Manicomio, La Folie Recluse, Raymond Depardon

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MANICOMIO. La Folie recluse.
Raymond Depardon
Margot Sylvestre
N° Etudiant : S187674
M1 « Cinema et mondes contemporains »
Parcours international (IMACS)
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L’ouvrage photographique Manicomio. La folie recluse résulte de nombreuses visites et déambulations
du photographe Raymond Depardon dans différents hôpitaux psychiatriques d’Italie entre 1977 et
1981. Trente-neuf de ces photographies avaient fait l’objet d’une exposition au Palais de Tokyo de
Paris en 1984, et Raymond Depardon réalise le film San Clemente sur l’île psychiatrique du même nom
en 1980 avec Sophie Ristelhueber. L’ouvrage étudié est néanmoins publié pour la première fois en
2013 par l’éditeur Steidl Verlag. La mise en page et les paratextes sont donc rédigés trente-deux ans
après les dernières prises de vue. Une prise de recul à prendre en compte dans l’analyse. Le livre
comprend 218 photographies en noir et blanc, majoritairement présentes en pleine page dans un
format 29,1x20,3cm. Les paratextes apparaissent chaque fois en français, en anglais et en italien. Les
photographies sont toutes encadrées d’une bordure noire et de petites encoches qui évoquent les
planches de pellicule.
Raymond Depardon est un photographe, réalisateur, journaliste et scénariste français, né en juillet
1942. Il a créé l’agence Gamma en 1966 et a rejoint l’agence Magnum Photos en 1979. Il est reconnu
notamment pour son travail cinématographique documentaire avec des films comme Reporters (1981),
10ème chambre, Instants d’audience (2010) et son triptyque « Profils paysans » avec L’Approche (2001), Profils
paysans : le quotidien (2005) et La Vie moderne (2008), pour lequel il reçoit le Prix Louis-Delluc. Son film
12 jours, sorti en 2017, porte sur le procédé judiciaire initié lorsqu’une personne est internée sans son
consentement dans un hôpital psychiatrique. Les douze jours renvoient au délais réglementaire imparti
dans lequel la personne internée doit être présentée à un juge des libertés et de la détention ; audience
qui se fait sans la moindre présence du corps médical. Les thématiques de l’enfermement contraint et
de la justice semblent préoccuper Raymond Depardon. La loi concernant ces douze jours est d’ailleurs
promulguée en 2013, année de la sortie de l’ouvrage Manicomio, La folie recluse.
Le titre est partiellement traduit, le terme Manicomio signifie « maison de fou » en italien, ou « asile
de fous ». C’est le nom de l’hôpital de Trieste, où Raymond Depardon se retrouve « enfermé » avec les
internés pendant un moment, dans un paratexte au début de l’ouvrage il dit : « J’ai commencé à
photographier tout doucement ». Mais ce terme est aussi celui que le photographe aura jugé le plus adapté
pour le titre. Sûrement permet-il d’éviter les termes galvaudés d’« hôpitaux psychiatriques » ou « asiles
de fous ». Depardon fait littéralement entrer le spectateur dans ces maisons de fous, qui bien souvent
sont fermées aux regards de la société. Que ce soit officiellement avec l’accord et le soutien des
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directeurs d’asiles, ou clandestinement, il se faufile dans ces espaces rarement visités, ni par la famille,
ni par de quelconques représentants de l’État. Franco Basaglia le soutient tout au long de son parcours
photographique en lui permettant d’entrer dans ces lieux. Ce dernier est un psychiatre italien à
l’initiative de la « Loi 180 » ou « Loi Basaglia » de 1978 en Italie. Celle-ci vise la fermeture des hôpitaux
psychiatriques pour les remplacer par des « centre communautaires de santé mentales ». Il s’agit de
recréer un lien entre les personnes jugées malades mentales par la psychiatrie, et la société dont ils sont
exclus. C’est d’ailleurs ces premières tentatives de réinsertion des internés dans la société que venait
photographier Raymond Depardon, qui a finalement décider de s’intéresser aux hôpitaux
psychiatriques qui allaient fermer ; comme pour donner la preuve de leur existence avant que ceux-là
ne ferment.
Cet ouvrage photographique retranscrit l’expérience personnelle de Raymond Depardon dans les
différents hôpitaux psychiatriques qu’il a pénétré. Les lieux et dates exactes de prise de vue des photos
sont secondaires par rapport au désir du photographe de partager l’expérience et la subjectivité de sa
déambulation à travers les couloirs, chambres et jardins des hôpitaux. Ces photos ouvrent la porte à
des lieux d’habitudes fermés au public, qui enferment les personnes jugées inaptes à vivre en société :
c’est la folie recluse, celle que la société se refuse de voir en l’enfermant au plus loin du regard d’autrui.
Éloignement du regard matérialisé par les îles comme San Servolo et San Clemente qui deviennent
avec Napoléon en 1799 des Hôpitaux Psychiatriques. Ils sont sur le point de fermer lorsque Depardon
commence ses nombreux voyages vers le nord de l’Italie.
