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La transitologie, langage du pouvoir au Maroc
ArticleinPolitix · January 2007
DOI: 10.3917/pox.080.0109
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La transitologie, langage du pouvoir au Maroc
par Frédéric VAIREL
| Boeck Université | Politix
2007/3-4 - n° 80
ISSN 0295-2319 | ISBN 9782200923839 | pages 109 à 128
Pour citer cet article :
— Vairel F., La transitologie, langage du pouvoir au Maroc, Politix 2007/3-4, n° 80, p. 109-128.
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Volume 20 - n° 80/2007, p. 109-128
La transitologie, langage
du pouvoir au Maroc
Frédéric VAIREL
Résumé - Pendant les années 1990 au Maroc, des acteurs issus d’horizons sociopolitiques divers recou-
rent au thème de la transition démocratique pour décrire les changements que connaît le régime politi-
que. À partir de fondations politiques et de la presse, cette nébuleuse d’acteurs utilise la transition dans
ses luttes pour réfléchir et infléchir la réforme du pouvoir d’État. Cependant, loin de l’ambition démo-
cratisante de ses premiers promoteurs savants, la transition se mue au Maroc en langage du pouvoir.
Dans son retour au monde social, elle se transforme en instrument d’évaluation et de classement des
conduites politiques dirigé contre divers mouvements sociaux qui menaceraient son « avancement ».
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En hommage à Alain Roussillon
ans les années 1990, l’arrivée du thème de la transition politique en
terre marocaine correspond à une période où la monarchie se retrouve
sans véritable concurrent politique. Le répertoire d’action coercitive
– enlèvements, torture, centres de détention secrets, exécutions extrajudi-
ciaires – en usage de 1960 à 1990 est abandonné, sans pour autant que le
maillage policier du territoire ne disparaisse. Les procès arbitraires, qui permi-
rent d’abattre les différentes oppositions de gauche puis les islamistes, ne sont
plus utilisés de façon systématique. L’efficacité du recours à la violence sur le
long terme aboutit à la pacification de la configuration politique marocaine dans
les années 1990. Pour autant, ceci ne signifie pas que la domination soit facilitée.
Les gouvernants marocains sont en effet sommés de réformer le régime en réfé-
rence à trois ordres de processus qui tendent à amender les modalités de l’exer-
cice du pouvoir : la nouvelle orthodoxie du développement (le « Washington
consensus »), les « transitions libérales » (transition démocratique par construc-
tion capitaliste), la succession monarchique. Face à ce qu’il perçoit comme des
menaces, le roi initie alors une reconfiguration de la scène politique ajustant le
Maroc, au moins dans les termes, au versant politique du consensus de
Washington : société civile, droits de l’homme, good governance. Le régime passe
de la dénégation systématique des violations graves des droits de l’homme
perpétrées depuis l’indépendance à leur reconnaissance du bout des lèvres.
Cet état de fait est à l’origine d’une idée commune qui se retrouve dans la pro-
duction savante et journalistique récente : le Maroc connaîtrait une transition
politique, sinon démocratique. Dans une aire rétive aux sirènes de la démocratie
apportées par la third wave1, ce point pourrait être célébré. La question mérite à
tout le moins examen, tant il vrai que la transition démocratique, après avoir
voyagé depuis les universités et fondations américaines des « professionnels de la
démocratie2 », s’est coulée dans les lexiques et panoplies locaux, devenant littéra-
lement al-intiqâl al-dimuqrati3. Sans doute, la pertinence d’un paradigme en
sciences sociales ne se mesure pas à son audience auprès des acteurs dont il est
censé éclairer ou décrire les pratiques. Cependant, ce succès nécessite d’être inter-
rogé pour peu que l’on considère les investissements nombreux, aussi bien
savants que politiques, dont la thématique de la transition au Maroc a fait l’objet.
Ses usages pluriels confinent à l’équivoque. Le cas espagnol est cité en exemple
par les acteurs du régime, qui y trouvent un modèle de conservation de la monar-
1. En référence à Huntington (S.), The Third Wave, Democratization in the Late Twentieth Century, Norman, Uni-
versity of Oklahoma Press, 1991. Selon cet auteur, la troisième vague de démocratisation comprendrait les démo-
cratisations d’Europe centrale et du sud, d’Amérique latine ainsi que du sud de l’Asie, dans les années 1970 et 1980.
