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LES CÂBLES SOUS-MARINS : UN BIEN COMMUN MONDIAL ?
Camille Morel
S.E.R. | « Études »
2017/3 Mars | pages 19 à 28
ISSN 0014-1941
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-etudes-2017-3-page-19.htm
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i n t e r n a t i o n a l
Études - Mars 2017 - n° 4236
LES CÂBLES SOUS-MARINS :
UN BIEN COMMUN MONDIAL ?
Camille MOREL
Les câbles sous-marins jouent un rôle central dans le monde
actuel, aussi bien pour l’économie que pour la communication
ou le champ géopolitique. Mal répartis et vulnérables, ces câbles
ne seraient-ils pas des biens communs à protéger ? Quelle gou-
vernance adopter pour une meilleure gestion de ce réseau ?
Les révélations d’Edward Snowden sur lespionnage à grande
échelle mené par la National Security Agency (NSA) en 2013, la
plongée dans le noir numérique de lAlgérie à lautomne 2015 et le
nouvel épisode de tensions diplomatiques entre la Russie et les États-
Unis sont trois événements a priori très diérents qui ont pourtant un
point commun : les câbles sous-marins.
Aussi surprenant que cela puisse paraître, les ls de bre optique
qui serpentent dans les fonds marins pour transmettre l’infor-
mation entre les continents interviennent dans chacun de ces faits.
Les déclarations de Snowden, consultant pour la NSA, ont permis
de révéler en 2013 une collecte massive de données réalisée par le
gouvernement américain à partir de câbles sous-marins via, notam-
ment, les programmes d’espionnage Upstream et Tempora. C’est éga-
lement une coupure dun câble
sous-marin, le Sea-Me-We-4,
au large des côtes algériennes,
qui a entraîné une importante
baisse de connectivité en Algérie
et aecté lensemble des acti-
Doctorante, direction générale
des relations internationales
et de la stratégie (DGRIS), Ministère
de la Défense, et chargée d’études
au Centre d’études stratégiques
de la Marine (CESM).
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vités quotidiennes du pays pendant plusieurs jours. À l’été 2015,
enn, la présence du bâtiment océanographique russe Le Yantar le
long des côtes américaines, à proximité de câbles sous-marins des-
servant le pays, contribua à alimenter les tensions entre les deux
États. Autant d’éléments qui démontrent à la fois lactualité de cette
infrastructure et son importance dans la géopolitique mondiale.
Mais ce nest pas tout. Ce réseau sous-marin, encore largement
méconnu du grand public, est tout aussi vital pour notre économie :
plus de 95% des télécommunications et des données internet mon-
diales, y compris celles utilisant le wi-, transitent par ce biais. Or, ces
données, qui correspondent aux vidéos, messages, images ou encore
documents à vocation privée, professionnelle comme administrative,
sont indispensables à notre économie numérique. Des échanges de
courriels au partage sur les réseaux sociaux, de l’utilisation dobjets
connectés en passant par la réalisation de démarches administratives
en ligne, la recherche sur internet ou encore lemploi de l’informa-
tique en nuage1 et de supports multimédias… Personne ny échappe.
Le ux d’informations est devenu, au XXIesiècle, un véritable
«bien commun»2. Lié à laccès illimité à la connaissance, à la transpa-
rence et au partage, il s’impose comme une composante des droits et
libertés modernes : libre arbitre, libre échange, liberté de se réunir,
liberté daller et venir – les données numériques d’identication per-
mettent notamment aux citoyens de lespace Schengen de se déplacer
librement au sein des pays membres –, ou encore droit à la sécurité3
La liste nest évidemment pas exhaustive. Laccès à l’information est
dailleurs lui-même un droit consacré par larticle19 de la Déclaration
universelle des droits de l’Homme de 1948, qui énonce que la liber
dopinion et dexpression englobe la liberté de «chercher, de recevoir
et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et
les idées par quelque moyen dexpression que ce soit».
1. L’informatique en nuage, ou cloud computing, est une technologie permettant d’accéder en ligne,
via un réseau de télécommunication, à des données ou applications délocalisées.
2. Un bien commun est un bien considéré comme un bienfait par le plus grand nombre, et auquel
chacun devrait avoir accès, comme la santé, la sécurité, l’utilisation de la terre ou encore l’accès à
un logement décent… et désormais l’information, devenue cardinale dans notre monde moderne.
En droit international, la notion de bien commun est entendue à la fois comme une chose qui n’ap-
partient à personne (res nullius) et qui appartient à tous (res communis). Cette vision implique,
théoriquement, un libre accès à l’objet apportant le bienfait collectif ainsi que sa préservation.
Cf. Laurent Cordonnier, « Éclairage sur la notion de biens communs », Alternatives économiques,
p. 3, consultable sur http://alternatives-economiques.fr/blogs/gadrey/les/laurent-bc-v2.pdf
3. Les débats qui eurissent autour de la nécessité pour les États de collecter des données pour 
assurer leur pouvoir régalien de sécurité en témoignent. Et ce d’autant plus après les attentats
perpétrés en Europe ces dernières années.
