Deux églises de Limoux
Si la basilique de Notre-Dame de Marceille et l’église Saint-Martin dont un prêtre
essayait, il y a encore peu de temps, de percer le Secret sont les deux édifices auxquels on
pense quand on évoque le nom de Limoux, la ville compte en ses environs pour l’un, en son
sein pour l’autre, deux autres sanctuaires qui semblent garder tout autant de secrets. Pour le
premier, l’abbaye de St Polycarpe, Daniel Dugès nous en a déjà parlé dans le précédent
bulletin. Je me propose de compléter sa très intéressante lecture en montrant comme l’un des
tableaux sur lequel il a attiré l’attention des membres de l’Association confirme les vues que
j’ai pu précédemment émettre sur la nature du «Secret des prêtres du Razès». Pour le second,
personne n’en a jusque-là évoqué le nom…
1. L’abbaye de St Polycarpe et son étrange Crucifixion.
Dans le dernier bulletin, Daniel Dugès évoquait les étranges tableaux de l’abbaye de
Saint-Polycarpe, près de Limoux. L’interprétation d’un certain nombre de détails (notamment
tout ce qui concerne les «documents écrits» qui apparaissent sur ces tableaux et les lettres
qu’ils mettent en relief) semble incontestablement mettre en lumière l’existence d’un codage
dans ces tableaux. Suite à cet article, je me suis rendu sur place pour voir de mes propres yeux
les toiles en question. L’une d’elles m’est immédiatement apparu avoir une certaine
importance du point de vue de mes propres recherches.
Il s’agit du tableau de la Crucifixion. Ce tableau d’Annet Auriac (1659) représente, de
part et d’autre du Christ en croix, St Polycarpe et St Benoît. St Polycarpe est richement paré
(son vêtement est tissé de fils d’or), coiffé de la mitre pontificale. St Benoît est lui vêtu de
manière austère. Le contraste entre ces deux figures est saisissant. En entrant dans l’église de
St Polycarpe, j’ai bien cru voir là les deux Eglises que j’ai pu évoquer dans mes précédents
articles : celle de Pierre et celle de Marie-Madeleine. De fait, St Polycarpe évoque
incontestablement le faste qui entoure le pontife romain tandis que St Benoît, tout habillé de
noir, rappelle la silhouette des Parfaits cathares également entièrement vêtus de noir,
comme nous l’apprend Pierre des Vaux de Cernay entre autres.
Le lecteur qui aura lu précédemment l’article de Daniel Dugès comprendra que
l’interprétation radicalement différente que je donne de cette Crucifixion vise à accompagner
celle de Daniel Dugès : je considère un degré de codage différent de l’œuvre étudiée, si bien
que nos deux lectures, loin de s’exclure, se complémentent l’une l’autre. Je tenais à ce que
cela soit précisé de manière claire.
Il est parfois difficile, dans l’Affaire qui nous intéresse, de ne pas se laisser distraire par
une interprétation abusive, conditionnée par une irrésistible envie de croire, de trouver des
preuves accréditant notre hypothèse, et les lecteurs de ce bulletin connaissent sans doute la
mienne.
Dans le cas présent, la lecture proposée ne me semble pas être fautive, dans la mesure
où nombre d’éléments la confirment. L’opposition entre deux visions de l’Eglise du Christ,
incarnées par St Polycarpe et St Benoît, est au cœur d’un réseau symbolique subtilement tissé
: dans les volutes de la crosse de St Benoît, le peintre a figuré une rose, symbole marial par
excellence. St Polycarpe montre de son index le sol. Or les hérétiques désignaient l’Eglise de
Rome comme l’église terrestre, par opposition à l’église céleste qu’ils incarnaient… St Benoît
tient en ses mains un livre rouge, couleur fréquemment associée à Marie-Madeleine dans
l’iconographie médiévale… Tout fonctionne comme si le peintre avait voulu opposer, de part
et d’autre de la croix, les deux églises auxquelles Jésus donna naissance celle de Pierre, la
fastueuse et la visible, et celle de Marie, l’austère et l’invisible. Lecture que semble encore
confirmer un détail dans l’architecture de la ville que l’on devine dans le fond du tableau...
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Ce détail est sans doute le plus insolite du tableau. A côté d’un modeste clocher d’église
surmonté d’une croix, on aperçoit en effet un dôme surmonté d’un croissant, qui est au moins
six fois plus volumineux que le clocher. Daniel Dugès a cru voir en ce croissant un coq, mais
après vérification sur place, et examen des photographies réalisées avec un zoom relativement
puissant, il ne fait pas de doute qu’il s’agit en réalité d’un croissant. Ce second édifice serait
donc, non pas une seconde église, comme le préjugeait Daniel Dugès, mais une mosquée.