Le photographe semble sans cesse se demander ce qui fait la folie d’un individu et d’un regard. Il
déambule dans ces couloirs, espaces communs et jardins, comme à la recherche d’une vérité sur la folie
qui naîtrait de l’accumulation de ses photos.
Il y a donc d’abord le désir de laisser une trace, ne pas oublier que ces lieux ont existé. Mais le
photographe va plus loin et cherche à raconter ce qu’il voit, susciter la narration concernant ces
hommes et ces femmes qu’il photographie. Enfin, c’est par le regard et le temps de la déambulation
que Depardon nous livre son expérience de la folie.
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L’élan premier : capturer des preuves
Discours probatoire
Lors d’un entretien sur France Culture pour l’émission Le cinéma des cinéastes en 1982, Raymond
Depardon parle de San Clemente et de son désir de photographier les hôpitaux psychiatriques du nord
de l’Italie :
Ces endroits étaient dirigés par des gens qui comprenaient très bien qu’il fallait faire des images, parce
que peut-être qu’un jour ou l’autre, on ne nous aurait pas cru, on ne nous croirait pas, que c'était une
invention. Un peu comme les camps de concentration. Les preuves visuelles sont là.
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Son projet résulte donc bien d’une première intention probatoire. Il faut garder une trace de ces
lieux l’on enfermait les fous. La photographie peut faire la preuve des conditions d’enfermement
des malades mentaux dans la fin des années soixante-dix. Majoritairement autorisées, certaines photos
sont prises de manière clandestine comme à l’hôpital Leornado-Bianchi Sergio Piro, directeur d’un
autre hôpital psychiatrique, le fait rentrer quelques jours.
Les photos sont parfois accompagnées d’un paratexte qui indique le lieu. Cependant cela ne
constitue pas la majeure partie de l’ouvrage. Ainsi, s’il y a élaboration d’un discours probatoire dans
cette série de photo, celui-ci n’est pas complet. Il y manque de nombreuses informations comme le
lieu et la date exacte de prise de vue, afin de servir de preuve ontologique à l’existence de ces hôpitaux
psychiatriques. Les lieux cités - hôpitaux de l’île de San Servolo, de l’île de San Clemente, de Trieste,
de Venise, l’hôpital Leonardo-Bianchi, l’hôpital psychiatrique de Frullone, à Arezzo et à Collegno -
finissent par se confondre dans l’ouvrage. Raymond Depardon accumule en effet les photographies de
« fous », et capture les conditions dans lesquelles ils sont enfermés : douches communes, dortoirs
communs ou chambres d’isolement avec minuscule fenêtre, espaces communs lugubres et chichement
décorés, dénués d’humanités.
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Le Cinéma des cinéastes, France culture, « Raymond Depardon à propos de San Clemente, première diffusion le 09/05/1982.
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Une photo certainement prise dans la période
de Noël montre quelques guirlandes au plafond
ainsi qu’un petit sapin habillé à gauche. Un homme
se tient au premier plan, un autre au troisième plan,
tous les deux regardent dans une direction opposée.
Ils semblent absorbés. La photo met le spectateur
face à une forme de vide : le peu de décoration
renforce l’absence de mouvement et d’excitation qui
accompagnent habituellement noël.
Les photos au discours probatoires ont normalement tendance à donner des indices de lecture, au
sein de l’image ou dans le paratexte, afin de certifier que celles-ci sont la trace d’un évènement passé.
En réalité, le fait que cet ouvrage soit réalisé trente-deux ans après que les photos aient été prises
changent la donne. Ces « asiles de fous » en particulier ont été fermés, et cette entreprise de fermeture
était même déjà engagée lorsque Depardon a pris ces photos. Contrairement à Lewis Hine et son projet
National Child Labor Committee (1907-1919), le combat n’est donc pas dans la preuve photographique
pour qu’elle serve de preuve juridique, puisque la justice s’est déjà occupée de ces lieux.
Raymond Depardon veut dénoncer l’enfermement et non montrer du doigt la folie. Le lien entre
photographie et folie est étroit. La photographie a très vite servi au monde hospitalier pour catégoriser
les différentes pathologies selon les caractéristiques physiques, c’est la physiognomonie. La psychiatrie
quant à elle s’empare de la photographie pour illustrer les différentes crises possibles et capturer sur la
pellicule la folie de l’âme. Charcot crée le service photo de l’hôpital de la Salpêtrière en 1978 pour
reproduire et ordonner les différents états de crise de folie qu’il remarque chez ses patients, et qu’il
propose de traiter notamment par l’hypnose. Hypnose qui sert d’ailleurs à reproduire et maintenir ces
états de folie pour la prise de vue photographique. Charcot fait l’usage de ce que Michel Foucault
appelle, dans Les mots et les choses, le « rectangle intemporel, [...], dépouillés de tout commentaire, de tout langage
d'alentour, les êtres se présentent les uns à côté des autres, avec leurs surfaces visibles, rapprochés selon leurs traits
communs, et par déjà virtuellement analysés, et porteurs de leur seul nom. [...] » (p143). La photographie
demande ici à remettre en scène la folie, et à retrouver cet instant critique qu’est une crise d’épilepsie
ou d’hystérie. La photo est au service du moment de folie. Paul Richer, Georges Gilles de la Tourette et
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