pas une revue théorique en
tant que telle. Son contenu est subjectif.
Tout autre expert en marketing aurait
pu relever d’autres événements comme
étant majeurs. Cest une situation que
nous assumons ici bien volontiers. Cela
fait partie de l’exercice.
Les grands événements
de l’évolution historique
du marketing
Lordre de présentation des événe-
ments majeurs que nous avons lec-
tionnés n’est ni chronologique, ni
indicative d’une importance relative
quelconque.
Événement historique no 1 :
l’évolution du point de mire
du marketing
Le marketing est une fonction qui
a toujours eu pour but de protéger un
capital commercial quelconque d’une
entreprise, que cette dernre œuvre
dans le domaine de la grande consom-
L’évolution du marketing :
retour vers le futur
Christian Dussart et Jacques Nantel1
Les auteurs
Christian Dussart est professeur à HEC Montréal.
Jacques Nantel est secrétaire général à HEC Montréal.
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Gestion, volume 32, numéro 3, automne 2007 100 ANS DE GESTION
mation, dans celui des services ou en
milieu industriel. Le terme usuel qui
cohabite avec celui de capital est «ter-
ritoire». Il signie l’importance de pro-
téger son pré carré, ses fonds, ses acquis
commerciaux. Or, le capital ainsi pro-
tégé a fortement changé de nature au l
des années. On est ainsi passé du «capi-
tal de marque» au «capital client»,
pour enn se centrer maintenant sur le
«capital d’aaires».
Tout cela mérite une explication. Le
capital de marque est propre au mar-
keting traditionnel et à la communi-
cation de masse. Il repose sur une stra-
gie d’aspiration des consommateurs
(ou des acheteurs industriels) à travers
des eorts publi-promotionnels impor-
tants. Les marchés étant segmentés,
il est possible de nir des clientèles
cibles auprès desquelles l’objectif est de
velopper des positionnements per-
ceptuels uniques et précis. Pour réus-
sir, la marque doit donc s’appuyer sur
une position spécique, d’importance
et positive dans la tête du consomma-
teur, du client ou de lacheteur indus-
triel. Lesprit est le champ de bataille
(Ries et Trout, 1982). La publicijoue
un le c. Elle vise à faire passer un
message clair, à communiquer la valeur
ajoutée spécique de l’ore et à faire
en sorte que cette valeur ajoutée (ou ce
«plus marchand», pour reprendre une
expression consacrée) soit vraiment
perçue comme telle par la clientèle.
Lapproche y est souvent du style «tapis
de bombes», et les budgets communi-
cationnels (et publicitaires) sont énor-
mes. Le problème est que, comme le
dit si bien l’adage de John Wanamaker
(1838-1922) (considéré comme le père
de la publicité «moderne») et repris
plus tard par David Ogilvy lui-même
(1991-1999) : «Je sais que la moitde
mon budget de publicité ne sert à rien,
mais je ne sais pas quelle est cette
moitié!» (traduction libre).
À la suite de l’explosion des capa-
cités de stockage et de traitement des
ordinateurs et de l’avènement du mar-
keting de bases de données dans les
années 1960, le marketing a pris une
orientation solument plus indivi-
duelle et relationnelle. On a pu passer
d’un marketing passif à un marketing
actif : je sais qui sont mes clients (et
ceux qui ne le sont pas), et je ne veux
madresser (en priorité tout au moins)
qu’aux premiers d’entre eux. Le mar-
keting direct (terme utilisé pour la
première fois en 1961) s’est alors déve-
lop, suivi du marketing relationnel,
véritable communication à double sens
avec des clients individuels (ou encore
le one to one, expression introduite par
Peppers et Rogers en 1996), le processus
qui repose sur une boucle d’apprentis-
sage permettant à la base de dones
de se préciser au fur et à mesure du
lancement de nouvelles opérations de
marketing et de gagner ainsi en eca-
cité (rendement de l’investissement de
marketing). Sur le plan des ores com-
merciales, le «sur mesure de masse» a
pris son essor. Le point de mire est passé
au capital client. La simple transaction
à court terme (du style «Merci et au
revoir!») a été remplacée par la valeur
à long terme du client et la vente croi-
sée concomitante («Merci, mais au fait,
que penseriez-vous de ceci, et au plai-
sir de vous revoir bientôt, nous rentre-
rons en contact avec vous si vous nous
le permettez!»). L’idée est de garder le
client et de l’engager dans une relation
d’aaires à long terme avec l’entreprise.