2. Guilhot (N.), « Les professionnels de la démocratie. Logiques militantes et logiques savantes dans le nou-
vel internationalisme américain », Actes de la recherche en sciences sociales, 159, 2001.
3. Traduction de la transition démocratique.
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chie malgré la transition à la démocratie. Les mouvements sociaux font davantage
référence aux cas sud-africain et du cône sud latino-américain, supposés avoir
prêté une oreille plus attentive aux mouvements sociaux.
Dans le prolongement de notations sur les contributions savantes à la constitu-
tion du système d’emprise de l’autoritarisme marocain4, on reviendra sur les usages
politiques de la transitologie, en insistant sur la dimension internationale que revê-
tent aujourd’hui ces jeux politiques5. On décrira dans un premier temps les indices
sur lesquels prend appui la vulgate marocaine de la transition. Ensuite, aller au-delà
du constat de l’arrivée de la transition dans les luttes politiques suppose un détour
par les espaces qui font office de sas entre le monde des savants et celui des prati-
ciens de la politique. Pour cette raison, on portera le regard sur les acteurs qui se
sont saisis de la thématique de la transition marocaine et vers leurs espaces de ren-
contre et de confrontation, notamment les fondations politiques et la presse. On a
ainsi le moyen de comprendre comment s’est effectuée l’inscription d’une théorie
savante dans un espace politique, au point qu’elle est devenue aussi bien le nom du
jeu politique qu’un de ses principaux enjeux. Enfin, on se tournera vers les usages
sociaux de la transitologie au Maroc. Loin d’être le guide pratique d’une construc-
tion volontariste de la démocratie6, cette « proto-science7 » s’est changée en moyen
de mise en ordre de la scène politique, devenant un principe d’exclusion de ceux qui
risqueraient d’en perturber le fonctionnement : les islamistes et les différents grou-
pes faisant entendre leur voix dans des rassemblements de rue autour du règle-
ment de la violence d’État, de la condition féminine ou du chômage des diplômés.
Une « transition » sous forme d’indices ?
Au-delà des variations selon les auteurs8, un consensus se dessine autour de
plusieurs thématiques qui « feraient » la transition : mesures concernant les
4. Tozy (M.), « Représentation/intercession : les enjeux de pouvoir dans les champs politiques désamorcés
au Maroc », in Camau (M.), dir., Changements politiques au Maghreb, Paris, CNRS éditions, 1991.
5. Le matériau sur lequel je m’appuie a été recueilli au cours d’une enquête au Maroc entre octobre 2000 et
septembre 2003 sur le fonctionnement des mouvements sociaux en situation autoritaire. Deux séries de
mobilisations ont plus particulièrement été observées : celles qui avaient pour enjeu le règlement de la vio-
lence d’État et celles autour de la réforme de la question féminine. Les entretiens ont été complétés par l’ana-
lyse de différentes sources écrites : presse, rapports d’expertise, essais, ouvrages d’histoire événementielle. Ce
séjour sur le terrain a également été l’occasion d’assister à des colloques et séminaires portant sur la transition.
6. Comme s’y employa par exemple S. Huntington qui propose explicitement des guides pratiques pour
« faiseurs de démocratie », qu’ils se situent dans l’opposition ou au sein des coalitions dirigeantes (« How
Countries Democratize », Political Science Quarterly, 4, 1991-1992).
7. L’expression se trouve sous la plume, ironique, de Bunce (V.) : « Should Transitologists Be Grounded »,
Slavic Review, 1, 1995, p. 120. Elle avait été proposée auparavant par P. C. Schmitter, dans une communi-
cation « La transitologie : art ou pseudo-science ? », Centre d’études et de recherches internationales
(CERI), Paris, 12 mai 1993, parue sous le titre « Transitology : The Science or the Art of Democratization ? »,
in Tulchin (J.), ed., The Consolidation of Democracy in Latin America, Boulder, Lynne Rienner, 1995.
8. Indépendamment de leur positionnement politique et intellectuel, on mentionnera : H. Bennadi,
M. Berdouzi, H. Ben Abdallah El Alaoui, M. Darif, R. El Mossadeq, F. El Rhazi, L. Jaïdi, A. Saaf, B. Stora,
M. Tozy, P. Vermeren.
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