La Princesse de Clèves : Explication linéaire n°1 Problématique générale : Dans quelle mesure les relations entre les personnages sont- elles soumises à des questions morales qui opposent l'individu à la société ? Pour cela, il faut distinguer dans l'étude de certains passages, la morale mondaine de la morale individuelle. Morale mondaine : Le portrait de Melle de Chartres/ La scène du bal / Morale individuelle : La déclaration d'amour indirecte / La scène de l'aveu / L incipit de l'œuvre évoque avec précision le cadre brillant de la cour du roi Henri II, roi entouré de la reine Catherine de Médicis et de sa maîtresse Diane de Poitiers, duchesse de Valentinois, donnant ainsi à ce milieu un effet de réel. Nous avons donc le tableau d'une cour admirable de par son éclat, sa galanterie, ses intrigues et sa magnificence, renforçant le registre « précieux » du roman. Un univers exceptionnel dans lequel, pour ce premier passage étudié, Melle de Chartres, âgée de 16 ans, héroïne fictive va faire son entrée , sous les yeux des courtisans et de sa mère, qui l'introduit. Passage choisi : « Il parut à la cour.....d'en être aimée » Eléments pour l’introduction : Femmes de lettres, française du XVIIème siècle, Madame de La Fayette a appartenu, à travers ses deux œuvres majeures que sont : La Princesse de Montpensier et La Princesse de Clèves aux courants précieux puis classique de son époque . Dans ce second roman, qu'elle situe à la cour d'Henri II au XVIème siècle, l'auteure nous donne à voir une intrigue amoureuse désirée, choisie, mais impossible car régie par la vertu et la raison, entre la jeune épouse et princesse de Clèves et le duc de Nemours . Dans ce passage donné , la future princesse fait son entrée à la cour sous les yeux de sa mère Madame de Chartres et des courtisans. Aussi, quelle vision de la femme et quelle représentation de l'éducation sont ici soulignées ? Nous tenterons d'y répondre en analysant dans un premier temps le portrait indirectement brossé de la jeune femme avant d'observer, en second lieu, l'éducation qu'elle a reçue. Premier mouvement : Dès le début du passage, l'adverbe temporel « Alors » vient renforcer l'emploi narratif et la valeur de 1 er plan du passé simple « parut », éveillant doublement et par conséquent, à ce stade du récit, la curiosité du lecteur face à un nouvel événement. Un événement lié à une soudaine apparition qui va tarder à être nommée ...En effet, pour créer un effet d'attente, l'auteure ne va pas révéler l'identité du personnage féminin, préférant nous la dévoiler à travers une première expression métonymique « Une beauté » ,appuyée par l'adjectif laudatif « parfaite » et l'emploi de l'article indéfini « une » contribuant à renforcer le mystère identitaire de cette belle inconnue, qui semble subjuguer la cour présente, comme nous le montre l'expression suivante : « attira les yeux de tout le monde ». Une entrée en matière lentement remarquée car suggérée grammaticalement par l'accumulation des différentes propositions comme la relative « qui...monde » ,elle-même appuyée par une phrase coordonnée « et l'on doit croire... » menant logiquement à une circonstancielle de cause : « puisqu elle...personnes » confortant l'idéalisation de l'apparition et l'effet de surprise allant avec. Un premier mouvement qui est accompagné d'une pause narrative permettant à Mme de La Fayette de proposer un portrait indirect de l 'héroïne, basé sur ses origines et son éducation. On apprend alors qu'elle est issue de la famille du « vidame de Chartres » ; une haute lignée qui conforte le registre épidictique du portrait à travers les termes élogieux et hyperboliques : »parfaite / admiration / » avec l'emploi du superlatif « une des plus grandes héritières » . L'éloge est conséquent car il participe à l'embellissement du personnage féminin puisque tout en elle incarne la perfection dans un lieu tout aussi exceptionnel ,dans lequel en plus, il n'est pas rare de voir « de belles personnes » . Toutefois, force est de constater dans ce début d'extrait que la description de la future