La gestion de la relation client (custo-
mer relationship management ou CRM),
en tant que processus d’aaires et après
bien des soubresauts, a ni par prendre
racine, et les entreprises partagent ainsi
les bénéces d’une relation étroite avec
leurs meilleurs clients (Payne, 2006).
Lacquisition des nouveaux clients reste
importante, mais la priorité des priori-
tés est de conserver (et de satisfaire) les
clients acquis. La croissance organique
est alors valorisée (Reichheld, 2006).
Bien entendu, la bonne application de
cette approche de marketing relation-
nelle dépend au départ de la notion
que l’on donne à celle de valeur ajoutée.
Théoriquement, celle-ci devrait être
celle du client. C’est le principe central
de l’implantation d’une réelle orien-
tation client au sein de l’entreprise.
La satisfaction du client a tendance à
entraîner la plus grande lité de ce
dernier, qui engendre à son tour une
plus grande part du marché et des ren-
dements financiers plus importants.
Bref, le prot est la récompense de la
satisfaction, et non l’inverse. Mais, dans
les faits, il reste beaucoup de progrès à
accomplir quant à la compréhension et
à l’application de cette équation, notam-
ment à cause de la priorité trop souvent
accordée à la valeur boursière (à court
terme) plutôt quà celle des clients
plus long terme). Rien n’est vraiment
encore joué dans le cadre de la gestion
de la valeur (Hallberg, 1995). Et pour-
tant, le lien positif entre le niveau de
satisfaction des clients d’une entreprise
et sa performance nancière d’ensem-
ble est bel et bien démontré…
Enn, une autre rupture technologi-
que est venue changer, une fois de plus,
le point de mire du marketing. C’est
celle du numérique en général, et plus
particulièrement (mais non exclusive-
ment) celle d’Internet et de son utilisa-
tion grandissante par les consomma-
teurs, les acheteurs industriels et, entre
les deux, les forces commerciales (de
vente et de distribution). Cet engoue-
ment fait que les modèles d’affaires
changent radicalement de configura-
tion (au tout but des années 1990).
Les entreprises doivent se pencher sur
le devenir de leurs aaires ou de leur
capital d’aaires. Par exemple, les agen-
ces de voyage traditionnelles, briques
et mortiers, ont quasiment disparu. La
plus grande agence de voyage des États-
Unis est uniquement virtuelle. Dans ce
sens, quelle sera la conguration future
d’une banque moderne, de la distribu-
tion alimentaire, de l’achat de produits
créatifs comme la musique ou les
vios, de la distribution de logiciels,
et ainsi de suite? Certains secteurs sont
déjà très avancés dans ces recongura-
tions (quand ils ne sont pas désavanta-
gés sur ce plan). Il revient aux experts
de travailler sur l’évolution des modèles
d’aaires sous l’angle du marketing, car
ce sont bel et bien les fonctions de com-
munication et de distribution (et leur
évolution respective) qui sont au cœur
de ces ruptures.
Pour conclure sur la notion de capi-
tal, il est fondamental de comprendre
que les grandes évolutions du marke-
ting dont nous venons de parler ne sont
certes pas exclusives, mais complémen-
taires. Pour chaque entreprise, et pour
chaque secteur dactivité concerné, il
sagit de trouver un juste équilibre entre
ces diérentes approches du marketing
liées au capital. Ainsi, et contrairement
à ce qu’ont cla certains «gourous»
peu scrupuleux, le marketing relation-
nel ne va pas «tuer» le marketing de
masse. C’est absurde et cela induit en
erreur les entreprises.
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Gestion, volume 32, numéro 3, automne 2007 100 ANS DE GESTION
Événement historique no 2 : la prise
de pouvoir par le consommateur
(ou par l’acheteur industriel)
Comme nous allons le voir un peu
plus loin, la mondialisation des mar-
chés a fortement accru l’hypercompé-
tition. La multiplication des ores en
provenance de tous pays (pas unique-
ment de la Chine et de l’Inde) fait que
les consommateurs et les acheteurs
industriels ont de plus en plus de choix.
Et les nouvelles technologies de l’in-
formation, cette fois-ci du côté de la
demande, leur donnent un accès total
à une ore sans frontière.
Le consommateur-acheteur, aux
commandes de sa souris informatique,
a pris le pouvoir total. Honnêtement,
la question qui se pose ici est de savoir
si cela est une bonne chose ou non.