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l e s c â b l e s s o u s -m a r i n s : u n b i e n c o m m u n m o n d i a l ?
Les câbles sous-marins, parce quils sont les vecteurs physiques
de cette information, peuvent-ils eux aussi être considérés comme
des biens communs à protéger ? Vitale pour notre économie comme
pour le bon fonctionnement de
la société, leur préservation est
devenue une priorité. Cepen-
dant, mal répartis et trop vul-
nérables, ils servent un certain
type de domination sur linformation, au détriment des grands
principes dinternet. La gestion dun bien commun, supposé ne pou-
vant être approprié, est une problématique complexe : le laisser à la
libre uctuation du marché ? Faire intervenir l’État ? Parvenir à une
gestion collective du bien ? Autant dinterrogations que ni les écono-
mistes depuis le XIXesiècle, ni des philosophes comme Aristote et
omas Hobbes nont résolues… L’information soulève ainsi des
questions fondamentales de gouvernance. Or, c’est le libre accès
matériel à la bre optique qui garantit celui immatériel à l’informa-
tion, raison pour laquelle il paraît opportun aujourdhui de repenser
la gestion des câbles sous-marins.
L’épine dorsale de l’économie mondiale
Deux avancées maritimes majeures sont à l’origine de la globali-
sation : celle du conteneur et celle des réseaux numériques sous-ma-
rins. Ces vecteurs complémentaires ont en eet rendu possible la mise
en place dun nouveau modèle économique, basé sur la sous-traitance
et léclatement du processus de production. Si le porte-conteneurs
permet dacheminer à moindre coût l’ensemble des pièces ou «briques
existantes»4 à travers le monde pour les assembler, le câble sous-ma-
rin assure, lui, la liaison entre les acteurs et le pilotage à distance du
système – suivi des pièces, transmission d’instructions aux sous-trai-
tants… La simple commande d’un smartphone sur Amazon lillustre :
internet et le transport maritime assurent la cohérence de la chaîne
logistique et le respect des délais durant toute lopération de produc-
tion, jusqu’à la livraison. Cette révolution a rendu nos sociétés large-
ment dépendantes de la mer et de ces infrastructures.
4. Cyrille Coutansais, « Géopolitique des mers et des océans », Les grands dossiers de Diplomatie,
n° 33, juin-juillet 2016.
C’est le libre accès matériel
à la bre optique qui garantit
celui immatériel à l’information
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Lensemble des transactions nancières intercontinentales sont,
par exemple, réalisées via les câbles sous-marins. Dans cet univers où
la nanoseconde peut représenter des millions deuros de gains, le
réseau sous-marin est la seule infrastructure à même dorir aux tra-
ders la rapidité d’échanges susante entre deux places boursières.
Linvestissement dans le câble Hibernia Express a fait gagner, dès sep-
tembre 2015, cinq millisecondes de rapidité au trading haute fré-
quence (THF) entre les Bourses de Londres et de New York5. Mais les
câbles servent aussi une économie souterraine : les placements aty-
piques, comme ceux en direction des paradis scaux, bénécient lar-
gement de ce mode de transit. Si, auparavant, l’évasion scale ou le
blanchiment étaient délicats du fait d’un numéraire physique peu
évident à transporter, il en est aujourdhui diéremment. La uidité
des échanges, leur immatérialité et leur massication tendent à noyer
déventuels transferts frauduleux dans l’ensemble des données en cir-
culation. Laaire des Panama papers a montré l’étendue et la com-
plexité des systèmes oshore, en omettant cependant qu’ils nauraient
pu voir le jour sans la technologie sous-marine ! Or, la bre a notam-
ment permis, entre1995 et2013, daugmenter de 21% la part du tra-
ding oshore des monnaies, c’est-à-dire des transactions sur les devises
traitées hors de leur pays dorigine.
Évidemment, les câbles sous-marins sont également vitaux pour
de nombreux autres secteurs. Le commerce, les banques ou encore
ladministration en sont largement dépendants. Toutes les activités
quotidiennes nécessitent aujourdhui une connectivité à internet.
De la consultation dun compte en ligne à la déclaration d’impôt
La revue Études, de la même façon, ne pourrait exister sans nos pré-
cieux réseaux numériques : de la recherche sur internet que réalisent
les auteurs en passant par lenvoi de la contribution, l’édition et le
transfert des chiers à l’imprimeur, tout se déroule en ligne. LAsian
Pacic Economic Cooperation (Apec) évalue à environ 10 000mil-
liards de dollars la valeur transactionnelle globale du trac trans-
porpar jour6… D’où limportance des conséquences en cas de
rupture dun câble sous-marin, que ce soit en termes de ralentisse-
ment du débit proprement dit – les deux coupures de câbles succes-
5. Nessim Aït-Kacimi, « Trading haute fréquence : une nouvelle voie rapide entre Londres et New
York », Les Échos, 28 septembre 2015, consultable sur www.lesechos.fr (consulté le 20 janvier
2017).
6. « Improving outage reporting for submarine cables and enhancing submarine cable outage data »,
Federal Communications Commission (FCC), n° 119, 17 septembre 2015.
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