Le Noun pharaonique et l’Être-là chez Sartre et Heidegger 111
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inertie « contenait cependant en elle tous les éléments de la création du monde »5. Mieux, il
contient plus que les éléments de la création du monde car renfermant la possibilité
existentielle de l’existence elle-même au sens de tout ce qui est susceptible d’être.
L’entité originelle contient toutes les potentialités en attente, le moment venu, d’une
certaine actualisation. Il est ainsi possible de retenir du vocabulaire ou de la signification du
mot l’idée d’une eau primordiale d’où naquirent la vie et les éléments constitutifs du monde
dans sa généralité et dans toutes ses formes possibles. Le Noun précède tout ce qui vient à
l’existence. Il se présente comme un réservoir de vie, un ensemble de possibilités
existentielles, une puissance d’être et d’existence.
Toutefois, ces éléments ne sont pas maintenus dans une confusion totale car le Noun est
signe de différenciation en quatre parties. Cosmogoniquement parlant, le Noun est un
Inorganisé et non un désordre. Noun ainsi formé d’une « eau primitive » (Noun et Naunet),
de l’ « infinité spatiale » (Heh et Hehet), des « ténèbres » (Kek et Keket) et du « vide »
(Amon et Amonet). Ainsi il a en soi toutes les caractéristiques du Chaos, mais en tant que
ses éléments soient dans une distinction les uns des autres. L’entité originelle qu’est le
Noun renferme en elle-même ces quatre « sous-ensembles » dont chacun est une virtualité
existentielle.
La Société du Musée canadien des civilisations considère cette position du Noun avec ses
constituants en ces termes : « Le Noun était représenté par quatre couples de divinités
masculines et féminines. Chacun représentait un des quatre principes qui caractérisaient le
Noun : le mystérieux ou l’invisibilité, l’eau infinie, l’errance ou l’absence de direction, et
l’obscurité ou l’absence de lumière »6. Mais cela n’est nullement synonyme de confusion,
et ce, même s’il y a, présents dans le Noun, des éléments qui pourraient renvoyer à ce
registre. Dans l’appréhension du Noun il est clairement établi que les quatre éléments
appartiennent à l’entité qui, seule, est originelle. Il est donc l’élément primordial, la masse
primitive informe, mais non confuse, à partir de laquelle s’élabore toute possibilité
d’existence.
Une difficulté est ici appréhensible en rapport avec l’idée que Noun l’informe est contenant
de quatre éléments différents les uns des autres. Mais cela nous paraît compréhensible dès
lors que l’absence de la forme de Noun renvoie à sa morphologie en tant qu’entité unique et
indivisible mais c’est intérieurement à lui, dans son sein que les éléments le constituant
gardent chacun son individualité.
C’est de la même manière que quand Cheikh A. DIOP parle du Noun en terme
d’ « indescriptible »7 en sachant qu’il présuppose, dans un passage8 précédant, la
différenciation des éléments que sont Kouk et Nouket (les ténèbres primordiales et leurs
opposées, les ténèbres et la lumière), Noun et Nounet (les eaux primordiales et leur
opposée, la matière et le néant), Heh et Hehet (l’infinité spatiale et son opposée, infini et
fini, l’illimité et le limité), Niaou et Niaouet (le vide et son opposé, le vide et le plein). Le
caractère indescriptible du Noun revoie donc plutôt à sa forme qu’à son fond.
Cette entité est antérieure et préexistante à toute autre forme d’existence qui émergera
d’elle. Théophile OBENGA rapporte dans La philosophie africaine de la période
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ANKH n°16 année 2007
5 Idem.
6 Op. cit.
7 Cheikh Anta DIOP, Civilisation ou Barbarie, Paris, Présence Africaine, 1981, p. 427.
8 Idem, p. 392.