Certaines personnes qui ne voient pas
plus loin que le bout de leur nez ont très
vite crié victoire. Puisque le consomma-
teur est au centre même du marketing,
n’était-il pas temps que celui-ci prenne
vraiment et enn le pouvoir? Le pro-
blème est que lorsqu’il était dit, dans la
littérature du marketing, que le client
était roi (et donc se situait au centre de
nos préoccupations professionnelles),
les experts supposaient qu’il était le
lièvre de la chasse commerciale, et donc
que les chasseurs étaient les entrepri-
ses. À elles de savoir atteindre la cible,
sachant qu’une meilleure connaissance
des comportements de celle-ci aug-
mentait d’autant leurs chances d’y arri-
ver. Mais ce qui s’est passé, c’est que le
consommateur est devenu le chasseur
et les lièvres sont maintenant les entre-
prises. Seules les très grosses multina-
tionales, en situation de quasi-mono-
pole ou d’oligopole, échappent à cette
situation. La grande majorité des entre-
prises, de toutes tailles, industrielles, de
biens durables ou de biens de consom-
mation, mais aussi les sociétés de ser-
vices, néchappent plus à cette réali.
Quant aux grands distributeurs, ils font
eux aussi partie du lot.
Si cette analogie avec la chasse
peut choquer, reconnaissons qu’elle a
le mérite de présenter cette nouvelle
alité avec clarté. La conséquence
est double. Puisque du té de lore
le choix est plus grand, les attentes et
les exigences du client augmentent.
Il faut faire mieux (marketing) pour
moins (gestion des coûts). Et puisque
les clients, du côté de la demande cette
fois-ci et avec l’aide d’outils comme les
moteurs de recherche, ont un accès
presque total aux ores commerciales,
force est de constater une diminution
du rôle relatif de la marque en tant que
critère de choix (McKenna, 2002). Celle-
ci n’est plus, comme avant, la garantie
systématique dune surtarification,
même en cas de valeur ajoutée réelle et
perçue comme telle. La parité perçue
entre les marques de produits et de ser-
vices concurrents augmente. Le marke-
ting, qui est l’art de la diérenciation,
en soure. Les gens exigent des produits
de qualité à un prix d’attaque. Lavenir
appartient alors aux moles dits de
«coûts ba, aux marchés se situant
dans le «sélectif de masse», ou encore à
ce qui est appelé le «masstige», un néo-
logisme créé pour l’occasion. Sur cette
approche des coûts bas vient se greer
maintenant celle de la personnalisation
et du sur mesure. Des entreprises telles
que ITune pour la musique ou Land’s
End pour les tements offrent des
produits sur mesure (plages ou com-
binaisons de plages musicales, jeans
et chemises) à un prix souvent moin-
dre que ce quon trouve dans la grande
distribution. Bref, la combinaison de la
technologie et du besoin de pondre
de manière toujours plus précise aux
besoins des consommateurs crée une
nouvelle forme de marketing.
Bien entendu, et fort heureusement
d’ailleurs, il restera toujours des seg-
ments (limités en nombre et en taille,
mais pas forcément en valeur) au sein
desquels les clients rechercheront tou-
jours une approche plus lective et
surtout seront prêts à payer plus cher
pour lobtenir. Ces segments consti-
tuent, dans les circonstances actuelles,
des niches à forte valeur ajoutée qu’il
faut savoir, plus que jamais, préserver,
contrôler et servir. Et puis il continue
d’y avoir des situations de consom-
mation et d’achat dans lesquelles la
sensibilité des acheteurs au prix est
moindre, voire quasiment nulle. Nous
pensons, par exemple, aux achats de
dernière minute, aux cadeaux urgents.
Le client est alors captif. Dans ces cir-
constances, l’entreprise doit mettre en
place les moyens d’acs et de distri-
bution rapide adéquats pour bénécier
des rendements majeurs liés à de telles
occasions fructueuses mais hélas pas-
sagères. C’est dans ces moments précis
que l’ore de services périphériques à
forte valeur ajoutée et à surtarication
doit se manifester.
Événement historique no 3 :
la férocité grandissante des relations
entre les distributeurs et les
fournisseurs
L’intensité (et donc la dureté) de la
concurrence mondiale est telle que la
pression sur les marges est de plus en
plus forte. Tous les niveaux de la chaîne
de distribution sont sous pression.