Cela pose bien des questions. Je n’ai jamais vu de mosquée représentée sur une Crucifixion, et
pour cause… Le côté insolite de cette figuration est en outre accentué par la taille de la
«mosquée» en question : l’église disparaît littéralement à côté d’elle et il est incontestable que
dans ce tableau d’Anet Auriac le Croissant est supérieur à la Croix.
Il est à mon sens impossible de comprendre cette «fantaisie» du peintre si l’on s’en tient
à une interprétation conventionnelle du croissant. Pour ma part je suis persuadé, et les signes
précédemment relevés dans le tableau nous y incitent, que le croissant ne renvoie pas à la
religion de Mahomet mais une nouvelle fois à Marie, dont le croissant de lune est un des
attributs les plus courants depuis qu’on a cru la reconnaître en la vision de la Femme et du
Dragon de l’Apocalypse de Jean (XII, 1 : «Un signe grandiose apparut au ciel : une Femme !
le soleil l’enveloppe, la lune est sous ses pieds et douze étoiles couronnent sa tête…»)
Par le subtil jeu de symboles qu’il a commencé à tisser au premier plan, Anet Auriac
évoquerait donc à nouveau l’existence de deux églises : celle de Pierre, et celle de Marie.
Mais il irait plus loin encore ici en affirmant la supériorité de l’Eglise de Marie sur l’Eglise de
Pierre.
2. L’étrange église de l’Assomption à Limoux.
Il est à Limoux une église dont personne n’a jusqu’à présent parlé peut-être parce que
ses portes sont souvent closes, et qu’elle était fermée jusqu’en 1992 et qui renferme
pourtant en son sein d’assez étranges œuvres.
L’église de l’Assomption, destinée à remplacer l’ancienne église du même titre, est
érigée à partir de 1885 par l’entrepreneur Elie Sabatier, selon le plan réalisé par l’architecte
Esparcel, qui s’inspire de l’église de l’Annunciata de Gênes. Le coût total des travaux s’élève
à 150.507 francs et 20 centimes. L’église est achevée en 1891. Elle est bénie le 11 décembre
1892, en présence de Mgr Billard et d’un certain nombre d’autres acteurs bien connus de
l’Affaire Saunière, tel le Vicaire Général Cros (lequel monte à cette occasion en chaire) ou
encore le secrétaire de l’Evêché Guilhem.
C’est à la fin de l’année 1891 qu’un certain nombre d’œuvres de l’ancienne église de
l’Assomption sont transférées dans la nouvelle.
Parmi ces œuvres, se trouve une toile de très grande taille représentant l’épidémie de
peste qui sévit à Limoux en 1631.
Ce tableau nous montre un détail des plus insolites. Parmi les habitants de Limoux, un
homme se détache au milieu de la foule à cause de son habit rouge et, surtout, de son visage :
le peintre lui a donné les traits de… Jésus tel qu’on le représente traditionnellement et tel qu’il
est figuré sur le chemin de croix peint de l’église de l’Assomption !
S’il est incontestable que cet homme a les traits de Jésus, il est évidemment malaisé
d’expliquer pourquoi. Une seule chose est certaine, c’est que ce personnage n’a pas le statut
d’une apparition miraculeuse : il est parfaitement intégré à la foule. Aucun des personnages
alentours ne le considère avec un égard particulier. Tous, lui y compris, ont les yeux levés
vers le ciel où, se tient, majestueuse, la Vierge Marie, accompagnée de l’enfant Jésus. Seul un
moine fait exception. S’il a en effet les yeux levés vers l’apparition de la Vierge à l’enfant, il
désigne de l’index de sa main droite le personnage ayant les traits de Jésus, comme pour lui
conférer une importance particulière.
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La composition de ce tableau méritera probablement d’être analysée avec plus de soin,
notamment en ce qui concerne les jeux des regards. Cela donnera peut-être lieu à quelque
révélation d’importance. En attendant il conviendra de s’interroger sur le sens que le peintre a
voulu conférer à son oeuvre : a-t-il voulu nous dire, en figurant le Christ parmi les habitants
de Limoux, à côté d’une vieille femme, que le Christ a vécu à Limoux ou dans ses alentours et
y a fini sa vie ?