princesse va plus être suggérée que dressée , effacée au profit du portrait de sa mère qui va suivre , la mettant ainsi au second plan . Un portrait élogieux, assez « précieux » allant de pair ici avec une éducation plutôt singulière. Deuxième mouvement : Un statut social et une beauté qui sont redevables à une femme de qualité : Madame de Chartres, sa mère. Le cœur du passage focalise sur celle-ci et l'éducation prodiguée à travers le champ lexical de la droiture , comme le soulignent les laudatifs suivants: « le bien, la vertu et le mérite » amenés grâce à une proposition relative introduite par « dont » , caractérisant cette « femme » , amplifiant le mérite par conséquent de cette jeune veuve ; laudatifs qui la caractérisent, eux -mêmes renforcés par l'adjectif attribut, hyperbolique « extraordinaires » . Mère d'exception, elle s'est donnée tout entière à l'éducation de sa fille(confère le champ lexical ci-dessous) mettant en avant ce travail pour lui permettre d' acquérir aussi bien la beauté morale que physique : « donné ses soins/travailla/cultiver/songea à lui donner » termes profonds dévoilant un devoir sérieux, vu comme légitime pour elle , alors qu'à ce moment-là les jeunes filles de bonne famille étaient élevées au couvent.Une éducation singulière donc envers les « us » de l'époque .Elle s'oppose aussi à la tradition qui excluait de trop en dire sur les questions de cœur et les dangers de l'amour caché, perfide , malsain car trop frivole. Au contraire, grâce à la franchise d'un dialogue respectueux envers sa fille , elle a su lui montrer les dangers de l'amour pour mieux la » persuader » et non l'obliger comme il était de coutume de faire dans ce milieu ,amenant par là même souvent, un interdit vite franchissable. C 'est ensuite, une vision assez pessimiste de l'amour qui est donnée, soulignée par l'antithèse des termes « agréable et dangereux ». L'amour des hommes est cruel et l'on doit s'en méfier comme le montre le lexique dépréciatif dans le passage suivant : « le peu de sincérité, tromperies, infidélité , malheurs domestiques, où plongent les engagements » ; gradation confortée par l'emploi du déterminant possessif « leurs »,accentuant le côté menaçant voire prédateur des hommes (courtisans). Ici, Madame de Chartres (et l'auteure surtout) donne(nt) une image assez ambiguë de la cour, certes lieu d'exception mais lieu plutôt intrigant et superficiel aussi . La vertu reste la grande force de son programme éducatif ; une qualité rare car difficile à conserver dans cet univers galant, et qui permettra à sa fille de s'éloigner du « pernicieux amour » au profit de celui plus heureux , qui est « d'aimer son mari et d'en être aimée »:nous avons donc une expression qui sonne comme un constat moral, dévoilant néanmoins toute la difficulté à aimer sincèrement dans cet univers d'apparat et d'apparences. Ce serait un juste retour honnête et légitime des choses , mais bien rare à l 'époque des mariages de raison ou arrangés . Femme de caractère, elle nous offre une vision assez rigoriste de cette éducation certes, mais quelque part, Mme de Chartres finalement n'hésite pas à mener elle-même sa fille dans ce monde où la séduction masculine est de rigueur et face à laquelle, sa fille doit rester sur ses gardes ,comme une mise à l'épreuve, indispensable ,quand on fait partie du « beau monde »... . Eléments pour la conclusion : Ainsi, à la lecture de ce passage dont la construction syntaxique complexe et appuyée révèle des portraits féminins singulièrement menés : celui de la mère expliquant tout en éclipsant quelque peu celui de la fille ; puis, au travers de l'analyse de l'éducation particulière de la future princesse de Clèves , nous nous rendons compte que cette entrée à la cour s'annonce comme un défi pour l'héroïne . Univers dans lequel, et défi pour lequel, la psychologie aura une place de choix ... Aussi, à ce stade de l'œuvre, nous sommes en droit de nous demander si la future princesse résistera aux passions ou si sa vertu, véritable « fer de lance » de son éducation sera ébranlée voire abandonnée.