Puisque le consommateur a le choix,
comme nous venons de le dire, et qu’il
rechigne à supporter les hausses de prix
(et donc la répercussion des hausses de
coûts), les eets de ciseaux se font de
plus en plus sentir : cela «pincentre
la hausse des coûts de fabrication (ou
d’achat) et la baisse (ou au mieux la sta-
bilité) des prix de vente au détail. De ce
fait, les acteurs économiques ont ten-
dance à aller chercher dans la poche de
l’autre ce qu’ils ne trouvent plus dans la
leur ou dans celle du client nal. Et cela
débouche sur une férocité (toujours
grandissante) des relations entre dis-
tributeurs et fournisseurs. Lapproche
gagnant-gagnant, si souvent mise en
avant dans la littérature, nous fait quel-
que peu sourire. La réalité est tout à fait
autre, malheureusement. Cela se mani-
feste par la montée continue des mar-
ques privées de distributeurs, par la pra-
tique envahissante (et sous contrainte)
des marges arrre, par la dure des
négociations commerciales, par la mul-
tiplication chronique des menaces de
référencements envers les marques
nationales et par la pratique de la ges-
tion par catégorie (category manage-
ment) qui entre en collision avec celle
de la politique de la marque.
La volonté des grands distributeurs
de masse est de détruire la délité aux
marques nationales des grands fabri-
cants. Ce n’est d’ailleurs pas un secret :
cela est déclaré ouvertement. De nom-
breux procès sont en cours. Le lobbying
politique en la matière bat son plein et
les choses n’en resteront pas là. Tout
cela pousse à des fusions entre grands
fabricants (comme Gillette et Procter
& Gamble), ceux-ci étant à la recherche
d’eets de levier par des gains en taille.
Dans certains cas, cela favorise aussi
l’intégration verticale de la distribution.
Cest une lutte de pouvoir de marché
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Gestion, volume 32, numéro 3, automne 2007 100 ANS DE GESTION
dont les rapports de force se sont ren-
versés entre fabricants et distributeurs
de masse. Entre ces derniers, le gros du
pouvoir est aujourd’hui dans les mains
des seconds, alors que c’était le contraire
il y a une trentaine dannées. Et ici
comme ailleurs, la raison du plus fort
(lisez du plus gros quant au chire d’af-
faires) est toujours la meilleure. Alors
on peut se demander ce qu’il advient
des petits fabricants, en tant que four-
nisseurs. La conséquence nale est que,
le long de la chaîne de la valeur et de la
structure des prix, allant du fabricant
jusquau client nal, il arrive souvent
que la marge du distributeur soit bien
plus importante que celle du fabricant,
alors que celui-ci a tout inventé et déve-
loppé en matière de nouveaux produits
et services et que celui-là, nalement,
ne fait que distribuer… Contre vents
et marées, la règle est de toujours lier
innovation et provenance. Vendre des
produits sans marques n’est pas ce qu’il
y a de plus motivant pour le personnel
des fabricants. Mais bon, le choix social
pour la survie d’une entreprise n’est pas
toujours aussi simple, n’est-ce pas?
Événement historique no 4 :
l’enracinement de la distribution
virtuelle
Le commerce virtuel est là pour
rester, n’en déplaise à ses détracteurs, à
ceux qui, au tout début des années 2000,
ont cru quà la suite de l’explosion de la
bulle des sociétés point-com, Internet
et toutes les technologies numériques
n’avaient été quune mode passare,
une «bulle» en matre de marketing
(et de finance). Quelle erreur! S’il est
vrai que bon nombre d’experts en mar-
keting (mais aussi d’investisseurs) ont
vé durant les années 1990, la plu-
part des sites commerciaux en ligne
sont devenus rentables. Qu’on se le
dise enn! Dans le veloppement de
nouveaux modèles d’affaires, l’atten-
tion était accordée trop exclusivement
au caractère attrayant des nouvelles
offres. Si cette dimension est restée
importante, elle a cédé sa place à l’exé-
cution, qui est devenue la clef de voûte
du succès et de la viabilité. Le com-
merce électronique répond bel et bien
à des besoins réels, que ce soit dans le
domaine de la grande consommation
ou dans celui des biens industriels. En
matière de grande consommation, on
avait dit que ce marché serait surtout
masculin. Faux : les femmes sont tout
aussi présentes. On avait dit aussi que
ce serait un marché de jeunes et de per-
sonnes d’un niveau de scolarité su-
rieur à la moyenne. Encore faux : le phé-
nomène se massifie et les personnes
âgées s’y adonnent de plus en plus. On
avait dit, en plus, que lon ne vendrait
jamais de tements et de chaussures
en ligne. Toujours faux : c’est dans le
domaine vestimentaire que les taux de
croissance des ventes ont été parmi les
plus élevés. Pour ce qui est des services,
on avait dit quInternet n’était pas fait
pour vendre des produits nanciers à
forte valeur ajoutée : une erreur de plus.
