80
Frédéric VAIREL 111
chie malgré la transition à la démocratie. Les mouvements sociaux font davantage
référence aux cas sud-africain et du cône sud latino-américain, supposés avoir
prêté une oreille plus attentive aux mouvements sociaux.
Dans le prolongement de notations sur les contributions savantes à la constitu-
tion du système d’emprise de l’autoritarisme marocain4, on reviendra sur les usages
politiques de la transitologie, en insistant sur la dimension internationale que revê-
tent aujourd’hui ces jeux politiques5. On décrira dans un premier temps les indices
sur lesquels prend appui la vulgate marocaine de la transition. Ensuite, aller au-delà
du constat de l’arrivée de la transition dans les luttes politiques suppose un détour
par les espaces qui font office de sas entre le monde des savants et celui des prati-
ciens de la politique. Pour cette raison, on portera le regard sur les acteurs qui se
sont saisis de la thématique de la transition marocaine et vers leurs espaces de ren-
contre et de confrontation, notamment les fondations politiques et la presse. On a
ainsi le moyen de comprendre comment s’est effectuée l’inscription d’une théorie
savante dans un espace politique, au point qu’elle est devenue aussi bien le nom du
jeu politique qu’un de ses principaux enjeux. Enfin, on se tournera vers les usages
sociaux de la transitologie au Maroc. Loin d’être le guide pratique d’une construc-
tion volontariste de la démocratie6, cette « proto-science7 » s’est changée en moyen
de mise en ordre de la scène politique, devenant un principe d’exclusion de ceux qui
risqueraient d’en perturber le fonctionnement : les islamistes et les différents grou-
pes faisant entendre leur voix dans des rassemblements de rue autour du règle-
ment de la violence d’État, de la condition féminine ou du chômage des diplômés.
Une « transition » sous forme d’indices ?
Au-delà des variations selon les auteurs8, un consensus se dessine autour de
plusieurs thématiques qui « feraient » la transition : mesures concernant les
4. Tozy (M.), « Représentation/intercession : les enjeux de pouvoir dans les champs politiques désamorcés
au Maroc », in Camau (M.), dir., Changements politiques au Maghreb, Paris, CNRS éditions, 1991.
5. Le matériau sur lequel je m’appuie a été recueilli au cours d’une enquête au Maroc entre octobre 2000 et
septembre 2003 sur le fonctionnement des mouvements sociaux en situation autoritaire. Deux séries de
mobilisations ont plus particulièrement été observées : celles qui avaient pour enjeu le règlement de la vio-
lence d’État et celles autour de la réforme de la question féminine. Les entretiens ont été complétés par l’ana-
lyse de différentes sources écrites : presse, rapports d’expertise, essais, ouvrages d’histoire événementielle. Ce
séjour sur le terrain a également été l’occasion d’assister à des colloques et séminaires portant sur la transition.
6. Comme s’y employa par exemple S. Huntington qui propose explicitement des guides pratiques pour
« faiseurs de démocratie », qu’ils se situent dans l’opposition ou au sein des coalitions dirigeantes (« How
Countries Democratize », Political Science Quarterly, 4, 1991-1992).
7. L’expression se trouve sous la plume, ironique, de Bunce (V.) : « Should Transitologists Be Grounded »,
Slavic Review, 1, 1995, p. 120. Elle avait été proposée auparavant par P. C. Schmitter, dans une communi-
cation « La transitologie : art ou pseudo-science ? », Centre d’études et de recherches internationales
(CERI), Paris, 12 mai 1993, parue sous le titre « Transitology : The Science or the Art of Democratization ? »,
in Tulchin (J.), ed., The Consolidation of Democracy in Latin America, Boulder, Lynne Rienner, 1995.
8. Indépendamment de leur positionnement politique et intellectuel, on mentionnera : H. Bennadi,
M. Berdouzi, H. Ben Abdallah El Alaoui, M. Darif, R. El Mossadeq, F. El Rhazi, L. Jaïdi, A. Saaf, B. Stora,
M. Tozy, P. Vermeren.
P109-128-9782200301084.fm Page 111 Mercredi, 21. novembre 2007 4:06 16