Impossible de répondre avec certitude à cette question.
L’église de l’Assomption renferme d’autres œuvres pour le moins troublantes. Certaines
stations du chemin de croix, par exemple, présentent des détails bien singuliers. Avant de
relever quelques-unes de ces anomalies, il me faut signaler une particularité de ce chemin de
croix : il a été réalisé par plusieurs personnes différentes dans les années 1850/1860 (les dates
figurant sur les stations vont de 1857 à 1860). On trouve les noms de Léopold Petiet (station
III), du Père Vidal, vicaire de l’Assomption (station IV), de Cestanet (station VII), de
Stanislas Pons (station IX), de l’abbé Gabbe (station XII)…
A la station XI, laquelle nous montre Jésus en train d’être crucifié, l’artiste (anonyme) a
peint au premier plan une pelle et une pioche. Je n’ai jamais vu un tel détail ailleurs, et si l’on
peut lui trouver une justification (l’auteur a-t-il voulu figurer les instruments avec lesquels on
a creusé le trou, non visible sur la station, où la croix va être enfoncée ?) force est de constater
que, dans la région de Rennes-le-Château, ce genre de détail n’est pas sans éveiller quelques
soupçons.
D’autant que ce n’est pas la seule «bizarrerie» de ce chemin de croix. La dernière
station, celle de la mise au tombeau, présente cette particularité de nous montrer Jésus non
couché dans la tombe, mais comme assis sur celle-ci. Il est bien sûr censé être mort, ses yeux
sont clos, et deux hommes soutiennent son corps, tandis que Marie-Madeleine, agenouillée
devant lui, le considère avec tendresse et non avec désespoir comme c’est habituellement
le cas. L’étrange parallèle que cette dernière station, nous montrant Jésus maintenu assis sur
ce tombeau aux allures de trône de pierre, offre avec la première, nous montrant Pilate assis
sur son trône, semble laisser deviner une volonté symbolique.
Concernant ces deux stations, je ne saurais affirmer avec certitude qu’elles gardent bien
un secret. Ce qui m’y inciterait, ce serait la station XIII, qui, elle, est manifestement codée.
Face à Jésus, portant sa croix, se trouve sa mère, agenouillée, et, à côté d’elle, une autre
femme, tendant un voile à Jésus. Le voile que cette seconde femme tient nous autoriserait à
voir en elle Véronique, si, précisément, celle-ci n’était représentée à la station suivante ! Cette
femme n’est donc certainement pas Véronique que tous les chemins de croix ne
représentent qu’une seule fois. Le peintre qui a réalisé cette station semble signifier assez
clairement qu’un secret entoure cette femme. Un homme murmure quelque chose à l’oreille
de Jésus qui considère la femme au voile du regard, ignorant totalement sa mère qui tend
pourtant ses mains vers lui. Le voile qu’elle tient renverrait donc non à Véronique, mais
devrait être dès lors considéré comme un symbole du secret.
Quant à la nature de celui-ci, il pourrait bien être lié au plus singulier détail de cette
station : la présence d’une source d’eau vive au premier plan. En effet, partant des pieds du
personnage féminin au voile, un filet d’eau assez important vient se rassembler en une flaque
d’eau bleue devant la Vierge. Le personnage féminin au voile serait-il Marie-Madeleine, et le
peintre aurait-il voulu faire une allusion très explicite à la Source de la Madeleine ?
Je ne me risquerai pas de répondre par l’affirmative à la question, mais je crois
néanmoins qu’elle mérite d’être posée et d’être analysée…
Enfin, et pour en finir avec l’église de l’Assomption, un dernier tableau mérite d’être
signalé. Il s’agit d’une crucifixion se trouvant dans une chapelle latérale. Dans le fond du
tableau, l’artiste a peint un paysage composé de montagnes. Or, l’on voit dans l’une d’elles,
juste au dessus de la tête de Marie-Madeleine, laquelle étreint le pied de la croix, s’ouvrir une
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immense grotte. Si ce détail est là aussi singulier, si je n’en ai jamais vu de tel sur une autre
Crucifixion, la question reste bien sûr posée du sens à lui donner. On peut tout à fait concevoir
qu’il s’agisse d’une allusion au Tombeau de Joseph d’Arimathie, où le corps de Jésus va être
déposé après sa mort… Le caractère unique d’une telle figuration pose toutefois bien des
questions, et l’on est légitimement en droit de trouver que l’église de l’Assomption recèle en
son sein bien des singularités.
Christian DOUMERGUE
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