Et ainsi de suite.
Certains allégueront que, dans le sec-
teur de l’automobile, la part du marché
des voitures neuves vendues en ligne
est minime. C’est vrai. Mais l’activité
de recherche d’information est phéno-
ménale. Or, cette phase précède celle de
l’achat. Alors, mieux vaut que les choses
s’y passent bien, non? Et puis encore, en
ce qui concerne le marché des voitures
d’occasion, eBay est devenu le princi-
pal revendeur nord-américain. De quoi
faire virer de bord toute la profession de
la revente d’automobiles. En matière de
marketing industriel maintenant (ou
B2B), le développement des places de
marché électroniques suit son cours.
Elles peuvent être privées, appartenir
à des conglomérats ou être gérées par
des pays, comme la Chine. encore,
le virtuel n’éliminera pas les échanges
traditionnels et les rencontres entre
humains, mais toutes les activités com-
merciales d’échange, y compris celles
qui sont connexes et liées par exemple
à la logistique, doivent être, elles aussi,
revues en profondeur.
Les entreprises se penchent de plus
en plus, et avec raison, sur les stratégies
multicanaux : les clics seulement, ou
l’inverse; ou encore les clics et les bri-
ques? L’idée centrale est de donner un
accès rapide et aides produits et des
services de l’entreprises à ses clients, le
tout à un meilleur coût, c’est-à-dire en
dégraissant les canaux de distribution,
en limitant autant que faire se peut les
stocks. Lintégration numérique doit
être totale en amont et en aval du dis-
tributeur ou, à l’extrême, la distribu-
tion peut devenir uniquement directe
(Dell).
Enn, cet avènement du virtuel en
néral entrne dans son sillage la
reconfiguration des milieux profes-
sionnels de la communication et de la
publicité. Là encore, les modèles tra-
ditionnels explosent. Madison Avenue,
symbole du monde des agences de
publicité traditionnelles, doit revoir
sa copie de fond en comble. Le cas le
plus intéressant à cet égard est peut-
être la dernière publicité des croustilles
Doritos qui, lors du plus récent Super
Bowl, a présenté les quatre meilleu-
res publicités réalisées par ses propres
consommateurs et distribuées, parmi
des centaines d’autres, sur YouTube au
cours de lannée précédente. Le coût
total de l’opération fut celui du place-
ment média lors du Super Bowl. Les
coûts de production furent nuls, zéro
cent à une agence et en prime une visi-
bilité qui se compte par millions de
consommateurs sur YouTube.
Certes, il y a encore bien des pro-
blèmes majeurs à régler en matière de
publicité virtuelle, comme la comptabi-
lité des clics engendrés par les diérents
types de messages virtuels, et donc la
mesure de leur efficacité elle et la
facturation qui s’y associe. Finalement,
le problème de la mesure nette de l’ef-
ficacité de la publici perdure. Mais
dans le cas de la publicité virtuelle, il y a
l’espoir d’en arriver à mesurer (et donc
à facturer, ne l’oublions pas) les actes
de consommation réels qui ont résulté
d’une campagne donnée. Un acte peut
être un achat, mais aussi le fait de rem-
plir une che d’information. Les mesu-
res actives sur Internet lemportent
ainsi sur les mesures passives. On passe
donc du PPC (le pay per click) au CPA
(click per action). En plus, les messages
virtuels, sur Internet ou placés dans des
jeux vidéo, sont de plus en plus ciblés et
continueront de l’être. Leurs contenus
seront de plus en plus taillés sur mesure
et individualisés. Certains moteurs de
recherche (notamment celui de Google)
présentent les besoins des clients avant
même que ces derniers ne les aient res-
sentis eux-mêmes. C’est tout dire! Si ce
phénomène est planétaire, il n’en reste
pas moins que son intensité s’accroît
dans les pays où la pénétration d’Inter-
net et des technologies telles que celle
du WiFi est la plus forte. Il est inutile
de dire ici que l’Asie n’est pas en reste;
la dépendance des individus envers la
technologie y a atteint son paroxysme.
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